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13/07/2017 | CEDH | N°001-175671

CEDH | CEDH, AFFAIRE XENOS c. GRÈCE, 2017, 001-175671


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE XENOS c. GRÈCE

(Requête no 45225/09)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2017

DÉFINITIF

13/10/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Xenos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Pauliine K

oskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE XENOS c. GRÈCE

(Requête no 45225/09)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2017

DÉFINITIF

13/10/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Xenos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45225/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Evaggelos Xenos (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Mes V. Chirdaris et G. Fatouros, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, conseillère auprès du Conseil juridique de l’État et M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation des articles 6 et 13 de la Convention.

4. Le 6 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1944 et réside à Pefki.

6. Le 30 octobre 2000, le requérant, employé dans un hôtel, fut licencié.

7. Le 2 janvier 2001, il saisit les juridictions civiles d’une action en dommages-intérêts dirigée contre son employeur. Il réclamait 1) l’annulation de son licenciement qu’il estimait illégal et abusif, 2) sa réintégration à son poste, 3) le versement de salaires pour la période allant du 30 octobre 2000 au 31 décembre 2001 et 4) le versement de 5 056 573 drachmes, soit 14 840 euros (EUR) environ, au titre des compléments de salaire et des indemnités qu’il disait ne pas lui avoir été versés entre 1994 et 2000.

8. L’audience devant le tribunal de première instance d’Athènes (« le tribunal de première instance »), initialement fixée au 23 avril 2001, fut reportée au 11 janvier 2002. La raison de cet ajournement n’apparaît pas dans le dossier.

9. Le 10 avril 2002, le tribunal rejeta l’action pour défaut de fondement (jugement no 841/2002).

10. Le 28 juin 2002, le requérant interjeta appel. L’audience devant la cour d’appel d’Athènes (« la cour d’appel »), initialement fixée au 8 octobre 2002, fut reportée au 7 janvier 2003. La raison de cet ajournement n’apparaît pas dans le dossier.

11. Le 26 février 2003, la cour d’appel déclara que l’audience était irrégulière, faute de citation légale de la partie intervenante par le requérant (décision no 1504/2003).

12. Le 28 février 2003, le requérant demanda la reprise de l’instance.

13. Le 10 juillet 2003, la cour d’appel statua sur la partie de l’appel relative à l’annulation du licenciement du requérant et au versement des salaires réclamés, et la rejeta. Elle réserva la question du versement des compléments de salaire et des indemnités réclamés en attendant l’issue d’une autre procédure, pendante devant la Cour de cassation, introduite par un collègue du requérant et ayant le même objet (arrêt no 5.913/2003).

14. Le 7 décembre 2004, la Cour de cassation publia sa décision concernant ladite procédure (décision no 1399/2004).

15. Le 19 janvier 2006, la partie adverse demanda la reprise de l’instance devant la cour d’appel.

16. Le 4 juillet 2006, la cour d’appel débouta le requérant s’agissant du versement des compléments de salaire et des indemnités (arrêt no 5233/2006).

17. Le 30 octobre 2006, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt no 5233/2006 ainsi que contre l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel.

Son pourvoi était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) Je note que mon pourvoi dirigé contre les arrêts nos 5.913/2003 et 5233/2006 est recevable, puisqu’il ressort des articles 513 § 1b et 553 § 1b du code de procédure civile qu’un appel ou un pourvoi en cassation ne peut être exercé que contre un arrêt définitif par lequel [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée soit seulement la partie concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, la partie définitive [de cette décision] ne peut, à elle seule, faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi avant la publication d’un arrêt mettant fin à l’ensemble de l’instance. Il ressort de cette disposition, combinée avec l’article 218 § 1 du même code que, en cas de demandes jointes, dans un acte unique émanant d’un même demandeur contre un même défendeur, l’arrêt qui met fin à l’instance quant à une demande, sans pour autant se prononcer définitivement sur les autres demandes, ne peut pas faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi. Dès lors, étant donné que l’instance s’est achevée avec l’arrêt no 5233/2006 de la cour d’appel d’Athènes, l’arrêt no 5.913/2003, en ce qui concerne ses dispositions définitives, [ne] pouvait être contesté [qu’]à partir de [la] publication [de l’arrêt no 5233/2006] (...) »

18. L’audience devant la Cour de cassation, initialement fixée au 13 novembre 2007, fut reportée au 11 novembre 2008. Il ressort du dossier que le requérant avait demandé l’ajournement de l’affaire pour des raisons liées à la santé de son représentant.

19. Le 20 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta pour tardiveté le pourvoi quant à la partie dirigée contre l’arrêt no 5.913/2003. Elle releva qu’il ressortait des articles 495 § 1, 564 § 3 et 577 §§ 1 et 2 du code de procédure civile (CPC) que, si l’arrêt de la cour d’appel n’avait pas été notifié, le délai pour se pourvoir en cassation était de trois ans à compter de la publication d’un tel arrêt de la cour d’appel. Elle observa qu’en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel no 5.913/2003 avait été publié le 10 juillet 2003 et que le requérant avait déposé son pourvoi le 30 octobre 2006, soit plus de trois ans plus tard et donc hors du délai prévu. Elle rejeta en outre le restant du pourvoi, portant sur l’arrêt no 5233/2006, pour défaut de fondement (arrêt no 170/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 28 avril 2009.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de procédure civile

20. Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure civile (CPC) se lisaient comme suit à l’époque des faits :

Article 218

« 1. Plusieurs demandes émanant d’un même demandeur et dirigées contre un même défendeur, qui ont le même fondement ou un fondement différent, qui concernent le même objet ou un objet différent et qui sont basées sur un même motif ou sur un motif différent, peuvent être jointes dans un même acte a) si elles ne sont pas contradictoires ; b) si, dans leur ensemble, elles relèvent de la compétence du tribunal devant lequel elles sont introduites eu égard à leur montant ; c) si elles relèvent de la compétence territoriale du même tribunal ; d) si elles sont soumises au même type de procédure et e) si leur examen simultané ne prête pas à confusion.

2. Si plusieurs demandes ont été jointes sans que les conditions énoncées au paragraphe 1 se soient trouvées réunies, leur séparation est ordonnée à la suite d’une demande ou d’office (...) »

Article 495

« 1. Les pourvois (...) en cassation sont engagés au moyen du dépôt de l’original d’une requête au secrétariat du tribunal qui a publié l’arrêt attaqué. »

Article 513

« 1. Un appel ne peut être formé que contre les arrêts rendus en première instance : (...) b) (...) définitifs, [et] par lesquels [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée, soit uniquement l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. (...) Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, l’introduction d’un appel n’est pas permise contre les dispositions définitives [en question] avant la publication d’un arrêt définitif [mettant fin à l’ensemble de l’instance]. »

Article 553

« 1. Un pourvoi en cassation ne peut être formé que contre les arrêts qui ne peuvent faire l’objet d’une opposition ou d’un appel, a) (...), b) [à l’égard] des arrêts définitifs par lesquels [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée, soit uniquement l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt définitif [mettant fin à l’ensemble de l’instance] (...) »

Article 564

« (...) 3. Si l’arrêt [de la cour d’appel] n’a pas été notifié, le délai pour se pourvoir en cassation est de trois (3) ans et commence à courir à compter de la date de la publication de l’arrêt qui met fin à l’instance. »

Article 577

« 1. Le tribunal examine d’abord la recevabilité du pourvoi en cassation.

2. Si le pourvoi en cassation n’a pas été introduit valablement ou s’il manque une condition de recevabilité, la Cour de cassation le rejette d’office. »

B. Le code civil

21. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

Article 105

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, excepté si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

C. La loi no 4239/2014

22. La loi no 4239/2014 relative à la satisfaction équitable en raison d’un dépassement du délai raisonnable dans des procédures devant les juridictions civiles, pénales ou devant la Cour des comptes est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle a introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 de cette loi dispose en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »

D. La jurisprudence de la Cour de cassation

1. L’arrêt no 24/2001 de la Cour de cassation

23. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt no 24/2001 de la Cour de cassation se lisent ainsi :

« (...)

Il ressort de l’article 553 § 1 du code de procédure civile que, lorsqu’un arrêt [de la cour d’appel] est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé, même contre les dispositions définitives de cet arrêt, avant la publication d’un arrêt définitif concernant l’ensemble de l’affaire, et ce afin d’éviter la fragmentation de l’affaire et [afin de s’assurer que] la procédure soit menée rapidement. Lorsque plusieurs actes ou demandes ont été joints dans le même acte, un pourvoi en cassation ne peut être formé avant que l’instance soit achevée à l’égard de toutes les demandes [ayant été] jointes [dans le même acte]. (...) »

2. L’arrêt no 295/2007 de la Cour de cassation

24. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt no 295/2007 de la Cour de cassation se lisent ainsi :

« (...)

Un pourvoi en cassation ne peut être formé contre des arrêts définitifs mais non finaux, à savoir ceux qui acceptent ou rejettent une demande autonome mais reportent l’examen définitif des autres demandes pendantes dans la même procédure, lorsque la demande examinée de manière définitive et la demande qui est toujours pendante (...) [ont entre elles un lien compte tenu duquel] l’introduction d’un pourvoi en cassation entraînerait un risque (...) que des arrêts contradictoires soient rendus. (...) »

3. Les arrêts nos 1060/2004 et 409/2009 de la Cour de cassation

25. Les arrêts nos 1060/2004 et 409/2009 de la Cour de cassation sont ainsi libellés, de manière identique, en leur passage pertinent en l’espèce :

« (...)

Il ressort des dispositions identiques des articles 513 § 1 b) et 553 § 1 du code de procédure civile que l’appel et le pourvoi en cassation ne peuvent être formés que contre des arrêts définitifs mettant fin [soit] à l’ensemble de l’instance, soit uniquement à l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un appel ou un pourvoi en cassation ne peuvent être formés contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt définitif. Il ressort de cette disposition, combinée avec l’article 218 §1 du même code, que, lorsque plusieurs demandes émanant du même demandeur contre le même défendeur ont été jointes dans un même acte, l’arrêt clôturant le litige quant à une demande, sans se prononcer de manière définitive sur [la ou les autres demandes], n’est pas susceptible des recours susmentionnés, notamment lorsque les demandes présentées sont interdépendantes, c’est-à-dire lorsque l’une est accessoire à une autre [ou à d’autres] et lorsque la résolution du litige dépend de la résolution de [la ou des autres demandes]. (...) »

4. L’arrêt no 541/2009 de la Cour de cassation

26. L’arrêt du 9 mars 2009 de la Cour de cassation – prononcé à l’occasion d’un litige portant sur la fixation du montant d’une pension alimentaire, à l’attribution de la garde d’un enfant et aux modalités de la communication des intéressés avec celui-ci – se lit ainsi en sa partie pertinente en l’espèce :

« (...)

Il ressort de la disposition de l’article 553 § 1 du code de procédure civile qu’un pourvoi en cassation peut être formé contre les arrêts définitifs non susceptibles d’opposition et d’appel et mettant fin [soit] à l’ensemble de l’instance, soit uniquement à l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt [mettant définitivement fin] au litige (Cour de cassation, arrêt no 1150/2006). Par ailleurs, l’article 218 § 1 du code de procédure civile prévoit [la possibilité de faire] le choix procédural, basé sur le principe de l’économie du procès, de joindre dans le même mémoire plusieurs actes (...). Les demandes peuvent avoir des bases juridiques et factuelles différentes et concerner des objets différents pouvant entraîner des conséquences juridiques différentes. Il ressort des dispositions susmentionnées que, si plusieurs demandes émanant d’un même demandeur contre un même défendeur ont été jointes dans un même mémoire, dans le but d’économiser du temps et des frais, et que pour l’une d’entre elles un arrêt définitif a été publié, tandis que pour l’autre ou les autres actions un arrêt non définitif a été publié, l’arrêt définitif peut être soumis de manière autonome à un pourvoi en cassation, et ce avant qu’un arrêt définitif sur toutes les actions jointes soit publié (Cour de cassation, arrêt no 1565/2001, arrêt no 24/2001). Et ce en raison du fait que l’arrêt en cause met fin au litige sur l’action au sens de l’article 553 § 1 b) du code de procédure civile (...). Chacune de ces actions préserve la même autonomie procédurale que la demande reconventionnelle, qui est susceptible de pourvoi en cassation bien que la procédure sur l’action ne soit pas achevée. Selon l’arrêt no 1060/2004 de la Cour de cassation, quand plusieurs demandes émanant d’un même demandeur [et dirigées] contre un même défendeur ont été jointes dans le même mémoire, l’arrêt par lequel l’instance s’est achevée quant à l’une des demandes sans s’être prononcé de manière définitive sur l’autre demande n’est pas susceptible de pourvoi de manière autonome, notamment lorsque les demandes présentées sont interdépendantes, c’est-à-dire lorsque l’une est accessoire à une autre [ou à d’autres] et lorsque la résolution du litige dépend de la résolution de l’autre [demande]. (...) »

27. Dans cette affaire, la Cour de cassation a déclaré recevable le pourvoi dirigé contre la partie de l’arrêt de la cour d’appel clôturant de manière définitive le litige et elle a procédé à son examen.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT À LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

28. Le requérant se plaint de la durée de la procédure interne. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente en l’espèce :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

29. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

30. Le requérant affirme que le retard résultant de la notification erronée de la citation à comparaître ne concernait qu’une période d’un mois, à savoir du 7 janvier 2003, date à laquelle l’audience aurait été déclarée irrégulière, au 28 février 2003, date à laquelle lui-même aurait demandé la fixation d’une nouvelle audience. Il ajoute qu’il ne peut pas être tenu pour responsable du retard causé par la décision de la cour d’appel d’ajourner l’examen de son affaire jusqu’à ce qu’une décision soit prise dans la procédure ayant le même objet et qu’il ne lui était pas possible de vérifier quotidiennement si une décision avait été publiée par la Cour de cassation dans ladite procédure. Enfin, il précise que, le 13 novembre 2007, il a demandé l’ajournement de l’affaire devant la Cour de cassation pour des raisons liées à la santé de son représentant.

31. Procédant à une analyse chronologique de la procédure en cause, le Gouvernement estime que l’affaire a été dans son ensemble jugée dans des délais raisonnables. Il ajoute que le requérant est responsable des retards survenus dans le déroulement de la procédure. En particulier, il indique que, le 26 février 2003, l’audience a été déclarée irrégulière au motif que le requérant n’avait pas suivi les règles procédurales concernant la notification de la citation à comparaître au tiers intervenant. Il précise en outre que les autorités judiciaires ne peuvent pas être tenues pour responsables s’agissant de la période comprise entre 2004 et 2006. Il indique à cet égard que, à la suite de la décision no 1399/2004 de la Cour de cassation qui portait sur une autre procédure ayant le même objet, le requérant n’avait plus intérêt à poursuivre l’affaire, car, aux dires du Gouvernement, il savait que son appel était dénué de toute chance de succès. C’est pour cette raison, selon le Gouvernement, que le 16 janvier 2006, c’est la partie adverse et non le requérant qui a demandé la tenue d’une audience dans l’affaire en cause. Le Gouvernement ajoute que, à la suite de l’introduction du pourvoi en cassation, la reprise de l’instance a également été demandée par la partie adverse. Enfin, il souligne que, le 13 novembre 2007, le requérant a demandé l’ajournement de l’audience devant la Cour de cassation.

2. Appréciation de la Cour

32. La Cour note que la période à considérer a commencé le 2 janvier 2001, date à laquelle le requérant a saisi le tribunal de première instance d’une action en dommages-intérêts contre son employeur. La procédure s’est terminée le 28 avril 2009, date à laquelle l’arrêt no 170/2009 de la Cour de cassation a été mis au net et certifié conforme. Elle a donc duré huit ans et quatre mois environ pour trois instances.

33. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, 30 octobre 2012).

34. La Cour rappelle ensuite avoir traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce et y avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Glykantzi, précité).

35. En l’espèce, elle note que l’affaire ne présentait aucune complexité particulière. S’agissant des arguments du Gouvernement relatifs aux retards imputables au requérant, elle considère que, à supposer même que les retards en question puissent être attribués au requérant, il n’en demeure pas moins que, quand bien même on déduirait ces derniers de la durée totale de la procédure, la période restante serait d’une durée excessive. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle considère que, en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

36. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EN RAISON D’UNE ABSENCE DE RECOURS EFFECTIF PERMETTANT DE SE PLAINDRE DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

37. Le requérant se plaint également d’une absence de recours effectif qui lui aurait permis de se plaindre de la durée excessive de la procédure en cause devant les juridictions internes. Il invoque à cet égard l’article 13 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

38. Le Gouvernement soutient que le requérant avait la possibilité d’introduire une action en dommages-intérêts contre l’État devant les juridictions administratives sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, en invoquant l’article 6 § 1 de la Convention. Dès lors, selon le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé les voies des recours internes.

39. La Cour a déjà constaté que la voie de recours mentionnée par le Gouvernement ne répondait pas aux exigences de l’article 13 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Glykantzi, précité). Dès lors, il convient de rejeter cette exception dans le cadre de la présente affaire.

40. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

41. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

42. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir déjà constaté que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 34, 21 décembre 2010, Glykantzi, précité, § 54, et Michelioudakis c. Grèce, no 54447/10, § 51, 3 avril 2012, avec les références qui y sont citées).

43. La Cour note que le 20 février 2014 est entrée en vigueur la loi no 4239/2014 relative à la satisfaction équitable en raison d’un dépassement du délai raisonnable dans des procédures devant les juridictions civiles ou pénales ou devant la Cour des comptes. Cette loi a établi un nouveau recours permettant de se plaindre de la durée de chaque instance devant les juridictions civiles, dans un délai de six mois à compter de la date de publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure est alléguée avoir été excessive (paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, la Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires qui, comme en l’espèce, se sont terminées six mois avant son entrée en vigueur. Partant, le requérant ne pouvait pas exercer ledit recours.

44. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne, à l’époque des faits, d’un recours qui aurait permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION QUANT AU DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL

45. Sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet partiel de son pourvoi pour tardiveté par la Cour de cassation. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause. Elle a déjà estimé que, lorsque de telles questions se posaient, les garanties de l’article 13 de la Convention se trouvaient absorbées par les garanties plus strictes de l’article 6 (Ravon et autres c. France, no 18497/03, § 27, 21 février 2008). Dès lors, il y a lieu d’examiner les allégations du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Cet article se lit ainsi dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

46. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

47. Le requérant affirme que, selon la législation interne et la jurisprudence de la Cour de cassation, un pourvoi en cassation ne peut être formé qu’à l’encontre des arrêts définitifs. Qui plus est, selon le requérant, lorsque l’arrêt est partiellement définitif, l’introduction d’un pourvoi en cassation n’est pas permise avant la publication d’un arrêt définitif portant sur l’ensemble de l’affaire en cause. En l’espèce, le requérant estime que l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel n’était pas définitif. Par conséquent, selon lui, le délai pour se pourvoir en cassation aurait dû courir à compter de la publication de l’arrêt définitif no 5233/2006 de la cour d’appel.

48. Le requérant soutient en outre que l’article 553 du CPC est explicite et clair à cet égard et qu’aucune distinction n’est prévue en fonction de la pertinence des différentes demandes qui ont été jointes dans le même mémoire. Il plaide que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, et notamment d’après son arrêt no 24/2001, un pourvoi en cassation ne peut être formé avant la clôture, par un arrêt définitif, de toutes les demandes qui ont été jointes dans un même mémoire. Il allègue que, le 10 juillet 2003, date de publication de l’arrêt no 5.913/2003, la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière était claire. Dès lors, il considère que la Cour de cassation a procédé en l’espèce à une interprétation contra legem des dispositions applicables.

49. Le requérant affirme enfin que, dans son arrêt no 409/2009, la Cour de cassation a admis que, si différentes demandes sont jointes dans un même recours, la décision clôturant l’affaire quant à l’une d’entre elles sans se prononcer définitivement sur l’autre ou les autres demandes n’est pas susceptible de recours « notamment » lorsque toutes les demandes sont interdépendantes. Selon le requérant, cette formulation n’exclut pas l’application de l’article 553 du CPC lorsque les demandes ne sont pas interdépendantes et, surtout, elle n’impose pas aux justiciables d’introduire un pourvoi en cassation séparément contre chacune des décisions de la cour d’appel.

50. Le Gouvernement partage l’avis du requérant selon lequel, d’après le droit interne pertinent, seuls les arrêts définitifs sont susceptibles de recours. Il estime également que, s’agissant d’un arrêt partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé avant la publication d’un arrêt définitif. Toutefois, aux yeux du Gouvernement, cette règle concerne uniquement les cas où les demandes jointes dans un même mémoire sont liées et pertinentes.

51. Le Gouvernement indique encore qu’il ressort de manière claire des articles 218 § 1 et 553 § 1 b) du CPC, ainsi que de la jurisprudence constante de la Cour de cassation à l’époque des faits, qu’une distinction est opérée selon que les demandes jointes sont ou ne sont pas liées ou dépendantes les unes des autres. Il soutient que, lorsque ces demandes ne sont pas liées ou dépendantes les unes des autres, l’arrêt de la cour d’appel qui clôture l’affaire à l’égard de l’une de ces demandes sans être définitif pour le restant du recours peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Cette approche sert, selon le Gouvernement, l’économie et l’accélération du procès. Le Gouvernement affirme en outre que, si en vertu de l’article 218 du CPC, l’intéressé peut joindre différentes demandes dans un même mémoire afin de favoriser l’économie du procès, il a par la suite la responsabilité de se tenir informé du déroulement de la procédure à l’égard de son affaire devant les juridictions internes.

52. Le Gouvernement indique par ailleurs que, en l’espèce, le requérant a joint, dans un même mémoire, des demandes ayant des bases juridiques et factuelles différentes. Il ajoute que ces demandes auraient pu être introduites par des actes différents. Dès lors, il estime que le requérant aurait dû former son pourvoi en cassation contre la partie définitive de l’arrêt no 5.913/2003 dans un délai de trois ans à partir de la publication de cet arrêt. Il considère donc que le requérant n’a pas respecté les règles procédurales.

2. Appréciation de la Cour

53. La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Son rôle à elle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 37, 11 janvier 2001, Yagtzilar et autres c. Grèce, no 41727/98, § 25, 6 décembre 2001, et Stamouli et autres c. Grèce, no 1735/07, § 19, 28 mai 2009). Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles procédurales telles que celles fixant les délais à respecter pour le dépôt des documents ou l’introduction des recours (Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII). La réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).

54. La Cour rappelle encore que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Gruais et Bousquet c. France, no 67881/01, § 26, 10 janvier 2006). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 89, CEDH 2016 (extraits), et Viard c. France, no 71658/10, § 29, 9 janvier 2014).

55. La Cour rappelle enfin que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 de la Convention (voir, parmi d’autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11, et Erfar-Avef c. Grèce, no 31150/09, § 39, 27 mars 2014). La manière dont l’article 6 § 1 s’applique aux procédures devant ces juridictions dépend des particularités de la procédure en cause. Pour en juger, il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction de cassation, les conditions de recevabilité d’un pourvoi pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (voir, parmi d’autres, Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 18, 24 mai 2006).

56. En l’espèce, la Cour note qu’il ressort des articles 553 et 564 du CPC qu’on ne peut introduire un pourvoi en cassation que contre un arrêt définitif et que, si l’arrêt de la cour d’appel n’a pas été notifié, le délai pour se pourvoir en cassation était, à l’époque des faits, de trois ans à compter de la date de publication de l’arrêt mettant fin à l’instance.

57. La Cour observe que, en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, l’interprétation de ces dispositions diffère en fonction du rapport que les demandes jointes dans la même action présentent entre elles. En présence de demandes interdépendantes, la Cour de cassation a considéré qu’un pourvoi en cassation ne pouvait être introduit qu’une fois le litige clôturé à l’égard de toutes les demandes (paragraphe 23 ci-dessus). En présence de demandes indépendantes les unes des autres et d’un pourvoi en cassation introduit uniquement contre l’arrêt de la cour d’appel statuant sur l’une d’entre elles, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi recevable et a procédé à son examen (paragraphes 26 et 27 ci-dessus).

58. En l’espèce, le requérant s’est pourvu en cassation à l’encontre de l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel plus de trois ans après sa publication, estimant que le délai commençait à courir à la date de la publication de l’arrêt no 5233/2006 du même tribunal. Toutefois, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi pour tardiveté en ce qui concerne l’arrêt no 5.913/2003. Elle a considéré qu’il ressortait des articles 495 § 1, 564 § 3 et 577 §§ 1 et 2 du CPC que, si l’arrêt de la cour d’appel n’avait pas été notifié, le délai applicable pour se pourvoir en cassation était de trois ans à compter de la publication de l’arrêt de la cour d’appel (paragraphes 17-19 ci-dessus).

59. La Cour estime dès lors que la question qui se pose dans la présente affaire est de savoir si l’application, par la Cour de cassation, des règles procédurales en question poursuivait un but légitime et s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En particulier, la Cour doit examiner s’il était déraisonnable d’exiger de l’intéressé de se pourvoir en cassation sans attendre la clôture de l’affaire à l’égard de toutes les demandes jointes.

60. Examinant en particulier la jurisprudence de la Cour de cassation à l’époque des faits, à savoir à la date de l’introduction par le requérant de son pourvoi en cassation, le 30 octobre 2006, la Cour note que la haute juridiction civile s’est exprimée comme suit : « (...) lorsque plusieurs demandes émanant du même demandeur contre le même défendeur ont été jointes dans un même acte, l’arrêt clôturant le litige quant à une demande, sans se prononcer de manière définitive sur [la ou les autres demandes], n’est pas susceptible [de] recours (...), notamment lorsque les demandes présentées sont interdépendantes » (arrêt no 1060/2004 de la Cour de cassation). De l’avis de la Cour, en utilisant le terme « notamment », la Cour de cassation avait déjà signalé, dans son arrêt no 1060/2004, une différence de traitement des demandes jointes dans le même acte en fonction de leur degré de dépendance. La Cour estime que le système présentait une clarté et des garanties suffisantes pour éviter un malentendu quant aux modalités d’exercice du pourvoi en cassation contre l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel clôturant de manière définitive une partie du litige. Il s’ensuit que le requérant pouvait s’attendre à ce que son pourvoi en cassation soit rejeté comme tardif.

61. La Cour relève en outre que, comme le soutient le Gouvernement, cette différence de traitement en fonction du degré de dépendance des demandes jointes est conforme au principe de l’économie du procès, qui imprègne tout le CPC, y compris les articles 513 § 1 b) et 553 § 1 b). En effet, l’approche de la Cour de cassation, qui permet l’introduction d’un pourvoi avant la publication d’un arrêt clôturant l’affaire quant à toutes les demandes jointes lorsque celles-ci sont indépendantes les unes des autres, est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, dans la mesure où elle évite aux intéressés d’attendre l’issue d’une procédure portant sur des demandes non pertinentes et leur permet d’obtenir plus rapidement un arrêt de cette juridiction tranchant le litige de manière irrévocable. Dès lors, la limitation en cause poursuivait un « but légitime ».

62. S’agissant du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour observe qu’en saisissant les juridictions civiles, le requérant a joint deux catégories de demandes : la première catégorie était liée à son licenciement, qu’il estimait illégal et abusif ; la seconde catégorie était relative au versement de salaires ainsi que de compléments de salaire et d’indemnités qu’il estimait lui être dus par son employeur pour une période antérieure à son licenciement (paragraphe 7). Elle note que les demandes jointes par le requérant dans le même acte étaient en réalité indépendantes les unes des autres et qu’elles ont continué de l’être tout au long de la procédure litigieuse.

63. La Cour relève par ailleurs que l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel, qui a tranché la partie du litige relative à l’annulation du licenciement, contenait le raisonnement de cette juridiction, ainsi que toute la motivation pertinente quant au rejet des demandes du requérant à cet égard. En conséquence, le requérant avait la possibilité de connaître le contenu de cet arrêt dès sa mise au net, de sorte qu’il lui était également possible de formuler un pourvoi en cassation avec clarté et précision contre cette partie du litige sans attendre l’issue de la procédure quant à la partie restante (voir, a contrario, Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 26, 11 avril 2002). En effet, la question du versement des compléments de salaire et des indemnités, demande réservée par l’arrêt no 5.913/2003 jusqu’à l’issue d’une autre procédure pendante devant la Cour de cassation, n’avait aucune incidence sur ce point.

64. La Cour note en outre que le requérant s’est pourvu en cassation le 30 octobre 2006, soit plus de trois ans après le 10 juillet 2003, date de publication de l’arrêt no 5.193/2003 de la cour d’appel. Or, après la publication de cet arrêt, le requérant ne se trouvait plus dans l’incertitude concernant cette partie de son recours. Il pouvait tenter d’introduire son pourvoi en cassation, de sorte qu’il n’a pas été privé de la substance même de son droit.

65. De l’avis de la Cour, la bonne administration de la justice et le respect de la sécurité juridique, visées par la réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours, imposent, entre autres, de ne pas laisser une affaire pendante devant les juridictions internes pour une période indéfinie. L’approche de la Cour de cassation, permettant l’introduction d’un pourvoi avant la publication d’un arrêt clôturant l’affaire quant à toutes les demandes jointes, lorsqu’elles ont indépendantes les unes des autres, peut se révéler bénéfique, car elle évite aux intéressés d’attendre l’issue d’une procédure portant sur des demandes non pertinentes et leur permet d’obtenir plus rapidement un arrêt de la Cour de cassation tranchant le litige de manière irrévocable. Dès lors, la limitation en cause n’apparait pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

3. Conclusion

66. À la lumière de qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas été privé de la substance de son droit d’accès à un tribunal. En outre, les limitations appliquées poursuivaient un but légitime. L’application des limitations en cause n’a pas porté atteinte au caractère raisonnable du rapport entre les moyens employés et le but visé. Pour ces raisons, la Cour estime que le requérant n’a pas subi d’entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

67. Par conséquent, la Cour conclut il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de cette disposition.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

69. Le requérant réclame 18 565,87 euros (EUR) pour préjudice matériel ainsi que 50 000 EUR pour préjudice moral, demande qu’il ventile de la façon suivante : 40 000 EUR en raison de la violation alléguée du droit d’accès à un tribunal et 10 000 EUR en raison de la durée de la procédure.

70. Le Gouvernement invite la Cour à écarter ces demandes. Il considère en outre qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

71. La Cour rappelle qu’elle n’a conclu à la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention qu’à raison de la durée excessive de la procédure et non pas à raison de l’accès à un tribunal. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

72. Le requérant demande également, facture à l’appui, 1 230 EUR en remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour.

73. Le Gouvernement estime que les frais sollicités ne sont pas justifiés et que la somme demandée est excessive.

74. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

75. En l’espèce, eu égard aux justificatifs produits et aux critères mentionnés ci-dessus, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant 350 EUR pour les frais et dépens engagés pour la procédure devant elle, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

76. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure devant les juridictions internes ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence d’un recours effectif afin de se plaindre de la durée de la procédure ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 350 EUR (trois cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerKristina Pardalos
Greffière adjointePrésidente


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