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05/06/2018 | CEDH | N°001-183853

CEDH | CEDH, AFFAIRE SULTAN c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2018, 001-183853


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SULTAN c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 17047/07)

ARRÊT

STRASBOURG

5 juin 2018

DÉFINITIF

05/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sultan c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Nebojša Vučinić,
Valeriu

Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre d...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SULTAN c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 17047/07)

ARRÊT

STRASBOURG

5 juin 2018

DÉFINITIF

05/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sultan c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mai 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17047/07) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Alexei Sultan (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mars 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par M. D. Cobzac, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

3. Le requérant allègue, en particulier, que le refus de la Cour suprême de justice d’examiner son recours a porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention.

4. Le 16 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1960 et réside à Holercani.

6. À une date non précisée, le requérant introduisit une action civile en dommages et intérêts dirigée contre la mairie et le conseil local de Holercani. Il demandait le versement de ses salaires impayés, une compensation au titre des dommages matériel et moral qu’il aurait subis ainsi que le remboursement de ses frais de justice.

7. Par arrêt du 5 mai 2006, le tribunal de Dubăsari rejeta l’action du requérant comme mal fondée. Le tribunal du fond indiqua que l’arrêt était susceptible d’appel. Le requérant interjeta appel.

8. Par une décision du 5 septembre 2006, la cour d’appel de Chișinău rejeta l’appel du requérant comme mal fondé. Elle signala que sa décision était susceptible de recours. Le 3 novembre 2006, le requérant forma un recours devant la Cour suprême de justice.

9. Par une lettre du 7 novembre 2006, la Cour suprême de justice rejeta le recours du requérant sans l’examiner et informa le requérant que la décision de la cour d’appel, qui avait examiné l’affaire en tant que juridiction de recours, était devenue irrévocable lors de son prononcé, conformément à l’article 421 du code de procédure civile (CPC). Cette lettre fut signée par la vice-présidente du collège civil et du contentieux administratif de la Cour suprême.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

10. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPC en vigueur à l’époque des faits sont ainsi rédigées :

« Article 421. Le caractère de la décision de la juridiction de recours

La décision de la juridiction de recours est irrévocable dès son prononcé.

Article 429. Les décisions susceptibles de recours

(1) Les décisions prononcées en appel par les cours d’appel peuvent faire l’objet d’un recours.

(...)

Article 430. Les personnes qui peuvent introduire un recours

Peuvent introduire un recours :

a) les parties et autres participants au procès ;

(...)

Article 431. La juridiction compétente pour examiner le recours

(1) La Cour suprême de justice est compétente pour examiner les recours déposés contre les décisions des instances d’appel.

(...)

Article 438. Le renvoi du recours

(3) Le renvoi de la demande de recours n’empêche pas le demandeur de la soumettre à nouveau après avoir satisfait aux conditions formelles requises et s’être conformé aux autres conditions légales régissant l’introduction du recours.

(...). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

11. Le requérant allègue que le refus de la Cour suprême de justice d’examiner son recours a porté atteinte à son droit à un tribunal, en violation de l’article 6 de la Convention, libellé comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

12. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il argue que, après avoir reçu la lettre de la Cour suprême de justice du 7 novembre 2006 (paragraphe 9 ci-dessus), le requérant aurait dû réitérer sa demande de recours en vertu de l’article 438 (3) du CPC (paragraphe 10 ci‑dessus). Il ajoute que, selon la législation en vigueur au moment des faits, l’instance judiciaire avait le droit de renvoyer le recours par lettre si la demande n’était pas conforme aux dispositions légales, sans adopter de décision ou de jugement avant dire droit en ce sens. Il indique que le courrier n’avait pas été porté à l’attention d’une formation judiciaire de la Cour suprême de justice mais qu’il avait été signé par un juge président de section en tant que correspondance à caractère administratif et non judiciaire. Il estime que le requérant avait la possibilité soit de réintroduire sa demande de recours, soit de signaler à la Cour suprême de justice l’erreur commise par le personnel du greffe. En conclusion, le Gouvernement soutient que cette situation résulte d’une simple erreur administrative au sein du greffe et ne représente en aucun cas une pratique établie par la Cour suprême.

13. Le requérant affirme s’être prévalu d’un recours effectif devant la Cour suprême de justice mais que celle-ci a refusé de l’examiner.

14. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999‑V, et Vučković et autres c. Serbie, no 17153/11 et 29 autres requêtes, § 68, 28 août 2012). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI).

15. Cependant, l’obligation découlant de l’article 35 de la Convention se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles (voir, parmi beaucoup d’autres, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 45, CEDH 2006‑II). En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)). Il incombe à l’État défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvaient réunies à l’époque des faits (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, Selmouni, précité, § 75, et Vučković et autres, précité, § 69).

16. En l’espèce, la Cour constate que, par sa lettre du 7 novembre 2006, la Cour suprême a informé le requérant que la décision de la cour d’appel était passée en force de chose jugée et qu’elle n’était plus susceptible de recours devant la Cour suprême de justice (paragraphe 9 ci-dessus). La Cour suprême n’a informé le requérant d’aucune omission au sens de l’article 438 (3) du CPC, invoqué par le Gouvernement, ni de la possibilité de réitérer sa demande de recours. La Cour constate ensuite que le Gouvernement admet dans ses observations qu’une erreur s’était produite au sein du greffe de la Cour suprême.

17. La Cour constate également que le requérant a formé un recours contre la décision de la cour d’appel en vertu des dispositions du CPC et que la lettre de la Cour suprême de justice était signée par sa vice-présidente et non pas par un simple membre du greffe (paragraphe 9 ci-dessous). Elle considère que, dans ces circonstances, le requérant n’était pas tenu de réitérer sa demande de recours, ni de signaler à la Cour suprême l’erreur commise par le personnel du greffe. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes.

18. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

19. Le requérant soutient qu’il avait le droit de former un recours contre la décision rendue en appel le 5 septembre 2006 par la cour d’appel de Chișinău. Il ajoute que l’affaire n’a pas été traitée dans le cadre de la procédure du contentieux administratif et que la Cour suprême n’avait pas le droit de lui renvoyer son recours.

20. Le Gouvernement ne se prononce pas sur le fond de l’affaire.

21. La Cour rappelle que les garanties de procédure énoncées à l’article 6 de la Convention assurent à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ; l’article 6 consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, constitue un aspect (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, §§ 28-36, série A no 18). En l’espèce, force est de constater que le requérant a pu emprunter la voie de recours qu’offrait le système judiciaire interne, à savoir une action civile en dommages et intérêts dirigée contre la mairie et le conseil local de Holercani.

22. En soi, cela ne satisfait pas à tous les impératifs de l’article 6 § 1 de la Convention : encore faut-il constater que le degré d’accès procuré par la législation nationale suffisait pour assurer à l’individu le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la « prééminence du droit » dans une société démocratique (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A no 93). La Cour rappelle que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 43, CEDH 2000-II).

23. À cet égard, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit le droit d’accès à un tribunal pour la résolution de différends à caractère civil. La Cour estime que ce droit d’accès à un tribunal comprend non seulement le droit d’engager une action, mais aussi le droit à une « solution » juridictionnelle du litige. Il serait illusoire que l’ordre juridique interne d’un État contractant permette qu’un individu engage devant un tribunal une action au civil sans veiller à ce que la cause fasse l’objet d’une décision définitive à l’issue de la procédure judiciaire (Kutić c. Croatie, no 48778/99, § 25, CEDH 2002‑II).

24. La Cour rappelle également que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6. De graves conséquences risqueraient de découler de la solution contraire. Dans une société démocratique au sens de la Convention, le droit à une bonne administration de la justice occupe une place si éminente qu’une interprétation restrictive de l’article 6 § 1 ne correspondrait pas au but et à l’objet de cette disposition (voir, entre autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11).

25. En l’espèce, la Cour observe que l’affaire a été examinée au fond par le tribunal de Dubăsari et en appel par la cour d’appel de Chișinău. La Cour note ensuite que, selon le droit moldave, le requérant avait la possibilité de contester la décision de la cour d’appel et qu’il s’en est prévalu en formant un recours contre ladite décision devant la Cour suprême de justice (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour constate en outre que le Gouvernement a reconnu dans ses observations que le greffe de la Cour suprême avait commis une erreur en renvoyant le recours sans qu’il soit examiné par la haute juridiction. En effet, l’omission de la Cour suprême de justice d’examiner le recours susmentionné a privé le requérant du droit d’accès à cette juridiction en vue de faire examiner son recours par elle (voir, par exemple, Platakou c. Grèce, no 38460/97, §§ 36-39, CEDH 2001‑I, Anghel c. Italie, no 5968/09, § 61, 25 juin 2013, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, §§ 61-62, CEDH 2015; et comparer avec Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, §§ 90-95 et 114-121, 5 avril 2018 ).

26. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint sous l’angle de l’article 13 de la Convention qu’il ne disposait d’aucune voie de recours interne effective pour faire valoir son droit d’accès à un tribunal.

28. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et qu’il doit donc aussi être déclaré recevable.

29. La Cour constate que ce grief est, par essence, le même que celui soumis sous l’angle de l’article 6 de la Convention concernant le refus de la Cour suprême d’examiner le recours. Elle rappelle que, quand le droit revendiqué est un droit de caractère civil, l’article 6 constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celles de l’article 6 (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).

30. Dès lors, la Cour, eu égard à son constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 25-26 ci-dessus), n’estime pas nécessaire d’examiner s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention (Posti et Rahko c. Finlande, no 27824/95, § 89, CEDH 2002-VII).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

32. Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison du refus de la Cour suprême de justice d’examiner son recours.

33. Le Gouvernement considère que le montant du préjudice moral est excessif.

34. La Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

35. Le requérant demande également 3 040 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il fournit à l’appui de sa demande un contrat conclu avec son avocat devant la Cour, aux termes duquel il s’était engagé à lui verser le montant susmentionné. Il soumet également un relevé détaillé des heures de travail de son avocat.

36. Le Gouvernement conteste la somme réclamée. Il soutient que, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

37. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, par 5 voix contre 2, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juin 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıRobert Spano
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente commune des juges Lemmens et Bianku.

R.S.
H.B.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS ET BIANKU

1. Nous avons voté avec nos collègues pour un constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Par contre, nous avons voté contre la décision selon laquelle il n’est pas nécessaire d’examiner s’il y a eu également une violation de l’article 13 de la Convention. À notre avis, les deux griefs sont en l’espèce suffisamment distincts l’un de l’autre pour que la Cour ne puisse pas laisser le second grief sans réponse.

2. Le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention concerne le droit d’accès à un tribunal afin que celui-ci décide sur la contestation sur le droit de caractère civil invoqué par le requérant, à savoir le droit d’obtenir des salaires impayés ainsi que des dommages et intérêts (paragraphe 6 de l’arrêt). Plus particulièrement, le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès à la Cour suprême de justice, dernière juridiction dans la chaîne des juridictions ayant à prendre une décision dans cette affaire.

Le grief fondé sur l’article 13 concerne le droit à un recours effectif en cas de violation d’un droit fondamental garanti par la Convention, en l’espèce le droit d’accès à la Cour suprême de justice.

La majorité estime que le grief tiré de l’article 13 « est, par essence, le même que celui soumis sous l’angle de l’article 6 de la Convention concernant le refus de la Cour suprême d’examiner le recours ». Selon elle, comme le droit revendiqué (dans le contexte de l’article 13) est un droit de caractère civil, « l’article 6 constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celles de l’article 6 » (paragraphe 29 de l’arrêt).

Sur ces derniers points, nous marquons respectueusement notre désaccord avec la majorité.

3. Tout d’abord, les droits matériels en cause ne sont pas les mêmes pour les deux griefs. Si, pour le premier grief, c’est bien un droit de caractère civil qui est l’objet du litige que le requérant avait le droit de porter devant un tribunal, pour le second grief il s’agit d’un autre droit, reconnu par la Convention, au sujet duquel le requérant allègue qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif devant une instance nationale.

Alors que le premier grief porte sur l’impossibilité de faire examiner le recours par la Cour suprême de justice, le second grief porte sur l’impossibilité d’exercer un recours contre le refus de la Cour suprême de justice d’examiner le recours porté devant elle.

Dans ces circonstances, nous ne voyons pas comment l’on peut dire que l’article 6 § 1 constitue la lex specialis par rapport à l’article 13. Une telle situation ne saurait se présenter que quand le droit de caractère civil constituant l’objet du litige porté devant les tribunaux est en même temps un droit fondamental garanti par la Convention (pour un exemple récent, voir Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 177-182, CEDH 2016).

Eu égard à ce qui précède, nous estimons qu’il n’y avait pas de raison de se dispenser de l’examen du grief fondé sur l’article 13.

4. Quant au bien-fondé de ce grief, nous considérons qu’il est évident que l’article 13 n’exige pas de recours direct contre une décision rendue par une juridiction suprême nationale.

Toutefois, la question se pose de savoir si l’article 13 ne requiert pas un recours d’un autre type, par exemple un recours indemnitaire contre l’État, permettant au justiciable de se plaindre d’une violation de ses droits fondamentaux par une telle décision. C’est cette question qui, à notre avis, aurait mérité un examen dans le cadre du grief pour lequel, justement, la majorité a estimé que l’examen n’était pas nécessaire.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-183853
Date de la décision : 05/06/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : SULTAN
Défendeurs : RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Composition du Tribunal
Avocat(s) : COBZAC D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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