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18/07/2017 | CEDH | N°001-175470

CEDH | CEDH, AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE, 2017, 001-175470


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE

(Requête no 18052/11)

ARRÊT

STRASBOURG

18 juillet 2017

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 31/01/2019

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Rooman c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,


Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2017,

Rend l’arrêt q...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE

(Requête no 18052/11)

ARRÊT

STRASBOURG

18 juillet 2017

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 31/01/2019

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rooman c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18052/11) dirigée contre le Royaume de Belgique par M. René Rooman (« le requérant »), ayant les nationalités belge et allemande, a saisi la Cour le 1er mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes V. Hissel et B. Versie, avocats à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu’en l’absence de soins psychiatriques dans l’établissement où il est détenu, son internement emporte violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

4. Le 7 janvier 2014, les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

5. Par une lettre du 10 janvier 2014, le gouvernement allemand fut informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du Règlement de la Cour. Le gouvernement allemand ne s’est pas prévalu de son droit d’intervention.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1957. Il est interné à l’établissement de défense sociale de Paifve (« EDS de Paifve »).

A. L’internement initial du requérant

7. En 1997, le requérant fut condamné pour des faits de vol et de violence sexuelle, respectivement par la cour d’appel de Liège et le tribunal correctionnel d’Eupen. La fin des peines d’emprisonnement était prévue pour le 20 février 2004.

8. Pendant qu’il était détenu, le requérant commit des faits pour lesquels de nouvelles poursuites furent engagées. Le 16 juin 2003, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège décida, en application de l’article 7 de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »), et sur la base notamment d’un rapport neuropsychiatrique du Dr L. du 15 décembre 2001 et d’un rapport du psychologue H. du 20 août 2002, d’interner le requérant.

9. Le 1er août 2003, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège confirma cette décision. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

10. Le 15 janvier 2004, sur base notamment d’un rapport psychiatrique du Dr V. du 23 septembre 2003, la ministre de la Justice décida également d’interner le requérant, en application de l’article 21 de la loi de défense sociale, pour la poursuite des peines infligées en 1997.

11. Le 21 janvier 2004, le requérant intégra l’EDS de Paifve, situé dans la région de langue française, sur décision de la commission de défense sociale près l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin (« CDS ») du 16 octobre 2003.

B. La première demande de libération à l’essai et la demande de sorties devant la CDS

12. À une date non précisée, le requérant demanda une première fois sa libération à l’essai.

13. Le 27 janvier 2006, la CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai au mois de mars 2006, considérant qu’il y avait lieu de rechercher une institution pouvant le prendre en charge et assurer sa thérapie en langue allemande, seule langue comprise et parlée par le requérant.

14. La demande fut examinée par la CDS le 9 juin 2006. À l’audience, la directrice de l’EDS de Paifve admit que ses services n’étaient pas en mesure de répondre aux exigences thérapeutiques préconisées par les experts déjà consultés étant donné qu’il n’y avait pas de médecin, thérapeute, psychologue, assistant social ou surveillant germanophone dans l’établissement.

15. Aussi, la CDS considéra que :

« Il n’est pas contesté que l’interné est unilingue allemand et que le personnel médical, social et pénitentiaire de l’établissement de détention ne peut lui fournir la moindre aide thérapeutique ou sociale ; qu’il est abandonné à son sort sans aucun soin depuis son arrivée à Paifve (le 21 janvier 2004) même si quelques personnes se sont bénévolement dévouées pour lui apporter quelques explications sur sa situation vécue comme une injustice ;

Dans le cas d’espèce, la double finalité légale de l’internement, la protection de la société et la santé du patient, ne peut être satisfaite que si la privation de liberté est assortie des soins que nécessite l’état mental de l’interné ; faute de remplir cette double condition, la privation de liberté de Rooman est illégale ; [...] »

16. La CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai à une audience en septembre 2006 dans l’attente que des collaborateurs germanophones soient désignés à l’EDS de Paifve.

17. En vertu d’une ordonnance du président de la CDS du 24 septembre 2006, le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire de Verviers afin que l’équipe psychosociale germanophone de la prison puisse procéder à un examen de son état mental et déterminer sa dangerosité. Le 30 octobre 2006, la CDS confirma cette ordonnance et remit la cause à une date ultérieure.

18. Le 26 janvier 2007, la CDS rejeta la demande de libération à l’essai. Il ressortait d’un rapport du 24 janvier 2007 établi par l’équipe psychosociale germanophone de la prison de Verviers que le requérant avait une personnalité psychotique et des traits de personnalité paranoïaque (haute estime de soi, sentiment de toute-puissance, absence d’autocritique et propos menaçants) et qu’il refusait tout soin. Par ailleurs, la CDS constata qu’il n’existait en Belgique aucun établissement qui puisse répondre aux conditions de sécurité et de langue exigées par le requérant et que le seul hôpital germanophone qui pourrait être envisagé était un hôpital ouvert, exclu pour l’état mental du requérant.

19. Le 14 avril 2008, le requérant introduisit une demande de sorties. Le 5 juin 2008, la CDS releva qu’aucun traitement n’avait pu être mis en place et que la recherche d’une institution germanophone demeurait vaine. Elle ordonna dès lors à la maison de justice d’Eupen de préparer un projet de libération à l’essai et elle ordonna une nouvelle expertise afin de déterminer le degré de dangerosité du requérant. Elle remit sine die l’examen de la demande.

C. La procédure litigieuse, concernant la deuxième demande de libération à l’essai devant la CDS

20. Saisie d’une nouvelle demande du requérant de libération à l’essai, la CDS constata, dans une décision du 5 mai 2009 :

« La situation de Monsieur Rooman n’évolue pas et ne pourra évoluer que dans un cadre où il sera compris dans sa langue, comme tout citoyen de ce pays. Un seul agent pénitentiaire, l’infirmier [A.W.] lui assure temporairement un contact social là où un psychiatre et/ou un psychologue devraient être mis à sa disposition.

Depuis des années, l’administration pénitentiaire n’apporte aucun élément de solution à ce problème bien connu de ses services. Pire, cette administration ne pouvant lui fournir les soins nécessaires, semble se résigner à limiter son rôle à un injuste enfermement répressif.

Il résulte des rapports médicaux et de l’expertise du [Dr Ro.] que Rooman qui représente encore un danger social ne peut être libéré sans accompagnement et une préparation dans un cadre institutionnel qui ne se trouve pas actuellement en Belgique mais à l’étranger. »

21. Partant, la CDS invita la maison de justice d’Eupen à préparer, avec le requérant, un projet de libération à l’essai et incita l’administration à prendre rapidement les dispositions nécessaires à l’évolution de la situation du requérant. Elle remit la cause à une date ultérieure.

22. Le 13 octobre 2009, la CDS constata que :

« Depuis les années que ce dossier est ouvert (octobre 2003), les intervenants se sont heurtés à la seule langue parlée et comprise par l’interné à l’égard duquel l’administration ne dispose pas de personnel germanophone si ce n’est du seul agent infirmier [A.W.] (qui, semble-t-il, devrait prochainement partir à la retraite) ;

En septembre 2005, le docteur [Ri.], expert, écrivait que les assouplissements du régime de l’interné « ne sont possibles que parallèlement au succès thérapeutique, par échelons définis. La thérapie devrait commencer dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée ... ». Compte tenu de ce que le traitement en Allemagne est impossible, il devrait commencer à Paifve avec des psychiatres et thérapeutes germanophones ;

Depuis cette époque la situation de l’interné n’a pas évolué : il converse et sort uniquement avec le seul agent germanophone de l’administration et sa thérapie n’a pas même été entamée. Les demandes de la commission [de défense sociale] en vue de faire cesser cette situation irrégulière de M. Rooman qui est privé de sa liberté pour, d’une part, protéger la société de ses dérives possibles et, d’autre part, lui donner les soins nécessaires à sa réinsertion, ne reçoivent pas de suite satisfaisante ; [...]

Vu la carence de l’administration, la question se pose maintenant à la commission de savoir s’il existe à l’extérieur de l’établissement un service ou des personnes qui pourraient prendre en charge à domicile la thérapie de M. Rooman ; [...] »

23. Sur la base de ces motifs, et rappelant que l’allemand est une des langues nationales et que le requérant était donc en droit de parler, de se faire comprendre et d’être soigné dans cette langue, la CDS demanda à la maison de justice d’Eupen de rechercher dans les arrondissements de Verviers et d’Eupen soit un service de santé mentale, soit un médecin ou une clinique qui pourrait prendre en charge à domicile la thérapie du requérant dans sa langue maternelle. Elle réserva à statuer sur la demande de libération à l’essai.

24. Le 12 janvier 2010, le requérant déposa des conclusions à l’appui de sa demande de mise en liberté. Il dénonçait le défaut de prise en charge thérapeutique et l’impact sur son état de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer. À titre principal, il demanda sa libération immédiate compte tenu de l’illégalité de sa détention. À titre subsidiaire, il demanda que la CDS impose aux autorités concernées de prendre les mesures utiles à ce que les soins requis par son état de santé mentale lui soient prodigués dans sa langue maternelle.

25. Par une décision avant dire droit du 13 janvier 2010, la CDS constata que la situation du requérant n’avait pas évolué et que la réponse de l’assistance de justice d’Eupen ne laissait aucun espoir d’assurer au requérant les soins appropriés dans un établissement sécurisé ou non. La CDS estima qu’il fallait tenter une dernière démarche auprès du ministre de la Justice dont l’intervention avait porté antérieurement quelques fruits même s’ils furent insuffisants pour résoudre le problème. Par conséquent, la CDS ordonna la « dénonciation officielle » de la situation du requérant au ministre de la Justice.

26. Le 29 avril 2010, la CDS prit note du fait que le ministre de la Justice n’avait pas réservé de suite à son interpellation et que la situation du requérant s’était dégradée compte tenu du fait qu’il ne bénéficiait plus de l’aide de l’infirmier germanophone A.W. qui avait quitté l’EDS de Paifve. La CDS poursuivit :

« Il se déduit du rapport [du service psycho-social] du 30 mars 2010, qu’en dehors de rencontres ponctuelles avec une assistante sociale « parlant l’allemand », l’interné n’a aucun contact social dans sa langue et qu’il ne dispose d’aucune possibilité de converser et de prendre du recul à l’extérieur depuis et pour des mois ; le médecin et le psychologue qui signent ce rapport ne semblent pas très convaincus de l’aboutissement des « démarches en cours (faites) par le service de soins afin de permettre à une psychologue germanophone de venir ponctuellement assurer le suivi des patients germanophones à l’EDS » ;

La situation de M. Rooman est bloquée : malade, il est retenu dans un établissement pénitentiaire de soins où personne ne peut les lui donner comme il est en droit de les obtenir ; le ministre et son administration font la sourde oreille sans souci du désespoir auquel peut conduire cette attitude manifestement injuste ;

Nonobstant l’illégalité de la détention de M. Rooman, son état de santé s’oppose à sa mise en liberté si elle ne débouche pas sur une prise en charge thérapeutique et matérielle ;

La commission [de défense sociale] est sans pouvoir, d’une part, pour rétablir l’interné dans ses droits élémentaires : droit à la liberté, droit aux soins de santé, droit au respect de son humanité et, d’autre part, pour contraindre le ministre à mettre fin à cette situation dont tous les éléments sont connus de son administration depuis plus de six ans. »

27. La CDS conclut, « restant ouverte à toute proposition », de maintenir la situation du requérant, c’est-à-dire de rejeter sa demande de mise en liberté.

28. Le requérant fit appel de cette décision devant la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS »).

29. Parallèlement, le requérant saisit le président du tribunal de première instance de Liège en référé afin de faire constater l’illégalité de sa détention et d’obtenir sa libération immédiate ou, à titre subsidiaire, de voir condamner l’État belge à lui apporter les soins requis par sa situation.

30. Par une ordonnance du 12 mai 2010, le président du tribunal se déclara sans compétence au motif que la CDS était l’instance légalement compétente pour libérer le requérant ou décider de son maintien en détention.

31. Le 27 mai 2010, la CSDS confirma la décision de la CDS du 29 avril 2010 maintenant le requérant en détention. À la différence de la CDS, la CSDS considéra que la privation de liberté du requérant était parfaitement légale étant donné qu’il avait été régulièrement interné et qu’il ne remplissait pas les conditions pour être libéré définitivement ou à l’essai. En vertu de l’article 18 de la loi de défense sociale, la mise en liberté ne pouvait être ordonnée que si l’état mental de l’interné s’était suffisamment amélioré et si les conditions de sa réadaptation sociale étaient réunies. Or tel n’était pas le cas en l’espèce. Aussi, la CSDS estima que la seule circonstance que le requérant ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités n’avaient pas pris toutes les mesures utiles aux soins requis en sa faveur.

32. Le requérant se pourvut en cassation, invoquant une violation des articles 3 et 5 de la Convention.

33. Le 8 septembre 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, elle estima la décision de la CSDS régulièrement motivée et légalement justifiée. Elle considéra en effet que :

« L’internement étant d’abord une mesure de sûreté, l’action thérapeutique que cet état requiert n’est pas une condition mise par la loi à la régularité de la privation de liberté, même si celle-ci a pour objectif, après la protection de la société, de prodiguer à l’interné les soins nécessaires.

Les commissions de défense sociale puisent dans l’article 14, alinéa 2, de la loi la faculté, et non l’obligation, d’ordonner, par décision spécialement motivée, le placement dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. Il en résulte que l’exécution de la mesure d’internement ne devient pas illégale du seul fait qu’elle se poursuit dans un des établissements organisés à cette fin par le gouvernement, plutôt qu’au sein d’une autre institution spécialement désignée pour la thérapie qu’elle est susceptible d’appliquer. »

34. Le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention fut déclaré irrecevable dans la mesure où son examen requérait une vérification en fait des conditions d’exécution de l’internement et qu’un tel examen échappait au pouvoir de la Cour de cassation. Pour le surplus, la Cour de cassation estima que la CSDS avait répondu au grief du requérant en considérant que la circonstance que le requérant ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités concernées n’aient pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis.

D. La troisième demande de mise en liberté devant la CDS

35. Le 13 novembre 2013, le requérant demanda de nouveau sa mise en liberté.

36. Un rapport du service psycho-social de l’EDS de Paifve du 13 janvier 2014 rappela que le requérant ne maîtrisait pas la langue française, qu’il ne connaissait que quelques mots de français qui ne lui permettaient pas de tenir une conversation et que, par conséquent, il avait très peu de contacts avec les autres patients et membres du personnel. Le rapport fit également mention d’une rencontre unique entre le requérant et un psychologue germanophone en juin 2010. Le rapport constata une amélioration du comportement du requérant ; il serait moins agressif et intolérant qu’auparavant. Aussi, le requérant n’aurait jamais exprimé le souhait de rencontrer régulièrement les membres du service psycho-social. Le rapport conclut au maintien du requérant à l’EDS de Paifve compte tenu, entre autres, des « troubles mentaux non traités ».

37. Le 24 janvier 2014, la CDS rappela tout d’abord le contenu des rapports du Dr Ri. du 5 septembre 2005 et du Dr Ro. du 21 janvier 2009 qui insistaient sur la nécessité d’un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée avant d’envisager une station ouverte. Depuis ces rapports, la CDS constata que les diverses tentatives de solution du problème linguistique n’étaient pas parvenues à améliorer sérieusement la santé du requérant : les rares sorties accompagnées d’un agent pénitentiaire germanophone avaient été abandonnées par manque de disponibilité de cet agent qui n’était pas remplacé ; les recherches d’établissement, de médecin ou de thérapeute germanophones s’étaient soldées par des échecs ; l’annonce du recrutement d’un minimum de personnel germanophone semblait être restée sans suite, et le requérant avait spontanément renoncé aux services de l’assistant social germanophone qui l’avait ponctuellement rencontré. La CDS rejeta la demande de libération à l’essai compte tenu du fait que les conditions pour ce faire (amélioration de l’état mental de l’intéressé et garanties de réadaptation sociale) n’étaient pas remplies. S’agissant du défaut allégué de soins en allemand, la CDS précisa :

« L’interné affirme qu’il ne reçoit pas en allemand, sa langue maternelle, les soins appropriés à son état de santé mentale sans toutefois décrire ou seulement évoquer quels sont les soins qui lui seraient refusés et qu’il accepterait de recevoir ou auxquels il participerait. La seule circonstance qu’il ne s’exprime qu’en allemand ne signifie pas que l’établissement de défense sociale de Paifve n’a pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis par son état de santé.

Si, comme le rappelle l’intéressé en ses conclusions, il appartient à l’administration compétente de prendre toutes les mesures utiles à sa santé, il n’entre pas, toutefois, dans les attributions de la commission [de défense sociale] de libérer l’interné qui se dirait victime des carences de l’administration. [...]

Il n’est pas davantage de la compétence de la commission de donner des injonctions à l’administration ou à des tiers, [ou] de sanctionner leurs actes ou défaillances [...]. »

38. Le 3 avril 2014, la CSDS confirma la décision de la CDS en considérant notamment :

« Contrairement à ce qu’il soutient en conclusions, l’interné reçoit tous les soins que son état requiert par du personnel compétent et qualifié dans l’EDS de Paifve, parfaitement adapté à sa pathologie. Malgré les soins prodigués, l’état mental de l’interné n’est pas encore suffisamment amélioré en raison de ses traits paranoïaques et psychopatiques, de son absence d’autocritique et de son discours revendicatif. C’est donc manifestement à tort que l’interné tente d’imputer l’absence d’amélioration de son état mental à une pure question linguistique.

Le maintien d’un interné, dont l’état mental n’est pas suffisamment amélioré et des conditions de sa réadaptation sociale ne sont pas réunies, dans un EDS adapté à sa pathologie et qui représenterait un danger social en cas de libération, n’est pas illégal et ne constitue pas une violation des dispositions de la [Convention]. »

39. Le 25 juin 2014, la Cour de cassation cassa la décision de la CSDS au motif que la CSDS n’avait pas répondu au moyen du requérant selon lequel il ne recevait pas de soins appropriés à sa situation médicale, eu égard à la circonstance qu’il ne parlait et ne comprenait que l’allemand et qu’aucun membre du personnel maîtrisant cette langue n’était disponible dans l’établissement où il était interné. L’affaire fut renvoyée devant la CSDS autrement composée.

40. Le 22 juillet 2014, la CSDS se prononça avant dire droit en demandant à la CDS de désigner un collège d’experts s’exprimant en langue allemande afin d’actualiser le rapport d’expertise psychiatrique du 21 janvier 2009. Elle invita la directrice de l’EDS de Paifve à prendre toutes les mesures utiles pour que les soins nécessités par le requérant lui soient prodigués, au moins par l’intervention d’un psychiatre et d’un psychologue parlant chacun la langue allemande. Elle ordonna la réouverture des débats et fixa celles-ci à une audience du 17 octobre 2014.

41. La Cour n’a pas été informée des suites de la procédure.

E. Les demandes devant le juge des référés de Bruxelles

42. Entre-temps, par une citation du 28 mars 2014, le requérant avait cité l’État belge devant le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles statuant en référé en application de l’article 584 du code judiciaire. Il demanda sa mise en liberté ou, subsidiairement, l’imposition de la prise de mesures requises par son état de santé.

43. Par une ordonnance avant-dire droit du 4 juillet 2014, le président du tribunal demanda à la directrice de l’EDS de Paifve et au Dr B. du service psycho-social auprès de cet EDS de produire des attestations concernant les soins disponibles à l’EDS de Paifve et concernant les soins effectivement dispensés au requérant.

44. Des attestations produites par la directrice de l’EDS de Paifve et par le Dr B. le 28 août 2014 firent état du fait que le requérant avait désormais accès à des consultations auprès d’un psychologue germanophone et que les autorités avaient pris contact avec un psychiatre germanophone qui aurait accepté de rencontrer le requérant.

45. Dans une ordonnance du 10 octobre 2014, le président du tribunal constata que jusqu’en septembre 2014, le requérant n’avait jamais eu accès à un psychiatre pouvant entrer en communication avec lui en allemand. Il avait eu accès à un psychologue germanophone extérieur à l’EDS entre les mois de mai et de novembre 2010. Il releva que les consultations auprès du psychologue avaient pris fin non pas au motif, comme le soutenait l’État dans ses conclusions, que le requérant ne souhaitait plus s’y rendre mais en raison du paiement tardif par l’État belge des frais et honoraires du psychologue. Les consultations avec le psychologue avaient toutefois repris au mois de juillet 2014. Le président constata enfin que jusqu’en avril 2010 le requérant avait bénéficié de la présence et des soins prodigués par un infirmier germanophone, que cet infirmier avait entre-temps quitté l’EDS de Paifve, mais que depuis août 2014 il avait été autorisé à accompagner le requérant lors de sorties. Enfin, l’ordonnance releva que le requérant avait bénéficié de contacts avec un assistant social germanophone dont il avait décliné les services en février 2014.

46. Sur la demande à titre principal, le président se déclara sans juridiction pour ordonner la mise en liberté du requérant, les instances de défense sociale étant compétentes pour ce faire. Sur la demande subsidiaire, le président constata que le requérant n’avait pas eu accès aux soins de santé mentale nécessités par son état, et qu’il y avait prima facie une violation de son droit d’accès à des soins de santé ainsi qu’une situation inhumaine et dégradante au sens de l’article 3 de la Convention. Le président ordonna par conséquent à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones pour le requérant sous peine d’astreinte ainsi que la mise en place des soins usuellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant.

47. D’après les informations versées au dossier, cette ordonnance n’a pas été frappée d’appel. Selon le représentant du requérant, l’État belge a désigné une psychiatre et une psychologue germanophones, qui ont plusieurs fois rendu visite au requérant. Toutefois, ces visites auraient cessé depuis la fin de 2015.

F. Demande de dommages et intérêts

48. Entre-temps, par citation du 2 mai 2014, le requérant avait introduit une demande de dommages et intérêts pour faute contre l’État belge, sur la base de l’article 1382 du code civil.

49. Par jugement du 9 septembre 2016, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles considéra comme étant fautif le fait de ne pas avoir fourni au requérant des soins psychologiques dans sa langue maternelle entre 2010 et 2014. Il s’exprima notamment en ces termes :

« Il est incontestable que les soins psychiatriques et psychologiques dont [le requérant] doit pouvoir bénéficier doivent lui être prodigués en allemand, seule langue qu’il maîtrise et par ailleurs une des trois langues nationales en Belgique.

Or entre 2010 et 2014, [le requérant] n’a bénéficié d’aucun traitement médico-psychologique dans sa langue.

Quelle que soit la qualité – non contestée d’ailleurs – des soins prodigués aux internés dans [l’EDS] de Paifve, ceux-ci sont totalement inadaptés à l’état de santé mentale [du requérant] par le seul fait qu’ils ne sont pas disponibles en allemand.

En dépit des dénonciations officielles et répétées de la Commission de défense sociale de cette situation à l’État belge dès 2010, celui-ci n’a pris aucune mesure pour y remédier. Il n’apporte d’ailleurs aucun indice de la moindre démarche qu’il aurait effectuée dans ce sens.

Cette abstention est constitutive d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil.

(...)

Par ailleurs et comme le soutient également [le requérant], les articles 3 et 5 [de la Convention] imposent à l’État belge de prendre les mesures nécessaires pour lui assurer l’accès aux soins fondamentaux nécessités par son état de santé mentale.

(...)

En l’espèce, la vulnérabilité du requérant en raison de la nature même de son trouble psychique et l’absence de possibilité réelle de contact dans sa langue ont nécessairement aggravé son sentiment de détresse et d’angoisse.

Il importe peu qu’en tout état de cause, l’état de santé mentale [du requérant] ne lui permette pas d’être libéré. Le seul fait d’être interné pour une durée indéterminée sans soins adaptés est en l’espèce constitutif d’une violation des articles 3 et 5 [de la Convention]

Contrairement à ce que soutient l’État belge, le fait que [le requérant] ne soit pas toujours réceptif à un traitement psycho-médico-social ne permet pas de relativiser l’attitude négligente de l’État belge à l’égard d’une personne atteinte d’un trouble mental, dont le discernement est par hypothèse incertain.

De la même manière, sous peine de faire abstraction du vécu de la personne atteinte d’un trouble mental, le comportement stable [du requérant] au sein de l’établissement ne suffit pas à établir qu’il recevait des soins adaptés à son état. »

50. Considérant que cette absence de soins avait provoqué une souffrance morale dans le chef du requérant, le tribunal condamna l’État à l’indemniser pour la période de janvier 2010 à octobre 2014 à concurrence de 75 000 euros (« EUR »), somme fixée ex aequo et bono.

51. D’après des informations fournies le 19 juin 2017 par son représentant, le requérant devrait faire appel de ce jugement. Il conteste la période retenue par le tribunal et fait valoir que l’absence de soins est antérieure à 2010 ; il se plaint également de l’absence de soins en 2016 et du choix d’une indemnisation ex aequo et bono au lieu d’une réparation journalière du dommage.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

52. Le droit et la pratique internes pertinents ainsi que l’offre d’accueil aux délinquants internés sont décrits de manière détaillée dans l’arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, §§ 35-70, 6 septembre 2016)

53. En l’espèce, le requérant a été interné en application des articles 7 et 21 de la loi de défense sociale. À l’époque des faits, ces dispositions prévoyaient ce qui suit :

Article 7

« Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier.

[...] »

Article 21

« Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale.

L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale, conformément à l’article 14 ; les articles 15 à 17 y sont également applicables.

Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu.

Pour l’application de la loi sur la libération conditionnelle, le temps d’internement est assimilé à la détention. »

54. Les demandes de mise en liberté devant la CDS étaient en l’espèce fondées sur l’article 18 de la loi de défense sociale. Cette disposition prévoyait ce qui suit :

« La commission se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif.

[...] »

55. À partir du 1er octobre 2016, la loi de défense sociale a été remplacée par la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (W.D. c. Belgique, précité, §§ 79-86).

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

A. Thèses des parties

56. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant. Pour se plaindre des conditions de son internement, le requérant aurait dû premièrement demander, en application de l’article 584 du code judiciaire, une mesure d’urgence au président du tribunal de première instance statuant en référé qui est compétent pour faire respecter les droits subjectifs de toute personne. Si l’ordonnance du président du tribunal de première instance de Liège du 12 mai 2010 a rejeté les prétentions du requérant, cela s’explique par le fait que cette juridiction n’est pas compétente en matière de demande de mise en liberté. L’ordonnance du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 10 octobre 2014 démontre le caractère effectif du recours en référé. Deuxièmement, le requérant aurait pu introduire une action en réparation en vertu de l’article 1382 du code civil. Le Gouvernement fournit des exemples jurisprudentiels attestant que l’État belge a déjà été condamné, par cette voie, au paiement d’indemnités à des personnes internées ou à l’administration de soins spécialisés.

57. Le requérant est d’avis que les recours mentionnés par le Gouvernement ne devaient pas être épuisés avant de saisir la Cour. Il rappelle premièrement qu’en 2010, il avait saisi le président du tribunal de première instance de Liège mais que celui-ci s’était déclaré incompétent (paragraphe 30, ci-dessus). Puis, il a cité l’État belge devant le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles en 2014, procédure dans laquelle l’État belge postula l’irrecevabilité et l’absence de fondement de la saisine. Cette dernière position est, selon le requérant, en contradiction avec la position du Gouvernement devant la Cour. En tout état de cause, il rappelle que la Cour a déjà examiné une telle exception d’irrecevabilité et l’a rejetée, notamment dans l’arrêt Van Meroye c. Belgique (no 330/09, §§ 106-108, 9 janvier 2014). Par ailleurs, le requérant explique qu’il a introduit une demande en indemnisation sur le fondement de l’article 1382 du code civil qui est actuellement pendante devant les juridictions internes.

B. Appréciation de la Cour

58. En ce qui concerne la première branche de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la Cour constate que le requérant a mené à terme la procédure devant les organes compétents en vertu de la loi de défense sociale pour contrôler la légalité de son internement et ordonner, s’il y a lieu, sa mise en liberté ou son transfèrement dans un établissement approprié. Après la décision négative de la CDS, il a formulé ses griefs devant la CSDS, puis devant la Cour de cassation qui a rejeté son pourvoi par un arrêt du 8 septembre 2010 (paragraphes 24 et 31-34, ci-dessus). De plus, avant de saisir la Cour, le requérant avait également saisi le président du tribunal de première instance de Liège qui s’est déclaré incompétent par une ordonnance du 12 mai 2010 (paragraphes 29-30, ci-dessus). Le requérant ne fit pas appel de cette ordonnance.

59. La Cour rappelle que dans l’affaire Claes c. Belgique (no 43418/09, § 79, 10 janvier 2013) elle avait constaté que les internés, qu’ils saisissent les instances sociales ou le juge judiciaire, poursuivent le même but qui est de dénoncer le caractère inapproprié de la détention en aile psychiatrique et de faire condamner l’État à trouver une solution adaptée. Elle avait aussi relevé que tant les instances de défense sociale que le juge judiciaire pouvaient, en principe, mettre fin à la situation que les internés dénonçaient.

60. Ainsi, pour les mêmes raisons que celles développées dans l’arrêt précité (Claes, précité, §§ 79-83, voir aussi, Oukili c. Belgique, no 43663/09, §§ 29-33, 9 janvier 2014, Moreels c. Belgique, no 43717/09, §§ 29-33, 9 janvier 2014, Gelaude c. Belgique, no 43733/09, §§ 26-30, 9 janvier 2014, et Saadouni c. Belgique, no 50658/09, §§ 37-41, 9 janvier 2014), la Cour estime que le requérant a fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui pour porter ses griefs devant les juridictions internes avant de saisir la Cour.

61. S’agissant de l’exception soulevée par le Gouvernement en ce qu’elle concerne le non-épuisement de la voie de recours indemnitaire, la Cour constate que le requérant a introduit, postérieurement à l’introduction de la requête, une demande de dommages et intérêts pour faute contre l’État belge. Celle-ci a abouti au jugement du 9 septembre 2016 rendu par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles qui considéra que l’absence de soins subie par le requérant entre 2010 et 2014 était fautive et avait provoqué une souffrance morale dans son chef, et condamna l’État à l’indemniser à concurrence de 75 000 EUR (voir paragraphe 49, ci-dessus). Ce jugement ferait l’objet d’un appel par le requérant (voir paragraphe 51, ci-dessus).

62. La Cour rappelle qu’un recours exclusivement en réparation ne saurait être considéré comme suffisant s’agissant des allégations de conditions d’internement ou de détention prétendument contraires à l’article 3, dans la mesure où un tel recours n’a pas un effet « préventif », en ce sens qu’il n’est pas à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d’obtenir une amélioration de leurs conditions de détention (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres, § 50, 8 janvier 2013, et références citées).

63. De la même manière, la Cour rappelle qu’en principe, s’agissant de griefs tirés de l’article 5 § 1 de la Convention, seuls les recours visant à obtenir la cessation de la privation de liberté dont l’irrégularité au regard de cette disposition est alléguée sont à utiliser à cette fin. En corollaire, ne constitue pas une voie de recours interne à épuiser s’agissant d’un tel grief, une action dont l’objet est la réparation du dommage résultant de la privation de liberté litigieuse ou la sanction de la ou des personnes qui en sont responsables (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 100, 6 décembre 2011).

64. Eu égard à ce qui précède, l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.

65. Cela étant dit, la Cour estime, eu égard au résultat favorable obtenu en première instance par le requérant (voir paragraphe 49, ci-dessus), qu’il y a lieu de de se demander si le requérant peut encore se prétendre victime d’une éventuelle violation de la Convention.

66. La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention et que la question du maintien du statut de victime doit être tranchée au moment où elle examine l’affaire en tenant compte non seulement de la situation au moment de l’introduction de la requête auprès de la Cour, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010).

67. À cet égard, elle relève également qu’outre la réparation financière précitée, le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a préalablement, par ordonnance du 10 octobre 2014, ordonné à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones sous peine d’astreinte ainsi que la mise en place des soins usuellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant (voir paragraphe 45, ci-dessus). De plus, le tribunal a ensuite constaté que la situation dans laquelle se trouvait le requérant constituait une violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention (voir paragraphe 49, ci-dessus).

68. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 179-180, CEDH 2006‑V, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête.

69. La Cour constate qu’en l’espèce les juridictions internes ont reconnu de façon expresse qu’il y avait eu violation de la Convention. Sur le point de savoir s’il y a eu réparation « adéquate » et « suffisante », elle relève que certes les instances nationales ont, après la communication de la requête, adopté des décisions favorables au requérant en ordonnant la mise à disposition de professionnels parlant allemand et en lui accordant une réparation financière du préjudice subi. Toutefois, la Cour ne saurait ignorer que cette mise à disposition ne s’est concrétisée que pendant quelques mois ni que la situation litigieuse à l’origine de la requête remonte aux débuts de l’internement du requérant et avait été constatée par la CDS dès 2006 (voir mutatis mutandis Y.Y. c. Turquie, no 14793/08, §§ 52-55, CEDH 2015 (extraits)). De plus, la réparation financière ordonnée en première instance ne couvre que la période de janvier 2010 à octobre 2014. La réparation ne saurait donc être considérée comme étant intégrale, et ce d’autant plus que le jugement du 9 septembre 2016 rendu en première instance n’est pas définitif (voir paragraphe 51, ci-dessus).

70. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le requérant n’a pas perdu la qualité de victime.

71. Par ailleurs, la Cour constate que les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

72. Le requérant se plaint que sa détention sans prise en charge psychologique et psychiatrique dans l’établissement de défense sociale où il est interné et l’absence totale de perspective d’amélioration du fait de cette absence de soins sont constitutives d’un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

73. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Thèses des parties

1. Le requérant

74. Le requérant fait valoir que son état de santé mentale s’est détérioré du fait de l’absence totale de soins ainsi qu’en ont attesté plusieurs experts psychiatres, lesquels ont d’ailleurs alerté les autorités sur l’absence de perspective de voir la situation du requérant évoluer favorablement. Or seule une thérapie pourrait légitimer la privation de liberté du requérant. Sans cela, sa détention constitue un traitement inhumain et dégradant contraire à la dignité humaine. En somme, le requérant se trouve dans une impasse : il est interné en raison de sa dangerosité et de son état de santé mental ; pour cesser d’être dangereux, il faudrait qu’il reçoive des soins ; or le requérant n’a reçu aucun soin depuis son internement ; les instances de défense sociale s’estimant sans pouvoir pour obliger l’exécutif à lui offrir une thérapie, le requérant sera donc détenu à vie.

75. Selon le requérant, l’État belge est en faute depuis son internement en 2003 puisqu’il a été laissé sans soins requis par son état de santé mentale. Le Gouvernement ne peut en effet pas nier que l’EDS de Paifve ne dispose d’aucun personnel soignant parlant l’allemand ; il est par conséquent impossible de mettre en place une quelconque thérapie pour le requérant. Concernant l’assistante sociale germanophone, le requérant ne l’a rencontrée que deux ou trois fois – et non pas treize fois comme le prétend le Gouvernement – et elle a cessé de voir le requérant parce qu’elle n’était pas payée pour cela, et que le requérant n’aurait plus fait appel à ses services. L’infirmier néerlandophone parlant l’allemand a quitté l’EDS de Paifve en 2012. En tout état de cause, c’est un psychologue et un psychiatre germanophones que le requérant devrait rencontrer tel que l’admet la CSDS dans sa décision du 22 juillet 2014.

76. Par ailleurs, il serait faux de dire que le requérant refuse les soins alors qu’il ne s’est jamais vu proposer des soins ou des entretiens thérapeutiques. Cette réalité aurait été confirmée par la CSDS dans sa décision du 22 juillet 2014. Les personnes rencontrées à la prison de Verviers en 2007 n’avaient qu’une mission d’expertise, et il n’y avait donc pas de dimension thérapeutique à ces rencontres. Aussi, c’est à l’État qu’il revient de prévoir les soins requis, et non pas au requérant lui-même d’indiquer de quels soins il aurait besoin. La situation du requérant est connue des autorités depuis le début de son internement, et rien n’a été entrepris par les autorités depuis lors.

77. Enfin, le requérant est d’avis que rien dans le dossier ne vient étayer le fait qu’en pratique son comportement dangereux ait persisté et que son maintien en détention soit justifié. Au contraire, son bon comportement serait attesté dans les divers rapports du service psychosocial de l’EDS de Paifve ; il n’a jamais eu aucun souci avec le personnel ou les autres internés et n’a jamais fait l’objet d’un rapport ou d’une procédure disciplinaire. Il travaille paisiblement à l’EDS de Paifve et a fait des progrès en matière de vie sociale et de convivialité. Aussi, le requérant aurait confirmé à son avocat le 25 juillet 2014 sa disponibilité pour recevoir les personnes aptes à l’examiner et à l’aider.

2. Le Gouvernement

78. Le Gouvernement fait valoir que l’EDS de Paifve est l’établissement désigné par la CDS pour le déroulement de l’internement du requérant. Ce dernier y recevrait des soins, en particulier les traitements médicamenteux liés à ses problèmes diabétiques. Selon le Gouvernement, et tel que rappelé par la CSDS et la Cour de cassation, le fait qu’il existe un problème linguistique n’implique nullement que les soins nécessaires ne seraient pas administrés. La CDS se serait d’ailleurs ralliée à cette position dans sa décision du 24 janvier 2014.

79. Aussi, le Gouvernement rappelle que le requérant refuse de collaborer avec l’équipe soignante et qu’il n’a pas indiqué quels seraient les soins qui ne lui auraient pas été proposés ou administrés. Le requérant n’aurait formulé aucune demande de suivi psychologique, il n’aurait pas exprimé de plainte ni de demande de traitement à base de psychotrope. Le problème se trouverait davantage au niveau de la pathologie du requérant, du refus de sa situation et du fait qu’il n’accepte pas toujours les soins.

80. Certes, le Gouvernement admet que le fait que le requérant est germanophone rend sa prise en charge difficile dans un milieu francophone. Toutefois, les autorités auraient fait des efforts pour remédier aux problèmes du requérant dans toute la mesure du possible et continuent de chercher des solutions. À cet égard, le Gouvernement relève que le requérant a régulièrement été vu par une assistante sociale qui maîtrise l’allemand, en moyenne une fois par mois. Aussi, le requérant aurait rencontré un psychologue en présence de cette assistante sociale afin d’assurer la traduction. Par ailleurs, entre mai et novembre 2010, le requérant a pu rencontrer à treize reprises un psychologue germanophone. Les autorités ont entrepris des démarches afin de trouver une solution à la situation, notamment par la recherche d’établissements germanophones pouvant accueillir le requérant. Un agent germanophone a également été mis à disposition du requérant pour qu’il puisse effectuer des sorties accompagnées une fois par trimestre.

81. Enfin, le Gouvernement observe que, selon le rapport du service psychosocial de l’EDS de Paifve du 13 janvier 2014, l’état du requérant s’était amélioré : il communiquait notamment davantage avec le personnel. Cette amélioration s’expliquait, selon le Gouvernement, par l’effet bénéfique du cadre structurant de l’établissement. En conclusion, le Gouvernement estime que les autorités ont fait de leur mieux compte tenu du profil high risk du requérant et de la problématique linguistique. Le seuil de gravité de l’article 3 de la Convention ne serait dès lors pas atteint.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux applicables

82. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la responsabilité des États de fournir des soins de santé aux personnes en détention en général et aux personnes détenues présentant des troubles mentaux en particulier énoncés dans les arrêts Bamouhammad c. Belgique (no 47687/13, §§ 115-123, 17 novembre 2015) et Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, §§ 105-106, CEDH 2016), respectivement.

2. Application au cas d’espèce

83. La Cour constate que l’existence de problèmes de santé mentale à l’origine de l’internement du requérant n’est pas contestée. Il fut interné sur la base de plusieurs rapports médicaux attestant qu’il était affublé d’une personnalité narcissique et paranoïde et qu’il souffrait d’un état grave de déséquilibre mental le rendant incapable de contrôler ses actions. De ce fait, le requérant est détenu à l’EDS de Paifve depuis le 21 janvier 2004 sans interruption.

84. Le requérant explique que, tout au long de son internement, il n’a bénéficié d’aucune prise en charge thérapeutique de ses problèmes de santé mentale. La Cour note qu’à la différence d’autres affaires soulevant des griefs similaires qu’elle a déjà eu à trancher (voir, par exemple, Claes, précité, et Lankester c. Belgique, no 22283/10, 9 janvier 2014), le requérant ne se plaint pas du fait que l’établissement de Paifve en tant que tel n’est pas adapté à son état de santé mentale et à son profil. Il se plaint que lui en particulier ne bénéficie d’aucune prise en charge au motif que l’établissement où il est interné, situé dans la région de langue française de Belgique, ne dispose d’aucun personnel soignant parlant l’allemand, une des langues officielles en Belgique et seule langue qu’il maîtrise. De ce fait et de l’absence de toute perspective de voir la situation évoluer, il en a résulté, selon le requérant, une détérioration de son état de santé mentale.

85. Le Gouvernement ne conteste pas l’absence de personnel médical de langue allemande au sein de l’établissement de Paifve ni la difficile prise en charge thérapeutique des problèmes de santé mentale du requérant. Toutefois, il fait valoir qu’il n’y a pas de lien de causalité entre ces deux éléments. Les raisons de cette dernière carence sont dues, selon lui, au type de pathologie dont souffre le requérant et à son manque de collaboration avec l’équipe soignante et de proactivité envers le service psycho-social de l’établissement. Il souligne également que les problèmes linguistiques n’empêchent pas l’administration, par ailleurs, de soins nécessités par les problèmes de santé physique dont souffre le requérant. De plus, le requérant n’est pas privé de toute forme de communication ni laissé sans suivi puisqu’il rencontre régulièrement un infirmier et une assistante sociale parlant allemand.

86. La Cour ne saurait suivre la thèse du Gouvernement. Tous les éléments du dossier tendent au contraire à démontrer que la raison principale, sinon l’unique, du défaut de prise en charge thérapeutique de l’état de santé mentale du requérant est l’impossible communication entre le personnel soignant et le requérant. À plusieurs reprises, les demandes de mise en liberté du requérant ont, régulièrement, été remises par la CDS en raison de la difficulté de commencer une thérapie du fait du problème linguistique (voir paragraphes 13 et 16, ci-dessus). Il est, de plus, question depuis 2006 de rechercher une prise en charge thérapeutique en dehors de l’établissement de Paifve qui serait effectuée en allemand (voir paragraphes 13, 18-19, 22-23 ci-dessus). Dans plusieurs rapports, la CDS et les professionnels qui ont rencontré le requérant ont attesté que la prise en charge thérapeutique se heurtait à la seule langue comprise et parlée par le requérant et que l’absence d’évolution du requérant résultait de l’absence de soins. Le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et le tribunal même ont également constaté que c’était l’absence de dispense de soins en allemand qui limitait l’accès effectif aux soins normalement disponibles (voir paragraphes 45 et 49, ci-dessus).

87. Le requérant a pu certes rencontrer au cours de sa détention du personnel qualifié parlant allemand. Toutefois, comme l’a souligné la CDS elle-même, ces contacts, qu’il s’agisse des experts à la prison de Verviers ou l’infirmier et l’assistante sociale parlant allemand à Paifve, n’avaient pas de visée thérapeutique (voir paragraphes 17-18, et 22- 26, ci-dessus). Seul l’accès à un psychologue extérieur parlant allemand entre mai et novembre 2010 (voir paragraphe 45, ci-dessus) s’inscrit dans la ligne de défense du Gouvernement ; toutefois, outre que rapportées à la durée totale de la détention, ces consultations ne peuvent être analysées en une véritable prise en charge, la Cour relève qu’il y a été mis fin pour défaut de paiement des frais et honoraires par l’État.

88. Ensuite, le Gouvernement affirme que le requérant est resté en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations et n’indique pas quels soins ne lui sont pas administrés ou proposés.

89. La Cour n’a pas la même analyse de la situation. Elle note que le requérant s’est référé devant les instances de défense sociale au défaut de prise en charge thérapeutique et à l’impact sur son état de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer (voir paragraphe 24, ci-dessus). Elle rappelle de plus avoir écarté à de multiples reprises une telle approche formaliste et souligné qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient compatibles avec les exigences de l’article 3 dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Claes, précité, § 93, Murray, précité, § 106, et W.D. c. Belgique, no 73548/13, § 105, 6 septembre 2016).

90. La Cour ne sous-estime pas les démarches entreprises par les instances de défense sociale pour trouver une solution au cas particulier du requérant (voir paragraphes 21 et 23, ci-dessus). Toutefois, ces démarches se sont heurtées à l’absence de prise de mesures adéquates par l’administration pour faire évoluer la situation. Il a en effet fallu attendre la décision de la CSDS et l’ordonnance du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles en 2014 (voir paragraphes 40 et 45, ci‑dessus) pour que des mesures concrètes, préconisées depuis des années, soient prises avec la mise à disposition d’une psychologue parlant allemand. Il semble toutefois que cette mise à disposition a cessé à la fin de 2015 (voir paragraphe 47, ci-dessus).

91. Dans ces conditions, et tenant compte en particulier de ce que l’allemand est une des trois langues officielles en Belgique, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant. Son maintien à l’EDS de Paifve sans espoir réaliste de changement, sans encadrement médical approprié et pendant treize ans constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

92. Quelles que soient les entraves, soulignées par le Gouvernement, que le requérant ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime que celles-ci ne dispensaient pas l’État de ses obligations vis-à-vis du requérant.

93. Dans ces circonstances, et ainsi que le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et le tribunal même l’ont également constaté dans respectivement l’ordonnance du 10 octobre 2014 et le jugement du 9 septembre 2016 (voir paragraphes 45 et 49, ci-dessus), la Cour conclut à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant dans les conditions examinées ci-dessus pendant une période allant du 21 janvier 2004, date de son placement à l’EDS de Paifve à ce jour, à l’exception de deux périodes, entre mai et novembre 2010 et entre juillet 2014 et fin 2015, durant lesquelles fut mise à sa disposition une psychologue germanophone. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

94. Le requérant allègue que sa détention n’est pas régulière étant donné qu’il ne reçoit pas le traitement psychologique et psychiatrique que son état de santé mentale requiert. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention.

95. Compte tenu du fait que, depuis le 20 février 2004, le requérant n’est détenu que sur la base de la décision de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège du 16 juin 2003 confirmée par l’arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège du 1er août 2003 faisant application de l’article 7 de la loi de défense sociale et de l’arrêté ministériel du 15 janvier 2004 faisant application de l’article 21 de la loi de défense sociale, c’est l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention qui est applicable (voir, parmi d’autres, L.B. c. Belgique, no 22831/08, § 89, 2 octobre 2012). La partie pertinente de cette disposition se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

[...]

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

[...] »

96. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Thèses des parties

97. Le requérant fait valoir que sa détention n’est pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention compte tenu du fait qu’il ne reçoit pas le traitement que son état de santé mentale requiert en raison d’un problème linguistique. En effet, il estime que sa détention doit permettre de faire en sorte qu’il reçoive les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société. Ainsi, un internement doit, selon le requérant, obligatoirement être accompagné de soins appropriés. Or en l’espèce, personne n’est capable de dispenser des soins au requérant en allemand, la seule langue qu’il comprend et parle, et, qui plus est, est une des trois langues nationales en Belgique. L’illégalité de la détention du requérant a d’ailleurs été constatée à plusieurs reprises par la CDS elle-même, notamment dans sa décision du 29 avril 2010. Aussi, la CDS a également constaté que l’absence de soins résultait en l’espèce de l’inertie de l’administration.

98. Le Gouvernement se réfère à son argumentation développée sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir que la présente requête s’apparente à l’affaire De Schepper c. Belgique, dans laquelle la Cour avait constaté que les autorités belges n’avaient pas manqué à leur obligation de tenter d’assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté, mais que leurs efforts s’étaient avérés infructueux à cause surtout de l’évolution de l’état du requérant et de l’impossibilité thérapeutique pour les établissements contactés de le traiter (De Schepper c. Belgique, no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009). Il postule la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

99. La Cour renvoie aux quatre arrêts de principe qu’elle a adoptés en ce qui concerne la situation en Belgique de l’internement des délinquants souffrant de troubles mentaux et dans lesquels elle expose les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence permettant d’évaluer la régularité de la privation de liberté et du maintien en détention d’une personne atteinte de troubles mentaux (L.B. c. Belgique, précité, §§ 91-94, Claes, précité, §§ 112-115, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, §§ 76, 77 et 79, 10 janvier 2013, Swennen c. Belgique, no 53448/10, §§ 69‑72, 10 janvier 2013 ; voir également Papillo c. Suisse, no 43368/08, §§ 41-43, 27 janvier 2015).

100. En l’espèce, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que l’internement a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

101. La Cour rappelle que, pour qu’une détention puisse être considérée comme « régulière », il faut notamment qu’il existe un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de la détention (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 69, CEDH 2008, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 147, CEDH 2012).

102. Elle constate ensuite qu’à la différence des affaires de principe précitées (voir paragraphe 99, ci-dessus), le requérant est détenu dans un établissement de défense sociale a priori adapté tant à son état de santé mentale qu’à sa dangerosité (paragraphe 52, ci-dessus).

103. La Cour a également constaté, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, qu’il n’y a pas été entouré de soins appropriés et s’est trouvé confiné pendant treize ans dans des conditions inappropriées qu’elle considère contraires à l’article 3 (paragraphe 93, ci‑dessus). Cela étant, la Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle, pourvu que la détention d’une personne comme malade mental ait lieu dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié, le caractère adéquat du traitement ou du régime ne relève pas de l’article 5 § 1 e) de la Convention (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 51, série A no 33, Ashingdane, précité, § 44, et Stanev, précité, § 147). En l’espèce, il y a eu toujours un lien entre le motif de l’internement et la maladie mentale du requérant. L’absence de soins appropriés, pour des raisons qui sont en l’espèce étrangères à la nature même de l’établissement dans lequel le requérant a été détenu, n’a pas rompu ce lien et n’a pas rendu la détention irrégulière (voir Ashingdane, précité, § 49).

104. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

105. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

106. Le requérant réclame 800 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi. Il fait valoir que, s’il avait été en liberté, il aurait pu travailler. Ce manque à gagner doit être apprécié globalement avec le dommage moral subi du fait de la détention injuste et inopérante. Aussi, le requérant estime que son dommage doit être calculé selon une indemnisation pour chaque jour de détention depuis l’ordonnance de la chambre du conseil du 16 juin 2003. Sur base d’un montant de 200 EUR par jour de détention, il arrive à un montant total de 800 000 EUR au moment du dépôt de ses observations, soit le 29 juillet 2014. Il se remet toutefois à la sagesse de la Cour en ce qui concerne le montant par jour et le montant total. Enfin, le requérant demande que la Cour dise explicitement que le dommage subi perdurera jusqu’à sa mise en liberté effective.

107. Le Gouvernement constate que pour le calcul du dommage, le requérant s’inspire du système d’indemnisation pour détention inopérante. Or cette comparaison serait sans pertinence en l’espèce puisque le requérant a fait l’objet d’une décision régulière d’internement. Se référant à la jurisprudence existante de la Cour en la matière, le Gouvernement postule une somme qui n’excède pas 15 000 EUR.

108. En l’absence de lien de causalité démontré entre la violation de l’article 3 de la Convention et le dommage matériel, la Cour rejette les prétentions du requérant à ce titre.

109. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en détention sans prise en charge adéquate de son état de santé. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 15 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, mutatis mutandis, W.D c. Belgique, précité, § 177).

B. Frais et dépens

110. Le requérant demande également, sans justificatifs à l’appui, une somme globale et forfaitaire de 100 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

111. Le Gouvernement estime que cette demande doit être rejetée. D’une part, le requérant bénéficie de l’assistance judiciaire gratuite pour sa défense dans les procédures internes qui couvre également les honoraires d’avocats. D’autre part, le requérant n’a pas apporté la preuve de la réalité des frais encourus et un certain nombre de ces frais portent d’ailleurs sur des procédures encore pendantes dont l’issue n’est pas connue.

112. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, le requérant ne joint aucune facture ni aucune note de frais ou d’honoraires qui viendrait établir la réalité des frais engagés ni aucune ventilation des frais selon les procédures et le temps y consacrés. La Cour rejette par conséquent la demande du requérant.

C. Intérêts moratoires

113. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 juillet 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Karakaş.

R.S.
S.H.N.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE LA JUGE KARAKAŞ

Je ne partage pas l’avis de la majorité selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

La majorité constate que le requérant est détenu dans un établissement de défense sociale a priori adapté tant à son état de santé mentale qu’à sa dangerosité.

De mon point de vue, la situation du requérant contredit totalement ce constat. Le requérant n’est pas détenu dans un établissement adapté à son état de santé. Tout d’abord, il n’a pas bénéficié de soins appropriés et a été maintenu pendant plus de treize ans dans des conditions inappropriées contraires à l’article 3 (paragraphe 93 de l’arrêt). Je pense que cette situation a eu pour effet de rompre le lien requis par l’article 5 § 1 e) de la Convention entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci a lieu.

Dans l’affaire Stanev c. Bulgarie (no 36760/06, CEDH 2012), la Cour, rappelant les principes régissant la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, s’est exprimée ainsi :

« 145. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Chtoukatourov, précité, § 114, et Varbanov, précité, § 45).

146. Quant à la deuxième condition citée ci-dessus, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux peut s’imposer non seulement lorsqu’elle a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV).

147. La Cour rappelle en outre qu’il faut un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de la détention. En principe, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité (Ashingdane, précité, § 44, et Pankiewicz c. Pologne, no 34151/04, §§ 42-45, 12 février 2008). Sous réserve de ce qui précède, le traitement ou régime adéquats ne relèvent pourtant pas, en principe, de l’article 5 § 1 e) (Ashingdane, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 49) ».

Il est clair d’après notre jurisprudence que la détention n’est « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité. Les personnes concernées sont mises à l’écart de la société non pas uniquement parce qu’elles sont dangereuses mais également pour pouvoir recevoir des soins adaptés. Même si le traitement ou régime adéquats ne relèvent pourtant pas, en principe, de l’article 5 § 1 e), en l’absence de soins adaptés une détention d’une durée indéterminée cesse d’être une détention régulière au sens de l’article 5 § 1 e). La Cour doit, dans chaque cas, examiner si la détention du requérant a lieu dans un établissement approprié.

La Cour a constaté la violation de l’article 5 § 1 e) dans son arrêt pilote W.D c. Belgique (no 73548/13, 6 septembre 2016) concernant la détention de délinquants souffrant de troubles mentaux dans des unités psychiatriques de prisons ordinaires où on ne leur offre pas de prise en charge thérapeutique appropriée. Le cas d’espèce, l’affaire Rooman, concerne un établissement de défense sociale, Paifve, qui dépend du service public fédéral de la Justice.

Selon le dernier rapport de la Commission de surveillance de Paifve (autorité publique), en date de novembre 2016, l’établissement présente des défaillances importantes. Dans le cadre d’« une absence de continuité des soins », il existe une « insuffisance marquée du nombre de psychiatres soins comparé à un établissement psychiatrique conventionnel » et « l’insuffisance de soins psychiatriques et psychologiques est d’autant plus lourde de conséquences pour les patients internés pour faits de mœurs ».

Ainsi, le rapport constate ceci :

« Il est regrettable que l’EDS de Paifve ne possède pas un service spécialisé dans les déviances sexuelles alors qu’une proportion importante de patients sont internés pour des comportements déviants parfois très graves ».[1]

La question soulevée par cette affaire n’est pas uniquement l’absence de personnel soignant parlant allemand, mais aussi l’absence, dans l’EDS de Paifve, de soins pour les personnes qui ont des déviances sexuelles (le requérant a lui aussi été condamné pour violences sexuelles – paragraphe 7 de l’arrêt). On peut en déduire que la détention du requérant n’a pas eu lieu dans un établissement de défense sociale « a priori » adapté à son état de santé mentale et à sa dangerosité. Cette situation a duré plus de treize ans, période pendant laquelle il a été privé des soins requis par son état.

Dans ses arrêts de principe (L.B. c. Belgique, no 22831/08, 2 octobre 2012, Claes c. Belgique no 43418/09, 10 janvier 2013, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, 10 janvier 2013, et Swennen c. Belgique, no 53448/10, 10 janvier 2013), la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention au motif que la détention des requérants, déclarés pénalement irresponsables de leurs actes, pendant une période significative, dans une unité psychiatrique d’une prison reconnue comme étant inadaptée à leurs besoins, avait eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci avait eu lieu. Elle a poursuivi le même raisonnement dans son arrêt pilote W.D c. Belgique (précité, § 133), reconnaissant le problème structurel du maintien prolongé de personnes dans des unités psychiatriques de prisons sans encadrement thérapeutique adapté (§ 169).

L’abondant matériel sur le monde de la défense sociale en Belgique révèle toute la complexité de son régime légal et le décrit comme « un monde entre soins et sécurité »[2], dont les caractéristiques sont décrites comme suit :

« Annexes surpeuplées, maintien des internés dans des sections de droit commun, manque d’encadrement thérapeutique, établissement et sections de défense sociale chroniquement saturés, durée d’attente d’environ 3 ans avant le transfert de l’annexe psychiatrique vers un établissement ou une section de défense sociale, la défense sociale en Belgique reste une situation bien complexe et présente une image peu reluisante ». [3]

Il est clair qu’en Belgique, tant en annexe psychiatrique de prison (Merksplas) qu’en établissement de défense sociale (Paifve), la question du manque de soins adaptés demeure actuelle. À la lumière de ces considérations, je ne vois pas de différence entre les arrêts de principe et l’affaire Rooman, et je ne comprends pas comment la majorité parvient à une conclusion différente.

En conclusion, le fait que le requérant soit interné depuis plus de treize ans dans un lieu qui ne répond pas à son état de santé mentale a rompu le lien requis par l’article 5 § 1 e) de la Convention entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci a lieu. Dès lors, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

C’est la raison pour laquelle j’ai également voté contre le montant alloué pour le dommage moral, car il devrait prendre en compte la violation de l’article 5 § 1.

* * *

[1]. [http://www.ccsp-ctrg.be/fr/system/files/rapport_annuel_2016_paifve.pdf](http://www.ccsp-ctrg.be/fr/system/files/rapport_annuel_2016_paifve.pdf)

[2]. Y. Cartuyvels, B. Champetier, A. Wyvekens, « La défense sociale en Belgique, entre soin et sécurité. Une approche empirique » – [https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2010-4-page-615.htm](https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2010-4-page-615.htm)

[3]. Ibidem ; voir aussi le rapport du service public fédéral de la Justice établi par l’ERCI – [http://www.psy107.be/images/Synth%C3%A8se_Rapport-ERCI%20docx.pdf](http://www.psy107.be/images/Synth%C3%A8se_Rapport-ERCI%20docx.pdf)


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