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21/11/2017 | CEDH | N°001-178741

CEDH | CEDH, AFFAIRE FERYADİ ŞAHİN c. TURQUIE, 2017, 001-178741


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE FERYADİ ŞAHİN c. TURQUIE

(Requête no 33279/05)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

21 novembre 2017

DÉFINITIF

21/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Feryadi Şahin c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş, r>Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibé...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE FERYADİ ŞAHİN c. TURQUIE

(Requête no 33279/05)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

21 novembre 2017

DÉFINITIF

21/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Feryadi Şahin c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33279/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Feryadi Şahin (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 13 septembre 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Feryadi Şahin c. Turquie, no 33279/05, § 21, 13 septembre 2011).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une somme en indemnisation du préjudice matériel qu’il estimait avoir subi, ainsi qu’une somme en remboursement des frais et dépens engagés selon lui pour la procédure devant la Cour.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur la question, et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (idem, § 25, et point 3 du dispositif).

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. Par une lettre du 19 mai 2015, le Gouvernement a fourni à la Cour les informations suivantes :

– le 12 juin 2012, le requérant avait formulé auprès du ministre des Finances une demande de transfert du terrain litigieux (lot no 6963, parcelle no 21) à son nom sans contrepartie, en vertu de l’article 7 de la loi no 6292[1] ;

– un rapport préparé le 28 septembre 2012 par le bureau du trésorier général de la préfecture d’Istanbul avait conclu que ledit terrain était l’un des biens devant faire l’objet d’un transfert sans contrepartie en application de la loi susmentionnée ;

– le 1er août 2014, ce rapport, accompagné d’un formulaire contenant une description des caractéristiques du bien, avait été envoyé au ministère des Finances ;

– la procédure devant ce dernier n’avait pas encore abouti.

Les parties n’ont pas informé la Cour de la suite de cette procédure.

7. Il est vraisemblable qu’aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé.

EN DROIT

8. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

I. LES OBSERVATIONS DES PARTIES

A. Dommage matériel

9. Le requérant réclame 232 642 livres turques (TRY) pour préjudice matériel, somme correspondant selon lui à environ 116 321 euros (EUR).

À l’appui de ses prétentions, il verse au dossier un rapport d’expertise du 10 juillet 2010 établi par un ingénieur en construction. Il ressort de ce rapport que plusieurs éléments ont été pris en considération aux fins de la détermination de la valeur du terrain litigieux, notamment la localisation de celui-ci, son accessibilité et les possibilités de construction. La somme demandée correspond à la valeur du terrain (170 760 TRY, soit 85 380 EUR), ainsi qu’à celle d’une construction (49 302 TRY, soit 24 651 EUR), de plusieurs arbres (9 850 TRY, soit 4 925 EUR) et d’un mur (2 730 TRY, soit 1 365 EUR) situés sur le terrain.

10. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, qu’il juge dépourvue de fondement. Il ajoute que, eu égard aux prix actuellement pratiqués dans la région, la demande du requérant est excessive.

Il indique que l’intéressé a acheté le terrain en cause le 24 janvier 1992 pour un montant de 1 000 livres turques (TRL)[2] et que, en 2012, ce montant correspondait à 731,82 TRY (soit environ 310 EUR).

B. Dommage moral

11. Le requérant ne formule aucune demande pour dommage moral.

C. Frais et dépens

12. Le requérant réclame 6 950 EUR en remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés pour la procédure devant la Cour. À l’appui de sa demande, il fournit un décompte établi par son avocat indiquant le nombre d’heures de travail effectuées par ce dernier et le détail des frais exposés (frais de traduction, honoraires d’avocat et frais d’expertise).

13. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, qu’il estime être excessive et dépourvue de fondement.

II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS, ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EN LA MATIÈRE

14. Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce, et de sa jurisprudence en matière de satisfaction équitable dans des affaires relatives à des biens situés dans le domaine forestier, la Cour renvoie à son arrêt Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable) (no 9580/03, §§ 17-19, 7 février 2017).

III. LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT INTERNE

15. Les développements récents en droit interne figurent également dans l’arrêt Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable) (précité, §§ 20-25).

IV. LA DEMANDE DU GOUVERNEMENT

16. Par une lettre du 22 avril 2016, le Gouvernement a demandé à la Cour de déclarer la présente requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention eu égard aux modifications apportées en droit interne – notamment par le décret ministériel du 25 janvier 2016 – aux compétences de la commission d’indemnisation instituée par la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour. Il s’est exprimé comme suit à ce sujet :

« La Cour, dans son arrêt pilote Ümmihan Kaplan c. Turquie, avait constaté qu’il existait en Turquie un problème tant structurel que systémique en ce qui concerne l’exigence relative au délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Ümmihan Kaplan c. Turquie, §§ 48 et 49, 20 mars 2012).

Consécutivement à l’arrêt pilote, une Commission d’Indemnisation a été instaurée avec pour objectif de résoudre certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme par l’octroi d’[une] indemnité (loi no 6384). Cette loi a créé une nouvelle voie de recours pour les allégations de durée excessive de la procédure. La Cour, dans sa décision du 26 mars 2013 concernant la requête no 4860/09 de Müdür Turgut et autres c. Turquie et sa décision du 4 juin 2013 concernant la requête no 56125/10 de Demiroğlu et autres c. Turquie, a conclu à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que la nouvelle voie de recours était une voie de recours effective et accessible et offrait aux requérants des perspectives raisonnables de redressement de leurs griefs concernant la durée excessive de la procédure au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour a également noté que la loi no 6384 était applicable à toutes les requêtes pendantes devant elle, soumises avant le 23 septembre 2012 et non encore communiquées au Gouvernement. De même, dans ses décisions telles que Müge Sargın (20236/06), Mahmut Bacak et 44 autres requêtes (18904/09), la Cour a indiqué que la loi no 6384 était applicable [aux] requêtes communiquées au Gouvernement ainsi qu’aux requêtes déclarées irrecevables en raison de l’existence de la Commission en tant que nouveau recours interne.

Comme la Cour a conclu que la Commission constituait un recours accessible en Turquie, le Gouvernement a entamé un processus d’élargissement de la compétence de la Commission d’indemnisation en vertu de la loi no 6384. La compétence de la Commission a été élargie par un décret ministériel du 10 février 2014 (J.O. du 16 mars 2014). Ensuite, elle a été élargie par le décret ministériel du 25 janvier 2016 no 206/8509 (J.O. du 9 mars 2016). Dorénavant, la Commission d’indemnisation est compétente, entre autre[s], pour conna[î]tre des affaires concernant les zones forestières. En effet, selon l’article 4 a), la Commission d’Indemnisation est compétente pour conna[î]tre des requêtes introduites en alléguant une violation du droit de propriété en raison de l’annulation du titre de propriété en application de l’article 2/B de la loi no 6831 du 31 août 1956 ou de la constatation lors des travaux du cadastre que le bien en question se trouvait dans le domaine forestier.

Par conséquent, les requérants ont à leur disposition une nouvelle voie de recours interne. Ils peuvent dorénavant s’adresser à la Commission d’indemnisation pour demander réparation. »

V. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Dommage matériel

17. En ce qui concerne la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, la Cour note d’emblée que la requête a déjà été déclarée recevable dans son arrêt au principal du 13 septembre 2011 (point 1 du dispositif).

18. Ensuite, la Cour rappelle avoir indiqué à maintes reprises que, en règle générale, l’exigence d’épuiser les voies de recours internes ne s’appliquait pas aux demandes de satisfaction équitable présentées devant elle en vertu de l’article 41 de la Convention. En effet, si, après avoir épuisé, sans succès, les voies de recours internes préalablement à la saisine de la Cour, les requérants étaient tenus d’épuiser d’autres voies de droit afin d’obtenir de celle-ci une satisfaction équitable, la procédure prévue par la Convention se révélerait peu compatible avec une protection effective des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir, pour un exemple récent, S.L. et J.L. c. Croatie (satisfaction équitable), no 13712/11, § 17, 6 octobre 2016, et les affaires qui y sont citées). La Cour rejette donc la demande du Gouvernement.

19. Cela étant, la Cour rappelle également avoir décidé, dans l’arrêt Gümrükçüler et autres ((satisfaction équitable), précité), portant sur une question juridique identique à celle posée en l’espèce, la radiation d’une requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention dans la mesure où il était établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existait au niveau national. Dans cet arrêt, elle a en effet relevé que les organes compétents, « qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation (...) ». (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, §§ 28-43).

20. L’examen de la présente affaire ne révèle aucune circonstance particulière pouvant conduire à une conclusion différente. Aussi, dans ces conditions, et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, la Cour estime-t-elle qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

21. La Cour est en outre d’avis que, en l’espèce, il n’existe pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine de la Convention).

22. La Cour précise que, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de la compétence que lui reconnaît l’article 37 § 2 de la Convention pour décider la réinscription d’une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, § 42).

23. En conséquence, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention concernant la demande d’indemnisation du dommage matériel causé selon le requérant par la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

B. Frais et dépens

24. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant la somme de 1 500 EUR.

C. Intérêts moratoires

25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Rejette la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable ;

2. Décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention concernant la demande d’indemnisation du dommage matériel causé selon le requérant par la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), pour frais et dépens, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, cette somme étant à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

* * *

[1]. Le 18 avril 2012, la loi n° 6292 a été adoptée par l’Assemblée nationale (elle a été publiée au Journal officiel le 26 avril 2012 et est entrée en vigueur le même jour). L’article 7 § 1 a) de cette loi prévoit la restitution de leurs terrains aux propriétaires dont les titres de propriété sur lesdits terrains ont été annulés en application de l’article 2 B de la loi n° 6831 sur les forêts (Arıoğlu et autres c. Turquie (déc.), no 11166/05, § 17, 6 novembre 2012).

[2]. Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-178741
Date de la décision : 21/11/2017
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Radiation du rôle (Article 37-1-c - Poursuite de l'examen non justifiée)

Parties
Demandeurs : FERYADİ ŞAHİN
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CAVUS L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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