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23/05/2019 | CEDH | N°001-193088

CEDH | CEDH, AFFAIRE SINE TSAGGARAKIS A.E.E. c. GRÈCE, 2019, 001-193088


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SINE TSAGGARAKIS A.E.E. c. GRÈCE

(Requête no 17257/13)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mai 2019

DÉFINITIF

07/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Ar

men Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Gilberto Felici, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SINE TSAGGARAKIS A.E.E. c. GRÈCE

(Requête no 17257/13)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mai 2019

DÉFINITIF

07/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Gilberto Felici, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 avril 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17257/13) dirigée contre la République hellénique et dont une société ayant son siège dans cet État, Sine Tsaggarakis A.E.E. (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 mars 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me N. Frangakis, avocat exerçant à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme A. Magrippi, auditrice au Conseil juridique de l’État.

3. La requérante allègue en particulier une violation des articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 13 de la Convention.

4. Le 6 avril 2017, les griefs concernant les articles 6 § 1 et 13 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La société requérante opérait dans le domaine des services de divertissement. Dans ce cadre, elle exploitait un multiplex à Héraklion. Lorsque des sociétés concurrentes obtinrent des permis de construction et d’exploitation pour un multiplex, la requérante introduisit, le 30 octobre 2007, un recours en annulation de ces permis devant le Conseil d’État. Elle soutenait notamment que ces permis étaient illégaux car, d’une part, il était construit dans un secteur destiné seulement à la construction des résidences privées, et, d’autre part, le permis d’exploitation avait été accordé sans que les autorités aient procédé à un examen préalable concernant le respect des conditions environnementales prévue par la réglementation pertinente. Elle alléguait par ailleurs que le fonctionnement du multiplex concurrent en exécution des permis illégaux lui faisait subir une concurrence déloyale, elle-même étant une exploitante de multiplex situé dans un quartier voisin de la ville d’Héraklion.

6. Les sociétés qui avaient construit et faisaient fonctionner le multiplex ainsi qu’une coopérative agricole qui leur avait vendu le terrain mais qui possédait et exploitait également différents commerces à proximité du multiplex, demandèrent d’intervenir dans la procédure. La coopérative agricole invoquait un préjudice économique qui résulterait de la diminution de la clientèle de ses commerces au cas où il y aurait cessation de fonctionnement du multiplex.

7. Le 15 avril 2009, la requérante saisit à nouveau le Conseil d’État d’un recours en annulation de l’omission de la mairie d’Héraklion d’examiner une demande de révocation des permis précités qu’elle avait faite en 2005.

8. Par un arrêt no 2375/2010, la quatrième section du Conseil d’État rejeta d’abord la demande d’intervention présentée par la coopérative agricole en considérant que celle-ci n’établissait pas un lien de causalité pour le préjudice allégué. Par la suite, elle affirma que la légalité du permis de construction d’un cinéma ne pouvait pas, en raison du principe de la confiance légitime, être réexaminée par l’administration lors de l’octroi du permis d’exploitation. Plus précisément, la quatrième section souligna ce qui suit :

« 6. (...) Selon la majorité du tribunal, la question de savoir s’il est permis d’installer un cinéma dans un secteur déterminé, compte tenu de la réglementation relative à l’usage de terrains dans ce secteur, constitue une condition légale pour l’octroi du permis d’installation du cinéma et est examiné lors de l’examen de la demande d’un tel permis, mais non pour l’octroi du permis d’exploitation du cinéma pour qu’il puisse y avoir un nouvel examen de cette question afin d’accorder un tel permis. D’ailleurs, d’une manière générale, conformément aux dispositions de la loi, il est exigé, en vue de la construction d’une installation pour l’exercice d’une activité commerciale, d’abord l’octroi d’un permis d’installation, puis, pour que l’activité commerciale démarre, l’octroi d’un permis d’exploitation. La question de savoir si la loi permet l’installation dans le secteur, compte tenu de la réglementation relative à l’usage de terrains, doit être prise en considération en tant que condition légale pour l’octroi du permis de construction ou d’installation mais non pour l’octroi du permis d’exploitation. Seule une telle interprétation des dispositions de la loi est en conformité totale avec la Constitution, qui garantit d’une part la protection de l’environnement (article 24), et, d’autre part, la protection de la confiance et la stabilité des situations juridiques ou réelles établies par des actes administratifs, comme principes généraux du droit.

Le principe d’interprétation, applicable à l’interprétation de la Constitution, de l’harmonisation pratique des dispositions de celle-ci, avec les principes généraux que celle-ci garantit, dicte la plus grande protection possible. Une telle interprétation des dispositions de la loi assure que la protection de l’environnement, qui est prévue par la Constitution, est garantie par le fait qu’une exigence légale pour l’octroi d’un permis de construction ou d’installation consiste en l’autorisation de s’y installer en fonction de l’usage de terrains. D’autre part, les principes généraux, constitutionnellement protégés, de la confiance légitime et de la stabilité des situations juridiques et réelles (...) sont aussi garantis au profit de l’administré qui, après avoir obtenu le permis de construction ou d’installation se croit de bonne foi bénéficiaire d’un droit de construire et a procédé aux dépenses nécessaires pour réaliser l’investissement projeté en conformité avec les termes du permis (...). Par conséquent, selon la majorité, le réexamen de la question de savoir s’il est autorisé d’installer un cinéma dans un secteur autorisé n’est pas permis au stade de l’octroi du permis d’exploitation. Un tel réexamen équivaudrait à procéder à un contrôle incident du permis d’installation après la construction des installations conformément au permis, ce qui est en réalité interdit (...)

(...)

9. Considérant que ce moyen, par lequel il est essentiellement reproché à l’administration (au maire) de ne pas avoir procédé au stade de l’octroi du permis d’exploitation du multiplex à un nouvel examen de la question de savoir si le fonctionnement du cinéma est permise dans un secteur de la ville où, selon le plan de la ville, un tel usage ne serait pas permis, doit être rejeté comme mal fondé conformément à ce qui a été admis par la majorité dans le considérant no 6. (...) »

9. Toutefois, s’apercevant qu’il y avait divergence de jurisprudence entre la cinquième section et la quatrième section sur la question de l’examen de la compatibilité précitée au stade de l’octroi du permis d’exploitation, la quatrième section décida de renvoyer l’affaire à la formation plénière du Conseil d’État. Elle se prononça ainsi :

« En raison de l’importance majeure de la question sous examen, sur laquelle il existe une jurisprudence contraire concernant des affaires similaires soumises à la cinquième section (Conseil d’État, arrêts no 1528/2008 et no 2319/2002 (...), la section considère que ces questions doivent être renvoyées à la formation plénière afin qu’elles soient résolues, en application de l’article 14 § 2 b) du décret présidentiel no 18/1989 (...) »

10. En effet, dans son arrêt no 1528/2008, la cinquième section avait réitéré sa jurisprudence antérieure (arrêt no 2319/2002) qui affirmait que :

« 13. (...) Au sens des dispositions précitées de la loi no 2516/1197, la question de savoir s’il est permis d’installer une activité industrielle ou artisanale dans un secteur déterminé par rapport à l’usage permis des terrains dans ce secteur, est en principe examinée au stade de l’octroi du permis de construction. Cependant, au sens de ces mêmes dispositions, le réexamen de ces questions au stade de l’octroi du permis d’exploitation, compte tenu du fait que la loi ne permet pas (...) d’accorder un permis d’exploitation à une entreprise dont le fonctionnement dans ce secteur déterminé n’est pas permis selon les dispositions existantes, n’est pas exclu .

14. (...) Par ailleurs, il ressort des dispositions précitées de la loi no 2516/1997 que la question de savoir s’il est permis d’installer une activité industrielle dans un secteur déterminé par rapport à l’usage permis des terrains dans ce secteur peut être réexaminée aussi au stade du renouvellement du permis d’exploitation (...). »

11. Le 20 juin 2011, la formation plénière du Conseil d’État rendit son arrêt no 1792/2011. Elle souligna ce qui suit :

« 8. Il résulte de la combinaison (...) des dispositions des articles 25 du code des mairies et communes et 80 et 81 de la loi no 3463/2006, interprétées à la lumière de l’article 24 §§ 1 et 2 de la Constitution relatif au bon aménagement du territoire et au planning urbanistique du pays, que l’examen de la question de savoir s’il est autorisé d’installer un cinéma dans un secteur déterminé au regard de l’usage des terrains autorisé dans ce secteur, est effectué tant au stade de l’octroi du permis de construction qu’au stade de l’octroi du permis d’exploitation. C’est seulement de cette manière qu’est assurée le caractère fonctionnel des agglomérations et les meilleures conditions possibles de l’habitat (arrêts de la formation plénière du Conseil d’État no 1528/2003, 123/2007 et 3059/2009). Par conséquent, pour qu’il puisse octroyer le permis d’exploitation d’une installation déterminée, comme le multiplex, lequel du point de vue urbanistique et des conséquences sur la morphologie du secteur diffère essentiellement d’un simple cinéma, l’organe compétent de la Collectivité locale a l’obligation de contrôler si cet usage est compatible avec l’usage prévu par le plan d’urbanisme général du secteur, et cela d’autant plus qu’un tel contrôle n’a pas été effectué aux stades de l’octroi des permis précédents.

L’omission de cet organe de procéder à un tel contrôle rend en principe illégal l’acte par lequel a été octroyé le permis d’exploitation. Par ailleurs, comme (...) la création des situations qui sont contraires aux principes du bon aménagement du territoire et du planning urbanistique n’est pas permise et il s’impose de procéder au contrôle de l’autorisation d’une installation dans un secteur déterminé tant au stade de l’octroi du permis d’installation qu’au stade du permis d’exploitation, il n’est pas question dans le cas présent d’appliquer les principes de la confiance légitime et de la stabilité des situations administratives compte tenu que ces principes ne peuvent pas être appliqués dans des cas où la situation, comme en l’espèce, a été créée en violation des dispositions constitutionnelles. Par conséquent, ce qui est allégué en sens contraire doit être rejeté comme mal fondé.

(...)

10. Compte tenu qu’il est allégué que les permis d’exploitation et de construction du multiplex ont été accordés de manière illégale (...) car celui-ci est située dans un secteur résidentiel où les espaces de rassemblement du public sont interdits (...). Plus particulièrement, la requérante allègue que le secteur dans lequel se trouve le multiplex a été inclus dans le plan de la ville par le décret du 15 août 1958 qui ne fixait pas l’usage auquel les terrains étaient destinés. Par la suite, la décision ministérielle 26968/1271 du 29 mars 1988 a approuvé le plan général de la ville d’Héraklion et a affirmé la nature résidentielle du secteur litigieux. Cette décision était contraignante, selon la requérante, pour l’octroi des permis de construction (...) lesquels ne pouvaient être accordés en fonction de l’ancienne réglementation (celui du décret du 15 août 1958) que dans le cas où un dossier complet avait été déposé au service d’urbanisme à la date de l’approbation du plan de la ville. (...) En l’occurrence, à la date du dépôt du dossier du multiplex (le 24 février 2003), à la date de l’octroi du permis de construction ainsi qu’à celles de l’octroi des permis d’installation et d’exploitation (...), il était interdit, selon la requérante, d’utiliser ce secteur comme lieu de rassemblement du public (...) et était seulement permis l’usage des terrains pour la construction de résidences privées (...). Le paragraphe 3 du plan général de la ville de 2003 ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce, car si le dossier a été déposé le 24 février 2003, c’est-à-dire antérieurement à la publication dudit plan (le 8 juillet 2003), il n’était pas complet. Et cela parce que certaines pièces justificatives n’avaient pas été incluses (...). Plus particulièrement, n’avaient pas été inclus, mais ont été déposés après la publication du plan général de la ville, le permis d’installation, le certificat de hauteur permise, l’approbation d’installation d’une station d’électricité, le permis de construction d’une garage souterrain et une attestation du cadastre (...).

11. Le moyen par lequel il est reproché en réalité à l’administration de ne pas avoir procédé au stade de l’octroi du permis d’exploitation du multiplex à un nouvel examen de la question de savoir si le fonctionnement de celui-ci dans un secteur où selon le plan de la ville un tel usage n’était pas autorisé, doit être examiné par la section comme ayant été soulevé de manière recevable, conformément à ce qui a été admis par la majorité au point 8. Après la résolution de différentes questions, l’affaire doit être renvoyée à la section pour jugement supplémentaire. »

12. Le 28 août 2012, la quatrième section rendit son arrêt (no 3064/2012) par lequel elle rejeta le recours en annulation de la requérante en ces termes :

« 11. Comme l’a affirmé l’arrêt de la formation plénière du Conseil d’État, l’organe administratif compétent pour accorder le permis d’exploitation d’un multiplex a l’obligation d’examiner si cet usage est autorisé par les dispositions pertinentes en vigueur concernant un secteur déterminé. Par conséquent, le moyen d’annulation contre l’acte octroyant un permis d’exploitation d’un multiplex au motif que les dispositions du plan d’urbanisme relatives à l’usage des terrains ont été violées, est soulevé de manière recevable. Toutefois, comme l’a admis l’arrêt de la formation plénière du Conseil d’État, l’omission de l’autorité administrative compétente pour octroyer le permis précité de procéder au contrôle l’usage autorisé des terrains rend illégal seulement « en principe » le permis d’exploitation du multiplex octroyé. Par analogie, c’est seulement en principe que dans ce cas il n’est pas question d’application des principes de la confiance légitime et de la stabilité des situations administratives, ce qui ferait obstacle au contrôle précité. En revanche, il n’est pas exclu que, dans de circonstances exceptionnelles, le refus d’accorder un permis d’exploitation au motif que l’usage projeté n’est pas autorisé par les dispositions de la législation urbanistique pour le secteur concerné se heurte aux principes constitutionnels précités et être par conséquent illégal, notamment lorsqu’à la suite d’une série d’actions positives des organes compétents pendant les différents stades de la procédure administrative, la personne intéressée de bonne foi a eu la conviction raisonnable que l’usage projeté n’était pas contraire au statut urbanistique du secteur. (...)

15. (...) Conformément à l’arrêt no 1729/2011 de la formation plénière et à ce qui est exposé au point 11 du présent arrêt, il s’impose d’examiner si, dans le cas présent, il y avait des circonstances exceptionnelles qui rendraient le refus d’accorder le permis d’exploitation illégal, comme contraire aux principes constitutionnels de la confiance légitime de la personne intéressée de bonne foi et de la stabilité des situations administratives. En outre, comme il a été mentionné au point 7, en vue de la construction et de l’exploitation du multiplex litigieux la mairie d’Héraklion (...) a émis, entre 2003 et 2007, une série d’actes administratifs. Or, ces actes, en raison de leur contenu et des conditions légales de leur émission, ont créé à leurs destinataires, dont la bonne foi n’est pas contestée, la conviction raisonnable que les services compétents ont examiné et ont admis que la construction et l’exploitation du multiplex n’était pas contraire à l’usage autorisé des terrains dans ce secteur. Compte tenu du nombre d’actes émis, de leur contenu et du temps qui s’est écoulé, il existe, en l’occurrence, des circonstances exceptionnelles qui rendraient illégal, en tant que contraire aux principes constitutionnels précités, le refus éventuel d’accorder un permis d’exploitation au multiplex au motif que l’usage projeté n’est pas autorisé par les dispositions relatives à l’usage des terrains du secteur. Par conséquent, le moyen selon lequel le permis d’exploitation du multiplex encourt l’annulation car dans le secteur le rassemblement de personnes n’est pas autorisé, est soulevé de manière recevable, mais il doit cependant, eu égard aux circonstances de l’espèce, être rejeté comme mal fondé. (...) »

13. Le 2 février 2009, la requérante avait aussi saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation contre l’omission de la mairie d’Héraklion de mettre des scellés sur le multiplex concurrent. En effet, le 23 septembre 2008, la requérante avait demandé au bureau d’urbanisme de mettre sous scellés le multiplex concurrent. Par un arrêt no 2738/2014 du 18 août 2014, la cinquième section du Conseil d’État donna gain de cause à la requérante. Elle considéra que l’administration était obligée de mettre sous scellés le multiplex et que son omission de le faire était sujette à annulation.

14. La cinquième section du Conseil d’État considéra que la question de l’octroi d’un permis d’exploitation était distincte de celle de la mise sous scellés car cette dernière était prévue par des dispositions différentes et qui avaient pour effet de restreindre l’ampleur de la confiance légitime. Elle conclut que l’arrêt no 3064/2012 ne produisait pas d’effet de chose jugée concernant l’imposition de la mesure de mise sous scellés.

15. La cinquième section du Conseil d’État renvoya l’affaire à la mairie d’Héraklion afin que celle-ci mette le multiplex sous scellés.

16. Le 6 octobre 2014, la société qui avait fait construire le multiplex concurrent fit une demande afin de soumettre le multiplex aux dispositions de la loi no 4178/2013 relative à la régularisation des constructions illégales. La requérante introduisit un recours contre cette demande devant le Conseil d’État. Elle alléguait que soumettre le multiplex aux dispositions de cette loi serait illégal car une des conditions sine qua non pour l’application de la loi était que l’usage fait du terrain ne soit pas interdit dans un secteur déterminé ou n’était pas interdit à la date de l’émission du permis de construction ou d’exploitation. La procédure est encore pendante devant le Conseil d’État.

17. Le 9 octobre 2014, des représentants de la Direction d’urbanisme d’Héraklion se rendirent au multiplex concurrent et établirent un rapport d’inspection dans lequel ils ordonnèrent l’arrêt de fonctionnement et la mise sous scellés du multiplex afin de se conformer à l’arrêt no 2738/2014 précité.

18. Le 2 mars 2015, la requérante saisit le comité des trois membres du Conseil d’État pour se plaindre du défaut d’exécution de l’arrêt no 2738/2014 par la mairie d’Héraklion.

19. Le 30 novembre 2016, le comité des trois membres rejeta un recours de la requérante. Le comité considéra qu’il n’y avait pas en l’espèce refus de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État ou exécution partielle de cet arrêt, faute pour l’administration d’avoir procédé, comme le soutenait la requérante, à la mise sous scellés du multiplex. Cela, parce qu’à la suite de l’arrêt précité, il y avait eu demande de régularisation du fonctionnement du multiplex conformément aux dispositions de la loi no 4178/2013. Or, la légalité de cette demande et ses conséquences ne pouvaient pas faire l’objet d’un examen par ce comité mais pouvaient, en revanche, faire l’objet d’un nouveau recours devant les juridictions administratives.

20. En dépit de l’arrêt no 2738/2014, le multiplex concurrent poursuivit et poursuit son fonctionnement.

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

21. En sa partie pertinente, l’article 24 de la Constitution dispose :

« 1. La protection de l’environnement naturel et culturel constitue une obligation de l’État et un droit pour chacun. L’État est obligé de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives pour protéger l’environnement conformément au principe de durabilité. La loi règle les matières relatives à la protection des forêts et des espaces forestiers en général. La tenue d’un registre des forêts constitue une obligation pour l’État. La modification de l’affectation des forêts et des espaces forestiers est interdite, à moins que leur exploitation agricole ou un autre usage imposé par l’intérêt public ne soit prioritaire pour l’économie nationale.

2. L’aménagement du territoire du pays, la formation, le développement, l’urbanisme et l’extension des villes et des zones à urbaniser en général relèvent de la législation et du contrôle de l’État, afin de servir au caractère fonctionnel et au développement des agglomérations et d’assurer les meilleures conditions de vie possibles. »

22. Les articles pertinents du décret no 18/1989 portant codification des lois relatives au Conseil d’État prévoit :

Article 14

« 2. La formation plénière est compétente :

a) pour toute question ou affaire qui est renvoyée devant elle par décision d’une section, composée de cinq ou de sept juges, en raison d’une importance accrue, notamment lorsqu’il s’agit des questions d’intérêt général. (...)

(...)

3. La formation plénière peut, après s’être prononcée sur une question d’intérêt général, statuer elle-même sur l’affaire ou la renvoyer à la Section compétente. »

Article 50 § 5

« Les arrêts de la formation plénière, qu’ils accueillent ou qu’ils rejettent le recours en annulation, ainsi que les arrêts des sections produisent un effet de chose jugé à l’égard des parties (...) »

Article 69A

« 1. Une décision judiciaire, au sujet de laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’elle a été rendue en violation du droit à un procès équitable ou d’un article substantiel de la Convention, est sujette à une demande de réouverture de la procédure devant la formation judiciaire du Conseil d’État qui l’a rendue.

2. Les personnes ayant droit d’introduire la demande susmentionné sont celles qui étaient parties à la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (...) »

23. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit :

« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

24. Par un arrêt no 48/2016, le Conseil d’État considéra que l’article 105 précité s’applique également au cas où un dommage a été causé par les actes des autorités judiciaires, que ces actes concernent l’exercice même de la fonction juridictionnelle ou des questions de nature administrative, mais seulement lorsque le dommage est dû à l’erreur manifeste d’un magistrat.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

25. La requérante se plaint que sa cause n’a pas été entendue équitablement et notamment en respectant le principe de la sécurité juridique, ainsi que de manière impartiale, car la formation plénière (arrêt no 1792/2011) et la quatrième section du Conseil d’État (arrêt no 3064/2012) ont rendu des arrêts contradictoires dans son affaire. Elle allègue une violation l’article 6 § 1 de la Convention, qui dans sa partie pertinente ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1. Sur la recevabilité

26. En premier lieu, le Gouvernement soutient qu’à la date de l’introduction de la requête à la Cour, le 5 mars 2013, les voies de recours internes n’avaient pas encore été épuisées : d’une part, le recours en annulation introduit le 2 février 2009 par la requérante devant le Conseil d’État était encore pendant ; d’autre part, la procédure relative à la régularisation des illégalités des permis de la société concurrente et le recours y relatif devant le Conseil d’État étaient aussi pendants. En outre, il affirme que si la requérante estimait que la quatrième section a commis une erreur manifeste, elle aurait dû introduire une action en dommages-intérêts contre l’État sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

27. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que la requérante a perdu sa qualité de victime. En effet, en saisissant le Conseil d’État d’un recours en annulation de l’omission de l’administration de mettre sous scellés le multiplex concurrent et en obtenant gain de cause dans cette procédure, la requérante ne peut plus prétendre que l’issue de la procédure relative à son premier recours devant le Conseil d’État était encore « déterminante » pour le droit à la sécurité juridique dont elle se prévaut.

28. La requérante conteste les exceptions du Gouvernement. Les conséquences d’un procès inéquitable ne peuvent pas être ignorées au prétexte que le requérant a tenté par tous les moyens légaux de se protéger des actes arbitraires de l’administration. Tenter à obtenir gain de cause par d’autres procédures non liées à celle qui a abouti aux arrêts no 3064/2012 et no 3065/2012 rendus par la quatrième section ne peut pas conduire à considérer comme « prescrites » les violations de la Convention, ni à considérer que la requérante a perdu sa qualité de victime. Les procédures ultérieures engagées en l’espèce ne pouvaient pas effacer les violations des articles 6 § 1 et 13 commises par la quatrième section.

29. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. L’obligation découlant de l’article 35 se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, §§ 6970, CEDH 2009). Quant à la qualité de « victime », la Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010, et Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 128, CEDH 2012).

30. En ce qui concerne l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour relève, comme le souligne la requérante, que la procédure par rapport à laquelle celle-ci allègue la violation de l’article 6 § 1 a pris fin avec les arrêts no 3064/2012 et no 3065/2012 de la quatrième section du Conseil d’État. Le recours en annulation de l’omission de l’administration de mettre sous scellés le multiplex concurrent et le recours en annulation de la demande de la société concurrente de bénéficier de la loi relative à la régularisation des constructions illégales avaient un objet différent de celle visant à l’annulation des permis de construction et d’exploitation. Ils ne sauraient donc être considérés comme ayant eu pour effet de prolonger la procédure dont se plaint la requérante. Quant au recours sur le fondement de l’article 105 précité, le fait que la quatrième section du Conseil d’État, en faisant sa propre analyse des circonstances de l’affaire, n’a pas suivi l’interprétation donnée par la formation plénière de celui-ci, ne saurait s’analyser en une erreur manifeste du pouvoir judiciaire, selon la jurisprudence du Conseil d’État, ouvrant la voie à indemnisation.

31. En ce qui concerne la deuxième exception du Gouvernement, la Cour estime que la qualité de victime d’une violation du droit à un procès équitable ne saurait être perdue au motif qu’un autre arrêt portant sur une question différente de celle faisant l’objet de la violation alléguée par l’intéressé a été rendu en faveur de celui-ci dans le cadre d’une autre procédure. En effet, l’arrêt no 2738/2014 du Conseil d’État concernait l’omission de l’administration de mettre sous scellés le multiplex concurrent et avait donc un objet différent de celui de la procédure ayant abouti aux arrêts no 3064/2012 et no 3065/2012. La Cour note de surcroît à cet égard que l’arrêt no 2738/2014 en question reste à ce jour en attente d’être exécuté. Quant à la procédure relative à la demande de régularisation du multiplex concurrent, elle a aussi un objet différent.

32. La Cour rejette donc les deux exceptions soulevées par le Gouvernement.

33. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Applicabilité de l’article 6

34. Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de l’article 6 dans la présente affaire, mais la Cour estime devoir examiner d’office cette question.

35. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet « civil », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. Enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, parmi beaucoup d’autres, Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 42, CEDH 2015, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 100, CEDH 2016).

36. S’agissant tout d’abord de l’existence d’un droit, la Cour rappelle qu’il faut prendre pour point de départ les dispositions du droit national pertinent et l’interprétation qu’en font les juridictions internes. L’article 6 § 1 n’assure aux « droits et obligations » aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des États contractants : la Cour ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné. Les droits ainsi conférés par les législations nationales peuvent être soit matériels, soit procéduraux, soit encore une combinaison des deux (Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, § 49, série A no 327‑A, Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, §§ 119120, CEDH 2005‑X, Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 91, CEDH 2012, Al-Dulimi et Montana Management INC. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 97, CEDH 2016, et les autres références y citées, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 101, CEDH 2016, et Paroisse grécocatholique de Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 71, CEDH 2016 (extraits), Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, §§ 99-101, 19 septembre 2017).

37. Dans certaines hypothèses, le droit national, sans reconnaître un droit subjectif à un individu, lui confère en revanche le droit à une procédure d’examen de sa demande, appelant le juge compétent à statuer sur des moyens tels que l’arbitraire, le détournement de pouvoir ou encore les vices de procédure. Tel est le cas de certaines décisions pour lesquelles l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’octroyer ou de refuser un avantage ou un privilège, la loi conférant à l’administré le droit de saisir la justice qui, au cas où celle-ci constaterait le caractère illégal de la décision, peut en prononcer l’annulation. En pareil cas, l’article 6 § 1 de la Convention est applicable, à condition que l’avantage ou le privilège, une fois accordé, crée un droit civil (Regner, précité, § 105).

38. La Cour note qu’en saisissant le Conseil d’État d’un recours en annulation des permis accordés par la mairie d’Héraklion pour la construction du multiplex concurrent, la requérante soutenait que ces permis étaient illégaux car, d’une part, il était construit dans un secteur destiné seulement à la construction des résidences privées, et, d’autre part, le permis d’exploitation avait été accordé sans que les autorités aient procédé à un examen préalable concernant le respect des conditions environnementales prévue par la réglementation pertinente. Elle alléguait par ailleurs que le fonctionnement du multiplex concurrent en exécution des permis illégaux lui faisait subir une concurrence déloyale, elle-même étant une exploitante de multiplex dans un quartier voisin de la ville d’Héraklion (paragraphe 5 ci-dessus).

39. Si, à première vue, le litige semble porter sur une question de défense de la légalité, la Cour considère que le recours de la requérante ne peut pas être assimilé à des recours de type actio popularis. En effet, outre des arguments relatifs à la conformité générale des permis litigieux avec la législation applicable, la requérante soulevait aussi des arguments tenant au respect des conditions de l’environnement ainsi qu’aux effets du fonctionnement du multiplex en question sur ses intérêts patrimoniaux en vertu d’une concurrence prétendument déloyale.

40. Or, la Cour estime que la « contestation » dont il s’agit en l’espèce était déterminante pour les droits civils de la requérante, à savoir ses intérêts patrimoniaux. La concurrence déloyale invoquée par la requérante était liée à la perte de la clientèle qu’avait commencé à subir la requérante en raison du fonctionnement d’un multiplex qui était construit illégalement à proximité de son cinéma. La Cour rappelle qu’elle a déjà affirmé, dans sa jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 1, que la clientèle, revêtant à beaucoup d’égards le caractère d’un droit privé, s’analysait en une valeur patrimoniale et donc en un bien (Van Marle et autres c. PaysBas, 26 juin 1986, série A no 101, § 41 ; Döring c. Allemagne (déc.), no. 37595/97, CEDH 1999-VIII; Wendenburg et autres c. Allemagne (déc.), no 71630/01, CEDH 2003-II; Buzescu c. Roumanie, no. 61302/00, § 81, 24 mai 2005; Oklešen et Pokopališko Pogrebne Storitve Leopold Oklešen S.P. c. Slovénie, no. 35264/04, § 54, 30 novembre 2010 et KönyvTár Kft et autres c. Hongrie, no 21623/13, §§ 31-32, 16 octobre 2018). Plus particulièrement encore, la Cour rappelle que dans l’arrêt Iatridis c. Grèce ([GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II), elle a souligné que grâce à l’exploitation d’un cinéma pendant de longues années, le requérant avait constitué une clientèle qui s’analysait en une valeur patrimoniale relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1. Il en est de même du cinéma de la requérante lequel, au fil de ses longues années de fonctionnement, s’était constitué sa propre clientèle. En conséquence, la « contestation » avait clairement un impact considérable sur les droits de caractère civil de la requérante car elle avait trait à la protection des intérêts patrimoniaux de celle-ci.

41. De surcroît, la qualité pour agir de la requérante n’a jamais été contestée par les intervenants dans la procédure ni par les diverses formations du Conseil d’État qui ont statué sur l’affaire. La Cour note à cet égard que la quatrième section a rejeté la demande d’intervention présentée par une coopérative agricole qui possédait et exploitait des commerces à proximité du multiplex concurrent et qui invoquait un préjudice économique qui résulterait de la diminution de la clientèle de ces commerces en cas de cessation de fonctionnement du multiplex. À cet égard, la quatrième section a considéré que la coopérative n’établissait pas un lien de causalité pour le préjudice allégué (paragraphes 6 et 8 ci-dessus).

42. La Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, notamment l’enjeu du recours, la nature des actes attaqués et la qualité pour agir de la requérante, que la « contestation » soulevée par la requérante avait un lien suffisant avec un « droit de caractère civil » dont l’intéressée pouvait se dire titulaire (voir, mutatis mutandis, Bursa Barosu Başkanlığı et autres c. Turquie, no 25680/05, §§ 127-128, 19 juin 2018). Enfin, l’issue de la procédure devant le Conseil d’État était directement déterminante pour le droit en question car une décision favorable à la requérante aurait entraîné la fermeture du multiplex concurrent, but poursuivi en réalité par le recours en annulation de la requérante.

43. La Cour constate que tous les critères établis par sa jurisprudence concernant l’applicabilité de l’article 6 en matière civile et mentionnés au paragraphe 34 ci-dessus se trouvent remplis et en l’espèce et conclut que l’article 6 trouve donc à s’appliquer.

2. Observation de l’article 6

a) Arguments des parties

44. La requérante soutient qu’il ressort sans aucun doute des arrêts no 3064/2012 et no 3065/2012 que la quatrième section du Conseil d’État n’a pas suivi l’interprétation des dispositions pertinentes par la formation plénière de celui-ci. L’obligation d’une Chambre de se conformer à un arrêt de la formation plénière résulte non seulement des dispositions internes pertinentes mais aussi du caractère solennel de la formation plénière en tant que formation judiciaire. Le fait qu’une Chambre décide de renvoyer une affaire à la formation plénière témoigne du besoin de la Chambre de bénéficier de l’apport de plusieurs juges expérimentés pour se prononcer sur une affaire. Il est dès lors surprenant qu’à la suite de l’arrêt de la formation plénière, la quatrième section ait décidé de ne pas suivre cet arrêt et de statuer différemment sans même indiquer les circonstances exceptionnelles qu’elle a mentionnées dans son arrêt et qui rendraient légaux le permis de construction et d’exploitation du multiplex concurrent.

45. Le Gouvernement soutient que le principe de la sécurité juridique n’a pas été ébranlé par le refus allégué de la quatrième section de se conformer à l’arrêt de la formation plénière et cela même si l’on admet qu’il y ait eu un tel refus. L’arrêt non définitif de la formation plénière et l’arrêt définitif de la quatrième section ont été rendus dans les limites du renvoi et dans celles de la marge juridictionnelle que leur reconnaît la Constitution et la loi pour statuer dans une affaire. Les deux arrêts ne révèlent pas une divergence de jurisprudence profonde du Conseil d’État qui statue de manière contradictoire dans des affaires similaires avec des parties différentes.

46. Le Gouvernement précise qu’à supposer même que la quatrième section devait se conformer à l’arrêt de la formation plénière qui lui a renvoyé l’affaire, il n’y a pas eu violation du principe de la sécurité juridique. Il ressort des motifs de l’arrêt que la quatrième section ne s’est pas opposée à l’interprétation des dispositions pertinentes faite par la formation plénière. Elle s’est limitée à déceler en l’espèce des circonstances exceptionnelles justifiant l’application du principe de la confiance légitime.

47. Le Gouvernement conclut ne trouvant pas établi : a) qu’un arrêt définitif de la formation plénière du Conseil d’État ait été contesté ; que la requérante avait un droit acquis à ce que la quatrième section, à laquelle la formation plénière a renvoyé l’affaire, ne statue pas à la suite d’un nouvel examen de l’affaire ; c) que plusieurs affaires de ce type ont été portées devant le Conseil d’État et celui-ci a interprété de manière contradictoire les mêmes dispositions du droit interne ; et d) qu’il y avait une divergence de jurisprudence « profonde et persistante » du Conseil d’État quant à l’interprétation des dispositions pertinentes.

b) Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

48. La Cour rappelle d’emblée son arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], no 13279/05, §§ 49-58 et 61, 20 octobre 2011), dans lequel ont été posés les principes applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence. Ces principes peuvent se résumer comme suit :

a) Dans ce type d’affaires, l’appréciation de la Cour repose constamment sur le principe de la sécurité juridique, qui est implicite dans l’ensemble des articles de la Convention et qui constitue l’un des éléments fondamentaux de l’état de droit (Nejdet Sahin et Perihan Sahin, précité, § 56). Ce principe tend notamment à garantir une certaine stabilité des situations juridiques et à favoriser la confiance du public dans la justice. Toute persistance de divergences de jurisprudence risque d’engendrer un état d’incertitude juridique de nature à réduire la confiance du public dans le système judiciaire, alors même que cette confiance est l’une des composantes fondamentales de l’état de droit (Hayati Çelebi et autres c. Turquie, no 582/05, § 52, 9 février 2016, et Ferreira Santos Pardal c. Portugal, no 30123/10, § 42, 30 juillet 2015) ;

b) Toutefois, l’éventualité de divergences de jurisprudence est naturellement inhérente à tout système judiciaire reposant sur un ensemble de juridictions de fond ayant autorité sur leur ressort territorial. De telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela en soi ne saurait être jugé comme contraire à la Convention (Nejdet Sahin et Perihan Sahin, précité, § 51, et Albu et autres c. Roumanie, nos 34796/09 et soixante-trois autres requêtes, § 34, 10 mai 2012) ;

c) Les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent donc pas un droit acquis à une jurisprudence constante. En effet, une évolution de la jurisprudence n’est pas en soi contraire à la bonne administration de la justice, car l’abandon d’une approche dynamique et évolutive risquerait d’entraver toute réforme ou amélioration (Nejdet Sahin et Perihan Sahin, précité, § 58, et Albu et autres précité, § 34) ;

d) En principe, il n’appartient pas à la Cour de comparer les diverses décisions rendues – même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes – par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle. De même, la différence de traitement opérée entre deux litiges ne saurait s’entendre comme une divergence de jurisprudence si elle est justifiée par une différence dans les situations de fait en cause (Hayati Çelebi et autres, précité, § 52, et Ferreira Santos Pardal, précité, § 42) ;

e) Les critères qui guident la Cour dans son appréciation des conditions dans lesquelles des décisions contradictoires de différentes juridictions internes statuant en dernier ressort emportent violation du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, consistent à déterminer, premièrement, s’il existe dans la jurisprudence des juridictions internes « des divergences profondes et persistantes », deuxièmement, si le droit interne prévoit des mécanismes visant à la suppression de ces incohérences et, troisièmement, si ces mécanismes ont été appliqués et quels ont été, le cas échéant, les effets de leur application (Nejdet Sahin et Perihan Sahin, précité, § 53, Hayati Çelebi et autres précité, § 52, et Ferreira Santos Pardal, précité, § 42).

2. Application au cas d’espèce

49. La Cour souligne d’emblée que le rôle d’une juridiction suprême est de régler les contradictions de jurisprudence entre les juridictions de fond d’un même ordre de juridiction (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], no 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 59, CEDH 1999VII). Le rôle de la formation plénière d’une juridiction suprême, telle le Conseil d’État, consiste de surcroît à régler les divergences de jurisprudence entre les différentes sections de celle-ci et à fixer définitivement l’interprétation d’une disposition législative, supprimant ainsi l’incertitude juridique qui pouvait exister en la matière. Dans l’ordre juridique administratif grec, ce principe est reflété dans l’article 14 du décret no 18/1989 (paragraphe 23 ci-dessus).

50. Plus particulièrement, en ce qui concerne le respect en l’espèce des principes dégagés par sa jurisprudence (paragraphe 45 ci-dessus), la Cour constate ce qui suit.

51. En premier lieu, il existait une divergence « profonde et persistante » entre la jurisprudence de la quatrième et de la cinquième section du Conseil d’État au sujet de la question de savoir s’il était possible, voire nécessaire d’examiner à nouveau la légalité du permis de construction à l’occasion de l’examen de la légalité et de l’octroi du permis d’exploitation. Cette divergence existait depuis plusieurs années, ainsi qu’il apparaît à travers les exemples d’arrêts cités par la quatrième section, datant de 2002 et de 2008 (paragraphe 7 ci-dessus). Elle touchait, de surcroît, à des questions d’intérêt général puisqu’elle concernait plusieurs cas similaires et impliquait le respect par l’administration des principes de droit administratif et constitutionnel de grande importance.

52. En deuxième lieu, en ce qui concerne l’existence dans l’ordre administratif grec d’un mécanisme chargé de supprimer les divergences de jurisprudence entre les différentes juridictions administratives ou même entre les différentes sections du Conseil d’État, la Cour constate que cette fonction est attribuée à la formation plénière de la haute juridiction administrative (paragraphes 23 et 46 ci-dessus).

53. En l’occurrence, dans son arrêt no 1792/2011, la formation plénière a été appelée à se prononcer sur la question juridique déterminante qui était à la base de la divergence de jurisprudence entre la quatrième et la cinquième section, à savoir la question de savoir si le principe de la confiance légitime devait l’emporter ou non sur le principe de la protection de l’environnement, tel que celui-ci est mis en œuvre par le biais de la législation urbanistique. D’une part, la cinquième section avait pris position en faveur de la primauté de la protection de l’environnement, d’autre part, la quatrième section en faveur de celle de la confiance légitime.

54. La formation plénière a estimé que le contrôle de la possibilité d’installer le multiplex « devait avoir lieu » – autrement dit, était non seulement permis mais nécessaire – tant au stade de l’octroi du permis de construction qu’à l’occasion de l’octroi du permis d’exploitation, dans le but de mieux respecter le principe constitutionnel de la protection de l’environnement, garanti par l’article 24 de la Constitution. Tournant au cas d’espèce, la formation plénière a souligné qu’un multiplex diffère d’un simple cinéma du point de vue urbanistique et en ce qui concerne les conséquences sur la morphologie du quartier. Elle a relevé également que la question des principes de la confiance légitime et de la stabilité des situations administratives – principes sur lesquels s’était basée la quatrième section – « ne se posait même pas en l’espèce car ces principes ne pouvaient pas s’appliquer lorsqu’une situation était créée en violation des dispositions constitutionnelles ».

55. En d’autres termes, la formation plénière a statué sur la base de la hiérarchie normative, en excluant des déviations de nature à créer de faits accomplis, et a privilégié la logique qui avait animé la jurisprudence de la cinquième section. La Cour observe également que l’arrêt de la formation plénière ne s’est pas limité à un énoncé abstrait des principes applicables mais elle a tranché la question-clé du litige en cause, ainsi qu’il apparaît à travers les références concrètes au multiplex concerné et des termes « en l’espèce » utilisés pour exclure d’emblée l’application du principe la confiance légitime invoqué par la quatrième section.

56. En troisième lieu, en ce qui concerne la question de l’efficacité du mécanisme, la Cour constate que statuant sur renvoi, la quatrième section, même si elle a réitéré la position de la formation plénière, elle a en réalité décidé dans les lignes de son ancienne jurisprudence, en invoquant des « circonstances exceptionnelles » qui justifieraient en l’espèce l’acceptation du fait accompli au nom du principe de la confiance légitime. Or, la formation plénière avait déjà tenu compte des particularités du cas d’espèce et elle avait exclu d’emblée l’application du principe de la confiance légitime en estimant que celui-ci devait céder au principe d’ordre constitutionnel de la protection de l’environnement. Quant à la cinquième section, dans son arrêt no 2738/2014 (paragraphe 14 ci-dessus), elle a elle aussi persévéré dans sa logique de protection de l’environnement, telle que garantie par l’article 24 de la Constitution et concrétisée par les lois urbanistiques. En effet, en appliquant ces lois, elle a ordonné la mise sous scellés du multiplex.

57. ll est vrai que l’objet des recours de la requérante devant la quatrième et la cinquième section est techniquement différent. Il n’empêche qu’en réalité les deux recours poursuivaient le même but, à savoir l’arrêt du fonctionnement d’une entreprise fonctionnant dans un grand bâtiment construit sur un terrain destiné uniquement à des habitations privées. Il en est résulté une situation d’après laquelle l’arrêt de la quatrième section permettait le fonctionnement normal du multiplex alors que celui de la cinquième section ordonnait la cessation de ce fonctionnement par le biais de la mise sous scellés du multiplex. En outre, la situation s’est encore aggravée par le refus de la mairie de se conformer à l’arrêt de la cinquième section, refus entériné en quelque sorte par le comité des trois membres du Conseil d’État – organe compétent pour surveiller précisément la bonne exécution des arrêts de cette juridiction – qui, pour justifier sa décision, a invoqué l’existence d’une demande de « régularisation » déposée par le multiplex concurrent (paragraphe 20 ci-dessus).

58. Il devient ainsi évident que la divergence entre la quatrième et la cinquième section a persisté pendant des années et persiste encore malgré l’intervention de la formation plénière du Conseil d’État. Il en est ainsi résulté une situation d’insécurité juridique qui démontre l’inefficacité du mécanisme d’harmonisation de la jurisprudence qu’aurait dû constituer, en l’occurrence, le renvoi de l’affaire à la formation plénière du Conseil d’État.

59. Au vu de sa jurisprudence, la Cour constate que les conditions qu’elle a posées en matière de sécurité juridique ne sont pas remplies en l’espèce.

60. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

61. Invoquant l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint que le droit grec ne lui offrait pas un moyen de soulever, devant les juridictions nationales, la question de la divergence de jurisprudence dont elle allègue avoir été victime.

62. Eu égard à ses conclusions relatives à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

64. En premier lieu, la requérante réclame la somme de 4 187 336,13 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle estime avoir subi. Ce préjudice correspond aux recettes que la requérante aurait eues de 2007 à 2018, si son cinéma continuait à fonctionner à Héraklion sans la concurrence du multiplex qui a été construit illégalement et demeurait ouvert en violation de la Convention. Cette estimation est fondée sur une étude effectuée par un expert en conseil d’entreprises annexée aux observations. La requérante rajoute que si la Cour est dans l’impossibilité de vérifier ou de calculer ce dommage, elle devrait lui accorder une indemnité pour perte de chances.

65. En deuxième lieu, se prévalant de l’arrêt Comingersoll S.A. c. Portugal (no 35382/97, CEDH 2000-IV), la requérante réclame 80 000 EUR pour dommage moral.

66. En troisième lieu, elle invite la Cour à ordonner la réouverture de la procédure devant la quatrième section du Conseil d’État, possibilité prévue par l’article 69A du décret no 18/1989.

67. Le Gouvernement affirme que toute prétention pour dommage matériel ne pouvait être associée qu’à un grief de violation de l’article 1 du Protocole no 1. En outre, la requérante aurait dû saisir d’abord les juridictions nationales afin d’établir qu’elle a subi une réduction des recettes suite au fonctionnement du multiplex concurrent. Enfin, par son arrêt no 2738/2014, le Conseil d’État a annulé l’omission de l’administration de mettre sous scellés le multiplex concurrent et le 9 octobre 2014, des représentants de la Direction d’urbanisme d’Héraklion ont ordonné l’arrêt du fonctionnement du multiplex (paragraphe 19 ci-dessus).

68. En ce qui concerne le dommage moral, le Gouvernement soutient que la requérante, étant une entreprise, n’a pas subi un tel dommage. Pour le Gouvernement, la requérante n’a pas réussi à établir un lien entre la violation alléguée de la Convention et les dommages portés au statut commercial de l’entreprise.

69. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que la requérante n’a pas bénéficié d’une procédure devant le Conseil d’État respectueuse du principe de la sécurité juridique, en violation de l’article 6 de la Convention.

70. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le montant de la diminution des revenus de la requérante, prétendument causé par le fonctionnement du multiplex concurrent, question à être soumise le cas échéant devant les juridictions internes.

71. En ce qui concerne la réparation du préjudice moral, la Cour a déjà dit que le préjudice autre que matériel peut comporter, pour une personne morale, des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs ». Parmi ces éléments, il faut reconnaître la réputation de l’entité juridique, mais également l’incertitude dans la planification des décisions à prendre, les troubles causés à la gestion de l’entité juridique elle-même, dont les conséquences ne se prêtent pas à un calcul exact, et enfin, quoique dans une moindre mesure, l’angoisse et les désagréments éprouvés par les membres des organes de direction de la société (Comingersoll S.A. précité, § 35 et Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă c. Roumanie, no 65965/01, § 117, 7 avril 2009).

72. En l’occurrence, compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérant 8 000 EUR pour dommage moral.

73. La Cour rappelle également sa jurisprudence bien établie selon laquelle en cas de violation de l’article 6 de la Convention il faut placer la requérante, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle elle se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition. Un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique, non seulement de verser à l’intéressé les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences, de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004‑VII, et Lungoci c. Roumanie, no 62710/00, § 55, 26 janvier 2006).

74. L’article 69A du décret no 18/1989 permet la réouverture de la procédure devant le Conseil d’État si la Cour a constaté que celui-ci a rendu un arrêt en violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention. La Cour estime donc que le redressement le plus approprié serait, en principe et si la requérante le souhaite, de rouvrir la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6.

2. Frais et dépens

75. La requérante demande également 28 159,88 EUR, dont 14 055,27 EUR pour les frais et dépens engagés devant le Conseil d’État, 12 350,01 EUR pour honoraires d’avocat devant la Cour et 1 754,60 EUR pour autres frais engagés devant la Cour (notamment relatifs à la traduction du dossier en anglais).

76. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les frais réclamés pour les procédures devant les juridictions internes et les violations alléguées de la Convention : ces frais étaient de toute façon encourus indépendamment de l’arrêt no 3064/2012 de la quatrième section. Quant aux frais demandés pour la procédure devant la Cour, ils sont excessifs et injustifiés et certains semblent concerner d’autres procédures que celle portée devant la Cour. Le Gouvernement souligne aussi qu’en vertu du contrat conclu entre la requérante et le représentant de celle-ci, la première s’engageait à verser au second la somme de 10 000 EUR, si la procédure devant la Cour prenait fin par un arrêt de celle-ci, et non la somme susmentionnée.

77. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

78. En premier lieu, faute de lien de causalité avec la violation constatée, la Cour n’accorde aucune somme pour les procédures devant le Conseil d’État. Quant aux frais devant la Cour, compte tenu des documents dont elle dispose, notamment le contrat conclu entre la requérante et son représentant, et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder la somme de 5 000 EUR pour la procédure devant elle.

3. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à la majorité, la requête recevable ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de statuer sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,

a) que l’État défendeur assure, dans les six mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, et si la requérante le désire, la réouverture de la procédure et qu’il doit simultanément lui verser les sommes suivantes :

1. 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 mai 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Wojtyczek et Eicke.

K.T.U.
A.C.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE WOJTYCZEK

1. À mon regret, je ne peux pas suivre la majorité dans la présente affaire. À mon avis, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas applicable en l’espèce et par conséquent, il n’a pas pu être violé.

2. La majorité considère que l’article 6 est applicable en l’espèce et explique sa position au paragraphe 40 dans les termes suivants : Il en est de même du cinéma de la requérante lequel, au fil de ses longues années de fonctionnement, s’était constitué sa propre clientèle. En conséquence, la « contestation » avait clairement un impact considérable sur les droits de caractère civil de la requérante car elle avait trait à la protection des intérêts patrimoniaux de celle-ci.

Le droit de l’urbanisme protège l’ordre dans l’aménagement du territoire ainsi que les droits des voisins, son but n’est pas de protéger un entrepreneur contre des entreprises concurrentes. Dans la présente affaire, la contestation portait sur le non-respect du droit de l’urbanisme et non sur la violation des intérêts patrimoniaux de la société requérante. Les juridictions grecques n’avaient pas à déterminer les intérêts de la société requérante qui étaient en jeu ni à statuer sur ces intérêts. Elles ne les ont d’ailleurs même pas pris en considération dans l’analyse de la question de fond, c’est‑à‑dire du respect des règles de droit de l’urbanisme.

Selon la jurisprudence établie de la Cour, l’article 6 de la Convention, sous son volet civil, est applicable à des droits civils. Il est indéniable que la société requérante avait un intérêt de fait à éliminer du marché un concurrent susceptible de lui faire perdre une partie de ses bénéfices. En revanche, elle n’était pas l’un de ses voisins directs, susceptible d’être affecté dans ses droits subjectifs par les effets de la construction sur le fonctionnement des équipements sur les terrains avoisinants. La motivation de l’arrêt rendu par la Cour ne démontre pas l’existence en droit grec d’un droit subjectif civil de la société requérante qui aurait été en jeu. La majorité n’est pas capable d’indiquer un tel droit ni a fortiori de définir son titulaire ou son contenu. Serait-ce le droit (hypothétique) d’une société commerciale à ne pas perdre des clients au profit d’une société concurrente qui construit des bâtiments en violation de certaines règles du droit de l’urbanisme ?

La difficulté de la présente affaire est liée au fait que le droit grec accorde la possibilité de contester des actes administratifs à un cercle de sujets de droit plus large que dans d’autres pays, apparemment sans nécessité de démontrer que l’on est titulaire d’un intérêt protégé juridiquement. Cependant, le fait que le droit national ouvre l’accès au juge à telle ou telle personne dans telle ou telle situation n’implique que l’article 6 soit applicable à la cause.

Le raisonnement de la majorité repose sur une confusion entre droits subjectifs, intérêts protégés juridiquement et intérêts de fait. Si l’on suit la logique de la majorité, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est applicable à toutes les contestations portant sur des actes administratifs qui accordent un droit à un sujet de droit dès lors que l’acte en question a un impact factuel significatif sur les intérêts d’un autre sujet de droit. Selon cette approche, il faudrait donc accorder la qualité de partie à une procédure administrative contentieuse concernant la légalité d’un acte administratif à tous les entrepreneurs qui ont un intérêt de fait à obtenir l’annulation d’un acte administratif accordant des droits à un concurrent.

3. La majorité estime, citant la jurisprudence de la Cour, que la clientèle est un bien protégé par l’article 1 du Protocole no 1 et, par conséquent, par l’article 6 aussi. J’ai expliqué en détail ma position concernant la protection de la clientèle comme bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1 dans mon opinion dissidente en l’affaire Könyv-Tár Kft et autres c. Hongrie (no 21623/13, 16 octobre 2018). À mon avis, en l’absence de dispositions claires en droit national l’érigeant en objet d’un droit subjectif civil, la clientèle n’est pas un bien protégé par l’article 1 du Protocole no 1. De plus, l’affirmation selon laquelle la clientèle serait protégée par l’article 1 du Protocole no 1 (si elle est énoncée sans qu’il ait été démontré que la clientèle soit érigée en droit subjectif par la loi nationale) n’implique pas logiquement que l’article 6 devrait s’appliquer automatiquement. L’applicabilité de l’article 6 doit au contraire être prouvée.

Par ailleurs, si la majorité estime que le droit de la société requérante protégé par l’article 1 du Protocole no 1 est en jeu, pourquoi n’a-t-elle pas décidé de communiquer l’affaire aussi sur le terrain de cet article de la Convention ?

4. Je ne conteste pas le fait que la société qui a construit le multiplex en question (construction dont la légalité est contestée par la société requérante) a fait l’objet d’actes administratifs qui sont incohérents entre eux. Comme l’explique la majorité au paragraphe 57, il en est résulté une situation d’après laquelle l’arrêt de la quatrième section permettait le fonctionnement normal du multiplex alors que celui de la cinquième section ordonnait la cessation de ce fonctionnement par le biais de la mise sous scellés du multiplex.

Selon la majorité, il en est ainsi résulté une situation d’insécurité juridique qui démontre l’inefficacité du mécanisme d’harmonisation de la jurisprudence qu’aurait dû constituer, en l’occurrence, le renvoi de l’affaire à la formation plénière du Conseil d’État (paragraphe 58).

Dans la situation décrite, on peut déceler une violation du droit de la société qui a construit le multiplex en question, droit subjectif protégé par l’article 1 du Protocole no 1. En revanche, pour les raisons exposées ci‑dessus, la société requérante n’a pas la qualité de victime en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 6.

5. Selon la jurisprudence établie de la Cour, il y a divergence de jurisprudence quand les mêmes dispositions d’un texte normatif sont interprétées d’au moins deux façons différentes par les juridictions, au point de conduire à deux lignes jurisprudentielles différentes.

Dans la présente affaire, les actes administratifs incohérents sont fondés sur des dispositions différentes. La majorité l’admet elle-même au paragraphe 57 : il est vrai que l’objet des recours de la requérante devant la quatrième et la cinquième section est techniquement différent. La majorité étend ainsi la notion de divergence de jurisprudence à des situations dans lesquelles les autorités administratives, agissant sur le fondement de deux dispositions distinctes, prennent deux actes administratifs incohérents entre eux, sans que le juge administratif ne réagisse en restaurant une cohérence entre ces actes administratifs. Or les deux situations (divergence dans l’interprétation d’une même disposition, incohérence d’une situation juridique résultant de l’application de deux dispositions différentes) ne sont pas comparables.

Le législateur grec aurait pu agir de manière à éviter la prise d’actes administratifs qui se contredisent. Il ne l’a pas fait. Dans ces conditions, je ne suis pas sûr que la situation décrite par la majorité soit imputable aux juridictions grecques plutôt qu’au législateur.

Selon la majorité, l’incapacité du juge national à harmoniser les interprétations de deux dispositions juridiques distinctes, de manière à éviter des situations juridiques régies par des actes administratifs incohérents entre eux, conduit à une violation de l’article 6. L’arrêt instaure tacitement une obligation générale pour le juge, tirée de l’article 6, de purger le système juridique d’incohérences entre différentes dispositions. Une disposition destinée à garantir l’effectivité des droits (c’est-à-dire l’article 6) devient ainsi une disposition qui exprime aussi des règles fondamentales concernant la construction même du système juridique national et qui en garantit la cohérence. Cette approche « novatrice », aboutissant à une redéfinition du sens de l’article 6 ne me semble pas justifiée.

6. La manière dont la majorité a décidé d’interpréter et d’appliquer l’article 6 présente en outre un défaut : elle ne prend pas suffisamment en compte la diversité légitime des métarègles (règles de validité, d’interprétation, d’inférence, de conflits etc.) dans les différents systèmes juridiques. Quel que soit le système juridique, il n’est pas toujours possible de corriger par la jurisprudence les incohérences résultant de l’application de deux dispositions différentes. Il est indispensable de distinguer les incohérences du droit que le juge peut corriger par l’interprétation de celles qu’il ne peut corriger sans dépasser son mandat : appliquer le droit en vigueur. Il faudrait donc se demander si les règles d’interprétation applicables dans le système juridique national permettent une interprétation du droit susceptible d’aboutir en l’espèce à une situation juridique cohérente.

Apparemment, les juridictions nationales auraient effectivement pu, en l’espèce, éviter de créer une situation juridique incohérente sans outrepasser les limites de leur mandat, en se fondant simplement sur les règles d’interprétation du droit applicables dans le système juridique national. Cependant, ce ne sera pas toujours le cas dans des situations similaires susceptibles de survenir dans d’autres systèmes juridiques. Je note dans ce contexte que la majorité a décidé de passer ces questions sous silence. L’approche de la majorité semble ainsi fondée sur la prémisse implicite que le juge doit systématiquement statuer de manière à supprimer les incohérences du système juridique. Les collègues de la majorité prennent donc position, peut-être sans en être pleinement conscients, en faveur d’un pouvoir pour le juge national de créer du droit. À mon avis, la motivation de l’arrêt choisie par la majorité aboutit ainsi à une ingérence injustifiée dans la construction des systèmes juridiques nationaux.

7. La présente affaire touche aux droits subjectifs de la société qui a construit le multiplex contesté. Même s’il n’entraîne pas en lui-même la réouverture des différentes procédures nationales, le constat de violation de la Convention opéré dans la présente affaire peut, dans la pratique, être utilisé comme un argument très puissant pour demander et obtenir l’annulation de certains actes administratifs accordant des droits subjectifs à cette société.

Les impératifs de la justice procédurale exigent du juge d’entendre toutes les parties concernées avant de statuer (voir mon opinion concordante jointe à l’arrêt Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, CEDH 2015). En l’espèce, la Cour a entendu uniquement la société requérante et décidé de statuer sans inviter la société qui avait construit le multiplex contesté à présenter ses observations. Je vois dans une telle approche une violation flagrante des droits fondamentaux de cette dernière.

La présente affaire montre, une nouvelle fois, que la procédure devant la Cour n’est pas adaptée aux affaires engagées à l’occasion d’un litige opposant des personnes privées aux intérêts opposés. En particulier, cette procédure conduit à remettre en cause l’égalité des armes entre ces parties au profit de celle qui introduit une requête devant la Cour.

8. La position de la majorité, qui considère que l’article 6 est applicable en l’espèce, conduit à imposer une révolution dans beaucoup de systèmes juridiques. Elle oblige beaucoup d’États parties à redéfinir la notion de partie à la procédure administrative contentieuse. Cette révolution est imposée en l’absence de toute réflexion sur le droit administratif procédural, de recherches sérieuses en droit comparé et d’évaluation des coûts sociaux engendrés.

DISSENTING OPINION OF JUDGE EICKE

Introduction

1. Like my colleague, Judge Wojtyczek, I find myself unable to agree with the judgment of the majority, both in relation to the applicability of Article 6 § 1 of the Convention to the issue before the Court as well as in relation to the finding of a violation of that provision.

2. Having considered the Dissenting Opinion of Judge Wojtyczek, I prefer not to express a concluded view on his concerns, expressed in paragraph 3 of his Dissenting Opinion and in his Dissenting Opinion in Könyv-Tár Kft and Others v. Hungary, no. 21623/13, 16 October 2018, relating to the Court’s case-law under Article 1 of the First Protocol to the Convention concerning the treatment of a company’s “clientele” as a “possession” for the purposes of that provision. In the present case, it seems to me unnecessary to do so.

3. In the case of Iatridis v. Greece [GC], no. 31107/96, ECHR 1999‑II (relied on by the majority in § 40), the issue of the definition of “possession” under Article 1 of the First Protocol arose in the context of a complete loss of the business by reason of an eviction where, on the evidence before it, the Court was able to observe that, in any event, “before the applicant was evicted, he had operated the cinema for eleven years under a formally valid lease without any interference by the authorities, as a result of which he had built up a clientele that constituted an asset (...); in this connection, the Court takes into account the role played in local cultural life by open-air cinemas in Greece and to the fact that the clientele of such a cinema is made up mainly of local residents”. By contrast, in this case there was neither any evidence before the Court as to the nature or size of the applicant company’s “clientele” or the impact of the operation of the rival cinema on its “clientele” (whether by reference to the substance of any such impact or the causal link between the operation of the rival cinema and any such impact) nor, in fact, any suggestion that the impact on the applicant company’s clientele was the (or even a) subject of the dispute before the domestic courts (see further below).

Applicability of Article 6 § 1

4. As the Court has consistently emphasised, for Article 6 § 1 in its “civil” limb to be applicable, there must be a dispute (“contestation” in the French text) concerning the applicant’s “civil rights and obligations”. The dispute must be genuine and serious; it may relate not only to the actual existence of a right but also to its scope and the manner of its exercise; and, finally, the result of the proceedings must be directly decisive for the right in question, mere tenuous connections or remote consequences not being sufficient to bring Article 6 § 1 into play (see, among other authorities, Boulois v. Luxembourg [GC], no. 37575/04, § 90, ECHR 2012 and Micallef v. Malta [GC], no. 17056/06, § 74, ECHR 2009).

5. Even assuming that there was here a relevant “dispute”, it seems to me to be clear that not only was that dispute in the present case not concerned with the applicant company’s “civil rights and obligations” but, even if it had been (on the basis of the purported “rights” relied on by the majority), it is difficult to see how it could have been “directly decisive” for those rights.

6. It seems clear from the judgment (see e.g. §§ 5 et seq as well as § 38) that the action brought by the applicant company before the domestic courts was directed against the relevant local planning authority and merely sought the quashing of the building permit and/or operating permit for the rival cinema; an action brought on the basis that (a) it was constructed in an area designated for planning purposes as residential and (b) the authorities had issued the operating permit without having examined beforehand whether the relevant environmental protection conditions had been complied with. It was only in this (essentially planning) context that the applicant company is said to have alleged inter alia that as a result of the operation of the rival cinema on the basis of an “illegal” operating permit the applicant company suffered “unfair competition” (§ 38). These were not, however, competition proceedings, involving the two competitors or the relevant competition authorities; these were essentially administrative law challenges to planning decisions. That this was so is further confirmed in § 57 of the judgment where it is noted that “en réalité les deux recours poursuivaient le même but, à savoir l’arrêt du fonctionnement d’une entreprise fonctionnant dans un grand bâtiment construit sur un terrain destiné uniquement à des habitations privées”.

7. The majority seeks to overcome this difficulty in two ways: by asserting (a) that the applicant company’s proprietary or financial interests were being “determined” based on the asserted unfair competition suffered and on the impact on its “clientele” (§ 40) and (b) that the enforcement of the environmental law requirements, in itself, had a sufficient link to the applicant company’s “civil rights and obligations”.

8. In relation to the former, for the reasons set out above, it seems to me that, beyond the mere assertion of the unfair competition suffered by the applicant company as a result of the rival cinema’s operations, there is no indication either in the parties’ pleadings, the evidence or in the judgments of the domestic courts that any impact on the applicant company’s proprietary or financial interests ever amounted to anything other than a “tenuous connection or remote consequence” of any favourable resolution of the planning dispute; the actions were never primarily or predominantly “concerned” with this the applicant’s company’s “civil rights and obligations” (as defined in the judgment).

9. This difficulty is also not overcome by the fact, alluded to in § 41 of the judgment, that before the domestic courts the applicant company’s standing was never questioned.

10. As Judge Wojtyczek points out in § 2 of his Dissenting Opinion, it appears that Greek law grants a much wider range of potential applicants standing to challenge acts of the administrations through the courts than is the case under the law of many other Contracting States; and it appears to do so without a need (inherent in Article 6) to show a legally protected interest in the form of a “civil right and obligation”. Further and in any event, the Convention and Article 6 in particular, are, of course, only intended to provide minimum standards of protection in relation to the two limited and identified categories of proceedings (“determination of his civil rights and obligations” and “determination of any criminal charge”); see by contrast the scope of Article 47 of the EU Charter of Fundamental Rights.

11. To equate the broad rules on standing under Greek law with the conditions on applicability of Article 6 (and therefore, to extend them potentially, to other Contracting States) also carries with it a significant risk of aggravating the often criticised “judicialisation” of public administration.

12. The risks inherent in the judicialisation of public administration per se, through the application of Article 6 § 1, was (and continues to be) most often raised in the context of the allocation of welfare benefits; see § 15 of the Joint Dissenting Opinion of Judges Ryssdal, Bindschedler-Robert, Lagergren, Matscher, Sir Vincent Evans, Bernhardt and Gersing in Feldbrugge v. the Netherlands, 29 May 1986, Series A no. 99 (at § 15):

“The object and purpose of the Convention as pursued in Article 6 § 1 are, to some extent, discernible from the nature of the safeguards provided.

The judicialisation of dispute procedures, as guaranteed by Article 6 § 1, is eminently appropriate in the realm of relations between individuals but not necessarily so in the administrative sphere, where organisational, social and economic considerations may legitimately warrant dispute procedures of a less judicial and formal kind. The present case is concerned with the operation of a collective statutory scheme for the allocation of public welfare.”

(see also, most recently, the comments by the UK Supreme Court in Poshteh v Royal Borough of Kensington and Chelsea [2017] UKSC 36)

13. While, of course, planning challenges by the person directly affected by a planning decision frequently if not invariably fall within the scope ratione materiae of Article 6 § 1 (see e.g. Bryan v. the United Kingdom, 22 November 1995, Series A no. 335‑A), a significant enlarging of the category of persons (legal or natural) who can rely on Article 6 § 1 beyond those directly affected in order to challenge administrative decisions, as the majority purports to do in this judgment, ultimately is only likely to aggravate the problems already encountered by the national legal systems and in particular their courts; problems that are unlikely to be capable of being adequately compensated by adapting the level of review required in order to provide judicial scrutiny of sufficient scope to satisfy the requirements of Article 6 § 1 of the Convention (cf. Fazia Ali v. the United Kingdom, no. 40378/10, §§ 44 - 47, 20 October 2015).

14. In relation to the latter (the sufficient link between the enforcement of environmental protection rights and the applicant company’s “civil rights and obligations”), the majority relies on the judgment in Bursa Barosu Başkanlığı and Others v. Turkey, no. 25680/05, 19 June 2018. Other similar examples might include Andersson and Others v. Sweden, no. 29878/09, 25 September 2014, L’Erablière A.S.B.L. v. Belgium, no. 49230/07, ECHR 2009 (extracts) or Gorraiz Lizarraga and Others v. Spain, no. 62543/00, ECHR 2004‑III.

15. However, none of these cases support the conclusion advanced in the present judgment. After all, in Bursa Barosu Başkanlığı and Others, the applicants had judgments from the domestic courts which were enforceable as a matter of domestic law and which created (civil) rights under domestic law and (perhaps more importantly) their complaint was not about the protection of the environment in the abstract (as it is here) but was the foundation of a complaint by them under Articles 2 and 8 of the Convention in relation to the impact the non-enforcement of the judgments (and the consequent continuing operation of the factory) was having on their right to life and respect for the private life. Neither of these two factors applies in the present case so as to be capable, even applying the approach described in Regner v. the Czech Republic [GC], no. 35289/11, § 105, 19 September 2017, of establishing a “civil right and obligation”. As the Court explained in Andersson and Others, § 46:

“While public interests such as environmental harm in general may be recognised as valid grounds for an individual complaint under domestic law, in the present case the Court cannot find that these claims concerned the applicants’ “civil rights” within the meaning of Article 6. However, the other issues raised by the applicants, in particular the effects of the railway project on their homes and land [such as the impact of noise and vibrations on the enjoyment of their homes and property and on human health], related to their “civil rights”.”

(see also the reference to the need for applicants to be “directly affected” in § 28 of L’Erablière A.S.B.L. and to the “direct and specific threat hanging over ... personal assets and lifestyles” in § 46 of Gorraiz Lizarraga and Others).

16. For these reasons, it seems to me to be clear that, in fact, the applicant company’s complaint under Article 6 § 1 is outside the Court’s jurisdiction ratione materiae and, therefore, inadmissible.

“Victim” status

17. However, even assuming that – contrary to the above - the complaint concerned the applicant company’s “civil rights and obligations” and is, therefore, within the Court’s jurisdiction ratione materiae, it seems to me that, in any event, the applicant company had lost its victim status under Article 34 of the Convention by virtue of its successful application to the Fifth Section of the Conseil d’Etat, in separate proceedings, for an order to seal the rival cinema.

18. The majority rejected the Respondent Government’s preliminary objection to this effect at § 31 of the judgment on the basis that the order to seal the rival cinema concerned a different issue to those before the Fourth Section of the Conseil d’Etat, which are the subject of the present application. While technically, as a matter of pure domestic law, this may strictly speaking be correct, it is not consistent with the majority’s definition of the “civil right and obligation” in issue in those proceedings. In so far as it is asserted in the judgment that the issue in the domestic proceedings was the unfair competition suffered as a result of the rival cinema and the impact of its operation on the applicant company’s “clientele” and other proprietary or financial interests, both the proceedings, whether before the Fourth or the Fifth Section of the Conseil d’Etat, were equally capable of being “determinative” of those “civil rights and obligations” and, subject to its enforcement, the order of the Fifth Section has now determined the applicant company’s rights and obligations in that respect.

19. As highlighted above, the judgment in § 57, in fact acknowledges as much when it concludes that “en réalité les deux recours poursuivaient le même but, à savoir l’arrêt du fonctionnement d’une entreprise fonctionnant dans un grand bâtiment construit sur un terrain destiné uniquement à des habitations privées”.

20. As a consequence, even if not outside the Court’s jurisdiction ratione materiae, the application is also outside the Court’s jurisdiction on the basis that the applicant company has lost its “victim” status under Article 34 of the Convention.

Merits

21. The judgment, purportedly applying the principles in Nejdet Şahin and Perihan Şahin v. Turkey [GC], no. 13279/05, §§ 49 - 58, 20 October 2011 and reproducing (though not citing) Lupeni Greek Catholic Parish and Others v. Romania [GC], no. 76943/11, § 116, 29 November 2016, concludes that there were “profound and long-standing differences” between the case-law of the Fourth and the Fifth Sections of the Conseil d’Etat which the superior instance, the Plenary Session of the Conseil d’Etat, failed to resolve effectively leading to a situation of legal uncertainty contrary to the requirements of Article 6 § 1of the Convention (§§ 58 – 59).

22. However, in its judgment in Nejdet Şahin and Perihan Şahin v. Turkey [GC], §§ 50 and 88 . 89, the Grand Chamber made clear that in considering this question:

“... save in the event of evident arbitrariness, it is not the Court’s role to question the interpretation of the domestic law by the national courts (see, for example, Ādamsons v. Latvia, no. 3669/03, § 118, 24 June 2008). Similarly, on this subject, it is not in principle its function to compare different decisions of national courts, even if given in apparently similar proceedings; it must respect the independence of those courts (see Engel and Others v. the Netherlands, 8 June 1976, § 103, Series A no. 22; Gregório de Andrade v. Portugal, no. 41537/02, § 36, 14 November 2006; and Ādamsons, cited above, § 118).

...

Just as it is not for the Court to act as a court of third or fourth instance and review the choices of the domestic courts concerning the interpretation of legal provisions and the inconsistencies that may result, nor is it its role, it would like to emphasise, to intervene simply because there have been conflicting court decisions.

For the Court, where there is no evidence of arbitrariness, examining the existence and the impact of such conflicting decisions does not mean examining the wisdom of the approach the domestic courts have chosen to take (see Vinčić and Others, cited above, § 56; Işık v. Turkey (dec.), no. 35224/05, 16 June 2009; and Ivanov and Dimitrov v. “the Former Yugoslav Republic of Macedonia”, no. 46881/06, § 32, 21 October 2010). As stated above (see paragraph 50), its role in respect of Article 6 § 1 of the Convention is limited to cases where the impugned decision is manifestly arbitrary.”

23. This restrained and cautious approach is not, of course, only a reflection of the Court’s proper role within the European system of human rights protection. It is also a reflection of the practical reality that, in the vast majority of cases and for purely linguistic reasons, judges at this Court will frequently not be able to read and understand in their original language and legal context and even less subject to detailed (appellate-like) scrutiny the judgments of the domestic courts. Where, as in the present case, the applicant did not advance his complaint under this aspect of Article 6 § 1 (but advanced a case based on an assertion of absence of impartiality on the part of the Fourth Section of the Conseil d’Etat) and the parties’ translations of the relevant parts of the judgments of the Conseil d’Etat into one or other of the Court’s official languages were not agreed, it is only prudent that this Court should not intervene unless the decision(s) under consideration are “manifestly arbitrary”.

24. The subject of the present analysis is, of course, the judgment of the Fourth Section of the Conseil d’Etat of 28 August 2012 (No. 3064/2012; see judgment at § 12) and the question is, therefore, whether that judgment was “manifestly arbitrary”.

25. It was the Fourth Section which, in this very case (judgment no. 2375/2010; see §§ 8 – 9), referred a divergence in case law between it and the Fifth Section of that court to the Plenary formation for resolution. The question referred to the Plenary formation concerned the admissibility of an annulment petition against the decision of a planning authority on the basis that that authority, at the stage of granting an operating permit, was required but had failed to conduct a (new) assessment whether the project in question satisfied the relevant planning and environmental norms or whether, in light inter alia of the passage of time since it granted the necessary establishment permit and the application of the principles of “legitimate expectation” and/or stability of administrative situations, such an incidental assessment was not required/permitted at that stage.

26. The Plenary formation of the Conseil d’Etat, in its judgment of 20 June 2011 (no. 1792/2011; see § 11) decided that the assessment of compliance with the relevant planning and environmental norms was required to take place both at the stage of granting the required establishment permit as well as at the subsequent stage of granting the required operating permit. As a consequence, a complaint about the failure by the relevant planning authority to conduct such an assessment at the stage of granting the operating permit was admissible and “in principle” such a failure rendered that operating permit unlawful. Despite having the competence, in appropriate cases, to finally determine the dispute between the parties in the case referred to it and despite having made some reference to the specific facts of this case, the Plenary formation remitted the matter back to the Fourth Section for final determination.

27. It was in this context that the Fourth Section, expressly considering and, on its face, applying the ruling of the Plenary formation in this very case, decided, in light of the latter’s ruling, that the applicant’s application was admissible and that there may be “exceptional” cases in which the (“in principle”) consequence of automatic illegality of the operating permit did not follow. In the circumstances of this case, the Fourth Section, by a majority, concluded that – on the merits - there were such exceptional circumstances and dismissed the applicant’s annulment petition.

28. Even if (a) it were – contrary to the Court’s constant case law – appropriate to “compare different decisions of national courts”, in this case the judgment of the Fourth Section and the subsequent judgment of the Fifth Section (in relation to the sealing of the rival cinema; no 2738/2014 of 18 August 2014), and (b) the cases were – though technically different under domestic law – in reality in pursuit of the same objective (as suggested in § 57), it is impossible for me – as an international judge – on the evidence before me to conclude that the judgment of the Fourth Section was “manifestly arbitrary”, whether considered by itself or as “exposed” by the subsequent judgment of the Fifth Section.

29. Consequently, I am unable to conclude that there has been a breach of Article 6 § 1 of the Convention. Some further reassurance in this respect is provided by the conclusion reached by the majority in § 30 of the judgment that, for the purposes of possible recourse to an action for damages under Article 105 of the Introductory Law to the Civil Code (as interpreted by the Conseil d’Etat; see §§22 and 23), the judgment of the Fourth Section did not amount to a “manifest error”.

30. Let me just add one final thought. In the present case the Court was concerned with divergent case-law between two sections of the Conseil d’Etat which was submitted by one of them to the higher instance, the Plenary formation, for the purposes of settling the “disagreement” between the two sections and restore legal certainty. As the Grand Chamber made clear in Lupeni Greek Catholic Parish and Others v. Romania [GC], § 116(e) and the judgment also notes at § 48(e), the final criterion for finding a violation in this context is the question “whether that mechanism [for overcoming these inconsistencies] has been applied and, if appropriate, to what effect”. It seems to me virtually impossible, absent “manifest error” or “manifest arbitrariness”, for this Court to make such an assessment, i.e. whether the inconsistency in the case law has been effectively resolved by the “mechanism”, by reference only to the decision of the inferior tribunal on a remittal from the “mechanism” (here the Plenary formation) in that very same case. In fact, only if there is evidence of the fundamental inconsistency continuing to persist through subsequent decisions of the two lower tribunals would it be right, in my view, for the Court to conclude that the “mechanism” has not, in fact, been effective.


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