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20/06/2019 | CEDH | N°001-194196

CEDH | CEDH, AFFAIRE LOUPAS c. GRÈCE, 2019, 001-194196


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LOUPAS c. GRÈCE

(Requête no 21268/16)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juin 2019

DÉFINITIF

04/11/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Loupas c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskel

o,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2019,

Rend l’ar...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LOUPAS c. GRÈCE

(Requête no 21268/16)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juin 2019

DÉFINITIF

04/11/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Loupas c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21268/16) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Ekaterini Loupas (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 avril 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par le professeur S. Flogaïtis et par Me I. Ktistakis, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État.

3. La requérante allègue une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 de la Convention.

4. Le 15 mai 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1959 et réside à Athènes.

6. Elle est agent diplomatique du ministère des Affaires étrangères, au grade de ministre plénipotentiaire de première classe.

7. Le 17 août 2007, le tribunal des prud’hommes de Genève condamna conjointement la requérante et la République hellénique à verser à N.P., employée de maison philippine qui avait travaillé d’octobre 2001 à décembre 2005 à la résidence de la requérante, qui était à l’époque consule générale de la Grèce à Genève, une somme de 181 845 francs suisses (augmentée d’un taux de 5% à compter du 28 mars 2006). Cette somme correspondait à une réévaluation de la rémunération de N.P., ainsi qu’à des indemnités pour heures supplémentaires et travail fourni pendant les jours fériés.

8. Devant le tribunal des prud’hommes de Genève, tant la République hellénique que la requérante excipaient de leur immunité juridictionnelle. Le tribunal rejeta cette exception par les motifs suivants :

« En l’occurrence, il ressort des faits de la cause que la demanderesse a assumé principalement les tâches d’une femme de ménage en assurant l’entretien des appartements privés du consul général, ainsi que dès 2003 quelques heures par semaine les bureaux de l’ambassade. En sus, le salaire plus que modeste qui était versé à la demanderesse est un indice supplémentaire du caractère subalterne de son activité.

Force est donc de constater qu’en décidant d’engager la demanderesse, la République hellénique a agi de jure gestionis, au même titre qu’un particulier aurait pu le faire. L’État défendeur ne peut donc exciper valablement de son immunité de juridiction pour les litiges nés de l’exécution de ce contrat.

Il en va de même de [la requérante]. En effet, celle-ci n’a en réalité que poursuivi les relations contractuelles antérieures qu’elle avait avec sa domestique privée lors de son arrivée en Suisse. Il ne saurait dès lors être retenu que le consul a agi expressément ou implicitement en tant que fonctionnaire de l’État d’envoi. (...) »

9. Quant à la question de la qualité pour agir de la République hellénique et de la requérante, le tribunal constata ce qui suit :

« En l’espèce, s’il ne fait nul doute au vu des documents officiels produits, que la République hellénique était bien l’employeur de la demanderesse, il ressort également des faits de la cause que [la requérante] était la bénéficiaire des prestations de l’employée à qui elle donnait des instructions. La demanderesse a effectué une prestation personnelle de travail tant pour la République hellénique que pour [la requérante]. Elle a travaillé tant dans les locaux du consulat qu’au domicile privé du consul, en faisant le ménage et en s’occupant de son fils. Elle était rémunérée pour le temps qu’elle mettait à disposition des employeurs. Elle logeait au domicile du consul et ne pouvait pas disposer de ses journées comme elle le souhaitait. Elle se trouvait dans un rapport de subordination tant avec le consul, lorsqu’elle effectuait du travail à son domicile, qu’avec la République hellénique, lorsqu’elle nettoyait les locaux du consulat. Certes, le salaire qu’elle percevait était en réalité payé par la République hellénique exclusivement, mais cela tenait avant tout à la charge du consul général, à ses prérogatives, ainsi qu’à l’organisation interne de l’État défendeur. (...) »

10. Le 20 septembre 2007, la République hellénique et la requérante interjetèrent appel contre le jugement du 17 août 2007 devant la cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève. Par arrêt du 5 février 2008, le président de la cour d’appel déclara l’appel irrecevable, au motif que l’émolument de mise au rôle avait été payé hors délai. La République hellénique et la requérante interjetèrent un recours en annulation contre cette décision devant le Tribunal fédéral. Ils invoquaient que la décision d’irrecevabilité était arbitraire et le résultat d’un formalisme excessif. Par un arrêt du 14 mai 2008, le Tribunal fédéral rejeta le recours.

11. Sur ordre du secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, du 27 juin 2008, l’inspecteur général du ministère ouvrit une enquête administrative assermentée pour déterminer la part de responsabilité de la requérante, l’attitude professionnelle de celle-ci ainsi que la vraie relation de travail entre N.P., d’une part, et l’État grec et la requérante, d’autre part.

12. Après avoir entendu plusieurs témoins, des diplomates et autres fonctionnaires en poste à Genève et examiné le dossier de l’affaire devant le tribunal des prud’hommes de Genève, l’inspecteur constata les faits suivants. Avant de se rendre à Genève, N.P. était l’employée de maison de la requérante à Athènes et avait consenti à l’accompagner à Genève contre une rémunération mensuelle de 800 francs suisses ; N.P. serait par ailleurs nourrie et logé à la résidence consulaire. Le 25 mai 2001, la requérante demanda aux autorités suisses par l’intermédiaire de l’ambassade grecque à Berne d’accorder à N.P. une carte de séjour « en tant qu’employée de maison chez madame Ekaterini Loupas ». Se fondant sur la législation suisse pertinente, les autorités suisses refusèrent d’accorder la carte de séjour, d’une part, parce que N.P. était mariée (et selon la législation suisse, les cartes de séjour pour des employé(e)s de maison des ambassades étaient accordées seulement à de célibataires) et, d’autre part, parce qu’une autre employée de maison travaillait déjà à la résidence consulaire. Le 14 juin 2001, la requérante réitéra sa demande auprès des autorités suisses. Le 4 septembre 2001, la Confédération suisse délivra à N.P. une carte de légitimation valable jusqu’au 4 septembre 2003, puis prolongée jusqu’au 17 juillet 2005. Toutefois, le 11 décembre 2005, N.P. informa la requérante de son intention de cesser de travailler à son service et de quitter la résidence, tant et aussi longtemps qu’elle ne serait pas rémunérée convenablement, eu égard au salaire minimum légal pratiqué en Suisse. Le 28 mars 2006, N.P. saisit le tribunal des prud’hommes de Genève d’une action contre la requérante et l’État grec. Elle déposa aussi plainte contre la requérante pour non-paiement des primes d’assurance. Le tribunal des prud’hommes de Genève considéra que la requérante avait en réalité maintenu la relation de travail qu’elle avait conclu avec N.P. avant de venir en Suisse et accueillit ainsi l’action de N.P.

13. Dans ses observations devant la Cour, la requérante précise qu’elle n’avait ni domicile privé ni bureau personnel en Suisse. Elle habitait à la résidence officielle du consul général de Grèce à Genève et travaillait au consulat général. N.P. avait été annoncée comme personnel de service et avait obtenu du ministère des Affaires étrangères suisse la carte de légitimation correspondant à son statut. La requérante produit aussi certains documents pour faire établir que le service central du ministère des Affaires étrangères grec connaissait et approuvait le fait que N.P. était rémunérée par des fonds publics, en tant que personnel de service.

14. Par sa décision du 28 mai 2009, qui entérinait la proposition du rapporteur – V.K., diplomate et directeur des ressources humaines du ministère –, le conseil de discipline du ministère des Affaires étrangères rejeta les accusations de manquement aux devoirs de la fonction, de négligence dans l’exercice de ses fonctions et de comportement non conforme à la représentation digne du pays portées contre la requérante. Il releva l’absence dans le dossier des faits de nature à fonder au-delà de tout doute raisonnable la conviction que la requérante avait commis les infractions qui lui étaient reprochées.

15. Le 8 septembre 2009, l’inspecteur général de l’Administration (autorité compétente pour se pourvoir contre les décisions définitives des conseils disciplinaires de toutes les institutions publiques) saisit le Conseil d’État. Il demandait l’annulation de la décision d’acquittement prise par le conseil de discipline du ministère des Affaires étrangères et l’imposition d’une sanction appropriée.

16. Pour sa défense devant le Conseil d’Etat, la requérante soulignait que N.P. n’était pas son employée de maison personnelle mais faisait partie du personnel du consulat. Pour étayer cette allégation, la requérante déposa les documents suivants :

– la décision no 245 du 5 septembre 2006 du président du Conseil juridique de l’État qui donnait pouvoir à un avocat de Genève de représenter l’État grec devant les autorités suisses afin de défendre les intérêts de celui‑ci par tout moyen légal ;

– l’avis du 4 octobre 2006 du service juridique spécial du ministère des Affaires étrangères qui suggérait que l’ambassade de Grèce à Berne envoie une note verbale à la direction du protocole du ministère des Affaires étrangères suisse au contenu suivant : « compte tenu du fait qu’elle concerne un litige entre un ex-membre du consulat général de Grèce et le consulat général, et non pas un litige entre ce membre et la consule générale elle‑même, cette plainte concerne un acte de la consule générale accompli dans l’exercice de ses fonctions consulaires » ;

– la note verbale du 5 octobre de l’ambassadeur de Grèce à Berne dans laquelle il était mentionné : « c’est effectivement le gouvernement hellénique qui a engagé N.P. et qui payait la rémunération convenue » ;

– le télégramme du 11 octobre 2006 de l’ambassadeur de Grèce à Berne dans lequel il indiquait notamment : « j’ai cité à nouveau nos arguments selon lesquels les conditions d’emploi de N.P. ont été fixées par l’État grec et non par [la requérante] personnellement » ;

– le document de la direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères grec, daté du 30 novembre 2006, dans lequel il était indiqué que « le différend porte sur une affaire relative à une personne qui a été déclarée comme un membre du personnel de service de l’Autorité » ;

– l’avis du conseiller du Conseil juridique de l’État, du 6 décembre 2006, sur le droit applicable et dans lequel il était mentionné : « (...) examen du recours d’un membre du personnel de service des bureaux et de la résidence consulaire de Grèce à Genève contre l’État grec (...) ».

17. Par un arrêt no 3609/2015, du 8 octobre 2015 et porté à la connaissance de la requérante le 9 novembre 2015, le Conseil d’État annula la décision susmentionnée du conseil disciplinaire du ministère des Affaires étrangères et imposa à la requérante la sanction disciplinaire de suspension temporaire des six mois assortie d’une privation totale de rémunération. Il considéra que la requérante avait commis les infractions disciplinaires de manquement aux devoirs de la fonction, de négligence dans l’exercice de ses fonctions et de comportement non conforme à la représentation digne du pays.

18. Se fondant sur les faits de la cause ainsi que sur le jugement du tribunal des prud’hommes de Genève, le Conseil d’État se déclara convaincu que la requérante avait commis les infractions disciplinaires susmentionnées. Il releva que la requérante, à l’insu du ministère des Affaires étrangères, avait effectué des démarches pour engager une employée de maison et non une employée intégrée au personnel du consulat comme elle avait soutenu sans succès devant le tribunal des prud’hommes. Si l’État grec avait aussi plaidé que N.P. faisait partie du personnel du consulat, il l’avait fait pour plaider l’immunité de juridiction et éviter une atteinte à son prestige. Le fait que l’État ne connaissait pas les démarches de la requérante, de sorte qu’il s’était vu accusé de violation de la législation du travail, était attesté par V.K., directeur des ressources humaines du ministère. Celui-ci avait déclaré au cours de la procédure disciplinaire qu’il était de son devoir de soutenir ses prédécesseurs et de préciser que la direction des ressources humaines ignorait totalement les démarches de la requérante, tant en ce qui concernait la vraie nature que la durée du travail de N.P. au consulat général de Genève, et que la requérante, en sa qualité de consule générale, n’avait jamais consulté cette direction avant que ses problèmes ne soient apparus. Par ailleurs, les documents et les avis invoqués par la requérante pour soutenir que N.P. faisait partie du personnel du consulat ne devaient pas être pris en compte car ils étaient rédigés postérieurement au début de la procédure devant le tribunal des prud’hommes, soit à un moment où l’État grec essayait de se défendre.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Les articles pertinents du code des fonctionnaires, en vigueur à l’époque des faits (loi no 2683/1999), disposaient :

Article 107

« 1. Les infractions disciplinaires sont :

(...)

b) le manquement aux devoirs de la fonction, selon le code pénal ou toute autre loi pénale spéciale ».

Article 109

« 2. La sanction de la suspension définitive des fonctions peut être imposée seulement pour les infractions suivantes :

(...)

b) le manquement aux devoirs de la fonction, selon le code pénal ou toute autre loi spéciale ;

(...)

d) un comportement particulièrement indécent ou indigne d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ou en dehors de celles-ci. »

20. L’article 47 § 2 de la loi no 3900/2010 relative à l’accélération du procès administratif prévoit :

« Continuent à relever de la compétence du Conseil d’État, en premier et dernier degré, les recours en annulation introduits contre :

(...)

h) une sanction prononcée par un conseil de discipline présidé par un haut magistrat ou auquel un tel magistrat a siégé. »

21. Lorsque le Conseil d’État se prononce dans le cadre des recours relatifs à des procédures disciplinaires contre de fonctionnaires, il se prononce au fond quant à la commission de l’infraction disciplinaire, à la gravité de celle-ci, eu égard aux conditions dans lesquelles elle a été commise, et à l’imposition de la sanction, en tenant compte de tous les éléments du dossier et des états de service du fonctionnaire mis en cause (arrêts no 865/2017, 597/2012, 2166/2011, 3365/2011, 584/2008, 2138/2008, 1392/2003, etc.).

22. L’article 69A du décret no 18/1989, portant codification des lois relatives au Conseil d’État, tel qu’introduit par l’article 16 de la loi no 4446/2016, prévoit :

« 1. Une décision judiciaire, au sujet de laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’elle a été rendue en violation du droit à un procès équitable ou d’un article substantiel de la Convention, est sujette à une demande de réouverture de la procédure devant la formation judiciaire du Conseil d’État qui l’a rendue.

2. Les personnes ayant droit d’introduire la demande susmentionné sont celles qui étaient parties à la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

23. La requérante se plaint que sa cause n’a pas été entendue de façon équitable, en raison du fait que le Conseil d’État n’a pas pris en considération des documents officiels qui étaient déterminants pour l’examen de l’affaire et s’est fondé principalement sur certaines déclarations du rapporteur de l’affaire devant le conseil disciplinaire du ministère des Affaires étrangères. Ces déclarations n’étaient pas impartiales et s’apparentaient à celles que pourrait faire un témoin à charge contre la requérante. Elle allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui dans sa partie pertinente est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

24. Le Gouvernement soutient que la sanction disciplinaire imposée à la requérante pour manquement aux devoirs de la fonction ne peut pas être qualifiée de « pénale » car elle ne fait pas partie du noyau dur du droit pénal. Elle n’avait pas de caractère punitif mais tendait à assurer le bon fonctionnement du service public et à protéger les droits de fonctionnaires. Elle n’était pas non plus sévère car pour la même faute disciplinaire, la sanction de la suspension définitive aurait pu être prononcée à l’encontre de la requérante. Le Gouvernement soutient, en outre, que l’issue de la procédure disciplinaire contre la requérante n’était pas directement déterminante pour un droit de caractère civil de celle-ci.

25. La requérante soutient que la procédure qui a abouti à l’imposition d’une sanction disciplinaire à son encontre était de nature « pénale » car elle remplissait les trois critères pertinents de l’arrêt Engel et autres c. Pays-Bas, (8 juin 1976, série A no 22) : l’infraction de manquement aux devoirs de la fonction était qualifiée de « pénale » par l’article 107 § 1 b) du code des fonctionnaires ; la disposition en question était à la fois punitive et dissuasive pour tous les fonctionnaires grecs ; la sanction qui lui a été imposée était d’une gravité unique dans l’histoire du corps diplomatique et, selon l’article 109 § 2 b) du même code, le maximum prévu était la suspension définitive des fonctions. En tout état de cause, la procédure portait sur ses droits de caractère civil (privation totale de sa rémunération pendant six mois).

26. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6 à la procédure judiciaire en cause, la Cour rappelle que cette disposition s’applique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009, et Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).

27. En l’espèce, il y en avait, à n’en pas douter, une « contestation » : la procédure litigieuse portait sur les accusations de manquement aux devoirs de la fonction, de négligence dans l’exercice de ces fonctions et de comportement non conforme à la représentation digne du pays portées contre la requérante dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte par le ministère des Affaires étrangères. Cette contestation portait aussi sur un l’existence d’un « droit » de la requérante : celui de ne pas être suspendu de ses fonctions et de ne pas être privé de sa rémunération (voir, mutatis mutandis, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, §§ 46-47, 25 septembre 2018, Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, §117, CEDH 2017, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 107-111, CEDH 2016).

28. En outre, la « contestation » avait un caractère réel et sérieux et la procédure qui s’ensuivit était déterminante pour les droits de la requérante : la procédure litigieuse aurait pu avoir – et a effectivement eu – des répercussions graves à son égard telles que la suspension temporaire de ses fonctions avec privation de rémunération et le remboursement à l’État de la somme que celui-ci avait dû verser à l’issue de la procédure devant le tribunal des prud’hommes de Genève.

29. Quant au caractère « civil » d’un tel droit au sens de l’article 6, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’État à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV).

30. En l’espèce, force est de constater que la première de ces conditions ne se trouve pas remplie. Le droit interne prévoit en effet que le Conseil d’État est compétent pour examiner les recours en annulation contre l’imposition des sanctions par les conseils de discipline présidés par un haut magistrat (paragraphes 19-20 ci-dessus). Cette disposition était applicable au cas de la requérante, qui a effectivement été sanctionnée à l’issue de la procédure devant le Conseil d’État. La première condition du test Vilho Eskelinen n’est donc pas remplie et, partant, l’article 6 trouve à s’appliquer dans son volet civil.

31. Compte tenu de l’applicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner si le volet pénal de cette disposition s’applique en l’espèce.

32. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

33. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour et notamment de l’arrêt Luka c. Roumanie (no 34197/02, §§ 55-56, 21 juillet 2009), la requérante souligne que l’article 6 implique à la charge du « tribunal » l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre. L’article 6 § 1 ne peut cependant se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument. Or, en l’espèce, le Conseil d’État a exclu toute une série des preuves sur la base du critère unique de l’implication dans l’affaire du tribunal des prud’hommes de Genève et a intégré parmi les preuves un témoignage du rapporteur nommé dans la procédure disciplinaire devant le conseil de discipline. L’exclusion de ces preuves, confirmée par le Conseil d’État lui-même dans son arrêt, reposait sur un critère arbitraire et illégal : le souci de l’État grec de se défendre efficacement devant les juridictions suisses. En outre, le rapporteur devant le conseil de discipline n’était pas impartial car, selon ses propres affirmations, il était de son devoir de « défendre ses prédécesseurs » et de « déposer à charge contre la requérante ».

34. Le Gouvernement soutient que le grief de la requérante concerne l’appréciation des preuves et l’issue de la procédure devant le Conseil d’État et rappelle que le rôle de la Cour se limite à assurer l’observation des engagements assumés par les États en vertu de la Convention et non de se prononcer sur les erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les juridictions nationales. En l’espèce, dans son arrêt du 8 octobre 2015, le Conseil d’État a examiné de manière exhaustive toutes les allégations de la requérante et a motivé pleinement sa décision de sorte que la requérante ne saurait se plaindre d’un défaut de motivation suffisante.

35. Le Gouvernement affirme aussi, que contrairement à ce que prétend la requérante, le directeur des ressources humaines du ministère, V.K., n’a pas déclaré qu’il était de son devoir de « défendre ses prédécesseurs », ni de « déposer à charge contre la requérante ».

2. Appréciation de la Cour

36. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004‑I), dans le cas où elles peuvent exceptionnellement s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention. Si cette disposition garantit le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, par exemple, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013 et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015).

37. La Cour rappelle par ailleurs que l’article 6 § 1 implique, à la charge du « tribunal », l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties. Les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil que pour les poursuites pénales. Toutefois, dans les affaires où la responsabilité civile est imputée pour des dommages résultant d’actes criminels, les décisions internes doivent impérativement se fonder sur un examen approfondi des éléments de preuve présentés et contenir des motifs suffisants en raison des lourdes conséquences que peuvent emporter de tels constats (voir, à titre d’exemple, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, série A no 274, §§ 32-33, Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 68, CEDH 2002‑IV, Dilipak et Karakaya c. Turquie, no 7942/05 et 24838/05, § 80, 4 mars 2014, et Carmel Saliba c. Malte, no 24221/13, § 67, 29 novembre 2016).

38. En l’espèce, la Cour note d’emblée que devant le tribunal des prud’hommes de Genève, l’État défendeur excipait en premier lieu de son immunité de juridiction, exception que le tribunal a rejetée en se fondant notamment sur la nature subalterne des fonctions de N.P. (paragraphe 8 ci‑dessus). Le tribunal a relevé aussi que la République hellénique avait produit plusieurs documents officiels pour démontrer que N.P. n’était pas l’employée personnelle de la requérante, mais, qu’en revanche, l’État luimême était bien l’employeur de N.P. (paragraphe 9 ci-dessus). Ce constat est aussi corroboré par les documents officiels établis par le ministère des Affaires étrangères et produits par la requérante devant la Cour (paragraphes 13 et 16 ci-dessus). La grande majorité de ces documents, datés de différentes dates entre septembre et décembre 2006, étaient établis par différents services de ce ministère et par le Conseil juridique de l’État et produits par la requérante lors de la procédure devant le Conseil d’État pour la défense de sa thèse selon laquelle N.P n’était pas son employée personnelle mais faisait partie du personnel du consulat.

39. En revanche, dans la procédure engagée contre la requérante devant le Conseil d’État, celui-ci a ignoré les thèses soutenues par l’État dans la procédure devant les juridictions suisses. Le Conseil d’État a contesté le fait que N.P. ne faisait pas partie du personnel du consulat. Il a souligné que l’État avait soutenu la thèse contraire devant les juridictions suisses afin d’étayer l’exception de l’immunité de juridiction et a aussi refusé de considérer comme éléments de preuve l’ensemble des documents officiels qui constituaient le cœur de la défense de l’État dans la procédure suisse. Pour sanctionner la requérante, et alors que le conseil de discipline du ministère des Affaires étrangères n’avait pas retenu l’accusation portée contre elle, le Conseil d’État s’est fondé sur une déclaration du rapporteur chargé de l’affaire devant ce conseil et directeur des ressources humaines du ministère faite lors de la procédure disciplinaire. Le directeur déclarait qu’il était de son devoir envers ses prédécesseurs de préciser que la direction des ressources humaines ignorait totalement les démarches de la requérante en ce qui concernait la nature et la durée du contrat de N.P. au consulat général de Genève (paragraphe 18 ci-dessus).

40. La Cour constate donc qu’il y a eu une contradiction entre ce que l’État défendeur soutenait devant les juridictions suisses et ce qu’il relevait dans la procédure interne. Devant les juridictions suisses, l’État excipait de son immunité de juridiction et soutenait que N.P. était l’employée du consulat et non l’employée personnelle de la requérante. En revanche, dans la procédure interne, l’État, par le biais du recours introduit par l’inspecteur général de l’Administration contre la décision d’acquittement prise par le conseil de discipline du ministère revenait sur la position défendue antérieurement. Certes, en matière de contentieux, l’État, en tant que défendeur devant une juridiction, est libre de choisir la tactique de défense qu’il estime la plus efficace pour défendre au mieux ses intérêts. Toutefois, si l’immunité de juridiction constituait l’argument juridique principal de la défense de l’État devant le tribunal des prud’hommes de Genève, celle des modalités de l’emploi de N.P. constituait la question factuelle cruciale tant devant ce tribunal, mais aussi, devant le Conseil d’État. Eu égard au retournement de la position de l’État, la décision du Conseil d’État de ne pas prendre en compte tout un pan d’éléments de preuves qui avait servi à étayer la thèse initiale de la défense de l’État grec en Suisse – y compris des documents officiels de l’État – et qui était essentiel pour l’issue du litige, ne peut que conduire à la constatation que la décision de la haute juridiction était entachée d’une appréciation inexacte au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, mutatis mutandis, Carmel Saliba, précité, § 79, Fodor c. Roumanie, no 45266/07, § 33,16 septembre 2014, et Dulaurans c. France, no 34553/97, § 38, 21 mars 2000).

41. Tout en se gardant de spéculer sur les conséquences qu’aurait eue la prise en compte, par le Conseil d’État, des documents officiels du ministère des Affaires étrangères (paragraphe 16 ci‑dessus) produits par la requérante, la Cour considère que ceux-ci étaient de nature à avoir une incidence sur l’issue de la procédure devant le Conseil d’État.

42. Le manquement du Conseil d’État de prendre en compte ces éléments de preuve suffit à la Cour pour conclure que la haute juridiction administrative n’a pas assuré à la requérante un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

43. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

45. La requérante réclame 63 808,80 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle estime avoir subi (la perte de sa rémunération pendant six mois, soit du 18 novembre 2015 au 17 mai 2016). Elle réclame aussi la somme de 1 000 EUR pour préjudice moral.

46. Le Gouvernement soutient que la prétention pour dommage matériel doit être rejetée comme vague, totalement hypothétique et comme n’ayant aucun lien de causalité avec la violation alléguée. En outre, le montant demandé tant pour le préjudice matériel que pour le préjudice moral est excessif et injustifié.

47. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que la requérante n’a pas bénéficié d’un procès équitable, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Or, elle ne saurait spéculer sur l’issue de la procédure interne si la violation du droit à un procès équitable n’avait pas eu lieu. En conséquence, rien ne justifie qu’elle accorde à la requérant une indemnité pour dommage matériel.

48. En revanche, la Cour estime que la requérante a subi un tort moral incontestable qui n’est pas suffisamment réparé par le constat d’une violation. Elle accueille par conséquent sa demande et lui alloue 1 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

49. La requérante demande également 1 931,37 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 488 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

50. Le Gouvernement soutient qu’aucune somme ne devait être accordée à la requérante pour frais et dépens devant les juridictions nationales : d’une part, car il n’y a pas de lien de causalité avec la violation alléguée ; d’autre part, car la requérante ne justifie pas et n’explique pas le lien entre certaines sommes qu’elle réclame et la présente affaire, telles la somme de 408,36 EUR pour sa représentation devant la Cour des comptes et celle de 615 EUR pour la rédaction d’un avis juridique.

51. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En ce qui concerne les frais engagés dans la procédure nationale, la violation constatée de l’article 6 ayant eu lieu devant le Conseil d’État, l’unique juridiction saisie en l’espèce, la Cour estime que la requérante doit se voir rembourser à ce titre 1 000 EUR. En outre, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 488 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

52. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 488 EUR (deux mille quatre cent quatre-vingt-huit euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Koskelo et Eicke.

K.T.U.
A.C.

JOINT DISSENTING OPINION OF JUDGES KOSKELO
AND EICKE

1. Regrettably, we have found ourselves unable to agree with the finding of a violation of Article 6 in the present case.

2. The applicant’s complaint arises from a situation where two separate proceedings have taken place. In the first proceedings, before the Swiss courts, the applicant and the Greek State were co-defendants in respect of a claim brought against them by the domestic worker N.P. In these proceedings, the common defence strategy adopted by the applicant and the Greek State was to invoke state immunity. Even if this strategy did not succeed – given that the circumstances as set out before the Swiss court were considered to fall within the notion of acts de jure gestionis rather than de jure imperii – the fact remains that the argument relied on by the defendants was pursued in the common interest of them both. Their joint purpose was to avoid an adverse judgment imposing on either of them a payment obligation vis-à-vis N.P. and, as the domestic court noted (see judgment § 18) “pour plaider l’immunité de juridiction et éviter une atteinte à son prestige”.

3. The applicant and the Greek State lost the case before the Swiss courts. Both were ordered, jointly and severally, to pay to N.P. the amounts due on account of the latter’s employment at the Greek consulate.

4. Given the outcome of those proceedings, what ensued subsequently were disciplinary proceedings brought by the Greek State against the applicant. The purpose of these was to determine and resolve the issues arising in the “internal” relationship between the applicant and the Greek State as her employer.

5. Contrary to the opinion of the majority, we do not consider that the fact that the Greek State adopted a different line of legal argument in the latter proceedings could in itself give rise to any issue in terms of the fairness of those proceedings. Even if the adverse outcome of the first proceedings may have prompted the Greek government to proceed with further steps in order to establish a disciplinary responsibility on the part of the applicant, the two proceedings were separate, arose in the context of a different relationship and gave rise to wholly distinct legal issues. There is nothing unusual or per se objectionable in this sequence of events and proceedings – and certainly not from the perspective of procedural fairness.

6. Indeed, the same factual circumstances may often result in a series of proceedings involving different relationships and parties, aimed at determining distinct legal issues. While it may depend on the outcome of the initial proceedings what further litigation might be triggered as a result, and if so in relation to which relationship, on which issues and on which legal basis, the procedural fairness of each set of proceedings remains to be assessed in the light of their specific context and the procedurally relevant events in each of them.

7. In the present case, the Greek State in the first proceedings were concerned with acting in defence, also for the applicant, but did so unsuccessfully. In the second proceedings, the State was concerned with determining the disciplinary responsibility of the applicant, as it was entitled to do (and possibly even required to do as a matter of domestic requirements for enforcing good governance and the proper conduct of public functions). The fact that the Greek State adopted one legal approach in the context where, together with the applicant, it was acting in defence against the claims of N.P., and a different one in its subsequent disciplinary pursuit against the applicant, is not capable of raising an issue in terms of the applicant’s procedural rights under Article 6 – whether in terms of the principle of the equality of arms of otherwise.

8. As regards the specific issue of the documentary evidence submitted by the applicant in the disciplinary proceedings, we recall – as do the majority – the Court’s long-standing and established case-law according to which it is not for this Court to deal with alleged errors of law or fact committed by the national courts unless and in so far as they may have infringed rights and freedoms protected by the Convention, for instance where it can, exceptionally, be said that they are constitutive of “unfairness” incompatible with Article 6 of the Convention. While this provision guarantees the right to a fair hearing, it does not lay down any rules on the admissibility of evidence or the way in which evidence should be assessed, these being primarily matters for regulation by national law and the national courts. Normally, issues such as the weight attached by the national courts to given items of evidence or to findings or assessments in issue before them for consideration are not for the Court to review. The Court should not act as a court of fourth instance and will not therefore question under Article 6 § 1 the judgment of the national courts, unless their findings can be regarded as arbitrary or manifestly unreasonable (see, for instance, Bochan v. Ukraine (no. 2) ([GC], no. 22251/08, § 61, ECHR 2015 with further references).

9. We consider it essential that the Court should adhere to that test.

10. Given the separate and distinct nature of the issues that were determined in the Swiss proceedings on the one hand and the Greek domestic proceedings on the other hand, we do not see any basis for criticising the Greek Conseil d’Etat for not having “taken into account” the impugned documentary evidence submitted by the applicant (§§ 39-41). As it transpires from the citation given in paragraph 18 of the present judgment, it cannot be said that the Conseil d’Etat failed to admit that evidence. Rather, it did consider the relevance of the documents but concluded that, for the reasons given, they were not pertinent to the issue before it. This was a matter for the domestic court to determine in the assessment of the merits of the case it was called upon to examine. It is not something that would engage the procedural rights of the applicant as protected under Article 6. She adduced, and was allowed to adduce, evidence, but that evidence was not considered pertinent for the matter under examination. In our view, the statement in paragraph 40 of the judgment (« la Cour considère que ceux-ci étaient de nature à avoir une incidence sur l’issue de la procédure devant le Conseil d’État ») is erroneous and outside the remit of what the Court can address under Article 6. This provision remains limited to procedural rights and should not be a basis for the Court to intervene in issues of domestic substantive law. In the present circumstances, the usual test of arbitrariness or manifest unreasonableness in matters relating to the admissibility or assessment of evidence is clearly not met.

11. We would add that the case-law cited in paragraph 39 of the judgment does not in our view support the conclusions reached by the majority in the present case. In Fodor v. Romania, the Court first referred to the threshold by using the expression “sauf appréciation indéniablement inexacte” (paragraph 27), which is not the same as “appréciation inexacte” as mentioned in paragraph 39 of the present judgment. Furthermore, in Fodor the issue concerned a medical report which, according to the domestic court’s own assessment, was essential for the establishment of the facts of the case. However, according to the domestic court, the applicant had not contested the conclusions expressed in that medical report, whereas this Court was able to affirm that the applicant had indeed expressly contested them in the domestic proceedings. This Court therefore held that the impugned judgment “était entaché d’une appréciation inexacte du caractère incontesté d’une pièce essentielle pour l’issue du litige” (paragraph 33). Thus, the circumstances of that case were not comparable to those in the present case, where the domestic court simply considered that the evidence in question was not to be taken into account because of its lack of relevance for the issues to be determined. In Dulaurans v. France, the Court relied on the test of “manifest error” when stating that its task was to « s’assurer que l’irrecevabilité de l’unique moyen produit par la requérante à l’appui de son pourvoi ne fut pas le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Cour de cassation » (paragraph 34). In that case, the Court observed that the domestic court in its judgment had made a statement regarding the applicant’s submissions which was contradicted by the operative part of the lower court’s judgment that was under examination on appeal. This unaccounted for contradiction between the content of the two domestic decisions prompted the Court to conclude that a manifest error must have occurred (« l’absence de toute autre motivation amène la Cour à conclure que la seule raison pour laquelle la Cour de cassation rejeta le moyen en question était le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation » ; paragraph 38). Those circumstances were not comparable to those in the present case, either. Finally, in Marcel Saliba v. Malta, the Court was dealing with a peculiar set of circumstances arising from a claim for compensation on account of an alleged crime, where the domestic court had relied on the testimony of one of the claimants although it had been inconsistent. No account had been taken of witness statements raising doubts as to the veracity of that testimony. The Court found it striking that, while highlighting the inconsistencies, the domestic court gave no reasons as to why it considered that the statements remained credible and reliable, such being all the more necessary given that the identification of the applicant by the claimant had occurred only five years after the alleged events. The Court considered that the various failures identified in its judgment might not individually suffice to conclude that the applicant’s trial had been unfair. Nevertheless, the Court held that it could not ignore the various shortcomings in the proceedings, particularly the failure to give reasons in respect of the conflicting evidence and in respect of the applicant’s requests which were shot down with little or no motivation whatsoever (paragraph 79). In our view, it is obvious that the circumstances in Marcel Saliba were also not comparable to those giving rise to the present complaint.

12. We find it troubling that in purporting to rely on existing case-law, the majority in reality are not applying the established test concerning situations where the Court, by way of exception, may be justified under Article 6 in intervening in the assessments of facts and evidence conducted by the domestic courts. Instead, the majority appear to be abandoning the well-established test. We are not able to agree with such a line of action by this Court, which is very ill-placed to adopt any such role.

13. In conclusion, we consider that there has been no violation of Article 6 in the present case.


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