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26/06/2018 | CEDH | N°001-184426

CEDH | CEDH, AFFAIRE MOCANU ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2018, 001-184426


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MOCANU ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 8141/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

26 juin 2018

DÉFINITIF

26/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mocanu et autres c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,


Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoi...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MOCANU ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 8141/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

26 juin 2018

DÉFINITIF

26/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mocanu et autres c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8141/07) dirigée contre la République de Moldova et dont trois ressortissants de cet État, MM. Victor Mocanu, Pavel Răducanu et Semion Mititelu (« les requérants »), ont saisi la Cour le 26 janvier 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le 1er novembre 2008, le premier requérant est décédé. Son fils, M. Valentin Mocanu, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure.

3. Le 8 décembre 2013, le deuxième requérant est décédé. Sa fille, Mme Vera Braghiș, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure.

4. Les requérants ont été représentés par Me A. Postică, avocat à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

5. Le 12 juillet 2013, les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et de l’article 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1951, 1935 et 1961. Ils résidaient à Sângera au moment des faits.

A. Genèse de l’affaire

7. Par une décision du 9 novembre 2004, le gouvernement moldave décida de reprendre la construction d’un tronçon de voie ferrée qui devait traverser la commune de Sângera. Il invoquait le but de rationaliser le trafic ferroviaire ainsi que celui d’accroître le flux des marchandises en transit.

8. Le 21 décembre 2004, le conseil municipal de la ville de Sângera approuva la liste des personnes dont les terrains agricoles devaient être transmis à l’État en vue de la construction de la voie ferrée en question. Selon cette liste, le premier requérant devait être exproprié de 0,41 hectares de terrain agricole, le deuxième de 1,53 hectares, et le troisième de 1,12 hectares. Des indemnisations étaient également fixées pour chacun des propriétaires.

9. Par une décision du 21 décembre 2004, le gouvernement accorda la jouissance des terrains susmentionnés à la société publique « Calea ferată din Moldova » (« CFM »). La construction du tronçon de voie ferrée débuta en janvier 2005.

10. Par une lettre du 15 août 2005, le directeur général de l’Agence des relations foncières et du cadastre informa le premier ministre que certains propriétaires avaient refusé les indemnisations proposées. Il suggérait dès lors deux solutions afin de résoudre ce litige : soit d’accéder aux demandes de ces propriétaires et de leur attribuer de nouveaux terrains, soit de mettre en œuvre la procédure d’expropriation prévue par la loi sur l’expropriation.

B. Procédures engagées par les requérants

1. Action en revendication des terrains introduite par les requérants

11. Dans l’intervalle, les requérants avaient le 19 mai 2005 engagé une action en revendication de leurs terrains. Ils estimaient que l’occupation de leurs biens par l’État était illégale et dénonçaient en particulier l’absence d’un juste et préalable dédommagement. Ils demandaient également l’octroi d’un dédommagement moral.

12. Par un jugement du 19 décembre 2006, le tribunal de Botanica rejeta leur action comme mal fondée. Sur appel puis recours des requérants, ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Chișinău le 22 février 2007, puis par la Cour suprême de justice le 1er août 2007. Cette dernière jugea notamment que l’occupation des terrains litigieux par l’État poursuivait un but d’utilité publique, que les autorités étaient prêtes à offrir un dédommagement juste et que la restitution des parcelles n’était plus possible au motif que la voie ferrée avait déjà été construite.

2. Procédure administrative déclenchée par le premier requérant

13. Entre-temps, le premier requérant avait le 10 février 2006 déposé devant le juge administratif une action en annulation de la décision du gouvernement du 21 décembre 2004, qu’il estimait illégale.

14. Par une décision du 17 avril 2006, la Cour suprême de justice avait rejeté l’action comme mal fondée. Elle avait jugé qu’aucun motif d’annulation ne pouvait être retenu contre la décision attaquée et avait également conclu à l’existence d’une cause d’utilité publique relativement à l’occupation des terrains litigieux. Sur recours du premier requérant, une autre formation de la Cour suprême de justice avait le 30 novembre 2006 confirmé la décision de l’instance inférieure.

3. Action en réparation entamée par le troisième requérant

15. Le 16 janvier 2008, le troisième requérant engagea une action en réparation des dommages matériels qu’il estimait avoir subis à la suite de l’occupation de son terrain. Il demandait notamment la compensation du manque à gagner pour les années 2005-2007.

16. Par une décision définitive du 18 décembre 2013, la Cour suprême de justice confirma les décisions des instances inférieures qui avaient alloué au troisième requérant 20 627,37 MDL (1 160 EUR au taux de change en vigueur à la date indiquée ci-dessus) au titre de manque à gagner pour l’année 2005.

C. Attribution de nouveaux terrains au deux premiers requérants

17. Dans l’intervalle, l’Agence des relations foncières et du cadastre avait le 26 décembre 2007 conclu avec les deux premiers requérants des contrats d’échange de terrains. En vertu de ces contrats, l’État avait transmis aux intéressés des parcelles d’une superficie équivalente à celle des terrains dont ils avaient perdu l’usage. Il leur avait en outre compensé la différence de prix entre les terrains échangés ; à ce titre, le premier requérant s’était vu accorder 11 155 lei moldaves (MDL) (685 euros (EUR) au taux de change en vigueur à la date indiquée ci-dessus), et le deuxième 42 665 MDL (2 619 EUR).

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

18. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de la République de Moldova sont ainsi libellées :

Article 46

Le droit à la propriété privée et la protection de celle-ci

« (...)

2. Nul ne peut être exproprié que pour cause d’utilité publique, établie selon la loi, avec un juste et préalable dédommagement.

(...) »

19. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil se lisent comme suit :

Article 316. La sauvegarde du droit de propriété

« (...)

2. Le droit de propriété est garanti. Nul ne peut être obligé de céder sa propriété, sauf pour cause d’utilité publique [avec] un juste et préalable dédommagement. L’expropriation s’effectue dans les conditions prévues par la loi.

(...)

4. Les dédommagements (...) sont déterminés de commun accord avec le propriétaire ou, en cas de divergence, par une décision de justice. Dans ce cas, la décision de retrait des biens de la propriété d’une personne ne peut être exécutée avant le passage en force de chose jugée de la décision de justice.

(...) »

20. Selon les dispositions de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique no 488-XIV du 8 juillet 1999 (« la loi sur l’expropriation »), l’expropriation doit être précédée d’une enquête préalable ainsi que d’une déclaration d’utilité publique. Ensuite, l’expropriant doit présenter une proposition d’expropriation et l’exproprié peut soit l’accepter soit présenter une contre-proposition. Les contre‑propositions sont examinées par une commission composée d’experts ainsi que, selon les cas, de propriétaires choisis parmi les expropriés.

Si à l’issue de la phase administrative les parties ne parviennent toujours pas à un accord, l’expropriation ne peut être décidée que par un tribunal avec un juste et préalable dédommagement. Pour fixer le montant du dédommagement, le juge doit tenir compte de la valeur vénale de l’immeuble ainsi que des éventuels préjudices subis par l’exproprié.

EN DROIT

I. QUESTIONS LIMINAIRES

21. La Cour note que, à la suite du décès des deux premiers requérants, le fils du feu premier requérant, M. Valentin Mocanu, et la fille du feu deuxième requérant, Mme Vera Braghiș, ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure (paragraphes 2 et 3 ci-dessus).

22. La Cour rappelle que, dans les cas où le requérant originaire décède après l’introduction de la requête, elle autorise normalement les proches de l’intéressé à poursuivre la procédure, à condition qu’ils aient un intérêt légitime à le faire (voir, parmi beaucoup d’autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000‑XII, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 79, CEDH 2016). Eu égard à l’objet de la requête et à l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour estime qu’en l’espèce M. Valentin Mocanu et Mme Vera Braghiș ont un intérêt légitime au maintien de la requête au nom de leurs défunts pères et, de ce fait, qualité pour agir au titre de l’article 34 de la Convention. Pour des raisons d’ordre pratique, la Cour continuera de désigner feu M. Victor Mocanu comme « le premier requérant » et feu M. Pavel Răducanu comme « le deuxième requérant ».

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

23. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, les requérants allèguent avoir été victimes d’une expropriation de fait illégale. Les passages pertinents en l’espèce de cet article sont ainsi libellés :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

A. Sur la recevabilité

24. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

25. Les requérants soutiennent que la procédure légale d’expropriation n’a pas été respectée en l’espèce. Ils affirment notamment ne pas avoir reçu un juste et préalable dédommagement, ce qui serait contraire à la Constitution et aux lois applicables en la matière.

26. Le Gouvernement avance que les requérants ont été privés de leurs biens dans les conditions prévues par la loi et pour une cause d’utilité publique. Il soutient notamment que la base légale de l’expropriation litigieuse reposait sur l’article 46 § 2 de la Constitution ainsi que sur les dispositions de la loi sur l’expropriation. De plus, il affirme qu’en l’espèce l’État a ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu et argue que les requérants, en refusant à plusieurs reprises les offres de dédommagement, ont rendu difficiles les négociations avec l’expropriant.

27. La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, aux trois normes distinctes que cette disposition contient et aux conditions qu’une mesure d’expropriation doit remplir (voir, parmi beaucoup d’autres, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 93-94, 25 octobre 2012).

28. Dans la présente affaire, elle note que les parties s’accordent à dire qu’il y a eu privation de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

29. Elle rappelle que cet article exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale (voir, parmi beaucoup d’autres, Vergu c. Roumanie, no 8209/06, § 45, 11 janvier 2011, et Vistiņš et Perepjolkins, précité, §§ 95‑97). Elle redit en outre que la pratique de l’expropriation de fait permet à l’administration d’occuper un bien immobilier et d’en transformer irréversiblement la destination, de telle sorte qu’il soit finalement considéré comme acquis au patrimoine public sans qu’il y ait eu le moindre acte formel et déclaratoire du transfert de propriété (mutatis mutandis Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, § 93, 17 mai 2005, et Sarıca et Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 43, 27 mai 2010). Elle a déjà jugé que ce procédé permettant à l’administration de passer outre les règles de l’expropriation formelle expose les justiciables au risque d’un résultat imprévisible et arbitraire, qu’il n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu’il ne saurait constituer une alternative à une expropriation en bonne et due forme (voir, par exemple, Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, §§ 87-89, 8 décembre 2005, et Halil Göçmen c. Turquie, no 24883/07, § 32, 12 novembre 2013).

30. En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont perdu la maîtrise de leurs terrains à partir du moment où l’État a occupé puis transformé de manière définitive ces terrains. Elle ne saurait accueillir l’argument du Gouvernement selon lequel l’occupation litigieuse a été effectuée dans les conditions prévues par la loi. Force est pour elle de constater que, dans la présente affaire, les différentes étapes d’une expropriation formelle, établies par la loi sur l’expropriation (paragraphe 20 ci-dessus), n’ont pas été respectées. En particulier, elle relève l’absence en l’espèce d’une déclaration d’utilité publique, destinée à mettre en mouvement la procédure d’expropriation en bonne et due forme. Elle prête une attention particulière au fait que les autorités moldaves ont elles-mêmes reconnu qu’une expropriation régie par la loi sur l’expropriation n’avait pas été mise en œuvre en l’espèce (paragraphe 10 ci-dessus) (comparer avec Sharxhi et autres c. Albanie, no 10613/16, §§ 169-174, 11 janvier 2018).

31. En parallèle, la Cour observe que, selon les dispositions du droit interne (paragraphes 18-20 ci-dessus), il ne peut y avoir d’expropriation sans un juste et préalable dédommagement et que, en cas de désaccord entre l’exproprié et l’expropriant quant aux modalités d’expropriation – ce qui était le cas en l’espèce –, le transfert du droit de propriété ne peut s’effectuer qu’en vertu d’une décision de justice passée en force de chose jugée. Or, elle constate que, dans la présente affaire, l’État s’est approprié les terrains des requérants sans leur verser au préalable des indemnités à ce titre et sans éventuellement recourir à un juge.

32. La Cour note également que les juridictions moldaves ont entériné la pratique de l’expropriation de fait en jugeant que les requérants avaient été privés de leurs biens pour une cause d’utilité publique.

33. Elle relève enfin que, pour ce qui est des deux premiers requérants, l’acte formel de transfert de propriété n’a été conclu qu’au bout de trois ans d’occupation par l’État des terrains litigieux (paragraphe 17 ci-dessus). Quant au troisième requérant, elle constate que le transfert de propriété n’a pas encore été acté et que, à ce jour, il n’a reçu aucune indemnisation ou terrain en échange. Dès lors, elle estime que la situation des requérants ne saurait être considérée comme « prévisible » et comme répondant à l’exigence de « sécurité juridique » (comparer avec Burghelea c. Roumanie, no 26985/03, § 39, 27 janvier 2009, Rolim Comercial, S.A. c. Portugal, no 16153/09, § 67, 16 avril 2013). De plus, elle considère que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation illégale des terrains au détriment des requérants.

34. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’était pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit des requérants au respect de leurs biens. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels

35. Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

36. Les requérants soutiennent également n’avoir disposé d’aucun recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, pour faire valoir leurs droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

37. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, et compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, la Cour estime qu’il ne s’impose pas de statuer séparément sur le grief mentionné au paragraphe précédent (voir, pour une approche similaire, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

39. Le fils du premier requérant affirme que, avant l’ingérence litigieuse de l’État, son père était propriétaire d’un terrain agricole d’un hectare. Il soutient que, après l’occupation par l’État de 0,41 hectares de ce terrain, le restant de 0,5882 hectares dont son père avait gardé la maîtrise est devenu inexploitable en raison de la présence de la voie ferrée construite par les autorités. Il estime dès lors que, en sus de la parcelle de 0,41 hectares déjà transmise à son père, l’État devrait lui attribuer une autre parcelle de 0,5882 hectares au titre du dommage matériel.

40. Le troisième requérant affirme quant à lui que, avant l’ingérence litigieuse de l’État, son terrain agricole mesurait 1,4971 hectares. Il soutient que, après l’occupation par l’État d’une partie de sa parcelle, le restant de 0,3769 hectares dont il avait gardé la maîtrise est également devenu inexploitable à cause de la présence de la voie ferrée en question. Étant donné que, à ce jour, les autorités ne lui ont offert aucun terrain en échange ni dédommagement, il estime que l’État devrait lui attribuer un terrain de 1,4971 hectares au titre du dommage matériel.

41. Le fils du premier requérant et la fille du deuxième requérant réclament également 6 000 euros (EUR) chacun pour préjudice moral. Le troisième requérant demande 8 000 EUR à ce titre.

42. Les intéressés demandent enfin 2 820 EUR pour les frais et dépens qu’ils disent avoir engagés devant la Cour.

43. Pour ce qui est du préjudice matériel, le Gouvernement indique que le premier requérant a déjà reçu une parcelle en échange de celle occupée par l’État. Il avance également que le troisième requérant a refusé de signer un contrat d’échange de terrains. En raison de cela, il estime que les demandes au titre du préjudice matériel doivent être rejetées.

En outre, il conteste les sommes réclamées pour le préjudice moral et pour les frais et dépens.

44. Étant donné les circonstances de l’affaire, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41, y compris la question de savoir si les deux requérants ont réellement subi une perte à cause de l’expropriation d’une partie de leurs terrains en violation de l’article 1 du Protocole no 1 et, dans l’affirmative, le montant de la perte (paragraphes 17 et 33 ci-dessus), n’est pas en état d’être tranchée. Elle décide donc de la réserver et de fixer la procédure ultérieure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre le Gouvernement et la partie requérante.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit que M. Valentin Mocanu a qualité pour agir au nom du feu premier requérant et que Mme Vera Braghiș a qualité pour agir au nom du feu deuxième requérant ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,

a) la réserve ;

b) invite le Gouvernement et la partie requérante à lui adresser par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 juin 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-184426
Date de la décision : 26/06/2018
Type d'affaire : au principal
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (Article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens)

Parties
Demandeurs : MOCANU ET AUTRES
Défendeurs : RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Composition du Tribunal
Avocat(s) : POSTICĂ A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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