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11/10/2018 | CEDH | N°001-186670

CEDH | CEDH, AFFAIRE PAROL c. POLOGNE, 2018, 001-186670


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAROL c. POLOGNE

(Requête no 65379/13)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2018

DÉFINITIF

11/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Parol c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Ksenija Turković,
Pauliine Kosk

elo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 septembre 2018,
...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAROL c. POLOGNE

(Requête no 65379/13)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2018

DÉFINITIF

11/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Parol c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Ksenija Turković,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 septembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65379/13) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Albert Parol (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme J. Chrzanowska, remplacée ultérieurement par Mme A. Mężykowska, co-agente, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal consécutive à la décision du tribunal régional de Varsovie du 28 décembre 2012 déclarant irrecevable, pour irrégularité de forme, l’appel qu’il avait interjeté contre le jugement du 4 juin 2012.

4. Le 12 mars 2015, le grief concernant une atteinte au droit d’accès du requérant à un tribunal a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant, né en 1978, est détenu à la maison d’arrêt à Varsovie.

6. Le 5 juillet 2011, il engagea devant le tribunal régional de Varsovie-Praga (« le tribunal régional ») une action dirigée contre quatre établissements pénitentiaires – la maison d’arrêt de Varsovie-Białołęka, la maison d’arrêt de Białystok, la prison de Białystok et la maison d’arrêt de Varsovie-Grochów – tendant à obtenir une indemnisation en raison de ses conditions d’incarcération pendant les périodes du 25 janvier 2001 au 1er juin 2007 et du 26 octobre 2007 au 10 avril 2008. Il déposa au tribunal régional l’acte introductif d’instance accompagné de cinq copies. En même temps, il demanda au tribunal régional de l’exonérer du paiement de la taxe judiciaire afférente au dépôt de l’acte susmentionné et de lui attribuer une aide juridictionnelle.

7. Le 26 juillet 2011, le tribunal régional exonéra le requérant des frais de justice mais refusa de lui commettre un avocat d’office.

8. Le 4 juin 2012, le tribunal régional débouta le requérant de son action en indemnisation au motif que celle-ci était prescrite. Il observa que l’action en question avait été engagée après l’expiration du délai de trois ans à compter du 10 avril 2008, date à laquelle la détention du requérant dans les conditions que celui-ci estimait inadéquates avait pris fin. Le tribunal régional constata en outre que le lien de causalité entre la détérioration alléguée de l’état de santé du requérant et les conditions de son incarcération n’était pas établi. Enfin, il condamna le requérant à payer les honoraires du bureau de l’avocat général de l’État, représentant de la partie défenderesse, d’un montant de 3 600 zlotys polonais (PLN), soit environ 840 euros (EUR).

9. Le 27 août 2012, le requérant demanda au tribunal régional d’établir par écrit les motifs du jugement en cause et de les lui notifier.

10. Par un courrier du 24 octobre 2012, le tribunal régional notifia au requérant le jugement du 4 juin 2012 accompagné de ses motifs et l’informa des conditions dans lesquelles il pouvait interjeter appel. Le passage pertinent du courrier en question exposait que « dans le délai de deux semaines à compter de la notification du jugement avec ses motifs, le requérant peut interjeter un appel soit directement auprès du tribunal régional, soit par courrier ».

11. Le 5 novembre 2012, le requérant interjeta appel du jugement susmentionné. Simultanément, il demanda au tribunal régional de l’exonérer du paiement de la taxe judiciaire afférente au dépôt de l’appel et de lui commettre un avocat d’office pour la procédure devant la juridiction de second degré.

12. Par un courrier du 20 novembre 2012, le tribunal régional invita le requérant à rectifier, sous sept jours et sous peine d’irrecevabilité de l’appel, les vices de forme de son recours. Il lui demandait à cet égard de préciser le montant de la somme en litige et de lui soumettre une copie de l’appel et de celle de son mémoire rectificatif des vices de forme.

13. Pour satisfaire à cette obligation, le requérant demanda au tribunal régional de lui faire parvenir, à ses frais, une copie de son appel. Cette demande étant restée sans suite, le 11 décembre 2012, le requérant présenta au tribunal régional une pièce manuscrite reproduisant son appel dont le contenu n’était pas identique à celui de l’appel initial. Il déposa en outre en deux exemplaires un mémoire rectificatif des vices de forme de l’appel et précisa le montant de la somme en litige.

14. Le 28 décembre 2012, se fondant sur l’article 370 du code de procédure civile (CPC), le tribunal régional déclara l’appel du requérant irrecevable. Il observa que la copie de l’appel déposée par le requérant le 11 décembre 2012 n’était pas identique à l’original du recours, ce qui justifiait la conclusion selon laquelle, contrairement aux exigences en la matière, l’appel du requérant n’avait pas été présenté en deux exemplaires.

15. Le 1er mars 2013, le tribunal régional rejeta la demande du requérant d’admission au bénéfice de l’assistance juridictionnelle dans la procédure devant la juridiction de second degré au motif que cette demande était identique à celle, de même nature, qui avait été rejetée le 26 juillet 2012. Le 17 avril 2013, le tribunal régional déclara irrecevable le recours du requérant contre la décision susmentionnée, au motif qu’elle était insusceptible de recours.

16. Le 17 juillet 2013, la cour d’appel de Varsovie (« la cour d’appel ») rejeta un recours du requérant contre la décision du 28 décembre 2012. La cour d’appel nota que, en vertu de l’article 368 § 1 du CPC combiné avec l’article 128 § 1 du même code, un appel devait être présenté en deux exemplaires aux fins de sa notification à l’intimé. Se référant à la jurisprudence de la Cour suprême, la cour d’appel observa que le contenu de la pièce versée au dossier par le requérant n’était pas identique au contenu de l’appel initial de l’intéressé et que, dès lors, elle ne pouvait pas être prise en compte en tant que copie de l’appel en question.

17. Le 9 octobre 2013, la cour d’appel déclara irrecevable le recours du requérant contre la décision du 17 juillet 2013 au motif que celle-ci était insusceptible de recours.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Dispositions pertinentes du code de procédure civile

18. Selon l’article 128 § 1 du CPC, chaque pièce de procédure et ses pièces jointes doivent être accompagnées de leurs copies aux fins de leur notification à d’autres parties à la procédure.

19. Selon l’article 130 §§ 1 et 2 du même code, chaque partie à la procédure ayant déposé une pièce de procédure est invitée à éliminer les vices de forme empêchant le suivi de celle-ci, sous sept jours et sous peine de renvoi de la pièce en question. Une erreur dans l’intitulé d’une pièce de procédure ou des inexactitudes évidentes n’empêchent pas son examen selon la procédure applicable. Si la partie à la procédure ne s’exécute pas dans le délai imparti, la pièce qu’elle a soumise lui est renvoyée et n’entraîne aucun effet juridique.

20. Selon l’article 368 § 1 du CPC, l’appel doit satisfaire aux conditions applicables aux pièces de procédure.

21. Selon l’article 370 du même code, le tribunal de première instance déclare irrecevable un appel interjeté après l’expiration du délai imparti à cet effet, un appel dont la taxe judiciaire afférente n’a pas été payée, un appel qui est irrecevable pour d’autres motifs et un appel dont les vices de forme n’ont pas été éliminés dans le délai imparti.

22. Selon l’article 5 du CPC, en cas de besoin justifié, un tribunal peut fournir à une partie à la procédure non assistée par un avocat ou par un conseiller juridique des informations nécessaires à propos des démarches procédurales à suivre.

23. Selon l’article 327 § 2 de ce code, si une partie à la procédure non assistée par un avocat ou par un conseiller juridique est absente lors du prononcé d’un jugement en raison de son incarcération, le tribunal lui notifie d’office ce jugement accompagné d’une instruction sur le délai et les conditions à observer pour interjeter appel.

24. Selon l’article 9 § 1 alinéa 2 du même code, une partie à la procédure a le droit de consulter son dossier et d’en obtenir des copies certifiées, des copies simples et des extraits.

B. Dispositions pertinentes du règlement du fonctionnement des tribunaux

25. Selon l’article 96 § 2 de la loi du 23 février 2007 sur le fonctionnement des tribunaux dans sa formulation en vigueur à l’époque des faits, lorsque la personne ayant le droit de consulter un dossier est incarcérée, le président d’une chambre du tribunal peut ordonner, sur demande de cette personne, que le dossier en cause lui soit présenté sur son lieu d’incarcération, sauf en cas de circonstances particulières lui permettant d’autoriser l’intéressée à consulter le dossier en question au greffe du tribunal.

C. La jurisprudence pertinente des juridictions nationales

26. En principe, une partie à la procédure civile doit joindre à l’appel les copies de celui-ci et des copies des pièces jointes afin qu’elles puissent être signifiées à la partie adverse (ordonnance de la Cour suprême du 5 avril 2013, no II CZ 20/13). Seule la copie reflétant fidèlement le contenu d’une pièce de procédure peut être considérée comme « sa véritable copie » (décision de la cour d’appel de Rzeszów du 14 février 2013, no III AUz 19/13). Il n’appartient pas au tribunal de se substituer à une partie à la procédure pour produire des copies des pièces pour leur signification à la partie adverse, y compris lorsque la partie intéressée est une personne porteuse de handicap (arrêt de la cour d’appel de Katowice du 27 septembre 2012, no ACz 746/12).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint d’une violation de son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet pour irrecevabilité de son appel contre le jugement du tribunal régional du 4 juin 2012, consécutif à l’application selon lui trop restrictive par les juridictions nationales des dispositions procédurales pertinentes en l’espèce de la loi. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

28. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

29. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

30. Le requérant soutient que, en l’espèce, son droit a été violé dès lors que, d’après lui, son appel a été déclaré irrecevable pour des raisons purement formelles. Dans ce contexte, il indique qu’il était détenu à l’époque en question, que le tribunal régional a refusé de lui attribuer un avocat d’office, qu’il n’a pas été informé de l’obligation lui incombant de déposer son appel accompagné d’une copie, qu’il a demandé à la juridiction interne de lui faire parvenir une copie de l’appel en cause afin de satisfaire à la demande de rectifier ses vices de forme et que, ladite demande étant restée sans suite, il a fait parvenir au tribunal régional une pièce manuscrite reproduisant le contenu de l’appel accompagnée d’un mémoire rectificatif des vices de forme et d’une copie de celle-ci.

31. Le Gouvernement soutient que l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été violé en l’espèce. Il indique que l’obligation mentionnée à l’article 368 § 1 du CPC combiné à l’article 128 § 1 du même code de présenter chaque recours en deux exemplaires n’est pas contraire au droit d’accès à un tribunal en ce qu’elle poursuit le but légitime d’une bonne administration de la justice en matière civile et qu’elle tend à permettre à l’intimé de prendre connaissance du contenu de l’appel.

32. Le Gouvernement indique que la présente cause est similaire à l’affaire Siwiec c. Pologne (no 28095/08), dans laquelle la Cour a déclaré que l’interprétation stricte par les tribunaux internes de la disposition de l’article 128 § 1 du CPC ne se heurtait pas en soi à l’article 6 § 1 de la Convention. Se référant à la jurisprudence bien établie des juridictions internes, le Gouvernement soutient que le contenu d’une copie accompagnant une pièce de procédure doit être strictement identique à l’original de celle-ci et qu’il n’appartient en aucun cas à un tribunal de se substituer à une partie intéressée pour produire celle-ci à sa place aux fins de sa notification à son adversaire. Il indique enfin que la rectification incorrecte d’un vice de forme équivaut à un défaut de rectification.

33. Le Gouvernement déclare que, en l’espèce, la mesure litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi dès lors que le requérant avait été dûment informé de l’obligation lui incombant de rectifier les vices de forme de son appel et de présenter une copie de celui-ci, et qu’il s’était vu impartir un délai approprié à cette fin. Selon le Gouvernement, les allégations du requérant selon lesquelles il ne savait pas que l’appel devait être présenté en deux exemplaires ne sont pas crédibles, dès lors que l’intéressé lui-même avait présenté sa demande en indemnisation au tribunal de première instance accompagnée de cinq copies, ce qui impliquerait qu’il était conscient de devoir présenter son appel accompagné d’une copie aux fins de sa notification au représentant des intimés.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

34. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que celles fixant les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, parmi beaucoup d’autres, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, § 43, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, et Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 60, CEDH 2002‑IX).

35. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil 1998–I, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, 17 janvier 2012).

36. Par ailleurs, la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour les garanties prévues par l’article 6, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société démocratique (Stanev, précité, § 231).

37. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6. La compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).

38. La Cour rappelle que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que si le droit d’exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (Walchli c. France, no 35787/03, § 29, 26 juillet 2007, Alvanos et autres c. Grèce, no 38731/05, § 25, 20 mars 2008, et Frida, LLC c. Ukraine, no 24003/07, § 33, 8 décembre 2016).

b) Application des principes en l’espèce

39. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour remarque que l’appel que le requérant avait interjeté contre le jugement de première instance a été déclaré irrecevable au motif que l’un des vices de forme dont ce recours était entaché n’avait pas été éliminé. Elle note que le requérant a interjeté l’appel contre un jugement civil lui étant défavorable et que l’intéressé a été sommé d’éliminer les vices de forme de ce recours, à savoir de préciser le montant de la somme en litige et de soumettre la copie de l’appel et celle de son mémoire rectificatif. Elle relève que le requérant s’est exécuté en produisant son mémoire rectificatif en deux exemplaires et une copie manuscrite de son recours. Or, l’appel a été déclaré irrecevable, au motif que la copie de l’appel n’était pas identique à l’original du recours. Cette décision, ultérieurement confirmée en seconde instance, a empêché le requérant de poursuivre la procédure au fond devant la juridiction d’appel.

40. En l’espèce, la Cour observe que l’exigence faite au requérant de présenter son recours en deux exemplaires se fondait sur l’article 368 § 1 du CPC combiné à l’article 128 § 1 du même code (voir la partie « Le droit et la pratique internes pertinents », paragraphes 18 et 20 ci-dessus). Elle n’aperçoit aucune raison de remettre en cause l’argument du Gouvernement selon lequel cette exigence poursuivait le but légitime de la bonne organisation de la justice dès lors qu’elle tendait à la notification de l’appel à l’intimé afin de faciliter sa participation à la procédure.

41. La Cour relève par ailleurs que le droit national imposait aux juridictions civiles l’obligation de fournir aux parties absentes en raison de leur incarcération lors du prononcé de l’arrêt une information sur le délai et les conditions à observer pour interjeter appel (voir l’article 327 § 2 du CPC et la partie « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessus, paragraphe 23).

42. Prenant en compte les circonstances particulières de l’espèce, parmi lesquelles l’incarcération du requérant à l’époque en question, le fait qu’il agissait seul et le défaut du tribunal de première instance de respecter l’obligation d’informer l’intéressé du nombre d’exemplaires du pourvoi en appel à fournir, la question se pose de savoir si la façon dont les règles procédurales ont été appliquées par le tribunal régional n’a pas privé le requérant de la possibilité d’interjeter l’appel.

43. La Cour observe que, en tant que personne privée de sa liberté et non assistée par un avocat suite au refus qui lui a été opposé à cet égard par le tribunal régional (paragraphe 7 ci-dessus), le requérant, en soumettant des pièces de procédure, pouvait surtout se baser sur les informations fournies par les juridictions internes sur les règles de procédure à suivre. Elle note dans ce contexte qu’il ne ressort pas des documents versés au dossier que, après le prononcé du jugement de première instance, le requérant ait été informé, comme il devait l’être aux termes de la législation pertinente, qu’il lui était imposé de présenter son recours en deux exemplaires.

44. La Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel le requérant était conscient de l’exigence lui incombant de déposer un appel accompagné d’une copie (paragraphe 33 ci-dessus). Elle note dans ce contexte que le requérant a engagé une action en indemnisation à l’encontre de quatre établissements pénitentiaires, ce qui implique que s’il était conscient de l’obligation de déposer une pièce de procédure avec des copies pour chaque partie défenderesse à la procédure, en l’espèce, il en aurait déposé quatre. Elle n’aperçoit aucun motif pour imposer au requérant les effets du non-respect de l’obligation légale pesant sur l’autorité judiciaire conformément à l’article 327 § 2 du CPC (paragraphe 23, ci‑dessus). De plus, elle note que, en l’occurrence, le requérant est une personne vulnérable à cause de son incarcération.

45. La Cour observe ensuite que le requérant a essayé de se conformer aux indications données par le tribunal régional. N’étant pas en possession d’une copie de son appel initial, il avait demandé à ce tribunal de lui faire parvenir à ses frais une copie du recours afin de satisfaire à son obligation de rectifier ses vices de forme. Cette demande étant restée sans suite, le requérant s’est exécuté en produisant une copie de son appel. Or, celle-ci n’était pas identique à l’appel initial car le requérant l’avait rédigée de mémoire.

46. La Cour remarque que la demande du requérant avait une base légale en l’article 9 du CPC (paragraphe 24, ci-dessus) et que, de surcroît, le requérant avait également le droit de consulter son dossier dans son lieu d’incarcération (paragraphe 25, ci-dessus).

47. La Cour constate que, dans les circonstances particulières de l’espèce, en envoyant au tribunal régional une pièce manuscrite dont il estimait qu’elle remplissait les conditions requises pour être considérée comme une copie de son appel initial, le requérant a observé la diligence normalement requise d’une partie à une procédure civile.

48. Prenant en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour estime que les juridictions nationales ont failli à leur obligation de garantir au requérant l’accès à une juridiction d’appel.

49. Enfin, la Cour souligne que la présente affaire se distingue de l’affaire Siwiec précitée surtout par son objet. Dans cette dernière affaire, le requérant se plaignait de la violation de son droit à un procès équitable en raison du défaut du tribunal ayant statué sur sa demande d’indemnisation de tenir compte de sa demande de le conduire depuis son lieu d’incarcération à une seule audience dans l’affaire et d’entendre certains témoins, au motif que cette demande n’avait pas été accompagnée de la copie requise. La Cour remarque dans ce contexte que la demande d’indemnisation du requérant Siwiec a été examinée sur le fond par les tribunaux de deux degrés dont chacun avait disposé de la plénitude de juridiction de sorte qu’aucune question sur le terrain du droit à un tribunal ne se posait. En l’espèce, en application de la règlementation relative aux formalités des recours, l’appel que le requérant a interjeté contre le jugement de première instance lui étant défavorable a déclaré irrecevable. La Cour observe de plus que dans l’affaire Siwiec, le requérant n’a pas réagi à l’invitation du tribunal de rectifier ses vices de forme tandis qu’en l’espèce, l’intéressé a fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement exiger de lui pour satisfaire aux exigences de forme de son recours. Enfin, l’affaire Siwiec portait sur une procédure civile en matière commerciale laquelle obéit à des exigences procédurales plus strictes que la procédure civile classique en cause en l’espèce.

50. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans la présente cause, les juridictions nationales ont empêché l’accès du requérant à un tribunal de deuxième instance. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. Le requérant réclame 20 000 EUR au titre du préjudice matériel et moral qu’il estime avoir subi.

53. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes, qu’il considère comme exorbitantes et injustifiées.

54. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 250 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

55. Le requérant réclame 3 600 PLN (environ 840 EUR) pour les honoraires du bureau de l’avocat général de l’État payés dans la procédure au fond de première instance (paragraphe 8 ci-dessus).

56. Le Gouvernement soutient que le montant réclamé par le requérant correspond aux frais de la procédure qui, selon lui, sont dus à l’État.

57. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement de ses frais et dépens qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment Papon c. France, no 54210/00, § 115, 25 juillet 2002).

58. En l’espèce, la violation retenue concerne le défaut d’accès à une juridiction d’appel consécutif au rejet, pour informalité, de l’appel que le requérant a interjeté contre le jugement sur le fond de première instance. La demande du requérant concerne les frais engagés dans la procédure ayant débouché sur l’adoption de ce jugement, procédure insusceptible de prévenir ou faire corriger la violation susmentionnée de la Convention. Partant, la Cour estime qu’il y a lieu d’écarter la demande.

C. Intérêts moratoires

59. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-186670
Date de la décision : 11/10/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : PAROL
Défendeurs : POLOGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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