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14/05/2020 | CEDH | N°001-202445

CEDH | CEDH, AFFAIRE PAPADOPOULOS c. GRÈCE, 2020, 001-202445


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAPADOPOULOS c. GRÈCE

(Requête no 78085/12)

ARRÊT


Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 (d) • Interrogation des témoins • Condamnation pour abus sexuels sur enfant de moins de dix ans • Admission comme preuve à charge d’une déposition de l’enfant devant le juge instructeur sans enregistrement audiovisuel ni présence d’un expert • Éléments compensateurs suffisants, dont la possibilité non utilisée de demander une audition complémentaire de l’enfant avec ces garanties offertes par la législation nouvelle • Éq

uité globale préservée

STRASBOURG

14 mai 2020

DÉFINITIF

14/08/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vert...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAPADOPOULOS c. GRÈCE

(Requête no 78085/12)

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 (d) • Interrogation des témoins • Condamnation pour abus sexuels sur enfant de moins de dix ans • Admission comme preuve à charge d’une déposition de l’enfant devant le juge instructeur sans enregistrement audiovisuel ni présence d’un expert • Éléments compensateurs suffisants, dont la possibilité non utilisée de demander une audition complémentaire de l’enfant avec ces garanties offertes par la législation nouvelle • Équité globale préservée

STRASBOURG

14 mai 2020

DÉFINITIF

14/08/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Papadopoulos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,

Krzysztof Wojtyczek,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Aleš Pejchal,

Armen Harutyunyan,

Pere Pastor Vilanova,

Tim Eicke, juges,

et de Abel Campos, greffier de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 78085/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Efthymios Papadopoulos (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 3 décembre 2012,

Notant que le 19 février 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne notamment l’utilisation à l’audience comme moyen de preuve d’une déposition recueillie lors de l’instruction d’une plainte portée contre le requérant par son ex-épouse, qui l’accusait d’abus sexuel sur leur fils. Cette déposition a servi de base à la condamnation du requérant, laquelle a été confirmée par la Cour de cassation. Au cours des audiences conduites devant les juridictions internes, l’intéressé avait allégué que cette déposition n’avait pas été recueillie dans le respect des conditions prévues par l’article pertinent du code de procédure pénale et demandé aux juridictions de ne pas en donner lecture. Il allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1965 et réside à Athènes. Il a été représenté par Me V. Chirdaris, avocat.

3. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent : Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État, et Mme S. Papaïoannou, auditrice au Conseil juridique de l’État.

4. Le requérant, qui est magistrat, divorça de sa femme en 2001. En 1998, celle-ci avait donné naissance à un fils et l’autorité parentale sur ce dernier fut confiée à la mère après le divorce. Par sa décision no 7/2003, le tribunal de première instance d’Athènes statua sur le droit de visite du requérant.

5. Dans une lettre du 7 septembre 2004 adressée à son ex-femme avec copie au procureur chargé de la protection des mineurs, le requérant se plaignit de certains comportements de leur fils. À une date non précisée, il saisit le tribunal de première instance d’une action tendant à ce que l’autorité parentale sur son fils lui fût attribuée.

6. Par un jugement définitif portant le no 1629/2005, le tribunal rejeta l’action du requérant et modifia son droit de visite en l’autorisant à rencontrer son fils pendant la journée et en présence de la mère. Lorsqu’il auditionna l’enfant, le juge constata que celui-ci parlait avec amour de sa mère tandis qu’il avait des difficultés à parler de son père, ce qui, pour lui, indiquait à l’évidence que l’enfant ne souhaitait pas être avec son père.

7. Le 18 janvier 2005, à la demande du procureur, la directrice de la clinique pédopsychiatrique de l’hôpital Evangelismos rencontra l’enfant. Elle rédigea un rapport dans lequel elle constatait que l’enfant était serein quand il se trouvait avec son père, alors que lorsqu’il était avec sa mère il refusait de communiquer avec la médecin. Celle-ci préconisait une augmentation du nombre de rencontres entre l’enfant et son père et disait qu’elle avait le sentiment que la mère n’était pas disposée à laisser le requérant jouer son rôle de père et avait l’intention d’empêcher toute relation entre le fils et le père.

8. Le 26 avril 2005, la Société athénienne de protection de l’enfance adressa au procureur chargé de la protection des mineurs un rapport qu’une assistante sociale avait établi à la demande de ce dernier. L’auteure du rapport y faisait état des différends qui existaient entre les parents et reproduisait les allégations de la mère de l’enfant selon lesquelles elle essayait de protéger son fils contre la maltraitance physique, sexuelle et émotionnelle que le requérant lui ferait subir. Elle déclarait qu’elle ne sous-estimait pas le sérieux des accusations de la mère, mais exprimait des réserves quant à leur bien-fondé.

9. Le 28 décembre 2005, la mère porta plainte contre son ex-mari pour abus sexuel sur leur enfant. Le procureur près le tribunal correctionnel ordonna une enquête préliminaire et le requérant présenta sa défense le 11 juillet 2006. À l’issue de l’enquête, une procédure pénale pour détournement de mineur (αποπλάνηση ανηλίκου) commis à répétition fut ouverte le 11 novembre 2006 contre le requérant et une autre personne, Th. G.

10. Au cours de l’instruction qui s’ensuivit, l’ex-femme du requérant, le requérant, l’enfant ainsi que des témoins furent convoqués pour témoigner devant le juge instructeur. Lors de son audition le 13 juillet 2007, l’enfant décrivit plusieurs actes de nature sexuelle auxquels le requérant et Th. G. se seraient livrés sur lui.

11. L’instruction prit fin le 22 octobre 2008 et le dossier fut transmis au procureur le 20 mars 2009. Le 5 août 2009, le requérant et Th. G. furent renvoyés en jugement devant la cour d’appel d’Athènes, en formation de trois juges.

12. L’audience, initialement fixée au 10 février 2010, fut reportée, tout d’abord au 14 mai 2010 en raison d’une grève de fonctionnaires, puis au 6 avril 2011 en raison d’un empêchement de l’avocat du requérant.

13. Par un arrêt du 6 avril 2011, la cour d’appel condamna le requérant à une peine de treize ans de réclusion pour détournement de mineur de moins de dix ans commis à répétition. Elle se fonda sur les dépositions des témoins qui déposèrent devant elle, les documents lus pendant l’audience, les plaidoiries des avocats de la défense, le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance et l’arrêt no 4725/2007 de la cour d’appel qui avaient modifié le droit de visite du père en interdisant que l’enfant passe la nuit chez son père ainsi que relevé l’absence de toute intention de vengeance de la mère à l’égard du requérant. Elle condamna aussi Th. G. à une peine de onze ans de réclusion.

14. Le même jour, le requérant introduisit un appel contre l’arrêt susmentionné devant la cour d’appel d’Athènes, en formation de cinq juges.

15. Le 19 décembre 2011, la cour d’appel confirma la condamnation du requérant, mais réduisit sa peine à six ans de réclusion, en faisant appel à des circonstances atténuantes. En revanche, elle acquitta Th. G.

16. Au cours de la procédure, le requérant demanda à la cour d’appel de ne pas donner lecture de la déposition que son fils avait faite le 13 juillet 2007. Au soutien de cette demande, il plaidait que cette déposition ne remplissait pas les conditions légales prévues à l’article 226A du code de procédure pénale, car, selon lui, elle avait été recueillie sans que l’enfant eût été préparé par un pédopsychiatre, sans que des méthodes diagnostiques appropriées eussent été utilisées, sans que l’expert désigné eût été présent et sans que les capacités perceptives de son fils eussent été évaluées. Il soutenait que la déposition de l’enfant le 13 juillet 2007 avait été faite sous l’influence néfaste de la mère. Comme en première instance, il contestait les accusations portées contre lui, y voyant une volonté de vengeance de la part de son ex-épouse. Il estimait que son fils agissait conformément aux instructions de sa mère et indiquait qu’il n’avait aucune relation avec lui et qu’il n’avait aucune objection à ce que la cour d’appel ordonnât une nouvelle expertise psychiatrique.

17. À l’audience, la cour d’appel procéda à la lecture de la déposition. Elle fonda la condamnation du requérant sur la clarté de cette déposition et l’absence de toute contradiction dans celle-ci, sur un rapport social établi par une assistante sociale qui avait examiné l’enfant, et sur le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance (paragraphe 13 ci-dessus).

18. Le 9 février 2012, le requérant se pourvut en cassation. Invoquant l’article 6 § 3 d) de la Convention, il soutenait dans son pourvoi que la procédure devait être annulée à raison de la lecture, en dépit de son opposition, de la déposition du 13 juillet 2007.

19. Par un arrêt du 7 juin 2012 (mis au net le 29 juin 2012), la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

20. En premier lieu, elle nota que, devant le magistrat instructeur, l’enfant avait fait sa déposition sans avoir prêté serment et sans qu’un pédopsychiatre eut été désigné pour le préparer et l’assister à cette occasion. Elle releva cependant que cette déposition avait été recueillie sous l’empire du régime juridique en vigueur à l’époque, c’est-à-dire antérieurement à la loi no 3625/2007 portant ratification du protocole facultatif à la Convention des droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Elle considéra que la déposition à l’audience avait été lue devant la cour d’appel et prise en considération par celle-ci de manière régulière et qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle audition de l’enfant. Elle ajouta que les formalités prévues à l’article 226A du code de procédure pénale ne s’appliquaient qu’aux dépositions qui avaient été faites postérieurement à l’entrée en vigueur de cet article, c’est-à-dire après la publication au Journal officiel de la loi no 3625/2007, et non à celles faites avant celle-ci.

21. En second lieu, la Cour de cassation jugea irrecevable le moyen tiré de la violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention au motif que ce grief ne pouvait s’analyser en un moyen de cassation spécifique qui se serait ajouté à ceux énoncés de manière limitative par l’article 510 du code de procédure pénale, que s’il était combiné à l’un des moyens énoncés dans cette disposition. Elle estima que tel n’était pas le cas en l’espèce puisque la déposition avait été recueillie de manière légale.

LE RÉGIME JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 183

« Lorsque des connaissances spéciales en matière de science ou de technique sont requises pour rendre un jugement ou obtenir le constat précis d’un fait, le magistrat chargé de l’instruction ou le tribunal peuvent, d’office ou à la demande d’une partie ou du procureur, ordonner une expertise. »

Article 221

« Lors de l’instruction et de l’audience [est] auditionné sans prêter serment a) celui qui (...) n’a pas atteint l’âge de 17 ans (...) »

Article 226 § 2

« Lorsque le témoin n’a pas atteint l’âge de 17 ans, celui qui procède à son audition transcrit mot pour mot dans le procès-verbal les questions qu’il lui pose. »

Article 364

« Sont lus à l’audience les procès-verbaux qui ont été établis selon les formalités légales par les magistrats chargés de l’instruction (...) »

23. L’article 226A du code de procédure pénale, inséré dans celui-ci par la loi no 3625/2007 qui est entrée en vigueur le 24 décembre 2007 et portait ratification du protocole facultatif à la Convention des droits de l’enfant et concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, dispose :

« 1. Lors de l’audition, en qualité de témoin, d’un mineur qui a été victime d’un acte visé aux articles (...) 339 du code pénal, est désigné en tant qu’expert un pédopsychiatre ou un pédopsychologue, et, à défaut, un psychologue ou un psychiatre (...)

2. Le pédopsychiatre ou le pédopsychologue prépare le mineur à l’audition et collabore à cette fin avec la personne chargée de l’enquête préliminaire et avec les magistrats. Dans ce but, il se sert des méthodes diagnostiques appropriées, évalue les capacités perceptives et l’état psychologique du mineur et formule ses constats dans un rapport écrit qui est versé au dossier pénal.

3. La déposition du mineur est recueillie par écrit et elle est également enregistrée sur un support électronique audiovisuel lorsque cela est possible. La projection électronique de la déposition du mineur se substitue à la présence physique de celui-ci lors des étapes ultérieures de la procédure.

4. La déposition écrite du mineur est toujours lue à l’audience (...)

5. Après la présentation à l’audience de l’affaire qui concerne les actes visés au premier paragraphe, le procureur ou les parties peuvent demander au président du tribunal que le mineur soit entendu, lorsque celui-ci ne l’a pas été au stade de l’instruction ou qu’il s’avère nécessaire de l’entendre à nouveau (...) »

24. L’article 339 (détournement de mineur) du code pénal prévoit :

« 1. Celui qui accomplit un acte de débauche sur une personne de moins de quinze ans ou la trompe dans le but d’accomplir un tel acte est sanctionné (...) comme suit :

a) si la victime a moins de douze ans, à une peine de réclusion de dix ans minimum ;

b) si la victime a atteint l’âge de douze ans, mais pas de quatorze ans, à une peine de réclusion jusqu’à dix ans ; et

c) s’il a atteint l’âge de quatorze ans et jusqu’à quinze ans, à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans.

(...) »

25. Avant l’introduction de l’article 226A, les témoins mineurs étaient auditionnés conformément aux dispositions des articles 221 et 226 du code de procédure pénale, selon lesquelles le témoin mineur déposait sans prêter serment. Dans le procès-verbal d’audition étaient rapportées mot pour mot les questions posées par le magistrat instructeur et les réponses du mineur. L’ancienne procédure, dont certaines modalités ont continué à exister même après l’introduction de l’article 226A, visait à éviter les questions interdites, trompeuses ou biaisées et à permettre la bonne évaluation de la déposition du mineur. Le procès-verbal de la déposition était lu à l’audience.

26. Le Gouvernement expose que l’inobservation de la procédure prévue à l’article 226A concernant l’audition d’un témoin mineur lors de l’instruction, même à la supposer constitutive d’un motif de nullité absolue, devait être soulevée avant que l’inculpé ne fût renvoyé en jugement, faute de quoi elle était réparée et ne pouvait plus être prise en compte, même d’office. Il ajoute qu’en revanche des motifs de nullité qui seraient apparus lors de l’audience pouvaient être soulevés en cassation à condition qu’ils n’eussent pas été réparés.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint de ce que la déposition que son fils a faite devant le juge d’instruction, qui était selon lui le seul fondement de sa condamnation, ait été recueillie en l’absence d’un spécialiste et sans qu’elle eût été enregistrée par un moyen audiovisuel. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi formulé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (...) »

1. Sur la recevabilité

28. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour l’un des autres motifs énoncés à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

29. Le requérant reproche aux juridictions internes d’avoir lu la déposition en question à l’audience et de l’avoir prise en considération en dépit de l’opposition qu’il avait formulée par écrit en dénonçant le non-respect des droits de la défense qui résultait selon lui de ce qu’il n’avait été présent à aucun moment lors de cette déposition et de ce qu’aucune mesure n’avait été prise (usage de moyens audiovisuels, présence d’un expert, etc.) pour en garantir l’objectivité. Il voit dans ce manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention et de l’article 226A du code de procédure pénale une cause de nullité non seulement de l’instruction, mais également de la procédure devant les juridictions de jugement.

30. Le requérant dit que le droit interne pertinent ne prévoyait aucune procédure permettant de demander l’annulation de la déposition d’un témoin. Il considère que, puisque la déposition de l’enfant portait atteinte aux droits de la défense, la cour d’appel avait l’obligation d’ordonner une nouvelle expertise sur le fondement de l’article 226A du code de procédure pénale. Or, selon lui, la cour d’appel a passé sous silence le grief de nullité de la procédure.

31. Enfin, il argue que ni le rapport de l’assistante sociale qui, selon lui, confirmait que l’enfant était dépendant de sa mère, ni les constats du tribunal de première instance dans le jugement no 1629/2005 ne permettaient à eux seuls de fonder sa condamnation.

32. Le Gouvernement soutient que le cas du requérant a été examiné par trois instances avec toutes les garanties du procès équitable. Il considère qu’en aucun cas la lecture de la déposition faite par l’enfant le 13 juillet 2007 n’a porté atteinte au caractère équitable de la procédure et qu’elle n’a pas été déterminante car la condamnation du requérant était fondée sur d’autres preuves. Il ajoute que le requérant avait la possibilité de demander une audition complémentaire de son enfant et d’exiger l’utilisation de moyens audiovisuels, s’il l’avait estimé nécessaire, mais qu’il n’en a pas fait usage. Il estime que la déposition de l’enfant a été recueillie conformément à la législation en vigueur à l’époque et qu’elle a été lue à l’audience comme le prévoyait cette législation. Enfin, il indique que jusqu’à la fin de l’instruction le requérant n’a jamais excipé, comme la législation pertinente lui en donnait pourtant le droit, de la nullité de la déposition en question.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

33. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux précédents, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101 et 161‑165, CEDH 2015, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 94 et 211‑216, 23 mars 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250, 274, 280‑294 et 301‑311, 13 septembre 2016, et Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, §§ 118, 120 et 160‑168, 4 avril 2018).

34. Pour apprécier l’équité globale d’une procédure, la Cour prend en compte les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 qui représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition. En l’espèce, elle examinera donc le grief que le requérant tire de l’article 6 § 3 d) sous l’angle de ces deux dispositions combinées (voir Schatschaschwili, précité, § 100, Blokhin, précité, § 194, et Ibrahim et autres, précité, § 251).

35. La Cour tient également compte des particularités des procédures pénales portant sur des infractions à caractère sexuel. Ce type de procédure est souvent vécu comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré à l’accusé. Ces aspects prennent d’autant plus de relief dans une affaire impliquant un mineur. Pour apprécier si un accusé a bénéficié ou non d’un procès équitable au cours d’une telle procédure, il faut tenir compte du droit de la victime présumée au respect de sa vie privée. Par conséquent, la Cour admet que dans le cadre de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, pourvu que ces mesures puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (S.N. c. Suède, no 34209/96, § 47, CEDH 2002-V, Bocos-Cuesta c. Pays-Bas, no 54789/00, § 69, 10 novembre 2005, Aigner c. Autriche, no 28328/03, § 37, 10 mai 2012).

36. Les principes généraux qui régissent l’examen de l’incidence sur l’équité globale du recours à des techniques spéciales d’investigation ont été rappelés dans l’arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, §§ 62-68, 23 mai 2017).

b) Application au cas d’espèce

37. La Cour note d’emblée qu’à la date à laquelle le fils du requérant a fait sa déposition devant le juge d’instruction l’article 226A du code de procédure pénale, qui prévoit une procédure spécifique pour les témoins mineurs et victimes d’abus sexuels, n’était pas encore entré en vigueur. La déposition en question a été recueillie conformément aux exigences des articles 221, 226 et 364 du même code, qui disposaient que les mineurs déposaient sans prêter serment et que les questions du juge d’instruction et les réponses du mineur étaient transcrites mot pour mot dans le procès-verbal d’audition, qui était ensuite lu à l’audience. En outre, l’article 183 du même code permettait à l’intéressé de demander, à toute étape de la procédure, la désignation d’un expert/pédopsychiatre pour qu’il examinât son fils. Par ailleurs, la Cour de cassation a rejeté le moyen tiré par le requérant d’une nullité de la lecture de la déposition en précisant que les dispositions de l’article 226A du code de procédure pénale ne pouvaient s’appliquer qu’à des dépositions qui avaient été faites postérieurement à l’entrée en vigueur de cet article, ce qui n’était pas le cas de la déposition en cause.

38. La Cour rappelle qu’elle doit aussi examiner s’il y avait en l’espèce d’éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission des preuves déterminantes émanant des témoins absents. Les éléments suivants sont pertinents à cet égard : la façon dont le tribunal du fond a abordé les preuves non vérifiées, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, et les mesures procédurales prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement les deux témoins au procès (Schatschaschwili, précité, § 145).

La Cour relève à cet égard que la déposition de l’enfant faite le 13 juillet 2007 n’était pas le seul élément sur lequel les juridictions internes se sont fondées pour condamner le requérant. Dans son arrêt du 6 avril 2011, la cour d’appel, statuant comme juridiction de première instance, s’est fondée aussi sur les diverses dépositions des témoins qui déposèrent devant elle, les documents lus pendant l’audience, les plaidoiries des avocats de la défense, le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance et l’arrêt no 4725/2007 de la cour d’appel qui avaient modifié le droit de visite du père en interdisant que l’enfant passe la nuit chez son père, ainsi que le constat selon lequel l’ex-épouse du requérant n’était motivée par aucun sentiment de vengeance à l’égard de ce dernier. En outre, dans son arrêt du 19 décembre 2011, la cour d’appel, dans sa formation de juridiction d’appel, s’est fondée, pour confirmer la condamnation du requérant, sur la clarté de la déposition de l’enfant devant le juge instructeur et l’absence de toute contradiction dans celle-ci, sur un rapport social établi par une assistante sociale qui avait examiné l’enfant, et sur le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance.

39. Par ailleurs, la Cour relève qu’en appel, si la cour d’appel en formation de cinq juges a estimé ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour condamner Th. G., elle a confirmé la condamnation du requérant. Elle note également que l’article 226A était entré en vigueur alors que les procédures de première instance et d’appel étaient encore pendantes et que son paragraphe 5 donnait la possibilité au requérant de demander une audition complémentaire de son fils à l’aide de moyens audiovisuels, ce qui n’était pas prévu à la date de la déposition en question. Quoi qu’il en soit, le requérant n’en a pas fait la demande.

40. Les éléments qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que l’équité globale de la procédure dirigée contre le requérant a été assurée. Le requérant a notamment bénéficié de certains éléments compensateurs qui ont été de nature à lui permettre d’exercer de manière adéquate et effective ses droits de la défense.

41. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

2. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 à raison de LA DURÉE DE LA PROCÉDURE ET 13 DE LA CONVENTION

42. Le requérant soutient que la durée de la procédure pénale en l’espèce a méconnu le principe du délai raisonnable et qu’aucune juridiction interne n’avait compétence pour connaître des plaintes à ce sujet. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

43. Le Gouvernement estime que la procédure a commencé le 11 juillet 2006, avec la convocation du requérant dans le cadre de l’enquête préliminaire, et qu’elle a pris fin le 29 juin 2012, date de la mise au net de l’arrêt de la Cour de cassation. Il soutient que la durée de la procédure était donc inférieure à six ans, pour trois instances. En outre, il considère que certains retards de la procédure ne peuvent pas être attribués aux autorités judiciaires : selon lui, un retard de six mois (du 3 avril au 29 septembre 2008) au cours de l’instruction était dû à deux demandes de remplacement d’experts présentées par le requérant et par son ex-épouse ; un retard de onze mois devant la juridiction de première instance (du 14 mai 2010 au 6 avril 2011) était dû à la demande d’ajournement du requérant en raison d’un empêchement de son avocat ; enfin, un retard d’un mois et demi (du 8 novembre au 19 décembre 2011) devant la juridiction d’appel était dû à la non-comparution d’un témoin important (l’ex-épouse du requérant).

44. Le requérant soutient que, alors que son procès ne présentait aucune complexité ou difficulté, la procédure a duré six ans et sept mois, c’est-à-dire du 28 décembre 2005, date de la plainte portée contre lui, au 29 juin 2012, date de la mise au net de l’arrêt de la Cour de cassation.

45. La Cour considère que la période à prendre en compte a débuté à la date à laquelle le procureur ordonna une enquête préliminaire qui n’est pas déterminée mais se situe entre le 28 décembre 2005, date de la plainte de la mère de l’enfant et le 11 juillet 2006, date à laquelle le requérant a été invité à exposer sa défense. La période s’est terminée le 29 juin 2012, date de la mise au net de l’arrêt de la Cour de cassation. La procédure a donc duré six ans et six mois environ, pour trois instances de juridiction.

46. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Michelioudakis c. Grèce, no 54447/10, 3 avril 2012).

47. En l’espèce, elle note que trois ans environ se sont écoulés entre la présentation du requérant devant le magistrat chargé de l’enquête préliminaire (le 11 juillet 2006) et son renvoi en jugement (le 5 août 2009). La procédure en première instance a duré un an et huit mois (du 5 août 2009 au 6 avril 2011), celle en appel environ huit mois (du 6 avril au 19 décembre 2011) et celle en cassation un peu plus de quatre mois (du 9 février au 29 juin 2012).

48. La Cour estime que certains retards observés dans certaines parties de la procédure ne suffisent pas pour qualifier la durée de celle-ci dans sa globalité comme déraisonnable, d’autant plus qu’un retard de plus de six mois au stade de l’instruction et un retard de onze mois devant la juridiction de première instance sont à mettre sur le compte du requérant.

49. Compte tenu de la complexité de l’affaire et des périodes d’inactivité évoquées ci-dessus imputables au requérant, la Cour estime qu’en l’espèce il n’y a eu aucun dépassement du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Dès lors, il convient de rejeter ce grief pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

50. Quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition a été interprétée comme n’exigeant un recours en droit interne que s’agissant des griefs pouvant passer pour « défendables » selon la Convention (voir, entre autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 21 juin 1988, § 52, série A no 131).

51. Compte tenu des conclusions qu’elle a exposées ci-dessus en ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour estime que le requérant ne pouvait prétendre à aucun grief défendable au titre de l’article 13 de la Convention (Passaris c. Grèce, (déc.), no 5334/07, 24 septembre 2009).

52. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 § 1 doit lui aussi être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, les griefs concernant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention recevables et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 mai 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-202445
Date de la décision : 14/05/2020
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6+6-1 - Droit à un procès équitable (Article 6-3-d - Interrogation des témoins) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : PAPADOPOULOS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHIRDARIS V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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