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28/06/2018 | CEDH | N°001-183948

CEDH | CEDH, AFFAIRE VATHAKOS c. GRÈCE, 2018, 001-183948


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VATHAKOS c. GRÈCE

(Requête no 20235/11)

ARRÊT

STRASBOURG

28 juin 2018

DÉFINITIF

28/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Vathakos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Ksenija Turković,
Armen H

arutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du cons...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VATHAKOS c. GRÈCE

(Requête no 20235/11)

ARRÊT

STRASBOURG

28 juin 2018

DÉFINITIF

28/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Vathakos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20235/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Vassilios Vathakos (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Prousanidis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1de la Convention.

4. Le 26 avril 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1961 et réside à Skala Lakonias.

6. Le requérant est théologien et professeur dans l’enseignement secondaire depuis 2001. Il a le statut de fonctionnaire.

7. Le 19 avril 2005, le conseil disciplinaire régional de l’enseignement secondaire infligea au requérant une sanction disciplinaire de suspension de ses fonctions pendant trois mois avec privation totale de salaire pendant cette période, pour manquement aux devoirs de sa fonction et attentats aux mœurs. Au cours de la procédure, tant écrite qu’orale, le requérant assuma lui-même sa défense.

8. La décision, qui fut notifiée au requérant le 22 avril 2005, précisait qu’il avait le droit de former une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance dans un délai de vingt jours à compter de la notification, soit jusqu’au 12 mai 2005. Le requérant n’usa cependant pas de cette possibilité. Il allègue qu’il avait accepté la sanction qui lui avait été imposée.

9. En revanche, le 16 mai 2005, le ministre de l’Éducation nationale forma une objection en faveur de l’administration dans le but de faire imposer une sanction supérieure à celle prononcée par le conseil disciplinaire régional.

10. Le 16 mai 2006, le conseil disciplinaire de deuxième instance infirma la décision susmentionnée et infligea au requérant une sanction de suspension de six mois avec privation totale de salaire (décision no 214/2006). Le requérant, qui était représenté par son avocat, était présent à l’audience et répondit à des questions.

11. Le 11 janvier 2007, le requérant introduisit un recours en annulation de la décision no 214/2006 devant la cour administrative d’appel d’Athènes. Il déposa auprès de la cour d’appel un document notarié par lequel il désignait Me A. Prousanidis pour le représenter devant cette juridiction.

12. Le 24 août 2009, la cour administrative d’appel d’Athènes se déclara territorialement incompétente et renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel de Tripoli.

13. L’audience devant la cour administrative d’appel de Tripoli eut lieu le 14 juin 2010. Toutefois, le requérant ne fut pas représenté à l’audience. Parmi les documents du dossier se trouvait un pouvoir établi devant notaire précisant que le requérant habilitait Me A. Prousanidis et un autre avocat à le représenter devant toutes les juridictions du pays et, notamment, devant la cour administrative d’appel lors de l’audience consacrée à l’examen de son action contre les ministres de l’Intérieur et de l’Éducation nationale afin de faire annuler ou faire modifier de manière plus favorable la décision du conseil disciplinaire de deuxième instance.

14. Le requérant indique que, le 14 juin 2010 à 7 h 30, son avocat, Me A. Prousanidis, sortant de son cabinet pour se rendre à Tripoli, s’évanouit dans la rue et fut transporté par des passants à l’hôpital. Les médecins, craignant que Me A. Prousanidis ait eu une crise cardiaque, lui firent subir divers examens pendant quatre heures avant de diagnostiquer une colique néphrétique avec hématurie. L’intéressé serait sorti de l’hôpital à 13 heures après avoir reçu des soins et la recommandation de rester chez lui. Il lui aurait été impossible de charger un confrère de le remplacer à l’audience. À l’appui de ses dires, le requérant fournit un certificat médical établi par l’hôpital en question.

15. Le 23 juin 2010, le requérant demanda à la cour administrative d’appel de Tripoli de tenir une nouvelle audience afin de pouvoir comparaître avec son avocat et présenter ses arguments. Il invoqua un cas de force majeure quant à l’absence de son avocat à l’audience du 14 juin 2010 et joignit un certificat médical à l’appui de ses dires.

16. Par un arrêt no 353/2010 du 14 septembre 2010, la cour administrative d’appel de Tripoli déclara l’appel du requérant irrecevable au motif que celui-ci n’avait pas formé auparavant des objections devant le conseil disciplinaire de deuxième instance contre la décision initiale du conseil disciplinaire régional de l’enseignement secondaire.

17. Par un arrêt no 354/2010 du même jour, la cour administrative d’appel de Tripoli rejeta aussi la demande de réouverture de la procédure au motif que cette demande était seulement prévue pour les cas d’irrecevabilité tirée du défaut d’habilitation (νομιμοποίηση) de l’avocat alors que, en l’espèce, l’avocat du requérant avait reçu une habilitation par acte notarié, lequel se trouvait dans le dossier. Plus particulièrement, elle se prononça ainsi :

« En l’occurrence, le recours dont il s’agit est signé par l’avocat d’Athènes Me Anastasios Prousanidis, en sa qualité de représentant du demandeur, et il est également signé par le demandeur. Ce dernier n’a pas comparu à l’audience du 14 juin 2010. Le dossier contient le pouvoir du notaire d’Athènes M.P., établi le 10 février 2009, et par lequel le demandeur mandate cet avocat pour le représenter, entre autres, devant toutes les juridictions du territoire. Par conséquent, aucune question d’habilitation de l’avocat signataire du recours ne se pose en l’espèce et la demande doit être rejetée. »

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

18. Les articles pertinents en l’espèce du décret no 18/1989 disposent :

Article 27

« 1. Le pouvoir à un avocat est donné par acte notarié ou par la signature de l’acte de recours ou par une déclaration orale à l’audience.

(...)

5. Si l’habilitation de l’avocat a été empêchée par un cas de force majeure, il est possible de déposer une demande pour une nouvelle audience. Cette demande est déposée au greffe compétent avant le prononcé du jugement et dans un délai de dix jours à compter de la première audience. La demande, qui doit exposer avec clarté les motifs pertinents, est examinée par la même chambre du tribunal (...) après avoir (...) convoqué les parties (...). Si la demande est accueillie, l’affaire est examinée au fond par la même chambre. »

Article 28

« Dans tous les cas, et si les notifications nécessaires ont eu lieu, l’affaire est examinée et un arrêt est rendu même si les parties n’étaient pas présentes. »

Article 45

« 1. Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou pour violation de la loi est permis seulement contre les actes exécutoires des autorités administratives (...) qui ne sont pas susceptibles d’un autre type de recours devant un tribunal.

2. Le recours en annulation est irrecevable s’il vise un acte exécutoire à l’encontre duquel la loi prévoit la possibilité de former un recours non contentieux dans un délai prévu par la loi devant l’organe qui a rendu l’acte ou devant un autre organe et qui permet de réexaminer l’affaire au fond. Dans ce cas, le recours en annulation est permis seulement contre la décision rendue dans le cadre du recours non contentieux. »

19. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 2683/1999 (code des fonctionnaires), en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellés :

Article 121

« Les fonctionnaires ont le droit d’exercer un recours devant le Conseil d’État à l’encontre des décisions :

a) du ministre (...)

b) du conseil disciplinaire de deuxième instance qui impose les peines disciplinaires de privation d’appointement pendant au moins un mois (...) »

Article 142 – Objection

« 1. (...)

Les décisions des conseils disciplinaires qui ont jugé en première instance peuvent faire l’objet d’une objection devant les conseils disciplinaires de deuxième instance par le fonctionnaire qui a été sanctionné (...). Toutes les décisions des conseils disciplinaires qui ont jugé en première instance peuvent faire l’objet d’une objection devant les conseils disciplinaires de deuxième instance en faveur de l’administration (...).

3. L’objection est formée dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision au fonctionnaire ou à compter de sa notification aux organes qui sont habilités à former l’objection. (...)

4. Les conseils disciplinaires (de première et de deuxième instance), lorsqu’ils se prononcent sur une objection du fonctionnaire ou en sa faveur ne peuvent pas aggraver sa situation.

Lorsqu’ils se prononcent sur une objection en faveur de l’administration, ils ne peuvent pas imposer une sanction plus légère que celle qui a été imposée. Lorsque des objections sont formées tant par le fonctionnaire qu’en faveur de l’administration, le conseil disciplinaire les examine conjointement et n’est pas lié quant à la gravité de la sanction qu’il va imposer.

5. Le délai pour former une objection et son exercice suspendent l’exécution de la sanction disciplinaire. »

Article 164 – Objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance

« 1. Les décisions des conseils disciplinaires qui ont jugé en première instance peuvent faire l’objet d’une objection devant les conseils disciplinaires de deuxième instance par le fonctionnaire qui a été sanctionné (...). Toutes les décisions des conseils disciplinaires qui ont jugé en première instance peuvent faire l’objet d’une objection devant les conseils disciplinaires de deuxième instance en faveur de l’administration, conformément à ce qui est précisé au paragraphe suivant.

2. Les actes peuvent être contestés soit par le fonctionnaire concerné, soit, en faveur ou à l’encontre du fonctionnaire, par le ministre compétent (...) dans un délai exclusif de vingt jours à compter de leur notification.

(...)

5. Les conseils disciplinaires de deuxième instance ne peuvent pas aggraver la situation du fonctionnaire lorsque l’objection est formée par ce dernier ou en sa faveur. »

20. Le Gouvernement produit plusieurs arrêts du Conseil d’État desquels il ressort que la saisine du conseil disciplinaire de deuxième instance constitue une condition de recevabilité de la saisine ultérieure des juridictions administratives (arrêts no 296/2005, 575/2005, 3383/2005, 2364/2006, 3999/2006, 2318/2007, 4750/2012, 2832/2013, 3225/2014).

21. L’article 141 de la loi no 3528/2007 (code des fonctionnaires), entrée en vigueur après l’époque des faits, prévoit notamment :

« 2. Les décisions des conseils disciplinaires qui jugent en première instance font l’objet d’une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance par le fonctionnaire qui a été sanctionné en cas d’imposition d’une sanction d’amende équivalente à quatre mois de salaires et au-delà (...), ainsi qu’en cas d’imposition d’une sanction d’amende équivalente à un et jusqu’à quatre mois de salaires lorsqu’une objection a été formée contre la décision du conseil disciplinaire et en faveur de l’administration. (...)

3. Peuvent former une objection devant le conseil disciplinaire ou le conseil disciplinaire de deuxième instance :

a) le fonctionnaire qui a été sanctionné et

b) tout supérieur hiérarchique (...) le ministre ainsi que l’inspecteur général de l’administration, soit en faveur de l’administration soit en faveur du fonctionnaire.

4. L’objection est formée dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision ou de la date à laquelle le fonctionnaire a pris connaissance de celle-ci (...).

Plus particulièrement, en cas de l’imposition d’une peine d’amende équivalente à un à quatre mois de salaires, lorsqu’une objection est formée en faveur de l’administration, le délai pour que le fonctionnaire puisse aussi former de son côté une objection commence à courir à compter de la notification à celui-ci d’une copie de la décision disciplinaire et de l’objection formée en faveur de l’administration (...). Si une objection n’est pas formée en faveur de l’administration, le délai pour que le fonctionnaire saisisse la cour administrative d’appel commence à courir à compter de la notification à celui-ci d’une copie de la décision disciplinaire accompagnée d’une attestation précisant que l’administration n’a pas formé d’objection (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

22. Le requérant se plaint que son recours devant la cour administrative d’appel de Tripoli n’a pas fait l’objet d’un examen équitable et effectif. Il dénonce des violations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

23. La Cour rappelle que l’article 6 constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, les exigences du second se trouvant comprises dans celles, plus strictes, du premier (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 181, CEDH 2016 et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 65, CEDH 2016). La Cour examinera alors les arguments du requérant sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

24. La Cour note que le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de l’article 6 à la procédure litigieuse, position en tout état de cause confirmée par sa propre jurisprudence (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, CEDH 2007-II ; Kamenos c. Chypre, no 147/07, § 73, 31 octobre 2017).

25. Constatant, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

26. Le requérant soutient que, par les arrêts définitifs no 353/2010 et no 354/2010 rejetant respectivement le recours en annulation et la demande de réouverture de la procédure, la cour administrative d’appel de Tripoli l’a privé de son droit à une protection judiciaire complète et effective.

27. En premier lieu, le requérant allègue que l’obligation d’introduire un recours non contentieux avant de saisir la cour administrative d’appel n’est pas prévue par la loi et ne constitue pas une limitation légitime du droit d’accès à un tribunal. Il argue que, à l’expiration du délai de vingt jours dont il disposait pour saisir le conseil disciplinaire de deuxième instance, compte tenu du fait que l’administration n’avait pas non plus fait appel de la décision du conseil disciplinaire régional, il avait accepté la sanction qui avait été prononcée à son encontre car il n’aurait plus couru le risque de se voir imposer en deuxième instance une sanction plus grave. Il expose que, lorsqu’il a été informé du recours introduit par l’administration, il ne lui était plus possible de saisir lui aussi le conseil disciplinaire de deuxième instance car le délai de vingt jours avait déjà expiré.

28. Quant au rejet de la demande de réouverture de la procédure, le requérant indique que, même si la condition de l’habilitation de son avocat avait été remplie par le dépôt d’un pouvoir notarié, l’avocat s’était en réalité trouvé dans l’impossibilité de comparaître à l’audience et de le défendre.

29. Le Gouvernement soutient qu’une des conditions de recevabilité du recours devant la cour administrative d’appel est le recours préalable non contentieux devant l’organe administratif compétent dans le cadre duquel l’administration examine l’affaire au fond. Il indique que le but de cette condition consiste non seulement à alléger la charge de travail des juridictions en leur épargnant des procédures inutiles mais aussi à donner au fonctionnaire l’occasion de régler son affaire par le biais de l’administration en lui évitant de s’engager dans une procédure judiciaire chronophage. Ainsi, cette condition constitue selon lui une limitation légitime du droit d’accès à un tribunal. Le Gouvernement soutient que, en l’espèce, le requérant a été informé de son droit de former une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision du conseil disciplinaire régional, mais qu’il ne l’a pas fait. Or, d’après le Gouvernement, cette condition de recevabilité, telle qu’elle a été interprétée par la jurisprudence constante du Conseil d’État et appliquée en l’espèce par la cour administrative d’appel, n’a pas porté atteinte au droit d’accès du requérant à un tribunal.

30. Le Gouvernement souligne que l’objection dont il s’agit peut être formée et défendue par l’intéressé lui-même sans l’assistance d’un avocat. Il indique en outre que, si l’intéressé souhaite, pour quelque motif que ce soit, accepter la décision de première instance, il peut à tout moment ne pas maintenir l’objection qu’il aurait formée. Il expose que, dans tous les cas, si l’administration elle-même ne forme pas d’objection, celle qui aurait été formée par le fonctionnaire ne peut avoir qu’un effet bénéfique car la loi interdit l’aggravation de la sanction en deuxième instance.

31. Quant au rejet de la demande de réouverture de la procédure, le Gouvernement indique qu’il s’agit là d’une voie de recours exceptionnelle, prévue par l’article 27 § 5 du décret no 18/1989. Il déclare que la demande de réouverture couvre seulement le défaut d’habilitation d’un avocat et non d’autres cas d’irrecevabilité ou d’absence de fondement, car elle ne constitue pas, d’après lui, une voie de recours contre une décision judiciaire. Il ajoute que si l’avocat dispose d’une habilitation de son client, le tribunal examine l’affaire dans son intégralité et ceci même si l’intéressé n’est pas présent. Or, en l’espèce, selon lui, le dossier incluait un pouvoir du requérant, établi par un acte notarié, qui habilitait l’avocat du requérant à le représenter devant toutes les juridictions du pays. Le Gouvernement estime donc qu’il n’y avait donc pas de défaut d’habilitation pour que le paragraphe 5 de l’article 27 précité s’applique.

32. Il soutient que la non-comparution du requérant devant la cour administrative d’appel n’a pas porté atteinte au droit d’accès à un tribunal de l’intéressé car, selon lui, le recours en annulation a été rejeté par un motif relatif à la recevabilité du recours, à savoir l’absence de saisine du conseil disciplinaire de deuxième instance. Or, selon le Gouvernement, même si le requérant avait comparu à l’audience, cela ne lui aurait pas permis de remédier à un tel défaut procédural. En outre, aux yeux du Gouvernement, tous les moyens du requérant avaient trait à des violations des formalités de la procédure (incompétence, mauvaise composition du conseil disciplinaire, défaut de répondre à une demande de récusation d’un membre de celui-ci), que la cour administrative d’appel aurait de toute façon examiné s’il n’y avait eu le motif d’irrecevabilité précité, que le requérant eût été ou non présent.

2. Appréciation de la Cour

33. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non pas théorique et illusoire (voir, en ce sens, Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A no 333‑B). L’effectivité du droit d’accès demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Nunes Dias c. Portugal (déc.), nos 2672/03 et 69829/01, CEDH 2003-IV, et Bellet, précité, § 36). De même, le droit d’accès à un tribunal comprend non seulement le droit d’engager une action mais aussi le droit à une solution juridictionnelle du litige (voir, par exemple, Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 86, Fălie c. Roumanie, no 23257/04, §§ 22 et 24, 19 mai 2015, et Kutić c. Croatie, no 48778/99, § 25, CEDH 2002‑II).

34. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012). En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 89 ; Baka, précité, § 120 ; Papaioannou c. Grèce, no 18880/15, § 40, 2 juin 2016 ; Kallergis c. Grèce, no 37349/07, § 16, 2 avril 2009).

35. La Cour note que les articles 142 et 164 du code des fonctionnaires en vigueur à l’époque des faits prévoyaient une certaine procédure à suivre par le fonctionnaire sanctionné par le conseil disciplinaire et qui souhaitait introduire un recours contre la décision lui imposant une sanction : le fonctionnaire devait saisir le conseil disciplinaire de deuxième instance et, par la suite, le cas échéant, les juridictions administratives. La saisine du conseil disciplinaire de deuxième instance était une condition préalable de la saisine des juridictions administratives (paragraphes 19-20 ci-dessus).

36. À l’instar du Gouvernement, la Cour considère que la procédure susmentionnée poursuit le but légitime de réduire la charge du travail des juridictions administratives et de permettre à l’intéressé de régler au plus vite sa situation sans se lancer dans des procédures judiciaires longues et coûteuses.

37. Reste à déterminer si les restrictions qu’impliquait la procédure suivie en l’espèce étaient proportionnelles au but légitime précité.

38. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a fait l’objet de la sanction disciplinaire de suspension de ses fonctions pendant trois mois avec privation de salaire pendant cette période. Cette décision a été prononcée à son encontre par le conseil disciplinaire régional de l’enseignement secondaire à la suite d’une procédure écrite et orale au cours de laquelle le requérant avait assumé lui-même sa défense. La décision, qui a été notifiée à l’intéressé le 22 avril 2005, précisait qu’il avait le droit de former une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance dans un délai de vingt jours à compter de la notification, soit jusqu’au 12 mai 2005.

39. Le requérant dit avoir accepté la sanction qui lui a été imposée et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas saisi le conseil disciplinaire de deuxième instance. La Cour ne met pas en doute cette déclaration car le requérant a laissé passer le délai de vingt jours précité sans réagir, alors qu’il aurait pu faire appel de la décision le sanctionnant soit lui-même, soit en étant représenté par un avocat.

40. La Cour constate en revanche que, le 16 mai 2005, soit à un moment où le délai de vingt jours précité était déjà expiré, l’administration a formé une objection contre la décision du conseil disciplinaire régional dans le but d’obtenir une sanction plus sévère du requérant. Par la suite, le 16 mai 2006, le conseil disciplinaire de deuxième instance a imposé au requérant une sanction de six mois de suspension de ses fonctions avec privation de salaire. Face à cette aggravation de sa sanction, le requérant a alors introduit un recours en annulation de cette décision devant la cour administrative d’appel, recours que celle-ci a rejeté au motif que le requérant n’avait pas formé d’objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance.

41. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel il aurait été loisible au requérant de saisir le conseil disciplinaire de deuxième instance car, en cas de saisine de cet organe par le fonctionnaire, il ne pouvait pas y avoir aggravation de la sanction en deuxième instance. Cet argument ne convainc pas la Cour car le grief du requérant concerne son accès aux juridictions administratives à la suite de l’aggravation de sa peine. Or, dans l’hypothèse où il aurait tenté un recours devant le conseil disciplinaire de deuxième instance et obtenu une réduction ou une annulation de sa peine, il n’aurait eu aucune raison de saisir ces juridictions.

42. En outre, la Cour note que les arrêts du Conseil d’État produits par le Gouvernement pour démontrer que la saisine du conseil disciplinaire de deuxième instance constitue une condition de recevabilité de celle des juridictions administratives (paragraphe 20 ci-dessus), ne correspondent pas aux circonstances de la présente affaire. Ces arrêts concernent des cas dans lesquels l’intéressé avait soit introduit son recours tardivement, soit il n’avait pas été informé de son droit de former une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance, soit la notification de la décision lui était parvenue tardivement. Aucun des arrêts du Conseil d’État soumis à la Cour par le Gouvernement n’a tranché un cas, comme celui du requérant, dans lequel la décision du conseil disciplinaire de première instance lui avait été notifiée dans les délais et la possibilité d’un recours devant le conseil disciplinaire de deuxième instance avait été portée à son attention, mais l’administration introduit un recours après l’écoulement du délai de vingt jours ouvert au fonctionnaire et alors que celui-ci était déjà forclos pour l’introduire lui-même. Autrement dit, le Conseil d’État n’a jamais tranché la question de la forclusion de l’intéressé lorsque l’administration forme une objection devant le conseil disciplinaire de deuxième instance après l’expiration du délai ouvert à celui-ci et lorsque cette objection aboutit à l’aggravation de la sanction imposée en première instance.

43. À titre surabondant, la Cour relève que ce type de situation ne risque pas de se reproduire à l’avenir, à la suite de l’adoption de l’article 141 du nouveau code des fonctionnaires (paragraphe 21 ci-dessus). Cet article, en son paragraphe 4, prévoit que, en cas d’imposition d’une peine d’amende équivalente à un à quatre mois de salaire, lorsqu’une objection est formée en faveur de l’administration, le délai pour que le fonctionnaire puisse aussi former de son côté une objection commence à courir à compter de la notification à celui-ci d’une copie de la décision disciplinaire et de l’objection formée en faveur de l’administration. Si une objection n’est pas formée en faveur de l’administration, le délai pour que le fonctionnaire saisisse la cour administrative d’appel commence à courir à compter de la notification à celui-ci d’une copie de la décision disciplinaire accompagnée d’une attestation précisant que l’administration n’a pas formé d’objection.

44. La Cour constate que, dans les circonstances de la cause et de par l’effet de la législation en vigueur à l’époque, il a été impossible au requérant de contester une décision qui avait aggravé sa sanction et ce alors qu’il n’était pas lui-même à l’origine de la procédure ayant abouti à cette aggravation.

45. Dans les circonstances précises de la cause, la Cour estime que le requérant a subi une entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal du fait de l’impossibilité de saisir les juridictions administratives pour contester l’aggravation de sa sanction.

46. Cette conclusion dispense la Cour d’examiner le deuxième grief du requérant relatif au rejet par la cour administrative d’appel de la demande de réouverture de la procédure.

47. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage et frais et dépens

49. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il estime avoir subi, ainsi que pour le remboursement de ses frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant les juridictions grecques. Il inclut dans cette somme le montant de six mois de salaire dont il déclare avoir été privé par la décision du conseil disciplinaire de deuxième instance. En revanche, il ne précise pas ses prétentions au titre des frais et dépens.

50. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et que la privation des salaires et les frais et dépens n’ont pas de lien de causalité avec la violation alléguée de la Convention.

51. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué d’autant plus qu’elle ne saurait spéculer sur la sanction qui aurait été imposée au requérant dans le cas où la cour administrative d’appel avait statué au fond. Elle rejette alors la demande du requérant au titre du préjudice matériel. En revanche, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 3 200 EUR au titre du préjudice moral. Quant aux frais et dépens, elle n’accorde aucune somme, le requérant n’ayant pas chiffré sa demande à cet égard.

B. Intérêts moratoires

52. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme 3 200 EUR (trois mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerKristina Pardalos
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-183948
Date de la décision : 28/06/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : VATHAKOS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PROUSANIDIS A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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