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18/07/2019 | CEDH | N°001-194441

CEDH | CEDH, AFFAIRE T.I. ET AUTRES c. GRÈCE, 2019, 001-194441


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE T.I. ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 40311/10)

ARRÊT

STRASBOURG

18 juillet 2019

DÉFINITIF

18/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire T.I. et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo, >Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE T.I. ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 40311/10)

ARRÊT

STRASBOURG

18 juillet 2019

DÉFINITIF

18/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire T.I. et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40311/10) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissantes russes, Mmes T.I. (« la première requérante »), T.A. (« la deuxième requérante ») et V.K. (« la troisième requérante »), ont saisi la Cour le 28 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le 6 septembre 2016 la vice-présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérantes (article 47 § 4 du règlement de la Cour).

2. Les requérantes ont été représentées par le Moniteur grec Helsinki, une organisation non gouvernementale ayant son siège à Glyka Nera (Athènes). Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme S. Charitaki, conseillère auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme S. Papaioannou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État. Le gouvernement russe a exercé son droit d’intervention (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 a) du règlement de la Cour).

3. Les requérantes alléguaient en particulier une violation des articles 4, 6 et 13 de la Convention.

4. Le 6 septembre 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérantes sont nées respectivement en 1979, en 1981 et en 1978.

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

7. À différentes dates, à savoir le 19 juin 2003 (pour la deuxième requérante), le 25 juillet 2003 (pour la troisième requérante) et le 15 octobre 2003 (pour la première requérante), des demandes de visa furent déposées auprès du consulat général de Grèce à Moscou (Γενικό προξενείο της Ελλάδας στη Μόσχα) (« le consulat »), au nom des requérantes, par des agences de voyage russes. Après s’être vu délivrer des visas par les employés du consulat, les requérantes arrivèrent en Grèce.

8. Selon les allégations de ces dernières, des employés du consulat avaient été soudoyés par des trafiquants russes et avaient établi des visas pour les faire entrer en Grèce à des fins d’exploitation sexuelle.

9. Les 14 novembre et 21 décembre 2003, les requérantes furent reconnues comme « victimes de la traite des êtres humains », selon les dispositions de la législation interne pertinente.

10. Les autorités engagèrent deux procédures pénales contre les personnes qui avaient directement exploité les requérantes, ainsi que des procédures portant sur la délivrance des visas.

1. La procédure pénale relative aux faits d’exploitation concernant la troisième requérante

11. Le 18 septembre 2003, la troisième requérante fut arrêtée pour violation de la loi no 2734/1999 sur la prostitution. Cette requérante allègue qu’elle a été détenue dans de mauvaises conditions et que les autorités ne l’ont pas informée sur la législation protégeant les victimes de la traite des êtres humains avant le début du procès dirigé contre elle. Elle ajoute que, lors de son appréhension, elle a appelé sa proxénète depuis le véhicule de police, mais qu’aucun effort n’a été fait par les agents de police pour localiser cette dernière.

12. Le 19 septembre 2003, par le jugement no 46811/2003, le tribunal correctionnel de Thessalonique condamna la troisième requérante à une peine d’emprisonnement de quarante jours avec sursis ainsi qu’à une sanction pécuniaire de 200 euros (EUR).

13. D’après le Gouvernement, la troisième requérante a été conduite à la direction de la sécurité de la police de Thessalonique à l’issue du procès dirigé contre elle. Toujours d’après lui, lors de dépositions faites notamment les 19, 22 et 24 septembre 2003 en tant que témoin, l’intéressée a fait des révélations sur le réseau de prostitution aux policiers, et elle a déclaré avoir été forcée à se prostituer par N.S., F.P. et E.M., et a indiqué où logeaient ces personnes.

14. Également selon le Gouvernement, conformément à l’article 12 de la loi no 3064/2002 combiné avec le décret présidentiel no 233/2003, la troisième requérante a immédiatement été placée sous un régime de protection.

15. Le 23 septembre 2003, à la suite d’une opération de police, N.S., F.P. et E.M. furent arrêtés.

16. Le 23 octobre 2003, des poursuites pénales furent engagées contre ces trois personnes, notamment pour organisation criminelle, traite des êtres humains et proxénétisme.

17. Le 14 novembre 2003, en application de l’ordonnance no 1/2003 du procureur près le tribunal de première instance de Thessalonique, l’exécution de la décision ordonnant l’expulsion de la troisième requérante fut suspendue jusqu’à ce qu’un arrêt définitif contre N.S., F.P. et E.M fût rendu. En application de la même ordonnance, l’intéressée se vit délivrer un permis de séjour.

18. Le 1er décembre 2003, la troisième requérante fut transférée dans un foyer.

19. Le 2 décembre 2003, le juge d’instruction du tribunal correctionnel de Thessalonique ordonna la détention provisoire de N.S. et F.P. (mandat nos 19/2003 et 20/2003). Quant à E.M., il se vit imposer, par l’ordonnance no 68/2003 du juge d’instruction, des mesures préventives de comparution devant le commissariat de police de son lieu de résidence et une interdiction de quitter le territoire.

20. Le 15 décembre 2003, à l’issue de l’enquête judiciaire officielle (κύρια ανάκριση), l’affaire fut renvoyée au procureur compétent. Ce dernier ordonna le renvoi de N.S., F.P. et E.M. en jugement.

21. Le 10 février 2004, le département d’Interpol de la police hellénique avisa la direction de la sécurité de la police de l’Attique que le bureau central d’Interpol en Russie lui avait fourni des informations sur l’agence de voyage « G », qui était impliquée dans des actes de prostitution. Il ajouta qu’un contrôle de la police russe était en cours.

22. Le 8 avril 2004, par l’ordonnance no 457/2004, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique confirma le renvoi de N.S., F.P. et E.M. en jugement devant la cour d’assises de Serres (« la cour d’assises »). Par la même ordonnance, la détention provisoire de N.S. et de F.P. fut remplacée par des mesures restrictives.

23. L’audience de l’affaire, initialement fixée au 19 janvier 2005, fut ajournée, d’une part, aux fins de la jonction d’autres dossiers contre les mêmes accusés concernant deux autres femmes ayant été forcées à se prostituer et, d’autre part, aux fins de la convocation de la troisième requérante comme témoin.

24. Le procès eut lieu devant la cour d’assises du 16 septembre au 20 octobre 2005. La troisième requérante manifesta son intention de se constituer partie civile. L’intéressée et les policiers de la direction de la sécurité de la police de Thessalonique furent entendus comme témoins.

25. Le 20 octobre 2005, la cour d’assises condamna F.P. et N.S. des chefs d’organisation criminelle, de traite des êtres humains, de séquestration et de proxénétisme à l’encontre de trois victimes, dont la troisième requérante (arrêts nos 37-46/2005). F.P. et N.S. se virent infliger une peine de réclusion de seize ans et neuf mois et une amende de 90 000 EUR ; quant à E.M., il fut condamné de traite des êtres humains, de participation au proxénetisme et de sequéstration et se vit infliger une peine de réclusion de quatorze ans et six mois et une amende de 80 000 EUR. Les accusés se virent également condamnés à verser 30 EUR à la troisième requérante. La cour d’assises ordonna le sursis à l’exécution des peines sous réserve du versement de cautions par les accusés.

26. Le même jour, les accusés interjetèrent appel.

27. L’audience devant la cour d’appel criminelle de Thessalonique (« la cour d’appel de Thessalonique») fut ajournée à trois reprises, le 7 avril 2008 (grève des avocats), le 14 mai 2010 (maladie d’un accusé et empêchement d’un avocat de la défense) et le 11 février 2011 (grève des avocats).

28. Le 6 juin 2011, la cour d’appel de Thessalonique statua sur le recours des accusés (arrêts nos 209‑212/2011). Elle condamna F.P. et N.S. à une peine d’emprisonnement sans sursis de cinq ans et dix mois chacun, pour association de malfaiteurs, proxénétisme et traite des êtres humains à l’encontre de trois victimes. Pour ce faire, elle reconnut à F.P. et N.S la circonstance atténuante prévue à l’article 84 § 2 e) du CP (bon comportement de l’auteur de l’infraction pendant une période relativement longue après la commission de celle-ci), et elle prit ensuite en compte la gravité des actes incriminés et la personnalité des accusés, conformément aux critères énoncés à l’article 79 du CP, ainsi que le fait qu’il était question en l’espèce de peines confondues (article 94 du CP). La demande de commutation de leurs peines en sanctions pécuniaires formulée par les accusés fut rejetée. Par ailleurs, la cour d’appel acquitta tous les accusés du chef de séquestration. Elle acquitta également E.M. du chef de traite des êtres humains, et elle mit fin aux poursuites dirigées contre celui-ci en ce qui concernait le délit de facilitation de la débauche d’autrui (διευκόλυνση αλλότριας ακολασίας). La troisième requérante ne comparut pas à l’audience. La cour d’appel, après avoir constaté que la question de la constitution de partie civile devait être examinée d’office, condamna également les accusés à verser 30 EUR à l’intéressée.

29. La troisième requérante affirme que, convoquée devant la cour d’appel, elle a décidé de ne pas comparaître en raison de la souffrance qu’elle aurait éprouvée lors des audiences devant la cour d’assises, de la circonstance que les accusés bénéficiaient d’un sursis à l’exécution des peines et du caractère excessif que le retard avant l’audience en deuxième instance aurait revêtu.

30. Il ressort du dossier que ladite requérante bénéficiait d’un permis de séjour au moins jusqu’au 12 mai 2017.

2. Les procédures pénales relatives aux faits d’exploitation concernant les deux premières requérantes

31. Le 12 décembre 2003, les deux premières requérantes se présentèrent à la direction de la sécurité de la police d’Ermoúpolis (Syros). Elles s’y plaignirent d’être victimes de la traite des êtres humains de la part d’une certaine N.M. et de ses associés, qui, selon elles, les forçaient à travailler sans être payées, et notamment à se livrer à des « danses privées », à du strip-tease et à de l’incitation à la consommation dans différents bars d’Athènes et de Syros. La direction de la sécurité de la police d’Ermoúpolis informa le procureur près le tribunal de première instance de Syros, qui ordonna une enquête (προκαταρκτική εξέταση) le 16 décembre 2003.

32. Le 22 décembre 2003, les deux premières requérantes furent reconnues comme « victimes de la traite des êtres humains », selon les dispositions de la législation interne pertinente. L’exécution des décisions ordonnant leur expulsion fut suspendue jusqu’à ce qu’un arrêt définitif contre les auteurs présumés des faits de traite des êtres humains fût rendu. Selon le Gouvernement, les requérantes susmentionnées ont été transférées à la direction de la sécurité de la police d’Athènes puis dans un foyer. Lesdites requérantes contestent avoir reçu une assistance légale et psychologique, et avoir été transférées dans un foyer. En outre, elles disent ne pas avoir bénéficié d’une interprétation appropriée au cours de la procédure en cause.

33. À différentes dates (les 12 et 18 décembre 2003, les 1er juin et 13 novembre 2004 et le 11 avril 2005), les deux premières requérantes déposèrent comme témoins. Elles désignèrent N.M., A.A. et P.F. comme étant les auteurs des faits.

34. Le 19 janvier 2004, la direction de la sécurité d’Ermoúpolis envoya au procureur près le tribunal de première instance de Syros des éléments recueillis au cours de l’enquête. Il ressort de ce document qu’en décembre 2003 lesdites requérantes avaient indiqué avoir été enfermées en un endroit situé à Athènes désigné par elles comme étant le domicile de N.M.

35. Le 9 mars 2004, le procureur susmentionné demanda à la direction de la sécurité d’Ermoúpolis d’entendre les deux premières requérantes en tant que témoins. Il ajouta que les données personnelles du dénommé C., qui avait été mentionné par la première requérante dans sa déposition du 18 décembre 2003, devaient être précisées, et que tant C. que N.T. et D.M. devaient être auditionnés comme témoins. Le procureur près le tribunal de première instance de Syros précisa en outre que l’affaire devait par la suite être renvoyée à la direction de la sécurité de la police d’Athènes aux fins de la collecte des données personnelles des propriétaires des entreprises et de la convocation de ces derniers et de N.M. à une audition en tant que témoins.

36. Le 8 novembre 2004, l’opérateur de téléphonie mobile de N.M. informa la direction de la sécurité de la police de l’Attique de l’adresse déclarée par celle-ci, à Nea Smyrni.

37. Le 11 avril 2005, après avoir procédé aux actes d’enquête, et notamment après avoir entendu en tant que témoins les deux premières requérantes, ainsi que G.A. et D.M., les propriétaires des bars où les intéressées travaillaient, la direction de la sécurité de la police de l’Attique renvoya l’affaire au procureur près le tribunal de première instance de Syros en mentionnant, entre autres, que les permis de séjour et de travail de N.M. faisaient l’objet de recherches de la part de la préfecture d’Athènes.

38. Le 29 juin 2005, le procureur près le tribunal de première instance de Syros renvoya l’affaire au procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes, les délits les plus graves ayant prétendument été commis dans cette dernière ville.

39. Le 10 décembre 2005, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes ordonna l’audition des suspects N.M., A.A. et P.F.

40. Le 4 juillet 2006, la direction de la sécurité de la police de l’Attique demanda à la préfecture de l’Attique de lui fournir des informations complémentaires concernant le permis de séjour de N.M.

41. Le 6 juillet 2006, la préfecture d’Athènes fournit les informations demandées.

42. Le 27 juillet 2006, un policier de la direction de la sécurité de la police de l’Attique attesta avoir constaté que les suspects N.M. et P.F., qu’il avait été chargé de rechercher à leurs adresses respectives, n’y habitaient plus.

43. Auparavant, le 21 juillet 2006, A.A. avait été présenté devant la direction susmentionnée afin d’y être auditionné sans prêter serment.

44. Le 1er août 2006, il soumit des explications écrites à ladite direction.

45. Le 11 août 2006, la direction de la sécurité de la police d’Athènes renvoya l’affaire au procureur près le tribunal de première instance d’Athènes, l’informant, entre autres, que N.M. et P.F. n’avaient pas été retrouvés à leurs adresses.

46. À une date non précisée, le procureur près le tribunal de première instance d’Athènes engagea des poursuites pénales notamment contre N.M., G.A., D.M., P.F. et A.A. pour organisation criminelle, traite des êtres humains, faux et usage de faux, extorsion, séquestration et port d’armes. Il transmit le dossier au juge d’instruction compétent aux fins de la réalisation d’une enquête judiciaire officielle.

47. Le 27 décembre 2007, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes ordonna la disjonction des dossiers relatifs aux délits (notamment de faux et d’usage de faux, d’extorsion, de séquestration, de tentative de violences, de falsification de certificats et de port d’armes) (ordonnance no 3765/2007). Elle précisa que cette disjonction des dossiers était nécessaire car les faits relevant des délits risquaient d’être couverts par la prescription.

48. Le 27 février 2008, le magistrat d’Athènes (πταισματοδίκης Αθηνών) enjoignit au commissariat de police de Neos Kosmos de notifier à N.M. qu’elle devait se présenter devant lui le 29 février 2008 afin de se défendre au sujet des actes incriminés.

49. Peu après (les 27 et 29 février 2008), deux policiers, rattachés l’un au commissariat de police de Nea Smyrni et l’autre à celui de Neos Kosmos, attestèrent qu’il avait été constaté, après vérification, que N.M. était « inconnue » aux deux adresses dont les autorités de police disposaient.

50. Le 30 avril 2008, la juge d’instruction compétente imposa à A.A. des mesures préventives de comparution devant le commissariat de police de son lieu de résidence et une interdiction de quitter le territoire (ordonnance no 32/2008).

51. Le 9 mai 2008, le juge d’instruction compétent ordonna l’arrestation de N.M. (ordonnance no 25/2008).

52. Le 5 juin 2008, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes confirma les mesures restrictives imposées à A.A. (ordonnance no 1877/2008).

53. Les 19 et 20 juin 2008, la deuxième requérante reconnut A.A. comme complice de P.F. et elle fit part de son intention de se constituer partie civile.

54. Le 17 novembre 2008, la juge d’instruction compétente imposa à P.F. des mesures préventives de comparution devant le commissariat de police de son lieu de résidence et une interdiction de quitter le territoire (ordonnance no 59/2008).

55. Le 10 juillet 2009, par l’ordonnance no 1341/2009, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes renvoya N.M., P.F. et A.A. en jugement pour les crimes, notamment, de constitution d’organisation criminelle et de traite des êtres humains. Par la même ordonnance, la demande de levée de la mesure d’interdiction de quitter le territoire formulée par A.A. fut rejetée. Les mesures préventives imposées à A.A. et P.F. par les ordonnances nos 32/2008 et 59/2008 et le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de N.M. furent maintenus.

56. D’après le Gouvernement, les autorités compétentes ont recherché les accusés aux fins de la notification à ceux-ci de l’ordonnance no 1341/2009.

S’agissant de N.M., il fut procédé à la notification de l’ordonnance selon la procédure prévue par les dispositions concernant les personnes de domicile inconnu.

57. Le 20 octobre 2009, par l’ordonnance no 295/09, le procureur près la cour d’appel d’Athènes décida de suspendre le procès mené devant cette juridiction contre N.M., en raison du fait que l’accusée n’avait pas été retrouvée.

58. Après quatre ajournements, le procès relatif aux délits (notamment de faux et d’usage de faux, d’extorsion, de séquestration, de tentative de violences, de falsification de certificats et de port d’armes) eut lieu devant le tribunal correctionnel d’Athènes le 16 mars 2010. La deuxième requérante fit part de son intention de se constituer partie civile. Elle réclama 44 EUR à titre de dommages-intérêts.

59. Le 19 mars 2010, le tribunal correctionnel d’Athènes condamna N.M. à une peine d’emprisonnement de deux ans et sept mois, notamment pour faux et usage de faux, falsification de certificats et séquestration, et il condamna également P.F. à une peine d’emprisonnement de trois ans et sept mois pour faux et usage de faux, falsification de certificats, extorsion, tentative de violences et port d’armes (arrêt no 25018-26603/2010). Les peines imposées, non assorties de sursis, furent commuées en sanctions pécuniaires de 10 EUR par jour de détention. Le tribunal acquitta A.A. et G.A., et il conclut à l’irrecevabilité de l’audience (κηρύχθηκε απαράδεκτη η συζήτηση) dans le chef de D.M. Il condamna également N.M. et P.F. à verser 44 EUR à la deuxième requérante.

60. Le 28 juin 2012, le procureur près la cour d’appel d’Athènes ordonna à son tour l’arrestation de N.M.

61. Le 27 mars 2013, le procès dirigé contre P.F. et A.A. concernant les crimes d’organisation criminelle et de traite des êtres humains eut lieu devant la cour d’appel criminelle d’Athènes. La deuxième requérante déposa comme témoin. La cour d’appel criminelle d’Athènes acquitta P.F. et A.A. (arrêt no 1700/2013).

62. Il ressort du dossier que la deuxième requérante bénéficiait jusqu’au 31 mai 2017 d’un permis de séjour délivré conformément aux dispositions du droit interne accordant une protection aux victimes de la traite des êtres humains. Il en ressort aussi que la première requérante bénéficiait d’un permis de séjour du même type jusqu’à l’obtention par elle, en 2010, d’un permis de séjour en tant que conjointe d’un citoyen grec.

3. Les procédures portant sur la délivrance, par le consulat, de visas aux requérantes

63. Le 16 mars 2005, le représentant du Moniteur grec Helsinki et les requérantes introduisirent une demande auprès du consulat afin de recevoir des copies des documents ayant permis la délivrance des visas aux intéressées.

64. Le 14 avril 2005, le consulat envoya les copies demandées aux requérantes.

65. Le 26 mai 2005, le Moniteur grec Helsinki porta lesdits documents à la connaissance de la procureure près le tribunal correctionnel compétente en matière de traite des êtres humains. Il ressort des informations communiquées audit procureur lors de la transmission de ces documents que, d’après les requérantes, ceux-ci contenaient de fausses indications ainsi que des faits et éléments dont elles n’avaient pas connaissance : entre autres, les intéressées alléguaient ne pas connaître les agences de voyage et les hôtels mentionnés dans les demandes de visa faites à leur nom, et elles exposaient que ces documents mentionnaient de faux salaires et professions et qu’ils ne portaient pas leur signature. Il en ressort en outre que des employés du consulat et des sociétés impliquées étaient accusés par les requérantes d’avoir facilité leur transfert en Grèce. Aucune enquête ne fut ouverte par le procureur sur les allégations en cause.

66. Le 17 janvier 2006, le Moniteur grec Helsinki demanda au procureur près la Cour de cassation d’ordonner l’ouverture d’une information judiciaire sur les faits en cause. Il précisait, dans sa demande, que ses démarches auprès de la procureure près le tribunal correctionnel compétente en matière de traite des êtres humains n’avaient pas abouti.

67. Le 27 janvier 2006, à la suite de la parution d’articles dans la presse grecque concernant la délivrance prétendument illégale de visas, le ministère des Affaires étrangères publia un communiqué de presse dans lequel son porte-parole déclarait que le ministère n’avait reçu aucun rapport et qu’il avait l’intention, dès la réception d’informations à ce sujet, de procéder à la conduite d’une enquête sur l’affaire.

68. Le Moniteur grec Helsinki répliqua par un communiqué de presse du 29 janvier 2006, Il indiquait, entre autres, qu’il avait informé le ministère des Affaires étrangères depuis 2004 de la délivrance prétendument illégale des visas des requérantes. Il ajoutait que ce dernier lui avait recommandé de s’adresser au procureur en lui envoyant des informations pertinentes au motif qu’une « enquête administrative sous serment » (Ένορκη Διοικητική Εξέταση) serait trop longue.

69. Le 14 février 2006, le procureur près la Cour de cassation enjoignit au procureur en chef près le tribunal de première instance d’Athènes d’ouvrir une enquête préliminaire en urgence.

70. Le 11 avril 2006, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes demanda au magistrat d’Athènes à ce qu’il fût procédé à la conduite d’une enquête (προκαταρκτική εξέταση).

71. Le 8 mai 2006, le représentant du Moniteur grec Helsinki soumit un mémoire concernant l’affaire en cause.

72. Le 16 mai 2006, les requérantes introduisirent, par l’intermédiaire de leur avocat, des demandes de constitution de partie civile. Ces demandes, qui contenaient par ailleurs des informations détaillées sur les faits en cause, comportaient la mention de l’adresse des requérantes comme étant « Konstantinoupoleos 82, Athènes ». Dans ces demandes, les intéressées spécifiaient que, au cas où le procureur compétent serait amené à considérer, dans sa proposition, qu’il n’existait pas des indices sérieux justifiant le renvoi des auteurs présumés des faits en jugement, elles souhaitaient, conformément à l’article 308 § 2 du code de procédure pénale (CPP), se voir notifier cette proposition.

73. Le 7 juin 2006, le ministère des Affaires étrangères ouvrit une « enquête administrative sous serment » afin de déterminer si des infractions disciplinaires avaient été commises par les employés du consulat lors de la délivrance des visas des requérantes. Celles-ci allèguent n’avoir été informées de la conduite de cette enquête qu’en 2010.

74. Le 21 juin 2006, cette enquête fut clôturée et l’affaire fut classée. Plus précisément, il fut constaté que la procédure d’examen des demandes de visa des requérantes avait été menée de manière conforme aux règles prévues par les dispositions pertinentes en la matière et qu’aucune responsabilité des employés du consulat ne ressortait des documents ou des témoignages. En particulier, il fut noté que la présence du demandeur n’était pas obligatoire lors de la délivrance du visa et que la charge de travail du consulat était excessive à l’époque.

75. Le 18 juillet 2006, l’affaire pénale fut attribuée à la procureure près le tribunal correctionnel d’Athènes.

76. Le 6 octobre 2006, ladite procureure renvoya l’affaire, avec ses conclusions sur celle-ci, au procureur en chef près le tribunal correctionnel d’Athènes. Elle estima qu’une enquête devrait déterminer, entre autres, si des crimes d’organisation criminelle, de traite des êtres humains par complicité, d’usage de faux et de manquement aux devoirs professionnels avaient été commis. Après avoir procédé à un résumé des allégations des requérantes ainsi que des témoignages des employés du consulat, elle indiqua qu’il était étonnant que ces employés n’eussent procédé à aucune vérification avant la délivrance des visas en cause et qu’ils n’eussent pas remarqué qu’il y avait des différences entre les demandes de visa et les passeports quant aux prénoms respectifs des mères des requérantes. À cet égard, elle ajouta qu’il était pourtant « bien connu – d’autant plus [de ces employés] personnellement – à quelle fin les étrangères, ressortissantes russes, voyageaient en Grèce, étant donné que, pour chaque visa, la somme de 1 000 EUR ou de 1 000 à 2 000 dollars était demandée aux intéressées ». Elle souligna enfin la gravité des faits et demanda à se voir autoriser à traiter le dossier, malgré le fait qu’il s’agissait de crimes et non pas de délits.

77. Le 30 octobre 2006, la procureure près le tribunal correctionnel d’Athènes renvoya le dossier de l’affaire à la direction de la sécurité de la police de l’Attique aux fins de la conduite d’une enquête préliminaire supplémentaire. Elle demanda en particulier à ce que le champ de l’enquête fût étendu, et ce afin que des cas similaires concernant des ressortissantes russes ayant été arrêtées pendant les années 2001 à 2004 fussent, le cas échéant, trouvées et que celles-ci fussent auditionnées en tant que témoins, que des copies des visas délivrés pendant la même période lui fussent communiquées, que les propriétaires des hôtels et des agences de tourisme impliqués fussent interrogés et que les employés du ministère des Affaires étrangères à Athènes fussent entendus.

78. Le 2 décembre 2006, le Moniteur grec Helsinki soumit au procureur en chef près le tribunal correctionnel d’Athènes des éléments relatifs à d’autres cas de personnes victimes de la traite des êtres humains pour lesquelles le consulat avait procédé à la délivrance de visas.

79. Le 25 mai 2009, après avoir clôturé l’enquête à son niveau, la direction de la sécurité de la police de l’Attique renvoya l’affaire au procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes, en y joignant les éléments recueillis pendant l’enquête en cause.

80. Le 4 décembre 2009, l’enquête préliminaire fut clôturée par l’ordonnance no ΕΓ 87 . 09/190/50Δ/4-12-2009 du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes (article 47 du CPP). En premier lieu, le procureur releva que, les visas ayant été délivrés avant novembre 2003, les infractions relatives à la falsification de documents et à l’usage de faux, constituant des délits, étaient prescrites. En deuxième lieu, il constata l’absence de preuves suffisantes de culpabilité en ce qui concernait l’infraction de manquement aux devoirs professionnels, prétendument commise par les employés du ministère des Affaires étrangères en raison de l’absence de conduite par eux d’une enquête administrative. En troisième lieu, s’agissant du restant de l’affaire en cause, à savoir les crimes d’organisation criminelle et de traite des êtres humains, il estima qu’il existait des indices sérieux quant à la commission de ces infractions et il demanda à ce qu’une enquête judiciaire officielle (κύρια ανάκριση) fût diligentée. Cette ordonnance fut notifiée aux requérantes le 30 décembre 2009.

81. Le 18 mars 2010, le dossier de l’affaire fut renvoyé au président du comité de trois membres du tribunal correctionnel d’Athènes pour ouverture d’une enquête judiciaire officielle. Des poursuites pénales furent engagées contre neuf personnes, y compris contre trois employés du consulat, E.K., I.S. et E.Kou., pour traite des êtres humains.

82. Le 23 septembre 2015, le juge d’instruction compétent demanda au département des étrangers de l’Attique de lui communiquer des informations sur les adresses des requérantes, en vue de la notification à ces dernières de convocations à témoigner.

83. Peu après (les 24, 25, 26 et 28 septembre 2015), différents départements des étrangers de la région de l’Attique répondirent à la demande faite par le juge d’instruction au département susmentionné. Le juge d’instruction obtint ainsi la communication de trois adresses pour la première requérante (y compris l’adresse « Konstantinoupoleos 82, Athènes »), de deux adresses pour la deuxième requérante et de trois adresses pour la troisième requérante (y compris l’adresse « Konstantinoupoleos 82, Athènes »).

84. Quelques jours plus tard (le 30 septembre et les 2 et 5 octobre 2015), le juge d’instruction ordonna à plusieurs commissariats de police de procéder à la convocation des requérantes à certaines des adresses fournies par les différents départements des étrangers de la région de l’Attique. Il ressort du dossier que, en ce qui concerne la première requérante, le juge d’instruction s’est adressé, entre autres, au commissariat de police d’Aigaleo, où il existait également une adresse « Konstantinoupoleos 82 ».

85. En réponse à cette injonction, respectivement le 3 octobre 2015 et le 5 octobre 2015, le commissariat de police d’Aigaleo et celui de Petroupoli informèrent le juge d’instruction que la première requérante n’était pas connue aux adresses où elle avait été recherchée.

86. Entre-temps, le 2 octobre 2015, la convocation concernant la deuxième requérante avait été notifiée à l’ex-mari de celle-ci.

87. Le 7 octobre 2015, le commissariat de police de Glyfada informa le juge d’instruction que la troisième requérante n’était pas connue aux deux adresses fournies par celui-ci.

88. Le 23 février 2016, par l’ordonnance no 641/2016, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes mit fin aux poursuites contre E.S. et I.Z. après avoir constaté la prescription des actes de traite des êtres humains prétendument commis, au motif que ces actes remontaient à 2001, soit à une époque où ils constituaient des délits. Par la même ordonnance, elle considéra, s’agissant des autres accusés – à savoir E.K., I.S. et E.Kou., employés du consulat, ainsi que I.S., I.M. et K.C. –, qu’il n’existait pas des indices sérieux quant à la commission par eux des infractions reprochées. Cette ordonnance fut rectifiée pour une correction mineure par l’ordonnance no 852/2016.

89. Les requérantes indiquent que les ordonnances nos 641/2016 et 852/2016 leur ont été notifiées en 2016 aux adresses déclarées par elles à Athènes.

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

90. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt L.E. c. Grèce (no 71545/12, §§ 29-34, 21 janvier 2016).

91. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP en vigueur à l’époque des faits se lisaient ainsi :

Article 48

« Le plaignant peut, dans les quinze jours à partir de la notification de l’ordonnance du procureur (...), faire appel devant le procureur compétent de la cour d’appel contre l’ordonnance du procureur près le tribunal correctionnel. (...) »

Article 155 . Notification

« 1. La notification s’effectue avec la remise du document par huissier de justice (...) en mains propres à l’intéressé (...). Si le destinataire n’est pas trouvé à son domicile (...), le document est délivré à l’une des personnes qui habitent avec lui, même à titre temporaire (...)

2. (...) Si aucune des personnes mentionnées au paragraphe précédent ne se trouve au domicile, celui qui est chargé de la notification doit coller le document sur la porte du domicile devant un témoin (...). Si la notification a été faite [en collant le document] sur la porte du domicile parce que les personnes visées aux alinéas 1 b) et c) ont refusé de recevoir le document signifié ou étaient absentes, une copie de ce document est signifiée à tout mandataire désigné de l’accusé ou de la personne [civilement responsable de celui-ci]. Dans ce cas, les effets [juridiques] commencent à partir de la notification au mandataire. »

Article 308

« (...) Les parties ont le droit de faire savoir au procureur, et oralement et avant que celui-ci ne rédige sa proposition, qu’elles souhaitent connaître le contenu [de celle-ci]. Dans ce cas, le procureur doit informer, par voie de notification, la partie qui a exercé ce droit, si elle réside [dans le ressort] du tribunal, ou, à défaut, le mandataire qu’elle a désigné [dans le ressort] du tribunal, qu’elle doit comparaître [devant lui] pour prendre connaissance de sa proposition dans les vingt-quatre heures. (...)

Cette notification peut être faite oralement ou par téléphone. Dans ce cas, elle est prouvée par une attestation établie par le secrétaire compétent du bureau du procureur jointe au dossier.

L’affaire [ne peut être] introduite devant la chambre d’accusation avant l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la date de la notification [; le dossier reste, pendant ce délai,] au sein du secrétariat du parquet, sauf s’il existe un risque de prescription. »

Article 432

« Si celui qui a été déféré au tribunal pour être jugé pour un crime est absent de son lieu de résidence et si son domicile est inconnu, et s’il ne comparaît pas ou n’est pas arrêté dans un délai d’un mois à compter de la citation à comparaître (...), la procédure est, lors de l’audience, suspendue (αναστέλλεται) par une décision du procureur près la cour d’appel jusqu’à ce qu’il soit arrêté ou qu’il comparaisse. (...) »

92. L’article 351 du code pénal (CP), intitulé « traite des êtres humains », se lisait ainsi avant l’entrée en vigueur, le 15 octobre 2002, de la loi no 3064/2002 :

« 1. Celui qui, afin de faciliter la débauche d’autrui :

a) [même avec son consentement, embauche une femme mineure en vue de la prostituer ou amène celle-ci à se prostituer] ; b) par la force, de manière frauduleuse, par des menaces, par l’imposition ou l’abus de pouvoir ou par toute autre forme de coercition, embauche une femme adulte en vue de la prostituer ou amène celle-ci à se prostituer ; c) par les formes [de coercition] mentionnées ci-dessus, détient une femme contre sa volonté dans une maison close ou la force [à se soumettre] à la prostitution ; est puni d’une peine d’emprisonnement [allant] d’un an à trois ans et d’une sanction pécuniaire si une peine plus lourde n’est pas imposée.

2. Le maximum de la peine ci-dessus est porté à cinq ans si l’infraction a été commise par l’une des personnes mentionnées à l’article 349 § 2 c). (...) »

3. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX

93. Le droit et la pratique internationaux pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt L.E. c. Grèce (précité, §§ 35-45), dans les arrêts qui s’y trouvent cités au paragraphe 35, ainsi que dans l’arrêt Chowdury et autres c. Grèce (no 21884/15, §§ 38-47, 30 mars 2017).

4. LES RAPPORTS SUR LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

94. Dans son rapport de 2002 sur la traite des personnes à l’égard de la Russie, le Département d’État américain a formulé les constatations suivantes :

« La Russie est un pays d’origine pour des femmes et des enfants victimes de trafic à des fins d’exploitation sexuelle dans de nombreux pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Amérique du Nord. Le gouvernement russe ne respecte pas encore pleinement les normes minimales pour l’élimination de la traite et ne déploie pas des efforts significatifs [pour y parvenir]. Il n’y a pas de loi contre la traite en particulier. Le recrutement à des fins de prostitution est illégal, mais n’est pas un crime. Le gouvernement russe reconnaît qu’il y a un problème de traite et la Douma a demandé aux États-Unis de coopérer en vue de la rédaction d’une législation antitraite. (...) »

95. Dans son rapport de 2003 sur la traite des personnes à l’égard de la Russie, ledit département d’État a formulé les constatations suivantes :

« La Russie est un pays pourvoyeur majeur de femmes destinées au trafic à des fins d’exploitation sexuelle dans de nombreux pays. (...) Des femmes des anciens pays soviétiques auraient transité par la Russie jusqu’aux États du Golfe, jusqu’en Europe et jusqu’en Amérique du Nord à des fins d’exploitation sexuelle. (...) Le gouvernement russe ne respecte pas encore pleinement les normes minimales pour l’élimination de la traite ; toutefois, il déploie des efforts importants [pour y parvenir]. Les efforts déployés pendant la période de référence devront être renforcés à la lumière de l’étendue du phénomène de traite. Cela étant, les agents du gouvernement central ont démontré [qu’il y avait] une forte augmentation de la volonté politique de reconnaître et d’aborder le problème de traite, et les efforts récents [entrepris] pour engager de nouvelles réformes ont été positifs. (...) »

96. Dans son rapport de 2003 sur la traite des personnes à l’égard de la Grèce, le même département d’État a formulé les constatations suivantes :

« La Grèce est un pays de destination et de transit pour des femmes et des enfants victimes de trafic à des fins d’exploitation sexuelle. Selon une source gouvernementale, jusqu’à 18 000 personnes ont fait l’objet de trafic en Grèce en 2002. Les principaux pays d’origine comprennent l’Albanie, la Bulgarie, la Moldavie, la Roumanie, la Russie et l’Ukraine. (...) Le gouvernement grec ne se conforme pas pleinement aux normes minimales pour l’élimination de la traite et ne fait pas d’efforts [pour y parvenir]. Le gouvernement a démontré un changement de volonté politique d’aborder [le sujet] par sa législation détaillée récente sur la traite. Toutefois, le gouvernement n’a pas encore [réussi à appliquer efficacement] la loi. (...) »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 4, 6 ET 13 DE LA CONVENTION

97. Invoquant les articles 4, 6 et 13 de la Convention, les requérantes dénoncent un manquement de l’État grec à ses obligations de pénaliser et de poursuivre les actes relatifs à la traite des êtres humains. Elles se plaignent en outre d’une inadéquation et de carences de l’enquête et de la procédure judiciaire portant sur les faits en cause. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits en cause (voir Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). Elle estime qu’il y a lieu d’examiner les allégations des requérantes sous l’angle du seul article 4 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

(...) »

1. Sur la recevabilité
1. Sur le respect du délai de six mois

98. Le Gouvernement argue que la requête a été introduite plus de six mois après la clôture de l’enquête administrative, le 21 juin 2006. Il estime par conséquent que cette enquête ne peut pas faire l’objet d’un contrôle par la Cour. Il ajoute, s’agissant de la troisième requérante, qu’elle a uniquement participé à la procédure devant la cour d’assises et que celle-ci a pris fin en 2005, soit plus de six mois avant l’introduction, le 28 juin 2010, de la requête.

99. Les requérantes rétorquent qu’elles n’ont eu accès au dossier de l’affaire qu’en 2010 et qu’elles ont donc respecté le délai de six mois. Elles ajoutent qu’en tout état de cause l’enquête administrative ne peut pas être prise en compte au titre des recours effectifs à exercer et que la Cour examine toujours l’effectivité tant de l’enquête administrative que de la procédure pénale.

100. En ce qui concerne la première partie de l’exception du Gouvernement, la Cour relève qu’une procédure pénale et une enquête administrative ont été ouvertes afin de rechercher, entre autres, la responsabilité des employés du consulat. Elle note que les deux procédures auraient pu avoir des conséquences sur la situation pénale ou personnelle de ces employés en raison des actes incriminés. Dès lors, elle estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble des procédures litigieuses afin de pouvoir se prononcer sur la question de savoir si, en l’espèce, les autorités ont manqué à leurs obligations découlant de l’article 4 de la Convention. Tenant compte du fait que la dernière procédure, à savoir la procédure pénale, a pris fin le 23 février 2016, soit après la date d’introduction de la requête, le 28 juin 2010, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

101. Quant à la deuxième partie de l’exception du Gouvernement, la Cour observe que la procédure litigieuse, à laquelle la troisième requérante a participé en tant que partie civile, ne s’est terminée que par l’arrêt du 6 juin 2011 de la cour d’appel de Thessalonique, soit après l’introduction de la requête, le 28 juin 2010. Elle note à cet égard que la cour d’appel de Thessalonique a, entre autres, condamné les accusés à verser 30 EUR à l’intéressée (paragraphe 28 ci-dessus). Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

2. Sur l’épuisement des voies de recours internes

a) Arguments des parties

102. Le Gouvernement argue qu’à la date de saisine de la Cour, le 28 juin 2010, par les requérantes : a) en ce qui concerne la troisième requérante, l’arrêt de la cour d’appel de Thessalonique n’avait pas encore été prononcé, et l’intéressée n’avait pas fait usage de son droit de manifester son intention de se constituer partie civile en deuxième instance ; b) la première requérante n’avait pas participé aux procédures pénales devant le tribunal correctionnel d’Athènes et la cour d’appel d’Athènes en tant que partie civile ; et c) la deuxième requérante ne s’était pas constituée partie civile devant la cour d’appel d’Athènes.

103. Le Gouvernement argue par ailleurs que les requérantes n’ont pas introduit de recours contre l’ordonnance du 4 décembre 2009 du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes. Selon lui, les intéressés auraient notamment pu saisir le procureur près la cour d’appel sur le fondement de l’article 48 du CPP.

104. Les requérantes répliquent que la constitution de partie civile de la deuxième requérante a été reconnue par la cour d’appel et que, en tout état de cause, l’obligation découlant de l’article 4 de la Convention d’enquêter sur les faits ne dépend pas de l’introduction d’une plainte de la part de la victime. Au contraire, selon les requérantes, les autorités sont tenues d’agir d’elles-mêmes une fois que l’affaire a été portée à leur connaissance. Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel l’affaire était pendante à la date de saisine de la Cour par les requérantes, les intéressées soutiennent que, dans des affaires similaires, la Cour prend en considération la durée globale des procédures étant donné son impact sur l’effectivité de ces dernières.

105. En ce qui concerne l’allégation du Gouvernement selon laquelle les requérantes n’ont pas saisi, sur le fondement de l’article 48 du CPP, le procureur près la cour d’appel, les intéressées indiquent que l’ordonnance du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes a été prise le 4 décembre 2009, soit six ans après les faits en cause. Il s’ensuit, d’après les requérantes, que les autorités n’avaient aucune intention de mener une enquête effective sur ces faits et que, en tout état de cause, une partie des délits était déjà prescrite. Les intéressées ajoutent qu’elles avaient toujours l’espoir de voir le juge d’instruction compétent mener une enquête effective sur les infractions qui, selon elles, impliquaient des agents de l’État, mais que cet espoir ne s’est pas concrétisé.

b) Appréciation de la Cour

106. Pour ce qui est de l’exception du Gouvernement tirée du caractère prématuré de la requête en ce qui concerne la troisième requérante, la Cour observe que les arrêts nos 209-212/2011 de la cour d’appel de Thessalonique ont été prononcés le 6 juin 2011, soit avant l’examen par elle de la recevabilité de l’affaire. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre (voir, Sidiropoulos et Papakostas c. Grèce, no 33349/10, § 66, 25 janvier 2018).

107. La Cour considère que les exceptions du Gouvernement restantes sont étroitement liées à la substance du grief énoncé par les requérantes sur le terrain du volet procédural de l’article 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Zontul c. Grèce, no 12294/07, § 76, 17 janvier 2012). Elle décide par conséquent de les joindre au fond.

3. Sur l’applicabilité de l’article 4 de la Convention

108. La Cour rappelle qu’il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que la traite porte atteinte à la dignité humaine et aux libertés fondamentales de ses victimes et qu’elle ne peut être considérée comme compatible avec une société démocratique ni avec les valeurs consacrées dans la Convention (Rantsev, no 25965/04, §§ 282, CEDH 2010 (extraits)). La Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente ayant déjà admis que la traite des êtres humains relève de la portée de l’article 4 de la Convention (voir notamment Rantsev, précité, §§ 272-282, L.E., précité, § 58, et Chowdury et autres, précité, § 86). Elle note aussi que le Gouvernement ne conteste pas le fait que les requérantes ont été victimes de la traite des êtres humains. Il s’ensuit donc que l’article 4 trouve à s’appliquer en l’espèce.

4. Conclusion

109. La Cour constate que grief tiré de l’article 4 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

a) Les requérantes

110. Tout d’abord, les requérantes soutiennent que certains éléments de preuve fournis par le Gouvernement, parmi lesquels des informations concernant leurs permis de séjour et statut marital, constituent des données personnelles. De l’avis des requérantes, le choix de l’État grec de soumettre ces éléments devant la Cour enfreint la loi grecque no 2472/1997 sur la protection des données personnelles et, par conséquent, ceux-ci ne devraient pas être pris en compte par la Cour.

111. Ensuite, la troisième requérante allègue qu’elle n’a pas été placée sous un régime de protection immédiatement après son arrestation, et qu’elle a été condamnée pour prostitution, et ce alors qu’il était évident, à ses dires, qu’elle était victime de la traite des êtres humains. Elle indique qu’elle avait l’intention de coopérer avec les autorités de police depuis le début. Elle ajoute qu’elle a été détenue dans de mauvaises conditions et qu’elle n’a été informée sur la législation protégeant les victimes de la traite des êtres humains qu’après l’ouverture du procès dirigé contre elle, lequel procès n’aurait pas été équitable. L’intéressée dit aussi que les autorités de police n’ont pas fait d’efforts pour arrêter sa proxénète, alors qu’elles auraient disposé des coordonnées de cette dernière depuis le début. Elle soutient encore qu’elle n’a pas bénéficié d’une assistance matérielle et psychologique suffisante.

112. La troisième requérante allègue également que les poursuites concernant la traite des êtres humains n’ont pas donné lieu à un examen approfondi des circonstances ayant entouré les faits en cause, puisque, selon elle, les autorités de police ont limité l’enquête aux auteurs présumés des faits séjournant en Grèce et n’ont pas coopéré avec leurs homologues russes. Sur ce point, elle indique que la direction de la sécurité de la police de l’Attique avait pourtant été informée, le 10 février 2004, par le département d’Interpol de la police hellénique, que les autorités russes enquêtaient sur l’agence de voyage « G », impliquée dans des actes de prostitution (paragraphe 21 ci‑dessus).

113. Cette requérante ajoute que la procédure relative aux faits d’exploitation la concernant était d’une durée excessive et qu’elle a pris fin huit ans après les faits en cause. Elle indique aussi que l’on ne peut lui imputer les ajournements d’audience devant la cour d’appel criminelle de Thessalonique, au motif que ceux-ci étaient dus à des grèves des avocats qui auraient affecté tous les avocats impliqués, y compris ceux de la défense.

114. La troisième requérante soutient en outre que les peines d’emprisonnement imposées aux auteurs des faits, d’une durée de cinq ans et dix mois, n’étaient pas en adéquation avec la gravité des crimes commis, notamment eu égard à la reconnaissance de la culpabilité des accusés du chef de traite des êtres humains à l’encontre de trois victimes.

115. Quant aux deux premières requérantes, elles dénoncent la durée de la procédure relative aux faits d’exploitation les concernant en ce qu’elle aurait été excessive. À cet égard, elles précisent que la procédure en cause a débuté en 2003, lors du recueil de leurs dépositions en tant que témoins, et qu’elle doit être considérée comme pendante, l’un des auteurs présumés des faits ayant échappé à la justice et demeurant introuvable. Elles indiquent en outre que leur affaire a été jugée en première instance presque dix ans après les faits d’exploitation commis à leur encontre. Elles disent aussi que seuls deux des auteurs présumés des faits ont été jugés et acquittés, et elles estiment que, si les autorités avaient arrêté N.M. au moment de la dénonciation de cette dernière par elles, la durée de la procédure aurait été moins longue. Or, selon lesdites requérantes, les autorités n’ont pas entrepris des efforts afin d’arrêter N.M., qui a réussi à fuir la justice. Les intéressées ajoutent que, dans son arrêt L.E. c. Grèce (précité), la Cour avait déjà conclu à la violation de l’article 4 de la Convention pour des faits identiques. Elles disent également qu’elles n’ont pas bénéficié d’une assistance matérielle et psychologique suffisante.

116. Quant aux procédures portant sur la délivrance des visas, les requérantes reprochent aux autorités grecques de ne pas avoir agi plus rapidement, en engageant d’office une enquête, et d’avoir attendu leur dépôt de plainte à ce sujet. Elle dénoncent en outre le comportement de la direction de la sécurité de la police de l’Attique, qui aurait renvoyé le dossier de l’affaire trois ans après l’avoir reçu, à une époque où les délits auraient déjà été prescrits. Elles indiquent en particulier que la direction de la sécurité de la police de l’Attique s’est vu ordonner de mener une enquête le 30 octobre 2006, mais que la plupart des dépositions des témoins n’ont été recueillies qu’entre septembre 2008 et mai 2009, soit deux ans plus tard. Elles précisent à ce sujet que la plupart des agences de voyage et des hôtels avaient entre-temps « disparu ». Les requérantes reprochent en outre aux autorités judiciaires de n’avoir entrepris aucune démarche concernant leur affaire entre le 18 mars 2010, date de renvoi du dossier de l’affaire en vue de l’ouverture d’une enquête judiciaire officielle, et le 23 septembre 2015, date de recherche de leurs coordonnées aux fins de leur convocation à déposer comme témoins. Les intéressées ajoutent que la procédure en cause ne s’est terminée qu’au moment de la notification à leur égard des ordonnances de la chambre d’accusation, survenue selon elles en mai 2016.

117. Les requérantes se plaignent également de la prescription d’une partie des actes prétendument commis par les employés du consulat. Elles précisent à cet égard que le cadre législatif interne ne régissait pas suffisamment « la falsification des documents officiels en vue de faciliter la traite des êtres humains » à l’époque des faits et qu’il était donc insuffisant. Elles indiquent que tant la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (« le Protocole de Palerme ») et les protocoles s’y rapportant que la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée par la Grèce en 2005 et entrée en vigueur le 1er août 2014, prévoient la criminalisation de la délivrance de documents de voyage falsifiés. En tout état de cause, selon les requérantes, les autorités internes auraient dû prévoir des sanctions plus élevées pour les agents de l’État impliqués, de même que des délais de prescription plus longs.

118. Les requérantes ajoutent qu’elles n’ont pas été invitées à déposer et, que, au cours de la conduite de l’enquête, elles n’avaient pas accès au dossier de l’affaire. Elles disent aussi que ni leurs représentants, ni les cinq témoins proposés par elles, ni quatre des auteurs présumés des faits n’ont été invités à déposer. Les requérantes précisent que leur convocation par le juge d’instruction a eu lieu aux adresses fournies par ce dernier à la police, et non pas à celles déclarées par elles dans leurs demandes de constitution de partie civile. La première requérante indique en outre que le juge d’instruction a renseigné l’adresse « Konstantinoupoleos 82, Athènes », mais que, au lieu d’envoyer par fax la convocation au commissariat de police d’Omonoia, compétent pour procéder à la notification, il l’a envoyée au commissariat de police d’Aigaleo. À ses dires, les policiers de ce commissariat, bien que sachant qu’ils n’étaient pas compétents, ont procédé à une convocation à l’adresse « Konstantinoupoleos 82, Aigaleo» et ont ensuite informé le juge d’instruction que les intéressées n’y avaient pas été retrouvées. Les requérantes indiquent encore que le juge d’instruction n’a pas procédé à la notification prévue par les articles 155 § 2 et 308 du CPP à l’endroit de leurs représentants, que ni ces derniers ni elles‑mêmes n’ont été informés de la fin de l’instruction, et ce malgré l’expression par elles de leur volonté à cet égard dans leurs demandes de constitution de partie civile, et qu’elles n’ont par conséquent pas pu exercer les recours prévus par la loi.

119. Les requérantes soutiennent que ni l’enquête administrative ni la procédure pénale n’ont été menées de manière impartiale. Selon elles, l’enquête administrative a été menée par un diplomate dont les supérieurs ‑ en l’occurrence des conseillers ministériels – voyaient leur responsabilité être mise en jeu. Elles ajoutent que le ministère des Affaires étrangères n’a engagé cette procédure que le 7 juin 2006, et ce seulement après avoir été officiellement informé de la volonté du procureur près la Cour de cassation d’ouvrir une enquête. Or, selon les intéressées, le Moniteur grec Helsinki avait déjà informé le ministère depuis décembre 2004 et, à la suite de cette initiative, il s’était vu répondre qu’une enquête administrative serait trop longue et s’était vu recommander de s’adresser au procureur compétent. Les requérantes ajoutent encore que l’enquête administrative a pris fin très rapidement et que, de surcroît, elles n’ont pas été invitées à comparaître et ne se sont pas vu notifier les conclusions de cette enquête. De l’avis des requérantes, la volonté des autorités de ne pas faire la lumière sur l’affaire se trouve ainsi établie par ces éléments. Quant à la procédure pénale, les requérantes précisent que le procureur en chef près le tribunal correctionnel d’Athènes a renvoyé l’affaire à la direction de la sécurité de la police de l’Attique au lieu d’engager des poursuites pénales et de transférer le dossier de l’affaire à un juge d’instruction.

120. Enfin, les requérantes estiment qu’il y a eu en l’espèce également violation du volet matériel de l’article 4 de la Convention, au motif que des agents de l’État ont délivré des documents de voyage falsifiés. Or, à leurs yeux, même si les délits en cause sont prescrits, l’État est toujours responsable pour les actes contraires à l’article 4 de la Convention. Aussi les intéressées demandent-elles à la Cour d’inviter les parties à soumettre des observations complémentaires sur ce point en application de l’article 54 § 2 de son règlement.

b) Le gouvernement

121. Le Gouvernement soutient que le cadre législatif pertinent en vigueur en Grèce au moment des faits a offert aux requérantes une protection pratique et effective, dont les intéressées auraient bénéficié. En particulier, selon le Gouvernement, immédiatement après l’introduction des plaintes des requérantes, les autorités ont informé ces dernières de leurs droits par l’intermédiaire d’un interprète et leur ont assuré un logement, elles ont porté les faits à la connaissance du procureur compétent, et elles se sont mobilisées afin de retrouver les responsables.

122. Le Gouvernement estime que, en ce qui concerne les enquêtes menées par la section de police spécialisée dans la lutte contre la traite des êtres humains, les autorités de police ont agi rapidement et avec diligence. L’enquête aurait été étendue aux autres femmes victimes de la traite des êtres humains. Le Gouvernement ajoute que le Moniteur grec Helsinki – qui a représenté les requérantes devant les juridictions internes – recevait des fonds de la part du ministère des Affaires étrangères, destinés à l’aide aux victimes de la traite des êtres humains. Il dit aussi que les autorités internes ont collaboré avec le bureau central d’Interpol en Russie.

123. Le Gouvernement estime que l’affaire relative aux faits d’exploitation concernant la troisième requérante a été dans son ensemble jugée dans des délais raisonnables, et il précise à ce sujet que la procédure a duré cinq ans et huit mois pour deux instances. Il ajoute à cet égard que les ajournements d’audience étaient justifiés et que cette requérante a elle‑même demandé un report de l’examen de l’affaire.

124. Le Gouvernement dit que N.S., F.P. et E.M., responsables présumés des faits de traite des êtres humains commis à l’encontre de la troisième requérante, ont été arrêtés un jour après le recueil de la deuxième déposition de l’intéressée. Il dit aussi que le juge d’instruction a ordonné la détention provisoire de N.S. et de F.P., et l’imposition de mesures restrictives à l’encontre de E.M. Il ajoute que les accusés N.S. et F.P. ont été condamnés à des peines lourdes tant en première qu’en deuxième instance, et ce sans se voir accorder le bénéfice d’un sursis à l’exécution en deuxième instance. Quant à la détermination de la peine à imposer en cas de concours d’infractions, le Gouvernement allègue que le cumul strict des peines infligées a des effets indésirables. Il indique en particulier que la fixation d’une peine globale est justifiée car elle éviterait l’imposition d’une peine trop stricte et l’application d’une sanction disproportionnée à l’auteur de l’infraction. Le Gouvernement ajoute que la troisième requérante a bénéficié de l’assistance d’un avocat du Moniteur grec Helsinki, mais qu’elle a choisi de ne pas comparaître devant la cour d’appel.

125. En outre, le Gouvernement soutient que, en ce qui concerne les deux premières requérantes, les autorités de police ont agi avec diligence en vue de l’arrestation des suspects et de leur renvoi devant la justice. Il expose que la procédure en cause a débuté le 20 juin 2008, date de constitution de partie civile de la deuxième requérante, et qu’elle s’est terminée le 19 mars 2010, date de prononcé de l’arrêt no 25018-26603/2010 du tribunal correctionnel d’Athènes. Il estime que cette période d’un an et neuf mois environ n’a pas été d’une durée déraisonnable, compte tenu de la complexité de l’affaire et des nombreux actes d’enquête réalisés. Il est aussi d’avis que la durée de la période comprise entre le 20 juin 2008, date susmentionnée correspondant à la constitution de partie civile de la deuxième requérante, et le 20 octobre 2009, date de la décision de suspension du procès dirigé contre N.M. prise par le procureur, ne peut être qualifiée de déraisonnable.

126. Le Gouvernement considère que le fait que les accusés P.F. et A.A. ont été acquittés en appel ne permet pas de douter de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux ayant examiné les charges portées à leur encontre, puisque l’article 4 de la Convention n’établirait pas une obligation d’aboutissement de toutes les plaintes pour traite des êtres humains à une condamnation. De même, il estime que le fait que N.M. n’a pas pu être retrouvée par les autorités de police, en dépit des efforts qui auraient été immédiatement déployés par celles-ci après le recueil des dépositions des requérantes pour la localiser et l’arrêter, n’est pas susceptible de mettre en doute l’effectivité de l’enquête en l’espèce. En tout état de cause, selon le Gouvernement, la procédure contre N.M. n’a pas été clôturée, mais uniquement suspendue jusqu’à l’arrestation et la traduction en justice de cette dernière. Le Gouvernement ajoute que, tout au long de l’enquête, les autorités de police ont coopéré avec les requérantes et procédé à l’audition de nombreux témoins.

127. Quant aux procédures portant sur la délivrance des visas, le Gouvernement argue que l’enquête judiciaire menée en l’espèce était pleinement satisfaisante, qu’elle a été engagée immédiatement après la plainte du Moniteur grec Helsinki du 17 janvier 2006 et qu’elle a été conduite avec la diligence requise, étant donné notamment la demande d’extension du champ de ladite enquête formulée par le procureur compétent (paragraphe 77 ci-dessus), et, en outre, qu’aucune inertie ne peut être reprochée aux autorités. En particulier, de l’avis du Gouvernement, seule doit être prise en compte la période allant du 16 mai 2006, date de constitution de partie civile des requérantes, au 4 décembre 2009, date de clôture de l’enquête préliminaire par le procureur compétent. Dès lors, selon le Gouvernement, cette période de trois ans et six mois environ n’a pas été d’une durée déraisonnable en l’espèce, étant donné la complexité de l’affaire et les nombreux actes d’enquête réalisés. En ce qui concerne la complexité de l’affaire, le Gouvernement expose que le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes a demandé la conduite d’une enquête en avril 2006 et que des poursuites pénales ont été engagées contre neuf personnes, y compris contre trois employés du consulat.

128. Le Gouvernement indique aussi que les requérantes ont participé activement à cette procédure, en manifestant leur intention de se constituer parties civiles et en soumettant un mémoire et des éléments complémentaires en mai et en décembre 2006. Il ajoute qu’elles ont été invitées à déposer en tant que témoins et que, lors de l’instruction, les autorités compétentes les ont recherchées, en vain, aux adresses déclarées par elles. Il précise à cet égard que, d’après l’article 155 du CPP, la notification peut être faite à un représentant dans le seul cas où il s’agit du mandataire de l’accusé ou de la personne civilement responsable de ce dernier.

129. Quant aux allégations des requérantes portant sur la prescription de certains des faits, le Gouvernement réplique que la prescription ne concernait qu’une partie des agissements en cause, à savoir ceux de nature délictuelle et non pas criminelle. Il indique en particulier, s’agissant des actes de traite des êtres humains, que des poursuites pénales ont été engagées et une instruction ordonnée. Le Gouvernement ajoute que, après avoir pris en compte tous les éléments du dossier, le procureur compétent a, par un arrêt amplement motivé, conclu à l’absence de preuves suffisantes de culpabilité en ce qui concernait les faits allégués de manquement aux devoirs professionnels, prétendument commis par les employés du ministère des Affaires étrangères en raison de l’absence de conduite par eux d’une enquête administrative lors de la procédure d’examen des demandes de visa.

130. Le Gouvernement estime en outre que les allégations des requérantes ont été examinées de manière approfondie et que le fait que la chambre d’accusation a procédé à la délivrance d’une ordonnance de non‑lieu ne permet pas de douter de l’effectivité de l’enquête. Il dit par ailleurs que, à l’issue de l’enquête administrative, au cours de laquelle tous les éléments de preuve auraient été évalués et pris en compte, il a été considéré que les visas en cause avaient été délivrés conformément aux exigences requises en la matière et que les employés du consulat ne pouvaient pas savoir que les requérantes risquaient de devenir victimes de la traite des êtres humains.

131. Le Gouvernement avance enfin que la présente affaire se distingue de l’affaire L.E. c. Grèce (précitée), en ce que, en l’espèce, les autorités internes auraient promptement reconnu le statut de victimes de la traite des êtres humains aux requérantes et ne seraient jamais revenues sur l’octroi de cette protection pendant les procédures pénales.

2. Arguments du gouvernement russe en tant que tiers intervenant

132. Le gouvernement russe considère que, au moment de l’acceptation par elles des propositions d’emploi, les requérantes auraient pu prévoir à quel type de travail elles étaient destinées. Il ajoute que la Cour a déjà constaté que le cadre législatif grec était conforme, à l’époque des faits, à la Convention et que les requérantes se plaignent uniquement de l’application de ce cadre en l’espèce. Le gouvernement russe indique ensuite que les observations du gouvernement grec ne font pas état de toutes les informations relatives aux procédures en cause. Il en déduit que les autorités internes ont pris des mesures promptes afin de mener des enquêtes, d’identifier les auteurs des faits et de permettre une collaboration entre les différents départements. Selon le gouvernement russe, la police hellénique a également coopéré avec les requérantes, en leur accordant le statut de victimes de la traite des êtres humains ainsi que le bénéfice d’une « protection physique ». Le gouvernement russe ajoute que le gouvernement grec a fourni à la Cour des explications suffisantes quant à la durée des procédures, à la participation des requérantes à celles-ci et au respect des droits et obligations procéduraux des intéressées.

133. En revanche, le gouvernement russe estime que le gouvernement grec n’a pas fourni d’explications satisfaisantes sur la durée de l’enquête menée au sujet de la délivrance des visas, et il précise que cette enquête n’a débuté qu’en 2006, à la suite de la couverture médiatique de l’affaire. Il escompte que la Cour prenne en considération les circonstances de l’affaire et les arguments des parties et qu’elle « adopte une décision appropriée ».

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux consacrés à l’article 4 de la Convention

134. La Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente sur les principes généraux régissant l’application de l’article 4 dans le contexte spécifique de la traite des êtres humains (voir notamment Rantsev, précité, §§ 283-289). Elle relève notamment qu’avec les articles 2 et 3, l’article 4 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe. Vu l’importance de l’article 4 au sein de la Convention, sa portée ne pourrait se limiter aux seuls agissements directs des autorités de l’État. Ladite disposition met aussi à la charge des États parties une série d’obligations positives se rapportant notamment à la protection de la victime de la traite ainsi que la prévention et la répression de celle-ci (Siliadin c. France, no 73316/01, §§ 7 et 89, CEDH 2005‑VII).

135. En ce qui concerne, en particulier, la traite des êtres humains, il y a la nécessité d’adopter une approche globale pour lutter contre ce phénomène en mettant en place, en plus, des mesures visant à sanctionner les trafiquants, ainsi qu’à prévenir le trafic et protéger les victimes (Rantsev, précité, § 285). Il ressort de la jurisprudence que les États assument, tout d’abord, la responsabilité de mettre en place un cadre juridique et réglementaire approprié, offrant une protection concrète et effective du droit des victimes, réelles et potentielles, de traite. En outre, la législation des États sur l’immigration doit répondre aux préoccupations en matière d’incitation et d’aide à la traite ou de tolérance envers celle-ci (Rantsev, précité, § 287).

136. En deuxième lieu, dans certaines circonstances, l’État se trouve devant l’obligation de prendre des mesures concrètes pour protéger les victimes avérées ou potentielles de traitements contraires à l’article 4. Comme les articles 2 et 3 de la Convention, l’article 4 peut, dans certaines circonstances, imposer à l’État ce type d’obligation (voir, L.E., précité, § 66, et Chowdury et autres, précité, § 88). Pour qu’il y ait obligation positive de prendre des mesures concrètes dans une affaire donnée, il doit être démontré que les autorités de l’État avaient ou devaient avoir connaissance de circonstances permettant de soupçonner raisonnablement qu’un individu était soumis, ou se trouvait en danger réel et immédiat de l’être, à la traite ou à l’exploitation au sens de l’article 3 a) du Protocole de Palerme et de l’article 4 a) de la convention anti-traite du Conseil de l’Europe. Si tel est le cas et qu’elles ne prennent pas les mesures appropriées relevant de leurs pouvoirs pour soustraire l’individu à la situation ou au risque en question, il y a violation de l’article 4 de la Convention (voir, Rantsev, précité, § 286, L.E., précité, § 66, et Chowdury et autres, précité, § 88).

137. Il n’en résulte pas, toutefois, que l’on puisse déduire de cette disposition une obligation positive d’empêcher toute violence potentielle. Il faut en effet interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, eu égard aux difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines et à l’imprévisibilité du comportement humain, ainsi qu’aux choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources (voir, L.E., précité, § 67) .

138. En troisième lieu, l’article 4 impose une obligation procédurale d’enquêter sur les situations de traite potentielle. L’obligation d’enquête ne dépend pas d’une plainte de la victime ou d’un proche : une fois que la question a été portée à leur attention, les autorités doivent agir (voir, Rantsev, précité, § 232, L.E., précité, § 68, et Chowdury et autres, précité, § 89). Pour être effective, l’enquête doit être indépendante des personnes impliquées dans les faits. Elle doit également permettre d’identifier et de sanctionner les responsables. Il s’agit là d’une obligation non de résultat, mais de moyens. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans tous les cas mais lorsqu’il est possible de soustraire l’individu concerné à une situation dommageable, l’enquête doit être menée d’urgence. La victime ou le proche doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes (voir, L.E., précité, § 68).

b) Application de ces principes à la présente espèce

1. Remarques préliminaires

139. La Cour note d’emblée que les requérantes l’invitent à ne pas prendre en considération certains éléments de preuve soumis par le Gouvernement, au motif que leur utilisation par les autorités étatiques est contraire à la loi no 2472/1997 sur la protection des données personnelles. La Cour relève que les documents dont l’examen est contesté par les requérantes sont tous en rapport avec la présente affaire et qu’en tout état de cause la présidente de la section avait déjà accédé à la demande de non‑divulgation de leur identité formulée par les intéressées en vertu de l’article 47 § 4 de son règlement. Par conséquent, l’identité des requérantes n’étant pas rendue publique, les documents mis en cause par celles-ci ne sauraient être associés à leur personne (L.E., précité, § 69).

140. La Cour note en outre que les requérantes lui demandent d’inviter les parties à soumettre des observations complémentaires sur le point de savoir si une violation du « volet matériel » de l’article 4 de la Convention a eu lieu (paragraphe 120 ci-dessus). Or, elle note qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément cette demande, dans la mesure où elle ne soulève pas de question différente de celles examinées par la Cour dans le présent arrêt (voir, en particulier, paragraphes 163-168 ci-dessus).

2. Quant à l’existence d’un cadre juridique et réglementaire approprié

141. La Cour note d’emblée que, en ce qui concerne les procédures pénales relatives aux faits d’exploitation des requérantes, les intéressées ne contestent ni la pertinence ni l’efficacité du cadre législatif grec relatif à la prévention et la répression de la traite des êtres humains sur le territoire du pays (voir, L.E., précité, § 70). Par ailleurs, concernant l’obligation faite aux États d’élaborer une législation permettant d’incriminer les infractions relatives à ce phénomène, la Cour constate que, après le 15 octobre 2002, le code pénal grec interdit expressément le trafic à des fins sexuelles. En particulier, l’article 351 du code pénal définit la traite des êtres humains conformément à sa définition par le Protocole de Palerme et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (paragraphe 90 ci-dessus). La Cour note à cet égard qu’en vertu de la loi no 3064/2002, plusieurs modifications ont été apportées au code pénal afin de renforcer la répression de la traite des êtres humains. En vertu de l’article 8 de cette loi, la traite a été qualifiée de crime. Des peines plus importantes ont été prévues pour les auteurs de la traite des êtres humains (à savoir une peine de réclusion jusqu’à dix ans et d’une amende de dix à cinquante mille euros) ainsi qu’en cas d’existence de circonstances aggravantes, notamment lorsque ledit crime est lié à l’entrée, le séjour ou à la sortie de la victime du territoire grec (soit une peine de réclusion de dix ans au moins et une amende de cinquante mille euros) (voir aussi, L.E., précité, § 31 et 32). De plus, l’article 12 de la loi no 3064/2002 prévoit des mesures de protection spécifiques pour les victimes du trafic des êtres humains en ce qui concerne leur intégrité physique et liberté individuelle. La même disposition met aussi à la charge des autorités l’octroi, entre autres, de l’aide au logement, à l’alimentation, aux soins de santé et du support psychologique et judiciaire. Par ailleurs, lorsque la victime du trafic à des fins sexuelles est un étranger se trouvant illégalement sur le territoire grec, la législation prévoit la possibilité de suspendre la procédure d’expulsion contre elle.

142. La Cour rappelle par ailleurs que dans l’affaire L.E., précité, elle a déjà constaté que la loi no 3064/2002 n’avait pas manqué à offrir à l’intéressée une protection pratique et effective. Qui plus est, dans l’affaire Chowdury et autres, précité, elle a constaté que la Grèce s’était conformée pour l’essentiel à l’obligation positive de mettre en place un cadre législatif permettant de lutter contre la traite des êtres humains.

143. La Cour observe en outre que la nouveauté de la présente affaire réside au fait que, pour une partie des procédures en cause, à savoir la procédure concernant la délivrance des visas aux requérantes, les juridictions internes ont été obligées d’appliquer l’article 351 du code pénal avant les modifications apportées en 2002. À cet égard, elle note que, jusqu’à la mise en vigueur de la loi no 3064/2002, le 15 octobre 2002, la législation applicable présentait certaines insuffisances. En particulier, le code pénal grec interdisait notamment la coercition dans la prostitution et la qualifiait de délit, punissable d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans (paragraphe 92 ci-dessus). En effet, la traite des êtres humains sous forme d’exploitation sexuelle ne constituait pas une infraction pénale distincte. Ainsi, le fait que les actes de la traite des êtres humains prétendument commis constituaient des délits à l’époque des faits, a conduit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes de mettre fin aux poursuites contre deux des accusés pour cause de prescription (paragraphe 88 ci-dessus).

144. Dès lors, la Cour ne saurait conclure que le cadre juridique sous lequel s’est déroulé cette procédure s’est avéré efficace et suffisant, ni pour sanctionner les trafiquants ni pour assurer la prévention efficace de la traite des êtres humains. Partant, il y a eu violation de l’article 4 de ce chef.

145. La Cour note que les requérantes se plaignent également que le cadre législatif interne ne régissait pas suffisamment « la falsification des documents officiels en vue de faciliter la traite des êtres humains » à l’époque des faits et qu’il était donc insuffisant, ce qui aurait résulté à la prescription d’une partie des actes prétendument commis par les employés du consulat (paragraphe 117 ci-dessus).

146. La Cour considère que ce grief concerne en réalité le fait que l’infraction concernant la falsification des documents dont les employés du consulat étaient accusés a été prescrite. Dès lors, elle estime préférable d’examiner ce grief sous l’angle des défauts allégués de la procédure concernant la délivrance des visas, et notamment l’absence de célérité de celle-ci, invoquée par les intéressées (paragraphes 163 et 164 ci-dessous).

3. Quant à la suffisance des mesures opérationnelles prises pour protéger les requérantes

1) Troisième requérante

147. La Cour note que la date cruciale à retenir quant à l’obligation pesant sur les autorités de prendre des mesures concrètes pour la protection de la troisième requérante en tant que victime de la traite à des fins d’exploitation sexuelle est la date à laquelle l’intéressée a explicitement affirmé aux autorités qu’elle était victime de la traite des êtres humains (L.E., précité, § 73). Il revient également à la Cour d’examiner si, avant une affirmation explicite faite par l’intéressée, les autorités compétentes pouvaient raisonnablement connaître ou soupçonner qu’elle était victime de la traite des êtres humains. En outre, la Cour examinera si les autorités policières et judiciaires ont pris par la suite les mesures nécessaires relevant de leurs pouvoirs pour offrir une protection adéquate à la requérante.

148. À cet égard, la Cour observe, en premier lieu que, selon le Gouvernement, la troisième requérante a explicitement affirmé aux autorités qu’elle était victime de la traite des êtres humains dans ses dépositions, les 19, 22 et 24 septembre 2003 (paragraphe 13 ci-dessus). Or, d’après le Gouvernement, cette affirmation a eu lieu après la condamnation de la requérante par le tribunal correctionnel de Thessalonique pour prostitution, le 19 septembre 2003. L’intéressée quant à elle affirme que les autorités ne l’avaient pas informé, avant le procès dirigé contre elle, sur la législation protégeant les victimes de la traite des êtres humains (paragraphe 11 ci‑dessus). La Cour prend note du fait que la requérante n’affirme ni avoir alerté des autorités sur sa situation de victime de la traite avant le 19 septembre 2003, ni que les autorités auraient dû soupçonner qu’elle était victime de la traite des êtres humains avant sa propre affirmation devant elles.

149. Quant à la période postérieure au 19 septembre 2003, il ressort du dossier que les autorités compétentes ne sont pas restées indifférentes à l’égard de l’affirmation explicite de la requérante d’avoir été victime de la traite. En effet, même si la troisième requérante allègue qu’elle n’a pas bénéficié d’une assistance matérielle et psychologique suffisante, la Cour observe que, moins de deux mois après sa dénonciation, la décision ordonnant l’expulsion de l’intéressée a été suspendue et elle s’est vu attribué un permis de séjour. Qui plus est, quinze jours après la délivrance de ce permis, la requérant a été placée dans un foyer (paragraphe 17 et 18 ci‑dessus).

150. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que les autorités internes aient été en défaut d’entreprendre des mesures opérationnelles susceptibles d’offrir à la troisième requérante une protection en tant que victime de la traite.

2) Les deux premières requérantes

151. La Cour constate que les deux premières requérantes ont alerté les autorités sur leur situation en tant que victimes de la traite des êtres humains le 12 décembre 2003, date à laquelle elles se sont présentées à la direction de la sécurité de la police d’Ermoúpolis (paragraphe 31 ci-dessus). Dix jours plus tard, à savoir le 22 décembre 2003, les intéressées ont été reconnues comme « victimes de la traite des êtres humains » et l’exécution des décisions ordonnant leur expulsion fut suspendue (paragraphe 32 ci-dessus). La Cour note que les parties présentent des versions différentes quant au point de savoir si les requérantes ont été transférées ou pas dans un foyer. Les requérantes affirment en outre, sans préciser, qu’elles n’ont pas reçu une assistance légale et psychologique. Toutefois, et malgré les doutes exprimés par les deux premières requérantes, les éléments du dossier ne permettent pas contester de manière concrète l’affirmation du Gouvernement que les intéressées ont été logées dans un foyer.

152. Dans ces conditions, eu égard notamment à la célérité avec laquelle les autorités ont reconnu les requérantes comme victimes de la traite, la Cour ne saurait conclure que les mesures opérationnelles entreprises par les autorités internes afin d’offrir une protection aux deux premières requérantes en tant que victimes de la traite n’ont pas été suffisantes.

4. Quant à l’effectivité des enquêtes policières et des procédures judiciaires

1) Quant à la procédure relative aux faits d’exploitation concernant la troisième requérante

153. La Cour constate que, le 23 octobre 2003, des poursuites pénales ont été engagées contre N.S., F .P. et E.M. pour organisation criminelle, traite des êtres humains et proxénétisme. Elle note que les circonstances ayant entouré les faits d’exploitation concernant la troisième requérante ont fait l’objet d’une enquête.

154. Reste à savoir si l’enquête en cause a satisfait aux exigences de l’article 4 de la Convention.

155. Tout d’abord, la Cour relève que les autorités de police ont réagi avec promptitude à la dénonciation de ladite requérante, faite le 19 septembre 2003, par laquelle celle-ci avait informé lesdites autorités qu’elle était victime de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. La requérante susmentionnée a été entendue les 19, 22 et 24 septembre 2003. Le 23 septembre 2003, à savoir immédiatement après le recueil de ses premières dépositions, N.S., F.P. et E.M., auteurs présumés des faits de traite des êtres humains, ont été arrêtés.

156. La Cour note cependant que la procédure en cause a pris fin le 6 juin 2011 par les arrêts nos 209-212/2011 de la cour d’appel, soit sept ans et neuf mois environ après la dénonciation de l’intéressée. En particulier, l’audience de l’affaire devant la cour d’assises a été initialement fixée au 19 janvier 2005, soit deux ans et quatre mois après les faits en cause. Qui plus est, la procédure devant la cour d’appel s’est conclue cinq ans et huit mois après l’introduction de l’appel par les accusés.

157. La Cour rappelle que l’écoulement du temps érode inévitablement la quantité et la qualité des preuves disponibles et que l’apparence d’un manque de diligence jette un doute sur la bonne foi avec laquelle les investigations ont été menées (voir, mutatis mutandis, Paul et Audrey Edwards, précité, § 86). Il est vrai que, en l’espèce, l’affaire présentait une certaine complexité. Cela étant, la durée de la phase préliminaire ainsi que celle de l’instance devant la cour d’appel a pu être de nature à compromettre l’effectivité de la procédure malgré la diligence apparente déployée par la cour d’assises.

158. La Cour juge qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres carences alléguées de la procédure litigieuse. Elle estime que les autorités compétentes n’ont pas traité l’affaire avec le niveau de diligence requis par l’article 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, L.E., précité, §§ 84 et 86). La Cour conclut donc à la violation de cette disposition sous son volet procédural dans le chef de la troisième requérante.

2) Quant à la procédure relative aux faits d’exploitation concernant la première et la deuxième requérante

159. La Cour observe que, en ce qui concerne la procédure visant P.F. et A.A., celle-ci s’est étendue sur une période de neuf ans et trois mois environ, à savoir du 12 décembre 2003, date à laquelle les deux premières requérantes ont dénoncé les faits d’exploitation les concernant aux autorités, au 27 mars 2013, date à laquelle la cour d’appel criminelle d’Athènes a rendu son arrêt no 1700/2013. En particulier, plus d’un an s’est écoulé entre le 9 mars 2004, date à laquelle le procureur près le tribunal de première instance de Syros a demandé à la direction de la sécurité d’Ermoúpolis de procéder à différents actes d’enquête et d’envoyer par la suite le dossier à la direction de la sécurité de la police d’Athènes, et le 11 avril 2005, date à laquelle la direction de la sécurité de la police de l’Attique a renvoyé l’affaire au procureur près le tribunal de première instance de Syros. Quant à la procédure visant N.M., celle-ci reste toujours suspendue quinze ans après la dénonciation desdites requérantes, l’accusée n’ayant pas été retrouvée.

160. En ce qui concerne plus précisément la recherche de N.M., la Cour observe que les requérantes susmentionnées avaient, dès le mois de décembre 2003, indiqué l’adresse où les faits d’exploitation en cause s’étaient déroulés et où, selon elles, l’accusée était domiciliée. Qui plus est, le 8 novembre 2004, l’opérateur de téléphonie mobile de N.M. avait informé la direction de la sécurité de la police d’Athènes de l’adresse déclarée par celle-ci. Or il ne ressort pas du dossier que les autorités aient recherché la suspecte à ces autres adresses promptement, et, en tout état de cause, avant juillet 2006 (paragraphe 42 ci-dessus). L’intensification, dès le début de l’enquête, des opérations de recherche de N.M. paraissait pourtant cruciale, les deux premières requérantes ayant désigné celle-ci comme étant l’un des auteurs principaux des faits. De surcroît, le Gouvernement n’offre pas d’informations concrètes sur l’état des investigations policières menées quant au sort de N.M. après la suspension, en 2009, de la procédure contre celle-ci. En effet, la dernière tentative de localisation de N.M. semble avoir eu lieu en février 2008 – époque à laquelle des policiers ont attesté avoir constaté, après des vérifications faites aux adresses dont ils disposaient, que la suspecte y était inconnue (paragraphe 49 ci-dessus) –, et ce malgré la délivrance, à l’encontre de l’intéressée, d’un nouveau mandat d’arrêt, le 28 juin 2012, par le procureur près la cour d’appel d’Athènes.

161. En ce qui concerne la participation desdites requérantes à la procédure en cause, la Cour observe que le 12 décembre 2003 les intéressées se sont présentées à la direction de la sécurité de la police d’Ermoúpolis et qu’elles ont dénoncé les faits d’exploitation les concernant. Ces requérantes ont ainsi porté à l’attention des autorités des faits qui, de par leur gravité, imposaient à ces dernières de diligenter d’office une procédure pénale – ce que lesdites autorités ont effectivement fait. Ainsi, la circonstance que la première requérante ne s’est pas constituée partie civile est-elle sans incidence sur l’affaire.

162. Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres carences alléguées de la procédure en cause. En conséquence, compte tenu des éléments exposés ci-dessus, la Cour estime que ces requérantes n’ont pas bénéficié d’une enquête effective. Partant, elle conclut à la violation de l’article 4 de la Convention sous son volet procédural dans le chef de ces requérantes.

3) Quant aux procédures portant sur la délivrance des visas

163. En premier lieu, la Cour note que les requérantes ont porté les faits en cause à la connaissance du procureur près le tribunal correctionnel compétent en matière de traite des êtres humains le 26 mai 2005. Toutefois, ce n’est que le 14 février 2006 que l’ouverture d’une enquête a été ordonnée.

164. En second lieu, la Cour observe que la direction de la sécurité de la police d’Athènes a renvoyé le dossier de l’affaire au procureur compétent deux ans et sept mois environ après l’avoir reçu, et que la phase de l’enquête préliminaire a duré plus de trois ans. S’il est vrai que l’enquête en cause présentait une certaine complexité, étant donné notamment le fait que plusieurs victimes de la traite des êtres humains devaient être entendues comme témoins, il n’en reste pas moins qu’une telle durée semble de prime abord excessive. En effet, comme l’indiquent également les requérantes, à la date du 4 décembre 2009, à laquelle l’enquête préliminaire a été clôturée, la partie des infractions concernant la falsification de documents et l’usage de faux était déjà prescrite et le procureur compétent n’a pu que le constater (paragraphe 80 ci-dessus). Quant à la possibilité pour les requérantes de saisir le procureur près la cour d’appel sur le fondement de l’article 48 du CPP à la suite de l’adoption de l’ordonnance du 4 décembre 2009, la Cour relève, à l’instar du procureur compétent, qu’une partie des délits, à savoir la falsification de documents et l’usage de faux, était déjà prescrite. Il s’ensuit qu’à ce moment-là la saisine du procureur près la cour d’appel n’aurait pas modifié la situation pour ce qui est des délits en cause. Il en va de même pour les actes de traite des êtres humains, reprochés à E.S. et I.Z., dont la prescription a été constatée le 23 février 2016 par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes (paragraphe 88 ci-dessus). À cet égard, la Cour souligne que, à l’époque des faits et avant l’entrée en vigueur de la loi no 3064/2002, la traite des êtres humains constituait un délit (paragraphe 92 ci-dessus), pour lequel un délai de prescription plus court était prévu.

165. Se tournant vers la question de la participation des requérantes à la procédure en cause, la Cour note que, dans leurs demandes de constitution de partie civile du 16 mai 2006, les intéressées avaient déclaré l’adresse « Konstantinoupoleos 82, Athènes » comme étant celle de leur domicile. Elle observe en outre que le 23 septembre 2015 le juge d’instruction s’est adressé au département des étrangers de l’Attique afin d’obtenir des informations sur les adresses des requérantes, en vue de la notification à ces dernières de convocations à témoigner. Par la suite, différents services ont fait parvenir au juge d’instruction des adresses censées être celles des intéressées, telles qu’elles ressortaient des dossiers respectifs de ces dernières. Or, à l’exception de l’une d’entre elles, toutes les tentatives de notification des convocations ont échoué, les requérantes n’étant pas connues aux adresses en cause. Si l’on ne peut pas considérer que le juge d’instruction – qui a effectivement essayé de retrouver les requérantes – est resté inactif, rien n’explique pourquoi les intéressées n’ont pas été recherchées à l’adresse déclarée par elles dans leurs demandes de constitution de partie civile. La Cour relève en outre que, si les autorités compétentes ont bien recherché la première requérante à l’adresse « Konstantinoupoleos 82 », cette recherche a été effectuée à Aigaleo et non pas à Athènes.

166. La Cour ne saurait se substituer aux juridictions internes et se prononcer sur le point de savoir si les autorités compétentes auraient dû ou non délivrer des visas aux requérantes. Elle peut uniquement constater que, au vu de ce qui précède, et eu égard notamment aux informations disponibles sur le phénomène de la traite des êtres humains en Russie et en Grèce à l’époque des faits (paragraphes 94-96 ci-dessus), les autorités compétentes auraient dû mener une enquête effective pour déterminer s’il avait été procédé à un contrôle rigoureux des dossiers des requérantes par les autorités compétentes avant la délivrance des visas. De l’avis de la Cour, étant donné la gravité de la dénonciation des requérantes et le fait que celles-ci accusaient des agents de l’État d’être impliqués dans les réseaux de la traite des êtres humains, les autorités étaient tenues d’agir avec une diligence particulière en l’espèce, afin de s’assurer de la soumission des actes en cause à un examen approfondi et de faire ainsi disparaître les doutes entourant la probité des agents de l’État. La Cour constate toutefois que, en raison des manquements décrits ci-dessus, cela n’a pas été le cas en l’espèce.

167. Eu égard à ce qui précède, la Cour juge qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres carences alléguées des procédures en cause. Elle considère que les autorités compétentes n’ont pas traité l’affaire avec le niveau de diligence requis par l’article 4 de la Convention et que les intéressées n’ont pas été associées à l’enquête dans la mesure requise par le volet procédural de cette disposition.

168. En conséquence, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et elle conclut à la violation de l’article 4 de la Convention sous son volet procédural.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

169. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

170. Les requérantes réclament 15 000 euros (EUR) chacune au titre du préjudice moral qu’elles estiment avoir subi.

171. Le Gouvernement est d’avis qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

172. La Cour considère que les requérantes ont dû subir un dommage moral en raison de l’atteinte à leur droit garanti par l’article 4 de la Convention et que le seul constat de violation n’en constitue pas une réparation suffisante. Statuant en équité, comme le permet l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à chacune des requérantes 15 000 EUR pour le dommage moral subi par elles, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

2. Frais et dépens

173. Les requérantes demandent également 10 000 EUR en remboursement des frais et dépens qu’elles disent avoir exposés dans le cadre des procédures engagées devant les juridictions internes et devant la Cour. Elles évaluent le temps de travail de leur représentant sur cette affaire à cent heures, et indiquent que le tarif horaire de ce dernier est de 100 EUR. Elles produisent à cet égard un document détaillant le temps consacré par leur représentant à la rédaction des différents mémoires et observations déposés auprès des autorités internes et devant la Cour. Elles demandent que la somme qui leur serait éventuellement accordée soit directement versée sur le compte de leur représentant.

174. Le Gouvernement met en doute la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable des frais en question. Il ajoute que la somme demandée est excessive, eu égard, en particulier, à l’absence de tenue d’une audience.

175. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. À la lumière des documents dont elle dispose et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérantes la somme de 3 000 EUR, et, par ailleurs, elle accueille la demande de versement direct de cette somme sur le compte bancaire du représentant des intéressées.

3. Intérêts moratoires

176. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 4 de la Convention ;
4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. i. 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacune des requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
2. ii. 3 000 EUR (trois mille euros), conjointement aux requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par elles, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire de leur représentant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 juillet 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente


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