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09/11/2017 | CEDH | N°001-178375

CEDH | CEDH, AFFAIRE FIRAT c. GRÈCE, 2017, 001-178375


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE FIRAT c. GRÈCE

(Requête no 46005/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 novembre 2017

DÉFINITIF

09/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Fırat c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyuny

an,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 octobre 2017,

Ren...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE FIRAT c. GRÈCE

(Requête no 46005/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 novembre 2017

DÉFINITIF

09/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fırat c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46005/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant turc, M. Celal Fırat (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me C. Lambakis, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, conseiller au Conseil juridique de l’État, et Mme K. Karavassili, auditrice au Conseil juridique de l’État. Le gouvernement turc n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

3. Le requérant alléguait en particulier une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (durée de la procédure) et une violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

4. Le 14 octobre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1980 et à la date de l’introduction de sa requête il était détenu à la prison de Thessalonique.

6. Accusé d’avoir transporté de manière illégale des migrants irréguliers sur le territoire grec et d’avoir provoqué un naufrage qui aurait pu être fatal à ces derniers, il fut arrêté le 22 mars 2008. Après avoir présenté sa défense devant le juge d’instruction du tribunal correctionnel de l’île de Samos, le 24 mars 2008, il fut placé en détention provisoire.

7. Par un arrêt du 15 octobre 2008, la cour d’appel d’Égée, siégeant en une formation composée de trois membres et statuant comme juridiction de première instance, condamna le requérant à une peine de réclusion de dix ans et six mois. Elle précisa en outre que, si l’intéressé introduisait un appel, ce recours n’aurait pas d’effet suspensif.

8. Le 20 octobre 2008, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel d’Égée, siégeant en une formation composée de cinq juges. L’audience, initialement fixée au 4 novembre 2010, fut ajournée au 9 février 2012 en raison de la tenue des élections municipales. À cette dernière date, elle fut à nouveau reportée en raison de l’impossibilité de transférer au tribunal un coaccusé du requérant, en raison d’une grève du personnel pénitentiaire. À l’issue de l’audience, qui eut lieu le 7 juin 2012, la cour d’appel prononça une peine de réclusion de sept ans et deux mois à l’encontre du requérant. Elle déduisit de cette peine la période de six mois et vingt-trois jours pendant laquelle l’intéressé avait été détenu provisoirement.

9. Le 13 juin 2012, le directeur de la prison de Thessalonique saisit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique d’une demande de mise en liberté sous condition du requérant.

10. Par une décision no 715/2012 du 5 juillet 2012, la chambre d’accusation ordonna la mise en liberté sous condition du requérant en application de l’article 105 du code pénal (CP). Elle se prononça ainsi :

« Il ressort des pièces du dossier que le [plaignant] a été condamné le 7 juin 2012 par la cour d’appel d’Égée à une peine de réclusion de sept ans et deux mois et qu’il avait purgé, à la date du 13 juin 2012, une peine de quatre ans, deux mois et vingt et un jours, soit une peine supérieure à un tiers de la peine prononcée. Eu égard au fait qu’il avait travaillé pendant cinq cent quatre-vingt-sept jours [dans la prison], le condamné avait purgé, au 13 juin 2012, une peine de cinq ans, neuf mois et trente et un jours et avait, par conséquent, purgé les trois cinquièmes de sa peine. Le restant de sa peine au 13 juin 2012 s’élevait à un an, trois mois et vingt-neuf jours. »

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

11. Dans sa partie pertinente en l’espèce, l’article 105 du CP prévoit ce qui suit :

« 1. Ceux qui ont été condamnés à une peine privative de liberté peuvent être mis en liberté, sous condition de révocation, conformément aux dispositions suivantes, lorsqu’ils ont purgé :

(...)

b) en cas de réclusion, les trois cinquièmes de leur peine.

(...)

6. Aux fins de la mise en liberté sous condition, est considérée comme peine purgée [la peine] qui a été calculée de manière favorable au détenu conformément aux dispositions pertinentes. En ce qui concerne les peines de réclusion, le condamné ne peut pas bénéficier de la mise en liberté sous condition s’il n’a pas effectivement purgé dans un établissement pénitentiaire une période égale à un tiers de la peine qui lui a été imposée (...) »

12. Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale (CPP) disposent ce qui suit :

Article 470
Interdiction d’aggraver la situation de l’accusé

« Lorsque celui qui a été condamné (...) exerce une voie de recours contre la décision de condamnation, sa situation ne peut pas empirer et les bénéfices qui lui ont été accordés avec la décision attaquée ne peuvent pas être remis en cause (...) »

Article 497
Effet suspensif de l’appel

« 7. Lorsque l’accusé a été condamné par une décision du tribunal de première instance à une peine privative de liberté et a introduit un appel qui n’a pas d’effet suspensif, [lui] ou le procureur peuvent demander la suspension de l’exécution de la décision de première instance jusqu’à ce que la cour d’appel se prononce. (...)

8. L’effet suspensif de l’appel n’est pas accordé et la demande de suspension de l’exécution de la décision de première instance est rejetée lorsqu’il est jugé de manière motivée que les mesures restrictives ne sont pas suffisantes et que l’accusé n’a pas de résidence connue et stable dans le pays (...), lorsque, de la combinaison de ces éléments, il ressort qu’il y a un risque de fuite ou que l’accusé (...), s’il est mis en liberté (...), risque de commettre de nouvelles infractions. (...) »

13. L’article 46 du code pénitentiaire est ainsi libellé :

« 1. Les détenus qui fournissent un travail de quelque nature que ce soit (...) peuvent bénéficier d’un calcul avantageux de la durée de leur peine après proposition du Conseil du travail des détenus et décision du magistrat compétent. (...)

2. Un décret présidentiel (...) fixe les modalités du calcul avantageux de la durée de la peine pour les condamnés et les prévenus, dont le plafond ne peut pas dépasser deux jours de peine effectivement purgés pour chaque jour de travail (...) »

14. La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Cette loi introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. L’article 3 § 1 de cette loi dispose ce qui suit :

« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

15. Le requérant allègue que la durée de la procédure suivie devant la juridiction d’appel a méconnu le principe du « délai raisonnable » et qu’il n’existe aucun recours effectif en droit interne lui permettant de se plaindre de ce grief. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ainsi libellés :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

16. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur la période à prendre en considération

17. La Cour note que la période à considérer a débuté le 22 mars 2008, avec l’arrestation du requérant, et qu’elle s’est terminée le 7 juin 2012, date à laquelle la cour d’appel d’Égée siégeant en une formation composée de cinq juges et statuant en tant que juridiction d’appel a rendu sa décision. Cette période a donc duré un peu plus de quatre ans pour deux instances.

2. Sur le caractère raisonnable de la durée de la procédure

18. Le requérant affirme que la durée de la procédure dans son cas a été excessive. À l’appui de cette allégation, il indique que sept mois seulement se sont écoulés entre son arrestation et la décision de première instance, ce qui selon lui prouve l’absence de complexité de son affaire.

19. Le Gouvernement soutient qu’une période de quatre ans pour deux instances n’est pas déraisonnable, compte tenu de la charge de travail des juridictions pénales et du nombre d’affaires pendantes devant elles. Il estime en outre que le requérant ne peut invoquer l’article 13 de la Convention puisqu’il n’aurait pas de « grief défendable » au sens de la jurisprudence de la Cour.

20. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Michelioudakis c. Grèce, no 54447/10, 3 avril 2012).

21. La Cour rappelle également que l’article 13 de la Convention garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1 de la Convention, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

22. Elle rappelle aussi avoir traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce – à savoir la durée excessive des procédures pénales en Grèce – et avoir constaté la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention (voir l’arrêt pilote Michelioudakis, précité, et les références citées aux paragraphes 68-70).

23. En l’occurrence, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ni argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Plus particulièrement, la Cour note que, alors que le requérant a introduit son appel le 20 octobre 2008, l’audience d’appel a été fixée au 4 novembre 2010, soit plus de deux ans plus tard, puis qu’elle a été ajournée à deux reprises pour des motifs indépendants de l’attitude de l’intéressé (paragraphe 8 ci-dessus). Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

24. S’agissant de l’article 13 de la Convention, étant donné que la loi no 4239/2014 (paragraphe 14 ci-dessus) n’était pas en vigueur à l’époque des faits, la Cour constate que le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif qui lui aurait permis d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

25. Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

26. Le requérant se plaint que, en raison de la tenue de l’audience d’appel à une date éloignée, il a dû purger une peine d’une durée supérieure à celle que, à ses dires, il aurait dû accomplir compte tenu des dispositions favorables du CP applicables selon lui à son cas. Il allègue une violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

A. Sur la recevabilité

27. Le Gouvernement soutient d’abord que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au motif qu’il n’a pas demandé, sur le fondement de l’article 497 du CPP, la suspension de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel d’Égée du 15 octobre 2008. La nationalité étrangère du requérant et le fait que celui-ci n’avait pas de résidence stable en Grèce n’empêchaient pas l’intéressé de fixer une telle résidence afin de pouvoir bénéficier du sursis à l’exécution de la peine.

28. Le Gouvernement soutient aussi que le requérant n’a pas la qualité de « victime » au motif que la cour d’appel siégeant en une formation composée de cinq juges et statuant comme juridiction d’appel a examiné le bien-fondé de l’appel formé par lui.

29. Le requérant rétorque que la possibilité de demander la suspension de l’exécution de la décision de première instance sur le fondement de l’article 497 du CPP n’a aucun lien avec le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Se prévalant de l’arrêt Allushi c. Grèce (no 3525/04, § 15, 13 juillet 2006), il affirme que ce moyen n’aurait pas eu comme effet d’accélérer la procédure mais de lui éviter d’être détenu dans l’attente de la tenue de l’audience d’appel devant la cour d’appel.

30. En ce qui concerne la première objection, la Cour rappelle que, selon la règle de l’épuisement des voies de recours internes, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009). Un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’utiliser d’autres voies qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH, et Draon c. France (déc.), no 1513/03, CEDH 2006-IX).

31. La Cour relève d’emblée que l’arrêt Allushi (précité) a trait à la durée de la procédure et qu’il ne concerne pas un grief tiré, comme en l’espèce, de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

32. Elle note aussi que, dans son arrêt de première instance, la cour d’appel d’Égée avait expressément déclaré qu’un appel éventuel du requérant n’aurait pas d’effet suspensif. La Cour observe également que l’article 497 § 8 du CPP exclut la possibilité de bénéficier de l’effet suspensif de l’appel lorsque l’intéressé ne peut pas démontrer qu’il a une résidence connue et stable en Grèce. Or, en l’espèce, le requérant, ressortissant turc, était accusé d’être un passeur de migrants irréguliers qui se rendait sur le sol grec depuis le territoire turc, et il n’avait aucun lien ni aucune attache avec la Grèce. Dès lors, la Cour ne saurait suivre le Gouvernement dans son argument selon lequel il aurait été loisible au requérant de se trouver une résidence stable pour la durée de son procès. Dans ces conditions, le recours prévu par l’article 497 du CPP était d’emblée voué à l’échec. Il convient donc de rejeter l’objection dont il s’agit.

33. En ce qui concerne la deuxième objection, la Cour considère qu’elle est étroitement liée à la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Elle la joint donc au fond.

34. Constatant, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

35. Le requérant soutient que la tenue de l’audience d’appel à une date éloignée de l’introduction de celui-ci a eu pour effet son maintien en détention pendant une période plus longue que celle que, à ses dires, il aurait purgée en application de l’article 105 du CP si cette audience avait eu lieu plus tôt. Il indique qu’en comptant aussi les 587 jours de travail (calculés comme jours supplémentaires d’exécution), il avait été détenu jusqu’à la date de l’audience d’appel pendant six ans environ et qu’il s’agit là d’une période beaucoup plus longue que celle correspondant aux trois cinquièmes de la peine imposée en première instance. A la date de l’audience d’appel, il avait alors perdu tout intérêt à la procédure d’appel car il aurait de toute façon été remis en liberté en fonction de la peine purgée sur la base du jugement de première instance. Il ajoute avoir ainsi purgé finalement six septièmes de sa peine. Il précise aussi que, si la cour d’appel avait statué dans un délai raisonnable, il aurait été mis en liberté au moins un an et six mois plus tôt.

36. Le Gouvernement soutient que la présente requête ne soulève aucune question de méconnaissance de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention, au motif que le requérant n’a jamais été privé de son droit d’introduire et de faire examiner son appel contre l’arrêt de la cour d’appel d’Égée du 15 octobre 2008. Il indique que le bien-fondé de l’appel du requérant a été jugé devant la cour d’appel d’Égée, siégeant en une formation composée de cinq juges, à l’audience du 7 juin 2012, soit avant la décision du 5 juillet 2012 de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique ayant ordonné la mise en liberté sous condition de l’intéressé. En outre, le Gouvernement estime que le requérant n’a pas purgé une peine plus longue que celle qu’il aurait dû accomplir et que ses calculs à cet égard sont arbitraires et non fondés. Il indique enfin que la mise en liberté sous condition n’est pas automatique et qu’elle est accordée dans des cas spécifiques.

37. Comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention règle pour l’essentiel des aspects institutionnels, tels que l’accessibilité de la juridiction d’appel ou la portée du contrôle exercé par une telle juridiction (voir, par exemple, Pesti et Frodl c. Autriche (déc.), nos 27618/95 et 27619/95, CEDH 2000-I (extraits), Shvydka c. Ukraine, no 17888/12, § 49, 30 octobre 2014, et Ruslan Yakovenko c. Ukraine, no 5425/11, § 77, 4 juin 2015).

38. En outre, dans le cadre de l’examen des griefs tirés de l’article 13 de la Convention auquel elle a procédé dans l’affaire Messina c. Italie (no 2) (no 25498/94, § 94, CEDH 2000-X), la Cour rappelle avoir dit que le temps nécessaire à l’examen d’un recours pouvait en remettre en cause l’efficacité, sans que cela impliquât pour autant que le simple dépassement d’un délai légal constituât une méconnaissance du droit garanti par cet article.

39. En l’espèce, la Cour note que le requérant, condamné le 15 octobre 2008 à une peine de réclusion de dix ans et six mois par une décision non assortie d’effet suspensif en cas d’appel, a introduit le 20 octobre 2008 un appel, qui a été examiné le 7 juin 2012. À l’issue de l’examen de ce recours, le requérant a vu sa peine de réclusion être réduite à sept ans et deux mois.

40. Le 5 juillet 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique a ordonné, à la suite d’une demande faite en ce sens le 13 juin 2012 par le directeur de la prison, la mise en liberté sous condition du requérant, en application de l’article 105 du CP. Pour ce faire, la chambre d’accusation a relevé que le requérant avait purgé, à la date du 13 juin 2012, une peine de quatre ans, deux mois et vingt et un jours – soit une peine supérieure à un tiers de la peine prononcée – et qu’à la même date il avait aussi purgé, eu égard au fait qu’il avait travaillé pendant cinq cent quatre-vingt-sept jours dans la prison, une peine de cinq ans, neuf mois et trente et un jours – soit les trois cinquièmes de la peine (paragraphe 10 ci-dessus).

41. La Cour rappelle que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Dans l’arrêt Shvydka c. Ukraine, précité, la Cour a conclu à la violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Elle a relevé que l’appel formé par la requérante contre le jugement du tribunal de district n’avait aucun effet suspensif –ce qui avait entrainé une exécution immédiate de la peine, conformément au droit interne – et qu’il n’avait été examiné qu’une fois la peine purgée en intégralité. De même dans l’arrêt Ruslan Yakovenko c. Ukraine (précité, § 82), la Cour a conclu que l’exercice par le requérant de son droit à un double degré de juridiction se serait fait au prix de sa liberté, en particulier étant donné que la durée de sa détention aurait été incertaine.

42. Toutefois, en l’espèce, la Cour estime nécessaire de souligner les points suivants. Le requérant était un ressortissant turc, accusé d’être un passeur de migrants irréguliers, et qu’il n’avait aucune attache avec la Grèce et aucune résidence dans ce pays. C’est la raison pour laquelle la cour d’appel d’Égée, statuant comme juridiction de première instance, a dit que si l’intéressé introduisait un appel, ce recours n’aurait pas d’effet suspensif. En raison de l’introduction par le requérant d’un appel contre le premier arrêt de condamnation et de l’absence d’effet suspensif de cet appel, une décision relative à la mise en liberté sous condition de l’intéressé ne pouvait intervenir qu’après le prononcé de l’arrêt de la juridiction d’appel. Une demande de mise en liberté sous condition ne pouvait être effectuée que sur le seul fondement de l’article 105 du CP, soit en fonction de la durée de la peine purgée.

43. L’audience d’appel, initialement fixée au 4 novembre 2010, a été reportée au 9 février 2012, puis au 7 juin 2012, date à laquelle elle a eu lieu et à laquelle la juridiction d’appel a statué. C’est cette dernière date que la chambre d’accusation a pris en compte le 5 juillet 2012 pour calculer la durée de la détention du requérant aux fins de sa mise en liberté sous condition.

44. La Cour note que même si la cour d’appel d’Égée avait tenu audience et statué à la première date fixée, soit le 4 novembre 2010, les conditions de l’article 105 du CP pour la mise en liberté sous condition du requérant au courant de novembre 2010 ne se trouveraient pas remplies. À cet égard, la Cour relève que compte tenu du fait que le requérant a été mis en détention le 22 mars 2008, le 4 novembre 2010 il aurait purgé deux ans, sept mois et douze jours, ce qui ne correspond pas aux trois cinquièmes de la peine prononcée, comme l’exige l’article 105 § 1 b) du CP. En outre, le requérant ne fournit aucune précision quant au nombre des jours pendant lesquels il avait travaillé jusqu’à cette dernière date et qui pourraient entrer en ligne de compte pour le calcul favorable de la peine purgée (article 105 § 6 du CP). De plus, comme le souligne le Gouvernement, la mise en liberté sous condition n’est pas automatique et n’est accordée que dans des cas spécifiques.

45. Par conséquent, la Cour considère que l’exercice par le requérant de son droit à un double degré de juridiction ne s’est pas fait au prix de sa liberté (voir, a contrario, Shvydka c. Ukraine et Ruslan Yakovenko c. Ukraine, précités).

46. Dès lors, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

48. Au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi, le requérant réclame les sommes suivantes : 10 000 euros (EUR) pour la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, 7 000 EUR pour celle de l’article 13 de la Convention et 15 000 EUR pour celle de l’article 2 du Protocole no 7. Il demande aussi que ces sommes soient directement versées sur le compte bancaire indiqué par son représentant.

49. Le Gouvernement considère que les sommes réclamées sont excessives et non justifiées. Il estime que le constat de violation constitue une satisfaction suffisante.

50. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, la Cour reconnaît que le requérant a subi un préjudice moral que le seul constat de violation ne suffit pas à réparer. Statuant en équité, elle lui accorde la somme de 1 600 EUR.

B. Frais et dépens

51. Le requérant demande également 318,10 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il demande aussi que cette somme soit directement versée sur le compte bancaire indiqué par son conseil.

52. La Cour note que le requérant ne produit aucune facture relative aux frais engagés pour la procédure devant elle. Il convient donc d’écarter cette demande.

C. Intérêts moratoires

53. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 600 EUR (mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente


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