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24/01/2019 | CEDH | N°001-189422

CEDH | CEDH, AFFAIRE KNOX c. ITALIE, 2019, 001-189422


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KNOX c. ITALIE

(Requête no 76577/13)

ARRÊT

STRASBOURG

24 janvier 2019

DÉFINITIF

24/06/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Knox c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Ksenija Turković,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Aleš Pejchal,
Arme

n Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 décembr...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KNOX c. ITALIE

(Requête no 76577/13)

ARRÊT

STRASBOURG

24 janvier 2019

DÉFINITIF

24/06/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Knox c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Ksenija Turković,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 décembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76577/13) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante américaine, Mlle Amanda Marie Knox (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me C. Dalla Vedova, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, et par sa coagente, Mme M. L. Aversano.

3. La requérante dénonçait en particulier une violation des articles 3, 6 §§ 1 et 3 a), c) et e), et 8 de la Convention.

4. Le 29 avril 2016, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née le 9 juillet 1987 et réside à Seattle (États-Unis).

6. Au moment des faits, elle était âgée de vingt ans et se trouvait à Pérouse depuis environ deux mois dans le cadre de ses études. Elle y avait trouvé un emploi temporaire dans un pub géré par D.L. afin de financer son séjour. Elle fréquentait R.S., son petit ami, depuis deux semaines.

A. Le déroulement des faits

1. Les investigations préliminaires

7. Le 2 novembre 2007, vers 12 h 30, la police, appelée par une tierce personne, se rendit chez la requérante afin de joindre la propriétaire d’un téléphone portable retrouvé dans le jardin d’une habitation privée. Sur place, elle trouva la requérante et R.S., qui, entre-temps, avait appelé la gendarmerie pour dire qu’il avait trouvé, dans l’appartement de sa petite amie, une fenêtre cassée et des traces de sang.

8. La police força la porte de la chambre de la colocataire de la requérante, M.K., une étudiante britannique en séjour d’échange universitaire Erasmus, et découvrit son corps. La jeune fille avait été égorgée et sa dépouille présentait des traces de violences sexuelles.

9. Peu de temps après, la requérante et R.S. furent emmenés au commissariat de police de Pérouse (« le commissariat »). La requérante, ainsi que d’autres colocataires et amis de M.K., furent mis sur écoute. Le même jour, à 15 h 30, la requérante répondit en italien aux questions de la police judiciaire, conformément à l’article 351 du code de procédure pénale relatif à l’acquisition d’informations sommaires.

10. Elle relata en détail le déroulement des événements de la veille, à partir de 13 heures environ, heure à laquelle elle disait avoir vu M.K. pour la dernière fois, chez elles. Elle s’exprima comme suit : elle avait passé la soirée et la nuit chez R.S. et était rentrée chez elle le lendemain ; à son arrivée chez elle, elle avait trouvé la porte de la chambre de M.K. fermée et des traces de sang dans la salle de bain ; elle était retournée chez R.S. qui, une fois chez elle, avait essayé, en vain, de forcer la porte de la chambre de M.K., cette dernière ne répondant pas aux appels ; la police était ensuite arrivée et, après avoir forcé la porte, avait trouvé le corps de la jeune fille. Un procès-verbal de l’acquisition d’informations fut rédigé.

11. La requérante fut de nouveau entendue les 3 et 4 novembre 2007. Elle fournit essentiellement des informations concernant les hommes que fréquentait M.K. et les autres jeunes filles qui habitaient avec elles. Ces dépositions furent à chaque fois recueillies en présence de deux interprètes, M.B. et A.C.

12. Le 4 novembre 2007, les appels téléphoniques de la requérante passés depuis le commissariat furent enregistrés. D’après le procès-verbal y relatif, la requérante avait dit à ses interlocuteurs que les enquêteurs lui « pressaient le cerveau » afin de lui arracher des informations, lui hurlaient dessus et la traitaient comme une criminelle en lui demandant sans cesse de se souvenir des personnes qui étaient venues chez elle avant le meurtre. Elle avait déclaré qu’elle se sentait mal et qu’elle était en manque de sommeil, indiquant n’avoir dormi que deux heures la nuit précédente.

13. Entre le 2 et le 4 novembre, neuf personnes faisant partie de l’entourage de M.K., en plus de la requérante, furent entendues au commissariat, certaines plusieurs fois.

14. Le 5 novembre 2007, autour de 22 h 30, la requérante accompagna R.S. au commissariat, ce dernier ayant été appelé afin de fournir des informations. Elle patienta dans un couloir en étudiant ses cours et, compte tenu du temps d’attente, elle pratiqua des étirements.

15. Le 6 novembre 2007 à 1 h 45, elle fut conduite dans une salle pour y être entendue. Trois agents étaient présents en plus de A.D., une employée du commissariat qui exerçait les fonctions d’interprète. Les parties pertinentes en l’espèce du procès-verbal y relatif se lisent ainsi :

« 1. (...) Le 1er novembre dernier, pendant que j’étais chez mon petit ami R.S., à 20 h 30 environ, j’ai reçu un message de D.L. me disant qu’il n’était pas nécessaire de me rendre au travail ce soir-là et que le local resterait fermé car il n’y avait pas beaucoup de monde. J’ai répondu au message en disant qu’on se verrait tout de suite[1].

2. Donc, je suis sortie de la maison, en disant à mon petit ami que je devais me rendre au travail. Je précise que dans l’après-midi nous avions fumé un joint avec R.S. et que je me sentais désorientée car je ne consomme pas habituellement de drogue. J’ai rencontré D.L. (...), nous nous sommes rendus chez moi.

3. Je ne me rappelle pas si M.K. était là ou si elle est arrivée plus tard. J’ai du mal à me rappeler ces moments, mais D.L. a eu une relation sexuelle avec M.K., dont il était amoureux, mais je ne me souviens pas si M.K. avait ou non été menacée avant. Je me rappelle de manière confuse que c’est lui qui l’a tuée. »

16. Eu égard au contenu de ces déclarations, les agents interrompirent l’audition pour attendre le procureur, G.M. Ce dernier entendit la requérante à 5 h 45 du matin, en présence de A.D. et de certains policiers. La requérante n’était pas assistée par un défenseur. À la différence des autres dépositions de la requérante recueillies à partir du 2 novembre 2007, appelées dans les procès-verbaux « informations sommaires », ces dernières auditions sont qualifiées d’« informations spontanées ». Le procès-verbal établi à la suite de celles-ci est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. (...) Je veux raconter spontanément ce qui s’est passé car cette histoire m’a profondément troublée et je crains D.L. Le 1er novembre, j’ai rencontré D.L. (...), nous nous sommes rendus chez moi. Je ne me souviens pas si M.K. était déjà à la maison ou si elle est arrivée plus tard ; ce que je peux dire c’est que D.L. et M.K. se sont retirés dans la chambre de M.K. et que je suis restée dans la cuisine. Je n’arrive pas à me rappeler combien de temps ils sont restés dans la chambre, mais ce que je peux dire c’est qu’à un moment, j’ai entendu les cris de M.K. et je me suis bouché les oreilles car j’avais peur.

2. Après, je ne me souviens plus de rien, mes pensées sont très confuses. Je ne me rappelle pas si M.K. criait ni si j’entendais des bruits sourds car j’étais sous le choc, mais j’imaginais ce qui pouvait être arrivé. J’ai rencontré D.L. (...). Je ne suis pas sûre que R.S. était aussi présent ce soir-là, mais je me rappelle bien que je me suis réveillée chez lui, dans son lit, et que je suis rentrée le matin chez moi, où j’ai trouvé la porte ouverte.

3. Il est fait état que la requérante porte à de nombreuses reprises les mains sur sa tête en la secouant. »

17. Des détails supplémentaires quant au déroulement des auditions du 6 novembre 2007 figurent ci-dessous (paragraphes 48 et suivants).

18. Le 6 novembre 2007, à 8 h 30, le procureur ordonna l’arrestation de la requérante, de R.S. et de D.L., et il formula à leur encontre les accusations de violences sexuelles et de meurtre.

19. Le même jour à 12 heures, le procès-verbal d’arrestation fut rédigé, la requérante fut informée des accusations portées à son encontre, et un avocat d’office fut nommé. Le procès-verbal fut notifié, transmis en mains propres à la requérante, et lu par une interprète, A.C. La mère de la requérante fut également informée de l’arrestation de sa fille. Le lendemain, elle choisit un défenseur pour celle-ci.

20. Vers 13 heures, la requérante demanda aux agents de police du papier afin de rédiger une déclaration dans sa langue maternelle, l’anglais. Ce texte fut ensuite porté à l’attention de la police. Dans ce document, elle expliquait qu’elle se trouvait dans une situation de forte confusion et qu’elle entendait clarifier sa position. Elle racontait de manière détaillée le déroulement de la soirée du 1er novembre 2007, qu’elle aurait passée en compagnie de R.S. Elle indiquait essentiellement avoir passé la soirée et la nuit chez ce dernier. Elle faisait aussi état de son incapacité à se rappeler de la totalité des détails et déclarait avoir fumé un joint avec R.S. lors de cette soirée. Les autres parties pertinentes en l’espèce de ce document se lisent ainsi :

« 1. (...) concernant cette « confession » de la nuit dernière, je souhaite expliquer que je doute fortement de la véracité de mes déclarations car celles-ci ont été faites alors que j’étais sous le choc et que je subissais un stress et un épuisement extrêmes. Non seulement j’ai été informée du fait que j’avais été arrêtée et [que j’allais être] placée en prison pendant trente ans, mais j’ai aussi reçu des tapes sur la tête lorsque je ne me rappelais pas correctement un fait. Je comprends que la police subit une forte pression et je comprends donc le traitement qui m’a été infligé. Toutefois, c’était en subissant cette pression et après des heures de confusion que je suis parvenue à fournir ces réponses. Dans ma tête, j’avais vu D.L. dans des flashes d’images floues. Je l’ai vu près du terrain de basket, je l’ai vu à la porte d’entrée de chez moi. Je me suis vue dans la cuisine, me bouchant les oreilles avec les mains car, dans ma tête, je pouvais entendre M.K. hurler. Toutefois, et je l’ai dit de nombreuses fois afin de pouvoir m’expliquer clairement : ces choses semblent irréelles à mes yeux, elles ressemblent à un rêve et je ne suis pas sûre s’il s’agit d’événements qui ont réellement eu lieu ou [s’il s’agit] bien de rêves issus de mon imagination afin d’essayer de répondre aux questions (...) qui m’étaient posées. La vérité est que je ne suis pas sûre de la vérité et voici pourquoi :

. La police m’a indiqué avoir des preuves solides démontrant que j’étais chez moi pendant le meurtre de M.K. J’ignore quelles sont ces preuves, mais si c’est vrai, cela veut dire que mon esprit est très confus et que mes rêves doivent être réels.

. Mon petit ami a affirmé que j’avais dit des choses que je sais ne pas être vraies. Je sais lui avoir dit que je ne devais pas me rendre au travail ce soir-là. Je me souviens de ce moment-là très clairement. De plus, je ne lui ai jamais demandé de mentir pour moi. Cela est un pur mensonge. (...)

2. Je sais que le fait de ne pas pouvoir me souvenir complètement des événements que j’affirme avoir eu lieu chez R.S. au moment où M.K. a été tuée est compromettant pour moi. Je confirme les déclarations que j’ai faites la nuit dernière concernant des événements qui auraient pu avoir eu lieu chez moi avec D.L., [et] en même temps, je veux affirmer clairement que ces événements me semblent plus irréels que ceux que je viens de raconter, à savoir que je suis restée chez R.S.

3. Mon esprit est très confus en ce moment. Ma tête est pleine d’idées contradictoires et je sais que, pour cette raison, il peut être frustrant de travailler avec moi. Mais je vais aussi dire la vérité, du mieux que je peux. Tout ce que j’ai dit sur mon implication dans la mort de M.K., malgré l’incohérence [de mon discours], est la meilleure vérité que j’étais en mesure de me rappeler. Regardez bien, qu’est-ce que je suis censée penser qu’il s’est produit si l’on me reproche que ce que je pense être la réalité à propos de moi et de ce que j’ai fait est un mensonge ? Au début j’avais peur, j’étais irritée et mon esprit était confus. Mais avec le temps et la survenue du choc et de la panique, j’ai commencé à essayer de réfléchir à d’autres explications, et c’est parce que je dois penser de la sorte que je me sens en contradiction avec moi-même. Il y a une chose que je pense intimement être vraie, mais il y a aussi une autre possibilité qui pourrait être vraie, et honnêtement je ne peux pas me décider avec certitude. J’essaie, croyez-moi, car j’ai peur pour moi-même. Je sais que je n’ai pas tué M.K. C’est la seule chose dont je suis certaine. Dans les flash-backs que j’ai, je vois D.L. comme l’assassin, mais eu égard à la façon dont la vérité se présente dans mon esprit, c’est impossible pour moi de l’avoir su, car je ne me rappelle pas avec certitude que j’étais chez moi ce soir-là.

4. Les questions auxquelles il faudrait répondre à présent sont à mon sens les suivantes :

. pourquoi R.S. a-t-il menti (ou bien, selon vous, a-t-il menti) ?

. pourquoi ai-je pensé à D.L. ?

. les preuves de ma présence au moment et sur le lieu des faits sont-t-elles fiables ? Si oui, qu’est-ce que cela implique par rapport à ma mémoire ? Est-elle fiable ?

. y a-t-il d’autres preuves contre D.L. ou contre toute autre personne ?

. qui est vraiment l’assassin ? Cela est particulièrement important car je ne pense pas pouvoir servir de témoin à charge (« condemning testimone ») dans cette instance.

6. J’ai les idées plus claires que tout à l’heure, mais il y a encore des parties qui m’échappent, et je sais que c’est mauvais pour moi. Mais c’est la vérité et c’est ce que je pense maintenant. S’il vous plaît, ne me hurlez pas dessus car cela rend mon esprit encore plus confus, et cela n’aide personne. Je comprends combien cette situation est grave et, pour cette raison, je souhaite vous donner cette information au plus vite et le plus clairement possible (...). Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas tué M.K., et que je n’ai donc rien à craindre à part des mensonges. »

21. Peu de temps après, la requérante fut transférée à la prison de Pérouse.

22. Le même jour, le 6 novembre 2007, D.L. fut incarcéré. Ayant fourni un alibi, il fut libéré deux semaines plus tard.

23. Entre-temps, le 8 novembre 2007, à l’audience de validation de l’arrestation devant le juge pour les investigations préliminaires de Pérouse, la défense de la requérante, qui contestait ladite arrestation, avait indiqué que les déclarations de la requérante à la police en date du 6 novembre 2007 ne relevaient pas d’une confession mais d’une simple coopération avec les autorités. Elle avait ajouté que la requérante était profondément secouée et que ses souvenirs n’étaient pas fiables car elle aurait été troublée au point d’être privée de son libre arbitre (« capacità di autodeterminazione »).

24. Le 9 novembre 2007, la requérante rédigea deux textes en anglais, adressés à ses deux avocats[2]. Les parties pertinentes en l’espèce de l’un de ces textes se lisent comme suit :

« Pour mes avocats

1. (...) Ce que je voudrais vous apporter, c’est de l’aide, car je sais que ma position est quelque peu confuse. Je vais vous écrire tout ce que je sais du mieux que je peux et, en particulier, je voudrais vous parler de cette soi-disant « confession » que la police a reçue de ma part. Je vais commencer par cette « confession » car je sais qu’il s’agit de la partie la plus confuse et donc, je vais commencer par [le récit de] cette nuit-là.

2. Dans la nuit du lundi 5 novembre 2007 et le matin (...) du 6 novembre 2007, [j’ai vécu] l’une des pires expériences de ma vie, peut-être la pire. Autour de 22 h 30, R.S. et moi sommes arrivés au commissariat après avoir mangé chez un ami de R.S. C’était R.S. qui avait été appelé par la police, pas moi, mais je l’ai quand même accompagné au commissariat où il devait répondre à des questions, afin de le soutenir, comme il l’avait fait pour moi de nombreuses fois.

3. Quand nous sommes arrivés, R.S. a été emmené [dans une salle] et j’ai attendu [dans le couloir], à côté de l’ascenseur. J’ai jeté un coup d’œil à mes livres pendant que j’attendais. Au bout d’un moment, un policier est venu s’asseoir à côté de moi, apparemment pour passer le temps. Il ne m’a pas dit qu’il était policier. En fait, il m’a dit que je pouvais l’appeler comme je voulais car cela n’avait pas d’importance.

4. À ce moment-là, je me sentais frustrée et je le lui ai dit. Je pensais que c’était absurde d’être appelés par la police aussi tard le soir et d’être retenus au commissariat pendant des heures avec rien d’autre que des distributeurs automatiques pour manger quelque chose, en particulier considérant que nous étions en train de faire de notre mieux pour aider la police. (...)

5. Ensuite, [ce policier] m’a demandé qui je croyais pouvoir être l’assassin, mais comme je le leur avais déjà dit, puisque je n’étais pas là, je n’en avais aucune idée. Toutefois, il n’était pas satisfait de ma réponse. Qui je croyais pouvoir être [l’assassin] ? Comment j’aurais pu le savoir ? Je ne connaissais personne de dangereux. Ensuite, d’autres policiers sont arrivés, ils voulaient « parler », mais ils m’ont posé les mêmes questions. Quels hommes étaient venus chez moi ? Qui connaissait M.K. ? Est-ce que j’avais des numéros de téléphone ? Je leur ai donné toutes les informations que j’avais, noms, numéros de téléphone, descriptions. Mais cela m’a seulement donné mal à la tête. J’avais déjà répondu à ces questions juste avant et j’étais perplexe quant aux raisons pour lesquelles la police voulait tellement parler avec moi. Pourquoi moi ? Pourquoi [les policiers] continuaient-ils à me demander qui je croyais pouvoir être l’assassin alors que j’avais déjà répondu que je n’en avais aucune idée ?

6. Après ils m’ont [emmenée dans une salle], car il faisait « plus chaud ». J’ai demandé où était R.S.et ils m’ont dit qu’il aurait bientôt terminé, et qu’en attendant ils voulaient parler avec moi. L’interrogatoire a démarré assez vite. Un moment j’étais juste en train de parler et l’instant d’après ils étaient en train de me demander où j’étais entre 15 heures le 1er novembre et 1 h 30 le 2 novembre.

7. Je leur ai répondu que j’étais avec mon petit ami, comme je leur avais déjà dit. Ils m’ont demandé ce que j’avais fait pendant ce temps et j’ai réalisé que je n’avais pas beaucoup de souvenirs. Je leur ai dit que j’avais regardé le film Amélie avec R.S., que j’avais dîné avec lui [...], fumé un joint, mais que je ne me rappelais pas quand.

8. Ils m’ont dit que j’étais en train de mentir, qu’ils savaient que je n’étais pas avec R.S. mais que, par contre, j’avais rencontré quelqu’un et qu’ils avaient les preuves que ce soir-là j’étais chez moi. Cela m’a vraiment mise dans un état de confusion. Je leur ai dit que je n’étais pas en train de mentir et ils ont commencé à se fâcher en me disant « arrête de mentir, nous savons que tu étais là-bas ». (...) J’avais peur car je n’arrivais pas à me souvenir de ce que j’avais fait dans le laps de temps qu’ils avaient indiqué. (...) Ils m’ont dit qu’ils savaient que j’avais dit à R.S. de mentir. Je leur ai dit que ce n’était pas vrai.

9. Ensuite nous avons parlé du message envoyé par [D.L.] qui m’avait dit de ne pas aller travailler ce soir-là. Ils m’ont demandé si j’avais répondu à ce message. Je n’arrivais pas à me rappeler [si je l’avais fait] à ce moment-là, donc j’ai répondu « non ». Ils ont alors pris mon téléphone et m’ont montré un message dans lequel je disais [à D.L.] : « Ci vediamo, buona serata » (« À bientôt, bonne soirée »).

10. Ils m’ont traitée de « menteuse débile » et m’ont dit que j’étais en train de protéger quelqu’un. Ils mettaient devant moi des bouts de papier pour me faire écrire le nom de l’assassin, mais moi, je ne le connaissais pas. Je n’avais aucun élément pour pouvoir répondre à leurs questions et cela me terrorisait. Car je n’arrivais pas à me rappeler.

11. L’interprète m’a ensuite dit qu’elle avait eu un terrible accident de la route et qu’elle n’avait pas pu se souvenir de ce qui s’était passé pendant un an. Elle m’a dit que j’avais peut-être vu quelque chose de terrible que je n’arrivais pas à me rappeler. Comme je n’arrivais pas à me souvenir, j’ai commencé à penser que cela était vrai. (...)

12. Ils m’incitaient à leur donner le nom de l’assassin, faute de quoi je passerais les trente ans à venir en prison. Ils m’ont dit qu’ils avaient déjà arrêté l’assassin et qu’ils voulaient seulement que je dise son nom, mais moi je n’en savais rien. Ma tête était une page blanche (a blank slate). Maintenant, maintenant, maintenant ! Ils criaient sur moi. Un des agents m’a frappée deux fois derrière la tête. Dans ma tête, je cherchais quelques réponses. J’étais vraiment perplexe. Je pensais avoir été chez mon petit ami, mais si ce n’était pas vrai ? Et si je ne pouvais peut-être pas me rappeler ? J’ai essayé, essayé, essayé mais je ne pouvais me souvenir de rien.

13. Tous les policiers sortirent, sauf un. Il me dit qu’il était le seul à pouvoir me faire échapper à trente ans de prison et je lui ai répondu que je ne me souvenais de rien. J’ai donc demandé à revoir le message sur mon téléphone pour voir si je me souvenais de l’avoir envoyé et lorsque j’ai vu le message j’ai pensé à [D.L.]. C’était tout ce à quoi je pouvais penser : D.L. J’ai imaginé l’avoir rencontré sur le terrain de basket, je l’ai imaginé devant chez moi, j’ai imaginé couvrir mes oreilles pour ne pas entendre les cris de [M.K.] et alors, j’ai dit « D.L. ».

14. J’ai dit [D.L.], et maintenant je le regrette totalement car je sais que ce que j’ai dit a fait du mal à quelqu’un et moi je n’ai aucune idée si [D.L.] a été mêlé à cette histoire ou non. Ensuite je me suis comportée de manière hystérique, j’ai pleuré et j’étais inquiète de ce qui allait m’arriver. Mon esprit était tellement confus. [Les policiers] m’ont dit qu’ils devaient mettre noir sur blanc ce que je venais de dire mais moi j’ai dit que je n’étais pas sûre (...) mon esprit était confus, mais ça ne les intéressait pas.

15. Pendant qu’ils étaient en train d’écrire cette « confession », qu’ils n’appelèrent pas ainsi, ils m’ont demandé si j’étais d’accord qu’ils écrivent certaines choses. Je n’ai pas fourni d’explications, je répondais juste oui ou non selon les images de D.L. [que j’avais en tête] mais je leur ai toujours dit que je n’étais pas sûre, tout cela ne me paraissait pas réel. Ils m’ont demandé pourquoi il l’avait fait et je ne le savais pas. Pourquoi quelqu’un devrait tuer quelqu’un d’autre ? Je leur ai dit qu’il devait être fou. Ils m’ont demandé si je le craignais et j’ai dit oui. Mon esprit était tellement confus et l’idée qu’il avait tué quelqu’un m’effrayait. Mais je n’avais jamais eu peur de lui avant, il a toujours été gentil avec moi.

16. Après tout ça, [les policiers] m’ont permis de dormir, enfin. Je repensais à tout (...) et au fur et à mesure que je me calmais je devenais certaine que les choses que j’avais dites à propos de [D.L.] n’étaient pas vraies. (...) en particulier, je n’avais pas dit à R.S. que je devais aller au travail (...) je me rappelle pertinemment lui avoir dit que je ne devais pas aller au travail (...) Aussi, je ne lui avais jamais dit de mentir. Pourquoi aurait-il dû mentir ? (...) J’ai fait part aux policiers de mes doutes, mais ils m’ont dit de ne pas m’inquiéter, que petit à petit je me rappellerai. Alors j’ai attendu. (....) »

25. Le deuxième texte écrit par la requérante le même jour à 15 h 45 couvre essentiellement les étapes des journées ayant précédé le 5 novembre 2007.

26. L’arrestation de la requérante fut ensuite validée par une ordonnance du juge pour les investigations préliminaires du 9 novembre 2007 (celle-ci fit par la suite objet d’une procédure en annulation – voir paragraphes 32 et suivants ci-dessus). Assistée par un interprète, R.B., l’intéressée se prévalut de la faculté de ne pas répondre. Elle confirma aussi la nomination de deux défenseurs.

27. Le lendemain, lors d’une conversation enregistrée avec sa mère, la requérante indiqua à celle-ci qu’elle se sentait mal pour D.L., qui se trouvait en prison à cause de ses déclarations.

28. Le 17 décembre 2007, la requérante, assistée par ses avocats et par un interprète, J.K., fut interrogée. Elle déclara avoir accusé D.L. car elle aurait eu peur et aurait été mise sous pression par les agents de police, qui l’auraient accusée de mentir, lui auraient dit qu’elle savait qu’elle était dans la maison au moment des faits, l’auraient menacée et lui auraient hurlé dessus. Elle indiqua que les agents lui avaient notamment dit qu’elle ne se rappelait probablement pas correctement des faits et l’avaient invitée à essayer de s’en souvenir correctement.

29. Elle indiqua ne jamais avoir eu l’esprit aussi confus de sa vie. Elle dit avoir alors imaginé que D.L. était chez elle, qu’elle pensait à ce moment‑là qu’il s’agissait de la vérité et qu’elle l’avait exposé à la police. L’intéressée se prévalut ensuite de la faculté de ne pas répondre.

30. Le 14 mai 2008, la requérante fut mise en examen pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de D.L.

31. Le 19 juin 2008, l’avis de conclusion des investigations préliminaires fut notifié à la requérante, en italien et en anglais. Dans le cadre de celui-ci, la requérante fut informée des accusations portées contre elle, à savoir, entre autres, concours en violences sexuelles à l’encontre de M.K., meurtre de celle-ci, et dénonciation calomnieuse à l’égard de D.L.

2. La procédure en annulation de l’ordonnance d’arrestation de la requérante devant le tribunal de réexamen

32. Entre-temps, la requérante contesta l’ordonnance d’arrestation du 9 novembre 2007 devant le tribunal de réexamen (tribunale del riesame) de Pérouse.

33. Le 30 novembre 2007, le tribunal rejeta ce recours. La requérante se pourvut en cassation, se plaignant, entre autres, de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un défenseur pendant qu’elle était entendue.

34. Par un arrêt du 1er avril 2008, la Cour de cassation débouta la requérante. Elle estima que les déclarations recueillies le 6 novembre 2007 à 1 h 45 étaient inutilisables contre la requérante pour les délits qui lui étaient reprochés (violences sexuelles et meurtre) et utilisables uniquement à l’encontre de tiers. Elle considéra en revanche que les déclarations recueillies à 5 h 45 étaient inutilisables à la fois contre la requérante et contre des tiers, car elles avaient été recueillies dans une phase de la procédure où, alors qu’elle était entendue par un magistrat et avait acquis formellement la qualité de personne mise en examen, l’intéressée n’était pas assistée par un défenseur.

B. Les procédures pénales à l’encontre de la requérante

1. La première partie de la procédure pour concours en violences sexuelles et meurtre et pour dénonciation calomnieuse

a) La procédure devant la cour d’assises de Pérouse

35. Dans son arrêt du 5 décembre 2009, la cour d’assises condamna la requérante et R.S. pour concours en violences sexuelles et meurtre. La requérante fut aussi condamnée pour dénonciation calomnieuse, au motif qu’elle avait proféré des déclarations accusatoires à l’encontre de D.L. alors qu’elle le savait innocent.

36. Dans le cadre de cette procédure, des audiences eurent lieu les 13 mars et 12 et 13 juin 2009. Les parties pertinentes en l’espèce de ces audiences sont résumées ci-dessous.

i. L’audience du 13 mars 2009

α) Le témoignage de A.D. (ayant exercé les fonctions d’interprète lors de l’audition de la requérante du 6 novembre 2007)

37. A.D. s’exprima comme suit. À son arrivée au commissariat, le 6 novembre 2007 à 0 h 30 environ, la requérante était déjà en train d’être interrogée par deux agents de police.

38. La requérante a ensuite eu un choc émotif lorsque la police lui a montré, sur son téléphone portable, sa réponse à un SMS que lui avait envoyé D.L. alors qu’elle venait de soutenir ne pas avoir répondu au message de D.L. en question. Alors qu’elle formulait des accusations à l’encontre de D.L., la requérante pleurait, couvrait ses oreilles de ses mains et secouait la tête. Elle faisait alors preuve d’un transport émotif extrême, que A.D. n’était pas près d’oublier, et « en raison de cela tous avaient cru [à ses déclarations] (...), car elle avait livré un récit précipité, angoissé et très crédible ».

39. La requérante était alors entourée des policiers qui la réconfortaient et l’un d’entre eux lui avait pris les mains pour la rassurer.

40. À un certain moment de l’interrogatoire, dans le but d’établir un rapport d’« assistance humaine » et de « solidarité » avec la requérante, elle lui a raconté des anecdotes de sa vie privée, notamment un accident dont elle aurait été victime et à la suite duquel elle aurait souffert d’une fracture de la jambe, et elle a indiqué à l’intéressée que, en raison du traumatisme subi, elle avait eu un trou de mémoire et ne se souvenait plus des faits. Elle dit qu’elle avait en effet remarqué que la requérante avait du mal à se rappeler les faits car le récit de cette dernière était selon elle « extrêmement vague, incertain et fragmentaire ».

41. Elle dit avoir aussi joué un rôle de « médiatrice » car, selon elle, son travail ne consistait pas seulement à assurer la simple traduction de déclarations mais aussi à tisser un rapport humain avec son interlocuteur afin « de percevoir les besoins de la personne concernée et de les traduire ».

42. Lors d’une autre audition du 3 septembre 2015 dans le cadre de la procédure devant le tribunal de Florence terminée par un jugement du 14 janvier 2016, elle reconnut qu’elle ne devait plus adopter de tels comportements et que, bien qu’il se fût agi à ses yeux d’un instinct naturel en vue d’aider une personne en difficulté, considérant les conséquences de ce comportement dans le cas d’espèce, elle avait sûrement fait une erreur.

43. Elle ajouta que, au cours de l’audition, il avait été demandé à la requérante si elle souhaitait nommer un avocat et que celle-ci avait répondu par la négative. Elle dit ignorer les raisons pour lesquelles ce fait n’avait pas été transcrit dans le procès-verbal.

44. Elle soutint que, en tout cas, la requérante n’avait pas subi de mauvais traitements et n’avait pas été frappée à la tête. Selon elle, personne ne l’avait menacée de détention ni ne l’avait dissuadée de nommer un avocat.

β) Les déclarations spontanées de la requérante et la procédure d’office pour déclarations calomnieuses à l’encontre des agents de police

45. La requérante exposa de nouveau avoir été traitée de manière agressive et blessante et avoir reçu des tapes sur la tête au cours de ses auditions du 6 novembre 2007. Elle se plaignit aussi du comportement de l’interprète A.D. qui, lui relatant un épisode de sa vie privée, à savoir un traumatisme qu’elle aurait subi, lui aurait suggéré que « puisqu’elle était traumatisée, elle n’arrivait pas à se rappeler correctement des faits et, par conséquent, elle devait essayer de se rappeler autre chose ».

46. À la fin de l’audience, le procureur de la République, G.M., demanda la transmission des actes au parquet. Une procédure fut engagée contre la requérante pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des agents de police qui l’avaient questionnée le 6 novembre 2007 (paragraphes 98 et suivants ci-dessous).

47. À la même occasion, la défense de la requérante demanda la transmission des actes au parquet, estimant que les déclarations de sa cliente concernant les modalités d’exécution de ses auditions contenaient des éléments soulevant des questions de responsabilité pénale (« profili di responsabilità penale »). Cette demande n’eut toutefois pas de suite.

ii. L’audience du 12 juin 2009

α) Les réponses de la requérante aux questions posées par la défense de D.L.

48. La requérante s’exprima comme suit. En arrivant au commissariat, le 5 novembre 2007, elle ne se doutait pas devoir être interrogée. Alors qu’elle attendait, elle a été approchée par des policiers. Ceux-ci lui ont répété les questions qui lui auraient déjà été posées au début de l’affaire, notamment celles concernant l’identité de l’assassin. Elle a répété à plusieurs reprises ne pas la connaître.

49. Elle a ensuite été amenée dans une pièce où on l’a encore une fois invitée à répéter tout ce qu’elle avait dit auparavant. On lui a ensuite demandé son téléphone et c’est à ce moment-là qu’on lui a posé la question concernant le message envoyé en réponse au SMS de D.L., qu’elle ne se serait pas rappelée avoir envoyé.

50. Elle a été traitée à plusieurs reprises de « menteuse stupide » et accusée de protéger quelqu’un, ce qu’elle aurait nié. On lui a montré son téléphone en lui disant de regarder et en continuant à l’insulter. À partir de ce moment, elle a commencé à avoir très peur car elle n’aurait pas compris pourquoi elle était traitée de cette manière. L’interprète lui a alors raconté un accident qu’elle aurait vécu et la perte de mémoire qui aurait suivi et lui a suggéré qu’elle était traumatisée et que c’était la raison pour laquelle elle ne pouvait donc pas se souvenir des faits.

51. On lui a demandé encore une fois de s’efforcer de se rappeler ce que, selon les policiers, elle aurait oublié et, « soumise à une telle pression », entourée de personnes qui criaient et qui la menaçaient de détention car elle aurait protégé quelqu’un, elle a commencé à entrer dans un état de confusion et à imaginer qu’elle était probablement traumatisée et qu’elle ne pouvait donc pas se souvenir des faits.

52. Dans ce contexte, le fait qu’il aurait pu s’agir du fruit de son imagination n’était pas tellement important, car elle avait été placée dans une situation dans laquelle elle devait se souvenir de la réalité tôt ou tard, cette dernière consistant, selon les suggestions de la police, à livrer un nom qu’elle ne connaissait pas. Le fait de se souvenir d’une version réelle d’un côté et, de l’autre côté, de commencer, en raison de la pression à laquelle elle aurait été soumise, à imaginer une autre version des faits, la mettait dans un état de confusion extrême.

53. Les policiers paraissaient en effet tellement sûrs d’eux en disant qu’elle était au courant de ce qui s’était passé, et ils attachaient tellement d’importance au message qu’elle aurait envoyé en réponse à D.L. qu’elle a commencé à penser l’avoir effectivement rencontré, alors qu’elle aurait été très confuse.

54. Les policiers lui ont ensuite demandé si elle avait entendu les cris de M.K. Elle a répondu par la négative. Les policiers lui ont demandé comment cela était possible puisqu’elle aurait été présente. Dans sa confusion et sous la pression de la police, elle a essayé de suivre le raisonnement suggéré par les policiers, à savoir qu’elle aurait entendu les cris et, comme elle ne se serait pas rappelée les avoir entendus, elle a répondu qu’elle s’était peut-être bouché les oreilles.

55. La défense de D.L. lui demanda si, pour formuler de telles déclarations, elle avait été frappée. La requérante répondit qu’elle avait été frappée deux fois avant de prononcer le nom de D.L., et que ces coups avaient pour but de « (...) lui faire sortir un nom qu’elle n’était pas en mesure de fournir ».

56. Elle indiqua que cet état de confusion et la pression à laquelle elle aurait été soumise avait perduré pendant des heures. Elle ajouta que ses déclarations avaient été recueillies contre sa volonté. Elle indiqua notamment ce qui suit : « tout ce que j’ai dit a été dit sous la pression, [dans un état de] confusion car [mes paroles m’avaient été] suggéré[es] par le procureur et par les policiers ».

57. Enfin, en ce qui concerne les textes rédigés le 6 novembre 2007 autour de 13 heures au commissariat (paragraphe 20), en réponse à la question de la défense de D.L. de savoir si le fait de confirmer ses déclarations de la nuit précédente lui avait été suggéré par la police, la requérante déclara :

« J’ai écrit ce texte car j’étais confuse, je leur avais dit que je n’étais pas sûre et que je n’étais donc pas en mesure de témoigner, que je pensais qu’il s’agissait d’une grosse erreur et eux, ils ne voulaient pas m’écouter. Ils me disaient que les faits me reviendraient à l’esprit plus tard et que je devais être patiente et me rappeler. Comme je ne me sentais pas à l’aise avec les déclarations que je venais de formuler, j’ai demandé aux policiers de pouvoir expliquer ma confusion. (...). J’ai confirmé librement et spontanément ces déclarations dans ce sens que, tout en étant incapable de faire la différence entre mon imagination et la réalité, j’étais consciente du contenu des déclarations que je venais de faire et de signer. Par cet écrit, j’ai confirmé (...) qu’il était vrai que je venais de faire ces déclarations, mais que j’étais tout de même dans un état de confusion ».

58. À la question de savoir si elle était certaine que D.L. était innocent, la requérante répondit qu’elle ne l’était pas à ce moment-là car elle aurait été confuse. Elle dit avoir imaginé que les faits qu’elle venait de relater avaient vraiment pu avoir lieu. Elle allégua n’avoir donné le nom de D.L. que parce qu’elle aurait suivi les suggestions de la police, ne sachant pas à ce moment-là si D.L. était innocent ou non.

59. Elle exposa que, de plus, la police lui avait dit avoir déjà arrêté l’assassin et que, dans le contexte décrit ci-dessus, elle avait pensé qu’il pouvait s’agir de D.L. Elle indiqua qu’elle n’avait réalisé que plus tard que D.L. avait été mis en détention sur la seule base de ses déclarations, ce qui expliquait selon elle son sentiment de culpabilité.

60. Par ailleurs, elle relata que, lorsqu’elle avait demandé du papier aux agents de police pour rédiger ses déclarations, ceux-ci lui avaient demandé de manière ironique si elle avait encore une autre version des faits à fournir. Selon elle, c’est aussi dans ce contexte que, ne se sentant plus en confiance ni avec la police ni avec le procureur, elle cessa de s’adresser aux autorités et décida par contre de ne s’exprimer que par écrit ou directement par le biais de ses défenseurs.

61. À la question de savoir les raisons pour lesquelles elle n’avait pas communiqué ces faits ni à la police pénitentiaire ni, le 8 novembre 2007, au procureur, la défense de la requérante répondit que non seulement l’intéressée les avait communiqués, mais qu’elle les aurait même rédigés dans ses textes du 6 novembre 2007, qui auraient été remis à un agent de police.

β) Les réponses de la requérante aux questions posées par son avocat

62. La requérante relata les passages principaux de ses auditions du 6 novembre 2007 comme suit.

63. Il y avait beaucoup de va-et-vient dans la salle. Quelqu’un avait dit que R.S. était entendu en même temps qu’elle. Un policier avait ensuite dit que, selon R.S., le jour du meurtre, elle avait quitté son appartement. Par la suite, le message sur son téléphone lui avait été montré.

64. La tension était montée, les policiers s’adressaient à elle d’un ton brusque et ils hurlaient. Un agent de police lui avait ensuite donné deux tapes sur la tête, une fois alors qu’elle était de dos et, la deuxième fois, alors qu’elle s’était retournée. Pendant ce temps, les policiers avaient continué à lui demander avec insistance de se rappeler des faits.

65. À un moment non précisé, elle avait demandé si elle n’avait pas le droit d’être assistée par un avocat. L’assistance d’un avocat lui avait été déconseillée par les policiers. Ces derniers lui avaient dit que la présence d’un défenseur aurait aggravé sa situation car, selon eux, cela aurait démontré qu’elle refusait de coopérer avec la police. Elle avait donc renoncé à une assistance légale.

66. On ne lui avait pas permis de téléphoner à sa mère alors qu’elle savait que celle-ci se serait apprêtée à arriver.

67. Ce n’est qu’après ses déclarations que le ton des agents de police était devenu tout à coup réconfortant et que ceux-ci lui avaient dit qu’ils l’auraient protégée. Ils lui avaient alors apporté du thé.

68. On lui avait ensuite communiqué qu’elle devait finalement rester au commissariat. Elle s’était alors installée sur une chaise et s’était assoupie.

69. Des personnes étaient entrées et sorties de la salle et elle leur avait demandé d’être entendue à nouveau. Elle leur avait dit qu’elle n’était pas sûre de ses déclarations concernant D.L., compte tenu de la situation de confusion et de stress émotionnel dans laquelle elle se serait trouvée. Elle avait toutefois été invitée par le policier à rester tranquille et à attendre. En effet, selon lui, la mémoire lui serait revenue plus tard et la police devait procéder à des vérifications.

70. Alors qu’elle attendait, elle avait demandé du papier afin de mettre ses pensées noir sur blanc et en anglais, car la police n’aurait pas voulu l’entendre.

71. À un moment donné, la police lui avait demandé de se préparer rapidement car elle aurait dû être conduite en prison. Incrédule, elle avait demandé les raisons de ce transfert et proclamé son innocence. La police lui avait indiqué qu’il ne se serait agi que d’une formalité.

72. On lui avait ensuite notifié le décret d’arrestation. Sans vraiment comprendre la nature des différents documents qui lui avaient été soumis pour signature, elle avait signé car elle aurait eu seulement envie de rentrer chez elle.

73. Concernant le SMS envoyé en réponse à D.L., la requérante expliqua lors de cette audience que le message en question, « Ci vediamo dopo », tel que résultant de la traduction des documents, correspond à l’anglais « See you later » et qu’il se traduit plutôt par « Au revoir » (« Ciao » en italien).

iii. L’audition de la requérante du 13 juin 2009

74. La requérante confirma la version des faits résultant des textes qu’elle avait rédigés, notamment en ce qui concernait la position de l’interprète A.D. et les pressions exercées par celle-ci et par les agents de police qui l’auraient offensée, agressée verbalement, frappée à la tête, et qui auraient profité de sa fatigue et de sa confusion pour la conduire à accuser D.L.

75. Elle expliqua avoir été frappée alors que plusieurs policiers étaient debout autour et derrière elle et qu’elle-même et l’interprète étaient assises. Elle exposa que l’un des policiers, qui était derrière elle, lui avait demandé de manière très insistante de se rappeler des faits et avait fait suivre à deux reprises ses questions de tapes sur sa tête.

76. Dans une partie du procès-verbal, la requérante se référa à ce moment de l’audition. Elle indiqua que l’agent de police en question ne lui avait pas vraiment fait mal physiquement mais qu’il lui avait fait peur.

iv. Les conclusions de la cour d’assises concernant la condamnation pour dénonciation calomnieuse

77. La cour d’assises considéra que les accusations de la requérante à l’encontre de D.L. ressortaient de manière évidente des déclarations de l’intéressée faites dans la nuit du 5 au 6 novembre 2007.

78. Elle releva que la requérante avait par ailleurs fait référence à ces accusations dans la conversation qu’elle avait eue avec sa mère le 10 novembre 2007, alors qu’elle se trouvait sur écoute, et qu’elle avait manifesté des regrets à cet égard. La cour d’assises considéra qu’il s’agissait de la confirmation des accusations et de la prise de conscience de leur injustice. Elle estima que cette prise de conscience dérivait par ailleurs de la responsabilité de la requérante dans le délit de meurtre et de violences à l’égard de M.K.

79. La cour d’assises observa aussi qu’il devait être exclu que la requérante fût parvenue aux déclarations susmentionnées en raison des pressions exercées par les enquêteurs, auxquelles elle n’aurait pas pu opposer de résistance.

80. De l’avis de la cour d’assises, une telle thèse ne pouvait pas être validée pour les raisons suivantes :

(i) il n’y avait eu aucune confirmation ni preuve (riscontro) des pressions qu’aurait subies la requérante de la part des enquêteurs ;

(ii) D.L. n’étant pas connu des forces de l’ordre, les policiers n’avaient aucune raison d’indiquer son nom à la requérante afin d’influencer ses déclarations ;

(iii) dans son texte du 6 novembre 2007 (versé au dossier, car constituant une pièce à conviction concernant la requérante (corpo di reato) pour le délit en cause) la requérante avait écrit : « Je confirme les déclarations que j’ai faites la nuit dernière concernant des événements qui pourraient avoir eu lieu chez moi avec D.L. (...) dans ces flash-backs que j’ai, je vois D.L. comme l’assassin ».

81. La cour d’assises conclut donc que la requérante avait accusé D.L. de son propre chef et ce alors qu’elle était consciente de l’innocence de celui-ci (paragraphe 35 ci-dessus). Aux yeux de la cour d’assises, les éléments versés au dossier montraient par ailleurs la finalité ainsi poursuivie par la requérante, à savoir détourner les enquêteurs de sa propre responsabilité et de celle de R.S.

b) Le recours en appel

82. La requérante interjeta appel. Elle allégua, entre autres, que ses déclarations recueillies à 5 h 45 l’avaient été en l’absence des garanties de la défense et qu’elles avaient constitué l’élément matériel de sa condamnation pour calomnie. Elle soutint ne jamais avoir entendu volontairement impliquer une troisième personne dans le meurtre de M.K. et qu’un ensemble de pression psychologique, d’épuisement et d’ignorance des procédures et de ses droits l’avait poussée à faire une déclaration non conforme à la réalité, alors qu’elle n’était selon elle pas en mesure de se rappeler ni d’évaluer les faits.

83. Elle dénonça aussi le fait que le texte qu’elle avait rédigé le 6 novembre 2007 ait été séquestré par la police et utilisé en tant que pièce à conviction. Elle déclara que ce document démontrait l’absence de dol dans le délit qui lui était imputé et faisait clairement état d’une situation de confusion extrême entre réalité et imagination.

c) L’arrêt de la cour d’appel de Pérouse du 3 octobre 2011

84. Le 3 octobre 2011, la cour d’appel de Pérouse acquitta la requérante et R.S. des chefs de concours en violences sexuelles et meurtre et confirma la condamnation de la requérante pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de D.L. Ayant déjà passé trois ans en détention pour dénonciation calomnieuse, la requérante fut libérée le jour même et, le 4 octobre 2011, elle quitta l’Italie pour les États-Unis.

85. L’arrêt de la cour d’appel se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Dénonciation calomnieuse

1. Les déclarations « spontanées » faites par [la requérante] le 6 novembre 2007 et ses textes ont été versés au dossier.

2. (...) Les déclarations peuvent être utilisées concernant l’infraction de dénonciation calomnieuse mais ne peuvent pas l’être quant aux autres infractions dont M.K. a été victime, comme l’a remarqué la Cour de cassation dans son arrêt du 1er avril 2008 car [lesdites déclarations], rendues en l’absence d’un défenseur, sont frappées de nullité absolue.

3. D’après la thèse de l’accusation, la requérante, épuisée par le long interrogatoire [auquel elle avait été soumise] et démoralisée [après avoir] appris que R.S. avait contredit son alibi, avait procédé à une dernière tentative de défense : elle avait plus au moins décrit ce qui s’était réellement produit chez elle mais elle avait changé le protagoniste en substituant D.L à R.G., « noir pour noir », selon les mots du procureur.

4. (...) Afin d’évaluer la portée des déclarations « spontanées » et des textes [de la requérante], rédigés tout de suite après, il faut tenir compte du contexte dans lequel les déclarations ont été faites et les textes rédigés.

5. La durée excessive des interrogatoires, de jour comme de nuit, par plusieurs personnes, à l’encontre d’une jeune fille étrangère qui, à l’époque, ne comprenait ni ne parlait bien la langue italienne, ignorait ses droits, était privée de l’assistance d’un défenseur (auquel elle aurait eu droit, compte tenu de sa mise en examen pour des délits très graves) et, en plus, était assistée par une interprète qui [...] au lieu de se limiter à son travail de traduction, l’incitait à se souvenir [des faits] en lui expliquant que, probablement, en raison du traumatisme subi, ses souvenirs étaient confus, rend tout à fait compréhensible [le fait] que [la requérante] se trouvait dans une situation de pression psychologique importante – le mot « stress » serait limitatif – de nature à faire surgir des doutes quant à la spontanéité des déclarations faites [par l’intéressée]. Cette spontanéité s’était, de manière singulière, manifestée en pleine nuit, après des heures d’interrogatoire, (...) à 1 h 45 et à 5 h 45.

6. Afin de démontrer que [la requérante] n’était pas troublée, les déclarations de certains fonctionnaires de police et d’autres jeunes filles qui avaient été convoquées ont été rappelées : [la requérante] et R.S., selon eux, se témoignaient leur affection et [la requérante], alors qu’elle attendait, avait même réalisé des exercices de gymnastique.

7. En réalité, mis à part le fait que les effusions [en question], de simples gestes de tendresse entre deux amoureux, pouvaient être un moyen pour se réconforter mutuellement, et que les exercices de gymnastique pouvaient être un simple moyen d’exorciser le climat d’angoisse et de peur qui avait gagné tout le monde (...), il y a lieu d’observer que lesdites déclarations se réfèrent au début de la présence [de la requérante] au commissariat, et non pas à la nuit (1 h 45 et 5 h 45), lorsque les déclarations soi-disant « spontanées » ont été faites, ce qui démontre que, contrairement à la thèse de l’accusation, [la requérante], au début, n’avait aucune raison d’avoir peur et qu’elle s’est par contre sentie oppressée et stressée justement à la suite de son interrogatoire et des modalités selon lesquelles celui-ci a été conduit. (...)

8. Le contexte dans lequel les déclarations ont été rendues était clairement caractérisé par une condition psychologique devenue véritablement pour la requérante un poids insupportable : A.D. évoque un réel choc émotionnel [de la requérante] au moment où l’histoire du message avec D.L. a émergé.

9. Or, compte tenu du fait que D.L. était réellement étranger aux faits, ce choc émotionnel ne peut pas être dû au fait [pour la requérante] d’avoir été découverte (concernant quoi au juste ? le fait d’avoir échangé un message avec une personne qui n’avait rien à voir avec le délit ?) mais plutôt à l’aboutissement au maximum de la tension émotive [de l’intéressée].

10. Dans ce contexte, il est compréhensible que, cédant à la pression et à la fatigue, la requérante ait espéré mettre fin à la situation qui s’était créée en fournissant à ceux qui étaient en train de l’interroger ce que, en fin de compte, ils voulaient avoir comme réponse : un nom, un assassin. (...) En donnant ce nom à ceux qui étaient en train de l’interroger aussi durement, [la requérante] espérait vraisemblablement mettre fin à cette pression devenue désormais, depuis de longues heures, un vrai supplice, alors qu’ajouter des détails, construire une brève histoire autour de ce nom n’était certainement pas très difficile (...).

11. (...) Toutefois, cette cour estime qu’il n’y a pas d’éléments suffisamment pertinents pour conclure que [la requérante], alors qu’elle faisait ses déclarations spontanées et rédigeait ses textes, se trouvait non seulement dans une situation [dans laquelle elle subissait] une pression psychologique importante et du stress mais aussi [dans une situation] de défaut de discernement et de volonté (incapacità di intendere e di volere). En accusant d’un délit aussi grave une personne qu’elle savait innocente, elle doit néanmoins répondre du délit de dénonciation calomnieuse. (...) »

d) Le pourvoi en Cassation

86. La requérante se pourvut en cassation en dénonçant la contradiction existant selon elle entre sa condamnation et le fait que la cour d’appel avait reconnu que les actes utilisés comme preuve à conviction, à savoir ses déclarations du 6 novembre 2007 et le texte qu’elle avait rédigé le même jour, ne reflétaient pas le déroulement réel des faits.

87. Par ailleurs, elle allégua que des éléments soulevant des questions de responsabilité pénale étaient apparus à un moment de la procédure où aucune accusation n’avait encore été formulée à son encontre. Elle indiqua que, pensant coopérer avec la police, alors qu’elle se serait trouvée dans une situation de confusion, elle avait été amenée à indiquer une piste qui, selon elle, aurait dû être vérifiée par les autorités.

88. Elle exposa que, les déclarations qu’elle avait faites rentrant selon elle dans le cadre d’investigations qui étaient déjà en cours, elle aurait dû bénéficier des garanties de son droit de défense. Elle allégua qu’elle aurait donc dû être informée, entre autres, de son droit de nommer un avocat, de garder le silence, d’être assistée par un interprète et de prévenir sa représentation diplomatique et les membres de sa famille.

89. Selon elle, l’élément matériel de l’infraction de dénonciation calomnieuse faisait donc défaut en l’espèce.

90. De plus, la requérante se plaignit que, afin de ne pas répondre du délit qui lui était imputé, elle aurait dû souffrir de défaut de discernement, situation extrême résultant normalement d’une pathologie grave.

91. Elle répéta encore une fois qu’elle se trouvait dans une situation de vulnérabilité lors des interrogatoires du 6 novembre 2007, qu’elle ne parlait pas bien l’italien, qu’elle était jeune, qu’elle se trouvait à Pérouse depuis très peu de temps, qu’elle était fatiguée, qu’elle avait reçu des tapes sur la tête et des pressions de la part de « l’interprète/traductrice » et, surtout, qu’elle avait reçu une information captieuse selon laquelle R.S. avait changé sa version des faits et avait été menacée d’incarcération si elle ne rappelait pas des faits. Elle déclara que l’ensemble de ces éléments avait contribué à altérer sa capacité à évaluer correctement la réalité.

e) L’arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2013 déposé le 18 juin 2013

92. À cette date, la Cour de cassation annula l’arrêt d’acquittement du 3 octobre 2011 et renvoya l’affaire devant la cour d’assises d’appel de Florence. Elle confirma la condamnation de la requérante pour dénonciation calomnieuse et renvoya cette partie de l’affaire uniquement en ce qui concernait l’existence d’une circonstance aggravante, à savoir le fait pour la requérante d’avoir calomnié D.L. dans le but de ne pas être poursuivie pour meurtre.

2. La deuxième partie de la procédure pour concours en violences sexuelles et meurtre et pour dénonciation calomnieuse (le renvoi)

a) L’arrêt de la cour d’assises d’appel de Florence du 30 janvier 2014

93. La cour d’assises d’appel condamna la requérante à vingt-huit ans et six mois de réclusion pour concours en violences sexuelles et meurtre et, retenant la circonstance aggravante, à trois ans de réclusion pour dénonciation calomnieuse.

94. Concernant cette dernière condamnation, la cour d’assises d’appel observa que, le 6 novembre 2007, la requérante avait inculpé D.L. du meurtre. Les parties pertinentes en l’espèce de l’arrêt se lisent comme suit :

« 1. (...) Ensuite, après quatre heures pendant lesquelles la jeune fille n’eut pas de contact avec l’extérieur et ne subit pas de mauvais traitements particuliers, à 5 h 45, elle maintint sa version des faits mensongère et l’enrichit même de détails alors qu’elle se trouvait non pas devant des agents de police perfides, qui l’auraient obligée de fournir de telles déclarations, mais devant un magistrat, auquel la jeune fille aurait pu s’adresser avec davantage de confiance, en dénonçant tout de suite les traitements qu’elle disait avoir subis, sans même courir le risque de mesures de rétorsion car, à 5 h 45, [la requérante] n’était pas privée de sa liberté. [La requérante] réitéra ses accusations devant le magistrat, accusations qu’elle ne rétracta jamais lors des jours suivants, même lorsque, une fois soustraite aux griffes de la police et du procureur de la République, elle avait eu la possibilité d’échanger avec ses défenseurs et les membres de sa famille ; [elle les réitéra] jusqu’à la conséquence extrême de telles accusations, à savoir l’arrestation et l’incarcération d’une personne qu’elle savait être innocente pendant de nombreux jours, parfaitement indifférente à la souffrance humaine qu’elle causait. (...)

2. La seule motivation raisonnable de sa dénonciation calomnieuse à l’encontre de D.L. était celle de détourner les soupçons d’elle-même et de R.S. concernant le meurtre, en inculpant une personne qu’elle savait parfaitement être étrangère aux faits et, donc, qui n’était pas en mesure [d’exercer une quelconque] rétorsion à son encontre (...).

3. La circonstance que, dans la phase d’investigation qui a précédé le procès, lorsque D.L. était incarcéré, deux versions des faits coexistaient (celle résultant des déclarations [de la requérante] d’une part et celle résultant du texte [rédigé par la requérante] d’autre part, dans lequel D.L. ne figurait pas) et que les deux avaient été fournies par l’étudiante américaine, sans qu’une phase d’évaluation approfondie, visant à éclaircir les raisons d’une telle contradiction objective, ne soit menée, représente un développement inexplicable de la phase d’investigation dans cette affaire. (...)

4. Il y a lieu aussi de souligner que les déclarations faites par la jeune fille à la police judiciaire puis au procureur dans la nuit du 6 novembre 2007 revêtent un intérêt certain aussi dans le cadre des éléments matériels à charge contre la requérante concernant spécifiquement le meurtre qui fait l’objet de ce procès, dans ce sens que celles-ci contiennent des références précises à des éléments de fait que la phase d’instruction a confirmé par la suite avoir réellement eu lieu dans la nuit du 1er au 2 novembre 2007 et qu’une personne étrangère au déroulement de ces événements n’aurait pas pu évoquer. »

b) Le pourvoi en cassation

95. Dans son pourvoi en cassation introduit le 12 juin 2014, la requérante se plaignait, entre autres, que ses déclarations « spontanées » du 6 novembre 2007 avaient été faites alors qu’elle aurait été sous pression et en l’absence d’un défenseur, en rappelant les passages pertinents de l’arrêt de la Cour de cassation du 1er avril 2008. Elle alléguait ne pas avoir été assistée par un avocat et avoir reçu des tapes sur la tête au cours de son audition, rappelant à cet égard le contenu des textes qu’elle avait rédigés le 9 novembre 2007.

c) L’arrêt de la Cour de cassation déposé le 7 septembre 2015

96. La Cour de cassation acquitta la requérante et R.S. des chefs de meurtre et de violences sexuelles au motif que les faits contestés ne s’étaient pas produits (« perchè il fatto non sussiste »).

97. Quant à la condamnation pour dénonciation calomnieuse, la Cour de cassation observa que celle-ci avait déjà acquis force de chose jugée et rappela que la peine était de trois ans d’emprisonnement.

3. La procédure pour dénonciation calomnieuse concernant les déclarations proférées à l’encontre des agents de police et du procureur de la République

98. Entre-temps, la requérante fit l’objet d’une autre procédure pénale pour dénonciation calomnieuse concernant les déclarations qu’elle avait faites les 13 mars et 12 et 13 juin 2009 (voir paragraphe 46 ci-dessus). Il lui était reproché d’avoir, « même en les sachant innocents », accusé les agents de police ayant procédé à son audition du 6 novembre 2007 de faux témoignage, de dénonciation calomnieuse et complicité (favoreggiamento), de mensonge idéologique (falso ideologico), de violences (consistant en des tapes sur sa tête) et de menaces.

99. Cette procédure fut attribuée dans un premier temps à G.M., le procureur qui avait demandé la transmission des actes au parquet. À la suite d’une demande présentée par la défense de la requérante, par un jugement du tribunal de Pérouse déposé le 22 mars 2013, la procédure fut attribuée à un autre magistrat, compte tenu du conflit d’intérêts existant.

100. L’objet du litige fut ensuite élargi aux accusations que la requérante avait proférées à l’encontre de G.M.

101. Les parties pertinentes en l’espèce de ce jugement se lisent comme suit :

« (...) il ne ressort pas du dossier que les agents de police auxquels la requérante a fait référence dans ses déclarations aient été inscrits dans le registre des personnes soumises à une enquête pour abus de fonction, mauvais traitements ou d’autres infractions.

(...) [Pourtant], il ressort de la lecture des procès-verbaux une notitia criminis, contenant la description de possibles infractions pénales : quelqu’un a en effet expressément déclaré devant une cour et des procureurs de la République avoir subi des coups et des menaces de la part de personnes appartenant à la police judiciaire et une telle information, qu’elle soit vraie ou fausse, impose de toute évidence la mise en place d’une instruction sérieuse. (...)

Celle-ci n’est certainement pas la phase judiciaire lors de laquelle [il convient d’] évaluer la réalité du déroulement des faits.

(...) La notitia criminis concernant potentiellement un magistrat du parquet de Pérouse, celle-ci aurait dû être transmise immédiatement au parquet de Florence (...) »

102. Par un jugement du 14 janvier 2016, le tribunal de Florence acquitta la requérante.

103. Il considéra en particulier que celle-ci avait été soumise à une forte pression psychologique de la part des enquêteurs, ce qui l’avait amenée à prononcer le nom de D.L. dans le seul but de mettre fin à un traitement contraire aux droits de la personne mise en examen. Les passages pertinents en l’espèce de ce jugement se lisent comme suit :

« 1. Les procès-verbaux sont tous très courts alors que, selon certains témoins, les activités [en cause] ont duré plusieurs heures. (...) Les activités [qui se sont déroulées] ne sont pas fidèlement représentées.

2. [R.I., un agent de police, témoin] a indiqué que, pendant l’interrogatoire de 1 h 45, la [requérante] a aussi été rassurée par un contact physique, et que lui-même en particulier lui tenait la main, comportement dont il n’y a pas de trace dans le procès-verbal et qui est considéré à tort par le témoin comme un geste humain, alors qu’il est totalement déplacé et inopportun [dans ce contexte] (...)

3. A.D. (...) a confirmé avoir raconté à [la requérante une anecdote] personnelle concernant un accident à la suite duquel elle s’était cassé une jambe et avoir dit à la jeune fille, qui continuait à soutenir ne pas se rappeler les faits sur lesquels portaient son interrogatoire, comprendre le fait qu’elle ne se rappelait pas des faits sur le moment, tout comme elle l’avait elle-même vécu par le passé. Ce fait ne ressortait pas non plus du procès-verbal.

4. [A.D.] a confirmé avoir dit que les déclarations de [la requérante] étaient des mensonges.

5. [Le témoin, G.M., procureur de la République] a confirmé que R.I. avait pris la jeune fille dans ses bras (abbracciato) et qu’il l’avait caressée pendant que celle-ci formulait des déclarations accusatoires à l’encontre de D.L., faisant ainsi preuve d’une tendresse qui avait frappé le procureur dans un sens positif. (...)

6. Le procès-verbal de 1 h 45 ne contient pas la description des circonstances et des modalités par lesquelles on était arrivé à acquérir les informations [concernant l’accusation de D.L.].

7. Le contexte des investigations, établi au moyen des procès-verbaux, des témoignages et des documents, notamment des arrêts, n’est pas incompatible avec les affirmations [de la requérante].

8. Les activités d’investigation (...) concernant la requérante sont caractérisées par de nombreuses irrégularités procédurales qui ont conduit la Cour de cassation à considérer [le 1er avril 2008] qu’[elles] n’étaient pas utilisables. (...)

9. En raison des défauts des activités [d’investigation], les procès-verbaux ne sont pas fiables quant à l’horaire de début des activités. De plus, les procès-verbaux n’indiquent pas les horaires de clôture. (...)

10. Le choix totalement inopportun [de la sélection] des interprètes a également été irrégulier. Ceux-ci étaient des agents du commissariat de Pérouse. Aussi étaient-ils placés dans une situation de collaboration professionnelle avec les collègues qui étaient en train de procéder aux investigations. Cette situation s’est traduite par un comportement (...) tendant à l’empathie [à l’égard de la requérante]. Cela se passait dans un contexte extrêmement délicat, non seulement pour les investigations (les déclarations y relatives ayant été jugées non utilisables par la suite) mais également concernant la position [de la requérante] qui était à ce moment-là mise en examen.

11. La position ambiguë de la personne qui exerçait des fonctions auxiliaires pour la police et qui, en même temps, appartenait à l’équipe des enquêteurs était accompagnée d’attitudes maternelles et de transport affectif (notamment le comportement non requis et pour le moins atypique de deux interprètes et de l’un des agents de police) (...)

12. Les interprètes auraient dû être étrangers à la procédure pénale en cours et neutres par rapport à celle-ci dans le but évident et élémentaire d’éviter des contaminations qui se seraient répercutées sur le comportement professionnel de l’auxiliaire. (...)

13. L’ensemble de ces circonstances ne figure pas dans les procès-verbaux (...), il a toutefois été exposé et même souligné plusieurs fois par les témoins, dans le but évident de signaler une attitude correcte vis-à-vis de [la requérante] et même le bon traitement qui lui a été réservé. Toutefois, on ne s’est probablement pas rendu compte que, dans un contexte professionnel de ce genre, la seule approche qui s’imposait était celle d’informer la personne mise en examen de ses droits de défense, déclarés inviolables par notre Constitution. Cela pour la raison évidente qu’il s’agissait d’une personne à qui il devait être permis de défendre sa liberté personnelle par rapport au pouvoir d’autorité de l’État, ce dernier ayant déjà attribué à [la requérante], par le biais des enquêteurs, la qualité de personne mise en examen. (...)

14. Cette situation est en contradiction avec la [mise en] détention immédiatement successive [de la requérante], qui venait tout juste d’être traitée avec une attitude maternante et une affection aimable. Ce déroulement des faits a certainement créé un certain embarras, tout du moins pour la personne intéressée, qui aurait dû être évité (...) afin de sauvegarder [la] dignité (...), ainsi que [la] liberté personnelle [de celle-ci], en tant que droit fondamental et inviolable de la personne, qui constitue un aspect (...) des droits fondamentaux de l’Homme. (...)

15. [Dans ce contexte], ce comportement signalant la simple poursuite d’un intérêt public considéré, de manière critiquable eu égard à ce qui vient d’être exposé, comme prééminent : la poursuite du délit (...) à tout prix, par rapport à tout autre but. Il s’ensuit que le principe de la présomption d’innocence a été finalement méconnu. C’est ce qui s’est indiscutablement passé dans le cas d’espèce. (...)

16. La preuve que les faits ne se sont pas déroulés selon la description faite par [la requérante] n’est donc pas suffisamment établie en ce qui concerne les agents de police.

17. (...) Quant au procureur de la République, il manque la preuve, au-delà [de tout] doute raisonnable, que les faits ne se sont pas déroulés selon la description faite par [la requérante].

18. [Cette dernière] est donc acquittée car les faits n’ont pas été prouvés (concernant les agents de police) et parce que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction (en ce qui concerne le procureur de la République G.M.). »

C. La procédure pénale à l’encontre de R.G.

104. Par un arrêt déposé le 16 décembre 2010, la Cour de cassation, ayant conclu que R.G., une connaissance de M.K., était l’exécuteur matériel du meurtre de celle-ci et des violences sexuelles perpétrées à son encontre, le condamna à une peine définitive de seize ans de réclusion. Cet arrêt fut prononcé à l’issue d’une procédure abrégée.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

105. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 63 : Déclarations soulevant des indices de responsabilité pénale
(Dichiarazioni indizianti)

« Lorsque, devant l’autorité judiciaire ou la police judiciaire, une personne qui n’est pas accusée (imputata) et qui ne fait pas l’objet d’investigations préliminaires (sottoposta alle indagini) fait des déclarations soulevant des indices de responsabilité pénale à son encontre, l’autorité judiciaire interrompt son examen et l’informe que, en raison de ces déclarations, des investigations pourraient être ouvertes à son encontre et l’invite à nommer un défenseur. Lesdites déclarations ne peuvent pas être utilisées à l’encontre de la personne qui les a faites. (...) »

Article 64: Règles générales de l’interrogatoire

« 1. (...)

2. Aucune méthode ou technique visant à atteindre le libre arbitre (« libertà di autodeterminazione ») ou à altérer la capacité de la personne interrogée à se rappeler et à évaluer les faits ne peut être utilisée, même avec le consentement de la personne intéressée.

3. Avant que l’interrogatoire ne démarre, la personne doit être informée que :

a) ses déclarations peuvent toujours être utilisées à son encontre ;

b) (...) elle a la possibilité de ne répondre à aucune question mais que la procédure suivra de toute façon son cours ;

c) si elle fait des déclarations sur des faits qui concernent la responsabilité de tiers, elle assumera, concernant ces faits, la qualité de témoin (...).

3. bis. Le non-respect des dispositions prévues au paragraphe 3 a) et b) rend les déclarations faites par la personne interrogée inutilisables. En l’absence de l’avertissement prévu au paragraphe 3 c), les déclarations éventuellement faites par la personne interrogée sur des faits qui concernent la responsabilité de tiers ne sont pas utilisables à l’encontre de ceux-ci et la personne interrogée ne pourra pas assumer, concernant ces faits, la qualité de témoin. »

Article 143 - Nomination de l’interprète

« 1. La personne mise en examen ne connaissant pas la langue italienne a le droit de se faire assister gratuitement par un interprète afin de pouvoir comprendre l’accusation portée contre elle et suivre le déroulement des actes auxquels elle participe. Quant aux ressortissants italiens, la connaissance de la langue italienne est présumée jusqu’à preuve du contraire.

2. En plus des cas prévus par le paragraphe 1 (...), l’autorité compétente nomme un interprète lorsqu’il y a lieu de traduire un écrit en langue étrangère, dans un dialecte qui n’est pas facilement intelligible ou bien lorsque la personne qui veut ou doit faire une déclaration ne connait pas la langue italienne. La déclaration peut aussi être faite par écrit et, dans ce cas, elle est insérée dans le procès-verbal avec la traduction de l’interprète.

3. L’interprète est nommé aussi dans les cas où le procureur ou l’agent de police judiciaire ont personnellement connaissance de la langue ou du dialecte qu’il y a lieu d’interpréter.

4. La prestation de la fonction d’interprète est obligatoire. »

Article 144 – Incapacité et incompatibilité de l’interprète

« 1. Les personnes appartenant aux catégories suivantes ne peuvent pas exercer la fonction d’interprète, à peine de nullité :

a) le mineur, la personne interdite, inhabile et affectée par une infirmité mentale ;

b) la personne interdite, même temporairement, des fonctions publiques, ou bien la personne interdite ou suspendue de l’exercice d’une profession ou d’un art ;

c) la personne soumise à des mesures de sûreté personnelles ou à des mesure de prévention ;

d) la personne qui ne peut être entendue en tant que témoin ou bien qui a la faculté de s’abstenir de témoigner, la personne qui est appelée à endosser la fonction de témoin ou d’expert ou bien qui a été nommée en tant que consultant technique dans la même procédure ou dans une procédure connexe. De plus, (...) la qualité d’interprète peut être acquise par une personne de la famille proche de la personne sourde, muette ou sourde-muette. »

Article 145 – Récusation et abstention de l’interprète

« 1. L’interprète peut être récusé, pour les raisons prévues par l’article 144, par les parties privées et, lorsque les actes ont été exécutés ou ordonnés par le juge, également par le procureur.

2. Lorsqu’il existe un motif de récusation, même s’il n’en a pas été excipé, ou s’il y a de graves raisons d’opportunité de s’abstenir, l’interprète a l’obligation de le déclarer. (...) »

Article 146 – Désignation

« 1. L’autorité compétente vérifie l’identité de l’interprète et lui demande s’il se trouve dans un des cas prévus par les articles 144 et 145.

2. Il l’informe ensuite de l’obligation d’accomplir ses fonctions correctement et fidèlement, sans autre but que celui de faire connaître la vérité, et de garder le secret sur tous les actes qui seront accomplis par son biais ou en sa présence. Il l’invite donc à exercer ses fonctions. »

Article 178 – Nullité générale

« 1. Le respect des dispositions suivantes est prévu, à peine de nullité :

(...)

c) l’intervention, l’assistance et la représentation de la personne mise en examen ou des autres parties privées (...) »

Article 180 – Réglementation des autres nullités générales

« 1. (...) les nullités prévues par l’article 178 sont aussi relevées d’office, mais elles ne peuvent pas être relevées ou déduites après la délibération du jugement de première instance ou, si elles se sont vérifiées pendant le procès, après la délibération de l’arrêt de l’instance suivante. »

Article 182 – Possibilité d’exciper des nullités

« (...)

2. (...) il doit être excipé de la nullité dans les délais prévus par l’article 180 (...). Les délais pour relever ou exciper des nullités sont prévus à peine de déchéance. »

Article 350 : Informations sommaires fournies par la personne à l’encontre de laquelle les investigations sont menées

« 1. Selon les modalités prévues par l’article 64, les agents de la police judiciaire acquièrent des informations sommaires utiles pour les investigations par la personne à l’encontre de laquelle les investigations sont menées (...).

2. Avant d’acquérir les informations sommaires, la police judiciaire invite la personne à l’encontre de laquelle les investigations sont menées à nommer un défenseur de son choix et, à défaut d’une telle nomination, procède selon l’article 97 § 3 [défenseur d’office].

3. Les informations sommaires sont acquises avec l’assistance nécessaire du défenseur, qui est promptement averti par la police judiciaire. (...)

4. Si le défenseur n’est pas joignable ou s’il ne vient pas, la police judiciaire demande au procureur de procéder au sens de l’article 97 § 4 [remplacement du défenseur].

5. (...)

6. (...)

7. La police judiciaire peut aussi recueillir des déclarations spontanées de la part de la personne à l’encontre de laquelle les investigations sont menées, mais ces déclarations ne peuvent toutefois pas être utilisées au cours du débat contradictoire (...). »

Article 351 : D’autres informations sommaires

« La police judiciaire acquiert des informations sommaires de la part de personnes qui peuvent apporter des informations utiles aux fins des investigations. (...) »

III. LE DROIT EUROPÉEN PERTINENT

106. La Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales dispose ce qui suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) (14) Le droit à l’interprétation et à la traduction, accordé aux personnes qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure, est consacré à l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La présente directive facilite l’exercice de ce droit dans la pratique. À cet effet, elle entend garantir le droit des suspects ou des personnes poursuivies à bénéficier de services d’interprétation et de traduction dans le cadre des procédures pénales afin de garantir leur droit à un procès équitable. (...)

(31) Les États membres devraient faciliter l’accès, lorsqu’elles existent, aux bases de données nationales des traducteurs et interprètes spécialisés dans le domaine juridique (...)

(32) (...) Le niveau de protection ne devrait jamais être inférieur aux normes prévues par la CEDH ou la charte, telles qu’elles sont interprétées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. (...) »

Article 1. Objet et champ d’application

« 1. La présente directive définit des règles concernant le droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

2. Le droit visé au paragraphe 1 s’applique aux personnes dès le moment où elles sont informées par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’elles sont suspectées ou poursuivies pour avoir commis une infraction, jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si elles ont commis l’infraction, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. (...) »

Article 2. Droit à l’interprétation

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne parlent ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée se voient offrir sans délai l’assistance d’un interprète durant cette procédure pénale devant les services d’enquête et les autorités judiciaires, y compris durant les interrogatoires menés par la police, toutes les audiences et les éventuelles audiences intermédiaires requises. (...)

8. L’interprétation prévue par le présent article est d’une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure, notamment en veillant à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d’exercer leurs droits de défense. »

Article 5 -Qualité de l’interprétation et de la traduction

« (...) 2. Afin de disposer de services d’interprétation et de traduction adéquats et de faciliter un accès efficace à ceux-ci, les États membres s’efforcent de dresser un ou plusieurs registres de traducteurs et d’interprètes indépendants possédant les qualifications requises. Une fois établis, ces registres sont, le cas échéant, mis à la disposition des conseils juridiques et des autorités concernées.(...) »

Article 6 -Formation

« Sans préjudice de l’indépendance de la justice ni de la diversité dans l’organisation des ordres judiciaires dans l’Union, les États membres demandent aux personnes chargées de la formation des juges, des procureurs et du personnel de justice intervenant dans les procédures pénales d’accorder une attention particulière aux spécificités de la communication avec l’assistance d’un interprète, afin d’assurer une communication efficace et effective. »

107. Le décret législatif no 271 du 28 juillet 1989 (« Dispositions d’application du code de procédure pénale »), modifié par le décret législatif no 32 du 4 mars 2014 (« Mise en place de la Directive 2010/64/UE ») et par le décret législatif no 129 du 23 juin 2016 (« Dispositions d’intégration et correction du décret législatif no 32 du 4 mars 2014 »), se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 67 – Registre des experts près le tribunal

« 1. Un registre d’experts, divisé par catégorie, est institué auprès des tribunaux.

2. Dans le registre, les catégories suivantes d’experts sont toujours présentes : (...) interprétariat et traduction.

3. Lorsque le juge nomme en tant qu’expert une personne qui n’est pas inscrite dans le registre, il désigne, lorsque cela est possible, quelqu’un qui exerce son activité auprès d’un organisme public.

4. Dans les cas prévus par le paragraphe 3, le juge indique spécifiquement dans son ordonnance de nomination les raisons de son choix.

(...) »

Article 67-bis - Listes nationales des interprètes et traducteurs

« 1. Tout tribunal transmet au ministère de la Justice, par voie télématique, la liste mise à jour en format électronique des interprètes et des traducteurs inscrits dans le registre des experts prévu par l’article 67. L’autorité judiciaire utilise cette liste nationale et, uniquement en cas de nécessités particulières et spécifiques, nomme des interprètes ou traducteurs différents de ceux qui y sont inscrits.

(...) »

EN DROIT

I. REMARQUES PRÉLIMINAIRES

A. L’objet du litige

108. La Cour note d’emblée que les griefs de la requérante portent uniquement sur la procédure pénale à l’issue de laquelle elle a été condamnée à trois ans de réclusion pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de D.L. et non sur les autres procédures dont elle a fait l’objet.

B. Sur le non-épuisement des voies de recours internes concernant les griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et c) de la Convention

109. Le Gouvernement soutient que, au moment de l’introduction de la requête, le 24 novembre 2013, la condamnation de la requérante pour dénonciation calomnieuse n’était pas définitive et que, partant, cette partie de la requête devrait être déclarée irrecevable.

110. La Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, sauf exceptions, à la date d’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)).

111. Toutefois, elle rappelle aussi qu’elle tolère que le dernier échelon des recours internes soit atteint peu après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité de celle-ci (Zalyan et autres c. Arménie, nos 36894/04 et 3521/07, § 238, 17 mars 2016, et Škorjanec c. Croatie, no 25536/14, § 44, 28 mars 2017).

112. Quoi qu’il en soit, dans la présente espèce, la Cour note que la condamnation litigieuse a été confirmée par l’arrêt de la Cour de cassation déposé le 18 juin 2013, à l’issue de trois degrés de juridiction, et que le renvoi devant la cour d’assises d’appel ne portait que sur l’existence de la circonstance aggravante.

113. Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

114. La requérante se plaint des mauvais traitements qu’elle aurait subis lors de ses auditions du 6 novembre 2007 et notamment des deux tapes qu’elle aurait reçues sur la tête. Elle invoque à cet égard l’article 3 de la Convention. Elle dénonce aussi avoir été soumise, à cette même occasion, à une pression psychologique extrême et avoir été obligée de parler alors qu’elle se serait trouvée dans une situation de défaut de discernement et de volonté, ce qui, selon elle, avait porté atteinte à son droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention.

115. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, constate que ces griefs se confondent et juge approprié d’examiner les allégations de la requérante uniquement sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, 20 mars 2018). Cet article est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

116. Le Gouvernement soutient tout d’abord que la requérante a omis d’épuiser les voies de recours internes car elle n’aurait introduit aucune plainte devant le procureur ou les instances civiles. Selon lui, la requérante aurait pu aussi se plaindre des pressions qu’elle disait avoir subies au moment de son audition ou de l’audience de validation de son arrestation devant le juge pour les investigations préliminaires.

117. La requérante estime avoir dénoncé les traitements qu’elle aurait subis à plusieurs reprises pendant la procédure, notamment au cours des audiences, dont celle du 13 mars 2009.

118. La Cour considère que la question centrale qui se pose en l’espèce est étroitement liée au fond des griefs soulevés par la requérante, surtout s’agissant de savoir si la requérante a bénéficié d’une enquête effective, tel que requis par l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle décide de joindre cette exception au fond.

119. Elle estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B. Sur le fond

1. Thèse des parties

120. La requérante soutient que son acquittement dans la procédure pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des policiers et du ministère public est la preuve que ses déclarations faites lors des audiences concernant les pressions et les mauvais traitements qu’elle disait avoir subis n’étaient aucunement calomnieuses et correspondaient à la réalité des faits. Elle indique que plusieurs passages de l’arrêt de la cour d’appel du 3 octobre 2011, entre autres, le prouvent (paragraphes 84-85 ci-dessus).

121. Quant aux tapes sur la tête que la requérante allègue s’être vu infliger, le Gouvernement soutient d’abord que, au cours de son audition du 13 juin 2009, l’intéressée a elle-même admis ne pas avoir subi de traitement inhumain ou dégradant. En effet, il indique que la requérante a déclaré que l’agent de police qui lui aurait infligé ces tapes ne lui avait pas vraiment fait mal physiquement mais qu’il lui avait fait peur (paragraphe 76 ci-dessus).

122. Il expose ensuite que les autorités nationales étaient conscientes que les auditions de la requérante par la police avaient été légèrement stressantes pour l’intéressée. Il indique que les autorités nationales avaient toutefois considéré que cela n’avait pas affecté la volonté et l’autodétermination de cette dernière : l’attitude de la requérante, qui aurait exécuté des exercices de gymnastique et se serait présentée spontanément au commissariat, aurait démontré qu’elle était suffisamment apte à fournir des informations utiles. Le Gouvernement soutient que les déclarations du 6 novembre 2007 étaient le résultat d’un choix délibéré et conscient de la requérante et qu’aucune coercition de nature à lui faire faire les déclarations en cause n’a été exercée en l’espèce.

2. L’appréciation de la Cour

123. En matière d’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, garantie par l’article 3 de la Convention, les principes généraux, concernant les volets matériel et procédural de ce grief, sont rappelés dans l’arrêt Bouyid (précité, §§ 81-90 et 114-123).

124. Examinant le volet procédural du grief soulevé par la requérante, la Cour observe que, dans le texte rédigé à l’attention de la police vers 13 heures le 6 novembre 2007, soit quelques heures seulement après les déclarations incriminantes de l’intéressée formulées à l’encontre de D.L., celle-ci a clairement exposé l’état de choc et de confusion extrême dans lequel elle se serait trouvée (paragraphe 20 ci-dessus).

125. La requérante a indiqué ne pas être en mesure de distinguer ce qui lui semblait être la réalité des faits, à savoir que, la nuit du meurtre, elle était restée chez R.S., d’une autre représentation des faits, dans laquelle elle voyait D.L. comme étant le responsable du délit, et à laquelle elle serait parvenue en raison de pressions, de menaces d’incarcération, de tapes sur la tête et de hurlements à son encontre de la part de la police, dans un climat général de peur et d’angoisse.

126. La Cour note également que, deux jours plus tard, à l’audience de validation de son arrestation du 8 novembre 2007, la requérante a exposé sans délai son état de confusion extrême, le manque de fiabilité de ses déclarations et l’atteinte à sa capacité d’autodétermination qu’elle aurait subie.

127. La Cour relève que cet état de confusion ressort d’ailleurs des deux procès-verbaux relatifs aux dépositions incriminées. La requérante indique en effet avoir du mal à se rappeler des faits et se souvenir uniquement de manière confuse que D.L. aurait tué M.K. (paragraphe 15 point 3 ci-dessus). L’intéressée expose de plus que ses pensées étaient très confuses, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de se rappeler du déroulement des faits car elle aurait été en état de choc. La Cour observe que la requérante s’était donc limitée à soutenir que, au moment des faits, elle « imaginait » ce qui pouvait être arrivé et avoir rencontré D.L. (paragraphe 16, points 2 et 3 ci-dessus).

128. Lors de l’audience du 17 décembre 2007, les éléments concernant les modalités alléguées de l’interrogatoire de l’intéressée ressortent de manière précise et cohérente par rapport au texte rédigé par celle-ci le 6 novembre 2007, y compris les tapes qu’elle aurait reçues sur la tête à deux reprises. La Cour observe que, à cette occasion, la requérante a aussi déclaré avoir été privée de sommeil jusqu’à ce qu’elle accuse D.L. et s’est plainte du choix restreint d’aliments qui lui avait été proposé pendant les heures en cause.

129. Par ailleurs, le choc émotif extrême subi par la requérante lors des auditions est mentionné dans le témoignage de celle-ci et dans celui de A.D. du 13 mars 2009. La requérante a notamment exposé avoir été traitée de manière agressive et blessante et avoir reçu des tapes, circonstances qu’elle a décrites dans les mêmes termes lors des audiences des 12 et 13 juin 2009 et qu’elle a constamment dénoncées par la suite dans son recours en appel et dans ses pourvois en cassation (paragraphes 82-83, 86 et 95 ci-dessus).

130. La Cour observe que, dans son arrêt du 3 octobre 2011, la cour d’appel a aussi souligné la durée excessive des interrogatoires, la vulnérabilité de la requérante et la pression psychologique subie par celle-ci, pression qui était de nature à compromettre la spontanéité de ses déclarations, ainsi que son état d’oppression et de stress. Elle a estimé que la requérante avait en fait subi un véritable supplice ayant engendré une situation psychologique insupportable de laquelle, pour se sortir, l’intéressée avait formulé des déclarations incriminantes à l’égard de D.L. (paragraphe 85 points 8 et 10 ci-dessus).

131. En outre, la Cour ne saurait négliger, d’une part, la confusion des rôles ayant caractérisé l’activité de l’interprète A.D., qui agissait à la fois en tant que « médiatrice », ce qui n’était aucunement requis dans le cadre de sa fonction (paragraphe 103 points 10-12 ci-dessus).

132. D’autre part, elle note que R.I., un agent de police, avait pris la requérante dans ses bras, l’avait caressée et avait pris ses mains dans les siennes, adoptant ainsi un comportement clairement déplacé, notamment lorsque l’on considère que, dans le contexte ainsi décrit, la requérante a formulé des accusations par la suite qualifiées de calomnieuses et ayant mené à sa condamnation (paragraphes 38 et 103 point 5 ci-dessus).

133. De l’avis de la Cour, ces comportements, fournissant des informations quant au contexte général dans lequel l’audition de la requérante a eu lieu, auraient dû alerter les autorités nationales quant à la possible atteinte au respect de la dignité de la requérante et à sa capacité d’autodétermination.

134. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que les procès-verbaux des déclarations litigieuses sont très succincts, qu’ils n’indiquent pas les horaires de début ni de fin des auditions et qu’ils ne représentent donc pas fidèlement les activités des enquêteurs (paragraphe 103 point 7 ci-dessus).

135. Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la Cour estime que les faits dénoncés par la requérante donnent lieu à une allégation défendable selon laquelle elle aurait subi des traitements dégradants alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle des forces de l’ordre atteignant le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention (Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, §§ 125-128, CEDH 2003‑V).

136. Cette disposition requérait qu’une enquête officielle effective fût menée dans la présente espèce, afin d’aboutir à l’identification et à la punition des personnes éventuellement responsables. À cet égard, la Cour ne peut que constater que, malgré les plaintes réitérées de la requérante, les traitements qu’elle a dénoncés n’ont fait l’objet d’aucune enquête (Kaçiu et Kotorri c. Albanie, nos 33192/07 et 33194/07, § 94, 25 juin 2013 ; voir aussi les conclusions du tribunal de Pérouse dans le cadre de son jugement du 22 mars 2013, paragraphe 101). Elle note en particulier que la demande de transmission des actes au parquet formulée par la défense de l’intéressée le 13 mars 2009 est restée sans réponse (paragraphe 47).

137. La Cour note en outre que, à la suite de cette audience, la requérante a elle-même été soumise à une procédure pénale pour dénonciation calomnieuse à l’égard, cette fois, des autorités, qu’elle accusait d’être à l’origine de l’atteinte à ses droits protégés par l’article 3 de la Convention. Elle observe que, à l’issue de cette procédure, l’intéressée a par ailleurs été acquittée, aucun élément n’ayant démontré que ses allégations pouvaient s’écarter de la réalité des faits. La Cour relève aussi que, de toute évidence, cette dernière procédure ne pouvait pas constituer une enquête effective, requise par l’article 3 de la Convention, concernant les griefs que la requérante soulève devant la Cour.

138. Il y a lieu donc de conclure que la requérante n’a pas bénéficié d’une enquête pouvant éclaircir les faits et les responsabilités éventuelles dans son affaire. L’article 3 de la Convention, sous son volet procédural, a donc été méconnu en l’espèce.

139. Dès lors, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

140. Concernant le volet matériel du grief, la Cour considère qu’elle ne dispose pas d’éléments permettant de conclure que la requérante ait fait l’objet des traitements inhumains et dégradants dont elle se plaint. Elle conclut donc à l’absence de violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 c) DE LA CONVENTION

141. La requérante allègue ne pas avoir été assistée par un avocat lors des interrogatoires du 6 novembre 2007. Elle se plaint du manque d’équité de la procédure et invoque à cet égard l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

2. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à : (...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. »

142. Le Gouvernement observe que les déclarations faites par la requérante le 6 novembre 2007 en l’absence d’un défenseur ont été déclarées inutilisables concernant les délits faisant l’objet des investigations, à savoir le meurtre de M.K. et la violence sexuelle perpétrée à son encontre. Il expose toutefois que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (arrêts nos 10089 de 2005, 26460 de 2010 et 33583 de 2015), les déclarations spontanées faites par une personne soumise à des investigations en l’absence d’un défenseur peuvent en tout cas être utilisées lorsqu’elles constituent, comme en l’espèce, une infraction en elles-mêmes. Selon lui, à cela s’ajoute le fait que la requérante a bénéficié de l’assistance d’un avocat dès lors que sont apparus les premiers indices de sa responsabilité dans le meurtre de M.K.

143. De plus, le Gouvernement allègue que la requérante a été condamnée pour dénonciation calomnieuse non seulement sur la base des déclarations rendues le 6 novembre 2007, mais aussi en raison d’une « multitude d’autres circonstances », rappelées dans le jugement de condamnation de la cour d’assises du 5 décembre 2009 (voir paragraphe 80 ci-dessus).

144. La requérante soutient ne pas avoir été informée de son droit de bénéficier d’une assistance légale pendant ses auditions du 6 novembre 2007, un défenseur d’office n’ayant été nommé qu’à 8 h 30 ce jour-là, et dénonce l’impact de l’utilisation de ces preuves sur l’équité de la procédure.

A. Sur la recevabilité

145. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les principes généraux

146. Les principes généraux concernant l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal, le droit à l’assistance d’un avocat et l’équité globale de la procédure pénale, la restriction temporaire de l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses et l’impact des lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête sur l’équité globale du procès pénal sont établis, en tout ou en partie, dans les arrêts Simeonovi c. Bulgarie ([GC], no 21980/04, §§ 110-120, 12 mai 2017), Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 249-274, 13 septembre 2016), Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 50-55, CEDH 2008) et Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119-150, 9 novembre 2018).

2. Application des principes généraux aux faits de l’espèce

a) L’applicabilité de l’article 6 de la Convention

147. La Cour relève d’emblée que la première question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’article 6 § 1 de la Convention était applicable aux faits de la cause. Elle rappelle à cet égard que, le 6 novembre 2007, la requérante a été entendue à deux reprises : à 1 h 45 et à 5 h 45.

148. Elle constate que les deux déclarations avaient à l’origine été recueillies dans le cadre d’une acquisition d’informations sommaires de la part de la police, phase durant laquelle la requérante n’avait pas formellement été soumise à des investigations.

149. Concernant les déclarations recueillies à 1 h 45, la Cour rappelle que les garanties offertes par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention s’appliquent à tout « accusé » au sens autonome que revêt ce terme sur le terrain de la Convention. Il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne est officiellement inculpée par les autorités compétentes ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre elle ont des répercussions importantes sur sa situation (Simeonovi, précité, §§ 110-111).

150. Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour s’interroge donc sur le point de savoir si, au moment des auditions, les autorités internes avaient des raisons plausibles de soupçonner que la requérante était impliquée dans le meurtre de M.K.

151. Elle observe à cet égard que la requérante avait déjà été entendue par la police les 2, 3 et 4 novembre 2007 et qu’elle avait été mise sur écoute. Elle note qu’il ressort en outre des faits de la cause que, le soir du 5 novembre 2007, l’attention des enquêteurs s’est focalisée sur la requérante (paragraphes 12-14 ci-dessus). Elle relève que, alors que celle-ci s’était rendue spontanément au poste de police, elle s’est vu poser des questions dans le couloir par des agents de police qui ont ensuite continué à l’interroger dans une salle où elle a été soumise, à deux reprises et pendant des heures, à des interrogatoires serrés.

152. Or, aux yeux de la Cour, même à supposer que ces éléments ne suffisent pas à conclure que, à 1 h 45 le 6 novembre 2007, la requérante pouvait être considérée comme étant suspecte au sens de sa jurisprudence, il y a lieu de relever que, comme l’a reconnu le Gouvernement, lorsqu’elle a fait ses déclarations de 5 h 45 devant le procureur de la République, la requérante avait acquis formellement la qualité de personne mise en examen. La Cour considère qu’il ne fait donc pas de doute que, à 5 h 45 au plus tard, la requérante faisait l’objet d’une accusation en matière pénale au sens de la Convention (Ibrahim et autres, précité, § 296).

b) L’existence de raisons impérieuses pouvant justifier la restriction au droit d’accès à un avocat

153. La Cour relève que, si les juridictions internes ont conclu que les dépositions litigieuses n’étaient pas utilisables contre la requérante pour les délits de meurtre et de violences sexuelles, comme l’a indiqué le Gouvernement, en application de la jurisprudence interne (paragraphe 142 ci-dessus), ces mêmes dépositions ont pu être utilisées, en l’absence d’un conseil, dans la mesure où elles intégraient en elles-mêmes une infraction pénale.

154. Elle rappelle ensuite que les restrictions à l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses ne sont permises durant la phase préalable au procès que dans des cas exceptionnels, et qu’elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 142).

155. Or, dans la présente affaire, le Gouvernement se réfère à une interprétation jurisprudentielle permettant d’utiliser les déclarations spontanées faites par une personne soumise à des investigations en l’absence d’un défenseur lorsqu’elles constituent une infraction en elles-mêmes.

156. Même à vouloir lire cet argument comme une « raison impérieuse » au sens de sa jurisprudence, la Cour note toutefois que l’interprétation jurisprudentielle invoquée a une portée générale. Le Gouvernement n’a par ailleurs pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions apportées au droit de la requérante. Il n’appartient pas à la Cour d’en chercher de son propre chef (Simeonovi, précité, § 130).

157. La Cour ne décèle donc aucune raison impérieuse pouvant justifier en l’espèce les restrictions susmentionnées.

c) Équité de la procédure dans son ensemble

158. Dans de telles circonstances, la Cour doit évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict. La charge de la preuve pèse ainsi sur le Gouvernement qui doit démontrer de manière convaincante que la requérante a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable. L’incapacité du Gouvernement à établir des raisons impérieuses pèse lourdement dans la balance et peut faire pencher la Cour dans le sens d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (Beuze, précité, § 165).

159. Dans cet exercice, la Cour examinera, dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, les différents facteurs découlant de sa jurisprudence (Ibrahim et autres, précité, § 274, et Simeonovi, précité, § 120).

160. La Cour souligne tout d’abord l’état de vulnérabilité de la requérante, une jeune fille étrangère âgée de vingt ans à l’époque des faits qui se trouvait depuis peu de temps en Italie et ne parlait pas couramment l’italien (Kaçiu et Kotorri, précité, §§ 119-121 et Salduz, précité, § 54).

161. La Cour ne peut que constater que, à quelques heures seulement des auditions incriminées, la requérante avait promptement rétracté ses déclarations, notamment par le biais d’un texte rédigé à son initiative le 6 novembre 2007 vers 13 heures et remis à la police (paragraphe 20 point 3 in fine et point 4 lettre e ci-dessus), d’un autre texte rédigé le 9 novembre 2007 à l’attention de ses avocats (paragraphe 24 point 14 ci-dessus) et de l’appel téléphonique à sa mère le 10 novembre 2007 alors que la ligne était sur écoute. La Cour note que, pourtant, six mois plus tard, le 14 mai 2008, la requérante a été mise en examen pour calomnie.

162. Il y a en outre lieu de relever que, tel qu’il ressort du jugement du tribunal de Florence du 14 janvier 2016 les dépositions de la requérante du 6 novembre 2007 ont été recueillies dans un contexte de forte pression psychologique (voir le paragraphe 103 ci-dessous).

163. Quant à l’utilisation faite des preuves, la Cour observe que les déclarations litigieuse ont constitué en elles-mêmes l’infraction qui a été reprochée à la requérante et, donc, la preuve matérielle pour son verdict de culpabilité pour dénonciation calomnieuse (voir, a contrario, Gäfgen, précité, § 178, mutatis mutandis, Kaçiu et Kotorri, précité, § 118, et mutatis mutandis, Sergey Ivanov c. Russie, no 14416/06, §§ 90-92, 15 mai 2018).

164. La Cour note de surcroît que les circonstances dans lesquelles les déclarations incriminées ont été obtenues n’ont pas pu être éclaircies dans le cadre d’une enquête (voir paragraphe 138).

165. Elle relève enfin qu’il ne ressort pas du dossier, notamment du procès-verbal de l’interrogatoire de la requérante ayant eu lieu à 5 h 45, que celle-ci se soit vu notifier ses droits procéduraux (Ibrahim et autres, précité, § 273).

d) Conclusion

166. La Cour estime partant que le Gouvernement n’est pas parvenu à démontrer que la restriction de l’accès de la requérante à l’assistance judiciaire lors de l’audition du 6 novembre 2007 à 5 h 45 n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité du procès dans son ensemble.

167. Eu égard à ce qui précède, l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention a été méconnu en l’espèce.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 a) DE LA CONVENTION

168. La requérante se plaint de ne pas avoir été informée dans les meilleurs délais et dans une langue qu’elle comprenait de la nature et des motifs de l’accusation formulée contre elle, comme le prévoit l’article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

2. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (...) »

169. Le Gouvernement conteste la thèse de la requérante.

170. La requérante réitère son grief.

171. La Cour constate que la requérante a été dûment informée des accusations portées contre elle le 19 juin 2008 par le biais de l’avis de conclusion des investigations préliminaires qui lui a été transmis en italien et en anglais (paragraphe 31 ci-dessus).

172. Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 e) DE LA CONVENTION

173. La requérante se plaint également qu’elle n’a pas été assistée par un interprète professionnel et indépendant au cours de ses interrogatoires du 6 novembre 2007 et que l’agente de police l’ayant assistée a joué un rôle de « médiatrice » en suggérant par exemple des hypothèses relatives au déroulement des faits. Elle invoque à cet égard l’article 6 §§ 1 et 3 e) de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

2. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

A. Sur la recevabilité

174. Le Gouvernement indique tout d’abord que la requérante n’a pas soulevé son grief au cours de l’audience de validation de son arrestation (paragraphe 32 ci-dessus), ni au cours de la procédure devant le tribunal de réexamen et, en général, que l’intéressée avait omis de soumettre ce grief devant les instances nationales tout au long de la procédure. Par conséquent, le Gouvernement estime que cette partie de la requête devrait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

175. La Cour ne partage pas la position du Gouvernement. Elle constate que la requérante a dénoncé le comportement de l’interprète A.D. dans le cadre de ses déclarations spontanées du 13 mars 2009 et de son audition du 12 juin 2009 devant la cour d’assises de Pérouse (paragraphes 45 et 50 ci‑dessus). Elle ne saurait d’ailleurs négliger que, dans le cadre de l’audience du 13 mars 2009, A.D. a confirmé dans les détails les informations fournies par la requérante à ce sujet (paragraphes 40 et 41 ci‑dessus).

176. À cela s’ajoute le fait que, à l’issue de cette audience, la défense de la requérante avait demandé la transmission des actes au parquet, estimant que les déclarations de sa cliente contenaient des éléments soulevant des questions de responsabilité pénale, toutefois sans succès (paragraphe 47 ci‑dessus).

177. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement de voies de recours internes soulevée par le gouvernement défendeur.

178. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèse des parties

179. La requérante répète que l’interprète A.D. n’était pas indépendante puisqu’elle était membre du commissariat exerçant des fonctions d’interprète. De plus, selon elle, A.D. avait eu un comportement allant au-delà de ses fonctions d’interprète.

180. Le Gouvernement conteste la thèse de l’intéressée. Il indique que la requérante a été assistée par différents interprètes à tous les stades de la procédure. Quant aux fonctions de A.D., il soutient que, selon le droit interne, les enquêteurs sont libres dans le choix de nomination des interprètes.

181. Le Gouvernement indique en effet que l’article 146 du code de procédure pénale n’impose pas que les autorités sélectionnent l’interprète à partir d’un registre officiel. Selon lui, il suffit à cet égard que la personne concernée soit un « expert en langue » et qu’elle exerce ses fonctions dans le seul but de faire connaître la vérité.

2. L’appréciation de la Cour

182. La Cour rappelle que le paragraphe 3 e) de l’article 6 de la Convention signifie que l’accusé ne comprenant ou ne parlant pas la langue employée dans le prétoire a droit aux services gratuits d’un interprète afin que lui soit traduit ou interprété tout acte de la procédure engagée contre lui dont il lui faut, pour bénéficier d’un procès équitable, saisir le sens ou le faire rendre dans la langue du tribunal. L’assistance prêtée en matière d’interprétation doit permettre à l’accusé de savoir ce qu’on lui reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements. Le droit ainsi garanti doit être concret et effectif. L’obligation des autorités compétentes ne se limite donc pas à désigner un interprète : il leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas donné, d’exercer un certain contrôle ultérieur de la valeur de l’interprétation assurée (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 80, CEDH 2006‑XII, Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 74, série A no 168, Güngör c. Allemagne (déc.), no 31540/96, 17 mai 2001, Cuscani c. Royaume-Uni, no 32771/96, § 39, 24 septembre 2002, Protopapa c. Turquie, no 16084/90, § 80, 24 février 2009 et Vizgirda c. Slovénie, no 59868/08, §§ 75-79, 28 août 2018).

183. En outre, tout comme l’assistance d’un avocat, celle d’un interprète doit être garantie dès le stade de l’enquête, sauf à démontrer qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit (voir, en ce sens, Diallo c. Suède (déc.), no 13205/07, § 25, 5 janvier 2010, Baytar c. Turquie, no 45440/04, §§ 50 et suivants, 14 octobre 2014, et Şaman c. Turquie, no 35292/05, § 30, 5 avril 2011).

184. La Cour indique également qu’il n’y a pas lieu de fixer, sur le terrain de l’article 6 § 3 e) de la Convention, des conditions détaillées quant aux modalités selon lesquelles les services d’un interprète peuvent être fournis pour assister les accusés. Un interprète n’est pas un agent du tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et il n’est astreint à aucune exigence formelle d’indépendance ou d’impartialité en tant que telle. Ses services doivent apporter à l’accusé une assistance effective dans la conduite de sa défense et son comportement ne doit pas être susceptible de porter atteinte à l’équité du procès (Uçak c. Royaume-Uni (déc.), no [44234/98](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2244234/98%22%5D%7D), 24 janvier 2002).

185. En l’espèce, il ressort du dossier que, de l’aveu même de A.D., le rôle joué par cette dernière pendant que la requérante, accusée au pénal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, formulait sa version des faits, est allé au-delà des fonctions d’interprète qu’elle devait assurer. La Cour note que A.D. a en effet entendu tisser une relation humaine et émotionnelle avec la requérante, s’attribuant un rôle de médiatrice et acquérant une attitude maternelle qui n’étaient aucunement requis en l’espèce (paragraphes 40 et 41 ci-dessus).

186. La Cour relève que, malgré le fait pour la requérante d’avoir soulevé ces griefs devant les instances nationales, celle-ci n’a toutefois pas bénéficié d’une procédure de nature à faire la lumière sur ses allégations (voir, mutatis mutandis, Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, Recueil 1997-II). Les autorités ont en effet omis d’apprécier le comportement de A.D., d’évaluer si ses fonctions d’interprète avaient été exercées selon les garanties prévues par l’article 6 §§ 1 et 3 e) et de considérer si le comportement de celle-ci avait eu un impact sur l’issue de la procédure pénale entamée à l’encontre de la requérante. La Cour constate en outre qu’aucune mention des échanges ayant eu lieu entre la requérante et A.D. lors de l’interrogatoire du 6 novembre 2007 n’est faite dans le procès-verbal y relatif.

187. Aux yeux de la Cour, ce défaut initial a donc eu des répercussions sur d’autres droits qui tout en étant distincts de celui dont la violation est alléguée y sont étroitement liés, et a compromis l’équité de la procédure dans son ensemble (Baytar, précité, § 55, 14 octobre 2014).

188. Eu égard à ce qui précède, l’article 6 §§ 1 et 3 e) de la Convention a été méconnu en l’espèce.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

189. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

190. La requérante réclame 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.

191. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

192. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 10 400 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

193. La requérante demande également 30 000 EUR pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés devant la Cour ainsi que 2 186 643 EUR correspondant aux frais et dépens exposés par ses parents pour la procédure interne.

194. Le Gouvernement conteste ces prétentions et dénonce leur caractère générique.

195. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que, abstraction faite de toute autre considération, les documents présentés par la requérante à l’appui de sa demande de remboursement des frais et dépens pour la procédure interne manquent de précisions. Elle rejette donc cette partie de la demande. Pour ce qui est de la demande de la requérante de remboursement des frais et dépens encourus pour la procédure devant elle, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 8 000 EUR et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

196. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement quant aux griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et e) de la Convention ;

2. Joint au fond l’exception soulevée par le Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes dans le cadre de l’article 3 de la Convention et la rejette ;

3. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 6 §§ 1 et 3 c) et e) de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 e) de la Convention ;

8. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, au taux applicable à la date du règlement :

i. 10 400 EUR (dix mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 janvier 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerLinos-Alexandre Sicilianos
Greffière adjointePrésident

* * *

[1]. Concernant ce passage, voir le paragraphe 73 ci-dessous.

[2]. Il ressort du dossier que ces textes ont été soumis aux autorités dans le cadre du pourvoi en cassation introduit par le requérante le 12 juin 2014 (voir paragraphe 95 ci-dessous).


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-189422
Date de la décision : 24/01/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes;Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes;Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-3-a) Manifestement mal fondé;Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête effective) (Volet procédural);Violation de l'article 6+6-3-c - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-c - Se défendre avec l'assistance d'un défenseur);Violation de l'article 6+6-3-e - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-e - Assistance gratuite d'un interprète);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : KNOX
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DALLA VEDOVA C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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