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13/06/2019 | CEDH | N°001-193610

CEDH | CEDH, AFFAIRE SH.D. ET AUTRES c. GRÈCE, AUTRICHE, CROATIE, HONGRIE, MACÉDOINE DU NORD, SERBIE ET SLOVÉNIE, 2019, 001-193610


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SH.D. ET AUTRES c. GRÈCE, AUTRICHE, CROATIE, HONGRIE, MACÉDOINE DU NORD, SERBIE ET SLOVÉNIE

(Requête no 14165/16)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juin 2019

DÉFINITIF

13/09/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sh.D. et autres c. Grèce, Autriche, Croatie, Hongrie, Macédoine du Nord, Serbie et Slovénie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chamb

re composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SH.D. ET AUTRES c. GRÈCE, AUTRICHE, CROATIE, HONGRIE, MACÉDOINE DU NORD, SERBIE ET SLOVÉNIE

(Requête no 14165/16)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juin 2019

DÉFINITIF

13/09/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sh.D. et autres c. Grèce, Autriche, Croatie, Hongrie, Macédoine du Nord, Serbie et Slovénie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Tim Eicke,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14165/16) dirigée contre la République hellénique et sept autres États par cinq ressortissants afghans, dont les noms figurent en annexe (« les requérants »), qui ont saisi la Cour le 15 mars 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La vice-présidente de la section a accédé à la demande de non‑divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. Les requérants ont été représentés par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État. Des observations ont également été reçues de Statewatch, de l’AIRE Centre, du European Council on Refugees and Exiles et de la Commission Internationale des Juristes, que la présidente avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 a) du règlement de la Cour).

3. Les 15 mars, 1er avril et 11 août 2016, les requérants ont introduit plusieurs demandes d’indication de mesures d’urgence en application de l’article 39 du Règlement de la Cour. Les 24 mars, 14 avril et 29 août respectivement, la première section a décidé de ne pas indiquer au gouvernement grec les mesures sollicitées.

4. Les requérants alléguaient en particulier des violations des articles 3 et 5 de la Convention.

5. Le 24 mars 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement grec uniquement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont des mineurs non accompagnés, qui, à l’époque des faits, étaient âgés de quatorze à dix-sept ans. Ils sont d’origine ethnique hazara. Ils disent avoir fui l’Afghanistan par crainte pour leur vie, plusieurs membres de leurs familles ayant, selon eux, été tués dans des attaques menées par des talibans en raison de leur appartenance à la minorité religieuse ismaili.

7. Au début de l’année 2016, les requérants entrèrent illégalement en Grèce, où ils furent appréhendés par la police grecque.

Le 21 février 2016, ils firent l’objet d’arrêtés d’expulsion, délivrés à leur encontre par les autorités de police compétentes, et se virent accorder un délai d’un mois pour quitter le territoire grec. Ayant de la famille en Allemagne (un frère pour le requérant figurant sous le numéro 1, un oncle pour le requérant figurant sous le numéro 3, et un oncle et une tante pour les requérants figurant sous les numéros 2, 4 et 5), les intéressés tentèrent de passer la frontière entre la Grèce et la Macédoine du Nord, mais furent empêchés par les gardes-frontières de ce dernier pays au motif qu’ils étaient Afghans.

8. Le requérant figurant sous le numéro 1 fut arrêté par la police grecque du poste-frontière d’Axioupoli le 23 février 2016 et placé le même jour sous « garde protectrice » (προστατευτική φύλαξη), sur le fondement de l’article 118 du décret no 141/1991, au poste de police de Polykastro pour une période de 24 jours. Le 18 mars 2016, à la suite d’une demande d’application de l’article 39 du règlement, il fut transféré dans la structure d’accueil pour mineurs non accompagnés « Arsis » de Makrinitsa, près de Volos, dans l’attente d’une réponse des autorités grecques et allemandes concernant sa demande de réunification familiale.

9. Quant aux requérants figurant sous les numéros 2 à 5, après avoir été arrêtés sur l’île de Chios le 21 février 2016, avoir fait l’objet d’un ordre d’expulsion émis par la direction de la police de Chios, et avoir été remis en liberté avec injonction de quitter le territoire dans un délai d’un mois, ils passèrent en Grèce continentale et se rendirent à Idomeni, une localité située à la frontière de la Grèce avec la Macédoine du Nord.

10. Pendant une période d’un mois environ, ces requérants furent hébergés dans le camp de fortune d’Idomeni, une structure gérée par des organisations non gouvernementales, notamment Médecins Sans Frontières, ADM Dutch Collectivity et Praksis. À l’époque des faits, ce camp, d’une capacité officielle de 1 500 places, accueillait 13 000 personnes. Lors de la distribution de nourriture (consistant notamment en des sandwichs et en 8 000 plats chauds le soir) et de couvertures, des queues se formaient constamment. Le camp ne disposait pas de sanitaires, ce qui avait pour conséquence que les champs et espaces boisés avoisinants étaient couverts d’excréments. L’absence de sanitaires avait en outre favorisé l’apparition de maladies (des cas d’hépatite A avaient été rapportés), et, avec l’effet combiné des pluies, avait abouti à la formation d’un marécage qui, souvent, inondait les tentes et les abris du camp.

11. Le 31 mars 2016, les requérants figurant sous les numéros 2 à 5, accompagnés par leur avocate, Me Koutra, une assistante de celle-ci et un autre avocat, de nationalité étrangère, furent conduits, aux frais de ces derniers, à Athènes, au Service central d’asile, afin de déposer une demande d’asile. Le même jour, le Centre national de solidarité sociale fut invité à trouver une structure d’accueil appropriée, ce qui s’avéra impossible, car toutes les structures pour mineurs existantes étaient complètes. Lesdits requérants passèrent alors la nuit dans un parc, puis furent hébergés dans une structure dénommée « la maison des migrants », située au centre d’Athènes, où ils étaient nourris.

12. Le 5 avril 2016, le Service central d’asile demanda à Me Koutra de conduire les requérants susmentionnés au camp de réfugiés de Malakasa, un camp servant de site d’accueil d’urgence, géré par l’armée grecque et situé à une heure de route d’Athènes. Sur les conseils de Me Koutra, les mineurs refusèrent de se rendre dans ce camp au motif que les conditions de vie y étaient incompatibles avec leur vulnérabilité et leur état de demandeurs d’asile enregistrés. Selon le Gouvernement, les intéressés ont été recherchés par le Centre national de solidarité sociale à « la maison des migrants » mais n’y ont pas été trouvés.

13. Informé du cas des requérants en question, le procureur chargé de la tutelle des mineurs rencontra l’avocate de ceux-ci, Me Koutra, le 11 avril 2016.

14. Au début du mois de mai 2016, lesdits requérants s’installèrent dans un hôtel squatté situé au centre d’Athènes, le City Plaza, dans lequel des associations de solidarité offraient de la nourriture et un support psychologique. Ils y disposaient d’une chambre dotée d’un lit et d’une salle de bain.

15. Le 25 juillet 2016, les requérants figurant sous les numéros 3 à 5 se présentèrent au Service central d’asile pour un entretien. Toutefois, en raison de l’absence d’interprète, l’entretien n’eut pas lieu.

16. Le même jour, les requérants susmentionnés furent placés dans la structure pour mineurs non accompagnés « Faros », un établissement fonctionnant sous la supervision de l’Ambassade de Norvège et de l’Organisation Internationale pour les Migrations. Selon eux, le quotidien des mineurs hébergés dans cette structure est le suivant : les intéressés se lèvent à 8 heures, prennent leur petit-déjeuner et passent la journée au premier étage du bâtiment, où ils peuvent regarder la télévision, jouer au tennis de table et suivre des cours de langue grecque une fois par semaine. Toujours selon les intéressés, lors de leur séjour dans cette structure, ils avaient constamment faim car la nourriture était de mauvaise qualité et était servie en faible quantité, ils mangeaient de la viande ou du poisson une fois par semaine, et le dîner comprenait uniquement les restes du déjeuner.

17. Le 29 juillet 2016, le requérant figurant sous le numéro 5 se rendit à l’hôpital Evangelismos, où les médecins lui diagnostiquèrent une pleurésie tuberculeuse. Il resta à l’hôpital jusqu’au 12 août 2016, où il reçut quotidiennement des injections intraveineuses d’antibiotiques. Aux dires de l’intéressé, faute d’interprétation mise à sa disposition à l’hôpital, il n’a pas pu communiquer avec les médecins lors de son séjour dans cet établissement, et il n’a eu connaissance du mal dont il souffrait que le dernier jour de son hospitalisation. Le 12 août 2016, le requérant susmentionné retourna dans la structure « Faros ». Sur des dispositions prises par Me Koutra, il se rendit de nouveau à l’hôpital, le 30 août 2016, pour des examens supplémentaires, qui montrèrent une amélioration de son état.

18. Les requérants figurant sous les numéros 3 et 4 furent quant à eux transférés le 19 août 2016, sans préavis, dans la structure spéciale pour mineurs non accompagnés « Mellon », située dans le quartier de Moschato à Athènes et gérée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« le HCR »). D’après ces requérants, la saleté des lieux était insupportable, la nourriture était de très mauvaise qualité, la vaisselle était insuffisante (dix assiettes pour cent résidents), et ils partageaient leur chambre avec d’autres personnes, parmi lesquels des individus âgés de plus de 30 ans qui préparaient des drogues ou faisaient venir des femmes pour passer la nuit. Les deux requérants susmentionnés décidèrent de quitter cette structure, sans prévenir les responsables de l’établissement, et, le 21 août 2016, ils retournèrent à l’hôtel City Plaza.

19. Le 18 septembre 2016, sur ordre du procureur chargé de la tutelle des mineurs, le requérant figurant sous le numéro 3 fut transféré à l’hôpital pour un examen visant à la détermination de son âge. Le 20 octobre 2016, le même procureur enjoignit à ce requérant de quitter immédiatement la structure « Faros » au motif que l’examen précité avait démontré qu’il était âgé de 19 ans environ. Après une intervention de Me Koutra, ledit requérant put rester dans cette structure. D’après le Gouvernement, l’intéressé a par la suite été placé dans une structure dénommée « Médecins du Monde ».

20. Le 5 décembre 2016, le requérant figurant sous le numéro 4 fut arrêté par des policiers et, en raison de sa qualité de mineur, il fut placé pendant huit jours sous « garde protectrice », d’abord pour une nuit au poste de police d’Aghios Stefanos, puis dans une cellule de la direction générale de la police de l’Attique, où il était confiné toute la journée. Selon ce requérant, sa nourriture consistait en deux sandwichs par jour, il était autorisé à aller aux toilettes deux fois par jour et, pour boire de l’eau, il devait s’adresser à un policier, qui lui apportait un verre une heure plus tard. Pendant ces huit jours, l’intéressé n’aurait pas pu prendre de douche et aurait dormi sur un matelas et avec une couverture très sales. Après cette période, et ayant perdu quatre kilos, il serait retourné dans la rue.

21. Quant au requérant figurant sous le numéro 2, en juillet 2016, il se cacha sous un camion et tenta de passer en Italie, par bateau, depuis le port de Patras. Appréhendé par des policiers italiens, il fut remis aux policiers grecs et placé sous « garde protectrice » le 21 juillet 2016 au poste de police du port d’Igoumenitsa. Le 4 août 2016, il tenta de se suicider en se pendant dans sa cellule. Sauvé in extremis, il fut transféré inconscient au centre de santé d’Igoumenitsa et examiné par un pédopsychiatre, lequel attesta que le jeune homme présentait des symptômes de dépression qui étaient apparus au début de sa détention à Igoumenitsa et qui s’étaient aggravés en raison du maintien en détention. Par la suite, l’intéressé fut placé, toujours sous le régime de la « garde protectrice », dans un autre poste de police, à savoir celui de Filiata, afin d’y être soumis à une surveillance accrue de la part des policiers, mais il aurait continué à essayer de mettre fin à ses jours.

22. Le 6 août 2016, après avoir localisé ce requérant, Me Koutra prit contact avec le procureur d’Igoumenitsa et lui demanda de placer l’intéressé dans un hôpital spécialisé. Le procureur refusa d’accéder à cette demande au motif que le mineur « relevait de la juridiction de la police ». Le 18 août 2016, Me Koutra réussit à trouver une place dans une structure d’accueil de l’organisation Arsis à Thessalonique et en informa le procureur. Ce dernier n’approuva le transfert que le 25 août 2016, soit une semaine plus tard, alors que le requérant susmentionné avait passé 34 jours en détention dans une cellule. À cet égard, le Gouvernement indique que le requérant en question occupait seul une cellule de plus de 10 m² et qu’il pouvait, quand il le souhaitait, s’installer dans le bureau de l’officier de garde, mais qu’il n’était toutefois pas autorisé à sortir du bâtiment.

23. Le requérant figurant sous le numéro 3 et le requérant figurant sous le numéro 2 se virent accorder le statut de réfugié par une décision en date du 24 octobre 2016 et une décision en date du 24 janvier 2017, respectivement.

Quant au requérant figurant sous le numéro 5, le 25 novembre 2016, il sollicita le bénéfice de la réunification familiale avec son oncle et sa tante, résidant en Allemagne, auprès du service régional d’asile de Thessalonique, en soumettant des documents à l’appui de sa demande.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

24. L’article 118 du décret no 141/1991 relatif aux compétences des organes et aux actions du personnel du ministère de l’Ordre public et aux questions d’organisation des services prévoit que :

« 1. Sont placées sous garde protectrice les personnes qui, en raison de leur âge ou de leur état psychique ou intellectuel, sont dangereuses pour l’ordre public ou sont exposées à des dangers.

2. Sont notamment placés sous garde protectrice, et jusqu’à ce qu’ils soient remis à leurs proches :

a) les mineurs qui, de manière volontaire ou involontaire, avaient disparu ;

(...)

3. La garde protectrice n’est pas considérée comme une arrestation selon les termes du code de procédure pénale.

4. Les personnes placées sous garde protectrice ne sont pas incarcérées sauf s’il n’est pas possible d’éviter par un autre moyen les dangers auxquels elles sont soumises (...).

5. Lorsqu’une personne est placée sous garde protectrice, un rapport est établi et soumis au procureur près le tribunal correctionnel (...). Le rapport indique, en plus des motifs du placement, la date de début et de fin de celui-ci. »

25. L’article 13 § 6 b) du décret no 114/2010, intitulé « Statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides », qui transpose dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil no 2005/85/CE du 1er décembre 2005, est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 6. Si les demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour le temps nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs. »

26. La loi no 3907/2011, intitulée « Service d’asile et de premier accueil, retour des personnes résidant illégalement, permis de séjour, etc. » est entrée en vigueur le 26 janvier 2011. Elle transpose dans l’ordre juridique grec la directive du Parlement européen et du Conseil no 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Cette loi prévoit en son article 32 que :

« 1. Les mineurs non accompagnés (...) ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort pour la période appropriée la plus brève possible.

(...)

4. Les mineurs non accompagnés bénéficient, dans la mesure du possible, d’un hébergement dans des institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins des personnes de leur âge.

5. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale dans le cadre de la rétention de mineurs dans l’attente d’un éloignement. »

III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

27. La Résolution 1810(2011) de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux problèmes liés à l’arrivée, au séjour et au retour d’enfants non accompagnés en Europe dispose notamment :

« 5. L’Assemblée est convaincue que la protection des enfants, et non le contrôle de l’immigration, devrait être le principe moteur des Etats à l’égard des enfants non accompagnés. Dans cet esprit, elle définit l’ensemble des 15 principes communs suivants que les Etats membres sont invités à observer et à mettre en pratique en œuvrant de concert:

5.1. les enfants non accompagnés doivent être traités avant tout comme des enfants et non comme des migrants;

5.2. l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans toutes les décisions prises à son égard, quel que soit son statut au regard de la réglementation sur l’immigration ou sur le séjour;

(...)

5.5. tout enfant non accompagné devrait être placé immédiatement sous la responsabilité d’un tuteur mandaté pour sauvegarder son intérêt supérieur. (...)

5.6. une assistance juridique, sociale et psychologique devrait être offerte sans délai aux enfants non accompagnés. Il conviendrait de les informer immédiatement après leur arrivée ou leur interpellation, individuellement, dans une langue et sous une forme qu’ils peuvent comprendre, de leur droit d’être protégés et assistés, y compris de leur droit de demander l’asile ou d’autres formes de protection internationale, ainsi que des procédures nécessaires et de leurs conséquences;

(...)

5.8. l’accès aux procédures d’asile et de protection internationale doit être assuré sans condition à l’ensemble des enfants non accompagnés. Il convient de mettre en place un système d’asile harmonisé adapté à l’enfant, qui intègre des procédures prenant en considération les difficultés supplémentaires que peuvent rencontrer les enfants pour surmonter leurs traumatismes et raconter de façon cohérente ce qu’ils ont vécu et leurs expériences de persécution spécifique aux enfants. Les demandes d’asile déposées par les enfants non accompagnés devraient être considérées comme prioritaires et traitées dans le délai le plus court possible, tout en leur laissant suffisamment de temps pour comprendre le processus et s’y préparer. Outre le tuteur, les enfants non accompagnés devraient tous être représentés dans les procédures d’asile par un avocat mis à leur disposition gratuitement par l’Etat et pouvoir faire appel des décisions concernant leur demande de protection devant un tribunal;

5.9. la rétention d’enfants non accompagnés pour des motifs liés à la migration ne saurait être tolérée. Elle devrait être remplacée par des dispositions appropriées de prise en charge, de préférence le placement dans une famille, de manière à assurer aux enfants des conditions de vie appropriées à leurs besoins pendant la période appropriée. S’ils sont hébergés dans des centres, les enfants doivent être séparés des adultes.

(...)

5.12. la recherche d’une solution durable devrait être l’objectif ultime dès le premier contact avec l’enfant non accompagné. Il devrait s’agir notamment de rechercher, à la demande de l’enfant ou de son tuteur – si cela ne présente aucun risque et n’expose pas la famille à un danger –, des membres de sa famille, de procéder à une évaluation individualisée de l’intérêt supérieur de l’enfant, en étudiant sur un pied d’égalité toutes les options possibles de solution durable. Cette dernière peut être l’intégration de l’enfant dans le pays d’accueil, le regroupement familial dans un pays tiers ou le retour et la réinsertion dans le pays d’origine. (...)

5.13. l’accès à un hébergement approprié, à l’éducation, à la formation professionnelle et à des soins de santé doit être garanti à tous les enfants non accompagnés, quel que soit leur statut de migrant, dans les mêmes conditions que les enfants ressortissants du pays d’accueil. Les enfants non accompagnés devraient en outre pouvoir bénéficier de programmes complets de protection de l’enfance. Ceux-ci devraient, le cas échéant, tenir compte de leurs besoins affectifs à la suite d’un traumatisme et, outre l’assistance psychologique qui doit être offerte sans délai (voir paragraphe 5.6), comporter des mesures telles qu’un soutien scolaire ciblé, un placement en famille d’accueil ou en établissement spécialisé, ou une aide à l’intégration pour les enfants handicapés;

5.14. les possibilités de regroupement familial devraient être étendues au-delà du pays d’origine et envisagées dans une perspective humanitaire en examinant les relations familiales au sens large dans le pays d’accueil et dans des pays tiers, en se fondant sur le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.(...) »

IV. LES CONSTATS DE DIFFÉRENTES ORGANISATIONS

28. Dans son rapport du 26 septembre 2017, établi à la suite de deux visites en Grèce, la première ayant eu lieu du 13 au 18 avril 2016 et la seconde du 19 au 25 juillet 2016, le CPT a souligné que la pratique qui consistait à placer en détention dans des postes de police, dans un but « protecteur », pendant plusieurs jours, voire des semaines, les mineurs non accompagnés ou séparés sans aucune assistance ou soutien psychologique et social était inacceptable. Il a exposé que le bien-être des mineurs devait être primordial, ce qui, par définition, devait exclure tout hébergement dans des postes de police ou des postes de gardes-frontières.

29. Le 19 février 2019, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié le rapport de sa dernière visite en Grèce, qui s’est déroulée du 10 au 19 avril 2018.

30. Dans ce rapport, le CPT a recommandé une nouvelle fois aux autorités grecques d’augmenter considérablement le nombre de foyers ouverts (ou semi‑ouverts) spécialement destinés aux mineurs isolés et de revoir complètement leur politique concernant la rétention des mineurs isolés, que ce soit aux fins d’accueil et d’identification ou « à titre de protection ». Le CPT les a exhortées à cesser de retenir des enfants non accompagnés dans les centres d’accueil et d’identification, dans les centres de rétention, dans les locaux de rétention destinés aux migrants en situation irrégulière, dans les commissariats de police et dans les postes des gardes‑frontières.

31. Par ailleurs, dans son rapport du 26 avril 2016, publié à la suite d’une visite sur le site d’Idomeni en mars 2016, le Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés s’est déclaré gravement préoccupé par la situation de plus de 13 000 personnes rassemblées à cet endroit, et dont plus de 8 000 étaient des femmes et des enfants. Il a précisé que les autorités grecques avaient exprimé le souhait de fermer ce camp de fortune aussitôt que possible. Il a ajouté que, en dépit des efforts déployés par le HCR et de nombreuses organisations non gouvernementales, notamment Médecins Sans Frontières, pour soulager les souffrances des personnes qui campaient à Idomeni, la situation de ces dernières sur le site était telle qu’il était difficile de ne pas partager l’approche des autorités.

32. Dans un rapport sur les conditions de vie dans les camps de réfugiés de la Grèce du nord, établi sur la base d’informations disponibles au 21 mars 2016, l’organisation non gouvernementale Hellenic Action for Human Rights a décrit la situation régnant dans le camp d’Idomeni. Elle y a indiqué ce qui suit : les autorités étatiques étaient absentes du camp, à l’exception de quelques policiers qui surveillaient les derniers cent mètres jusqu’à la frontière ; plusieurs incidents avaient été rapportés et la sécurité des personnes n’était pas garantie ; la police n’autorisait pas les taxis à s’approcher du camp, ce qui mettait plus de pression pour les personnes, épuisées, qui cherchaient à se procurer des produits de première nécessité ; pour se chauffer, les résidents brûlaient du bois, des détritus ou du plastique ; le HCR, des médecins et des bénévoles qui faisaient la cuisine pour les réfugiés étaient les seuls à fournir une aide (distribuée au hasard) à des personnes désespérées, épuisées et malades (dont des personnes âgées et des enfants en bas âge) qui vivaient dans de mauvaises conditions.

33. Dans son rapport, cette organisation a précisé que le nombre de personnes dans le camp s’élevait à 10 500 à la date du 18 mars 2016. Elle a aussi indiqué ce qui suit : la nourriture, insuffisante, était fournie par des bénévoles ; le nombre de robinets d’eau courante et de sanitaires était insuffisant ; la grande majorité des personnes dormait dans des tentes sans chauffage ou dans des abris de fortune, ou n’avait aucun abri ; des cas d’hépatite A, de diarrhée et de dysenterie avaient fait leur apparition.

34. Enfin, d’après les déclarations de la porte-parole de Médecins Sans Frontières, en l’absence d’un nombre suffisant de toilettes et de douches, plusieurs personnes faisaient leurs besoins dans les champs, et, lorsqu’il pleuvait, les excréments se répandaient partout, ce qui était particulièrement dangereux pour les enfants qui jouaient par terre.

EN DROIT

I. QUESTION PRÉLIMINAIRE

35. Dans ses observations du 9 février 2017, faites en réponse à celles des requérants, le Gouvernement se réfère au contenu d’un document en date du 11 octobre 2016 adressé par le parquet d’Athènes à son agent, relatif aux dépositions faites par certains des requérants au parquet. Ainsi, selon ce document, le requérant figurant sous le numéro 3 a déclaré ne pas reconnaître sa signature sur le pouvoir présenté par son avocate, Me Koutra, à la Cour. Quant aux requérants figurant sous les numéros 4 et 5, ils auraient reconnu leurs signatures, mais auraient affirmé ne connaître ni la qualité de Me Koutra ni le contenu des pouvoirs signés par eux. Ils auraient déclaré croire que c’était une organisation de bienfaisance qui leur avait demandé de signer ces pouvoirs. Eu égard aux dépositions de ces trois requérants, le Gouvernement conteste les pouvoirs déposés devant la Cour par Me Koutra, et il invite la Cour à exiger de ces requérants qu’ils soumettent des pouvoirs récents par lesquels ils habiliteraient cette avocate à les représenter.

36. La Cour note que les requérants ont produit à deux reprises devant elle des pouvoirs autorisant Me Koutra à les représenter : la première fois, à l’occasion de l’introduction de leurs demandes d’application de l’article 39 du règlement, et la deuxième avec l’envoi de leur formulaire de requête. Elle note aussi que Me Koutra a assumé la représentation des requérants sur le plan interne pour l’accomplissement de toutes les démarches concernant ceux-ci relatives soit à la présentation de leurs demandes d’asile soit à leur transfert dans des structures d’accueil pour mineurs ou, pour le requérant figurant sous le numéro 5, à l’hôpital Evangelismos. Dans ces conditions, la Cour estime peu convaincante l’allégation selon laquelle les requérants, des adolescents âgés de 14 à 17 ans à l’époque des faits, pouvaient avoir des doutes quant à la profession de leur représentante et son intention d’introduire une requête devant elle.

37. La requête a donc été valablement introduite et, par conséquent, la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire de demander aux intéressés de produire de nouveaux pouvoirs.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES À L’ENCONTRE DE LA GRÈCE

A. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

38. Les requérants figurant sous les numéros 1 et 2 se plaignent de leurs conditions de séjour dans les postes de police de Polykastro et de Filiata, où ils avaient été placés sous le régime de la « garde protectrice ». De même, ceux figurant sous les numéros 2 à 5 se plaignent de leurs conditions de vie dans le camp d’Idomeni. Tous allèguent une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Sur la recevabilité

39. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Arguments des parties, et position du tiers intervenant Statewatch

i. Les requérants

40. Le requérant figurant sous le numéro 1 allègue qu’il a été détenu avec trois mineurs syriens dans une petite cellule qui aurait été dépourvue d’air frais et d’où il n’aurait pas pu sortir. Il dit aussi que la nourriture était inadéquate et qu’aucune assistance psychologique ou médicale ne lui a été dispensée. Il ajoute que ses seuls soutiens étaient un volontaire du collectif néerlandais ADM, qui lui aurait rendu visite quelques fois, et une personne d’une organisation non gouvernementale grecque accueillant des mineurs dans des structures appropriées. Il précise que, aux dires de cette personne, les mineurs syriens avaient priorité pour le placement dans de telles structures.

41. Les requérants figurant sous les numéros 2 à 5 décrivent comme suit leurs conditions de vie dans le camp d’Idomeni : ils occupaient une tente dépourvue de sol en dur, qui, par conséquent, ne leur assurait pas une protection contre la pluie et la boue ; ils n’avaient reçu ni vêtements ni couvertures ; aucun soin médical n’avait été dispensé aux requérants figurant sous les numéros 2 et 4, pourtant très malades ; le nombre de toilettes étant insuffisant, les champs environnants étaient couverts d’excréments ; les quatre requérants concernés n’avaient pas régulièrement accès à la nourriture et, lorsqu’ils y parvenaient, celle-ci était très pauvre ; il existait une grande hostilité des réfugiés dans le camp envers les Afghans en général ; cette inimitié se traduisait, entre autres, par la distribution des tickets de nourriture aux seuls arabophones, ce qui laissait les locuteurs farsis, parmi lesquels les Afghans, avoir seulement accès à la distribution de nourriture organisée les après-midis.

ii. Le Gouvernement

42. Le Gouvernement indique que le requérant figurant sous le numéro 1 a été placé sous « garde protectrice » pendant 23 jours au poste de police de Polykastro avant d’être transféré dans la structure pour mineurs non accompagnés « Arsis » à Makrinitsa, et que le requérant figurant sous le numéro 2 a été placé sous « garde protectrice » pendant 34 jours successivement aux postes de police d’Igoumenitsa et de Filiata avant d’être transféré dans la structure pour mineurs non accompagnés « Arsis » à Thessalonique. Il précise que ce dernier requérant occupait seul une cellule de plus de 10 m² et qu’il pouvait, quand il le souhaitait, s’installer au bureau de l’officier de garde.

43. En ce qui concerne les requérants figurant sous les numéros 3 et 4, le Gouvernement expose qu’ils étaient hébergés dans la structure « Mellon » à Athènes jusqu’au 21 août 2016, puis dans un hôtel squatté, le City Plaza. Quant au requérant figurant sous le numéro 5, le Gouvernement dit qu’il était hébergé dans la structure « Faros » à Athènes et, après sa majorité, dans la structure « Médecins du Monde ». Il dit aussi que ce requérant a été hospitalisé pour une tuberculose à l’hôpital Evangelismos du 30 juillet au 12 août 2016 et qu’il y est retourné les 2 et 6 décembre 2016 pour des examens supplémentaires.

44. Enfin, le Gouvernement indique que, du 1er janvier au 30 septembre 2016, les demandes reçues par le Centre national de solidarité sociale pour le placement de mineurs non accompagnés dans des structures appropriées s’élevaient à 4 007, alors qu’au cours des neuf premiers mois de l’année 2015 ce nombre aurait été de 1 411. Il ajoute que le nombre de lits disponibles dans de telles structures s’élevait à 1 047 en 2016, et seulement à 477 en 2015.

45. Le Gouvernement ne fait aucune référence aux conditions régnant au camp d’Idomeni.

iii. Le tiers intervenant Statewatch

46. L’organisation Statewatch estime que la vulnérabilité particulière des mineurs demandeurs d’asile non accompagnés, résultant tant de leur âge que de leur état de demandeurs d’asile solitaires, exige de procéder à une évaluation de la compatibilité avec l’article 3 de la Convention de la manière dont la Grèce gère les structures d’accueil et traite les demandes d’asile. Elle précise que, pour ce faire, il convient de prendre en considération les obligations énoncées dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, qui incluraient les principes de non‑discrimination, de l’intérêt supérieur de l’enfant et de droit de celui-ci à des soins médicaux adéquats et à un certain niveau de vie, ainsi que des dispositions relatives à la santé psychologique et physique de l’enfant et à son développement éducatif et émotionnel. Selon ce tiers intervenant, les graves carences existant en Grèce en matière de garde, d’accueil (y compris le recours à la détention) et de protection des mineurs non accompagnés et de traitement de leurs demandes, telles que relatées par les institutions des Nations unies et de l’Union européenne ainsi que par les organisations non gouvernementales, persistent à un degré de gravité incompatible avec l’article 3 de la Convention.

47. L’organisation Statewatch considère aussi que les États ayant pris part à la décision de fermer la route des Balkans occidentaux avaient connaissance ou devaient avoir connaissance des graves carences systémiques existant en Grèce concernant les demandeurs d’asile, notamment en matière d’accueil et de garde des mineurs non accompagnés et de traitement de leurs demandes. À ses yeux, l’interdiction faite aux mineurs demandeurs d’asile non accompagnés de passer les frontières des pays limitrophes de la Grèce viole l’obligation de non-refoulement garantie par le droit international des réfugiés et des droits de l’homme et est incompatible avec l’article 3 de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

i. Sur les postes de police

48. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (voir, parmi d’autres, Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013, Kavouris et autres c. Grèce, no 73237/12, §§ 35-40, 17 avril 2014, et Tenko c. Grèce, no 7811/15, 21 juillet 2016). Mis à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées, ayant notamment trait au surpeuplement, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention comprises entre un et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 (Siasios et autres, précité, § 32, Vafiadis, précité, §§ 35-36, Shuvaev, précité, § 39, Tabesh, précité, § 43, Efremidze, précité, § 41, Aslanis, précité, § 39, Chazaryan c. Grèce, no 76951/12, 16 juillet 2015, Peidis c. Grèce, no 728/13, 16 juillet 2015, Ali et autres c. Grèce, no 13385/14, §§ 15-20, 7 avril 2016, Grammosenis et autres c. Grèce, no 16287/13, §§ 48-50, 30 mars 2017, Iatropoulos et autres c. Grèce, no 23262/13, §§ 37-41, 20 avril 2017, et S.Z. c. Grèce, no 66702/13, §§ 38-42, 21 juin 2018). La Cour note que, dans l’affaire Tsarpelas c. Grèce (no 74884/13, §§ 48-50, 26 avril 2018), elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention pour une durée de détention de vingt-sept jours, étant donné la vulnérabilité du requérant, liée en particulier au fait que celui-ci avait été amputé de la jambe droite, de sorte qu’il utilisait des béquilles pour se déplacer. La Cour a même conclu à la violation de l’article 3 pour une durée de détention de quelques jours subi par de jeunes enfants dans les arrêts A.B. et autres c. France (no 11593/12, 12 juillet 2016), R.M. et autres c. France (no 33201/11, 12 juillet 2016), A.M. c. France (no 24587/12, 12 juillet 2016), R.K. et autres c. France (no 68264/14, 12 juillet 2016) et R.C. et V.C. c. France (no 76491/14, 12 juillet 2016).

49. La Cour relève qu’en l’espèce les requérants 1, 2 et 4 ont fait l’objet de mesures de placement dans les locaux de la police. Le requérant figurant sous le numéro 1 a ainsi été placé sous « garde protectrice » au poste de police de Polykastro du 23 février au 18 mars 2016. Le requérant figurant sous le numéro 2, arrêté le 21 juillet 2016, a quant à lui été placé sous « garde protectrice » d’abord au poste de police du port d’Igoumenitsa puis au poste de police de Filiata, où il est resté jusqu’au 25 août 2016. Enfin, le 5 décembre 2016, le requérant figurant sous le numéro 4 a aussi été placé sous « garde protectrice », d’abord pour une nuit au poste de police d’Aghios Stefanos, puis pour huit jours dans une cellule de la direction générale de la police de l’Attique. Ces trois requérants étaient confinés dans leurs cellules pendant toute la journée, et le requérant figurant sous le numéro 4 était sous-alimenté, obligé de dormir sur un matelas sale et avec une couverture très sale et n’avait accès ni à l’eau courante ni aux toilettes (paragraphe 20 ci-dessus). Le requérant figurant sous le numéro 2 a vu son placement être poursuivi au poste de police de Filiata même après sa tentative de suicide et le constat du pédopsychiatre selon lequel son état dépressif s’était aggravé pendant son séjour au poste de police du port d’Igoumenitsa (paragraphe 21 ci-dessus).

50. La Cour souligne que les postes de police présentent des caractéristiques pouvant faire naître chez le détenu un sentiment de solitude (absence d’enceinte extérieure pour se promener ou faire de l’exercice physique, de structures de restauration interne, de postes de radio ou de télévision permettant d’avoir un contact avec le monde extérieur) et ne sont pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée. Ainsi, la détention dans ces lieux pourrait faire naître chez les intéressés des sentiments d’isolement du monde extérieur, avec des conséquences potentiellement négatives sur leur bien-être physique et moral. La Cour note aussi que, dans son rapport du 26 septembre 2017, établi à la suite de ses précédentes visites en Grèce, le CPT a indiqué que la pratique qui consistait à placer en détention dans des postes de police, dans un but « protecteur », pendant plusieurs jours, voire des semaines, les mineurs non accompagnés ou séparés sans aucune assistance ou soutien psychologique et social était inacceptable (paragraphe 28 ci-dessus). Le CPT a réitéré ce constat dans son rapport du 19 février 2019, dans lequel il a de nouveau recommandé aux autorités grecques de cesser de retenir des enfants non accompagnés, entre autres, dans les commissariats de police et dans les postes des gardes-frontières (paragraphes 29-30 ci-dessus).

51. Par conséquent, la Cour considère que les conditions de détention auxquelles les requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 ont été soumis au sein de différents postes de police équivalent à un traitement dégradant, et elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

ii. Sur le camp d’Idomeni

52. En premier lieu, la Cour note que les requérants figurant sous les numéros 2 à 5, qui ont séjourné dans ce camp, n’étaient pas détenus. Ils avaient eux-mêmes choisi de s’y rendre et pouvaient à tout moment le quitter.

53. D’autre part, la Cour note que le camp d’Idomeni était un camp de fortune créé par des milliers de réfugiés dans leur effort de quitter la Grèce et de passer dans la Macédoine du Nord dans l’espoir de poursuivre leur route vers d’autres pays de l’Europe occidentale. Cela a été aussi le cas des requérants susmentionnés, qui voulant gagner l’Allemagne ou la Suisse aux fins de la réunification familiale, y ont séjourné pendant une période d’un mois environ.

54. Les requérants affirment que, d’une capacité officielle de 1 500 places, ce camp accueillait 13 000 personnes. Lors de la distribution de nourriture (consistant notamment en des sandwichs et en 8 000 plats chauds le soir) et de couvertures, des queues se formaient constamment. Le camp ne disposait pas de sanitaires, ce qui avait pour conséquence que les champs et espaces boisés avoisinants étaient couverts d’excréments. L’absence de sanitaires avait en outre favorisé l’apparition de maladies (des cas d’hépatite A avaient été rapportés), et, avec l’effet combiné des pluies, avait abouti à la formation d’un marécage qui, souvent, inondait les tentes et les abris du camp (paragraphe 10 ci‑dessus). Les allégations desdits requérants sont corroborées par les constats de l’organisation non gouvernementale Hellenic Action for Human Rights dans son rapport basé sur des informations relatives au camp d’Idomeni disponibles au 21 mars 2016 (paragraphes 3233 ci-dessus), donc à une période au cours de laquelle les intéressés se trouvaient dans le camp.

55. La Cour relève que les États qui, tel l’État défendeur, sont parties à la Convention relative aux droits de l’enfant, sont tenus en vertu de l’article 20 de celle-ci de garantir à tout enfant « temporairement ou définitivement privé de son milieu familial » relevant de leur juridiction « une protection de remplacement conforme à sa législation nationale » ; l’article 20 précise que cette obligation s’impose quelle que soit l’origine nationale de l’enfant. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour qu’au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention, les États parties sont tenus de protéger et de prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés (Khan c. France, no 12267/16, § 44, 28 février 2019).

56. Plus précisément, dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir, par exemple, N.T.P. et autres c. France, no 68862/13, § 44, 24 mai 2018, ainsi que les arrêts auxquels il renvoie, et Rahimi, précité, § 87). La Cour a ainsi souligné dans l’arrêt Rahimi précité (ibidem) qu’en tant que mineur étranger non accompagné en situation irrégulière, le requérant relevait de la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société », et qu’il appartenait à l’État grec de le protéger et de le prendre en charge par l’adoption de mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 (ibid. § 74).

57. L’obligation de protection et de prise en charge des requérants était donc susceptible de s’imposer d’office aux autorités internes (ibid. § 45).

58. La Cour est consciente du fait que le camp d’Idomeni, étant un camp de fortune établi par les réfugiés eux-mêmes, échappait à tout contrôle des autorités étatiques. Les occupants du camp vivaient en situation de grande précarité, évoluaient dans des conditions matérielles déplorables et leur survie dépendait de l’aide apportée par les quelques organisations non-gouvernementales présentes sur le site. L’expansion du camp et l’aggravation des conditions de vie en son sein sont, dans une certaine mesure, imputables à la lenteur avec laquelle l’État a procédé au démantèlement de ce camp et surtout à l’omission de mettre lui-même en place des moyens pour pallier la crise humanitaire qui a caractérisé ce camp tout au long de son existence, le seul engagement de quelques organisations non gouvernementales ne suffisant pas à faire face à l’ampleur des problèmes.

59. En outre, en son article 19, relatif aux mineurs non accompagnés, le décret no 220/2007 fait obligation aux autorités compétentes de prendre immédiatement les mesures appropriées, afin d’assurer la protection nécessaire de ceux-ci. Parmi ces mesures figure l’obligation d’informer le procureur compétent en matière de mineurs et, à défaut d’existence d’un tel procureur, le procureur près le tribunal de première instance territorialement compétent, qui agit comme un tuteur provisoire et entreprend les démarches nécessaires pour la désignation d’un tuteur. À cet égard, la Cour note que les autorités ayant procédé à l’arrestation initiale, sur l’île de Chios, des requérants susmentionnés ont remis ceux-ci en liberté afin de les inciter à quitter le territoire grec dans un délai d’un mois (paragraphe 9 ci-dessus). Or il ne ressort pas du dossier qu’un procureur ait été informé de la présence de ces mineurs non accompagnés sur le territoire national. S’il l’avait été, il aurait dû prendre des mesures appropriées pour les faire transférer dans une structure d’accueil appropriée et leur éviter de vivre plusieurs jours durant dans un environnement manifestement inadapté à leur condition de mineurs non accompagnés.

60. Or, ces circonstances conduisent en elles-mêmes à s’interroger sur le respect à leur égard, par l’État défendeur, de l’obligation de protection et de prise en charge des mineurs isolés étrangers qui résulte de l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Khan, précité, § 88).

61. Les requérants ont ainsi vécu durant un mois dans le camp d’Idomeni, dans un environnement inadapté à leur condition d’adolescents, que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins, et dans une précarité incompatible avec leur jeune âge. Eu égard à ce constat, la Cour n’est pas convaincue que les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection des requérants susmentionnés, qui pesait sur l’État défendeur s’agissant des personnes particulièrement vulnérables en raison de leur âge.

62. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de vie des requérants figurant sous les numéros 2 à 5 dans le camp d’Idomeni.

B. Sur la violation de l’article 5 de la Convention

63. Les requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 dénoncent leur placement sous « garde protectrice » dans les locaux de la police (en l’occurrence, respectivement, les postes de police de Polykastro, de Filiata et d’Aghios Stefanos) en ce qu’il n’aurait pas été compatible avec l’article 5 § 1 de la Convention. En sa partie pertinente en l’espèce, cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales.

(...) »

1. Sur la recevabilité

64. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Arguments des parties, et position des tiers intervenants AIRE Centre, European Council on Refugees and Exiles (ECRE) et Commission Internationale des Juristes (ICJ)

i. Les requérants

65. Les requérants soutiennent qu’ils ont été arbitrairement privés de leur liberté par le procureur compétent, soit selon eux par la personne qui était leur tuteur et était chargée de veiller à ce qu’ils ne soient pas victimes de violations de la Convention. Ils arguent que l’absence de dispositions légales prévoyant l’information des mineurs qui se trouvent dans une telle situation et leur assistance par des spécialistes (y compris des avocats), combinée avec la vulnérabilité des intéressés, rend la privation de liberté encore plus difficile. En outre, ils disent que le fait que cette détention s’effectue dans des lieux où, selon eux, des êtres humains ne peuvent vivre plus de 48 heures en raison des conditions qui y règnent, ainsi que le manque d’informations sur la durée de celle-ci rendent cette détention extrêmement angoissante et sont de nature à briser la résistance physique et psychique des mineurs et de mettre en danger leur vie. Ils en veulent pour preuve ce qui est arrivé au requérant figurant sous le numéro 2 après le 21 juillet 2016.

ii. Le Gouvernement

66. Sans le mentionner expressément, le Gouvernement semble contester l’applicabilité de l’article 5 de la Convention en l’espèce. Il indique que les requérants étaient placés dans les postes de police sous le régime de la « garde protectrice », un régime qui se distinguerait clairement de la détention, et ce, selon lui, pendant une période strictement nécessaire, le temps de trouver une structure appropriée pour mineurs capable d’accueillir les intéressés. Il ajoute que non seulement toutes les structures d’accueil pour mineurs non accompagnés étaient complètes à l’époque des faits mais aussi que 3 000 demandes d’hébergement pour des mineurs étaient alors pendantes.

iii. Les tiers intervenants AIRE Centre, ECRE et CIJ

67. Les tiers intervenants AIRE Centre, ECRE et CIJ exposent que la détention de mineurs est arbitraire sous l’angle de l’article 5 § 1 f) de la Convention lorsqu’aucune considération adéquate n’est prêtée aux besoins individuels de l’enfant ou lorsque la détention ne sert pas les besoins particuliers de celui-ci. À leurs dires, selon le droit international des droits de l’homme, et compte tenu de l’état de vulnérabilité qui est inhérente à chaque enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci doit prédominer et servir de guide pour toute mesure et décision à prendre après une évaluation de ses besoins particuliers. D’après ces tiers intervenants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait écarter tout recours à la détention d’un enfant, quel qu’il soit le contexte, et en particulier lorsque le recours à la détention a lieu dans le cadre du contrôle de l’immigration. À cet égard, ces tiers intervenants attirent l’attention de la Cour sur plusieurs textes internationaux, notamment la Résolution 1810(2011) de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux problèmes liés à l’arrivée, au séjour et au retour d’enfants non accompagnés en Europe (paragraphe 27 ci-dessus), ainsi que les lignes directrices du HCR en matière de détention et d’enfants réfugiés – des textes excluant toute détention de mineurs demandeurs d’asile non accompagnés. Selon eux, lorsqu’un État omet de désigner un tuteur pour un enfant non accompagné, il ne respecte pas l’aspect procédural de l’intérêt supérieur de l’enfant, et, lorsqu’il n’y a pas de tuteur désigné ou pas de tuteur effectif pour un enfant placé en détention, la privation de liberté risque d’être arbitraire.

68. En se fondant sur les obligations résultant pour les États du droit de l’Union européenne, ces tiers intervenants déclarent qu’une évaluation individualisée des besoins spécifiques de l’enfant doit être entreprise dans un cadre formel comportant des garanties procédurales strictes et impliquant la participation active de l’enfant dans la désignation d’un tuteur. Ils précisent que le tuteur doit être désigné aussitôt que possible et avant le début de toute procédure administrative. Selon eux, ne pas agir ainsi compromettrait le principe d’effectivité et la considération fondamentale à accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant.

b) Appréciation de la Cour

69. La Cour est d’avis que le placement des requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 dans les postes de police s’analyse en une privation de liberté. À cet égard, elle relève que les autorités ont appliqué de manière automatique l’article 118 du décret no 141/1991 prévoyant la « garde protectrice » (paragraphe 24 ci-dessus). Or ce texte n’a pas été conçu pour les migrants mineurs non accompagnés, et il ne fixe pas de limite temporelle, ce qui peut conduire à des situations où la privation de liberté de mineurs non accompagnés peut se prolonger pendant des périodes assez longues. Cela est d’autant plus problématique lorsque cette privation de liberté a lieu dans des postes de police, où les conditions de détention sont incompatibles avec de longues détentions. De plus, la Cour rappelle que l’article 13 § 6 b) du décret no 114/2010 (paragraphe 25 ci-dessus), qui transpose en droit grec la directive 2005/85/CE du Conseil de l’Union européenne, prévoit que les autorités doivent éviter la détention des mineurs. En outre, l’article 32 de la loi no 3907/2011 prévoit que les mineurs non accompagnés ne doivent être placés en rétention qu’en dernier ressort, pour la période la plus brève possible. Enfin, l’article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 oblige les États à prendre impérativement en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans la prise des décisions le concernant. Par conséquent, la Cour estime que le Gouvernement n’explique pas pour quelle raison les autorités ont d’abord placé les requérants susmentionnés dans des postes de police et dans des conditions de détention dégradantes, et non dans d’autres lieux d’hébergement provisoire. Elle conclut donc que la détention desdits requérants n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition (voir, aussi dans ce sens, H.A. et autres, précité, §§ 198-208).

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

70. Les requérants se plaignent enfin de diverses violations des articles 1, 2, 13 et 14 de la Convention. Ils indiquent, en outre, que la requête, dans son ensemble, n’est pas seulement dirigée contre la Grèce, mais aussi contre l’Autriche, la Croatie, la Hongrie, la Macédoine du Nord, la Serbie et la Slovénie.

71. Ayant examiné les arguments des requérants à la lumière de l’ensemble des pièces du dossier, et pour autant que ces griefs relèvent de sa compétence, la Cour estime que ceux-ci ne révèlent aucune apparence d’une violation des droits et libertés énoncés dans la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

73. Au titre du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi, les requérants demandent les sommes suivantes : 204,50 euros (EUR) pour le requérant figurant sous le numéro 1 ; 2 756,50 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 2 ; 2 900,50 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 3 ; et 5 690,50 EUR pour chacun des requérants figurant sous les numéros 4 et 5. Ils indiquent que ces sommes correspondent à celles que le Gouvernement aurait au minimum dû leur verser s’il avait respecté son obligation de les loger et de les nourrir convenablement.

Au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi en raison de leurs conditions de vie, qu’ils qualifient de mauvaises, les requérants réclament les sommes suivantes : 40 000 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 1 ; 80 000 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 2 ; 33 000 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 3 ; 30 000 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 4 ; et 20 000 EUR pour le requérant figurant sous le numéro 5. Ils demandent que ces sommes soient versées sur le compte bancaire indiqué par leur avocate et qu’elles ne soient pas soumises au système de contrôle des capitaux actuellement en vigueur en Grèce.

74. En ce qui concerne le dommage matériel, le Gouvernement estime qu’il n’existe pas de lien de causalité entre ce dommage et les violations de la Convention. Quant au dommage moral, il considère que les sommes réclamées sont excessives et totalement injustifiées et qu’un constat de violation de la Convention constituerait une satisfaction suffisante.

75. La Cour rappelle qu’elle a constaté la violation de l’article 3 (conditions de détention dans les postes de police concernant les requérants 1, 2 et 4 et conditions de vie dans le camp d’Idomeni concernant les requérants 2 à 5) ainsi que de l’article 5 § 1 de la Convention. Statuant en équité et tenant compte de la durée de la détention des requérants, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer 6 000 EUR aux requérants 1, 2, 3 et 5 et 4 000 EUR au requérant 4 au titre du dommage moral.

B. Frais et dépens

76. Les requérants demandent 10 889 EUR pour les honoraires de Me Koutra devant les autorités grecques et devant la Cour (dont 889 EUR correspondant aux frais de route d’Idomeni à Athènes), ainsi que 6 000 EUR pour le travail juridique fourni par plusieurs autres avocats spécialistes postérieurement à l’introduction de la requête, dont le minimum de la rémunération fixée par le code des avocats s’élèverait à 99 EUR l’heure. Ils demandent que ces sommes soient versées sur le compte bancaire indiqué par leur avocate et qu’elles soient exclues du système de contrôle des capitaux actuellement en vigueur en Grèce.

77. Le Gouvernement considère que les sommes réclamées sont excessives et que, si la Cour estimait devoir accorder une somme pour frais et dépens, celle-ci ne devrait pas dépasser 500 EUR. En outre, d’après lui, le code des avocats ne fixe pas de rémunération minimum telle qu’indiquée par les requérants. Par ailleurs, toujours d’après lui, les sommes réclamées pour les frais engagés en Grèce n’ont pas de lien de causalité avec les violations de la Convention.

78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

79. En l’espèce, la Cour note d’abord qu’elle a décidé de ne pas appliquer l’article 39 dans la présente affaire et qu’elle n’a communiqué qu’une partie des griefs des requérants. Elle note aussi que les requérants n’ont pas déposé devant elle la copie d’un quelconque accord qu’ils auraient conclu avec leur avocate quant à la rémunération de celle-ci.

80. Compte tenu de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant elle, somme à verser directement sur le compte bancaire de leur avocate.

C. Intérêts moratoires

81. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention, pour autant qu’ils sont dirigés contre la Grèce, recevables, et le restant de la requête irrecevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention des requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 dans différents postes de police ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de vie des requérants figurant sous les numéros 2 à 5 dans le camp d’Idomeni ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef des requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 4 000 EUR (quatre mille euros) au requérant 4 et 6 000 EUR (six mille euros) aux requérants 1, 2, 3 et 5, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par ceux-ci à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire de leur avocate ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente

ANNEXE

No

|

Prénom NOM

|

Date de naissance

|

Nationalité

---|---|---|---

1

|

Sh. D.

|

07/07/2000

|

afghan

2

|

A. A.

|

26/12/2001

|

afghan

3

|

S. M.

|

01/01/1999

|

afghan

4

|

M. M.

|

01/01/2001

|

afghan

5

|

A. B. M.

|

01/01/1999

|

afghan


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