La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/09/2017 | CEDH | N°001-176836

CEDH | CEDH, AFFAIRE PIALOPOULOS ET AUTRES c. GRÈCE (N° 2), 2017, 001-176836


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PIALOPOULOS ET AUTRES c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 40758/09)

ARRÊT

STRASBOURG

7 septembre 2017

DÉFINITIF

07/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Pialopoulos et autres c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal

,
Krzysztof Wojtyczek,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PIALOPOULOS ET AUTRES c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 40758/09)

ARRÊT

STRASBOURG

7 septembre 2017

DÉFINITIF

07/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Pialopoulos et autres c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 juin 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40758/09) dirigée contre la République hellénique et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. Michael Pialopoulos, Aristofanis Alexiou et Nikolaos Georgakopoulos et Mme Aristea Pialopoulou (« les requérants »), ont saisi la Cour le 15 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, les requérants ont été représentés par Mes S. Tsakyrakis et P. Bernitsas, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou et M. I. Bakopoulos, respectivement conseillère et assesseur au Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérants allèguent de violations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1.

4. Le 29 avril 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés en 1951, 1930, 1964 et 1949 respectivement et résident à Athènes.

A. Les faits à l’origine de la présente affaire

6. Les requérants sont propriétaires d’un terrain d’une surface totale de 7 723 m² situé dans le quartier de Neo Psychiko à Athènes. Le 18 février 1987, deux des requérants demandèrent au préfet de l’Attique de l’Est de leur accorder un permis d’y construire un centre commercial de plusieurs étages. Le 1er juin 1987, le préfet prit la décision d’interdire pendant un an la construction de centres commerciaux dépassant une certaine taille.

7. Ce terrain fit l’objet d’une série d’expropriations. La première fut décidée le 1er mars 1988 en vue de la transformation de cette parcelle en « espace vert ». La deuxième intervint le 21 mai 1990 et se fondait sur la modification du plan d’urbanisme de Neo Psychico. La troisième fut prononcée le 19 août 1993. Le 16 novembre 1989, le tribunal de première instance d’Athènes fixa à 732 300 000 drachmes l’indemnité provisoire due à raison de la première expropriation.

8. La première expropriation fut annulée le 8 novembre 1991 par la cour d’appel d’Athènes, au motif qu’aucune indemnité n’avait été versée aux requérants dans le délai de dix-huit mois fixé par la Constitution. Cette expropriation demeura théoriquement en vigueur jusqu’à son annulation par le président de la région de l’Attique, le 2 juillet 2002. La deuxième expropriation ne fut pas annulée. La troisième fut annulée par un arrêt du Conseil d’Etat du 10 juillet 1995.

9. Le 14 février 1997, la préfecture d’Athènes, répondant à une requête du deuxième requérant, l’informa qu’en vertu de la décision du 21 mai 1990, le terrain litigieux ne pouvait être utilisé qu’en vue de la réalisation d’un parc ou d’un parking souterrain de voitures. Le 17 octobre 1997, la préfecture de l’Attique de l’Est rejeta une demande du deuxième requérant tendant à l’obtention d’un permis de construire une aire de stationnement à ciel ouvert. Le même jour, ce dernier déposa une autre demande tendant à la délivrance d’un permis de construire un parking souterrain. Le 4 novembre 1997, la préfecture lui répondit que le parking serait construit par un organisme agréé après la clôture de la procédure d’expropriation.

10. Le 7 mars 1997, les requérants introduisirent une requête devant la Cour. Celle-ci conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, au motif que les requérants avaient été privés de la jouissance de leur propriété, ainsi que de l’article 6 § 1 de la Convention, au motif que les autorités n’avaient pas expressément annulé la première expropriation et avaient donc failli à leur obligation de se conformer à l’arrêt de la cour d’appel du 8 novembre 1991. Par un second arrêt du 27 juin 2002 (satisfaction équitable), la Cour alloua aux requérants 3 850 000 EUR pour dommage matériel et 40 000 EUR pour préjudice moral (Pialopoulos et autres c. Grèce, no 37095/97, 15 février 2001 et Pialopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), no 37095/97, 27 juin 2002).

11. Par une décision du 15 juillet 2002, le président de la région de l’Attique leva la charge qui grevait le terrain des requérants en annulant l’expropriation imposée en 1988 et le déclarant constructible à usage d’habitation seulement. Cette décision ne fit pas l’objet d’un recours administratif ou judiciaire.

B. La procédure relative à l’expropriation ordonnée le 21 mai 1990

12. Le 29 janvier 2004, les requérants invitèrent la préfecture d’Athènes à déclarer nulle l’expropriation du 21 mai 1990, alléguant qu’une longue période de temps s’était écoulée et que, faute d’avoir été accompagnée des plans requis, cette mesure devait être invalidée. Après avoir obtenu l’aval du service juridique de la préfecture et du conseil de la politique d’urbanisme, le préfet décida d’engager la procédure d’annulation. Pour se prononcer ainsi, il avait notamment eu égard au fait que la municipalité de Neo Psychiko de disposait pas des fonds nécessaires pour indemniser les requérants.

13. Le 17 janvier 2005, le préfet d’Athènes adopta une décision (publiée au Journal officiel du même jour) par laquelle il confirmait la levée d’office de l’expropriation faute d’indemnisation, modifiait en même temps le plan de la ville et fixait comme conditions de construction celles prévues pour l’ensemble du pâté des maisons. Il résultait implicitement de cette décision, qui renvoyait aux normes de construction existantes, que le terrain litigieux ne pouvait être utilisé que pour la construction de logements et non d’un centre commercial.

14. Le 25 avril 2005, la municipalité de Neo Psychiko saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de cette décision, sollicitant et obtenant l’octroi de l’effet suspensif à son recours. Les intéressés intervinrent dans la procédure pour demander le maintien de la décision critiquée.

15. Initialement fixée au 4 octobre 2006, l’audience fut reportée au 23 mai 2007, puis au 13 juin 2007, date à laquelle elle eut lieu.

16. Par un arrêt no 289/2009 du 28 janvier 2009 (mis au net le 10 mars 2009), le Conseil d’Etat, sans mettre en cause la levée ipso jure de l’expropriation faute d’indemnisation, jugea que celle-ci ne rendait pas le bien constructible et que, en attendant l’achèvement des modifications du plan d’urbanisme de la ville, la question du statut du bien en cause n’était « pas réglée sur le plan urbanistique ». Il ajouta que l’administration n’était pas tenue de déclarer le terrain constructible et qu’elle devait en premier lieu rechercher s’il y avait des raisons objectives le rendant inconstructible, eu égard notamment aux caractéristiques du terrain et du secteur dans lequel il était situé (secteur à forte densité de population, secteur situé dans une région d’une grande beauté naturelle ou dans une région méritant une protection particulière) ainsi que des besoins urbanistiques du secteur et de l’aménagement du territoire. Il précisa que, une fois cet examen réalisé, il incombait à l’administration de décider si un terrain devait a) être exclu du plan d’urbanisme, b) se voir imposer une nouvelle charge au moyen d’une nouvelle expropriation ou c) être déclaré constructible.

17. Le Conseil d’Etat releva que le terrain litigieux était situé dans un secteur où la construction était très dense et qu’il constituait un des derniers « poumons verts » de la commune. Il observa que la présence de nombreux centres commerciaux et de magasins dans les parages provoquait des problèmes de circulation très aigus. Il estima que, compte tenu de la situation du terrain et de son incidence sur la configuration du secteur, la modification du plan de la ville impliquait une intervention urbanistique ayant d’importantes conséquences sur l’aménagement territorial de la commune et sur la qualité de vie dans le secteur.

18. Il en conclut qu’aucune entité administrative autre que le Président de la République ne pourrait procéder en l’occurrence à la modification du plan d’urbanisme de la ville. Annulant la décision du préfet, il renvoya l’affaire à l’administration en vue du règlement du statut urbanistique du terrain litigieux.

19. Le 13 juillet 2010, les requérants demandèrent à l’administration de mettre en œuvre la procédure requise en vue de l’édiction d’un décret présidentiel.

20. Par une lettre du 16 juillet 2010, la direction de l’urbanisme du ministère de l’Environnement invita la municipalité de Neo Psychiko à lui faire savoir, dans un délai de deux mois, si elle souhaitait toujours transformer le terrain en « espace vert » et, dans l’affirmative, à l’informer de sa capacité à dédommager les requérants. Elle lui précisa que, au cas où elle se trouverait dans l’incapacité de leur allouer une indemnité, elle devrait s’en expliquer et justifier de sa capacité à emprunter.

21. Le décret présidentiel modifiant le plan de la ville et fixant l’usage et les limites à la construction du pâté de maisons incluant le terrain litigieux fut adopté le 5 octobre 2016.

C. Les actions en dommages-intérêts exercées sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil

22. Le 14 juin 2006, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une action en dommages-intérêts fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. Ils réclamaient 1 313 978,39 euros (EUR) en réparation du dommage subi à raison de la perte de l’usage de leur propriété du 1er janvier 2002 au 31 mai 2006, 910 000 EUR au titre du manque à gagner qui résultait de l’impossibilité pour eux de construire une aire de stationnement à ciel ouvert, et 100 000 EUR chacun pour préjudice moral. Par un jugement no 13538/2012 et par un arrêt no 5018/2014, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative respectivement déboutèrent les requérants. Le 24 décembre 2014, ceux-ci se pourvurent en cassation devant le Conseil d’Etat. L’audience, initialement fixée au 7 novembre 2016, fut reportée au 19 juin 2017.

23. Le 15 juillet 2010, les requérants introduisirent devant le tribunal administratif d’Athènes une nouvelle action en dommages-intérêts, fondée sur les mêmes articles, en vue d’obtenir une indemnité de 4 377 238,22 EUR en réparation de préjudices prétendument subis du 1er juin 2006 au 30 juin 2010. Par un jugement no 3211/2012 et par un arrêt no 3436/2014, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative respectivement déboutèrent les requérants. Le 10 novembre 2015, ceux-ci se pourvurent en cassation devant le Conseil d’Etat. L’audience, initialement fixée au 9 janvier 2017, fut reportée au 6 novembre 2017.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

24. Les articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi :

Article 17

« 1. La propriété est sous la protection de l’État, mais les droits qui en dérivent ne peuvent s’exercer au détriment de l’intérêt général.

2. Nul n’est privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dûment prouvée, dans les cas et de la manière prévus par la loi, et toujours moyennant une indemnité préalable et complète, qui doit correspondre à la valeur du bien exproprié au moment de l’audience sur sa fixation provisoire devant le tribunal de l’affaire. Dans le cas d’une demande pour la fixation directe de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du bien au moment de l’audience sur cette fixation devant le tribunal. Si l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, c’est la valeur au moment de l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive qui est prise en compte. La capacité à payer le montant de l’indemnité est spécialement justifiée par le jugement. À condition que le bénéficiaire y consente, l’indemnité peut également être payée en nature, spécialement sous la forme de l’attribution de la possession d’une autre propriété, ou de l’attribution de droits sur une autre propriété.

3. Le changement éventuel de la valeur du bien exproprié, survenu après la publication de l’acte d’expropriation et dû exclusivement à celle-ci, n’est pas pris en compte.

4. L’indemnité est dans tous les cas fixée par les tribunaux compétents. Elle peut être fixée même provisoirement par voie judiciaire, après audition ou citation de l’ayant droit, que le tribunal, à sa discrétion, peut obliger, en vue de l’encaissement de l’indemnité, à fournir un cautionnement correspondant à celle-ci, selon les modalités prévues par la loi. Une loi prévoit l’établissement d’une juridiction unique, nonobstant l’article 94, pour tous les litiges et les affaires d’expropriation, ainsi que pour le traitement des procès les concernant devant les tribunaux comme une question de priorité. La manière dont les procès en instance devant les tribunaux se déroulent, est réglée par la même loi. Jusqu’au paiement de l’indemnité provisoire ou définitive fixée par le tribunal, tous les droits du propriétaire restent intacts et l’occupation de la propriété n’est pas permise. Pour l’exécution de travaux de grande importance pour l’économie du pays, l’exécution des travaux avant la fixation et le paiement de l’indemnité peut être accordée par une décision spéciale du tribunal compétent pour fixer l’indemnité provisoire ou définitive, à condition qu’une partie raisonnable de l’indemnité soit payée et qu’une totale garantie soit prévue en faveur du bénéficiaire de l’indemnité, ainsi qu’il est prévu par la loi. La seconde partie du premier alinéa s’applique également à ces affaires. L’indemnité dont le montant est fixé par le tribunal est, dans tous les cas, payée au plus tard un an et demi après la date de publication de la décision du tribunal sur la fixation provisoire de l’indemnité, et en cas d’une demande pour la fixation de l’indemnité définitive, après la publication de la décision du tribunal, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. L’indemnité, en tant que telle, n’est soumise à aucune imposition, taxe ou retenue.

(...) »

Article 43

« 1. Le président de la République édicte les décrets nécessaires à l’exécution des lois, sans jamais pouvoir suspendre l’application des lois elles-mêmes, ni dispenser quiconque de leur exécution.

2. Sur proposition du ministre compétent est permise l’édiction de décrets réglementaires en vertu d’une délégation législative spéciale et dans les limites de celle-ci. L’habilitation d’autres organes de l’administration à édicter des actes réglementaires est permise pour la réglementation de matières plus particulières ou d’intérêt local ou de caractère technique ou détaillé.

(...) »

25. L’approbation ou la modification des plans d’urbanisme et l’adoption des normes réglementaires régissant les conditions de construction relèvent de la compétence du Président de la République (arrêt du Conseil d’Etat no 963/2007).

26. Par un arrêt no 3908/2007 rendu en formation plénière, le Conseil d’Etat d’État a jugé que la levée d’office d’une expropriation en cas de non versement de l’indemnité d’expropriation dans un délai d’un an et demi à compter de la publication de la décision du tribunal, s’appliquait aussi aux expropriations relatives au tracé du plan d’une ville.

27. Il ressort aussi de la jurisprudence du Conseil d’État que les tracés du plan sont approuvés, modifiés ou étendus conformément à une procédure administrative qui aboutit à l’adoption d’un acte par l’autorité administrative compétente. Compte tenu de l’importance de cet acte et de son incidence sur l’intérêt général et sur les intérêts des propriétaires affectés, le principe de sécurité juridique impose l’adoption d’un nouvel acte au cas où le premier acte a été révoqué ou annulé (arrêt no 4586/2005 du Conseil d’État).

28. Lorsqu’une expropriation est levée d’office en cas de non versement de l’indemnité d’expropriation, l’administration n’a pas l’obligation de rendre automatiquement le terrain constructible. Elle doit d’abord examiner s’il existe des motifs qui font obstacle à la construction. Elle doit, en outre, examiner les caractéristiques du terrain litigieux, les caractéristiques du secteur dans lequel ce terrain est situé ainsi que le cadre réglementaire applicable à ce secteur et les besoins liés à l’urbanisme du secteur, notamment celui de créer des espaces publics. Enfin, elle doit examiner la possibilité de procéder à une nouvelle expropriation et de verser sans tarder une indemnité au propriétaire affecté.

29. La seule publication de la décision qui confirme la levée de l’expropriation n’entraîne pas la constructibilité du terrain. Le terrain reste « non réglé sur le plan urbanistique » et aucun permis de construire ne peut être accordé tant que le processus de modification du plan de la ville n’ait pas été achevé.

B. La loi d’accompagnement du code civil

30. Les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit :

Article 105

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes ou omissions illégaux de ses organes dans le cadre de l’exercice de la puissance publique, à moins que l’acte ou l’omission ne résulte de l’inobservation d’une disposition édictée dans l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

Article 106

« Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi à la responsabilité des collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »

31. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil a introduit la notion d’acte dommageable spécial de droit public et a créé une responsabilité extracontractuelle de l’Etat du fait d’actes ou d’omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes en principe non exécutoires. La recevabilité de l’action en réparation est subordonnée à l’illégalité de l’acte ou de l’omission.

32. Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs, l’administration peut engager sa responsabilité extracontractuelle lorsqu’elle dépasse les limites de son pouvoir discrétionnaire ou méconnaît les principes généraux de la bonne administration (voir, parmi d’autres, cour administrative d’appel d’Athènes, arrêts nos 1605/93 et 1427/1998, Dioikitiki Diki 1994, p. 369 et 1998, p. 963). La responsabilité extracontractuelle de l’administration est également engagée dans le cas où une charge grevant légalement une propriété constitue un obstacle important à la jouissance de celle-ci (Conseil d’Etat, arrêt no 2801/1991, formation plénière, Nomiko Vima 1992, p. 1091).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

33. Les intéressés se disent victimes d’une expropriation de fait. Ils se prévalent des arrêts Zwierzynski c. Pologne (no 34049/96, 19 juin 2001) et Strain c. Roumanie (no 57001/00, 21 juillet 2005), dans lesquels la Cour a conclu qu’il y avait expropriation de fait au motif que les requérants n’avaient pas pu recouvrer l’usage de leurs biens en dépit de la reconnaissance de leur droit de propriété. Ils soulignent que leurs droits sur ce terrain ont été incertains durant 22 ans, que l’Etat leur a imposé trois expropriations successives, dont aucune n’était légale, et qui avaient été invoquées pour leur refuser tout accès à leur propriété. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, aux termes duquel :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Les arguments des parties

34. Invoquant les arrêts Pialopoulos et autres c. Grèce et Pialopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), précités, le Gouvernement souligne que la Cour a admis que les requérants n’ont pas été privés de leur propriété. Il soutient en outre que la Cour a reconnu que l’ingérence litigieuse avait limité le droit des intéressés à l’usage de leur propriété et que cette ingérence visait un but légitime. Il avance par ailleurs que, en leur accordant une satisfaction équitable, elle a remédié au déséquilibre qu’elle avait constaté entre l’intérêt général et la protection des droits des requérants.

35. Selon le Gouvernement, la période pertinente en ce qui concerne la question de savoir si les requérants ont été privés de l’usage de leur propriété ne commence qu’en 2005, année où le préfet a décidé, en fixant les normes de construction, que le terrain litigieux ne pouvait pas être utilisé pour la construction d’un centre commercial. Les mesures prises par les autorités pour la protection de l’environnement et pour l’aménagement urbanistique d’un secteur présentant une densité de construction aussi élevée que celui où se trouve le terrain litigieux échapperaient au contrôle de la Cour. Celui-ci ne pourrait porter que sur la question de savoir si la nouvelle expropriation affectant l’exploitation commerciale du terrain est ou non compensée par une indemnité adéquate. Or il serait prématuré de répondre à cette question car le Conseil d’Etat aurait renvoyé l’affaire à l’administration en annulant la décision rendue par le préfet le 17 janvier 2005. La procédure consécutive à cette décision serait encore pendante, le ministère de l’Environnement ayant demandé à la municipalité de Neo Psychiko d’indemniser les requérants. Enfin, les actions en dommages-intérêts introduites par les intéressés le 14 juin 2006 et le 14 juillet 2010 seraient elles aussi pendantes.

36. Les requérants allèguent que les arguments du Gouvernement ne répondent pas à leur grief tiré de l’impossibilité où ils se trouvent d’user de leur propriété et d’en disposer à leur gré. Ils avancent que la question essentielle qui se pose en l’espèce à la Cour est celle de savoir si l’aliénation sans limite de durée de la propriété d’un individu est compatible avec la Convention. Ils soutiennent que, en l’espèce, il est manifeste que cette aliénation a commencé en 1987, qu’elle dure encore aujourd’hui. Selon les intéressés, le Gouvernement ne répond pas à la thèse selon laquelle ils se trouvent en réalité confrontés à une expropriation de fait ayant de graves répercussions sur leur vies professionnelle, sociale et personnelle. Par ailleurs, en cas de succès de leurs actions en dommages-intérêts introduites sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil, l’allocation d’une indemnité par les tribunaux ne leur permettrait pas d’entrer en possession de leur bien et ne pourrait donc pas remédier à la violation alléguée.

B. Appréciation de la Cour

37. La Cour rappelle avoir déjà constaté à plusieurs reprises qu’un requérant se trouvant dans l’impossibilité d’utiliser ou d’exploiter son bien, et qui se voit ainsi imposer une charge substantielle, peut saisir les tribunaux administratifs d’une action en réparation fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. En effet, la jurisprudence interne reconnaît expressément aux propriétaires lésés par le blocage de leur terrain par l’administration au-delà d’un délai raisonnable le droit de demander une indemnité pour le dommage subi. Lors de l’examen de cette demande, les juridictions saisies procèdent au contrôle de la légalité de l’acte administratif visé. Un requérant ne saurait reprocher devant la Cour aux autorités nationales de ne pas l’avoir indemnisé pour la privation d’usage et d’exploitation de sa propriété pendant une longue période s’il ne leur a pas lui-même offert l’occasion de redresser la situation critiquée (voir parmi d’autres, Roussakis et autres c. Grèce (déc.), no 15945/02, 8 janvier 2004 ; Amalia S.A. et Koulouvatos S.A. c. Grèce (déc.), no 20363/02, 28 octobre 2004 ; Galatalis c. Grèce (déc.), no 36251/03, 12 mai 2005).

38. En l’espèce, la Cour souscrit à la thèse du Gouvernement selon laquelle seule la période postérieure à ses arrêts des 15 février 2001 et 27 juin 2002 précités peut entrer en ligne de compte aux fins de l’examen du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1. Elle rappelle avoir conclu, dans les arrêts en question, que les requérants avaient subi une atteinte à leur droit au respect des biens, tel que garanti par le premier alinéa du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1, et qu’elle leur a accordé une indemnité tant pour le dommage matériel que pour le dommage moral subis jusqu’en 2001.

39. Elle relève que le 14 juin 2006, les requérants ont saisi le tribunal administratif d’une action en dommages-intérêts fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil pour la période allant du 1er janvier 2002 au 31 mai 2006 et qu’ils ont introduit, le 15 juillet 2010, une seconde action sur le même fondement pour la période s’étalant du 1er juin 2006 au 30 juin 2010. Or, ces actions sont encore pendantes (paragraphes 22-23 ci-dessus).

40. Il s’ensuit que le grief formulé par les requérants, pour autant qu’il concerne le préjudice allégué subi par la perte de l’usage de leur propriété depuis 2002, doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

41. Les requérants allèguent que la décision du Conseil d’Etat les a privés d’un recours effectif qui leur aurait permis de demander l’annulation de l’expropriation prononcée par le préfet. En outre, ils allèguent que, après l’arrêt du Conseil d’Etat, la situation risque de durer indéfiniment en l’absence de tout recours pouvant aboutir à l’annulation de l’expropriation. Enfin, ils se plaignent de n’avoir disposé d’aucun recours en vue de contraindre le Président de la République à prendre un décret de nature à débloquer leur situation. Ils y voient une violation de leur droit au titre de l’article 13 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Arguments des parties

42. Le Gouvernement soutient que les requérants disposaient d’un recours effectif afin d’obtenir le rétablissement de la rupture de l’équilibre résultant de la privation alléguée de l’usage de leur propriété, et qu’ils l’ont exercé en introduisant, les 14 juin 2006 et 15 juillet 2010, des actions indemnitaires fondées sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil.

43. Il ajoute que les intéressés disposaient d’autres recours tout aussi effectifs, soulignant que l’arrêt du Conseil d’Etat obligeait l’administration à réglementer le statut de la propriété des requérants en prenant un décret présidentiel, faute de quoi ceux-ci auraient pu introduire une action en annulation pour manquement de l’administration et que, faute pour elle de leur avoir versé une indemnisation ou d’avoir utilisé la propriété expropriée conformément au but pour lequel elle avait été expropriée, les requérants auraient pu saisir les juridictions administratives au cas où l’administration aurait refusé d’annuler l’expropriation prononcée en 1990.

44. En ce qui concerne le recours fondé sur les articles 105 et 106, les requérants soutiennent qu’il n’est pas pertinent en l’espèce car la présente requête concerne un cas d’expropriation de fait résultant de la privation d’accès à leur propriété et de l’usage de celle-ci pendant plus de vingt-deux ans. Or la privation du droit d’un propriétaire d’user légitimement et librement de son bien ne saurait être réparée par une indemnité compensant la perte de jouissance mais ne tenant pas compte de ses souhaits professionnels ou personnels. Dans le cas contraire, il serait loisible à l’Etat de priver indéfiniment un propriétaire de son bien en lui versant seulement une indemnité destiné à compenser la perte de jouissance.

45. Quant au recours en manquement invoqué par le Gouvernement, les requérants soulignent que ledit recours ne peut être exercé devant les juridictions administratives dans les domaines où les autorités bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire, comme en matière d’édiction d’un décret présidentiel dont il est ici question. Ils avancent que l’annulation des actes administratifs relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration, même lorsqu’ils sont illégaux. Enfin, s’agissant du troisième recours mentionné par le Gouvernement, les intéressés soutiennent que la procédure y afférente risque de durer dix ans et que, à supposer même qu’ils obtiennent une décision favorable, leur propriété n’en deviendrait pas pour autant constructible car l’administration pourrait procéder à une nouvelle expropriation.

B. Appréciation de la Cour

46. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudla c. Pologne, [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).

47. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (ibid.)

48. En l’espèce, la Cour note que les intéressés se sont vu imposer trois expropriations successives depuis 1988. Si les arrêts précités rendus par la Cour le 15 février 2001 et le 27 juin 2002 leur ont alloué une indemnité pour le préjudice subi du fait de la première de ces mesures, et si la troisième expropriation a été annulée par le Conseil d’Etat le 10 juillet 1995, la deuxième est demeurée en vigueur du 21 mai 1990 au 17 janvier 2005, date à laquelle le préfet l’a annulée pour défaut d’indemnisation.

49. Or les requérants n’ont pas été indemnisés pour cette expropriation. Si celle-ci a fini par être annulée, il n’en reste pas moins que le bien des intéressés a été immobilisé tant pendant la procédure devant le Conseil d’Etat, qui avait accordé un effet suspensif au recours de la municipalité, que dans l’attente d’une décision de la municipalité quant au sort à réserver à cette propriété.

50. De l’avis de la Cour, pareille pratique pourrait permettre à l’administration grecque de parvenir à confisquer arbitrairement les biens des requérants et ceux d’autres personnes. Celle-ci pourrait en pratique ordonner des expropriations sans indemnisation dans le but de laisser s’enliser une situation à son profit pendant plusieurs années quitte à payer de temps en temps, en cas de condamnation par les tribunaux, des indemnités pour perte de jouissance des biens expropriés.

51. Dans ces conditions, la Cour estime que la présente requête soulève des griefs défendables aux fins de l’article 13 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 pour autant que le grief tiré de ce dernier article concerne l’absence d’un recours effectif pour faire constater la pratique précitée, et que ceux-ci doivent être examinés.

52. En premier lieu, la Cour constate que l’article 17 § 4 de la Constitution énonce qu’une privation de propriété pour cause d’utilité publique dûment prouvée doit dans tous les cas donner lieu au versement d’une indemnité payable au plus tard un an et demi après la date de publication de la décision du tribunal fixant provisoirement le montant de l’indemnité et que, lorsque la demande porte sur la fixation de l’indemnité définitive, le versement doit en être effectué après la publication de la décision du tribunal, faute de quoi l’expropriation est caduque de plein droit.

53. Toutefois, d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat (paragraphe 25 ci-dessus) réaffirmée dans l’arrêt qu’elle a rendu dans la présente affaire (paragraphe 16 ci-dessus), l’annulation d’une expropriation pour défaut de paiement de l’indemnité, qu’elle soit prononcée par voie administrative – comme dans la présente affaire – ou par voie judiciaire, ne suffit pas à elle seule à libérer un terrain des charges le rendant inconstructible. Dans l’arrêt qu’il a rendu le 28 janvier 2009, le Conseil d’Etat a indiqué que la question du statut juridique du bien litigieux n’était « pas réglée sur le plan urbanistique » après l’annulation de l’expropriation et qu’il incombait à l’administration de rechercher si le terrain devait faire l’objet d’une nouvelle expropriation, rester inconstructible ou être déclaré constructible en tenant compte des caractéristiques de celui-ci, des besoins de la collectivité en matière d’aménagement du territoire et de la politique d’urbanisme applicable au secteur dans lequel le terrain était situé.

54. Or la Cour relève que cette situation correspond à celle qui se présente en l’espèce. Le Conseil d’Etat a annulé la décision du préfet portant annulation de l’expropriation prononcée le 21 mai 1990 et a renvoyé l’affaire à l’administration pour que celle-ci règle le statut du terrain sur le plan urbanistique. L’administration a invité la municipalité de Neo Psichiko à lui faire savoir si elle entendait procéder à une nouvelle expropriation.

55. La Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle le terrain des requérants était constructible mais réservé à la construction d’immeubles d’habitation et non de centres commerciaux. En réalité, la question du statut juridique du terrain était restée longtemps en suspens. Elle n’était « pas réglée sur le plan urbanistique » (voir l’arrêt du Conseil d’Etat no 289/2009 – paragraphe 16 ci-dessus) car était restée suspendue à une nouvelle appréciation de l’administration, en la personne non plus du préfet, mais du Président de la République, ce qui supposait que le ministère de l’Environnement mette en œuvre la procédure requise en vue de l’édiction d’un décret présidentiel.

56. De ce fait, les requérants se trouvaient pendant une longue période dans une impasse juridique qui ne leur offrait aucune possibilité de provoquer eux-mêmes la levée de la charge grevant leur terrain. Dans ces circonstances, les autorités auraient pu de facto faire indéfiniment obstacle à l’usage du terrain exproprié ou procéder à une nouvelle expropriation sans pour autant verser l’indemnité due aux intéressés (Valyrakis c. Grèce, no 27939/08, § 53).

57. La Cour souligne à cet égard que le grief des requérants tiré de l’article 13 avait trait à l’impossibilité pratique d’exploiter la propriété litigieuse suite à la constatation de la levée de l’expropriation faute d’indemnisation, et non à l’impossibilité d’obtenir un dédommagement pour privation de la jouissance de leur bien.

58. Au vu de ce qui précède et eu égard aux circonstances de l’espèce, force est à la Cour de constater que l’Etat a manqué à ses obligations découlant de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

Partant, il y a lieu de déclarer recevable ce grief et de conclure à la violation de ces deux dispositions combinées.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

59. Les requérants allèguent que la durée de la procédure suivie devant le Conseil d’Etat a excédé le « délai raisonnable » garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Les passages pertinents de cette disposition se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

60. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

61. La période à considérer a débuté le 25 avril 2005, date de la saisine du Conseil d’Etat par la municipalité de Neo Psichiko, et a pris fin le 10 mars 2009, jour où l’arrêt rendu par celui-ci a été mis au net. Elle a donc duré trois ans, dix mois et quinze jours, pour une instance.

62. Le Gouvernement estime qu’il s’agit là d’un délai raisonnable compte tenu de la complexité de l’affaire et de celle des questions de droit de l’urbanisme dont le Conseil d’Etat était saisi.

63. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la partie requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

64. Ayant examiné l’ensemble des éléments à sa disposition, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument de nature à justifier la durée de la procédure dans la présente affaire.

65. Elle Cour relève notamment que l’audience devant le Conseil d’Etat s’est tenue le 13 juin 2007, que la mise au net de l’arrêt rendu par celui-ci n’a eu lieu que le 10 mars 2009 et que le Gouvernement n’avance aucune explication propre à justifier ce délai.

66. Dans ces conditions, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse a été excessive et n’a pas répondu pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

67. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

69. Les requérants réclament 24 211 164,78 euros (EUR) en réparation du préjudice matériel qu’ils auraient subi du fait de la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1. Au titre du dommage moral, ils demandent en outre 5 000 EUR chacun pour la violation de l’article 6 de la Convention et 20 000 EUR chacun pour la violation de l’article 13 de la Convention.

70. En ce qui concerne le dommage matériel, le Gouvernement souligne que l’arrêt précité rendu par la Cour le 27 juin 2002 a accordé aux requérants une indemnité deux fois supérieure à l’indemnité d’expropriation fixée en 1989 alors même qu’ils n’avaient pas été privés de leur propriété. Il soutient que, si la Cour estimait devoir accorder une indemnité, elle devrait réserver la question de l’application de l’article 41. Quant au dommage moral, le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante aux yeux du Gouvernement.

71. La Cour rappelle qu’elle a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 s’agissant du préjudice allégué subi par la perte de l’usage du bien (paragraphe 40 ci-dessus). Elle rejette donc les prétentions des requérants à cet égard. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des intéressés 4 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

72. Les requérants demandent 8 113,62 EUR pour frais et dépens, dont 1 276 EUR pour ceux engagés devant le Conseil d’Etat et 6 837,62 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

73. Le Gouvernement avance que les frais et dépens exposés devant le Conseil d’Etat n’ont pas été engagés pour les besoins d’une procédure visant à faire constater la violation résultant de la privation alléguée de la jouissance de leur propriété par les requérants et à y mettre fin. Quant à ceux encourus devant la Cour, ils seraient excessifs et disproportionnés eu égard à la nature de l’affaire.

74. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants, seulement en ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la procédure suivie devant elle, la somme de 1 500 EUR.

C. Intérêts moratoires

75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 4 000 EUR (quatre mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) conjointement à tous les requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 septembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award