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13/12/2018 | CEDH | N°001-188264

CEDH | CEDH, AFFAIRE WITKOWSKI c. POLOGNE, 2018, 001-188264


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE WITKOWSKI c. POLOGNE

(Requête no 21497/14)

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2018

DÉFINITIF

13/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Witkowski c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Ksenija Turković,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan, >Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Gilberto Felici, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 nov...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE WITKOWSKI c. POLOGNE

(Requête no 21497/14)

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2018

DÉFINITIF

13/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Witkowski c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Ksenija Turković,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Gilberto Felici, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21497/14) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Mariusz Witkowski (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me T. Bacewicz, avocat à Cracovie. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme J. Chrzanowska, remplacée ultérieurement par Mme A. Mężykowska, co-agente, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint d’une violation de son droit d’accès à un tribunal en raison de son impossibilité de faire appel contre un jugement pénal du tribunal de première instance du 19 mars 2013, consécutive au refus dudit tribunal d’examiner sa demande d’établir les motifs du jugement et les lui notifier avec ce dernier car ce refus aurait été postérieur à l’expiration du délai légal imparti pour interjeter appel.

4. Le 14 janvier 2015, le grief concernant l’atteinte au droit d’accès du requérant à un tribunal a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1974 et réside à Wadowice.

6. Il fut accusé de divulgation irrégulière d’informations obtenues à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle.

7. Il ne se présenta pas à l’audience du 12 mars 2013 bien qu’il ait été informé de la date de celle-ci. Sa présence n’étant pas obligatoire, le tribunal poursuivit la procédure.

8. Le 12 mars 2013, le tribunal de district de Wadowice (« le tribunal de district ») prononça la clôture de l’audience et ajourna le prononcé du jugement au 19 mars 2013 à 10 h 45.

9. En raison de son absence de son domicile à ce moment-là, le requérant demanda à une tierce personne de déposer au tribunal de district sa demande, datée du 18 mars 2013, d’établissement et de notification des motifs du jugement du 12 mars 2013. La demande en question fut déposée au tribunal le 19 mars 2013 à 9 h 40.

10. Par un jugement prononcé le 19 mars 2013 à 10 h 45, le tribunal de district déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à une amende et au remboursement des frais de procédure.

11. Le 25 mars 2013, en se référant à l’article 422 § 1 du code de procédure pénale (CPP), le tribunal de district refusa d’examiner la demande formulée par le requérant d’établissement des motifs du jugement dès lors que celle-ci avait été déposée avant le prononcé dudit jugement. Il indiqua qu’une telle demande était une déclaration de volonté portant sur un jugement rendu et que le fait pour le requérant de l’avoir déposée avant le prononcé du jugement en cause la rendait inefficace puisque l’intéressé n’était même pas sûr que le jugement fût rendu.

12. Le 8 avril 2013, le requérant informa le tribunal de district que sa demande déposée le 19 mars 2013 concernait le jugement prononcé à cette dernière date.

13. La décision du tribunal de district du 25 mars 2013 fut notifiée au requérant le 15 avril 2013.

14. Le 22 avril 2013, le requérant forma un recours contre cette décision. Il alléguait que, en vertu de l’article 422 § 1 du CPP, il avait le droit de déposer une demande de notification du jugement avec ses motifs dans un délai de sept jours à compter de la date du prononcé du jugement rendu à son encontre.

15. Le 28 novembre 2013, le tribunal régional de Cracovie (« le tribunal régional ») rejeta le recours du requérant en remarquant que celui-ci n’aurait pu décider de déposer la demande d’établissement des motifs du jugement qu’après avoir pris connaissance du contenu de celui-ci. Il ajouta que le délai de sept jours imparti par la loi pour introduire une telle demande était suffisamment long, qu’il avait commencé à courir à compter du 19 mars 2013 à 10 h 45 et que la demande en cause n’avait pas été déposée dans ce délai. Il indiqua en outre que, le requérant ayant été informé de l’audience du 12 mars 2013, le tribunal de district n’était pas obligé de l’informer de la date du prononcé du jugement. Selon lui, c’était au requérant de s’informer sur les actions procédurales décidées à l’audience du 12 mars 2013. Le tribunal régional déclara dans ce contexte que le requérant, par son manque de diligence, s’était privé de la possibilité d’entamer une procédure de recours dans le délai requis par la loi.

16. Entre-temps, le 22 avril 2013, le requérant avait présenté une demande en relevé de forclusion pour déposer sa demande d’établissement des motifs du jugement et de notification de ces motifs avec ledit jugement. Il avait indiqué que la décision du tribunal de district du 25 mars 2013 de rejet de la demande en question au motif que celle-ci avait été déposée prématurément lui avait été notifiée le 15 avril 2013. Il avait ensuite avancé que la notification de la date du prononcé du jugement n’avait pas été effectuée et que celui-ci avait eu lieu en son absence.

17. Par une décision du 30 juillet 2013, le tribunal de district avait rejeté la demande en relevé de forclusion en indiquant qu’il n’était pas obligé d’informer le requérant de la date du prononcé du jugement dès lors que celui-ci avait été dûment informé de l’audience du 12 mars 2013, date à laquelle la décision d’ajourner le prononcé du jugement avait été prise. Le 28 novembre 2013, la décision du tribunal de district du 30 juillet 2013 fut confirmée par la juridiction d’appel.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale

18. Selon l’article 411 § 1 du CPP, le tribunal peut ajourner le prononcé d’un jugement pour une durée maximale de sept jours en cas de complexité de l’affaire ou pour d’autres motifs importants.

19. Selon l’article 418 § 3 du CPP, après le prononcé du jugement, le président ou l’un des membres de la formation de jugement communique oralement aux parties les motifs les plus importants du jugement rendu.

20. Selon l’article 422 § 1 du CPP, les motifs du jugement sont établis par écrit sur demande de la partie intéressée formulée dans un délai de sept jours à compter de la date du prononcé du jugement. Si l’accusé, privé de liberté et non assisté par un défenseur, n’était pas présent lors du prononcé du jugement, le délai mentionné ci-dessus commence à courir à partir de la date de la notification du jugement (article 422 § 2 du CPP).

21. Selon l’article 445 § 1 du CPP, la partie à la procédure peut interjeter appel dans un délai de quatorze jours à compter de la date à laquelle le jugement de première instance avec ses motifs lui est notifié.

22. Selon l’article 445 § 2 du CPP combiné avec les articles 445 § 1 et 422 § 1 de ce code, si, dans un délai de sept jours à compter de la date du prononcé du jugement, une partie à la procédure interjette appel au lieu de demander au préalable que ce jugement et ses motifs lui soient notifiés (« składa apelację wprost »), l’appel est considéré comme comportant une telle demande ; il en résulte que, après la notification à la partie intéressée du jugement avec ses motifs, celle-ci aura la faculté de modifier l’appel à la lumière desdits motifs.

23. Selon l’article 422 § 3 du CPP, le tribunal refuse d’examiner une demande tendant à la notification du jugement avec ses motifs lorsqu’elle est formulée par une partie à la procédure après l’expiration du délai imparti en vertu du paragraphe 1 de cet article ou encore si celle-ci est introduite par une personne non autorisée.

24. Selon l’article 123 § 1 du CPP, le délai commence à courir le jour qui suit la survenance d’un fait qui fait courir le délai au regard de la loi.

25. Selon l’article 122 § 1 du CPP, un acte de procédure réalisé après l’expiration du délai prévu à cet effet est inefficace.

B. La jurisprudence de la Cour suprême

26. Selon la jurisprudence de la Cour suprême, la demande formulée par une partie à la procédure d’établir les motifs du jugement et de les lui notifier avec ce dernier ne concerne que le jugement rendu, ce qui implique qu’elle doit être déposée après le prononcé de celui-ci. Par conséquent, une telle demande introduite avant le prononcé du jugement doit être considérée comme inefficace, c’est-à-dire dépourvue d’effet juridique. Pour que la demande en cause soit efficace, la partie à la procédure doit soit confirmer sa demande soit la déposer à nouveau dans le délai prévu à l’article 422 § 1 du CPP (ordonnances de la Cour suprême du 19 février 2013, no II KZ 5/13, du 11 octobre 2002 WA 53/02, OSNKW 2003/1-2/15, du 19 août 2009 IV KZ 38/09, LEX 608562, du 1er juin 2010, IV KZ 30/10 OSNwSK 2010/1/1142).

27. Néanmoins, par l’ordonnance du 22 mai 2014 (III KZ 15/14), la Cour suprême a jugé que, eu égard à l’importance, tant pour les parties à la procédure que pour la société, du droit à un jugement motivé, une demande tendant à la notification d’un jugement avec ses motifs ne peut être rejetée au seul motif que celle-ci a été déposée avant le prononcé du jugement. La Cour suprême a souligné dans ce contexte que, compte tenu du libellé de l’article 422 § 3 du CPP, le tribunal ne pouvait refuser l’examen de la demande en cause que si elle avait été déposée par une personne non autorisée ou après l’expiration du délai prévu pour son dépôt.

28. Par l’ordonnance du 26 février 2015 (affaire no III KZ 6/15), la Cour suprême a jugé qu’une demande d’établissement et de notification des motifs du jugement à l’intéressé, déposée dans les circonstances prévues à l’article 422 § 2 du CPP, n’est pas ineffective si elle est déposée après le prononcé d’un jugement mais avant la notification de celui-ci à l’intéressé.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29. Le requérant se plaint d’une violation de son droit d’accès à un tribunal consécutive à l’impossibilité pour lui d’interjeter appel du jugement de première instance rendu à son encontre dans une procédure pénale. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ..., par un tribunal ..., qui décidera, ... du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ... »

30. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

31. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

32. Le requérant allègue que le tribunal de district a refusé d’examiner sa demande d’établissement des motifs du jugement et de notification de ceux-ci avec ledit jugement, bien que cette demande ait selon lui été déposée le jour du prononcé du jugement. Il estime dans ce contexte que, malgré les garanties procédurales offertes par la loi nationale, à savoir les recours donnant l’opportunité de contester les décisions des autorités internes, il ne pouvait pas voir son affaire entendue par la juridiction d’appel en raison de l’interprétation selon lui très restrictive de la loi procédurale par la juridiction nationale.

33. Il soutient que, en l’espèce, la limitation procédurale appliquée par la juridiction nationale, qui aurait restreint son droit à l’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ne poursuivait pas de but légitime.

34. Il argue que le refus du tribunal de district d’examiner sa demande n’était pas fondé sur les dispositions de la loi procédurale, à savoir l’article 422 § 3 du CPP, qui n’aurait énoncé que deux conditions légales pour une telle décision, mais sur l’interprétation très formaliste de la loi appliquée par les juridictions nationales. Il soutient que la limitation de son droit d’accès à un tribunal résultait de l’interprétation restrictive de la loi et que cette interprétation allait à l’encontre du libellé de celle-ci.

35. Le requérant estime en outre que l’interprétation de la loi appliquée en l’espèce était contraire à celle adoptée par la Cour suprême dans l’affaire no III KZ 15/14 (paragraphe 27 ci-dessus).

36. Le Gouvernement indique que, le droit à un tribunal n’étant pas absolu, il convient en l’espèce d’examiner si les limitations imposées au requérant poursuivaient un but légitime et s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il allègue à cet égard que le délai de sept jours imparti pour déposer une demande d’établissement des motifs du jugement ne constitue pas une limitation excessive et ne porte pas en soi atteinte à l’essence du droit à un procès équitable.

37. Le Gouvernement soutient que, en l’espèce, le tribunal de district pouvait tenir l’audience en l’absence du requérant et ajourner le prononcé du jugement pour une durée de sept jours sans en informer l’intéressé dès lors que celui-ci avait été bien informé de la date de l’audience du 12 mars 2013.

38. Le Gouvernement indique que le requérant a mentionné dans sa demande d’établissement des motifs du jugement que celui-ci a été prononcé le 12 mars 2013. Il expose que, néanmoins, ledit jugement ayant été prononcé le 19 mars 2013 à 10 h 45, la demande en cause a été déposée avant le prononcé de celui-ci, ce qui impliquait selon lui qu’il n’existait en l’espèce aucun motif susceptible de justifier le dépôt de la demande en question. Il ajoute que cette demande était par conséquent prématurée et qu’elle a de ce fait été jugée ineffective par les juridictions nationales.

39. Il observe en outre que le requérant aurait pu confirmer sa demande déposée prématurément ou déposer une nouvelle demande du même type dans le délai imparti par l’article 422 § 1 du CPP.

40. Le Gouvernement considère que le requérant a pu bénéficier des garanties procédurales du CPP, à savoir former un recours contre la décision du tribunal de première instance de refus d’examen de la demande d’établissement des motifs du jugement, déposer une demande en relevé de forclusion et contester la décision du tribunal relative à celle-ci.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

41. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. L’interprétation d’une législation déterminant les conditions de recevabilité des recours incombe au premier chef aux autorités nationales (García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Toutefois, elle ne doit pas empêcher les justiciables de se prévaloir d’une voie de recours disponible. La Cour est tenue de vérifier la compatibilité avec la Convention des effets d’une pareille interprétation ou application, en particulier lorsqu’il s’avère que, des suites de celles-ci, un requérant aurait pu subir un déni de justice (voir, Ben Salah, Adraqui et Dhaime c. Espagne (déc.), no 45023/98, 27 avril 2000, Sikorska c. Pologne, no 19616/08, § 32, 28 juin 2011). Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que celles fixant les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, parmi beaucoup d’autres, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, § 43, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, et Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 60, CEDH 2002‑IX).

42. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil 1998–I, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, 17 janvier 2012).

43. Par ailleurs, la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et Stanev, précité, § 231).

44. La Cour rappelle que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que, si le droit d’exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (Walchli c. France, no 35787/03, § 29, 26 juillet 2007, Alvanos et autres c. Grèce, no 38731/05, § 25, 20 mars 2008, et Frida, LLC c. Ukraine, no 24003/07, § 33, 8 décembre 2016).

b) Application des principes en l’espèce

45. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note que le tribunal de district a refusé d’examiner la demande du requérant d’établir les motifs du jugement de première instance et les lui notifier avec ledit jugement au motif qu’elle avait été introduite environ une heure avant le prononcé dudit jugement. Elle constate que, selon la juridiction interne, une telle demande était inefficace dès lors qu’elle concernait un jugement inexistant au moment de son dépôt.

46. La Cour remarque que le requérant a expressément indiqué dans sa demande déposée au tribunal de district le 19 mars 2013 qu’il demandait à celui-ci l’établissement des motifs du jugement du 12 mars 2013. Elle note que, en dépit de cela, le tribunal de district a considéré que cette demande concernait le jugement rendu le 19 mars 2013.

47. En l’espèce, la Cour observe que l’exigence faite au requérant de déposer au tribunal la demande d’établissement des motifs du jugement dans un délai de sept jours à compter de la date du prononcé de celui-ci a été fondée sur l’article 422 § 1 du CPP (voir la partie « droit interne pertinent » et paragraphe 20 ci-dessus). Elle n’aperçoit aucune raison de douter du bien‑fondé de l’argument du Gouvernement selon lequel cette exigence poursuivait le but légitime d’une bonne administration de la justice.

48. Néanmoins, prenant en compte les circonstances particulières de l’espèce, à savoir l’introduction de la demande en cause par le requérant environ une heure avant le prononcé du jugement, la Cour s’interroge sur la question de savoir si la façon dont les règles procédurales pertinentes en l’espèce ont été appliquées par les tribunaux internes n’a pas eu pour effet de priver le requérant de l’accès à la juridiction d’appel.

49. La Cour observe dans ce contexte que l’article 422 § 3 du CPP ne mentionne expressément que deux situations dans lesquelles le tribunal peut refuser d’examiner la demande d’établissement des motifs du jugement : celle dans laquelle la demande est déposée par une personne non autorisée et celle dans laquelle la demande est déposée après l’expiration du délai de sept jours à compter de la date du prononcé du jugement. Le CPP ne mentionne guère de possibilité pour un tribunal de refuser d’examiner une demande déposée avant le prononcé du jugement. La Cour constate à cet égard que l’interprétation faite en l’espèce des dispositions procédurales concernant le dépôt de la demande en cause, selon laquelle le tribunal refuse d’examiner la demande déposée avant le prononcé du jugement, a eu pour effet de restreindre le droit du requérant de voir son affaire entendue par la juridiction d’appel.

50. La Cour note dans ce contexte que la juridiction interne, en se référant à la jurisprudence de la Cour suprême en la matière, laquelle n’était pas homogène (paragraphes 24-26 ci-dessus), a constaté que la demande du requérant du 19 mars 2013 était inefficace dès lors que, au moment de son dépôt, le jugement concerné n’était pas encore rendu et qu’il n’était même pas certain qu’il le fût. Toutefois, elle remarque que le prononcé du jugement a eu lieu le même jour que le dépôt de la demande du requérant d’établissement des motifs du jugement, et que, dans le cadre de deux instances, les tribunaux internes n’avaient aucun doute sur l’existence du jugement faisant l’objet de la demande en cause. Elle relève de plus que les tribunaux ont interprété la demande du requérant de manière favorable en ce qu’ils avaient estimé que celle-ci concernait en réalité le jugement du 19 mars 2013.

51. La Cour observe que l’interprétation susmentionnée par les juridictions nationales des règles procédurales pertinentes en l’espèce a eu des conséquences importantes pour le requérant dès lors que celui-ci a été privé de la possibilité d’interjeter appel dans un délai de quatorze jours à compter de la date à laquelle le jugement de première instance avec ses motifs est notifié à la partie à la procédure (paragraphe 21 ci-dessus).

52. La Cour note en outre que la décision du tribunal du 25 mars 2013 portant refus d’examiner la demande d’établir les motifs du jugement et de les notifier au requérant avec ce jugement a été notifiée à l’intéressé le 15 avril 2013, soit après l’expiration du délai de sept jours à compter de la date du prononcé du jugement pendant lequel une partie à la procédure peut interjeter appel sans au préalable demander que ce jugement lui soit notifié avec ses motifs (paragraphe 22 ci- dessus).

53. Elle observe que le Gouvernement, se fondant sur la jurisprudence de la Cour suprême (paragraphe 26 et 38 ci-dessus), a observé que le requérant aurait dû confirmer la demande en cause ou déposer une nouvelle demande de même type, dans le délai prévu à cet effet à l’article 422 § 1 du CPP. La Cour note cependant que la décision portant refus d’examiner ladite demande a été notifiée à l’intéressé après l’expiration dudit délai et que, jusqu’à la notification, le requérant pouvait raisonnablement croire qu’il avait agi conformément aux règles de la procédure pénale.

54. La Cour estime que, en l’espèce, le requérant a respecté la diligence normalement requise d’une partie à la procédure dès lors qu’il avait introduit sa demande d’établissement des motifs du jugement le jour même où le jugement avait été prononcé, conformément à l’article 422 § 1 du CPP.

55. En revanche, le tribunal de district, siégeant en chambre de conseil, a rendu sa décision de refus d’examen de la demande du requérant six jours après le prononcé du jugement, ce qui impliquait la notification postérieure de celle-ci au requérant par courrier. Ce tribunal aurait donc dû être conscient du fait que le requérant ne disposerait plus d’aucune voie procédurale effective pour voir son affaire entendue par la juridiction de second degré. Plus précisément, il aurait dû être clair pour le tribunal de district que, au moment de la notification au requérant de la décision du 25 mars 2013, le délai de sept jours pour interjeter appel ou pour déposer une nouvelle demande d’établissement des motifs du jugement (paragraphes 22 et 26 ci-dessus) aurait déjà expiré. La Cour note que les autorités nationales n’ont pas expliqué pourquoi, dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’était pas possible de demander au requérant s’il souhaitait confirmer dans le délai prévu à cet effet sa demande de lui notifier le jugement avec ses motifs, telle qu’il avait déjà déposée le 19 mars 2013 à 9 h 40 et qui avait été jugée prématurée.

56. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, en l’espèce, le droit d’accès du requérant à un tribunal a été violé dès lors que l’interprétation, d’ailleurs non uniforme (voir paragraphes 26-28 ci-dessus) de la réglementation relative au délai requis pour déposer la demande d’établissement des motifs du jugement appliquée par la juridiction interne a cessé de servir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice et a constitué une sorte de barrière ayant empêché le requérant de voir son affaire examinée par la juridiction d’appel.

57. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

59. Le requérant réclame 32 188 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il estime avoir subi.

60. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes, qu’il qualifie d’exorbitantes et d’injustifiées.

61. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

62. Le requérant demande également 474 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 2 495 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

63. Le Gouvernement soutient que les frais réclamés par le requérant concernant la procédure devant la Cour, d’un montant de 2 495 EUR, n’ont pas été encore engagés par l’intéressé.

64. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 186, 23 avril 2015). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 537 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

65. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii) 1 537 EUR (mille cinq cent trente-sept euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-188264
Date de la décision : 13/12/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : WITKOWSKI
Défendeurs : POLOGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BACEWICZ T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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