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30/10/2018 | CEDH | N°001-187582

CEDH | CEDH, AFFAIRE GESTUR JÓNSSON ET RAGNAR HALLDÓR HALL c. ISLANDE, 2018, 001-187582


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GESTUR JÓNSSON ET RAGNAR HALLDÓR HALL c. ISLANDE

(Requêtes nos 68273/14 et 68271/14)

ARRÊT


STRASBOURG

30 octobre 2018

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 22/12/2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), s

iégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Robert Spano,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GESTUR JÓNSSON ET RAGNAR HALLDÓR HALL c. ISLANDE

(Requêtes nos 68273/14 et 68271/14)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 2018

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 22/12/2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Robert Spano,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić, juges,
et Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 octobre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 68273/14 et 68271/14) dirigées contre la République d’Islande et dont deux ressortissants islandais, MM. Gestur Jónsson (« le premier requérant ») et Ragnar Halldór Hall (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour le 16 octobre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me Geir Gestsson, avocat à Reykjavik. Le gouvernement islandais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Ragnhildur Hjaltadóttir, secrétaire permanente du ministère de l’Intérieur.

3. Dans leur requête devant la Cour, les requérants alléguaient que le jugement rendu par le tribunal de district le 12 décembre 2013 et l’arrêt prononcé par la Cour Suprême le 28 mai 2014 avaient porté atteinte à leurs droits découlant des articles 6 et 7 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

4. Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement respectivement le 2 et le 3 mars 2016.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le premier requérant est né en 1950, le deuxième en 1948. Ils résident à Reykjavik où ils sont tous deux avocats.

6. Le 16 février 2012, Y et Z, ainsi que deux autres personnes, furent inculpés de complicité de fraude et de manipulation du marché boursier. Le 7 mars 2012, en application de l’article 31 de la loi no 88/2008 sur la procédure pénale (« la loi sur la procédure pénale »), le premier requérant fut désigné pour représenter Y et le deuxième requérant pour représenter Z.

7. Le 7 mars 2012, l’acte d’accusation du parquet contre Y et Z, entre autres, fut déposé auprès du tribunal de district de Reykjavík. Lors d’une audience préliminaire, les inculpés plaidèrent non coupables des charges retenues contre eux. De mars à décembre 2012, au cours de diverses audiences préliminaires, le procureur et les requérants, ainsi que les autres avocats participant à la procédure, soulevèrent à plusieurs reprises des arguments sur différents points tels que les éléments de preuve produits par le parquet, le délai imparti à la défense pour présenter son mémoire et la demande de non-lieu formulée par la défense. La Cour suprême se prononça à trois reprises sur des questions procédurales.

8. Le 19 décembre 2012, le juge du tribunal de district, après avoir consulté le parquet, les requérants et les autres avocats de la défense, décida que le procès se déroulerait du 11 au 23 avril 2013. Le même jour, le deuxième requérant répondit au courrier électronique envoyé par le juge en indiquant que, bien qu’il fût raisonnable de fixer la date du procès, il souhaitait lui rappeler que l’affaire n’était pas encore en état puisque le parquet n’avait pas produit les éléments de preuve demandés ni établi de liste des témoins. Peu après, le juge lui répondit « joyeux Noël ! ».

9. Le parquet produisit d’autres éléments de preuve au cours de deux audiences préliminaires qui se tinrent respectivement le 24 janvier et le 7 mars 2013. Lors de la deuxième d’entre elles, les requérants et les autres avocats de la défense sollicitèrent un délai pour étudier les éléments de preuve soumis et demandèrent le report du procès, arguant notamment que la production des éléments de preuve n’était pas achevée. Par une décision du même jour, le tribunal de district rejeta leur demande.

10. Lors d’une audience préliminaire qui se tint le 21 mars 2013, le parquet et un avocat de la défense produisirent d’autres éléments de preuve. Les requérants et l’autre avocat de la défense demandèrent à ce que le parquet leur fournisse certaines preuves écrites. Lors d’une audience préliminaire qui se tint le 25 mars 2013, les requérants et l’autre avocat de la défense sollicitèrent à nouveau le report du procès six à huit semaines plus tard afin de leur permettre d’étudier les nouveaux éléments de preuve présentés par le parquet. Le 26 mars 2013, le tribunal de district rejeta leurs deux demandes et le 4 avril 2013, la Cour suprême les débouta de leur recours.

11. Le 8 avril 2013, les requérants adressèrent chacun au juge du tribunal de district chargé de l’affaire une lettre dans laquelle ils déclaraient que pour des raisons de conscience professionnelle, ils ne pouvaient continuer à s’acquitter des fonctions d’avocat de la défense qu’ils avaient exercées pour leurs clients. Ils plaidaient notamment qu’ils n’avaient pas été informés du délai qui avait été fixé pour la remise de leurs mémoires auprès de la Cour suprême avant que celle-ci ne prononçât sa décision le 4 avril 2013, que le parquet avait omis de leur adresser une copie de son mémoire, que la défense n’avait pas bénéficié d’un accès approprié à certains documents importants, que le parquet avait procédé à des écoutes de conversations téléphoniques qu’ils avaient entretenues avec leurs clients, et que la procédure dans son ensemble avait porté atteinte à leurs droits découlant de la Constitution, de la loi sur la procédure pénale et de la Convention. Ils arguaient enfin que les droits de leurs clients avaient été enfreints de manière si manifeste qu’ils se voyaient contraints de renoncer à leur participation à la procédure. Ils précisaient qu’ils en avaient discuté avec leurs clients et indiquaient clairement que ces derniers avaient approuvé leur décision. Ils demandaient donc à être relevés de leur mandat en application de l’article 21 § 6 de la loi no 77/1998 relative aux avocats.

12. Le même jour, le juge du tribunal de district répondit aux lettres des requérants et rejeta leurs demandes. Se référant à la loi sur la procédure pénale et à la loi relative aux avocats, il confirma que le procès débuterait le 11 avril 2013, comme il en avait auparavant décidé. Les requérants répondirent immédiatement à cette lettre, réitérèrent leurs arguments et déclarèrent qu’ils n’assisteraient pas au procès le 11 avril 2013.

13. À ladite date, Y et Z assistèrent au procès accompagnés de leurs nouveaux avocats. Les requérants ne se présentèrent pas à l’audience et ils ne furent pas cités à comparaître. Le président rappela les communications mentionnées ci-dessus qui avaient été échangées entre lui et les intéressés et déclara qu’il était inévitable de les relever de leur mandat. De nouveaux avocats de la défense furent désignés pour Y et Z, et le procès fut reporté à une date indéterminée. Le parquet demanda la condamnation des requérants à des peines d’amende pour atteinte à l’autorité de la justice au sens de l’article 223 de la loi sur la procédure pénale (paragraphe 32 ci-dessous).

14. Devant la Cour, les requérants soutiennent que, selon des informations parues dans la presse, le président aurait explicitement rejeté la demande du parquet au motif que les conditions requises pour infliger une amende n’étaient pas satisfaites à ce moment-là. Le Gouvernement affirme toutefois qu’il ne ressort pas des comptes rendus d’audience (qui n’ont pas été soumis à la Cour) que le président aurait pris position sur ce point. Il argue qu’en tout état de cause la déclaration du président n’était pas formelle, qu’elle n’a pas été inscrite dans les comptes rendus d’audience et qu’il existe une grande incertitude quant à l’existence d’une telle déclaration et quant à son contenu, le cas échéant.

15. Du 4 au 14 novembre 2013, un nouveau procès se tint devant le tribunal de district. Dans l’intervalle, le président s’était retiré de l’affaire et un nouveau juge avait été désigné.

16. Y et Z, ainsi que les deux autres accusés, furent reconnus coupables par un jugement du 12 décembre 2013. Par ailleurs, les requérants se virent chacun infliger, pour outrage au tribunal et pour avoir occasionné un retard inutile dans la procédure en ne se présentant pas au procès le 11 avril 2013 et avoir ainsi porté préjudice aux intérêts de leurs clients et des autres prévenus, une amende d’un million de couronnes islandaises (ISK ; environ 6 200 euros (EUR) à l’époque des faits) en application de l’article 223 § 1 a) et d) de la loi sur la procédure pénale. Le jugement fut rendu en l’absence des requérants.

17. Le 13 décembre 2013, les requérants saisirent la Cour suprême d’un recours formé à leur demande par le procureur contre le jugement par lequel le tribunal de district leur avait infligé des amendes. Devant la Cour suprême, ils demandèrent à titre principal l’annulation du jugement du tribunal de district dans sa partie relative au prononcé des peines d’amende à leur encontre et, à titre subsidiaire, la réduction du montant des amendes en cas de rejet par la Cour suprême de leur demande d’annulation.

18. Dans leurs observations à la Cour suprême, les requérants avançaient premièrement qu’ils avaient été sanctionnés sans avoir eu la possibilité de se défendre contre les arguments du parquet ni avoir été informés que le tribunal entendait leur infliger des amendes, ce qui s’analysait, selon eux, en une violation de leur droit à un procès équitable découlant de l’article 6 §§ 1 à 3 de la Convention et de l’article 70 de la Constitution. Ils soutenaient, deuxièmement, qu’ils avaient eu des raisons valables de se retirer de l’affaire et que les conditions légales requises pour leur infliger une amende n’étaient pas satisfaites.

19. Concernant leur premier grief, les requérants plaidaient qu’ils n’avaient à aucun moment été informés que le tribunal envisageait de leur infliger des amendes et qu’ils n’avaient pas été invités à se défendre devant le tribunal de district, ce qui constituait pourtant un élément fondamental du droit à un procès équitable.

20. Concernant leur deuxième grief, les requérants arguaient notamment qu’en les sanctionnant en tant qu’avocats de la défense, le tribunal de district avait méconnu la loi sur la procédure pénale puisqu’au moment où le tribunal avait rendu son jugement, ils n’étaient plus avocats de la défense. Ils plaidaient qu’en vertu de l’article 224 de la loi sur la procédure pénale, ils auraient dû être sanctionnés immédiatement après la commission de l’infraction qui leur était reprochée en tant qu’« autres parties » à la procédure. Ils avançaient par ailleurs que le comportement qui leur avait été reproché n’avait pas été adopté au cours de la procédure, comme l’exigeait la loi sur la procédure pénale, et qu’en tout état de cause il ne pouvait être qualifié d’outrage au tribunal puisque les intéressés n’avaient participé à aucune des audiences tenues par les juges qui leur avaient infligé des amendes et qui s’étaient prononcés sur le fond de l’affaire. Ils soutenaient enfin qu’ils avaient agi dans l’intérêt de leurs clients, lesquels avaient approuvé leurs décisions.

21. Les requérants produisirent des preuves écrites à l’appui de leurs observations à la Cour suprême. Ils ne sollicitèrent pas l’audition de témoins ni ne demandèrent à être entendus par la cour.

22. La Cour suprême tint une audience à laquelle les requérants furent représentés par des avocats. Elle n’entendit ni témoins ni les requérants.

23. Devant la Cour suprême, les requérants furent représentés chacun par un avocat. Ils allèguent toutefois qu’en raison du temps limité qui leur fut imparti pour présenter leur cause devant la Cour suprême, chaque avocat de la défense avança des arguments pour le compte des deux requérants.

24. Selon le résumé fait par le deuxième requérant des plaidoiries devant la Cour suprême, les requérants arguèrent notamment que la décision par laquelle un tribunal infligeait des amendes judiciaires était une décision d’office prise sans que les parties y fussent associées, et qu’elle ne pouvait donc pas être annulée et renvoyée au tribunal de première instance. Ils plaidèrent par ailleurs que le renvoi de l’affaire au tribunal de district pour un nouveau procès à raison d’une violation de la loi sur la procédure pénale et de l’article 6 de la Convention ne pouvait être légitime car les délais dans lesquels une amende pouvait être prononcée à leur encontre étaient expirés. Ils avancèrent qu’en vertu des articles 223 et 224 de la loi sur la procédure pénale, ils ne pouvaient se voir infliger d’amende qu’en tant qu’« avocats de la défense » dans un jugement sur le fond rendu dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre leurs clients ou en tant qu’« autres parties » au cours du procès principal dans la procédure pénale dirigée contre leurs clients. Ils affirmèrent de surcroît que le montant de l’amende qui leur avait été infligée était dix fois supérieur à celui des amendes prononcées dans des affaires antérieures et que la loi sur la procédure pénale ne prévoyait pas de montant maximal. Ils se référèrent également au principe de légalité dans les affaires pénales (article 69 de la Constitution) et au principe de la lex certa.

25. Par un arrêt du 28 mai 2014, la Cour suprême confirma à la majorité (trois juges sur cinq) le jugement du tribunal de district concernant les amendes infligées aux requérants.

26. Dans son arrêt, la Cour suprême décrivit les faits de manière détaillée. Elle mentionna l’obligation faite aux avocats, par l’article 20 de la loi sur les avocats, d’accepter toute désignation ou nomination en qualité d’avocat de la défense dans une procédure pénale dès lors qu’ils satisfaisaient aux exigences légales. Elle estima par ailleurs que les requérants ne pouvaient renoncer à exercer les fonctions d’avocat de la défense dans une procédure pénale en se fondant sur l’article 21 § 6 de la loi sur les avocats en ce que cette disposition ne s’appliquait qu’aux procédures civiles. Elle jugea que la décision des requérants de ne pas assister au procès alors même que le tribunal de district avait rejeté leur demande d’être relevés de leur mandat n’était conforme ni au droit ni aux intérêts de leurs clients et des autres accusés. Elle considéra que la renonciation des intéressés à l’exercice de leurs fonctions d’avocat de la défense avait par ailleurs constitué une violation grave des obligations que les articles 34 § 1 et 35 § 1 de la loi sur la procédure pénale faisaient peser sur eux. Elle conclut que les requérants avaient totalement méconnu les décisions légitimes du tribunal de district qui n’avait eu d’autre choix que de les relever de leur mandat et de désigner d’autres avocats pour assurer la représentation des accusés devant le tribunal.

27. La Cour suprême exposa ensuite de manière détaillée la législation applicable aux amendes judiciaires, à savoir les articles 222 à 224 de la loi sur la procédure pénale, et observa que les dispositions pertinentes ne prévoyaient pas de montant maximal. Elle jugea qu’au vu de leur montant élevé, les amendes infligées aux requérants devaient être qualifiées de sanctions pénales.

28. L’arrêt contenait par ailleurs les motivations qui suivent :

« Comme cela a été relevé ci-dessus, la deuxième phrase de l’article 222 § 1 de [la loi sur la procédure pénale] permet au parquet d’engager des poursuites pour des infractions passibles d’amende en vertu de ce chapitre [chapitre XXXV]. Conformément aux règles générales, les accusés doivent ensuite avoir la possibilité de se défendre. De telles poursuites n’ont pas été engagées en l’espèce. D’autre part, comme cela a été relevé ci-dessus, le juge dans une affaire pénale peut également décider, d’office, d’infliger des amendes en application de la première phrase de [l’article 222 § 1]. En pareilles circonstances, il n’est pas nécessaire que le parquet formule une demande spéciale en ce sens. Il n’y a aucune raison de considérer que la protection accordée [aux requérants] par la loi devrait être moindre selon l’option retenue lors de l’appréciation de la question de savoir s’il convenait de prononcer à leur encontre des amendes qui s’analysent en des peines (article 70 de la Constitution islandaise et article 6 §§ 1 et 3 de [la Convention], loi no 62/1994).

Lorsqu’il est clairement apparu que [les requérants] ne satisferaient pas à leur obligation d’assister au procès et que le tribunal a envisagé de prononcer des amendes à leur encontre, les intéressés auraient dû être cités à comparaître lors d’une audience spéciale et avoir la possibilité d’être entendus et de présenter leurs arguments, au-delà de ceux qu’ils avaient déjà clairement formulés dans la correspondance qu’ils avaient échangée avec le tribunal de district. Cela n’a toutefois pas été fait. Au lieu de cela, [les requérants] ont été relevés de leur mandat lors de l’audience du 11 avril 2013 et la décision de leur infliger des amendes a été prise dans un jugement rendu le 12 décembre 2013.

Comme cela est indiqué au chapitre V du présent arrêt, le procureur a formé un recours concernant cette partie de l’affaire, à la demande des [requérants] qui ont le droit, en vertu de la loi, de voir les amendes prononcées à leur encontre par le tribunal de district réexaminées par une juridiction supérieure à la suite d’une audience. Le droit [des requérants] à se défendre en appel n’est donc soumis par la loi à aucune limite et les intéressés ont eu la possibilité de défendre leur position lors de l’audience concernant leur affaire, le cas échéant en faisant des dépositions et en demandant l’audition de témoins (article 205 § 3 de [la loi sur la procédure pénale]) ou en engageant une procédure spéciale avec témoins (article 141 § 1 de la loi sur la procédure pénale). Au vu de ce qui précède, l’absence d’audience devant le tribunal de district avant que la décision de leur infliger des amendes ne soit prise n’a pas porté atteinte aux droits des requérants. La procédure qui a été menée a par conséquent été conforme à la législation et n’a pas porté atteinte au droit des requérants à un procès équitable tel que garanti par l’article 70 § 1 de la Constitution islandaise et par l’article 6 §§ 1 et 3 de [la Convention] (voir la loi no 62/1994 ainsi que les arrêts rendus par la [Cour] le 22 mai 1990 dans l’affaire Weber c. Suisse et le 14 novembre 2000 dans l’affaire T. c. Autriche). Au vu de la motivation du jugement déféré, il convient de confirmer la décision concernant les amendes infligées aux [requérants]. »

29. La minorité souscrivit à l’opinion de la majorité selon laquelle le refus des requérants d’assister au procès dans la procédure pénale dirigée contre leurs clients n’avait pas été conforme au droit et qu’il s’analysait en une méconnaissance par les intéressés de l’obligation qui pesait sur eux en leur qualité d’avocats de la défense. La minorité convint également que le comportement en cause avait entraîné un retard dans la procédure et que les amendes qui leur avaient été infligées s’analysaient en une sanction pénale.

30. Elle considéra toutefois ce qui suit :

« Conformément aux dispositions du [chapitre XXXV de la loi sur la procédure pénale], une audience aurait dû être fixée dès qu’il est apparu clairement que [les requérants] n’auraient pas assisté au procès, et [les requérants] auraient dû être informés des charges retenues contre eux et de la possibilité qui leur était ouverte de contester la décision de leur infliger des amendes. Cela n’a toutefois pas été fait. Au lieu de cela, [les requérants] ont été relevés de leur mandat lors du procès le 11 avril 2013 et de nouveaux avocats de la défense ont été désignés à leur place. La décision de leur infliger des amendes a été prise dans le jugement du 12 décembre 2013 sans qu’ils eussent toutefois été informés, alors qu’ils n’étaient plus avocats de la défense, que le tribunal entendait les sanctionner et sans qu’il leur ait été permis de se défendre tant à l’égard de la décision de leur infliger des amendes que concernant le montant de celles-ci.

Au vu de ce qui précède, la procédure devant le tribunal de district a été viciée mais aucune disposition ne permet de renvoyer cette partie de l’affaire pénale devant le tribunal de district afin qu’il l’examine à nouveau. Compte tenu de ces circonstances, la partie du jugement déféré concernant les amendes judiciaires devrait être annulée. »

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31. Les dispositions pertinentes de la Constitution islandaise (Stjórnarskrá lýðveldisins Íslands) sont libellées comme suit :

Article 69

« Nul ne peut être soumis à une peine sans avoir été déclaré coupable d’un acte constitutif d’une infraction pénale au sens de la loi en vigueur au moment où il a été commis, ou d’un acte totalement analogue à celui-ci. Les sanctions ne peuvent être plus sévères que celles que la loi fixait au moment de la commission de l’infraction. »

Article 70

« Toute personne a droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable devant un tribunal indépendant et impartial qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Les audiences doivent être publiques, sauf si le juge en décide autrement dans les conditions prévues par la loi pour assurer le respect des bonnes mœurs, de l’ordre public, de la sécurité de l’État ou dans l’intérêt des parties.

Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie. »

32. Les dispositions pertinentes de la loi no 88/2008 sur la procédure pénale (Lög um meðferð sakamála) sont libellées comme suit :

Article 31

« (...)

En outre, si une audience principale est tenue en application du chapitre XXV, l’accusé doit se voir désigner un avocat de la défense, à moins qu’il n’en ait lui-même choisi un conformément à l’article 32 et qu’il ne souhaite pas que le tribunal en désigne un, ou qu’il ne veuille se représenter lui-même (voir l’article 29).

S’il estime que l’accusé n’est pas en mesure de protéger suffisamment ses intérêts au cours de la procédure judiciaire, le juge peut désigner un avocat de la défense pour l’accusé même si ce dernier ne l’a pas demandé.

(...) »

Article 34

« Si un accusé demande que soit révoquée la nomination ou la désignation d’un avocat de la défense et qu’un nouvel avocat de la défense soit nommé ou désigné, il doit être fait droit à sa demande à moins qu’il n’existe un risque que celle-ci entraîne un retard dans la procédure.

(...) »

Article 35

« Le rôle de l’avocat de la défense est d’avancer tous les éléments qui pourraient justifier l’acquittement de l’accusé ou jouer en sa faveur, et de protéger les intérêts de l’accusé à tous égards.

(...) »

Article 140

« Les dispositions du chapitre II et des chapitres XVIII à XX s’appliquent, le cas échéant, lorsque des preuves documentaires sont collectées devant une juridiction islandaise conformément aux instructions du présent chapitre. Un juge préside à la collecte de preuves documentaires et tranche toute question relative à cette collecte.

Lorsque des preuves documentaires sont collectées devant une autre juridiction, une partie peut, si les circonstances le justifient, demander la collecte d’éléments supplémentaires par rapport à ceux initialement demandés. Le juge compétent décide s’il convient de faire droit à cette demande. »

Article 141

« Les dispositions de l’article 140 s’appliquent, le cas échéant, lorsque des éléments de preuve sont recueillis devant le tribunal de district dans le cadre d’une procédure judiciaire devant la Cour suprême.

(...) »

Article 171

« (...)

Peu importe le moment où les dépositions, objections et éléments de preuve sont présentés au cours de la procédure. »

Article 196

« Dans les limites découlant d’autres dispositions de la présente loi, il est possible d’interjeter appel devant la Cour suprême contre un jugement rendu par un tribunal de district afin d’obtenir :

a) le réexamen de la détermination des peines ;

b) le réexamen des conclusions fondées sur l’interprétation ou l’application des règles de droit ;

c) le réexamen des conclusions fondées sur l’appréciation de la valeur probante des pièces du dossier autres que les dépositions orales faites devant le tribunal de district ;

d) l’annulation du jugement et le renvoi de l’affaire ;

e) le rejet de l’affaire par le tribunal de district.

Le réexamen des ordonnances et décisions adoptées au cours de la procédure judiciaire devant le tribunal de district peut également être demandé dans le cadre d’un recours contre un jugement rendu par ledit tribunal.

La révision des conclusions du tribunal de district concernant une demande formulée en vertu du chapitre XXVI peut également être demandée dans le cadre d’un appel formé contre le jugement rendu par ledit tribunal pour l’un des motifs énumérés au premier paragraphe du présent article, à condition que ladite demande ait été tranchée au fond et que l’accusé ou le demandeur en ait demandé le réexamen. Si un jugement du tribunal de district n’est pas contesté conformément à ce qui précède, l’accusé et le demandeur peuvent tous deux faire appel de la décision du tribunal sur le fond de la demande conformément aux règles relatives aux appels formés contre les jugements rendus dans une procédure civile.

Article 204

« La Cour suprême peut, sans audience préalable, rejeter un appel dont elle est saisie à raison de vices ayant entaché la présentation de l’affaire devant elle. De même, la Cour suprême peut annuler le jugement rendu par un tribunal de district si des vices matériels ont entaché la procédure devant ledit tribunal de district (...)

(...) »

Article 205

« (...)

La Cour suprême peut décider la présentation orale d’éléments de preuve selon des modalités qu’elle détermine s’il y a lieu de penser, compte tenu des circonstances, que cette présentation pourrait avoir une incidence sur l’issue de l’affaire. »

Article 208

« (...)

La Cour suprême ne peut réexaminer la conclusion d’un tribunal de district portant sur la valeur probante d’un témoignage oral à moins que les témoins en question ou l’accusé n’aient été entendus devant la Cour suprême.

(...) »

Article 222

« Le juge détermine le montant des amendes conformément aux règles établies dans le présent chapitre. Ces amendes sont versées au Trésor public. Des procédures spéciales peuvent toutefois être engagées pour les infractions passibles d’amendes en vertu du présent chapitre.

Si des sanctions supplémentaires sont prévues par d’autres lois pour des infractions soumises aux dispositions du présent chapitre, une procédure distincte peut être engagée pour statuer sur toute demande s’y rapportant, indépendamment des décisions sur les amendes procédurales. »

Article 223

« L’accusé, l’avocat de la défense ou le conseiller juridique peuvent se voir infliger une amende pour avoir :

a) volontairement retardé de manière indue la procédure ;

b) violé une interdiction (voir l’article 11 § 1 ou 2) ;

c) émis des remarques écrites ou orales indécentes devant le tribunal concernant le juge ou les autres parties ;

d) porté atteinte d’une autre manière à la dignité du tribunal par son comportement au cours de la procédure.

L’accusé ou toute autre partie témoignant devant le tribunal peuvent se voir infliger une amende pour l’une des infractions énumérées aux points b), c) et d) ci-dessus.

Une amende peut être infligée à des parties autres que celles mentionnées aux deux premiers paragraphes du présent article pour violation d’une interdiction prévue à l’article 11 § 1 ou 2, pour non-respect d’une ordonnance de maintien de l’ordre rendue par un juge pendant une audience, ou pour tout autre comportement désobligeant ou indécent.

Si le juge estime que les dispositions des trois premiers paragraphes du présent article ont été violées mais que l’infraction est mineure, il peut décider d’admonester le contrevenant au lieu de lui infliger une amende.

La Cour suprême peut infliger une amende au procureur, à l’avocat de la défense ou aux deux pour avoir interjeté appel sans fondement. En outre, le procureur, l’avocat de la défense ou le conseiller juridique peuvent être condamnés à une amende pour négligence grave ou tout autre manquement commis au cours de la procédure devant le tribunal de district ou lors de la préparation ou de la procédure devant la Cour suprême. Les dispositions des quatre premiers paragraphes du présent article s’appliquent aux procédures devant la Cour suprême, le cas échéant. »

Article 224

« Les amendes infligées au procureur, à l’accusé, à l’avocat de la défense ou au conseiller juridique sont déterminées au moment où un jugement est rendu dans la procédure concernée. Si ladite procédure se conclut d’une autre manière, les amendes infligées à ces parties sont déterminées par ordonnance.

Les amendes infligées à d’autres parties que celles visées au premier paragraphe du présent article sont déterminées par ordonnance dès que l’infraction est commise. »

33. L’article 21 § 6 de la loi no 77/1998 sur les avocats (Lög um lögmenn) est ainsi libellé :

« (...)

Un avocat peut renoncer à tout moment à un mandat qu’il a accepté, mais il a l’obligation de s’assurer qu’il ne portera pas préjudice aux intérêts de son client. »

EN DROIT

1. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

34. Les deux requêtes étant similaires en fait et en droit, la Cour décide de les joindre, comme le lui permet l’article 42 § 1 de son règlement.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

35. Les requérants reprochent au tribunal de district de Reykjavík de les avoir jugés et condamnés in absentia. Ils y voient une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Ils soutiennent par ailleurs que la Cour suprême n’a pas remédié aux violations qui ont entaché la procédure devant le tribunal de district et qu’elle n’aurait pas pu le faire. La disposition pertinente est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

36. Le Gouvernement conteste cette thèse.

1. Sur la recevabilité

37. La Cour considère que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, elle le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Les thèses des parties

a) Les requérants

38. Les requérants soutiennent que l’article 6 de la Convention est applicable en l’espèce. Ils relèvent que la Cour suprême a qualifié les amendes qui leur ont été infligées de sanctions pénales aux fins de l’article 6 de la Convention, ce qui n’est pas contesté entre les parties. À cet égard, les requérants se réfèrent aux affaires T. c. Autriche (no 27783/95, CEDH 2000‑XII) et Weber c. Suisse (22 mai 1990, série A no 177), et ils observent que contrairement au droit interne pertinent dans lesdites affaires, le droit islandais ne prévoyait aucun montant maximal pour les amendes dont ils étaient passibles.

39. Les requérants soutiennent qu’ils ont été jugés et condamnés in absentia par le tribunal de district et qu’ils n’ont bénéficié d’aucun des droits garantis par l’article 6 de la Convention avant de se voir infliger des amendes par ledit tribunal dans son jugement rendu le 12 décembre 2013. Ils soulignent que la Cour suprême a néanmoins confirmé le jugement contesté et conclu qu’il était suffisant que les requérants aient bénéficié de ces droits devant elle.

40. Les requérants plaident que lorsqu’un État membre prévoit une procédure judiciaire avec deux degrés de juridiction, il est tenu de garantir les droits découlant de l’article 6 de la Convention devant ces deux degrés de juridiction.

41. Les requérants soutiennent qu’indépendamment de l’étendue du contrôle exercé par la juridiction d’appel en vertu du droit interne, la procédure d’appel ne peut remédier dans une affaire pénale à une absence totale de procédure en première instance. Ils plaident que même si une juridiction d’appel pouvait, en principe, y remédier, elle ne pourrait corriger les vices de ladite procédure qu’en annulant la condamnation prononcée par le tribunal de première instance ou en renvoyant l’affaire en première instance pour un nouvel examen. À l’appui de cet argument, ils citent notamment l’affaire De Cubber c. Belgique (26 octobre 1984, §§ 32-33, série A no 86).

42. Les requérants soutiennent qu’en vertu du droit pénal et procédural islandais, la procédure devant la Cour suprême est plus limitée que celle devant un tribunal de district et qu’ils ont bénéficié de moins de droits devant la juridiction supérieure. Ils estiment par conséquent que la Cour suprême ne pouvait pleinement remédier aux violations de leurs droits en première instance.

43. Les requérants allèguent également qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention en ce que la procédure dirigée contre eux a débuté par une condamnation prononcée par une juridiction de première instance sans qu’un acte d’accusation ait été établi à leur encontre. Ils plaident par ailleurs qu’il était impossible de prouver leur culpabilité sans produire des éléments de preuve devant le tribunal de district, et sans leur accorder la possibilité d’interroger des témoins et de déposer devant la Cour suprême.

44. Pour ce qui est de la violation des droits consacrés par l’article 6 § 1, combiné avec l’article 6 § 3 de la Convention, les requérants affirment qu’aucun acte d’accusation n’a été délivré à leur encontre, alors même que celui-ci aurait été une condition pour qu’ils puissent bénéficier de tous les droits garantis par l’article 6 de la Convention. Ils indiquent par ailleurs qu’ils n’ont pas été convoqués à l’audience au cours de laquelle le jugement a été prononcé, ni n’ont été informés du jugement lui-même.

45. Les requérants allèguent par ailleurs qu’ils n’ont pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense et qu’on ne leur a pas donné la possibilité de se défendre eux-mêmes ou d’être assistés d’un défenseur de leur choix devant le tribunal de district. Ils ajoutent que la Cour suprême ne peut avoir remédié à ce vice en se bornant à leur offrir l’assistance d’un avocat dans la procédure devant elle.

46. Les requérants affirment d’autre part qu’ils n’ont pas été invités à faire des dépositions ou à interroger des témoins devant la Cour suprême, alors qu’il incombait à celle-ci de les citer à comparaître et d’auditionner des témoins. À cet égard, ils citent les affaires Sigurþór Arnarsson c. Islande (no 44671/98, §§ 35-38, 15 juillet 2003), Botten c. Norvège (19 février 1996, §§ 52-54, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I) et Sadak et autres c. Turquie (no 1) (nos 29900/96 et 3 autres, § 67, CEDH 2001‑VIII). Ils ne souscrivent pas à la conclusion de la Cour suprême selon laquelle ils auraient pu ou dû formuler eux-mêmes une demande en ce sens sur le fondement de l’article 205 § 3 de la loi sur la procédure pénale ou engager une procédure avec témoins devant un autre tribunal de district conformément à l’article 141 § 1 de la même loi. Ils soutiennent qu’au vu du libellé de ces dispositions, l’interprétation de la Cour suprême en l’espèce n’est pas conforme au droit et à la pratique juridique internes et qu’ils n’ont donc pas pu exercer leur droit de manière concrète et effective. Ils estiment en outre que les obliger à engager une procédure spéciale avec témoins pour prouver leur innocence aurait été contraire à l’article 6 § 2 de la Convention.

47. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement selon laquelle il n’y avait aucun désaccord sur les faits. Ils avancent que même si le litige factuel entre les parties était limité, le Gouvernement ne peut présumer qu’ils n’avaient pas besoin de déposer ou d’interroger des témoins.

48. Ils contestent enfin la thèse du Gouvernement selon laquelle le fait pour des avocats expérimentés tels que les requérants de ne pas demander à interroger des témoins ou à déposer devant le tribunal s’analyserait en une renonciation à ces droits. Ils soutiennent qu’ils ne devraient pas bénéficier de moins de droits en raison de leur profession d’avocat et que la renonciation à pareils droits doit être établie sans équivoque et entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. Ils affirment qu’ils n’ont renoncé à leurs droits ni de manière explicite ni de manière implicite.

b) Le Gouvernement

49. Le Gouvernement convient avec les requérants que les amendes litigieuses ont constitué des peines et que les infractions commises par eux doivent être qualifiées de « pénales » au sens de l’article 6 de la Convention, ce qui a également été reconnu par la Cour suprême. Il admet par ailleurs que les requérants ont été jugés et condamnés in absentia par le tribunal de district.

50. Le Gouvernement soutient toutefois que l’arrêt par lequel la Cour suprême a confirmé, le 28 mai 2014, le jugement rendu le 12 décembre 2013 par le tribunal de district n’a pas emporté violation du droit des requérants à un procès équitable découlant de l’article 6 de la Convention.

51. Le Gouvernement observe que la Cour a rappelé à plusieurs reprises que les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l’article 6 de la Convention. Il affirme que les vices qui ont entaché la procédure devant le tribunal de district n’ont pas emporté en eux‑mêmes violation dès lors qu’il y a été remédié en appel. Il argue que l’exigence d’équité découlant de l’article 6 de la Convention doit être interprétée en ce qu’elle couvre la procédure dans son ensemble et qu’il est donc possible de remédier à un stade ultérieur aux vices qui l’ont entachée en premier ressort. Il plaide que l’article 6 de la Convention n’impose pas à la juridiction d’appel d’ordonner l’ouverture d’un nouveau procès en première instance si de nouveaux éléments de preuve ont été produits devant elle et que le droit à un nouveau procès n’est pas en tant que tel inclus dans les droits et libertés garantis par la Convention. À cet égard, il se réfère à la décision rendue par la Commission dans l’affaire Callaghan et autres c. Royaume-Uni (no 14739/89, décision de la Commission du 9 mai 1989, Décisions et rapports (DR) 60, p. 296).

52. Le Gouvernement relève que la Cour suprême a admis que la procédure devant le tribunal de district avait été entachée de vice et n’était pas conforme aux exigences de l’article 6 de la Convention. Il soutient toutefois que l’accès des requérants à la procédure d’appel devant la Cour suprême n’a en aucune manière été limité du fait de leur absence lors de la procédure devant le tribunal de district. Il affirme que les intéressés ont pu présenter leur cause devant la Cour suprême, de sorte que la procédure dans son ensemble a satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention. Il soutient que la procédure devant la Cour suprême a remédié de manière suffisante aux défaillances de la procédure devant le tribunal de district.

53. Le Gouvernement allègue que la question qui est posée à la Cour est de savoir si la Cour suprême a été en mesure ou non de remédier aux défaillances de la procédure de première instance. Il indique que selon la loi sur la procédure pénale, l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême est très large. Il précise qu’un accusé peut faire appel d’un jugement afin d’obtenir la révision de l’appréciation faite par le tribunal de district sur des points de droit et un réexamen des éléments de preuve. Il ajoute que la seule limite au contrôle exercé par la Cour suprême est que celle-ci ne peut apprécier la valeur probante des dépositions faites devant le tribunal de district. Il indique que, si nécessaire, la Cour suprême peut entendre des témoins et apprécier la valeur probante de leurs dépositions. Il soutient que l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême n’a donc en aucun cas empêché les requérants d’avoir recours aux mêmes moyens de défense que ceux qu’ils auraient pu employer devant le tribunal de district.

54. Le Gouvernement observe qu’il ressort de l’affaire Sigurþór Arnarsson c. Islande (précitée) que le simple fait qu’une procédure devant une cour d’appel soit dans une certaine mesure plus limitée que la procédure de première instance n’emporte pas nécessairement violation de l’article 6 de la Convention, et que cela vaut également pour des affaires où la cour d’appel peut réexaminer des questions de fait.

55. Le Gouvernement indique que les requérants n’ont jamais présenté devant la Cour suprême d’arguments au-delà de l’étendue du contrôle exercé par celle-ci et qu’il semble qu’il n’y ait eu entre les parties aucun désaccord sur les faits. Il ajoute que les communications entre les requérants et le tribunal de district, constitutives de l’infraction alléguée, ont été échangées par lettre ou par courrier électronique et que les requérants n’ont donc pas été placés dans une situation plus défavorable pour avancer leurs arguments devant la Cour suprême que s’ils avaient eu la possibilité de se défendre devant le tribunal de district. Il affirme que même si la procédure devant la Cour suprême est, de manière générale, plus limitée que celle de première instance, cela n’a en aucun cas entravé ou limité la défense des requérants en l’espèce.

56. Le Gouvernement soutient que la loi sur la procédure pénale offre des remèdes suffisants auxquels la Cour suprême aurait pu avoir recours si des divergences concernant les faits de l’espèce étaient apparues entre les requérants et le parquet et s’il avait été nécessaire d’entendre des témoins ou les requérants eux-mêmes. Il cite à cet égard les articles 205 § 3 et 141 § 1 de la loi sur la procédure pénale. Il indique que ces deux dispositions ont déjà été invoquées par des appelants devant la Cour suprême, que l’article 141 § 1 ne suppose pas l’autorisation préalable de la Cour suprême, et que même si l’article 205 § 3 n’a été invoqué qu’une fois devant cette dernière, il rappelle que les circonstances de la présente espèce étaient tout à fait inhabituelles. Il affirme par ailleurs qu’en vertu de l’article 208 § 3 de la loi sur la procédure pénale, la Cour suprême aurait pu annuler le jugement du tribunal de district et renvoyer l’affaire en première instance, mais que cela n’a pas été nécessaire à raison de la manière dont les requérants ont construit et étayé leurs recours.

57. Le Gouvernement rejette l’allégation des requérants selon laquelle il incombait à la Cour suprême de les citer à comparaître ou de les inviter à interroger des témoins en ce que les requérants sont tous deux des avocats expérimentés qui étaient assistés d’avocats de la défense devant la Cour suprême et qu’il n’était donc pas nécessaire de les guider à cet égard.

58. Le Gouvernement observe enfin que dans leurs plaidoiries devant la Cour suprême, les requérants ont argué que l’affaire ne pouvait pas être renvoyée au tribunal de district pour un nouvel examen. Il en conclut que cela démontre que les requérants n’ont pas fait valoir qu’il était nécessaire de renvoyer l’affaire devant une juridiction inférieure.

2. L’appréciation de la Cour

59. Pour ce qui est de l’application de l’article 6 de la Convention en l’espèce, la Cour relève que les requérants se sont vu chacun infliger, pour outrage au tribunal et pour avoir occasionné un retard inutile dans la procédure en n’assistant pas au procès et avoir ainsi porté préjudice aux intérêts de leurs clients et des autres prévenus, une amende d’environ 6 200 EUR en application de l’article 223 § 1 a) et d) de la loi sur la procédure pénale. Pour apprécier l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale », la Cour emploie trois critères, couramment dénommés « critères Engel ». Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche toutefois pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, §53, CEDH 2009). Dans un certain nombre d’affaires, la Cour a conclu que les amendes infligées pour atteinte à l’autorité de la justice dans le cadre de l’examen d’affaires devant les juridictions internes ne s’analysaient pas en une « accusation en matière pénale » (voir, par exemple, Ravnsborg c. Suède, 23 mars 1994, §§ 30-36, série A no 283‑B, Putz c. Autriche, 22 février 1996, § 33, Recueil 1996‑I, Schreiber et Boetsch c. France (déc.), no 58751/00, CEDH 2003‑XII, Toyaksi et autres c. Turquie (déc.), no 43569/08, 20 octobre 2010, Žugić c. Croatie, no 3699/08, §§ 63-71, 31 mai 2011). Le fait que le montant d’une amende infligée est élevé n’implique pas en lui‑même que l’infraction en question peut être qualifiée de « pénale » (Brown c. Royaume-Uni (déc.), no 38644/97, 24 novembre 1998). Dans une affaire où une courte peine de prison avait été prononcée pour outrage au tribunal, la Cour a toutefois conclu que l’infraction devait être qualifiée de « pénale » (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 64, CEDH 2005‑XIII, Zaicevs c. Lettonie, no 65022/01, §§ 31-36, 31 juillet 2007). De même, dans une affaire où une amende substantielle avait été infligée et où le requérant risquait de voir cette amende convertie en peine d’emprisonnement sans la garantie d’une audience, la Cour a également conclu que l’infraction devait être qualifiée de « pénale » (T. c. Autriche, précité, §§ 61-67). S’agissant du cas d’espèce, la Cour observe que la loi sur la procédure pénale établit les règles applicables à l’infliction d’amendes sans fixer de montant maximal. La Cour note également que les amendes infligées étaient d’un montant élevé. Par ailleurs, la Cour suprême a conclu que l’amende infligée aux requérants s’analysait en une sanction pénale (paragraphe 27 ci-dessus). Cette conclusion de la Cour suprême n’a pas été contestée par les parties qui ont convenu que les amendes infligées sanctionnaient une « infraction pénale ». Dès lors, et compte tenu en particulier du premier critère de la jurisprudence Engel, c’est-à-dire la qualification juridique de l’infraction en droit national, la Cour ne voit aucune raison de tirer une conclusion différente de celle de la Cour suprême. Aussi, l’infraction commise par les requérants doit être considérée comme fondée sur une « accusation en matière pénale » au sens du volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est donc applicable en l’espèce.

60. La Cour observe que les garanties du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette même disposition. Dans ces circonstances, la Cour juge superflu d’examiner la pertinence du paragraphe 3 aux fins de l’examen du grief des requérants en ce que leurs allégations s’analysent en tout état de cause en un grief portant sur l’équité de la procédure (Shkalla c. Albanie, no 26866/05, § 67, 10 mai 2011). La Cour considère qu’il en va de même pour le grief des requérants fondé sur l’article 6 § 2 de la Convention (paragraphes 43 et 46 ci-dessus) en ce qu’il est également tiré du défaut d’équité de la condamnation prononcée contre eux in absentia par le tribunal de district et du manquement subséquent allégué de la Cour suprême à son obligation de remédier aux vices qui avaient entaché la procédure en première instance. Au vu de ce qui précède, la Cour limitera son examen à la question de savoir si la procédure, prise dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

61. Les principes généraux applicables aux procédures in absentia se trouvent exposés dans l’arrêt Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 81-95, CEDH 2006‑II.

62. La Cour rappelle que, si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Sejdovic, précité, § 82, et Hokkeling c. Pays‑Bas, no 30749/12, § 58, 14 février 2017).

63. La Cour rappelle par ailleurs le principe fondamental établi dans sa jurisprudence constante selon lequel c’est aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Il n’appartient donc pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, par exemple si elles peuvent exceptionnellement s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention. La Cour n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 83, 11 juillet 2017).

64. En l’espèce, il n’est pas contesté entre les parties que les requérants ont été jugés in absentia par le tribunal de district. La Cour l’admet et rappelle qu’après la révocation du mandat des requérants et la désignation par le juge compétent de nouveaux avocats de la défense, un nouveau procès a commencé le 4 novembre 2013, au terme duquel, par un jugement rendu le 12 décembre 2013, les requérants se sont vu infliger des peines d’amende (paragraphe 16 ci-dessus). Il est incontesté, comme l’a également admis la Cour suprême (paragraphe 28 ci-dessus), que les intéressés n’ont été ni cités à comparaître devant le tribunal de district, ni même informés que le tribunal entendait prononcer à leur encontre des peines d’amende en application de la loi sur la procédure pénale. La Cour examinera donc si la procédure en appel devant la Cour suprême pouvait offrir aux requérants un recours sous la forme d’une nouvelle décision sur le bien-fondé en fait comme en droit de l’accusation retenue contre eux, conformément au principe général exposé ci-dessus (paragraphes 61-62 ci-dessus). Avant d’entamer son examen, la Cour juge enfin nécessaire d’observer que dans l’arrêt De Cubber (précité, § 33), cité par les requérants (paragraphe 41 ci‑dessus), elle a conclu que le vice fondamental qui avait affecté la composition même du siège du tribunal, qui relevait de l’organisation interne du système judiciaire, avait revêtu une importance telle qu’il avait été impossible pour la cour d’appel de le corriger dans le cadre d’une procédure d’appel. La présente affaire se limite en revanche à des vices qui n’ont affecté que le déroulement de la procédure devant le tribunal de district et n’est ainsi pas de nature à remettre en cause la capacité de la Cour suprême à y remédier en appel, sous réserve des exigences découlant des principes généraux établis dans la jurisprudence de la Cour et exposés ci‑dessus (paragraphes 61-63 ci-dessus).

65. La Cour observe d’emblée que les requérants ont saisi la Cour suprême d’un recours contre le jugement du tribunal de district et ont produit des preuves écrites devant elle. Une audience s’est tenue devant la Cour suprême au cours de laquelle les requérants ont reçu tout le bénéfice d’une représentation en justice. Par ailleurs, la juridiction a entendu les avocats de la défense et le ministère public au cours du procès. La Cour suprême a réexaminé les conclusions du tribunal de district sur le fond et confirmé le jugement de ce dernier en se fondant sur une motivation indépendante, tout en se référant à celle du tribunal de district pour ce qui est de la base légale qui justifiait le prononcé des amendes et leur montant.

66. Selon l’article 196 de la loi sur la procédure pénale, la Cour suprême avait pleine compétence pour examiner non seulement les points de droit mais aussi les points de fait se rapportant à la responsabilité pénale, à la fixation de la peine et à l’appréciation de la valeur probante des pièces du dossier autres que les dépositions orales faites devant le tribunal de district.

67. Dans son arrêt, la Cour suprême a clairement dit que les requérants avaient le droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure, après audience, les amendes qui leur avaient été infligées. De fait, comme l’a reconnu le Gouvernement (paragraphe 52 ci-dessus), la Cour suprême est partie du principe que la procédure devant le tribunal de district n’avait pas été conforme aux exigences de l’article 6 de la Convention (et de l’article 70 de la Constitution islandaise qui y correspond) (paragraphe 28 ci-dessus). Elle a également observé que le droit des requérants à se défendre n’était soumis par la loi à aucune limite et que les intéressés avaient eu la possibilité de défendre leur position lors de l’audience concernant leur affaire, le cas échéant en faisant des dépositions ou en demandant l’audition de témoins, en application de l’article 205 § 3 de la loi sur la procédure pénale, ou en engageant une procédure spéciale avec témoins conformément à l’article 141 § 1 de la loi sur la procédure pénale (paragraphe 28 ci‑dessus). Il n’est toutefois pas contesté par les requérants qu’ils n’ont pas demandé à être entendus ni à faire interroger des témoins devant la Cour suprême (paragraphes 21-22 ci-dessus).

68. Les requérants soutiennent qu’il incombait à la Cour suprême de les citer à comparaître et d’auditionner des témoins, un argument qu’ils étayent en citant la jurisprudence de la Cour (paragraphe 46 ci-dessus). Ils ne souscrivent pas à la conclusion exposée par la Cour suprême dans son arrêt selon laquelle ils auraient pu demander à déposer ou à entendre des témoins en application de l’article 205 § 3 de la loi sur la procédure pénale, ou engager une procédure avec témoins devant un autre tribunal de district conformément à l’article 141 § 1 de la même loi. Les requérants arguent qu’au vu du libellé de ces dispositions, l’interprétation fournie par la Cour suprême en l’espèce n’est pas conforme au droit et à la pratique juridique internes et qu’ils n’ont donc pas pu exercer leur droit de manière concrète et effective.

69. La Cour ne peut souscrire aux arguments des requérants à cet égard pour les raisons qui suivent.

Premièrement, l’article 6 de la Convention n’imposait pas à la Cour suprême en l’espèce d’agir d’office en faisant déposer les requérants ou en faisant auditionner des témoins. Comme cela a déjà été mentionné (paragraphe 62 ci-dessus), lorsque l’accusé a été condamné in absentia en premier ressort, c’est à la juridiction d’appel d’offrir une instance permettant de prononcer une nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit. C’est ensuite à l’accusé de faire usage pour sa défense des voies de recours que le droit interne lui ouvre. La Cour souligne que les requérants ont reçu tout le bénéfice d’une représentation en justice dans la procédure conduite devant la Cour suprême.

70. Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument des requérants selon lequel l’interprétation et l’application par la Cour suprême des articles 205 § 3 et 141 § 1 de la loi sur la procédure pénale n’étaient pas conformes au droit et à la pratique juridique internes, la Cour rappelle qu’en tant que juridiction internationale elle ne peut remettre en cause l’interprétation donnée par la Cour suprême de la législation interne, à moins que cette interprétation ne soit arbitraire ou manifestement déraisonnable (paragraphe 63 ci-dessus), ce qui constitue un seuil élevé pour l’examen de la Cour.

71. À cet égard, la Cour prend note des arguments avancés par les requérants, auxquels le Gouvernement a souscrits, selon lesquels dans la pratique judiciaire de la Cour suprême il n’est arrivé qu’une fois que des témoins aient été cités à comparaître devant elle. Au vu des principes exposés ci-dessus, la Cour ne peut toutefois ignorer la conclusion sans équivoque à laquelle est parvenue la Cour suprême (paragraphe 28 ci‑dessus) qui, citant les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure pénale, a dit que « [l]e droit [des requérants] à se défendre en appel [n’était] soumis par la loi à aucune limite et les intéressés ont eu la possibilité de défendre leur position lors de l’audience concernant leur affaire, le cas échéant en faisant des dépositions et en demandant l’audition de témoins ».

72. Compte tenu du raisonnement de la Cour suprême, la plus haute juridiction dans le système de droit islandais en matière d’interprétation du droit interne, et au vu du libellé des dispositions en question à la lumière des faits particuliers de l’espèce (paragraphe 32 ci-dessus), la Cour estime que l’interprétation et l’application par la Cour suprême de ces dispositions en l’espèce ne peuvent être regardées comme arbitraires ou manifestement déraisonnables au sens de sa jurisprudence (paragraphe 63 ci‑dessus).

73. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants se sont vu offrir une possibilité suffisante d’obtenir devant la Cour suprême une décision nouvelle sur le bien-fondé en fait comme en droit de l’accusation retenue contre eux, qui leur a permis d’exposer leurs arguments dans le cadre d’une procédure respectant les garanties d’équité de l’article 6 § 1 de la Convention.

74. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en l’espèce.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

75. Invoquant l’article 7 de la Convention, les requérants soutiennent qu’ils ont été reconnus coupables d’une infraction qui n’était pas de nature pénale en droit interne et que la sévérité de la sanction qui leur a été infligée, à savoir des amendes d’un montant de 1 000 000 ISK (environ 6 200 EUR à l’époque des faits), n’était pas prévisible.

L’article 7 § 1 de la Convention est ainsi libellé :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

76. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.

1. Quant à l’épuisement des voies de recours internes
1. Le Gouvernement

77. Le Gouvernement soutient que rien dans le dossier n’indique que les requérants aient invoqué l’article 7 devant les juridictions nationales relativement au grief tiré de la prévisibilité de la sévérité de la sanction. Il estime que cette partie de la requête devrait donc être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

78. À cet égard, le Gouvernement conteste l’allégation des requérants selon laquelle ils auraient invoqué cet argument dans leurs plaidoiries devant la Cour suprême. Il affirme qu’il ne ressort pas du résumé des plaidoiries que les requérants se sont à cet égard prévalus explicitement ou en substance de l’article 69 de la Constitution islandaise, ou de l’article 7 de la Convention qui y correspond, de même que cet argument n’apparaît absolument pas, selon lui, dans l’arrêt rendu par la Cour suprême.

2. Les requérants

79. Les requérants arguent qu’aucune exigence formelle découlant du droit interne n’impose à un accusé d’invoquer un argument devant les juridictions internes. À cet égard, ils citent l’article 171 § 2 de la loi sur la procédure pénale selon lequel un argument est recevable à tout moment pendant la procédure pénale, à l’écrit comme à l’oral. Ils estiment donc que leurs plaidoiries devraient être prises en considération aux fins de la règle de l’épuisement des voies de recours internes.

80. Les requérants plaident par ailleurs qu’il ressort clairement du résumé de leurs plaidoiries qu’ils ont argué que l’amende de 1 000 000 ISK qui leur avait été infligée avait emporté violation de l’article 69 de la Constitution islandaise en ce que le montant maximal de l’amende encourue n’était pas prévu par la loi et que le montant fixé à leur encontre n’était pas conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour suprême. Ils estiment donc qu’ils se sont prévalus en substance de cet argument et qu’ils ont donné à la Cour suprême la possibilité d’examiner la question de savoir si le montant de l’amende qui leur avait été infligée était arbitraire et contraire à l’article 7 de la Convention.

3. Appréciation de la Cour

81. Au vu des documents produits par les requérants, la Cour admet qu’il peut être déduit de leurs plaidoiries devant la Cour suprême qu’ils ont invoqué le principe de légalité dans les affaires pénales (article 69 de la Constitution), et qu’ils ont argué que le montant de l’amende qui leur avait été infligée était exceptionnellement élevé et qu’aucun montant maximal n’était prévu par le droit interne pour les amendes judiciaires. Il y a donc lieu de considérer que les requérants se sont bien prévalus devant la Cour suprême, au moins en substance, de cet argument particulier fondé sur l’article 7 de la Convention, conformément aux exigences formelles et aux délais définis par le droit interne, et que la Cour suprême a eu la possibilité d’examiner l’allégation de violation faite par les requérants et d’accorder un redressement, le cas échéant.

82. En conséquence, la Cour conclut que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être rejetée. Elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

2. Sur le fond
1. Les thèses des parties

a) Les requérants

83. Les requérants soutiennent qu’ils n’auraient pas dû se voir appliquer l’article 223 § 1 a) et d) de la loi sur la procédure pénale en vertu duquel ils se sont vu infliger des peines d’amende pour leur comportement au cours de la procédure judiciaire en tant qu’avocats de la défense alors qu’au moment du prononcé des amendes à leur encontre ils n’étaient plus avocats de la défense et que le comportement qui leur était reproché n’avait pas été adopté pendant la procédure judiciaire.

84. Ils plaident par ailleurs que le montant de 1 000 000 ISK (environ 6 200 EUR à l’époque des faits) des amendes qui leur ont été infligées n’était pas prévisible au vu du droit et de la jurisprudence internes en ce qu’aucun montant maximal n’était prévu par le droit interne et que l’amende la plus élevée infligée selon la jurisprudence antérieure de la Cour suprême s’était élevée à 100 000 ISK.

b) Le Gouvernement

85. Le Gouvernement argue que les requérants se sont vu infliger une amende pour avoir renoncé à l’exercice de leurs fonctions d’avocat de la défense et pour ne pas avoir assisté au procès de leurs clients dont la date avait déjà été fixée. Il soutient qu’au moment des faits, les requérants n’ont pas assisté au procès alors qu’ils avaient été désignés comme avocats de la défense pour leurs clients et que leur décision de ne pas y assister constituait un acte commis au cours du procès lui-même. Il estime donc que les conditions de l’article 223 § 1 de la loi sur la procédure pénale étaient remplies.

86. Le Gouvernement estime par ailleurs que l’application par la Cour suprême de l’article 223 § 1 de la loi sur la procédure pénale était conforme au droit pénal islandais. Il souligne que la Cour exerce son pouvoir de contrôle avec retenue lorsqu’il s’agit d’établir si l’application du droit interne par les juridictions nationales était contraire à l’article 7 de la Convention et qu’il ne voit aucune raison particulière en l’espèce pour qu’elle substitue sa propre appréciation à l’interprétation et à l’application par les juridictions nationales du droit interne en cause.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

87. La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, doit être interprétée et appliquée, ainsi qu’il découle de son objet et de son but, de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (voir, entre autres, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 77, CEDH 2013).

88. L’article 7 ne se borne donc pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé : il consacre aussi, d’une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par le droit, qu’il soit national ou international. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux et d’un avis juridique éclairé, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 154, CEDH 2015, et les références qui y sont citées).

89. Toutefois, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider des points douteux et s’adapter à des changements de situation. D’ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (Vasiliauskas, précité, § 155).

90. Enfin, dans l’affaire Kononov c. Lettonie ([GC], no 36376/04, § 198, CEDH 2010), la Cour a dit qu’elle « doit jouir d’un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l’occurrence l’article 7, requiert l’existence d’une base légale pour l’infliction d’une condamnation et d’une peine. L’article 7 § 1 exige de la Cour qu’elle recherche si la condamnation du requérant reposait à l’époque sur une base légale. En particulier, elle doit s’assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes (...) était en conformité avec l’article 7 de la Convention, peu important à cet égard qu’elle adopte une approche et un raisonnement juridiques différents de ceux développés par les juridictions internes. L’article 7 deviendrait sans objet si l’on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour. »

b) Application de ces principes au cas d’espèce

91. Il n’apparaît pas que dans son arrêt rendu le 28 mai 2014 la Cour suprême ait répondu directement aux arguments soulevés par les requérants pendant leurs plaidoiries. Il ressort toutefois clairement dudit arrêt, et du fait qu’il s’est appuyé sur la motivation fournie par le tribunal de district quant à la base légale des amendes judiciaires infligées, que la Cour suprême a jugé applicable en l’espèce l’article 223 § 1 a) et d) au vu des faits de l’espèce et du fait que les amendes litigieuses ont été infligées aux requérants dans le cadre de procédures appropriées quant à l’organe compétent pour les prononcer et au moment où il pouvait le faire, conformément aux dispositions applicables. Pour ce qui est du montant des amendes infligées, la Cour suprême a admis que la loi ne fixait pas de montant maximal pour les amendes judiciaires et que les amendes prononcées à l’encontre des requérants étaient d’un montant élevé, raison pour laquelle elle a conclu qu’il s’agissait de peines au sens de l’article 6 de la Convention (paragraphe 27 ci-dessus).

92. La Cour juge important de prendre en considération le fait qu’il ressort des observations des parties et des pièces à l’appui de leurs allégations que la présente affaire semble avoir été la première dans laquelle la Cour suprême a été appelée à se prononcer sur un jugement par lequel un tribunal de district avait infligé in absentia, sur la base de la loi relative à la procédure pénale, des amendes à des avocats de la défense qui avaient renoncé à leurs fonctions au mépris des décisions de la juridiction de jugement. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle lorsque les juridictions internes doivent interpréter une disposition de la loi pénale pour la première fois, une interprétation de la portée d’une infraction qui se trouve être cohérente avec la substance de cette infraction doit, en principe, être considérée comme prévisible (Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, § 109, CEDH 2007‑III).

93. Pour ce qui est de l’argument des requérants concernant l’interprétation de l’article 223 de la loi sur la procédure pénale, la Cour considère qu’il suffit d’observer que ladite disposition fournit une base permettant d’infliger des amendes à un « avocat de la défense » pour des actes particuliers. Si le déroulement normal des faits est que l’avocat de la défense accomplit ses fonctions à la date où l’amende est infligée, le libellé de la disposition n’exclut pas l’imposition d’une amende à un avocat de la défense qui a été remplacé, qui a démissionné, ou qui a été démis de ses fonctions. La Cour considère donc que l’interprétation donnée à cette disposition par les juridictions nationales n’était pas contraire à la substance même de l’infraction en question. Par conséquent, et compte tenu du libellé de la disposition en cause (article 223 § 1 a) et b) de la loi sur la procédure pénale), la Cour estime que rien ne justifie de remettre en cause la conclusion de la Cour suprême selon laquelle les dispositions en question constituaient une base légale appropriée pour l’infliction de peines d’amende. Il s’ensuit que la Cour n’admet pas l’argument des requérants selon lequel les dispositions telles qu’appliquées par la Cour suprême aux faits particuliers de l’espèce, qui ont été décrits de manière détaillée dans l’arrêt rendu par celle-ci, manquaient de prévisibilité au sens de l’article 7 de la Convention. À cet égard, l’absence de réponse explicite dans l’arrêt de la Cour suprême aux arguments des requérants fondés sur le principe de légalité dans les affaires pénales ne suffit pas pour que la Cour parvienne à une conclusion différente.

94. Pour ce qui est du deuxième argument des requérants concernant l’absence de prévision spécifique d’un montant maximal des amendes dans le droit interne, la Cour note d’emblée que l’article 223 de la loi sur la procédure pénale prévoyait clairement la possibilité d’infliger une amende aux avocats de la défense pour les actes qu’il décrivait. Elle rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle on ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (paragraphe 89 ci-dessus). Dès lors, le seul fait qu’une disposition de droit interne ne prévoie pas le montant maximal d’une amende n’est pas contraire en lui-même aux exigences de l’article 7 de la Convention. De plus, si nul ne conteste que le montant des amendes infligées aux requérants était nettement plus élevé que celui des amendes prononcées auparavant sur la base de l’article 223, la Cour rappelle qu’il ressort clairement des observations des parties, telles qu’exposées ci-dessus, que la présente affaire était la première de ce type et que la Cour suprême a estimé que la nature et la gravité des actions des requérants justifiaient l’infliction d’amendes plus élevées que dans les affaires antérieures où les faits étaient différents. La Cour juge donc qu’au vu des conclusions de la Cour suprême, le montant des amendes en question était conforme à la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible aux yeux des requérants.

95. Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention en l’espèce.

4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 du protocole no 7 À LA CONVENTION

96. Les requérants soutiennent que leur droit à un double degré de juridiction a été violé en ce que leur défense a été entendue par une seule juridiction, la Cour suprême.

L’article 2 du Protocole no 7 à la Convention est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi. »

97. Le Gouvernement conteste cette thèse.

1. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

98. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes relativement à cette partie de leur requête. Il argue que dans leurs observations à la Cour suprême, ils n’ont pas demandé l’annulation du jugement du tribunal de district et le renvoi de l’affaire pour un nouvel procès. Selon le Gouvernement, ils n’ont à aucun moment fait valoir qu’un nouveau procès devant le tribunal de district était nécessaire, alors même qu’ils soutenaient que la procédure devant le tribunal de première instance avait été viciée et contraire à l’article 6 de la Convention et à l’article 70 de la Constitution. Ils n’auraient pas non plus avancé, dans leurs observations à la Cour suprême, que celle-ci n’était pas en mesure de remédier aux vices qui avaient selon eux entaché la procédure devant la juridiction inférieure.

99. En ce qui concerne la référence faite par les requérants à l’opinion exprimée par la minorité de la Cour suprême, le Gouvernement plaide que celle-ci n’a aucune valeur juridique et que la base juridique sur laquelle la conclusion de la minorité s’est fondée n’est pas claire.

b) Les requérants

100. Les requérants contestent la thèse du gouvernement. Ils plaident que selon le libellé de l’article 204 § 1 de la loi et la jurisprudence claire et cohérente de la Cour suprême, il appartient à celle-ci d’annuler d’office les jugements de première instance et d’ordonner l’ouverture d’un nouveau procès en première instance. Ils estiment donc que ladite disposition ne pose pas comme condition que les parties demandent la réouverture du procès. Ils avancent par ailleurs que la minorité a explicitement abordé la question de savoir s’il convenait d’annuler le jugement de première instance et d’ordonner l’ouverture d’un nouveau procès en l’absence de toute demande en ce sens.

101. Les requérants soutiennent également qu’ils n’étaient pas tenus d’épuiser les voies de recours en soumettant des demandes qui auraient été manifestement mal fondées. Se référant à l’opinion de la minorité de la Cour suprême, ils plaident qu’une demande de réouverture du procès aurait été manifestement mal fondée en ce qu’aucune disposition ne permettait le renvoi en première instance de ce volet du jugement du tribunal de district ou la réouverture du procès. Ils arguent enfin qu’ordonner un nouveau procès aurait à ce moment-là été dénué de sens puisque les délais dans lesquels une amende pouvait être prononcée à leur encontre en première instance en application des articles 223 et 224 de la loi étaient expirés.

2. L’appréciation de la Cour

102. Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, entre autres, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-70, 25 mars 2014).

103. Dans le cadre du dispositif de protection des droits de l’homme, la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, mais elle n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice de recours destinés à combattre une décision litigieuse déjà rendue qui viole prétendument un droit garanti par la Convention : elle oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite au niveau international (voir, entre autres, Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004‑III, et Nicklinson et Lamb c. Royaume-Uni (déc.), nos [2478/15](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%2522appno%2522:%5B%25222478/15%2522%5D%7D) et [1787/15](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%2522appno%2522:%5B%25221787/15%2522%5D%7D), § 89, 23 juin 2015).

104. La finalité de la règle relative à l’épuisement des voies de recours internes est de permettre aux autorités nationales (notamment les autorités judiciaires) d’examiner le grief concernant la violation d’un droit protégé par la Convention et, le cas échéant, de redresser cette violation avant que la Cour n’en soit saisie. Dès lors qu’il existe au niveau national un recours permettant aux juridictions internes d’examiner, au moins en substance, l’argument relatif à la violation d’un droit protégé par la Convention, c’est ce recours qui doit être exercé. Si le grief présenté devant la Cour n’a pas été soumis – explicitement ou en substance – aux juridictions nationales au moment où il aurait pu leur être exposé dans l’exercice d’un recours qui s’offrait au requérant, l’ordre juridique national a été privé de la possibilité d’examiner la question tirée de la Convention que la règle de l’épuisement des voies de recours internes est censée lui donner. Il ne suffit pas que le requérant ait pu exercer – sans succès – un autre recours qui était susceptible d’aboutir à l’infirmation de la mesure litigieuse pour des motifs étrangers au grief concernant la violation d’un droit protégé par la Convention. C’est le grief tiré de la Convention qui doit avoir été exposé au niveau national pour qu’il y ait épuisement des « recours effectifs ». Il serait contraire au caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention qu’un requérant, négligeant un argument possible au regard de la Convention, puisse devant les autorités nationales invoquer un autre moyen pour contester une mesure, et par la suite introduire devant la Cour une requête fondée sur l’argument tiré de la Convention (voir, entre autres, Azinas, précité, § 38, et Nicklinson et Lamb, décision précitée, § 90).

105. Devant la Cour, les requérants soutiennent que leur droit à un double degré de juridiction en matière pénale découlant de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention a été violé en ce que leur défense a été entendue par une seule juridiction, la Cour suprême.

106. Devant la Cour suprême, les requérants ont demandé, à titre principal l’annulation du jugement du tribunal de district dans sa partie relative au prononcé des peines d’amende à leur encontre et, à titre subsidiaire, la réduction du montant des amendes en cas de rejet par la Cour suprême de leur demande d’annulation. Par ailleurs, selon les plaidoiries des requérants devant la Cour suprême, ces derniers ont argué qu’en vertu du droit interne, la décision d’infliger une amende était une décision prise d’office par la juridiction de jugement statuant sur l’affaire, sans que les parties y fussent associées, et qu’elle ne pouvait donc pas être annulée et renvoyée pour un nouveau procès (paragraphe 24 ci-dessus). Ils ont par ailleurs avancé qu’en vertu des dispositions internes relatives à l’infliction d’amendes judiciaires et de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ne pouvait être légitime (paragraphe 24 ci-dessus).

107. Pour la Cour, il apparaît clairement que les requérants ne se sont explicitement appuyés sur l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention ni dans leurs observations écrites devant la Cour suprême ni dans leurs plaidoiries. Comme cela est directement indiqué dans l’arrêt de la Cour suprême, les demandes formulées en appel par les requérants, en leurs parties pertinentes, se sont limitées, à titre principal, à l’annulation de la décision du tribunal de district de leur infliger des amendes judiciaires et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant des amendes en cas de rejet par la Cour suprême de leur demande principale. En d’autres termes, indépendamment de la question de savoir si la loi sur la procédure pénale offrait à la Cour suprême la possibilité d’annuler le jugement du tribunal de district relativement à l’infliction d’amendes judiciaires et d’ordonner l’ouverture d’un nouveau procès sur cette question, les requérants n’ont pas avancé en appel que pareil droit découlait de manière indépendante du droit à un double degré de juridiction en matière pénale tel que consacré par la Convention. Par conséquent, telle que l’affaire a été exposée à la Cour, on ne saurait déduire de l’arrêt de la Cour suprême ni des pièces à l’appui des allégations des parties que les requérants ont formulé leurs demandes et leurs moyens en appel devant la Cour suprême de manière que l’on puisse considérer qu’ils ont invoqué de manière suffisante, en substance, les droits fondés sur l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention qu’ils invoquent maintenant devant la Cour.

108. Dans ces circonstances, la Cour conclut que les requérants n’ont pas donné à la Cour suprême l’occasion que l’article 35 de la Convention a pour finalité de ménager en principe à un État contractant : celle d’examiner, c’est-à-dire de prévenir ou redresser la violation au regard de la Convention qui est alléguée contre cet État (Unseen ehf c. Islande (déc.), no 55630/15, § 19, 20 mars 2018).

109. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 in fine de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables quant aux griefs fondés sur les articles 6 et 7, et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente


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