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13/03/2018 | CEDH | N°001-181608

CEDH | CEDH, AFFAIRE C.M. c. BELGIQUE, 2018, 001-181608


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE C.M. c. BELGIQUE

(Requête no 67957/12)

ARRÊT

STRASBOURG

13 mars 2018

DÉFINITIF

13/06/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire C.M. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik

Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 février 2018,

Ren...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE C.M. c. BELGIQUE

(Requête no 67957/12)

ARRÊT

STRASBOURG

13 mars 2018

DÉFINITIF

13/06/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire C.M. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 février 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 67957/12) dirigée contre le Royaume de Belgique dont C.M., un ressortissant de nationalité française (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 octobre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant se plaint notamment de l’inexécution de décisions judiciaires ayant condamné son voisin à effectuer des travaux de remise en état.

4. Le 5 novembre 2015, ce grief a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

5. Par une lettre du 10 novembre 2015, le gouvernement français fut informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour. Il ne s’est pas prévalu de son droit d’intervention.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1927 et réside à Quiévrain.

A. Antécédents

7. Le requérant est propriétaire d’une maison d’habitation avec jardin, sise à Quiévrain. Il s’oppose depuis de longue date à son voisin T.R. Celui-ci construisit en 1978 sur son terrain, près de celui du requérant, un entrepôt, pour lequel il avait reçu un permis de bâtir. Selon le requérant, cette construction a été étendue entre 1982 et 1988 pour en faire un magasin de bricolage et plus tard un magasin de vente d’accessoires pour des voitures. Les immeubles du requérant et de son voisin se trouvent en zone d’habitat, selon le plan de secteur Mons-Borinage.

8. En 1991, T.R. sollicita l’autorisation pour l’extension d’une autre construction commerciale existante, sise à côté de la construction précitée, sur une parcelle contigüe à la propriété du requérant. La procédure litigieuse (voir paragraphes 17-22, ci-dessous) concerne cette extension.

9. Trois voisins, dont le requérant, introduisirent des réclamations, se plaignant notamment d’une perte d’ensoleillement. Le 10 juin 1992, le fonctionnaire délégué de la direction de l’urbanisme du ministère de la Région wallonne (ci-après le « fonctionnaire délégué ») émit un avis défavorable, eu égard à l’incompatibilité du projet avec le voisinage immédiat alors que selon le plan de secteur pertinent la compatibilité avec le voisinage existant était une condition légale pour la délivrance d’un permis. En conséquence, le 15 juin 1992, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Quiévrain refusa le permis de bâtir.

10. Sur recours de T.R., la députation permanente de la province du Hainaut accorda le 17 septembre 1992 l’autorisation sollicitée.

11. Le fonctionnaire délégué introduisit le 8 octobre 1992 un recours auprès du Gouvernement régional wallon. Toutefois, le ministre compétent ne prit pas de décision dans le délai prévu de 30 jours. Le 23 juin 1993, l’autorité compétente avisa T.R. que le permis de bâtir délivré par la députation permanente sortit pleinement ses effets et que T.R. pouvait passer à l’exécution des travaux, ce qu’il aurait fait le jour même. Selon les éléments du dossier, la construction étendue a une longueur totale d’environ 60 mètres et une largeur de 7 mètres. Elle fut utilisée à des fins commerciales.

12. En août 1993, le requérant introduisit un recours en annulation contre la décision de la députation permanente. Par un arrêt du 9 octobre 1997, le Conseil d’État fit droit à son recours et annula la décision entreprise.

13. Le 8 mars 1999, T.R. introduisit auprès de l’administration communale de Quiévrain une demande de permis d’urbanisme en vue de la régularisation de la construction bâtie en 1993.

14. Au cours de l’enquête publique, le requérant déposa une réclamation. Le 18 mai 1999, le fonctionnaire délégué émit un avis défavorable. Le 25 mai 1999, le collège des bourgmestre et échevins refusa en conséquence le permis demandé.

15. Sur le recours de T.R. auprès du Gouvernement régional wallon, le ministre compétent prit un arrêté le 14 avril 2000 rejetant le recours et confirmant le refus du permis d’urbanisme. Il considéra notamment que la construction pour laquelle le permis était demandée abritait une salle d’exposition directement reliée au magasin exploité par T.R., qu’elle occupait l’entièreté du terrain, bordé de jardins, et qu’elle compromettait manifestement la destination générale de la zone d’habitat ainsi que son caractère architectural.

16. Un recours en annulation introduit par T.R. fut rejeté par le Conseil d’État par un arrêt du 7 février 2008.

B. La procédure litigieuse

17. Le 6 mars 2009, le requérant et son épouse citèrent T.R. directement devant le tribunal correctionnel du tribunal de première instance de Mons.

18. Par une lettre du 4 juin 2009, le fonctionnaire délégué demanda en application de l’article 155 du code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (« CWATUP ») de condamner T.R. à l’exécution de travaux d’aménagement en précisant la nature des travaux sollicités.

19. Par un jugement du 24 novembre 2009 le tribunal déclara établie la prévention de maintien de travaux sans permis durant la période du 9 octobre 1997 (date du premier arrêt du Conseil d’État, voir paragraphe 7bis, ci-dessus) au 6 mars 2009 (date de la citation, voir paragraphe 8, ci-dessus). Il décida toutefois d’accorder à T.R. le bénéfice de la suspension simple du prononcé de la condamnation. Quant à la demande de réparation directe du fonctionnaire délégué, il condamna T.R. à réaliser les travaux d’aménagement et de destruction afin de rendre à la zone sa destination de zone de cours et jardins. Tenant compte de l’ampleur des travaux, le tribunal lui accorda le délai maximum prévu par la loi, soit un délai d’un an. Le tribunal précisa encore que si ces travaux n’étaient pas exécutés dans le délai prescrit, le fonctionnaire délégué, le collège des bourgmestre et échevins et le requérant et son épouse (en tant que parties civiles) pouvaient pourvoir d’office à leur exécution. Dans ce cas, l’administration ou la partie civile exécutant le jugement aurait notamment le droit de vendre les matériaux et objets résultant de la remise en état des lieux, et le condamné serait contraint au remboursement de tous les frais d’exécution, déduction faite du prix de la vente des matériaux et objets, sur présentation d’un état taxé et rendu exécutoire par le juge des saisies. Au civil, le tribunal condamna T.R. à payer au requérant et à son épouse la somme provisionnelle de 15 000 euros (« EUR »), en réparation du dommage moral et matériel subi par eux du 9 octobre 1997 à la date du jugement.

20. T.R., suivi du ministère public, interjeta appel de ce jugement.

21. Par un arrêt du 22 février 2011, la cour d’appel de Mons confirma le jugement de première instance au pénal, y compris la décision accordant à T.R. le bénéfice de la suspension simple du prononcé de la condamnation. Statuant sur la demande du fonctionnaire délégué, la cour considéra notamment que, si T.R. disposait d’un permis au moment de la transformation et de l’extension de son immeuble, il savait que ce permis n’était pas définitif et qu’il pouvait être remis en question compte tenu des contestations soulevées par le requérant et son épouse et par le fonctionnaire délégué. T.R. avait de la sorte pris le risque de poursuivre les travaux « tout en sachant que la décision de la députation permanente pouvait être annulée et en s’exposant ainsi à la possibilité de devoir remettre les lieux en l’état ». La cour confirma l’ordre de réaliser des travaux d’aménagement, sous la précision que le délai d’un an accordé à T.R. prenait cours à dater de son arrêt. Au civil, la cour d’appel confirma le jugement de première instance, sous la précision que le montant alloué l’était à titre définitif. Enfin, la cour d’appel condamna T.R. à payer au requérant et à son épouse l’indemnité de procédure de première instance et d’appel, chacune liquidée à la somme de 2 500 EUR.

22. Cet arrêt est devenu définitif.

C. Les développements postérieurs à l’introduction de la requête devant la Cour

23. Le 3 juin 2013, le requérant et son épouse, informés de ce que T.R. envisageait de vendre le bien litigieux, citèrent ce dernier devant le tribunal civil du tribunal de première instance de Mons pour le voir condamné au paiement d’une astreinte journalière de 1 000 EUR à dater du jugement à intervenir et jusqu’à l’achèvement des travaux d’aménagement ordonnés.

24. Par un acte du 18 novembre 2013, le requérant et son épouse citèrent le fonctionnaire délégué en intervention forcée, afin qu’il puisse définir sa position sur la demande d’astreinte et la demander lui-même s’il échet. Dans leur citation, les demandeurs firent remarquer notamment « qu’il n’est pas d’usage que le fonctionnaire délégué ou le collège des bourgmestre et échevins s’emploie à pratiquer les travaux de mise en état ordonnés par (la) justice et que [le requérant et son épouse], nés respectivement en 1927 et en 1924, ne disposent pas des moyens financiers pour ce faire ». En cours d’instance, le fonctionnaire délégué demanda effectivement que T.R. soit condamné à une astreinte.

25. Le bien de T.R. constitué de la parcelle contigüe à la propriété du requérant et de la construction y érigée fit l’objet d’un acte de vente authentique le 31 juillet 2014.

26. Les nouveaux propriétaires demandèrent des devis à une entreprise générale de construction pour la remise des lieux en leur pristin état. Selon des devis du 15 septembre 2014, les frais de transformation du magasin s’élèveraient à 23 666,62 EUR, tandis que les frais de démontage de la dalle extérieure en béton armé et d’évacuation des déchets s’élèveraient à 10 409,20 EUR.

27. Par un acte du 1er octobre 2014, T.R. cita les nouveaux propriétaires en intervention forcée afin qu’ils soient condamnés à le garantir de toute condamnation.

28. En cours d’instance, après que le procureur du Roi de Mons lui avait fait savoir qu’il n’entendait pas poursuivre les nouveaux propriétaires, le fonctionnaire délégué demanda en application de l’article 157 du CWATUP que ces propriétaires soient condamnés à exécuter les travaux d’aménagement sous peine d’astreinte. Le requérant et son épouse demandèrent également que ces propriétaires soient condamnés à une astreinte.

29. Par un jugement du 17 avril 2015, la chambre du tribunal, devenu le tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons, statuant sur un incident de répartition soulevé par T.R., communiqua le dossier au président du tribunal afin qu’il soit décidé si la demande ne relevait pas de la compétence du juge des saisies et devait être attribuée à ce dernier.

30. Par une ordonnance du 16 juin 2015, la présidente du tribunal de première instance jugea qu’il n’y avait pas lieu à distribuer la cause au juge des saisies.

31. Un rapport de contrôle fut établi le 9 mars 2016. Ce rapport fit état de l’avancement des travaux – fin des travaux de construction du mur de la façade arrière lors d’une visite du 18 novembre 2015 et quasi-achèvement des travaux intérieurs de démontage lors d’une visite du 9 mars 2016 – tout en constatant que la démolition du gros œuvre n’avait pas encore commencé.

32. À l’audience du 20 novembre 2015, le tribunal de première instance acta un calendrier d’échanges de conclusions et fixa la cause pour plaidoiries le 14 septembre 2016.

33. Par un jugement du 12 octobre 2016, le tribunal de première instance déclara la demande d’astreinte formulée en 2013 (voir paragraphe 23, ci-dessus) non fondée en tant que dirigée contre T.R, celui-ci n’ayant plus la maîtrise de la construction litigieuse ni aucun droit sur celle-ci. Concernant la demande du fonctionnaire délégué à l’égard des nouveaux propriétaires, le tribunal condamna ceux-ci à exécuter les travaux d’aménagement tels qu’ordonnés par la juridiction répressive à l’encontre de T.R., au plus tard pour le 30 juin 2017. Le tribunal précisa par ailleurs que si les travaux ordonnés n’étaient pas exécutés dans le délai prescrit, le fonctionnaire délégué, le collège des bourgmestre et échevins ou les parties lésées pourraient pourvoir d’office à leur exécution. Enfin, il condamna les nouveaux propriétaires au paiement d’une astreinte de 125 EUR par jour de retard au profit tant du fonctionnaire délégué que du requérant et de son épouse, celle-ci ne pouvant toutefois être encourue avant la signification du jugement.

34. Aucune des parties n’interjeta appel.

35. Le 2 mai 2017, un rapport de contrôle de l’état d’avancement des travaux fut établi, sur base d’une visite du 27 avril 2017. Selon ce rapport, les travaux avaient peu évolué depuis une visite du 8 septembre 2016, où il avait été constaté que les travaux intérieurs de démontage étaient terminés, mais qu’une grande partie du démontage de la toiture et la démolition du bâtiment étaient encore à faire.

36. Le 6 juillet 2017, le jugement du 12 octobre 2016 fut signifié, à la requête du requérant et de son épouse, aux nouveaux propriétaires. Les requérants demandèrent le paiement de l’astreinte à partir de la date de la signification jusqu’à la réalisation complète des travaux.

37. Pour sa part, le fonctionnaire délégué décida également de faire signifier le jugement du 12 octobre 2016 aux nouveaux propriétaires. Toutefois, d’après une lettre du Gouvernement du 21 septembre 2017, la signification du jugement à la requête du fonctionnaire délégué était à ce jour bloquée par des difficultés administratives et procédurales. Des documents en possession de la Cour, il semble que ces difficultés avaient empêché la délivraison de l’original de l’expédition du jugement au fonctionnaire délégué. Quoiqu’il en soit, au 21 septembre 2017 ce dernier n’avait pas encore pu demander aux nouveaux propriétaires de payer les astreintes pour relancer l’exécution.

38. Le 7 juillet 2017, un procès-verbal de constat fut dressé par un huissier de justice, à la requête du requérant et de son épouse. Des photos furent prises, montrant notamment que le mur de séparation entre le jardin du requérant et de son épouse, d’une part, et la cour de l’habitation voisine, d’autre part, était partiellement écroulé. D’autres photos montraient l’état de l’aménagement du terrain avoisinant.

39. Un rapport de contrôle de l’état d’avancement des travaux fut établi le 17 juillet 2017, sur base d’une visite du 13 juillet 2017. Ce rapport fit état que la situation avait beaucoup évolué depuis la visite du 27 avril 2017 dans le sens où les travaux de démontage étaient avancés au point que le bâtiment avait disparu du paysage. Le rapport conclut toutefois qu’il n’était pas encore possible de considérer que les lieux aient été remis en l’état en raison du maintien dans le sol de la dalle de béton, des pieds de mur et des poteaux de béton.

40. Le 30 août 2017, le requérant et son épouse sollicitèrent d’un huissier de justice qu’il établisse le décompte des astreintes et entame la procédure d’exécution sur les biens des nouveaux propriétaires. Un courriel de l’huissier en date du 3 septembre 2017 confirma que les démarches nécessaires avaient été entamées. La Cour n’a pas été informée des suites de ces démarches.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

41. En cas d’infraction aux prescriptions urbanistiques prévues par le code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (« CWATUP »), ledit code disposait en ses parties pertinentes (en vigueur jusqu’à leur abrogation par un décret du 20 juillet 2016, entré en vigueur le 1er juin 2017) ce qui suit :

Article 155

« § 1er. Le fonctionnaire délégué ou le collège des bourgmestre et échevins, d’initiative ou dans le délai que lui fixe le fonctionnaire délégué, peuvent poursuivre devant le tribunal correctionnel l’un des modes de réparation visés au paragraphe 2 et s’en informent simultanément.

§ 2. Outre la pénalité, le tribunal ordonne, à la demande du fonctionnaire délégué ou du collège communal :

1o soit la remise en état des lieux ou la cessation de l’utilisation abusive;

2o soit l’exécution d’ouvrages ou de travaux d’aménagement;

3o soit le paiement d’une somme représentative de la plus-value acquise par le bien à la suite de l’infraction pour autant qu’il ne soit ni inscrit sur la liste de sauvegarde, ni classé.

Le tribunal fixe à cette fin un délai qui, dans les cas visés aux 1o et 2o, ne peut dépasser un an.

[...]

§ 3. Les droits de la partie civile sont limités pour la réparation directe à celle choisie par l’autorité compétente, sans préjudice du droit à l’indemnisation à charge du condamné.

§ 4. Sans préjudice de l’application du chapitre XXIII du Livre IV de la quatrième partie du Code judiciaire [qui concerne l’astreinte], le jugement ordonne que, lorsque les lieux ne sont pas remis en état ou les travaux et ouvrages ne sont pas exécutés dans le délai prescrit, le fonctionnaire délégué, le collège communal et éventuellement la partie civile pourront pourvoir d’office à son exécution.

L’administration ou la partie civile qui exécute le jugement a le droit de vendre les matériaux et objets résultant de la remise en état des lieux, de les transporter, de les entreposer et de procéder à leur destruction en un lieu qu’elle choisit.

Le condamné est contraint au remboursement de tous les frais d’exécution, déduction faite du prix de la vente des matériaux et objets, sur présentation d’un état taxé et rendu exécutoire par le juge des saisies.

[...] »

Article 157

« Le fonctionnaire délégué ou le collège communal peut poursuivre, devant le tribunal civil :

1o soit la remise en état des lieux ou la cessation de l’utilisation abusive ;

2o soit l’exécution d’ouvrages ou de travaux d’aménagement ;

3o soit le paiement d’une somme représentant tout ou partie de la plus-value acquise par le bien à la suite de l’infraction.

À défaut pour le Procureur du Roi d’avoir marqué son intention de poursuivre dans les nonante jours de la demande qui lui est faite, le fonctionnaire délégué poursuit devant le tribunal civil l’un des modes de réparation visé à l’alinéa 1er lorsque les actes et travaux exécutés ou maintenus en infraction ne sont pas susceptibles de recevoir le permis d’urbanisme requis au sens de l’article 155, § 6, alinéa 1er.

Les dispositions de l’article 155, § 1er et §§ 3 à 7 sont également applicables en cas d’action introduite devant le tribunal civil.

Les droits du tiers lésé agissant soit concurremment avec les autorités publiques, soit séparément d’elles sont limités pour la réparation directe à celle choisie par l’autorité compétente, sans préjudice du droit à l’indemnisation à charge du condamné. »

42. Depuis le 1er juillet 2017, le contenu des articles 155 et 157 précités est repris dans certains articles du code du développement territorial, établi par le décret du 20 juillet 2016. Les articles concernant les poursuites devant le tribunal correctionnel ne sont toutefois pas applicables aux infractions notifiées au procureur du Roi avant la date de l’entrée en vigueur du code.

43. Le code judiciaire dispose comme suit concernant l’astreinte:

Article 1385bis

« Le juge peut, à la demande d’une partie, condamner l’autre partie, pour le cas où il ne serait pas satisfait à la condamnation principale, au paiement d’une somme d’argent, dénommée astreinte, le tout sans préjudice des dommages-intérêts, s’il y a lieu. Toutefois, l’astreinte ne peut être prononcée en cas de condamnation au paiement d’une somme d’argent, ni en ce qui concerne les actions en exécution de contrats de travail. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

44. Invoquant l’article 1er du Protocole no 1, le requérant se plaint du défaut d’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Mons du 22 février 2011.

45. Eu égard au grief tel que formulé par le requérant, la Cour, étant maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi d’autres, Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 55, CEDH 2014 (extraits), Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015, et Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 145, CEDH 2017), estime qu’il convient d’examiner la requête sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (droit à un tribunal), lequel est libellé comme suit dans ses parties pertinentes:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

46. Le Gouvernement fait valoir que le requérant aurait pu faire exécuter d’office les travaux en avançant les frais. Il fait également valoir que la requête a été introduite alors que la procédure d’astreinte était pendante devant les juridictions internes.

47. La Cour estime que cette exception est étroitement liée à la substance du grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, elle décide de la joindre au fond.

2. Sur l’exception tirée du non-respect du délai de six mois

48. Le Gouvernement fait valoir qu’au vu du délai accordé par la cour d’appel de Mons dans son arrêt du 22 février 2011, le requérant, constatant le défaut d’exécution volontaire de son voisin, disposait d’un intérêt à agir devant les juridictions compétentes dès le 23 février 2012. Si le requérant estimait néanmoins qu’il pouvait directement agir devant la Cour, il aurait dû le faire dans un délai de six mois. La requête ayant été introduite le 15 octobre 2012, ce délai n’a pas été respecté.

49. La Cour constate que la violation alléguée constitue une situation continue. Elle rappelle que dans ce cas ce n’est que lorsque la situation cesse que le délai de six mois commence à courir (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 54, 29 juin 2012).

50. Par conséquent, il y a lieu de rejeter cette exception.

3. Conclusion

51. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

52. Le requérant se plaint de la non-exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Mons du 22 février 2011 en ce qu’il ordonne à son voisin, condamné pour infraction à la législation urbanistique, d’effectuer des travaux d’aménagement et de démolition. Il se plaint en particulier du fait que les autorités communales n’ont rien fait pour l’aider et ont au contraire toujours servi les intérêts de T.R., et que le fonctionnaire délégué n’a pas pris des mesures suffisantes pour assurer l’exécution forcée de l’arrêt précité. Il se réfère aussi à son âge et à celui de son épouse (actuellement 90 ans et 93 ans), à leur dépendance et aux charges y afférentes, pour expliquer qu’il leur est en pratique impossible de pourvoir eux-mêmes aux travaux d’aménagement.

53. Le Gouvernement souligne premièrement que la décision interne définitive autorise le requérant à exécuter lui-même la décision en cas de carence de son voisin, sur pied d’égalité avec le fonctionnaire délégué et le collège des bourgmestre et échevins. Il en déduit que c’est l’absence d’intervention du requérant même qui ne lui a pas permis de voir son droit à un tribunal réalisé. Deuxièmement, le Gouvernement avance que la condamnation ne concerne pas les autorités publiques mais le voisin du requérant, la situation devant donc être distinguée par rapport à celle où l’exécution repose directement sur les autorités publiques. Troisièmement, le Gouvernement fait valoir que le pouvoir de substitution des autorités (comme celui du requérant) est facultatif et subsidiaire par rapport à l’obligation du responsable de l’infraction urbanistique de remettre lui-même les lieux en état.

54. Enfin, le Gouvernement souligne que le requérant a entamé le 3 juin 2013 une procédure tendant à l’imposition d’une astreinte. Il note également que les nouveaux propriétaires ont procédé à un début significatif d’exécution des travaux d’aménagement.

2. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes généraux

55. La Cour rappelle que le droit à l’exécution de décisions judiciaires définitives fait partie intégrante du « droit à un tribunal » (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 196, CEDH 2006-V). À défaut, les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention seraient privées de tout effet utile (Bourdov c. Russie, no 59498/00, §§ 34 et 37, CEDH 2002‑III).

56. Ce droit ne peut cependant obliger un État à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu’il soit et quelles que soient les circonstances; il lui appartient en revanche de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent (Constantin Oprea c. Roumanie, no 24724/03, § 35, 8 novembre 2007). Les États ont l’obligation de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005).

57. Dans ce contexte, la Cour n’est pas appelée à examiner en général si l’ordre juridique interne est apte à garantir l’exécution des décisions prononcées par les tribunaux. Elle a uniquement pour tâche d’examiner si les mesures adoptées par les autorités nationales ont en l’espèce été adéquates et suffisantes (Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003).

58. La Cour rappelle que s’agissant d’un litige entre particuliers, le requérant doit agir avec une certaine diligence et veiller à l’exécution des décisions de justice dans les affaires civiles (SC Magna Holding SRL c. Roumanie, no 10055/03, § 33, 13 juillet 2006). Dès lors, il incombe au requérant de se servir des moyens mis à sa disposition par la législation nationale et de faire appel, le cas échéant, à la force publique pour l’assister dans l’exécution (Ciprova c. République tchèque (déc.), no 33273/03, 22 mars 2005). En sa qualité de dépositaire de la force publique, l’État est, quant à lui, appelé à avoir un comportement diligent et à assister le créancier dans l’exécution (Fociac c. Roumanie, no 2577/02, § 70, 3 février 2005). La responsabilité des États peut se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de diligence requise (Fouklev, précité, § 67).

b) Application en l’espèce

59. La Cour observe que l’affaire concerne l’exécution d’un arrêt de la cour d’appel de Mons du 22 février 2011 confirmant un jugement du tribunal de première instance de Mons datant du 24 novembre 2009, imposant à T.R. une obligation d’effectuer des travaux d’aménagement et de destruction, conformément à la demande de l’autorité compétente (voir paragraphes 19 et 21, ci-dessus). Elle note que cette procédure a été initiée par le requérant et son épouse, lesquels ont directement cité leur voisin devant le tribunal correctionnel pour non-respect de la législation urbanistique (voir paragraphe 17, ci-dessus).

60. La Cour constate que le litige entre les requérants et T.R. à l’origine de cette procédure date de 1991, qu’un permis de construire délivré à T.R. en 1992 fut annulé en 1997, qu’une demande de permis de régularisation fut rejetée en 1999-2000 et que le recours contre ce refus fut rejeté en 2008. La procédure pénale a suivi ces procédures administratives. La Cour relève par ailleurs que la procédure pénale a elle-même encore été suivie par une procédure civile.

61. La Cour note que le droit interne met à la disposition de la personne lésée par une infraction urbanistique deux moyens pour obtenir l’exécution d’une décision judiciaire ordonnant au contrevenant de remettre les lieux dans leur pristin état : cette personne peut demander au tribunal de condamner le contrevenant au paiement d’une astreinte en cas de non-exécution, et elle peut pourvoir elle-même à l’exécution. La Cour estime que ces moyens peuvent constituer des moyens efficaces pour obtenir l’exécution de la condamnation. Encore faut-il qu’il en soit ainsi dans les circonstances propres de chaque affaire.

62. Le Gouvernement insiste en particulier sur le fait que le requérant aurait dû procéder lui-même à l’exécution effective de l’arrêt de la cour d’appel de Mons du 22 février 2011, en avançant les frais afin de réaliser les travaux.

63. La Cour constate toutefois que les frais des travaux sont considérables (voir paragraphe 26, ci-dessus) et que le requérant a indiqué, sans être contredit sur ce point, qu’il n’avait pas les moyens financiers pour les avancer (voir paragraphe 24, ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà considéré dans une autre affaire qu’en transférant sur le titulaire du droit d’accès à un tribunal la responsabilité de la charge financière de l’organisation de la procédure d’exécution, l’État tentait de se soustraire à son obligation positive d’organiser un système d’exécution des jugements qui soit effectif en droit comme en pratique (Apostol c. Géorgie, no 40765/02, § 64, CEDH 2006-XIV). La Cour estime que, dans les circonstances de la cause, la possibilité pour le requérant de pourvoir lui-même à l’exécution de l’arrêt condamnant T.R. à effectuer des travaux, n’était et n’est pas une option réaliste.

64. Quant à l’astreinte, la Cour note qu’elle a précisément pour objet d’assurer l’exécution d’une condamnation principale (voir dans le même sens, au sujet du système d’astreinte en droit administratif français, Loiseau c. France (déc.), no 46809/99, CEDH 2003‑XII (extraits)) et fait à ce titre partie intégrante du système d’exécution des décisions judiciaires en droit belge (voir paragraphe 43, ci-dessus).

65. La Cour relève que le requérant ne s’est pas montré inactif à cet égard. T.R. ne s’étant pas volontairement conformé aux décisions judiciaires, le requérant et son épouse, informés de ce que l’intéressé envisageait de vendre le bien litigieux, le citèrent en juin 2013 devant le tribunal civil pour le voir condamné au paiement d’une astreinte jusqu’à l’achèvement des travaux.

66. La Cour relève toutefois que la procédure d’astreinte, initiée en 2013, ne s’est achevée qu’en octobre 2016. Le voisin ayant, dans l’intervalle, vendu son bien, les nouveaux propriétaires ont dû être condamnés à exécuter les travaux et un nouveau délai a dû leur être octroyé pour effectuer ces travaux, sous peine d’une astreinte par jour de retard à partir (seulement) du 1er juillet 2017 (voir paragraphe 33, ci-dessus). La Cour observe par ailleurs, au regard des renseignements dont elle dispose, que les travaux de démontage n’étaient pas encore complètement achevés en juillet 2017 (voir paragraphes 38-39, ci-dessus). Elle estime dès lors que l’effectivité de la procédure d’astreinte s’est avérée sujette à caution en l’espèce.

67. La Cour constate que le droit interne permet également aux autorités compétentes, à savoir le collège des bourgmestre et échevins et le fonctionnaire délégué, de pourvoir d’office à l’exécution d’une décision judiciaire ordonnant la remise des lieux en état. Même s’il s’agit, comme le fait remarquer le Gouvernement, d’une faculté, et non d’une obligation, la Cour estime que cette faculté doit être appréciée à la lumière de l’obligation positive de l’État d’assurer, par les moyens qu’il choisit, l’exécution des décisions judiciaires définitives, même rendues entre personnes privées.

68. La Cour constate qu’en ce qui concerne le collège des bourgmestre et échevins, celui-ci n’est à aucun moment intervenu pour assister le requérant dans l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Mons.

69. Quant au fonctionnaire délégué, qui s’est opposé chaque fois à la délivrance d’un permis de construire pour l’immeuble litigieux (voir paragraphes 9 et 14, ci-dessus), il a certes demandé la remise en état des lieux, tant devant la juridiction pénale (à l’égard de T.R.) que devant la juridiction civile (à l’égard des nouveaux propriétaires) (voir paragraphes 18 et 28, ci-dessus). Il n’a toutefois pas exercé sa compétence de pourvoir d’office à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Mons. Aucune justification, basée sur des considérations d’intérêt public, n’a été avancée par le Gouvernement pour expliquer cette attitude de l’autorité régionale vis-à-vis d’une décision judiciaire constatant une infraction aux règles urbanistiques que le fonctionnaire délégué est censé faire respecter (voir, a contrario, Société Cofinfo c. France (déc.), no 23516/08, 12 octobre 2010, et Figueiredo Gonçalves c. Portugal, no 57422/09, §§ 71-72, 18 février 2014). En outre, ce n’est qu’après avoir été appelé en intervention devant la juridiction civile par le requérant et son épouse, que le fonctionnaire délégué a formulé des demandes d’astreinte (voir paragraphes 24 et 28, ci-dessus).

70. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime, d’une part, que le requérant n’a pas bénéficié du concours effectif des autorités administratives afin de forcer son voisin à exécuter l’arrêt le condamnant à exécuter certains travaux, et d’autre part, que ni la procédure d’astreinte ni la possibilité pour le requérant de pourvoir lui-même à l’exécution de ces travaux ne se sont avérées des recours adéquats en pratique pour remédier à la situation dénoncée par lui.

71. Partant, la Cour rejette l’exception que le Gouvernement tire du défaut d’épuisement des voies de recours internes et conclut à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

73. Le requérant laisse à la Cour le soin de déterminer la réparation de son dommage moral, arguant toutefois que la situation perdure maintenant depuis vingt-six ans et reconnaissant qu’il y lieu de tenir compte des dommages et intérêts alloués par les juridictions internes de 15 000 EUR. Au titre du dommage matériel, il réclame 450 EUR à titre de réparation pour le préjudice dû à l’influence de l’ombre projetée dans son jardin.

74. Le Gouvernement fait valoir qu’il doit être tenu compte de ce que le requérant a déjà obtenu une indemnisation s’élevant à 15 000 EUR pour le même dommage et que le prix des travaux doit être évalué à 23 666,62 EUR TVA comprise. Il ajoute qu’il convient de rejeter la demande concernant le démontage et le remplacement du mur au motif que le requérant reconnaît lui-même qu’une procédure doit être engagée devant le juge de paix. Il s’oppose également à la demande tendant au paiement de 450 EUR.

75. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande y relative. En revanche, tenant compte du délai écoulé depuis la décision judiciaire définitive et exécutoire, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

76. Le requérant demande également 6 438 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour.

77. Le Gouvernement fait valoir que seuls les frais se rapportant à la violation constatée sont recouvrables. Il s’agirait donc des seuls frais relatifs à l’exécution de la décision rendue à l’issue de la citation directe devant la juridiction pénale.

78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour rejette la demande en tant qu’elle se rapporte aux procédures nationales, eu égard au fait que, dans la procédure devant les juridictions pénales, la cour d’appel de Mons a condamné le voisin du requérant aux indemnités de procédure de première instance et d’appel. En revanche, en ce qui concerne la procédure devant la Cour, dans laquelle le requérant s’est défendu lui-même, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Joint, à la majorité, au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare, à la majorité, la requête recevable ;

3. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit, par cinq voix contre deux,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 500 EUR (cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mars 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Spano ;

– opinion dissidente commune des juges Lemmens et Kjølbro.

R.S.
S.H.N.

CONCURRING OPINION OF JUDGE SPANO

1. The European Convention on Human Rights does not require the member States invariably to secure a positive result when private individuals litigate their disputes before the national courts. In such situations, Article 6 of the Convention merely requires a level playing field and a legal framework of remedies providing the claimant with the ability to be effectively assisted by the State in executing judgments rendered in his or her favour. However, on the facts of this case, an important element of the Belgian judicial enforcement system, namely the periodic penalty mechanism (day-fines), proved ineffective. On this basis alone, I concur in the Court’s finding of a violation of Article 6 § 1 of the Convention, as I will now explain.

2. I will begin by recalling some important facts.

3. In a judgment of 24 November 2009 the Mons Court of First Instance found in favour of the applicant and ordered T.R., within one year, to demolish an illegal construction and to restore his land to a state not affecting the rights of the applicant. The judgment was upheld on appeal by a judgment of the Mons Court of Appeal of 22 February 2011 (see paragraphs 19-20 of the judgment).

4. After the expiry of the one-year time-limit, during which T.R. had not carried out the work, and having being informed of T.R’s intention to sell his property, the applicant and his wife instituted civil proceedings on 3 June 2013 requesting the court to order T.R. to pay a fine of 1,000 euros for every day of delayed execution. However, the periodic penalty proceedings were delayed, with a judgment being delivered only in October 2016, after T.R. had managed to sell his property to third persons.

5. On these facts the Court finds a violation on three grounds. Firstly, the Court considers that requiring the applicant himself to bear the costs for carrying out the work, subject to reimbursement by T.R., would not have been realistic in the light of the applicant’s meagre financial resources. The Court finds, secondly, that the periodic penalty mechanism proved ineffective and, thirdly, that the regional authority should have exercised its discretionary power under Belgian law to take steps on its own initiative to have the work carried out. For the reasons set out in the dissenting opinion of my colleagues Judges Lemmens and Kjølbro (see paragraphs 5 and 7 of their opinion), I disagree with the findings of the Court as regards the first and third grounds.

6. What remains to be determined is whether the delays in the periodic penalty proceedings constitute, in and of themselves, sufficient grounds for a finding of a violation of Article 6 of the Convention.

7. The execution of a final judgment is an integral part of the trial and originates from the right of access to a court (see, inter alia, Ruianu v. Romania, no. 34647/97, §§ 65-67, 17 June 2003). As such, the guarantees enshrined in Article 6 § 1 also apply where a dispute does not involve the State but occurs between private individuals. On the one hand, an obligation lies with the State to organise a system of execution of judgments that is effective both in law and in practice. In order to provide individuals with effective instruments by which to have a judgment in their favour implemented by a reluctant debtor, the authorities are expected to assist them in the execution proceedings by acting diligently and without undue delays. On the other hand, individuals have a corresponding duty of diligence, consisting in activating the machinery of the State for the effective execution of judgments rendered in their favour. It follows in my view that, where national law provides for a periodic penalty mechanism (day-fines) as a measure of compulsion for the effective execution of judgments in cases where a claimant has secured a judicial order requiring the opposing party to carry out work owing to illegal construction, the State is under an obligation to provide for the effective implementation of such a mechanism.

8. The applicant acted with the necessary diligence in seeking the execution of the judgment rendered in his favour against T.R. However, although the applicant had already secured a final judgment ordering T.R. to carry out certain work on his property, an obligation which the latter had not fulfilled, the periodic penalty proceedings were unduly delayed, a judgment being delivered only in October 2016, after T.R. had managed to sell his property to third persons. In the absence of a prompt ruling by the national court the asset was sold, following which T.R. was able to summon the new owners in turn to assume his obligations in the dispute. This meant that the applicant had to reinstitute proceedings against third persons for the recognition of a fresh order regarding the legal position of the various parties involved in the proceedings, resulting in a further year of delay. Procedural shortcomings related to the notification of the national court’s decision gave rise to even further delays in executing the payment of the periodic penalty by the new owners.

9. Consequently, and in sum, the delayed course of the periodic penalty proceedings had the effect, in my view, of depriving the applicant of effective assistance in the execution of a judgment rendered in his favour, in breach of the State’s positive obligations under Article 6 § 1 of the Convention.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS ET KJØLBRO

1. Nous ne pouvons nous rallier à la conclusion à laquelle est parvenue la majorité.

À notre avis, la requête aurait dû être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. En ordre subsidiaire, nous estimons qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Nous voudrions souligner que quand le tribunal correctionnel ou le tribunal civil condamne l’auteur d’une infraction urbanistique à remettre les lieux en état, il peut assortir cette condamnation d’une astreinte, à la demande notamment de la partie lésée. Comme la majorité l’observe, l’astreinte fait partie intégrante du système d’exécution des décisions judiciaires en droit belge (paragraphe 64 de l’arrêt).

En l’espèce, le requérant et son épouse, engagés dans une procédure contre T.R. devant le tribunal correctionnel, puis la cour d’appel, de 2009 à 2011, n’ont pas demandé d’astreinte dans cette procédure. Ce n’est qu’après avoir introduit leur requête devant la Cour qu’ils ont introduit une telle demande, en 2013, devant le tribunal civil. Le tribunal a accueilli leur demande en 2016. À partir de ce moment, les choses ont bien progressé, et les travaux de remise en état, entrepris par les nouveaux propriétaires de la construction litigieuse, étaient à un stade très avancé à la mi-2017.

3. À notre avis, l’exception de non-épuisement des voies de recours internes est fondée.

L’astreinte constituait un recours adéquat tant en théorie qu’en pratique pour remédier à la situation dénoncée par le requérant. Au moment où celui-ci a introduit sa requête devant la Cour, rien ne permettait d’affirmer que la procédure d’astreinte n’offrirait pas des perspectives raisonnables de succès.

Les développements ultérieurs ont confirmé l’effectivité d’une telle procédure. Même si, en cours d’instance, T.R. a vendu la construction litigieuse, les nouveaux propriétaires ont pu être cités en intervention, et c’est en fin de compte contre eux que l’astreinte a été prononcée. L’effet de l’astreinte s’est rapidement fait sentir, puisque les nouveaux propriétaires n’ont pas tardé à commencer à exécuter l’ordre de remise en état. Nous ne pouvons nous rallier au point de vue de la majorité selon lequel l’effectivité de la procédure d’astreinte « s’est avérée sujette à caution », les travaux de démontage n’étant pas encore complètement achevés en juillet 2017 (paragraphe 66 de l’arrêt). Il ne restait à exécuter, selon les photos versées au dossier, que la toute dernière phase des travaux.

Pour ces raisons, nous estimons que la procédure d’astreinte était une voie de recours que le requérant aurait dû épuiser avant de se tourner vers la Cour.

4. À supposer même que l’exception doive être rejetée et que la requête doive être déclarée recevable, nous estimons que le grief du requérant n’est en tout cas pas fondé.

Nous souscrivons aux principes généraux mentionnés dans l’arrêt (paragraphes 55-58). En particulier, nous nous rallions au principe selon lequel, s’agissant d’un litige entre particuliers, l’État avait l’obligation de mettre à la disposition du requérant un système qui soit effectif en pratique comme en droit pour assurer l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Mons rendu en faveur de l’intéressé (paragraphe 56 de l’arrêt).

5. En ce qui concerne la possibilité pour le requérant de pourvoir lui-même à l’exécution des travaux, quitte à demander le remboursement des frais d’exécution aux débiteurs, la majorité estime qu’il ne s’agissait pas, dans les circonstances de l’espèce, d’une option réaliste (paragraphe 63 de l’arrêt).

Même si tel est le cas, nous pensons que la possibilité d’action directe donnée par le droit interne au créancier constitue un facteur important à prendre en considération pour apprécier si l’État défendeur a rempli ses obligations découlant de l’article 6 § 1 de la Convention.

6. Nous estimons également, comme nous l’avons déjà exposé ci-dessus, que l’astreinte constituait un moyen efficace pour obtenir l’exécution forcée de l’ordre de remise en état. Certes, en l’espèce, la procédure devant le tribunal civil de Mons a duré plus de trois ans. Cette durée est l’une des raisons pour laquelle la majorité estime que la procédure d’astreinte n’était pas effective (paragraphe 66 de l’arrêt) et la raison pour laquelle le Juge Spano conclut dans le même sens (paragraphes 6-9 de son opinion concordante).

À notre avis, la durée de la procédure peut être expliquée en grande partie par la circonstance objective que le défendeur initial, T.R., avait vendu son bien à des tiers. Ce développement a nécessité différentes citations en intervention, notamment contre les nouveaux propriétaires ; le procès a en quelque sorte dû être repris contre eux. Nous notons en passant que, si le requérant avait demandé l’astreinte dès le stade de la procédure pénale, cet obstacle n’aurait pas surgi.

Le tribunal a donné aux nouveaux propriétaires jusqu’au 30 juin 2017 pour exécuter les travaux d’aménagement. Une fois passé ce délai, le requérant a fait signifier le jugement aux propriétaires, le 6 juillet 2017, de sorte que l’astreinte a pu courir à partir de cette date. Il n’y a donc pas eu de retard à ce stade.

L’effectivité de la procédure d’astreinte n’ayant pas été compromise par la procédure suivie en l’espèce, nous concluons que, en mettant cette procédure d’astreinte à la disposition du requérant, l’État défendeur a satisfait à ses obligations en matière d’assistance à l’exécution forcée de l’arrêt de la cour d’appel de Mons.

7. Eu égard à ce qui précède, nous n’avons plus à nous attarder sur la possibilité pour les autorités compétentes de pourvoir d’office aux travaux d’exécution. Nous voulons toutefois faire des observations sur ce que dit la majorité à cet égard.

La majorité estime que l’inaction du collège des bourgmestre et échevins et du fonctionnaire délégué de la direction de l’urbanisme entraîne la responsabilité de l’État défendeur (paragraphes 68-69 de l’arrêt). Nous estimons par contre que, dès lors qu’il y a un cadre légal mettant directement à la disposition de la partie lésée des moyens d’exécution efficaces, les autorités publiques ne sauraient être obligées de faire le travail pour cette partie. Contrairement à ce que suggère la majorité (paragraphe 68 de l’arrêt), nous estimons que les autorités publiques ne doivent pas s’appuyer sur des motifs d’intérêt public pour justifier leur inaction, mais qu’au contraire elles doivent avoir de bonnes raisons pour agir (en mobilisant des ressources publiques), c’est-à-dire pour prêter main-forte aux personnes concernées.

En somme, nous estimons que la Convention ne requiert pas, dans des litiges opposant des parties privées, une intervention active de la part des autorités publiques. Si la loi interne prévoit la possibilité d’une telle intervention, elle va plus loin que ne le requiert la Convention. Ce n’est alors pas sur la base de la Convention que la faculté d’intervenir peut être transformée en une obligation.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-181608
Date de la décision : 13/03/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure d'exécution;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : C.M.
Défendeurs : BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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