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22/02/2018 | CEDH | N°001-181069

CEDH | CEDH, AFFAIRE DRASSICH c. ITALIE (N° 2), 2018, 001-181069


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DRASSICH c. ITALIE (no 2)

(Requête no 65173/09)

ARRÊT

STRASBOURG

22 février 2018

DÉFINITIF

22/05/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Drassich c. Italie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal, >Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du consei...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DRASSICH c. ITALIE (no 2)

(Requête no 65173/09)

ARRÊT

STRASBOURG

22 février 2018

DÉFINITIF

22/05/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Drassich c. Italie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 janvier 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65173/09) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Mauro Drassich (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Mes L. Stortoni et C. Parziale, avocats à Bologne et à Mestre. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora.

3. Le requérant alléguait un manque d’équité de la procédure pénale menée à son encontre.

4. Le 26 novembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1958 et réside à Paularo.

A. La requête no 25575/04 et l’arrêt rendu par la Cour le 11 décembre 2007

1. La procédure pénale

6. Les faits sont décrits de manière détaillée dans l’arrêt Drassich c. Italie (no 25575/04, §§ 5-17, 11 décembre 2007). Le requérant, un juge italien chargé de la direction de la section du tribunal de Pordenone traitant les affaires de faillite, fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Venise pour les délits de corruption au sens de l’article 319 du code pénal (CP), de faux et d’abus de pouvoir. Il fut condamné en première instance à une peine globale de trois ans d’emprisonnement. Par un arrêt du 12 juin 2002, la cour d’appel de Venise confirma la condamnation du requérant pour les délits de faux et de corruption, mais elle porta la peine à trois ans et huit mois d’emprisonnement.

7. Le requérant se pourvut en cassation. Dans l’un de ses moyens, il indiqua que le délit de corruption était prescrit depuis août 2001 compte tenu des circonstances atténuantes dont il aurait bénéficié.

8. Par un arrêt du 4 janvier 2004, dont le texte fut déposé au greffe le 17 mai 2004, la Cour de cassation débouta le requérant. Elle requalifia les faits de corruption en « corruption dans des actes judiciaires » (corruzione in atti giudiziari) au sens de l’article 319 ter du CP. Elle exposa que cette disposition, qui punissait plus sévèrement cette dernière infraction que celle, autonome, sanctionnée par l’article 319, trouvait à s’appliquer lorsque la corruption avait été commise dans le but spécifique de favoriser l’une des parties du procès ou de lui nuire. La qualification juridique des faits retenue entraînant une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, la Cour de cassation conclut que le délai légal prévu par l’article 157 du code de procédure pénale (CPP) pour la prescription du délit n’avait pas encore expiré et elle rejeta l’exception soulevée par le requérant.

2. La procédure devant la Cour

9. Le 14 juillet 2004, le requérant saisit la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention.

10. Par un arrêt du 11 décembre 2007, la Cour déclara la requête recevable et conclut à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention aux motifs que le requérant n’avait pas eu la possibilité d’être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, et qu’il n’avait pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

11. La Cour estima que, même si les juridictions pouvaient requalifier les faits dont elles étaient saisies, il n’avait pas été établi en l’espèce que le requérant eût été averti de la possibilité d’une requalification de l’accusation portée contre lui, ni qu’il eût eu la possibilité de débattre contradictoirement de la nouvelle accusation. Elle indiqua que, s’il était vrai que l’élément matériel des deux délits en cause était le même, à savoir la commission par un fonctionnaire public d’actes contraires à ses devoirs dans le but de percevoir des bénéfices, le délit de corruption dans des actes judiciaires nécessitait en outre l’existence d’un élément intentionnel spécifique. Il était dès lors plausible de soutenir que les moyens de défense auraient été différents de ceux choisis pour contester l’action principale.

12. Enfin, au sujet des répercussions de la nouvelle accusation sur la détermination de la peine du requérant, la Cour ne souscrivit pas à la thèse selon laquelle la modification de l’accusation avait été sans incidence sur la détermination de la peine prononcée à l’encontre du requérant.

13. Statuant sur l’application de l’article 41 de la Convention, la Cour n’accorda aucune somme au requérant, ce dernier n’ayant pas formulé de demande dans le délai imparti. Toutefois, elle indiqua que, lorsqu’elle concluait qu’un particulier avait été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représentait en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée.

B. La résolution du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 30 septembre 2009

14. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe mit fin à l’examen de la requête no 25575/04 en adoptant, le 30 septembre 2009, la Résolution ResDH(2009)87, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« (...) en vertu de l’article 46 paragraphe 2 de la Convention (...)

Vu l’arrêt transmis par la Cour une fois définitif ;

Rappelant que les violations de la Convention constatées par la Cour dans cette affaire concernent une atteinte au droit à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation, ainsi qu’au droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense en raison de la requalification des faits par la Cour de Cassation sans que le requérant en soit informé (violation de l’article 6, paragraphe 3 a) et b), combiné avec l’article 6, paragraphe 1) (voir détails dans l’Annexe).

(...)

DÉCLARE, après avoir examiné les mesures prises par l’État défendeur (voir Annexe) qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46 paragraphe 2 de la Convention dans la présente affaire et

DÉCIDE d’en clore l’examen. »

15. L’annexe à la Résolution ResDH(2009)87 se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Informations sur les mesures prises afin de se conformer à l’arrêt
dans l’affaire Drassich contre Italie

(...)

I. Paiement de la satisfaction équitable et mesures individuelles

(...)

b) Mesures individuelles

Le requérant a été condamné à une peine de trois ans et huit mois de prison. Il a purgé sept mois et un jour et, à partir du 6/09/2004, sa condamnation a été commuée en sursis probatoire, sous la surveillance d’un service social (...), la peine résiduelle étant inférieure à deux ans. La Cour européenne avait toutefois considéré qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représentait en principe un moyen approprié de réparer la violation (paragraphe 46 de l’arrêt). Suite à l’arrêt de la Cour européenne, le requérant a demandé à la Cour d’appel de Venise de déclarer son arrêt du 12/06/2002 non exécutoire au titre de l’article 670 du Code de procédure pénale. En appliquant la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts no 3600, Dorigo et no 2432, Somogy), la Cour d’appel a reconnu son arrêt comme non exécutoire pour ce qui est de la partie relative à la corruption et a renvoyé à la Cour de cassation le recours initial du requérant contre cet arrêt afin qu’elle puisse donner effet à l’arrêt de la Cour européenne. Dans son arrêt du 11/12/2008, la Cour de cassation a estimé que, dans le cas d’espèce, la restitutio in integrum devait se limiter à annuler la partie de son jugement qui n’avait pas respecté le principe du débat contradictoire, à savoir celle où elle avait elle-même procédé à la requalification des faits allégués contre le requérant de « corruption simple » à « corruption dans des actes judiciaires ». La Cour de cassation a considéré que l’article 625 bis du Code de procédure pénale était l’instrument le plus approprié pour aboutir à ce résultat. Cet article qui prévoit un recours extraordinaire pour remédier à des erreurs matérielles, peut être appliqué analogia legis à des violations du droit de se défendre devant la Cour de cassation, et permet ainsi de supprimer la partie de la décision mise en cause. La Cour de cassation a donc annulé son arrêt du 4 février 2004 uniquement pour ce qui est de l’infraction de corruption définie comme corruption dans des actes judiciaires et a ordonné de procéder à un nouvel examen du pourvoi en cassation du requérant à l’encontre de l’arrêt du 12 juin 2002 de la Cour d’appel de Venise. Dans le cadre de la nouvelle procédure, la Cour de cassation ne manquera pas de prendre en compte les exigences de la Convention en matière de procès équitable.

II. Mesures générales

1) Requalification des infractions sans que le principe du débat contradictoire soit appliqué : selon le Gouvernement italien, aucun changement législatif n’apparaît nécessaire car la violation résultait de l’interprétation jurisprudentielle des principes généraux en la matière donnée par la Cour de cassation.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation a fourni une nouvelle interprétation en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne. Dans son arrêt du 11/12/2008, la Cour de cassation a reconnu que l’arrêt de la Cour européenne avait eu pour effet d’élargir le champ d’application du principe du débat contradictoire dans l’ordre juridique interne. La Cour de cassation a considéré que l’arrêt de la Cour européenne impliquait que dorénavant ce principe s’applique à tous les stades de la procédure, y compris lorsque la Cour de cassation contrôle la légalité d’un jugement, dès lors qu’une modification ex-officio du chef d’accusation a eu une incidence sur la peine prononcée à l’encontre du requérant.

2) Réouverture des procédures à la suite de constats de violations : dans son arrêt du 11/12/2008, la Cour de cassation a estimé que, dans des cas comme celui d’espèce, la décision de la Cour européenne ne remettait pas en question la décision sur le fond, mais seulement l’arrêt de la Cour de cassation qui s’était avéré inéquitable en raison d’une carence du système juridique (la non-application du principe du débat contradictoire). C’est pourquoi, la révision de la décision sur le fond n’est pas nécessaire et l’application par analogie de l’article 625 bis du Code de procédure pénale est suffisante pour combler la lacune du système juridique dans des affaires similaires.

3) Publication et diffusion : l’arrêt de la Cour européenne a été diffusé aux autorités compétentes et a été publié sur les sites du Ministère de la Justice (www.giustizia.it) et de la Cour de cassation (www.cortedicassazione.it), ainsi que dans la base de données de la Cour de cassation sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (www.Italgiure.giustizia.it). Ce dernier site Internet est largement utilisé par tous les praticiens du droit en Italie, fonctionnaires, avocats, procureurs et juges. »

C. La procédure objet de la présente requête

16. À la suite de l’arrêt de la Cour concluant à la violation de la Convention, le requérant introduisit le 19 février 2008 une demande devant la cour d’appel de Venise afin d’obtenir une décision déclarant sa condamnation non exécutoire au titre de l’article 670 du CPP. Il alléguait que son intérêt à agir persistait en dépit du fait qu’il avait entièrement purgé sa peine. En effet, selon le requérant, la condamnation avait d’autres conséquences (en particulier les interdictions et l’inscription au casier judiciaire). Le requérant demandait l’annulation de sa condamnation et, subsidiairement, l’annulation de la partie concernant les faits de corruption.

17. Dans un avis du 22 mai 2008, le ministère public estimait que la déclaration selon laquelle la condamnation n’était pas exécutoire serait suffisante pour que l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme fût respecté.

18. La cour d’appel de Venise ne partagea pas l’avis du ministère public. Le 4 juin 2008, après avoir reconnu l’intérêt à agir du requérant et déclaré la condamnation non exécutoire (pour la partie relative aux faits de corruption), elle estima que cela n’était pas suffisant, au motif qu’une telle déclaration n’entacherait pas l’arrêt de condamnation en tant que tel et qu’il fallait un remède pleinement restitutoire, à savoir une décision déclarant l’infraction de corruption prescrite.

Selon la cour d’appel, la Cour de cassation devait dès lors être à nouveau saisie du dossier afin de déterminer la manière de se conformer à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent, la cour d’appel transmit le dossier à la Cour de cassation.

19. Le requérant déposa un recours en cassation. Il y posait la question de savoir quelles étaient les limites et les particularités de la procédure qui s’en suivrait. Selon lui, si la Cour de cassation requalifiait une nouvelle fois les faits en corruption dans des actes judiciaires, elle s’exposerait à un deuxième constat de violation de la part de la Cour européenne des droits de l’homme. Le requérant exposait que seuls les deux scénarios suivants étaient plausibles : soit les juges remettaient complètement en cause la res judicata et ils annulaient entièrement la condamnation, dès lors que celle-ci aurait été prononcée à l’issue d’une procédure jugée inéquitable ; soit ils déclaraient l’infraction de corruption simple prescrite et ils recalculaient la peine en conséquence. Par conséquent, le requérant demandait à la Cour de cassation d’annuler sans renvoi sa condamnation pour corruption ou, à défaut, de déclarer les faits prescrits.

20. Le 12 novembre 2008, une audience eut lieu devant la Cour de cassation. Il ressort du dossier que le procureur général a demandé la révocation de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2004 et la cassation sans renvoi de l’arrêt de la cour d’appel de Venise du 12 juin 2002 au motif que l’infraction de corruption était prescrite.

21. Par un arrêt du 12 novembre 2008, la Cour de cassation estima que le cas d’espèce était différent de celui où l’accusé avait été jugé par contumace et qu’il n’était dès lors pas nécessaire de rouvrir la procédure sur le fond. Elle considéra qu’il suffisait de corriger l’erreur procédurale en donnant à l’accusé la possibilité de débattre (interloquire) à propos de la requalification des faits de corruption. Notant que le problème constaté par la Cour européenne était la violation du droit à être informé de la nature et des raisons de l’accusation et la violation du droit à disposer du temps et des facilités nécessaires pour sa défense, elle indiqua que l’on pouvait y remédier en appliquant par analogie l’article 625 bis du CPP prévoyant la correction des erreurs matérielles. En conclusion, la Cour de cassation décida de révoquer la partie de la res judicata subséquente à la violation des droits de la défense, à savoir la partie portant sur les faits qualifiés de corruption dans des actes judiciaires au sens de l’article 319 ter du CP. Elle décida qu’elle procéderait à un nouvel examen (trattazione) du pourvoi en cassation introduit par le requérant contre l’arrêt de la cour d’appel rendu en 2002, en relation notamment avec la question de la qualification juridique des faits.

22. Dans un mémoire daté du 10 mars 2009, le requérant exprimait ses doutes quant à la portée de cette décision, se demandant si la res judicata avait été remise en question ou non. Il indiquait qu’il n’y avait pas eu de contestation formelle de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires et que l’on ignorait sur quoi porterait l’audience fixée par la Cour de cassation. Selon le requérant, en effet, le ministère public ou la Cour de cassation elle-même pouvaient décider de ne plus se poser la question de la requalification des faits. Le requérant précisait que la Cour de cassation pouvait annuler toute la condamnation litigieuse au motif qu’elle avait été rendue à l’issue d’une procédure inéquitable. Il estimait en revanche que, dans le cas où la Cour de cassation jugerait que la res judicata n’était pas à remettre en question, les juges auraient alors comme seule issue de déclarer prescrite l’infraction de corruption simple, celle-ci étant la seule infraction qui lui aurait été formellement reprochée au moment de la saisine, en 2002, de la Cour de cassation. Enfin, il considérait que, dans l’hypothèse où la Cour de cassation déciderait tout de même de requalifier les faits en corruption dans des actes judiciaires, elle devrait constater que cette infraction était également prescrite. En conclusion, le requérant demandait la cassation sans renvoi de l’arrêt de condamnation rendu par la cour d’appel en 2002 en raison de la prescription.

23. Le 6 mai 2009, le requérant déposa un deuxième mémoire dans lequel il ajoutait des précisions concernant le critère de calcul du délai de prescription relatif au délit de corruption dans des actes judiciaires.

24. Lors de l’audience devant la Cour de cassation du 31 mars 2009, les défenseurs du requérant demandèrent le report de l’audience en raison d’une grève des avocats. L’audience fut reportée au 25 mai 2009.

25. Lors de l’audience du 25 mai 2009, la Cour de cassation rappela aux défenseurs du requérant qu’il était possible de requalifier les faits de corruption pour lesquels l’intéressé avait été jugé coupable en faits de corruption dans des actes judiciaires. Les avocats du requérant répliquèrent qu’il était nécessaire de notifier personnellement à l’accusé ce nouveau chef d’accusation en lui donnant un délai pour préparer sa défense, et ils demandèrent un report d’audience. À titre subsidiaire, ils soutinrent que l’article 319 ter du CP n’était pas applicable aux faits de l’espèce.

26. La Cour de cassation rejeta la demande de report d’audience aux motifs que, d’après l’article 614 du CPP, l’accusé n’avait pas de titre lui permettant de participer à la procédure en cassation, que la possibilité de requalifier les faits de corruption en corruption dans des actes judiciaires avait été clairement indiquée dans son arrêt du 12 novembre 2008 et que la convocation des défenseurs à l’audience avait permis à l’accusé de disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense.

27. Par un arrêt du 25 mai 2009, déposé au greffe le 18 septembre 2009, la Cour de cassation rappela que le requérant, par le biais de ses avocats, avait été informé de la requalification des faits par sa décision du 12 novembre 2008, qui avait annoncé un nouvel examen du pourvoi en cassation. Elle ajouta que l’intéressé avait en outre disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense. Elle estima par conséquent que la situation avait été mise en conformité avec l’arrêt de violation rendu par la Cour européenne des droits de l’homme.

28. La Cour de cassation considéra que les faits avaient été correctement et logiquement établis par la cour d’appel et elle les qualifia de corruption dans des actes judiciaires. Elle estima que l’infraction n’était pas encore prescrite, dans la mesure où le délai normal de prescription avait été suspendu entre juillet 2000 et juillet 2001 en raison de la saisine de la Cour constitutionnelle par la cour d’appel. Par ailleurs, elle jugea les éléments de l’infraction constitués. En conclusion, elle rejeta le recours du requérant et condamna celui-ci au paiement des frais de procédure.

D. Le recours en révision formé par le requérant

29. Le 29 juillet 2011, le requérant introduisit un recours en révision de l’arrêt de la cour d’appel du 12 juin 2002 sur le fondement de l’article 630 du CPP, tel que modifié par l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 113 de 2011 (paragraphes 6 et 35 ci-dessous).

30. Par un arrêt du 18 janvier 2012, la cour d’appel de Trente déclara irrecevable la demande du requérant, affirmant que la procédure de réouverture menée devant la Cour de cassation avait satisfait aux exigences du débat contradictoire et qu’elle avait garanti les droits à la défense du requérant, et que, par conséquent, elle avait respecté les indications données par la Cour européenne dans son arrêt Drassich c. Italie (précité).

31. Le 15 mai 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant et confirma l’arrêt de la cour d’appel. Concernant l’argument du requérant selon lequel l’application par analogie de l’article 625 bis ne lui avait pas permis de réadapter sa stratégie de défense et de solliciter le cas échéant de nouvelles preuves, la Cour de cassation releva que le requérant n’avait pas soulevé cette question en cassation à la suite de la révocation partielle de sa condamnation. Par ailleurs, elle observa que la procédure entamée devant elle aurait pu se terminer par un renvoi devant la cour d’appel s’il s’était révélé nécessaire de rouvrir l’instruction aux fins d’obtenir les nouvelles preuves demandées par le requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code pénal

32. L’article 319 du CP se lit ainsi :

« Corruption pour des actes contraires aux devoirs publics. Le fonctionnaire public qui, pour omettre ou retarder (...) un acte entrant dans l’exercice de ses fonctions, ou pour accomplir un acte contraire à ses devoirs publics, reçoit de l’argent ou d’autres bénéfices ou accepte la promesse d’en recevoir est puni d’une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement. »

L’article 319 bis du CP prévoit les circonstances aggravantes du délit ci-dessus :

« Circonstances aggravantes. La peine est augmentée si l’infraction prévue par l’article 319 concerne l’attribution d’emplois publics, de pensions ou de salaires ou la conclusion de contrats avec l’administration publique dont le fonctionnaire fait partie. »

L’article 319 ter du CP dispose :

« Corruption dans des actes judiciaires. Si les faits prévus par l’article (...) 319 sont commis dans le but de favoriser l’une des parties d’un procès civil, pénal ou administratif ou de lui nuire, l’infraction est punie d’une peine de trois à huit ans d’emprisonnement.

(...) si de l’infraction découle la condamnation injuste d’un tiers à une peine de réclusion supérieure à cinq ans ou à la perpétuité, le délit est puni d’une peine de six ans à vingt ans de réclusion. »

B. Le code de procédure pénale

33. L’article 521 §§ 1 et 2 du CPP dispose :

« 1. Dans son jugement, le juge peut donner aux faits une qualification juridique différente de celle qui a été retenue dans le chef d’accusation à condition que l’infraction relève de son champ de compétence.

2. Le juge ordonne (...) la transmission du dossier au parquet s’il s’aperçoit que le fait est différent de celui qui a été décrit dans l’ordonnance de renvoi en jugement (...) »

L’article 522 § 1 du CPP se lit comme suit :

« Le non-respect des dispositions prévues dans la présente section est un motif de nullité. »

C. La jurisprudence de la Cour de cassation

34. Dans son arrêt no 45275 du 16 novembre 2001, la Cour de cassation a indiqué ce qui suit :

« Le délit de corruption dans des actes judiciaires, prévu à l’article 319 ter [du CP], représente une infraction autonome et non pas une circonstance aggravante des délits de corruption prévus aux articles 318 et 319 [du CP]. En effet, outre le nomen juris différent du délit et le fait que le second paragraphe de l’article prévoit des circonstances aggravantes, cette infraction comporte l’élément intentionnel spécifique de favoriser une partie du procès ou de nuire à celle-ci. »

D. La révision du procès

35. L’article 630 du CPP prévoit les cas dans lesquels une personne condamnée peut demander la révision du procès. À l’époque de l’arrêt rendu par la Cour dans la requête no 25575/04, il n’était pas possible de demander la révision du procès sur la base d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ayant conclu à la violation de la Convention.

Par l’arrêt no 113 du 7 avril 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré l’article 630 du CPP inconstitutionnel dans la mesure où il ne prévoyait pas la possibilité de demander la révision de la condamnation en vue d’obtenir la réouverture du procès lorsque cela était nécessaire, aux termes de l’article 46 de la Convention, pour se conformer à un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme. Par l’effet de cet arrêt (effetto additivo), l’article 630 du CPP a été modifié : il est désormais possible d’introduire une demande en révision du procès en s’appuyant sur un arrêt de la Cour ayant conclu au défaut d’équité de la procédure.

III. LA RECOMMANDATION No R (2000) 2 DU COMITÉ DES MINISTRES

36. Le 19 janvier 2000, lors de la 694e réunion des Délégués des Ministres, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation no R (2000) 2 sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. La description des parties pertinentes de ladite Recommandation est contenue dans l’arrêt Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) ([GC], no 19867/12, §§ 32-33, CEDH 2017.

EN DROIT

SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 a) ET b) DE LA CONVENTION

37. Le requérant allègue tout d’abord que les juridictions nationales ne se sont pas conformées aux indications ressortant de l’arrêt Drassich c. Italie (no 25575/04, 11 décembre 2007), et qu’elles ont violé à nouveau l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) »

38. Il se plaint ensuite de ne pas avoir pu comparaître personnellement devant la Cour de cassation.

A. Sur la recevabilité

39. Le Gouvernement est convaincu que la question de savoir si l’application par analogie de l’article 625 bis du CPP a constitué une mesure suffisante d’exécution de l’arrêt du 11 décembre 2007 sur le plan individuel est du ressort du Comité des Ministres en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention.

40. À cet égard, il estime que la présente affaire est similaire à l’affaire Öcalan c. Turquie ((déc.), no 5980/07, 6 juillet 2010), arguant que le Comité des Ministres, par l’adoption de la Résolution ResDH(2009)87 du 29 septembre 2009, a mis fin à sa surveillance de l’exécution de l’arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, que, après avoir pris en compte les éléments du dossier, il a conclu que l’État italien s’était acquitté des obligations lui incombant en vertu de l’article 46 de la Convention et qu’il a décidé de clore l’examen de l’affaire.

41. Le Gouvernement est d’avis que la Cour ne saurait examiner la présente affaire sans empiéter sur les compétences du Comité des Ministres tirées de l’article 46 de la Convention.

42. Le requérant précise que la présente requête ne porte pas sur les modalités de l’exécution de l’arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, mais qu’elle vise à mettre en cause l’équité de la nouvelle procédure pénale ouverte à la suite dudit arrêt.

43. La Cour a récemment examiné la question de sa compétence eu égard aux prérogatives de l’État défendeur et du Comité des Ministres dans l’arrêt Moreira Ferreira c. Portugal (no 2), précité, §§ 47-51. Se référant à sa jurisprudence en la matière, elle a ainsi résumé les principes généraux :

« 47. La Cour rappelle que, dans les arrêts Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, CEDH 2015, et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, CEDH 2009, ainsi que dans la décision Egmez c. Chypre ((déc.), no 12214/07, §§ 48-56, 18 septembre 2012, elle a examiné la question de la compétence de la Cour eu égard aux prérogatives de l’État défendeur et du Comité des Ministres découlant de l’article 46 de la Convention. Les principes posés par la Cour dans ces arrêts et cette décision peuvent se résumer comme suit :

a) Un constat de violation dans ses arrêts est essentiellement déclaratoire et, par l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 61).

b) Le rôle du Comité des Ministres dans ce domaine ne signifie pas pour autant que les mesures prises par un État défendeur en vue de remédier à la violation constatée par la Cour ne puissent pas soulever un problème nouveau, non tranché par l’arrêt et, dès lors, faire l’objet d’une nouvelle requête dont la Cour pourrait avoir à connaître. En d’autres termes, la Cour peut accueillir un grief selon lequel la réouverture d’une procédure au niveau interne, en vue d’exécuter l’un de ses arrêts, a donné lieu à une nouvelle violation de la Convention (ibid., § 62, Bochan (no 2), précité, § 33, et Egmez, décision précitée, § 51).

c) Sur ce fondement, la Cour s’est dite compétente pour connaître de griefs formulés dans un certain nombre d’affaires faisant suite à des arrêts rendus par elle, par exemple lorsque les autorités internes avaient procédé à un réexamen du dossier dans le cadre de l’exécution de l’un de ses arrêts, que ce soit par la réouverture de l’instance ou par la conduite d’un tout nouveau procès (Egmez, décision précitée, § 52, et les références citées).

d) Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le constat de l’existence d’un « problème nouveau » dépend dans une large mesure des circonstances particulières de l’affaire et que la distinction n’est pas toujours nette (Bochan (no 2), précité, § 34 et, pour l’examen de cette jurisprudence, décision Egmez précitée, § 54). Il n’y a pas empiétement sur les compétences que le Comité des Ministres tire de l’article 46 – surveiller l’exécution des arrêts de la Cour et apprécier la mise en œuvre des mesures prises par les États au titre de cet article – là où la Cour connaît de faits nouveaux dans le cadre d’une nouvelle requête (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 67).

48. La Cour rappelle qu’elle n’a pas compétence pour ordonner, en particulier, la réouverture d’une procédure (ibid., § 89). Toutefois, ainsi qu’il ressort de la recommandation no R (2000) 2 du Comité des Ministres, il se dégage de la pratique relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture des procédures se révèle être le moyen le plus efficace, voire le seul, de réaliser la restitutio in integrum, à savoir le rétablissement de la partie lésée, dans la mesure du possible, dans la situation où elle se trouvait avant la violation de la Convention. Parmi les affaires concernées par des constats de violation formulés par la Cour, celles qui nécessitent particulièrement le réexamen ou la réouverture concernent, d’après l’exposé des motifs de la recommandation, le domaine du droit pénal (paragraphes 32 et 33 ci-dessus).

49. Ainsi, s’agissant de la réouverture d’une procédure, il est clair que la Cour n’a pas compétence pour ordonner pareille mesure. Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cour peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 89). Ainsi, dans le contexte spécifique des affaires relatives à l’indépendance et à l’impartialité en Turquie des cours de sûreté de l’État, elle a dit qu’en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant par un tribunal indépendant et impartial (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003).

50. Cette approche a été confirmée dans les arrêts Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV), et Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, CEDH 2006‑II). Dans ce dernier arrêt, la Cour a posé les principes généraux (§§ 126 et 127), qui peuvent se résumer comme suit :

a) Lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée, compte dûment tenu de la jurisprudence de la Cour.

b) En particulier, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les modalités et la forme d’un nouveau procès éventuel. L’État défendeur demeure libre de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation de placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour et avec les droits de la défense.

51. Dans des cas exceptionnels, la nature même de la violation constatée n’offre pas de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier et la Cour est conduite à indiquer une seule de ces mesures (voir, par exemple, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 202 et 203, CEDH 2004‑II, et Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 138 et 139, CEDH 2013). En revanche, dans certains arrêts, la Cour a elle-même explicitement exclu la réouverture, après un constat de violation de l’article 6 de la Convention, des procédures closes par des décisions de justice définitives (voir, par exemple, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, no 23614/08, § 66, 30 novembre 2010). »

44. En l’espèce, la Cour note que, à la suite de l’arrêt qu’elle a rendu le 11 décembre 2007, le requérant a saisi la cour d’appel de Venise afin d’obtenir l’annulation de sa condamnation. Celle-ci a renvoyé l’affaire devant la Cour de cassation, laquelle a révoqué l’arrêt de condamnation dans la partie concernant l’infraction de corruption et a décidé qu’un nouvel examen du pourvoi en cassation du requérant s’imposait. Une procédure a ainsi été entamée devant la Cour de cassation, qui s’est terminée le 25 mai 2009 par un nouvel arrêt de condamnation. Le requérant considère que la Cour de cassation a une nouvelle fois enfreint l’article 6 de la Convention dans la mesure où elle n’aurait pas satisfait aux exigences du contradictoire et n’aurait pas garanti son droit à la défense.

45. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que la procédure en cause est nouvelle et qu’elle est postérieure à la procédure pénale objet de son arrêt du 11 décembre 2007, bien qu’elle s’inscrive dans le cadre de l’exécution de celui-ci.

46. De plus, la Cour observe que, par la Résolution ResDH(2009)87 mettant fin à l’examen de la requête no 25575/04, le Comité des Ministres a pris acte de l’ouverture d’une procédure de réexamen de l’affaire du requérant, indiquant que, « dans le cadre de la nouvelle procédure, la Cour de cassation ne manquera pas de prendre en compte les exigences de la Convention en matière de procès équitable ». Ainsi, le Comité des Ministres a estimé que le gouvernement italien s’était acquitté de ses obligations et il a clôturé la procédure de surveillance sans prendre en compte l’arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2009, dont le Gouvernement avait omis de l’informer.

47. L’examen du Comité des Ministres n’a donc pas porté sur la décision judiciaire que le requérant conteste à présent devant la Cour et qui constitue dès lors, sous cet angle également, un élément nouveau, qui ne saurait être soustrait à un contrôle au titre de la Convention.

48. Partant, la Cour estime que l’article 46 de la Convention ne fait pas obstacle à l’examen par elle des griefs nouveaux tirés de l’article 6 de la Convention.

49. Par ailleurs, la Cour observe que cette dernière disposition trouve à s’appliquer à la procédure litigieuse dans la mesure où la Cour de Cassation devait se prononcer de nouveau sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale suite à la réouverture de la procédure (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2), précité, § 60 et Nikitine c. Russie, no 50178/99, § 60 in fine, CEDH 2004‑VIII).

50. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

51. Le requérant allègue que, dans la procédure nationale qui a suivi l’arrêt de violation de la Cour, ses droits de la défense ont été à nouveau violés, en particulier le droit à être informé en temps utile de la nature et des causes de l’accusation portée contre lui ainsi que le droit à une défense effective. À cet égard, il se plaint d’avoir été une nouvelle fois victime d’une requalification des faits in pejus de la part de la Cour de cassation, sans disposer de la possibilité de se défendre devant une juridiction de fond. De plus, il se plaint de ne pas avoir pu participer personnellement à son procès.

52. Concernant son grief relatif au droit à être informé adéquatement de la nature et de la cause de l’accusation, le requérant précise que sa doléance ne porte pas sur l’absence d’information quant à la possibilité que les faits soient requalifiés en corruption dans des actes judiciaires, mais sur les conditions dans lesquelles la requalification a été faite, et sur l’absence du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

53. Il fait observer que, contrairement à ce que le Gouvernement affirmerait, il a demandé à la Cour de cassation l’octroi d’un délai pour préparer sa défense et qu’il a en outre revendiqué son droit de participer aux débats devant la Cour de cassation.

54. Quoi qu’il en soit, le requérant considère qu’on ne peut lui reprocher une éventuelle défaillance dans sa stratégie de défense dans la mesure où il estime avoir été confronté à une procédure atypique et unique, à savoir l’utilisation par analogie de la procédure de correction des erreurs matérielles, dans le cadre de laquelle il aurait essayé de se prévaloir de toutes les prérogatives qui paraissaient disponibles au sens des dispositions de loi pertinentes en l’espèce.

55. À cet égard, il expose que, eu égard aux circonstances, il était impossible de prévoir si la Cour de cassation donnerait aux parties la possibilité de discuter seulement des questions de droit ou si elle ordonnerait le renvoi devant un juge de fond.

56. Le requérant soutient également avoir été le seul justiciable victime de cette situation dans la mesure où, depuis 2011, il serait désormais possible de demander la révision d’une condamnation sur la base d’un arrêt de violation de la Cour, et de bénéficier ainsi d’une procédure menée devant une juridiction de fond et respectueuse des garanties de l’article 6 de la Convention.

57. Le requérant indique en outre que la requalification de l’accusation a comporté une nouvelle appréciation des faits. Or il estime que la réouverture des débats aurait été la seule option respectueuse de son droit à une défense effective, dans la mesure où, selon lui, elle aurait permis de présenter de nouveaux moyens de preuve à l’appui de sa défense. Il est d’avis que la Cour de cassation aurait dû décider d’office le renvoi de la procédure devant la cour d’appel, même en l’absence d’une demande explicite en ce sens.

58. Enfin, le requérant considère que la procédure devant la Cour de cassation a porté atteinte à son droit à un procès équitable également au motif que, malgré ses sollicitations en ce sens, il n’a pas pu être présent à l’audience.

59. Le Gouvernement considère tout d’abord que les doléances du requérant relèvent de la quatrième instance au motif qu’elles ont déjà fait l’objet d’un examen tant au niveau du Comité des Ministres que des juridictions nationales, notamment des juges ayant examiné et rejeté la demande de révision introduite par le requérant en 2011 et ayant considéré comme satisfaisante la procédure litigieuse. Il estime que le requérant ne peut réitérer ses griefs sous l’angle de l’article 6 de la Convention devant la Cour et remettre en cause l’appréciation faite par ces instances.

60. Le Gouvernement indique par ailleurs que le requérant n’a jamais demandé aux autorités nationales la réouverture des débats devant une juridiction de fond, mais qu’il s’est borné à revendiquer l’annulation de sa condamnation et à affirmer que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits. Il est d’avis que, dès lors, la Cour de cassation, en décidant de qualifier les faits en corruption dans des actes judiciaires et en relevant que l’infraction n’était pas encore prescrite, a correctement statué eu égard aux arguments des parties et aux prérogatives qui seraient les siennes.

61. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement estime que tant le requérant que son représentant légal avaient été adéquatement informés par l’arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2008 de la possibilité d’une requalification des faits de corruption, et qu’ils savaient ou auraient dû savoir que l’audience du 25 mai 2009 serait consacrée à la question de la requalification de l’infraction. Selon le Gouvernement, le requérant a bénéficié de tout le temps nécessaire, à savoir cinq mois, pour préparer sa défense et présenter ses arguments par le biais de son avocat.

62. Par ailleurs, le Gouvernement estime que l’impossibilité pour le requérant de comparaître personnellement devant la Cour de cassation n’est pas en soi une entrave au droit à un procès équitable dans la mesure où la procédure ne comportait que des points de droit et non de fait. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour en la matière.

63. Le Gouvernement ajoute que le requérant a renoncé à demander la réouverture de son procès et à indiquer de nouveaux moyens de preuve déterminants pour sa défense et devant, par conséquent, être examinés par une juridiction de fond.

64. Il considère que le requérant a été mis dans les conditions d’exercer tous les droits garantis par l’article 6 de la Convention et que les autorités ne peuvent être tenues pour responsables de la manière dont l’intéressé en a fait usage.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la requalification juridique de l’accusation

65. La Cour rappelle que l’équité de la procédure doit s’apprécier à la lumière de la procédure considérée dans son ensemble (voir, par exemple, les arrêts Miailhe c. France (no 2), 26 septembre 1996, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275). Le paragraphe 3 a) de l’article 6 de la Convention montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, l’inculpé est officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre lui. L’article 6 § 3 a) de la Convention reconnaît à l’accusé le droit à être informé non seulement de la cause de l’« accusation », c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999‑II).

66. La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant sur un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure. À cet égard, il convient d’observer que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. La Cour rappelle par ailleurs qu’il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et que le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (ibidem, §§ 52-54).

67. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la question qui se pose est celle de savoir si la procédure pénale ouverte à la suite de l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Drassich c. Italie était conforme aux standards de la Convention et si le requérant a été rejugé dans le respect des garanties d’un procès équitable. En l’occurrence, il s’agit de rechercher tout d’abord si le requérant a été adéquatement informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

68. À ce propos, la Cour observe que la procédure pénale a été rouverte contre le requérant pour permettre à la Cour de cassation, à savoir la juridiction qui avait décidé la requalification judiciaire litigieuse, de se conformer à l’arrêt de violation de la Cour de Strasbourg. Dans ce contexte, par son arrêt du 12 novembre 2008, la haute juridiction italienne a décidé de révoquer la condamnation du requérant dans sa partie relative à l’accusation de corruption dans des actes judiciaires et de procéder à un réexamen du recours en cassation du requérant dans le but de permettre à ce dernier de débattre de la question de la qualification juridique de l’accusation (paragraphe 21 ci-dessus).

69. Le Cour estime que, compte tenu des raisons de la réouverture du procès du requérant et à la lumière des indications contenues dans l’arrêt de la Cour de cassation de 2008, on ne saurait considérer que le requérant n’était pas en mesure de prévoir la requalification des faits qui lui étaient reprochés en corruption dans des actes judiciaires.

70. À cet égard, quant à l’argument du requérant selon lequel seule une notification formelle de l’accusation retenue contre lui aurait été conforme à la Convention, la Cour rappelle une fois encore que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Ainsi, ce qui importe est de savoir si, malgré l’absence d’une notification formelle des charges de corruption dans des actes judiciaires, le requérant a été informé de manière adéquate et en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense.

71. La Cour doit dès lors rechercher si le requérant a eu une chance de préparer adéquatement sa défense et de débattre contradictoirement de l’accusation finalement retenue contre lui. Elle observe à cet égard que, pendant les cinq mois qui ont suivi la révocation partielle de la condamnation et la réouverture du procès, l’intéressé a pu déposer devant la Cour de cassation deux mémoires écrits. En outre, l’avocat du requérant a discuté oralement de l’affaire lors de l’audience du 25 mai 2009.

72. En outre, le requérant n’a pas démontré avoir présenté des arguments qui n’auraient pas été pris en considération par la Cour de cassation, ou que celle-ci s’était fondée sur des éléments de droit ou de fait qui n’auraient pas été débattus pendant le procès.

73. De plus, quant à l’argument du requérant selon lequel le principe du contradictoire n’a pas été respecté au vu de l’impossibilité de débattre de questions de fait devant la Cour de cassation, la Cour relève avec le Gouvernement que le requérant n’a à aucun moment contesté, fût-ce de manière accessoire, la façon dont le tribunal et la cour d’appel avaient établi les faits de l’affaire. Il ne ressort pas non plus du dossier que la défense du requérant ait demandé à un moment ou à un autre la réouverture de l’instruction dans le but d’obtenir de nouvelles preuves à décharge. En revanche, dans ses mémoires, le requérant s’est borné à demander la cassation sans renvoi de sa condamnation en raison, notamment, de la prescription des faits qui lui étaient reprochés. Dans ces conditions, compte tenu des questions à l’examen de la cassation, la Cour ne voit pas pourquoi l’affaire aurait dû être renvoyée d’office devant un juge de fond.

74. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les droits du requérant à être informé dans le détail de la nature et de la cause de l’accusation dirigée contre lui et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense n’ont pas été méconnus (voir Dallos c. Hongrie, no 29082/95, § 52, CEDH 2001‑II, et, a contrario, D.M.T. et D.K.I. c. Bulgarie, no 29476/06, § 84, 24 juillet 2012).

b) Sur l’impossibilité de comparaître devant la Cour de cassation

75. La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste. Toutefois, la manière dont l’article 6 § 1 de la Convention s’applique aux cours d’appel ou de cassation dépend des particularités de la procédure en cause. Il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour de cassation. Ainsi, une procédure ne comportant que des points de droit et non de fait peut satisfaire aux exigences de l’article 6, même si l’appelant ne s’est pas vu offrir la possibilité de comparaître devant la cour d’appel ou la Cour de cassation (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 41, CEDH 2002-VII, De Jorio c. Italie (déc.), no 73936/01, 6 mars 2003, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, §§ 58-67, CEDH 2006‑XII).

76. En l’espèce, la Cour vient de relever que la Cour de cassation s’est consacrée exclusivement à des points de droit et qu’elle ne s’est pas penchée sur des questions de fait, qui auraient nécessité la présence du requérant à l’audience. Il s’ensuit que le droit du requérant à un procès équitable n’a pas été entravé de ce point de vue non plus.

c) Conclusion

77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 février 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident


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