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16/07/2020 | CEDH | N°001-203561

CEDH | CEDH, AFFAIRE DIKAIOU ET AUTRES c. GRÈCE, 2020, 001-203561


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DIKAIOU ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 77457/13)

ARRÊT

Art 3 (+ Art 14) • Traitement dégradant • Discrimination • Conditions générales de détention satisfaisantes de détenues séropositives dans une prison pour femmes, placées ensemble dans une chambrée sans aucune intention de ségrégation, et sans mise en danger de leurs vie et santé • Améliorations des conditions suite à une plainte au procureur superviseur de la prison • Regroupement dans la même chambrée, mais dans une aile accueillant des détenues ordinaires

, pour des considérations d’efficacité et éviter d’accroître le sentiment d’inquiétude des autres • A...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DIKAIOU ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 77457/13)

ARRÊT

Art 3 (+ Art 14) • Traitement dégradant • Discrimination • Conditions générales de détention satisfaisantes de détenues séropositives dans une prison pour femmes, placées ensemble dans une chambrée sans aucune intention de ségrégation, et sans mise en danger de leurs vie et santé • Améliorations des conditions suite à une plainte au procureur superviseur de la prison • Regroupement dans la même chambrée, mais dans une aile accueillant des détenues ordinaires, pour des considérations d’efficacité et éviter d’accroître le sentiment d’inquiétude des autres • Absence de manquement des autorités à l’obligation de leur fournir une assistance médicale conforme aux exigences de leur état de santé

Art 13 (+ Art 3) • Inefficacité des recours préventif et compensatoire offerts aux détenues • Réponse du procureur uniquement à une partie des doléances visées par le recours préventif concernant l’amélioration des conditions de détention • Recours compensatoire, effectif seulement après la mise en liberté de l’intéressé et non pendant la détention, en l’absence de caractère préventif

STRASBOURG

16 juillet 2020

DÉFINITIF

16/11/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dikaiou et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Aleš Pejchal,

Armen Harutyunyan,

Pere Pastor Vilanova,

Tim Eicke,

Jovan Ilievski, juges,

et de Abel Campos, greffier de section,

Vu :

la requête (no 77457/13) dirigée contre la République hellénique et dont six ressortissantes de différentes nationalités (« les requérantes ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 5 décembre 2013,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne les conditions de détention dans la prison pour femmes de Thèbes, et la question du caractère approprié des soins médicaux apportées aux requérantes, atteintes du virus VIH et pour certaines d’entre elles ayant déjà déclaré la maladie et qui ont été détenues dans cette prison soit à titre provisoire soit à la suite d’une condamnation.

EN FAIT

2. La liste des parties requérantes figure en annexe. Ce sont des femmes séropositives, détenues provisoirement ou à la suite d’une décision de condamnation à la prison pour femmes d’Elaionas à Thèbes.

3. Les requérantes ont été représentées par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le Gouvernement a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État. Le Gouvernement russe n’a pas exercé son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

1. La détention des requérantes

4. La requérante Loukia Dikaiou est atteinte du virus VIH et déclara déjà la maladie. Elle fut détenue provisoirement à la prison pour femmes de Thèbes du 28 décembre 2012 au 12 décembre 2013. Elle fut libérée à la suite d’un arrêt de la cour d’appel du Dodécanèse du 4 décembre 2013 qui la condamna à une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis.

5. La requérante Evgenia Arhipova est atteinte du virus VIH et déclara déjà la maladie. Elle est aussi porteuse d’hépatite C, maladie pour laquelle elle fut traitée pendant un an et demi. Elle fut détenue à la prison pour femmes de Thèbes du 12 mars 2013 au 7 mai 2015 à la suite d’un arrêt de la cour d’appel criminelle d’Athènes qui la condamna à une peine de réclusion de 10 ans et 3 mois (pour infraction liées aux stupéfiants commises par une personne qui n’était pas toxicomane) et à son expulsion du territoire après avoir fini de purger sa peine.

Elle devait être mise en liberté le 22 octobre 2014, en exécution d’une décision de la chambre d’accusation du tribunal de Thèbes ayant ordonné sa mise en liberté, sous réserve de révocation (article 110A du code pénal). Elle fut toutefois maintenue en détention en vue de son expulsion. Le 7 mai 2015, le procureur près le tribunal correctionnel de Thèbes suspendit l’exécution de la mesure d’expulsion, ainsi que de celle concernant le maintien en détention, sous condition que la requérante se présente une fois par mois au commissariat de son lieu de résidence.

6. La requérante Makulaye Mwasenga est séropositive. Elle fut détenue du 31 octobre 2012 au 25 septembre 2014 à la prison pour femmes de Thèbes en exécution d’un arrêt de la cour d’appel criminelle d’Athènes qui la condamna pour vol qualifié à une peine de réclusion de 6 ans et 6 mois et à son expulsion du territoire après avoir fini de purger sa peine. Elle devait être mise en liberté le 17 mars 2014, sur le fondement de l’article 19 de la loi no 4242/14. Toutefois, elle fut maintenue en détention aux fins de son expulsion. Cette requérante fut finalement élargie le 25 septembre 2014 à la suite d’une décision de la même juridiction qui ordonna la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion sous condition qu’elle se présente deux fois par mois au commissariat de son lieu de résidence.

7. La requérante Iliana Nikoli est atteinte du virus VIH et déclara déjà la maladie. Elle fut détenue du 3 avril 2013 au 30 juin 2014 à la prison pour femmes de Thèbes en exécution d’un arrêt de la cour d’appel criminelle d’Athènes qui la condamna pour braquage et port d’arme illégal à une peine de réclusion de 7 ans et 31 mois

Elle fut mise en liberté le 30 juin 2014 en exécution d’une décision de la chambre d’accusation du tribunal de Thèbes qui ordonna sa libération sous réserve de révocation (article 110A du code pénal) et sous condition qu’elle se présente une fois par mois au commissariat de son lieu de résidence.

8. La requérante Despina Papazoglou est séropositive. Elle souffre aussi de problèmes de la thyroïde, de glycémie et d’anémie. Elle fut détenue du 18 juillet 2013 au 12 mars 2014 à la prison pour femmes de Thèbes en exécution d’un jugement du tribunal correctionnel d’Athènes qui la condamna pour vol et infractions liées aux stupéfiants commises par une personne qui n’était pas toxicomane à une peine d’emprisonnement de 7 mois et 15 jours. Elle devait être mise en liberté le 23 septembre 2013 en exécution d’une décision de la chambre d’accusation du tribunal de Thèbes qui ordonna sa mise en liberté sous réserve de révocation (article 105 du code pénal).

Toutefois, elle fut maintenue en détention à compter du 23 septembre 2013, au titre de la détention provisoire ordonnée dans le cadre d’une autre procédure pour vol qualifié.

Elle fut élargie le 12 mars 2014 à la suite d’un arrêt de la cour d’appel criminelle d’Athènes qui requalifia en délits certaines des infractions commises et l’acquitta à l’égard de certaines autres. En outre, la cour d’appel criminelle reconnut un effet suspensif à l’appel que la requérante introduisit contre cet arrêt et suspendit aussi l’exécution de la peine qu’elle lui avait infligée.

9. La requérante Marian Tingo ou Ntieduwaa est atteinte du virus VIH et déclara déjà la maladie. Elle fut détenue à la prison pour femmes de Thèbes du 21 août 2013 au 2 mars 2015 en exécution d’un arrêt de la cour d’appel criminelle d’Athènes qui la condamna à une peine de réclusion de 20 ans et 2 mois pour infractions liées aux stupéfiants commises par une personne qui n’était pas toxicomane et pour faux et usage de faux, ainsi qu’à son expulsion du territoire après avoir fini de purger sa peine.

Le 1er août 2014, en exécution d’une décision de la chambre d’accusation du tribunal de Thèbes, elle devait être mise en liberté, sous réserve de révocation (article 110A du code pénal), mais fut maintenue en détention aux fins de son expulsion. Le 2 mars 2015, cette requérante fut finalement mise en liberté de manière définitive car la chambre d’accusation du tribunal de Thèbes décida qu’il n’était plus nécessaire de la maintenir en détention aux fins de l’expulsion.

2. La saisine par les requérantes du procureur superviseur de la prison

10. Le 15 octobre 2013, les requérantes adressèrent une requête au procureur superviseur de la prison de Thèbes sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale. Elles se plaignaient des violations des articles 2, 3, 5, 8 et 14 de la Convention, des dispositions de la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ainsi que des dispositions du code pénitentiaire grec. Elles soulignaient que l’incarcération de séropositives et de malades du VIH dans les conditions qui régnaient dans cette prison et sans les soins médicaux et pharmaceutiques appropriés constituait une torture et pouvait être considérée comme une condamnation à mort.

11. Plus précisément, elles indiquaient qu’elles avaient été transférées à la prison de Thèbes de la prison de Korydallos où chacune occupait une cellule individuelle. Avant d’être toutes placées dans une même chambrée, elles étaient d’abord accueillies au dispensaire de la prison pendant une semaine sans pouvoir sortir à l’extérieur, à l’exception d’une seule fois où elles sortirent pour une période de vingt minutes.

12. Elles se plaignaient ensuite du manque de médecins dans la prison, notamment d’un infectiologue, ainsi que d’un soutien médical individualisé : le médecin généraliste visitait la prison tous les quinze jours en ne donnait aucune priorité aux malades du VIH. Elles soulignaient que celles qui avaient déclaré la maladie devaient recevoir le traitement approprié sans interruption sinon le virus risquait de devenir plus résistant. Pour les simples séropositives, le traitement était aussi nécessaire mais il n’avait pas encore été administré. La requérante Nikoli affirmait que suite à un examen médical et à la prescription d’un médicament spécial, elle dut attendre plusieurs jours avant de le recevoir. La requérante Papazoglou affirmait qu’elle avait dû payer son médicament, dont le prix s’élevait à 1 200 euros, de ses propres deniers et dut attendre trois jours avant de le recevoir. Cette dernière requérante affirmait aussi que peu après son admission, elle avait demandé de voir un dentiste mais qu’elle avait dû attendre un mois pendant lequel elle avait souffert. Elle précisait que pour les personnes malades du VIH une attente si longue pourrait leur être fatale en raison du risque d’infection.

13. Les requérantes Makulaye et Tingo recevaient encore leur traitement de la prison de Korydallos, mais sans qu’il soit certain de continuer de le recevoir à l’avenir. Les requérantes Dikaiou et Arhipova affirmaient qu’elles n’avaient subi aucun examen, la première depuis huit mois, la seconde depuis un an et demi. La première précisait en outre qu’elle souffrait de névrite et devait faire un électromyogramme au moins une fois par an et que le médecin généraliste n’avait pas estimé utile de le lui prescrire. Elle ajoutait qu’elle souffrait aussi du syndrome Khasimoto et des crises d’hyperthyroïdie pour lesquels aucun examen n’avait eu lieu et aucun traitement ne lui avait été donné. Enfin, elle indiquait qu’à la suite d’une intervention d’arthroplastie, elle avait besoin des porter des bandages de maintien des genoux qu’elle avait apportés de la prison de Korydallos mais que la prison de Thèbes ne l’autorisait pas à les y faire rentrer.

14. En ce qui concerne les conditions générales de détention, les requérantes se plaignaient dans les domaines suivants :

– chauffage : le chauffage central n’était allumé que pendant une heure en hiver, la distribution de radiateurs électriques étant indispensable ;

– eau chaude : l’eau chaude était disponible pendant une heure à 5 h du matin. Les dix premiers jours après leur transfert à la prison, il n’y avait pas du tout d’eau courante car il n’y avait pas de pétrole pour faire fonctionner le générateur ;

– eau potable : l’eau de la prison n’étant pas potable, les requérantes étaient obligées d’acheter de l’eau en bouteille, alors même que les requérantes Arhipova, Tingo et Makulaye n’avaient pas les moyens d’en acheter ;

– nourriture : elle ne comprenait ni fruits ni poissons. Après s’en être plaint auprès de l’officier en chef de la prison que la nourriture qui leur était fournie n’était pas en quantité suffisante, elles recevaient tous les matins un yaourt et un œuf, ce dernier n’étant toutefois pas cuit. Les requérantes se plaignaient aussi du fait qu’il y avait eu beaucoup de querelles entre elles et les détenues ordinaires avec lesquelles elles partageaient le congélateur réservé à toutes les détenues ; elles avaient ainsi peur que ce partage ne contribue à risquer de contaminer les autres détenues avec le virus VIH ;

– hygiène : la prison ne leur fournissait pas des produis d’entretien ;

– linge : la prison ne fournissait pas de poudre de lavage et elles étaient obligées de laver leur linge et leurs draps dans des bassines qu’elles avaient emmenées de la prison de Korydallos ;

– sortie dans la cour et exercice physique : les sorties avaient lieu de 9 h à 11 h et de 14 h à 16 h. La prison ne disposait pas de salle pour faire du sport.

15. Les requérantes se plaignaient aussi d’avoir été placées dans la même prison que les détenues ordinaires et d’être stigmatisées du fait de leur « ghettoïsation » et de leur isolément dans la même chambrée, ce qui risquait de leur provoquer la « sénilité VIH » et des tendances d’autodestruction. Elles se plaignaient aussi d’une différence de traitement discriminatoire entre celles des détenues qui étaient condamnées et pouvaient bénéficier des dispositions de l’article 110A du code pénal et celles qui étaient détenues provisoirement qui ne pouvaient en bénéficier et dont le sort dépendait du pouvoir d’appréciation du juge d’instruction ou de la chambre d’accusation (article 497 du code de procédure pénale).

16. Enfin, elles demandaient qu’elles soient toutes transférées, aux fins de leur détention, dans un hôpital ou une clinique, qu’elles soient, en attendant ce transfert, placées dans des cellules individuelles ayant chacune sa propre salle d’eau, et que celles d’entre elles qui étaient détenues provisoirement et avaient déclaré la maladie soient libérées par application analogique de l’article 110A du code pénal.

17. Les requérantes admettent dans leurs observations qu’à la suite de cette requête, les autorités de la prison installèrent dans leur chambrée un chauffe-eau électrique pour assurer la fourniture d’eau chaude pendant toute la journée et augmentèrent la quantité de la nourriture. De son côté, le Gouvernement affirme que les autorités leur fournirent aussi un chauffage électrique.

3. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention des requérantes dans la prison pour femmes de Thèbes

18. La capacité officielle de la prison est de 400 détenues. A la date de la détention des requérantes, le nombre des détenues s’élevait à 422 le 1er janvier 2013, 425 le 1er janvier 2014 et 420 le 1er janvier 2015. Les requérantes furent placées dans l’aile B, chambrée 1, d’une superficie de 80 m². Dans la même aile, il y avait d’autres détenues non séropositives.

19. Dans chaque chambrée, il y a sept lits, ainsi qu’une table de nuit, une armoire et une chaise pour chaque détenue. Il y a aussi une table pour six personnes et pour chaque personne supplémentaire une table pour deux personnes.

20. La chambrée où étaient placées les requérants disposait des trois toilettes (d’une superficie chacune de 5 m²), des deux douches et d’un chauffe-eau électrique qui assurait la fourniture d’eau chaude pendant toute la journée. Le chauffage central fonctionnait pendant trois heures tous les soirs mais il y avait aussi un chauffage électrique qui pouvait être allumé toute la journée. L’été, les autorités pénitentiaires distribuaient des ventilateurs.

21. Les détenues sans ressources recevaient des produits d’hygiène personnelle. Les requérantes recevaient en plus de l’eau de javel.

22. Les requérantes recevaient le traitement pharmaceutique adéquat qui leur était prescrit par les médecins selon les standards grecs et européens. Leur suivi médical avait lieu à des intervalles réguliers, au besoin avec l’assistance des unités spéciales d’infectiologie des hôpitaux publics. Du reste, le soutien psychologique des détenues dans la prison était assuré par deux psychologues.

23. De manière plus générale, le Gouvernement affirme qu’à leur admission dans la prison, toutes les détenues sont soumises à un examen médical, reçoivent, au besoin, un traitement, ou sont renvoyés à l’hôpital pour subir des examens supplémentaires. Les détenues séropositives ayant besoin d’hospitalisation sont transférées immédiatement dans les hôpitaux publics. Il n’est pas nécessaire d’assurer leur suivi par un infectiologue à l’intérieur de la prison.

24. Sur le plan de la nourriture, le Gouvernement produit une note de la prison pour démontrer que les détenues séropositives comme les requérantes recevaient des portions supplémentaires et plus variées que celles données aux autres détenues.

25. La superficie de la cour de l’aile B de la prison, où étaient placées les requérantes, était de 500 m².

26. Enfin, le Gouvernement produit une copie des dossiers médicaux individuels des requérantes d’où il ressort que les requérantes furent emmenés à des hôpitaux publics, se firent prescrire des traitements et subirent de nombreux examens. Le Gouvernement affirme qu’aucune des requérantes n’eut à payer le traitement pharmaceutique qui lui était prescrit.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Droit et pratique internes

27. Pour le cadre juridique interne (texte des articles 105 §§ 1 et 7 et 110A du code pénal, 497 §§ 7 et 8 du code de procédure pénale et 19 § 1 de la loi no 4242/2014) se référer notamment à l’arrêt Martzaklis et autres c. Grèce (no 20378/13, §§ 33-39, 9 juillet 2015).

28. L’article 110A du code pénal accorde aux détenus à la suite d’une condamnation pénale atteints du virus VIH et ayant déclaré la maladie, le droit d’être mis en liberté sans que les conditions prévues aux articles 105 et 106 du code pénal soient réunies. Il n’est pas non plus nécessaire que le détenu ait purgé une partie de sa peine. Le déclenchement de la procédure de l’article 110A dépend du condamné lui-même qui doit soumettre une demande spécifique à cet effet afin que la chambre d’accusation ordonne, avant de prendre sa décision, la réalisation d’une expertise.

29. L’article 110A ne s’applique pas à ceux qui sont détenus à la suite d’une condamnation pénale et qui sont séropositifs mais n’ont pas encore déclaré la maladie. L’article 105 § 7 du code pénal prévoit que chaque jour de détention compte double. Il ressort de la combinaison des paragraphes 1 et 7 de l’article 105 que ces détenus ont le droit d’être mis en liberté s’ils ont purgé 2/5 de leur peine, s’ils ont été condamnés à une peine d’emprisonnement et 3/5 de leur peine, s’ils ont été condamnés à une peine de réclusion. Les condamnés à perpétuité doivent purger 19 ans de réclusion avant de bénéficier de cette possibilité.

30. En ce qui concerne les personnes qui ont été condamnées en premier degré et pour lesquelles le tribunal a décidé que leur appel n’aurait pas d’effet suspensif, il faudrait distinguer entre :

a) celles qui ont déclaré la maladie peuvent demander leur mise en liberté, sur le fondement de l’article 110A ;

b) celles qui sont séropositives, sans avoir encore déclaré la maladie, peuvent demander à la cour d’appel d’accorder un effet suspensif à leur appel et de les mettre en liberté. La cour d’appel peut accueillir la demande, si elle considère que le maintien en détention risque de causer un dommage irréparable au détenu ou à sa famille (article 497 § 8 du code de procédure pénale).

31. Enfin, ceux qui sont placés en détention provisoire peuvent demander un sursis à leur détention pour raisons de santé, sur le fondement de l’article 282 du code de procédure pénale. La Cour de cassation (formation plénière, arrêt no 1328/1989 du 25 mai 1989, Chroniques pénales M, 580) a considéré que la chambre d’accusation peut ordonner l’élargissent pour une durée déterminée ou indéterminée et en fonction de circonstances, et imposer au détenu des mesures restrictives appropriées. La Cour de cassation a précisé que ces circonstances consistent, entre autres, en une maladie grave du détenu qui rend indispensable son hospitalisation dans un établissement autre qu’un hôpital pénitentiaire.

32. Les chambres d’accusation des cours d’appel de Samos (décision no 5/2001), de Thrace (décision no 39/2008), d’Athènes (décisions no 3641/2001, no 1292/2009 et no 1744/2009) et de Nauplie (décision no 8/2011) ont examiné des demandes de mise en liberté des personnes en détention provisoire en ont pris en considération en priorité l’état de santé de ceux-ci pour remplacer cette décision par d’autres mesures restrictives.

33. L’article 572 du code de procédure pénale dispose en sa partie pertinente en l’espèce que :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.

(...) »

34. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit que :

« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

2. Droit et pratiques internationaux
1. Le Conseil de l’Europe

35. Pour voir les textes de la Recommandation no (98)7 du Comité des Ministres aux États membres relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire (8 avril 1998), de l’annexe 2 à la Recommandation Rec(2000)22 du Comité des Ministres aux États membres concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, de la Recommandation 1418 (1999) du 25 juin 1999 de l’Assemblée parlementaire sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants et de la Recommandation no R (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes adoptée le 11 janvier 2006, se référer à l’arrêt Gülay Çetin c. Turquie (no 44084/10, §§ 70-73, 5 mars 2013).

36. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« APCE ») a évoqué la question du VIH/sida dans un certain nombre de documents. Dans sa Recommandation 1116(1989) sur le sida et les droits de l’homme, elle s’est exprimée ainsi :

« 3. Constatant que si le Conseil de l’Europe s’est préoccupé dès 1983 de la prévention, les aspects éthiques n’ont été qu’effleurés ;

4. Estimant pourtant qu’il est primordial de veiller à ce que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ne soient pas mis en péril au nom de la peur qu’inspire le sida ;

5. Inquiète en particulier des discriminations dont sont victimes certains malades ou même des personnes séropositives ;

(...)

8. Recommande au Comité des Ministres :

A. de charger le Comité directeur pour les droits de l’homme d’accorder la priorité au renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, soit en ajoutant la santé parmi les motifs de distinction interdits, soit en élaborant une clause générale d’égalité de traitement devant la loi ;

(...) »

37. Dans sa Résolution 1536(2007) sur le VIH/sida en Europe, l’APCE a réaffirmé son engagement à combattre toutes les formes de discrimination contre les personnes vivant avec le VIH/sida :

« 9. Soulignant que la pandémie du VIH/sida est une urgence à la fois médicale, sociale et économique, l’Assemblée appelle les parlements et les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe :

1. à faire en sorte que leurs lois, leurs politiques et leurs pratiques respectent les droits de l’homme dans le contexte du HIV/sida, en particulier les droits à l’éducation, au travail, au respect de la vie privée, à la protection et à l’accès à la prévention, aux traitements, aux soins et à l’assistance ;

2. à protéger les personnes vivant avec le HIV/sida contre toute forme de discrimination tant dans le secteur public que dans le secteur privé (...) »

38. Dans sa Recommandation R(93)6 du 18 octobre 1993 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du SIDA, et les problèmes connexes de santé en prison, le Comité des Ministres notait ce qui suit :

« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

(...)

Conscient de l’ampleur du défi que représentent pour les autorités responsables de l’institution pénitentiaire le développement d’actions de prévention et la prise en charge médicale, psychologique et sociale de personnes infectées par le VIH;

Convaincu de la nécessité d’instaurer une stratégie européenne de lutte contre l’infection VIH dans le domaine pénitentiaire;

(...)

Recommande que les gouvernements des États membres:

. veillent à ce que les principes et dispositions énoncés dans l’annexe à la recommandation et élaborés à la lumière des connaissances actuelles trouvent une application pratique dans les politiques nationales et régionales de santé en milieu pénitentiaire visant à combattre l’infection par le VIH et les autres maladies transmissibles;

. assurent la plus large diffusion possible de cette recommandation, en portant une attention particulière à tous les individus et organismes chargés de la mise en œuvre de la politique de santé en milieu pénitentiaire, ainsi qu’à tous les professionnels de la justice et les organismes concernés par la politique criminelle et les aspects criminologiques du contrôle des maladies transmissibles.

Annexe à la Recommandation no R (93)6
I. Aspects pénitentiaires

A. Principes généraux

1. Il apparaît nécessaire et urgent de déterminer, dans chaque État, une politique cohérente de lutte contre le VIH/sida en milieu pénitentiaire.

Cette politique devrait être développée en étroite collaboration avec les autorités sanitaires nationales et être intégrée dans une politique plus large visant à combattre les maladies transmissibles en milieu pénitentiaire.

Il convient de promouvoir les méthodes et les procédures de prévention de l’infection par le VIH/sida dans les établissements pénitentiaires.

L’éducation et l’information en matière de santé, conçues au bénéfice de tous les détenus et du personnel, devraient être partie intégrante des politiques pénitentiaires.

2. Le bilan de santé systématique réalisé au profit des entrants en milieu carcéral doit prévoir des mesures de détection des maladies intercurrentes, y compris des maladies infectieuses qui peuvent être traitées, notamment la tuberculose.

Ce bilan est, par ailleurs, l’occasion d’une action d’éducation sanitaire et permet de responsabiliser les détenus par rapport à leur propre santé.

(...)

4. Les détenus devraient bénéficier, à chaque stade de l’infection par le VIH/sida, des mêmes traitements médicaux et psychosociaux que ceux qui sont dispensés aux autres membres de la communauté. lls devraient, de manière générale, avoir accès aux prestations de santé équivalant à celles de la communauté.

Le développement de la coopération avec les systèmes sanitaires nationaux ou régionaux permettrait de faciliter la prise en charge médicale des détenus séropositifs et sidéens, ainsi que leur suivi médical à l’entrée et après la libération.

5. La prise en charge médicale, le soutien psychologique et le suivi social permettant leur insertion postpénale devraient être organisés pour les détenus séropositifs.

6. Un effort d’information particulier devrait être réalisé, tant auprès des personnels des établissements pénitentiaires que des détenus, pour s’assurer de leur connaissance des modes de transmission du VIH ainsi que du respect des règles d’hygiène et des précautions de nature à réduire les risques de contamination durant leur détention et après leur sortie.

Les autorités sanitaires et pénitentiaires devraient s’attacher à fournir des informations et, si nécessaire, des conseils personnalisés sur les pratiques à risque.

Il est souhaitable de mettre à la disposition des détenus le matériel d’information dans une langue qu’ils peuvent comprendre et, si nécessaire, en tenant compte de leur origine culturelle.

(...)

9. Les mesures de ségrégation et d’isolement, ainsi que les restrictions aux activités de travail, de sports et de loisirs n’étant pas nécessaires à l’égard des personnes séropositives dans la communauté, la même attitude doit être adoptée à l’égard des détenus séropositifs. (...)

10. Les détenus devraient bénéficier d’installations sanitaires conformes aux normes de la communauté, disponibles dans tous les secteurs concernés des établissements pénitentiaires.

11. Tous les moyens nécessaires au respect des règles d’hygiène devraient être mis à la disposition du personnel pénitentiaire et des détenus.

12. Les détenus séropositifs devraient bénéficier d’un suivi médical et de consultations-conseils au cours de leur séjour carcéral, notamment lors de la notification des résultats du test.

(...) »

39. Dans son rapport établi à la suite de sa visite en Grèce, du 4 au 16 avril 2013, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) affirmait qu’il n’y avait aucune justification de santé publique pour isoler des détenus au seul motif qu’ils sont séropositif. Toutefois, compte tenu de la situation régnant dans les prisons grecques, marquée par une surpopulation sévère, de pauvres conditions d’hygiène, de l’absence de secret médical et du haut degré de préjugé contre les séropositifs, on pourrait admettre que ceux-ci soient placés séparément dans des conditions favorables pour leur santé et leur bien-être.

40. Dans sa visite du 14 au 23 avril 2015, le CPT a constaté que quelque 50 détenues continuaient à être placés à l’hôpital de la prison alors que 47 étaient placées sur deux étages à la troisième aile de la prison pour femmes de Korydallos, où les conditions, en termes d’hygiène et d’espace, étaient bien meilleurs qu’à l’hôpital de la prison. Toutefois, en ce qui concerne le régime de la détention, ces détenues ne bénéficiaient pas de la possibilité de prendre part à des activités ou de travailler, mais passaient jusqu’à quatre heures par jour dans les espaces communs de l’aile ou dans leur cellule.

41. Le CPT recommandait aux autorités grecques de mettre en place un programme d’information à l’attention du personnel et des détenus concernant les maladies transmissibles et notamment le VIH. Il recommandait aussi que des instructions clires soient émises afin d’assurer que les détenus séropositifs soient traités de manière égale aux autres détenus et bénéficient du même régime de détention. Les détenus séropositifs ne devaient pas être placés à l’isolément aussi longtemps que les conditions dans les cellules d’isolément ne soient pas les mêmes que dans les cellules ordinaires et que ces détenus ne bénéficient pas du même éventail d’activités que les autres détenus.

2. La Commission des droits de l’homme des Nations-Unies

42. Dans sa Résolution 1995/44, relative à la protection des droits de l’homme dans le contexte du virus de l’immunodéficience humaine et du syndrome d’immunodéficience acquise, adoptée le 3 mars lors de sa 53e réunion, la Commission confirmait que la discrimination fondée sur le VIH ou le Sida, réel ou présumé, était prohibée par les standards internationaux existants des droits de l’homme et que le terme « toute autre situation » dans les articles concernant la non-discrimination dans les textes internationaux de protection des droits de l’homme pouvaient être interprétés de manière à englober des questions de santé, y compris le VIH ou le Sida.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 pris isolément et COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LES CONDITIONS DE DÉTENTION

43. Les requérantes se plaignent d’avoir été soumises à un traitement inhumain et dégradant en raison de leurs conditions générales de détention dans la prison pour femmes de Thèbes et du manque de soins adaptés à leur état de santé. Elles se plaignent aussi d’une discrimination à leur égard en raison de leur « ghettoïsation et stigmatisation » au sein de la prison en tant que détenues atteintes du virus VIH. Elles invoquent les articles 3 et 14 de la Convention, qui sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

1. Sur la recevabilité

44. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

45. Dans leurs observations le requérantes reproduisent à l’identique les doléances qu’elles ont exprimées dans leur requête au procureur superviseur de la prison sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale. Elles se prévalent des conditions de détention des détenus séropositifs telles que constatées par le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, notamment à la prison de Korydallos, lors de ses visites du 4 au 16 avril 2013 et du 14 au 23 avril 2015 (paragraphes 38-40 ci-dessus). Elles se prévalent aussi d’autres textes internationaux, tels que la Recommandation 1116(1989) et de la Résolution 1536(2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (paragraphes 36-37 ci-dessus) et la Résolution 1995/44 de la Commission des Nations Unies des droits de l’homme (paragraphe 41 ci-dessus), ainsi que de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Martzaklis et autres précitée.

46. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions générales de détention dans la prison et souligne que celles étaient satisfaisantes et ne dépassaient pas le seuil de gravité pour être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant. Le placement des requérantes dans la même chambrée et la même aile de la prison avait été imposé par des motifs raisonnables et objectifs et tendait à assurer à celles-ci de meilleures conditions de détention, une meilleure prise en charge et une meilleure protection compte tenu de leur maladie.

47. Le Gouvernement considère que la présente affaire se distingue de l’affaire Martzaklis et autres précitée. Dans cette dernière affaire, les requérants étaient des séropositifs qui n’avaient pas besoin d’être placés en isolément afin d’éviter la contamination. En l’espèce, seules les requérantes Makulaye et Papazoglou étaient séropositives alors que les autres avaient déjà déclaré la maladie. En outre, la chambrée des requérantes était dans une aile où il y avait d’autres détenues qui n’étaient pas séropositives. Par conséquent aucune « ghettoïsation » dans une aile spécifique de la prison n’a eu lieu à leur égard.

2. Appréciation de la Cour

48. En ce qui concerne les principes généraux de sa jurisprudence en la matière, la Cour renvoie à l’arrêt Martzaklis et autres, précité, §§ 64-66.

49. Quant à l’application de ces principes en l’espèce, la Cour note ce qui suit.

a) Conditions générales de détention

50. En premier lieu, s’agissant des conditions générales de détention, la Cour observe que les thèses des parties sont très divergentes quant au caractère satisfaisant de celles-ci. Par ailleurs, aucune institution nationale ou internationale n’a publié de rapport chronologiquement proche de l’époque des faits sur les conditions de détention régnant dans la prison de Thèbes. Pour prendre sa décision, la Cour se fondera alors sur les constats suivants, qu’elle considère établis car non contestés par les requérantes :

– les requérantes étaient placées à huit dans une même chambrée de 80 m², équipée d’un nombre suffisant de lits, chaises, tables, armoires, tables de chevet, douches et toilettes. Leur espace personnel était donc suffisant et les requérantes ne se sont pas plaintes du reste de cet aspect des conditions de leur détention ;

– à supposer même que les conditions relatives au chauffage et à l’eau chaude dans la chambrée et à l’alimentation des requérantes eussent été insuffisantes, comme celles-ci le prétendent ‑ doléances qui, la Cour le souligne, ne sont corroborées par aucun élément objectif autre que leurs propres allégations ‑, à la suite de leur requête au procureur superviseur, les autorités de la prison ont installé dans la chambrée un chauffage électrique et un chauffe-eau et leur ont fourni une alimentation améliorée par rapport à celle prévue pour les détenues ordinaires ;

– les requérantes pouvaient sortir de la chambrée pour la promenade dans la cour de leur aile, qui mesurait 500 m², deux heures le matin et deux heures l’après-midi ;

– à la différence des détenues ordinaires, les requérantes recevaient de l’eau de javel pour la désinfection de leur chambrée et celles qui n’avaient pas des moyens financiers suffisants se voyaient remettre gratuitement des produits d’hygiène corporelle.

51. La Cour conclut donc que les conditions générales de détention concernant les requérantes étaient satisfaisantes dans la prison de Thèbes.

b) Allégation de « ghettoïsation et de stigmatisation »

52. En deuxième lieu, s’agissant de l’allégation de « ghettoïsation », la Cour note que les requérantes ont toutes été placées ensemble dans une chambrée de l’aile B de la prison qui accueillait aussi des détenues ordinaires. À lui seul et en l’absence d’autres éléments dont les requérantes n’ont pas fait état, le fait d’être placées ensemble ne démontre aucune intention des autorités de la prison de les mettre dans une situation de ségrégation. De l’avis de la Cour, il est raisonnable de conclure que ce regroupement dans la même chambrée, mais dans une aile qui accueillait des détenues ordinaires, poursuivait des considérations d’efficacité dans la gestion du groupe des requérantes ainsi que, de manière plus générale, de l’ensemble de la prison.

53. À cet égard, la présente affaire se distingue de l’affaire Martzaklis et autres dans laquelle les requérants, qui étaient séropositifs mais sans avoir déclaré la maladie, étaient confinés avec tous les autres séropositifs de la prison à la clinique psychiatrique de la prison. En revanche, en l’espèce, deux des requérantes étaient séropositives et les autres avaient déjà déclaré la maladie. Les disperser dans différentes cellules et chambres aurait eu pour effet d’accroître le sentiment d’inquiétude des autres détenues, ce qui peut être compréhensible dans un endroit clos comme celui d’une prison.

54. La Cour note de surcroît que les requérantes sortaient comme les autres détenues aux mêmes horaires dans la cour de la prison et partageaient avec ces autres détenues le congélateur de la prison qui leur était réservé, et ce malgré les protestations que ce partage ait pu susciter (paragraphe ci-dessus).

55. Par conséquent et après un examen global des éléments susmentionnés, la Cour estime que le regroupement des requérantes, à supposer même qu’il puisse être qualifié de différence de traitement des requérantes par rapport aux détenues ordinaires, poursuivait un but légitime et constituait dans les circonstances de l’espèce un moyen ayant un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but visé.

c) Soins médicaux

56. En troisième lieu, s’agissant des soins médicaux, la Cour note d’emblée que le Gouvernement a produit devant elle un dossier volumineux qui contient copie d’un grand nombre de rapports médicaux, de résultats d’examens médicaux et de prescriptions de médicaments, établis pendant la période de la détention des requérantes. Même si elle n’est pas en mesure de juger de la pertinence médicale de ces examens et prescriptions, la Cour constate qu’il s’agit là d’examens relatifs à la pathologie dont souffraient les requérantes.

57. Par ailleurs, la Cour observe que tant dans leur requête au procureur superviseur de la prison que dans leurs observations devant la Cour, les requérantes ne se plaignent en particulier de l’inadéquation de leur traitement pharmaceutique ou d’un refus des autorités de leur fournir l’assistance médicale dont elles avaient besoin en leur qualité de patientes du VIH. Elles se limitent à soutenir que, du fait de leur maladie, la prison n’était pas l’endroit approprié pour y être détenues et qu’elles devaient être soit transférées dans un hôpital soit être mises en liberté en application de l’article 110A du code pénal. Même si certaines d’entre elles, comme par exemple les requérantes Papazoglou et Nikoli, se sont plaintes d’un retard dans l’administration de leur traitement, ce retard a été en tout état de cause de courte durée (paragraphe 11 ci-dessus).

58. La Cour considère que ni la vie ni même la santé des requérantes n’ont jamais été mises en danger pendant toute la période de leur détention dans la prison de Thèbes et que les autorités n’ont pas manqué à l’obligation de leur fournir une assistance médicale conforme aux exigences de leur état de santé.

d) Conclusion

59. La Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention des requérantes.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LES CONDITIONS DE DÉTENTION DES REQUÉRANTES

60. Les requérantes se plaignent qu’elles n’avaient pas à leur disposition un recours interne effectif au travers duquel elles auraient pu formuler leurs griefs de méconnaissance de l’article 3 en ce qui concerne leurs conditions de détention et leur traitement médical. Elles invoquent l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

61. Les requérantes se prévalent des arrêts de la Cour dans les affaires Papakonstantinou c. Grèce (no 50765/11, 13 novembre 2014), Kalandia c. Grèce (no 48684/15, 6 octobre 2016), et Martzaklis et autres précitée, pour rappeler que la Cour a conclu que les recours prévus aux articles 6 du code pénitentiaire, (recours devant le conseil de la prison) et 572 du code de procédure pénale (saisine du procureur superviseur de la prison) ne sont pas effectifs. Elles admettent que si à la suite de leur requête sur le fondement de l’article 572, elles ont vu une petite amélioration dans certaines de leurs conditions de détention, celle-ci n’était pas suffisante pour remédier les problèmes auxquels elles étaient confrontées dans la prison et qui menaçaient leur vie.

62. Le Gouvernement soutient, en revanche, que les recours précités sont effectifs. Il affirme qu’il ressort du rapport de la prison de Thèbes, du 19 juillet 2017, qu’il produit, ainsi que des dossiers médicaux individuels des requérantes, que celles-ci ont soumis des requêtes avec différentes demandes personnelles tant au conseil de la prison qu’au procureur superviseur, que ceux-ci ont accueilli dans certains cas.

1. Sur la recevabilité

63. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

64. La Cour rappelle d’emblée que le constat de violation d’une autre disposition de la Convention n’est pas une condition préalable pour l’application de l’article 13 (Sergey Denisov c. Russie, no 21566/13, § 88, 8 octobre 2015, et les références qui y sont citées). Dans la présente affaire, même si la Cour a finalement conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 45 ci-dessus), elle n’a pas estimé que le grief des requérantes à cet égard était à première vue indéfendable. La Cour est parvenue à cette conclusion seulement après avoir examiné le bien-fondé de l’affaire. Elle considère dès lors que les requérantes ont soulevé un grief défendable aux fins de l’article 13 de la Convention.

65. A ce stade, la Cour estime utile de rappeler, en outre, les principes pertinents de l’application de l’article 13 en matière de conditions de détention, tels qu’énoncés récemment dans l’arrêt Ulemek c. Croatie (no 21613/16, §§ 71-74, 31 octobre 2019). Ainsi, les remèdes « préventifs » et ceux de nature « compensatoire » doivent coexister de manière complémentaire. Lorsqu’un requérant est détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. De plus, toute personne ayant subi une détention portant atteinte à sa dignité doit pouvoir obtenir une réparation pour la violation subie.

66. La Cour rappelle que la meilleure option serait la mise en place d’une autorité spéciale chargée de superviser les lieux de détention ; en effet, une telle autorité est plus à même de fournir des résultats rapides (Ananyev et autres c. Russie, no 42525/07 et 60800/08, § 215, 10 janvier 2012). Pour que le recours devant cette autorité soit effectif, l’autorité en question devrait (a) être indépendante des autorités en charge du système pénitentiaire, (b) garantir une participation effective des détenus lors de l’examen de leurs plaintes, (c) examiner les plaintes des détenus d’une manière rapide et diligente, (d) disposer d’un large arsenal d’outils légaux permettant d’éradiquer les problèmes à l’origine de ces plaintes, et (e) être en mesure de rendre des décisions obligatoires et exécutoires (Ananyev et autres, précité, §§ 214-216). Ce recours devrait également autoriser de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention. Un autre choix possible serait l’institution d’un recours préventif auprès d’une autorité judiciaire. L’État défendeur peut soit créer un nouveau dispositif, soit adapter le recours existant devant le juge d’instruction. L’éventuelle instance judiciaire compétente devrait avoir le pouvoir d’ordonner aux autorités pénitentiaires des actions de redressement concrètes susceptibles d’améliorer non seulement la situation du plaignant mais également celle des autres détenus.

67. Pour ce qui est des recours compensatoires en matière de mauvaises conditions de détention, la Cour rappelle que la charge de la preuve imposée aux justiciables ne doit pas être excessive. Les détenus peuvent être amenés à montrer qu’il y a au moins une apparence de violation de l’article 3 de la Convention, et à fournir des preuves facilement accessibles, par exemple la description détaillée des faits dont ils se plaignent, les déclarations des codétenus, ou les plaintes adressées aux autorités pénitentiaires ou aux autorités de supervision et leurs réponses respectives. Il incombera dès lors aux autorités internes de combattre ces allégations. En ce qui concerne les garanties procédurales, la Cour rappelle que l’action du détenu doit être tranchée dans un délai raisonnable et que les règles régissant cette action doivent être conformes au principe d’équité tel qu’énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention. Les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée. De plus, si le droit national impose l’obligation de prouver que la conduite des responsables ou des autorités spécifiques a été illégale au sens du droit national, cette condition ne doit pas être un obstacle pour réclamer l’octroi de la compensation au titre d’une violation de la Convention. La Cour rappelle à ce sujet que les mauvaises conditions de détention ne sont pas nécessairement le résultat des omissions de certains responsables en particulier, mais ont le plus souvent à leur origine des facteurs plus complexes. Enfin, le montant des indemnisations allouées pour le préjudice moral ne doit pas être déraisonnable par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires (Ananyev et autres, précité, §§ 228-230). Le constat d’incompatibilité des conditions de détention avec les exigences de l’article 3 de la Convention crée, à lui seul, une forte présomption selon laquelle le détenu concerné a subi un dommage moral (Ananyev et autres, précité, § 229).

68. La Cour rappelle aussi que dans plusieurs affaires relatives aux conditions de détention dans les prisons, alors qu’elle avait conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention pris isolément, elle a constaté la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (Pilalis et autres c. Grèce, no 5574/16, § 65, 17 mai 2018, D.M. c. Grèce, no 44559/15, §§ 42-45, 16 février 2017, Singh et autres c. Grèce, no 60041/13, §§ 62-64, 19 janvier 2017, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, no 69781/13, §§ 57‑59, 28 janvier 2016, Papakonstantinou, précité, § 51). Dans ces affaires, la Cour avait considéré que dans la mesure où les intéressés alléguaient être personnellement affectés par les conditions générales de détention dans la prison, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité. Dans la plupart de ces affaires d’ailleurs, les requêtes des intéressés introduites notamment sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale, n’avaient donné lieu à aucune réponse de la part du procureur compétent.

69. En l’espèce, la Cour relève que les requérantes disposaient d’un recours préventif de nature à permettre l’amélioration de leurs conditions de détention et dont elles ont fait usage : la requête au procureur superviseur de la prison sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale. Certes, cette requête a permis une amélioration de ces conditions, notamment avec l’installation d’un chauffe-eau et d’un radiateur électriques dans leur chambrée et la fourniture des repas de meilleure qualité et de plus grande quantité. Toutefois, le procureur n’a apporté aucune réponse au restant des doléances des requérantes contenues dans leur requête qu’elles lui avaient adressée, alors que de par sa fonction, le procureur est la personne le mieux à même d’examiner si ces doléances correspondaient à la situation réelle régnant dans la prison et de tenter d’y remédier, notamment en ce qui concerne l’état de santé des requérantes et l’adéquation de cet état avec la vie dans cette prison.

70. Par conséquent, la Cour n’estime ne pas devoir se départir de sa jurisprudence antérieure concernant le caractère effectif du recours préventif, soit, en l’occurrence, l’article 572 précité.

71. Quant au recours compensatoire, le seul offert par l’ordre juridique interne aux requérantes est l’action en dommages–intérêts contre l’État sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Outre le fait que l’exercice d’une telle action présuppose de démontrer à la base du manquement de l’État une illégalité au sens du droit grec, elle a été considérée par la Cour comme étant effective seulement lorsqu’elle est utilisée après la mise en liberté de l’intéressé et non pendant la détention car il lui manque le caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, no 69781/13, § 39, 28 janvier 2016, Patrikis et autres c. Grèce, no 50622/13, § 37, 28 janvier 2016, Adiele et autres c. Grèce, no 29769/13, §§ 34-35, 25 février 2016, Papadakis et autres c. Grèce, no 34083/13, §§ 50-51, 25 février 2016, Kagia c. Grèce, no 36442/15, § 37, 30 juin 2016, et Pilalis et autres c. Grèce, no 5574/16, § 44, 17 mai 2018).

72. En conclusion, ni le recours préventif, ni le recours compensatoire offerts aux requérantes ne sauraient être considérés comme étant effectifs au sens de la jurisprudence Ulemek précitée.

73. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 13 en l’espèce.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LA DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT ENTRE LES REQUÉRANTES CONDAMNÉES DE MANIÈRE DÉFINITIVE ET LES AUTRES EN MATIÈRE DE LIBÉRATION POUR RAISONS DE SANTÉ

74. Celles des requérantes qui étaient en l’espèce placées en détention provisoire ou qui étaient condamnées seulement en premier degré de juridiction s’estiment victimes d’une différence de traitement contraire à l’article 14 combiné avec l’article 3 de la Convention en ce qu’elles ne pouvaient pas bénéficier des dispositions de l’article 110A du code pénal alors que celles parmi elles qui étaient condamnées par une décision de cour d’appel pouvaient invoquer cet article. Elles invoquent à l’appui de leurs thèses les arrêts Martzaklis et autres (précité, § 55) et Gülay Çetin c. Turquie (no 44084/10, 5 mars 2013).

75. Le Gouvernement soutient qu’il existe un recours effectif au travers duquel un séropositif en détention provisoire peut demander l’élargissement, de sorte qu’il n’existe aucune discrimination entre séropositifs condamnés en première instance et séropositifs en détention provisoire. Réglementer de manière différente la situation de ceux qui sont condamnés et ceux qui sont en détention provisoire et prévoir des recours différents pour chacune de ces catégories ne constitue pas une différence de traitement contraire à l’article 14 combiné avec l’article 3 de la Convention, car cela concerne deux catégories distinctes de détenus.

76. En ce qui concerne les principes généraux de sa jurisprudence en la matière, la Cour renvoie à l’arrêt Gülay Çetin (précité, §§ 126-133).

77. En l’espèce, la Cour relève que l’ordre juridique grec prévoit un traitement pénal différent des personnes atteintes du virus VIH en distinguant plusieurs situations.

78. En premier lieu en ce qui concerne les personnes condamnées, une distinction est établie entre ceux qui ont déclaré la maladie et ceux qui sont séropositifs. Les premiers peuvent bénéficier des dispositions de l’article 110A du code pénal et sont libérés dès que cet état est constaté par la chambre d’accusation (paragraphe 27 ci-dessus). Les deuxièmes relèvent de l’article 105 du code pénal et ne peuvent aspirer à un élargissement que s’ils ont purgé une certaine partie de leur peine, en fonction de la nature de celle-ci (paragraphe 28 ci-dessus).

79. En deuxième lieu, une distinction est établie s’agissant des détenus ayant fait l’objet d’une condamnation en première instance et auxquels le tribunal a décidé de ne pas donner d’effet suspensif à l’appel. Dans ce cas, les personnes qui ont déclaré la maladie peuvent bénéficier des dispositions de l’article 110A. Ceux qui sont uniquement séropositifs relèvent des dispositions de l’article 497 § 8 du code de procédure pénale et peuvent bénéficier d’un élargissement si le tribunal estime que leur maintien en détention risque d’entraîner un dommage irréparable à leur santé (paragraphe 29 ci-dessus).

80. En troisième lieu, les détenus se trouvant en détention provisoire peuvent demander un sursis à leur détention pour des raisons de santé sur le fondement de l’article 282 du code de procédure pénale, tel qu’il ressort de la jurisprudence des tribunaux grecs (paragraphes 30-31 ci-dessus).

81. En ce qui concerne l’application des dispositions susmentionnées dans les cas des requérantes, la Cour note que l’article 110A du code pénal a été appliquée par la chambre d’accusation aux requérantes Arhipova, Nikoli, et Tingo, toutes les trois étant détenues à titre d’une condamnation et ayant déjà déclaré la maladie (paragraphes 4, 6 et 8 ci-dessus). Les requérantes Papazoglou et Mwasenga, détenues aussi à titre d’une condamnation mais seulement séropositives à l’époque des faits, ont été aussi mises en liberté sur le fondement respectivement de l’article 105 du code pénal et de l’article 19 de la loi no 4242/14 qui concerne les porteurs du syndrome d’immunodéficience acquise (paragraphes 5 et 7 ci-dessus).

82. À l’égard donc de ces requérantes, la Cour ne discerne aucune différence de traitement contraire à l’article 14.

83. Quant à la requérante Dikaiou, séropositive et détenue pendant un an environ à titre provisoire, elle a été élargie après que la cour d’appel du Dodécanèse l’a condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis (paragraphe 3 ci-dessus). La Cour relève que cette requérante, en tant que personne détenue à titre provisoire aurait pu faire état de son état de santé à l’époque et demander, en fonction de la gravité de cet état, un sursis à la détention, sur le fondement de l’article 282 du code de procédure pénale et de la jurisprudence y relative des tribunaux grecs (paragraphes 30-31 ci‑dessus). Or, la requérante n’a pas introduit un tel recours. Sa situation se distingue donc de celle de la requérante dans l’affaire Gülay Çetin précitée dans laquelle le dispositif légal national excluait les personnes détenues à titre provisoire du bénéfice des mesures d’élargissement.

84. Il s’ensuit donc que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 § 3 a) et 4 de la Convention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

86. Les requérantes formulent ainsi leurs prétentions :

« Dommage matériel

Les requérantes ne présente pas des prétentions devant la Cour pour dommage matériel mais se réservent le droit de demander, si elles le souhaitent, une indemnité pour ce dommage dans l’avenir devant les autorités grecques. Plus particulièrement et brièvement, les requérantes demandent à ce titre, pour chaque violation de leurs droits sous les articles 1, 2, 3, 5, 6 § 2, 8, 13 et 14 de la Convention les sommes suivantes : Dikaiou : 24 000 euros (EUR) ; Nikoli : 25 000 EUR ; Papazoglou : 18 000 EUR ; Arhipova : 23 000 EUR ; Mwasenga : 39 000 EUR ; Tingo : 36 000 EUR.

Dommage moral

Les requérantes souhaiteraient souligner qu’en poursuivant la présente requête et en chiffrant leurs prétentions, elles ne pourront plus saisir les tribunaux grecs plus tard pour demander un dommage moral (...). »

Elles demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante.

87. Le Gouvernement relève la contradiction des requérantes dans la présentation, vague du reste quant à son contenu, de leur prétention concernant le dommage matériel et souligne l’absence de lien de causalité avec les violations alléguées. Quant au dommage moral, le Gouvernement estime que le constat d’une violation constituerait une satisfaction suffisante.

88. La Cour rappelle qu’elle n’a conclu à la violation que de l’article 13 de la Convention. Partant, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacune des requérantes 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

2. Frais et dépens

89. Les requérantes demandent conjointement 14 000 EUR pour les frais et dépens qu’elles disent avoir engagés devant les autorités nationales et devant la Cour. Elles précisent que le temps de travail consacré par leur représentante dans leur affaire avoisine 180 heures. Elles demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante.

90. Le Gouvernement estime que les frais engagés devant les autorités nationales n’ont pas de lien de causalité avec les violations alléguées. Quant aux frais engagés pour la procédure devant la Cour, les requérantes ne produisent aucun justificatif. Quoiqu’il en soit, le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et que si la Cour estimait devoir accorder une indemnité à ce titre, celle-ci ne devrait pas dépasser 500 EUR.

91. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 de la Convention présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dans le cas d’espèce, elle note que les requérants ne produisent aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant elle. Il y a donc lieu de rejeter leurs prétentions à ce titre (voir aussi à cet égard l’arrêt Koureas et autres c. Grèce, no 30030/15, § 106, 18 janvier 2018).

3. Intérêts moratoires

92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs concernant les articles 3 pris isolément ou combiné avec l’article 14 et 13 combiné avec l’article 3 en ce qui concerne les conditions de détention dans la prison pour femmes de Thèbes recevables et le surplus de la requête irrecevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à chacune des requérantes, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente

ANNEXE

No.

|

Prénom NOM

|

Année de naissance

|

Nationalité

---|---|---|---

1.
|

Loukia DIKAIOU

|

1984

|

grecque

2.
|

Evgenia ARHIPOVA

|

1979

|

russe

3.
|

Makulaye MWASENGA

|

1980

|

tanzanienne

4.
|

Iliana NIKOLI

|

1988

|

grecque

5.
|

Despina PAPAZOGLOU

|

1967

|

grecque

6.
|

Marian TINGO ou NTIEDUWAA

|

1966

|

rwandaise


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-203561
Date de la décision : 16/07/2020
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 13+3 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 3 - Traitement dégradant;Interdiction de la torture)

Parties
Demandeurs : DIKAIOU ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KOUTRA E.-L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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