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04/04/2017 | CEDH | N°001-172464

CEDH | CEDH, AFFAIRE THIMOTHAWES c. BELGIQUE, 2017, 001-172464


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE THIMOTHAWES c. BELGIQUE

(Requête no 39061/11)

ARRÊT

STRASBOURG

4 avril 2017

DÉFINITIF

18/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Thimothawes c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turkovi

,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE THIMOTHAWES c. BELGIQUE

(Requête no 39061/11)

ARRÊT

STRASBOURG

4 avril 2017

DÉFINITIF

18/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Thimothawes c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39061/11) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant égyptien, M. Waleed Nasser Thimothawes (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me Z. Chihaoui, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue que la détention qu’il a subie, alors qu’il avait demandé l’asile et était malade, était arbitraire et contraire à l’article 5 § 1 f) de la Convention.

4. Le 13 mars 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1984. Au moment de l’introduction de la requête, il était détenu au centre fermé pour illégaux de Bruges.

A. Mesure de détention initiale

6. Le 1er février 2011, le requérant se présenta à la frontière belge à l’aéroport de Bruxelles en provenance de la Turquie, muni d’un faux passeport canadien. Le jour même, il introduisit une demande d’asile et de protection subsidiaire « à la frontière » sous sa véritable identité.

7. D’emblée, il fit l’objet d’une décision de refus d’entrée avec refoulement pour demandeur d’asile (« annexe 11ter ») en application de l’article 52/3 § 2 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers »).

8. Le même jour, il reçut la notification d’une décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre de transit 127 à Melsbroek, près de l’aéroport.

9. Le 17 février 2011, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (« CGRA ») délivra au requérant une décision de refus du statut de réfugié et du statut de protection subsidiaire au motif que son récit n’était pas crédible.

10. Le 1er mars 2011, le requérant déposa une première requête de mise en liberté. Il dénonçait le caractère automatique de sa détention pour le seul motif qu’il ne possédait pas les documents requis pour entrer sur le territoire et alors même qu’il avait demandé la protection internationale. Il se plaignait en outre d’être détenu dans un lieu inapproprié. La demande du requérant fut déclarée non fondée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 5 mars 2011. Par un arrêt du 20 mars 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel formé par le requérant non fondé et confirma la légalité de la détention du requérant.

B. Deuxième mesure de détention

11. Le 26 mars 2011, l’office des étrangers (« OE ») tenta de rapatrier le requérant vers la Turquie, pays dans lequel il avait embarqué pour la Belgique, mais celui-ci refusa de partir. Par conséquent, une nouvelle décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière fut notifiée au requérant sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. Le requérant fut alors placé au centre fermé de Bruges.

12. Le 6 avril 2011, le requérant introduisit une nouvelle requête de mise en liberté. Il allégua que sa détention était contraire à la législation nationale et à l’article 5 § 1 f) de la Convention au motif que, d’une part, la détention des étrangers à la frontière était automatique et, d’autre part, que l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers sur la base duquel le maintien en détention du requérant avait été ordonné, ne prévoyait nullement la possibilité de répétition de la mesure de détention. Enfin, le requérant soutenait que sa détention n’était pas adéquate eu égard à son état de santé mentale et que les autorités n’avaient pas examiné la nécessité de la privation de liberté.

13. Le 15 avril 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête recevable et fondée et ordonna la mise en liberté immédiate du requérant. Après avoir rappelé qu’elle n’était compétente que pour se prononcer sur la légalité et non pas sur l’opportunité de la privation de liberté, la chambre du conseil considéra que la base légale de la mesure de détention était erronée. En effet, l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers ne permettant pas un réécrou, la décision du 26 mars 2011 aurait donc dû être prise sur la base de l’article 27 § 3 de la loi sur les étrangers.

14. L’État interjeta appel de cette ordonnance. Du fait de cet appel, le requérant resta détenu.

15. Le 3 mai 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel recevable et fondé et ordonna le maintien en détention du requérant. Elle considéra que la mesure avait été prise conformément à la loi :

« La mesure privative de liberté est motivée par le fait que le refoulement était prévu le 26 mars 2011, mais que l’étranger a refusé de partir, et que le maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière [était] nécessaire afin de garantir [que] le refoulement peut être renouvelé (article 74/5 § 1, 2o de la loi du 15 décembre 1980). »

16. Par ailleurs, la chambre des mises en accusation considéra que la mesure privative de liberté était revêtue d’une motivation adéquate et personnalisée en ce qu’elle énonçait expressément que le requérant n’était pas admis à pénétrer sur le territoire et qu’il convenait de garantir son rapatriement vers son pays d’origine. De plus, la détention n’était pas illégale par le seul fait que des mesures moins contraignantes auraient pu être prises. Enfin, les autres arguments du requérant avaient trait à l’opportunité et non pas à la légalité de la mesure privative de liberté, et échappaient donc au contrôle des juridictions.

17. Le requérant se pourvut en cassation. Invoquant une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, il allégua que sa détention était illégale en ce que, soit la mesure privative de liberté aurait dû être prise sur la base de l’article 74/5 § 3 de la loi sur les étrangers, soit les autorités auraient dû mentionner la jurisprudence constante qui permettrait de répéter une mesure de détention sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. De plus, la chambre des mises en accusation n’avait pas répondu à tous les moyens du requérant basés sur l’illégalité de sa privation de liberté.

18. Le 25 mai 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi sans objet étant donné que le requérant était détenu sur la base d’une nouvelle décision de privation de liberté prise par l’OE le 5 mai 2011 (voir paragraphe 20, ci‑dessous).

C. Troisième mesure de détention

19. Entretemps, le 5 mai 2011, le requérant avait introduit une deuxième demande d’asile et de protection subsidiaire sur la base de nouveaux documents relatifs à son état de santé mentale ainsi qu’à la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de sa famille par les autorités canadiennes.

20. Le même jour, le requérant fit l’objet d’une nouvelle décision de refus d’entrée avec refoulement en application de l’article 52/3 § 2 de la loi sur les étrangers ainsi que d’une nouvelle décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi.

21. Le 10 mai 2011, l’OE notifia au requérant une décision de refus de prise en considération de sa nouvelle demande d’asile sur la base de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers au motif qu’il n’avait pas apporté d’élément nouveau démontrant qu’il courait un risque réel de subir un traitement inhumain et dégradant en cas de renvoi dans son pays d’origine.

22. Le 12 mai 2011, le requérant introduisit une demande de suspension en extrême urgence auprès du Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »).

23. Le 13 mai 2011, le CCE suspendit la décision de l’OE du 10 mai 2011 au motif que cette dernière semblait prima facie avoir été prise en violation de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. Le CCE se fondait sur le fait qu’une attestation du requérant concernant sa situation psychologique, déposée par lui dans le cadre de sa deuxième demande d’asile, semblait bien constituer un élément nouveau au sens de cette disposition.

24. Le 26 mai 2011, le requérant introduisit une requête de mise en liberté à l’encontre de la décision de maintien dans un lieu déterminé du 5 mai 2011. Il invoqua une violation des articles 7 et 17 de la directive [2003/9/CE](http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32003L0009:FR:NOT) du Conseil de l’Union européenne du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« la directive Accueil »), ainsi que de l’article 5 § 1 f) de la Convention. En particulier, il alléguait que sa détention avait été automatique sans que les autorités aient examiné l’adéquation de sa détention avec son état de santé mentale et la nécessité de ladite détention. Ceci était dû au fait que l’article 74/5 § 1 de la loi sur les étrangers ne prévoyait pas d’examen individualisé de la situation de chaque demandeur d’asile à la frontière.

25. Le 3 juin 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête non fondée. En particulier, elle releva que le médecin du centre de détention « ne partageait pas apparemment le même avis que le médecin désigné par le requérant » (voir paragraphes 34-35, ci-dessous). De plus, ce dernier s’était contenté de recommander la libération du requérant en des termes généraux sans poser un diagnostic et sans proposer une solution pour soigner le requérant. Quant au caractère disproportionné de la privation de liberté du requérant, la chambre du conseil releva que, étant donné que le requérant s’était vu refuser l’entrée sur le territoire, son séjour dans un centre de détention était la seule alternative à un séjour dans la zone de transit de l’aéroport. Enfin, le requérant n’avait pas apporté la preuve de la systématisation de la détention des demandeurs d’asile à la frontière.

26. Le requérant fit appel de cette ordonnance en soulevant en substance les mêmes griefs que ceux invoqués dans sa requête de mise en liberté.

27. Au début du mois de juin 2011, la deuxième demande d’asile du requérant fut transmise pour examen au CGRA, et le requérant fut auditionné par le CGRA le 7 juin 2011. Sa demande d’asile et de protection subsidiaire fut rejetée par une décision du CGRA du 20 juin 2011. Le requérant attaqua cette décision devant le CCE.

28. Le 21 juin 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma la décision de la chambre du conseil du 3 juin 2011. Elle considéra que la privation de liberté du requérant était légale et rappela qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l’opportunité de cette détention.

29. Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation, rappelant ses précédents griefs.

30. Le 4 juillet 2011, à l’expiration de la durée maximum légale de détention (article 74/5, § 3, alinéa 1 de la loi sur les étrangers), le requérant fut remis en liberté.

31. Le 12 juillet 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi sans objet étant donné que le requérant avait été mis en liberté.

32. Par un arrêt du 1er septembre 2011, le CCE confirma le refus du statut de réfugié et de la protection subsidiaire. Le CCE estima notamment que le récit du requérant, même en tenant compte des éléments soumis pour la première fois dans le cadre de la deuxième demande d’asile, n’était pas crédible.

D. Conditions de détention et état de santé du requérant

33. Au moment de son arrivée en Belgique, le 1er février 2011, le requérant fut retenu au centre de transit 127 (voir paragraphe 8, ci-dessus). Le 26 mars 2011, il fut transféré au centre fermé de Bruges (voir paragraphe 11, ci-dessus). Dès son arrivée dans chacun des centres, il fut mis en possession d’un document en langue arabe expliquant le fonctionnement des centres.

34. Au centre de transit, il bénéficia de 11 consultations auprès du psychologue du centre. En mars 2011, il fut également examiné par un psychologue externe, à la demande d’une organisation non gouvernementale, et par un psychiatre, dans le cadre du suivi psycho‑médical du centre. D’après le rapport rédigé par le premier, le requérant souffrait d’un état dépressif de type abandonnique en rapport avec les circonstances familiales anciennes vécues pendant son enfance en Égypte et pour lequel une prise en charge psychothérapeutique et éventuellement médicamenteuse en Belgique s’imposait. Il préconisait de ne pas éloigner momentanément le requérant vers l’Égypte et de lui octroyer un séjour de courte durée en Belgique pour l’aider à se reconstruire et à envisager un retour. Les constatations physiques effectuées par ce psychologue furent confirmées par la psychologue du centre, qui estima toutefois que la thérapie devait avoir lieu dans un pays où le requérant disposait d’un réseau social, et donc pas en Belgique. Il ne ressort pas des informations versées au dossier que le requérant ait bénéficié d’une prise en charge médicamenteuse.

35. Au centre de Bruges, le requérant bénéficia de 21 consultations auprès du psychologue et fut examiné à plusieurs reprises par le service médical. Un dossier « special needs » fut constitué pour le requérant dans le but de lui fournir une assistance particulière dans le cadre des soins et d’organiser son éloignement vers l’Égypte de façon humaine. Dans un rapport du 8 avril 2011, le médecin du centre indiquait que dans cet objectif des contacts seraient pris avec la sœur du requérant qui habitait au Canada et la recherche de son réseau familial en Égypte.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

36. La procédure d’asile et la détention des demandeurs d’asile sont réglées par les dispositions pertinentes de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »).

37. L’article 50ter de la loi prévoit que l’étranger qui tente d’entrer dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées par la loi, doit introduire sa demande d’asile auprès des autorités chargées du contrôle aux frontières, au moment où celles-ci l’interrogent sur les raisons de sa venue en Belgique.

38. En application de l’article 52/2 § 2 de la loi, le CGRA décide, avant toutes les autres affaires et dans un délai de quinze jours après que le ministre ou son délégué (c’est-à-dire l’OE) lui a notifié que la Belgique est responsable pour l’examen de la demande, si le statut de réfugié ou de protection subsidiaire doit ou non être reconnu ou octroyé à l’étranger détenu. Il est également prévu que le ministre ou son délégué (c’est-à-dire l’OE) décide immédiatement lors de l’introduction de la demande d’asile par un étranger détenu que celui-ci n’est pas admis à entrer sur le territoire et est refoulé (article 52/3 § 2 de la loi). Pratiquement, un demandeur d’asile détenu à la frontière se voit notifier une mesure de refoulement (ci-après « annexe 11ter ») accompagnée de la notification de l’enregistrement de sa demande d’asile (ci-après « annexe 25 ») qui en suspend l’exécution immédiate.

39. En ce qui concerne la détention des demandeurs d’asile à la frontière, la loi prévoyait ce qui suit à l’époque des faits :

Article 74/5

« § 1. Peut être maintenu dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l’autorisation d’entrer dans le Royaume ou son refoulement du territoire :

1o l’étranger qui, en application des dispositions de la présente loi, peut être refoulé par les autorités chargées du contrôle aux frontières ;

2o l’étranger qui tente de pénétrer dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l’article 2, et qui introduit une demande d’asile à la frontière.

§ 2. Le Roi peut déterminer d’autres lieux situés à l’intérieur du Royaume, qui sont assimilés au lieu visé au § 1er.

L’étranger maintenu dans un de ces autres lieux n’est pas considéré comme ayant été autorisé à entrer dans le Royaume.

§ 3. La durée du maintien dans un lieu déterminé situé aux frontières ne peut excéder deux mois. Le ministre ou son délégué peut toutefois prolonger le maintien de l’étranger visé au § 1er, par période de deux mois :

1o si l’étranger fait l’objet d’une mesure de refoulement exécutoire ;

2o et si les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mesure visée au 1o, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.

Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

La durée totale du maintien ne peut jamais excéder cinq mois.

Dans les cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale du maintien puisse de ce fait dépasser huit mois.

La durée du maintien est suspendue d’office pendant le délai utilisé pour introduire un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers, tel que prévu à l’article 39/57. Lorsqu’un délai d’examen est octroyé au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides pour examiner les nouveaux éléments, conformément à l’article 39/76, § 1er, avant-dernier alinéa, la durée du maintien est également suspendue d’office pendant un délai d’un mois au maximum.

§ 4. Est autorisé à entrer dans le Royaume :

1o l’étranger visé au § 1er qui, à l’expiration du délai de deux mois, ne fait l’objet d’une mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o ;

2o l’étranger visé au § 1er qui fait l’objet d’une mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o, lorsque, à l’expiration du délai de deux mois, éventuellement prolongé, le ministre ou son délégué ne prend aucune décision de prolongation du délai ;

3o l’étranger visé au § 1er dont la durée totale du maintien atteint respectivement cinq ou huit mois ;

4o l’étranger qui est reconnu réfugié ou auquel le statut de protection subsidiaire est accordé.

(...) »

40. L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5 précité, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal de première instance du lieu où il est maintenu (article 71). La chambre du conseil et, en appel, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel, vérifient « si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité » (article 72).

III. DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

41. Faisant suite à sa visite en Belgique les 15-19 décembre 2008, le Commissaire aux droits de l’homme, fit part, dans son rapport du 17 juin 2009 (CommDH(2009)14), de ses préoccupations suivantes :

« 79. La détention de certains demandeurs d’asile apparaît d’autant plus discutable qu’elle revêt un caractère systématique pour nombre de demandeurs d’asile. Le Commissaire invite les autorités à permettre aux personnes ayant demandé l’asile à la frontière de bénéficier des mêmes droits, délais et procédures que les autres demandeurs. Plus généralement, il rappelle que les demandeurs d’asile n’ont commis aucune infraction et que le recours à leur détention systématique dans un certain nombre de cas apparaît comme contraire à la nécessité d’individualiser chaque décision de détention.

(...)

84. Le centre fermé pour étrangers « 127 » se situe également dans l’enceinte d’un aéroport. Créé de manière provisoire en 1988, il est composé de conteneurs préfabriqués placés à l’extrémité de la piste d’atterrissage de l’aéroport. D’une capacité de 60 places, les autorités ont indiqué que celui-ci était désormais rarement à pleine capacité notamment en raison du contrôle accru qu’exercent les compagnies aériennes sur les passagers embarqués ainsi que de la disparition de certaines liaisons aériennes directes depuis Bruxelles. Lors de la visite, l’équipe du Commissaire a pu constater le caractère vétuste et totalement impropre à la détention des locaux. Les personnes détenues ainsi que le personnel qui y travaille sont soumis au stress constant de la proximité immédiate avec la piste d’aviation qui génère un bruit assourdissant ainsi qu’une odeur permanente de kérosène.

85. Les personnes sont hébergées dans des grands dortoirs de 18 places qui ne permettent aucune intimité. En raison du manque d’espaces, les activités offertes aux étrangers détenus sont extrêmement réduites. L’accès à l’extérieur se limite à une petite pelouse difficilement utilisable en raison des nuisances produites par les avions. La présence de ce centre dans une zone militaire rend les visites particulièrement difficiles pour les proches et les amis des étrangers détenus. Les avocats ainsi que 24 ONG accréditées ont un accès plus systématique en centre. Malgré la volonté et les efforts du personnel, ces facteurs engendrent des tensions voire de la violence entre étrangers. Le Commissaire considère la décision de ne plus détenir les familles dans ce centre comme un réel progrès mais n’oublie pas qu’elles l’ont été pendant près de 20 ans. Il constate que des étrangers continuent à y être détenus dans une structure totalement inadaptée ne pouvant offrir des conditions de vie acceptables. Le Commissaire appelle à l’accélération de la construction du centre de remplacement ainsi qu’à la détention des étrangers dans d’autres centres en attendant cette solution définitive. »

42. Faisant suite à sa visite en Belgique les 14-18 septembre 2015, le Commissaire aux droits de l’homme, fit part, dans son rapport du 28 janvier 2016 (CommDH(2016)1), de ses préoccupations suivantes :

« 24. Le Commissaire constate que la Belgique place souvent des étrangers en détention en raison de leur situation au regard du droit des étrangers. Le précédent Commissaire avait déjà exprimé la même préoccupation dans son rapport de 2009 sur la Belgique. En 2014, 5 631 étrangers ont été détenus en Belgique. En septembre 2015, le gouvernement a décidé de faire passer la capacité des centres fermés de 452 à 605 places.

25. Le Commissaire est particulièrement préoccupé par le fait que les demandeurs d’asile n’ayant pas de documents de voyage en cours de validité sont systématiquement détenus à la frontière, le plus souvent dans des aéroports, depuis la modification de la loi sur les étrangers en 2007. Ainsi, selon le HCR, 896 d’entre eux auraient été détenus en 2014. Les demandeurs d’asile placés en détention à la frontière sont considérés comme n’étant pas entrés en Belgique et sont visés par une ordonnance d’expulsion dès leur arrivée. Les autorités belges justifient cette pratique de détention systématique par la nécessité de respecter le Code frontières Schengen et la Convention de Chicago de 1944 relative à l’aviation civile internationale, en vertu de laquelle les étrangers non admissibles et ceux qui font l’objet d’une ordonnance d’expulsion doivent être éloignés du territoire par le transporteur qui les a conduits en Belgique.

(...)

29. En ce qui concerne la durée, les demandeurs d’asile peuvent être détenus pour une période initiale de deux mois (correspondant à la durée de la procédure d’asile), avec possibilité de prolongation jusqu’à huit mois maximum, en cas de « nécessité pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ». Dans le cas d’une procédure Dublin en cours, la période maximale de détention est d’un mois, avec possibilité de prolongation d’un mois. Lors de sa visite dans le centre de détention de Caricole, près de l’aéroport de Bruxelles, le Commissaire a appris que la plupart des personnes présentes étaient détenues depuis moins de cinq mois. La durée maximale de détention dont il a eu connaissance était cependant d’environ six mois.

30. Le Commissaire déplore que le contrôle juridictionnel de la détention ne soit ni systématique ni régulier, dans la mesure où il appartient aux détenus d’en faire la demande, alors que l’accès à une aide juridique de qualité en détention est limité – un problème déjà abordé par le prédécesseur du Commissaire dans un rapport de 2009. Au cours de sa visite, le Commissaire a appris que le contrôle juridictionnel dans les centres fermés concernait en moyenne un cas sur quatre. De plus, le contrôle porte uniquement sur la légalité de la détention, et non sur son opportunité ou sa proportionnalité. En ce qui concerne les personnes en attente d’expulsion, depuis la transposition de la directive « retour » de l’UE dans le droit belge en 2012 la détention n’est possible qu’en dernier ressort et s’il n’existe aucun autre moyen, moins contraignant, de prévenir le risque de fuite ou de permettre l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Toutefois, le Commissaire note que le droit en vigueur ne prévoit pas de garanties similaires pour les demandeurs d’asile placés en détention, dont la nécessité ne donne apparemment lieu à aucune évaluation individuelle.

31. Pour le Commissaire, il est également problématique que les autorités puissent prolonger la détention en vertu de diverses dispositions de la loi sur les étrangers grâce à des recours de l’Office des étrangers contre des décisions de libération de détenus rendues par des juges. Avec ce système, certaines durées de détention dépassent la limite de deux mois prévue pour l’examen de la demande d’asile. Aucune évaluation individuelle de la vulnérabilité de la personne ou du risque de fuite n’aurait lieu lorsque la détention est prolongée. Le Commissaire note que la Cour a condamné la Belgique à deux reprises en 2013 parce que les demandeurs d’asile détenus n’avaient aucune possibilité effective d’obtenir en temps utile une décision de justice sur la légalité des mesures prises par les autorités pour prolonger leur détention en attendant l’exécution d’une ordonnance de transfert dans le cadre de la procédure Dublin, ce qui s’était traduit par une durée excessive de la détention.

(...)

41. Le Commissaire appelle les autorités belges à veiller, dans la loi et la pratique, à ce que la détention de demandeurs d’asile ne soit utilisée qu’en dernier ressort, pour la durée la plus courte possible et uniquement après examen de toutes les alternatives, lorsqu’il n’y a pas d’autre solution efficace, conformément à la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et aux Lignes directrices du HCR sur la détention des demandeurs d’asile et les alternatives à la détention. Il rappelle aux autorités qu’en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, les demandeurs d’asile ne doivent pas être détenus au seul motif qu’ils ont déposé une demande d’asile, ni en raison de leur entrée ou présence illégale dans le pays où ils déposent une demande d’asile. Il invite par conséquent les autorités à adopter des garanties juridiques adéquates contre la détention arbitraire des demandeurs d’asile.

42. Le Commissaire tient également à souligner que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la détention administrative des demandeurs d’asile doit être considérée comme arbitraire si elle n’est pas étroitement liée au motif de la détention. À cet égard, le fait de détenir des demandeurs d’asile à la frontière au motif qu’ils pourraient faire l’objet d’un éloignement est problématique, car ces personnes ne peuvent être renvoyées avant que les autorités aient traité leur demande. »

IV. LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPEENNE

43. Applicable à l’époque des faits de la présente espèce, la directive [2003/9/CE](http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32003L0009:FR:NOT) du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« la directive Accueil ») prévoyait ce qui suit dans ses dispositions pertinentes :

Article 3

Champ d’application

« 1. La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande d’asile conformément au droit national.

(...) »

Article 7

Séjour et liberté de circulation

« 1. Les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre. La zone fixée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive.

2. Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur d’asile pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande.

3. Lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public.

(...) »

Article 17

Principe général

« 1. Dans la législation nationale transposant les dispositions du chapitre II relatives aux conditions matérielles d’accueil et aux soins de santé, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés de mineurs et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique qu’aux personnes dont les besoins particuliers ont été constatés après une évaluation individuelle de leur situation. »

44. La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« la directive Accueil (refonte) ») remplace, avec effet au 21 juillet 2015, la directive 2003/9/CE précitée. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 3

Champ d’application

« 1. La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui présentent une demande de protection internationale sur le territoire d’un État membre, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou les zones de transit, tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande de protection internationale conformément au droit national.

(...) »

Article 7

Séjour et liberté de circulation

« 1. Les demandeurs peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée par cet État membre. La zone attribuée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive.

2. Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande de protection internationale.

(...) »

Article 8

Placement en rétention

« 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

2. Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

3. Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ;

c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ;

d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ;

e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ;

f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride.

Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national.

4. Les États membres veillent à ce que leur droit national fixe les règles relatives aux alternatives au placement en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu déterminé. »

Article 21

Principe général

« Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de la mutilation génitale féminine. »

45. La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la directive Retour ») contient notamment les dispositions suivantes :

Article 2

Champ d’application

« 1. La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

(...) »

Article 15

Rétention

« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

(...) »

46. La Cour de justice de l’Union européenne a précisé ce qui suit dans un arrêt du 30 novembre 2009, Said Shamilovich Kadzoev (C‑357/09 PPU) :

« 42. En vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 3, de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO L 31, p. 18), les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre, mais, lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public.

43. L’article 21 de la directive 2003/9 dispose que les États membres font en sorte que les décisions négatives quant à l’octroi des avantages prévus par cette directive ou les décisions prises en vertu de l’article 7 de celle-ci qui affectent individuellement les demandeurs d’asile puissent faire l’objet d’un recours dans le cadre des procédures prévues dans le droit national. Il est prévu, au moins en dernière instance, la possibilité de voies de recours devant une instance juridictionnelle.

44. Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2005/85 [du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres], les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile et, conformément au paragraphe 2 de ce même article, lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide.

45. Ainsi, la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9 et 2005/85 et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts.

46. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si le séjour de M. Kadzoev au centre de placement temporaire pendant la période durant laquelle il était demandeur d’asile était conforme aux conditions prévues par les dispositions communautaires et nationales relatives au domaine de l’asile.

47. S’il devait s’avérer qu’aucune décision n’a été prise portant sur le placement de M. Kadzoev au centre de placement provisoire dans le cadre des procédures ouvertes à la suite des demandes d’asile de celui-ci, évoquées au point 19 du présent arrêt, et que sa rétention est donc restée basée sur le régime national antérieur de rétention à des fins d’éloignement ou sur le régime de la directive 2008/115, la période de rétention de M. Kadzoev correspondant à la période durant laquelle lesdites procédures d’asile étaient en cours devrait être prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115.

48. Par suite, il convient de répondre à la première question préjudicielle, sous b), que la période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive 2008/115. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

47. Le requérant allègue que la détention qu’il a subie alors qu’il avait demandé l’asile était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

48. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

49. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

50. Le requérant soutient que sa détention était arbitraire en premier lieu parce qu’elle a été exécutée de mauvaise foi. Il se plaint qu’en Belgique, la détention des demandeurs d’asile à la frontière est généralisée et automatique et que les autorités n’en apprécient pas individuellement la nécessité. Or le requérant était vulnérable et souffrait d’un état dépressif abandonnique et de divers troubles psychologiques connus des autorités, ce qui aurait dû amener celles-ci à effectuer un examen individuel de sa situation pour évaluer s’il était nécessaire de le détenir et déterminer si cette mesure était adaptée compte tenu de son état de santé. La pratique de détention généralisée et automatique, qui trouvait certes son fondement dans la loi sur les étrangers, était pourtant « illégale » en ce qu’elle était contraire à l’article 7 § 3 de la directive Accueil en vigueur à l’époque des faits, qui exigeait déjà un test de nécessité de chaque mesure de détention. Elle pose problème également au regard de la jurisprudence de la Cour, notamment l’affaire Rahimi c. Grèce (no 8687/08, 5 avril 2011) qui exige que le placement en détention des demandeurs d’asile vulnérables soit accompagné d’un examen individuel des circonstances de la cause et notamment de la vulnérabilité de l’intéressé.

51. Le requérant se plaint en outre que ses conditions de détention n’étaient pas adéquates eu égard à son état de santé mentale. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a clairement indiqué en 2009 que les conditions matérielles dans les centres fermés pour illégaux, en ce que ces structures offrent un environnement carcéral et sont sources de stress supplémentaire pour les personnes malades, étaient tout à fait inadaptées en particulier pour les personnes nécessitant un suivi médical ou psychologique (voir paragraphes 41-42, ci-dessus).

52. Enfin, le requérant souligne que l’évolution de la jurisprudence de la Cour va dans le sens d’exiger que la détention des étrangers pour des motifs liés à leur séjour doit être subsidiaire par rapport à des mesures moins coercitives (voir notamment Rusu c. Autriche, no 34082/02, 2 octobre 2008). Le caractère automatique de la détention n’est pas non plus compatible avec le critère de proportionnalité qui découle notamment de la directive Accueil (voir paragraphe 43, ci-dessus). Sur ce point, le requérant se réfère à l’opinion dissidente des juges Rozakis, Tulkens, Kovler, Hadjiyev, Spielmann et Hirvelä dans l’affaire Saadi c. Royaume-Uni [GC] (no 13229/03, § 43, CEDH 2008).

b) Le Gouvernement

53. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était pendant toute la période couverte par l’article 74/5, § 1, 2o de la loi sur les étrangers, qui prévoit la possibilité de maintenir dans un lieu déterminé, situé à la frontière, l’étranger qui tente de pénétrer dans le Royaume sans satisfaire aux conditions et qui introduit une demande d’asile à la frontière. Cette disposition est suffisamment précise. En outre, les autorités belges ont agi de bonne foi. Elles ont agi conformément à l’article 74/5, § 1, 2o de la loi sur les étrangers, disposition qui implique que l’administration dispose, conformément à la directive Accueil, d’un pouvoir d’appréciation et qu’elle tienne compte des circonstances de l’espèce. En cas d’arbitraire, la loi prévoit des recours. Il n’y a donc aucune automaticité. De plus, les autorités belges ignorant le problème de santé mentale du requérant lors de son arrivée, il ne peut pas leur être reproché de ne pas avoir tenu compte de sa vulnérabilité.

54. En tout état de cause, les conditions de détention du requérant étaient appropriées à son état de santé. Les deux centres fermés, ceux de Melsbroek et de Bruges, étaient équipés d’un service médical et d’un psychologue que le requérant a consultés régulièrement et à de nombreuses reprises. Comme en attestent les faits (voir paragraphes 34-35, ci-dessus), le requérant qui avait un grand besoin de soutien a bénéficié d’un suivi intensif.

55. Enfin, il ne saurait être reproché aux autorités belges de ne pas avoir fourni de motifs raisonnables autres que juridiques de croire à la nécessité de la détention, l’article 5 § 1 f) exigeant seulement qu’il s’agisse d’une détention en vue d’empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ou qu’une procédure d’expulsion soit en cours, ce qui était le cas en l’espèce. Le seul élément de proportionnalité qui s’impose aux autorités est la vérification que la détention ne se prolonge pas pendant un laps de temps déraisonnable. Or, en l’espèce, la durée de la détention n’a pas été excessive eu égard aux circonstances de la cause.

2. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes généraux

56. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. De plus, seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 170, CEDH 2004‑II, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 88, CEDH 2016).

57. Énoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, l’une des exceptions au droit à la liberté permet aux États de restreindre celle des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (Saadi, précité, § 64, A. et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 3455/05, § 163, CEDH 2009, et Khlaifia, précité, § 89).

58. La faculté pour les États de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – par le biais d’une demande d’asile ou autrement – l’autorisation d’entrer dans le pays, est un corollaire indispensable du droit dont jouissent les États de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire (Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Saadi, précité, § 64).

59. Le premier motif autorisé par l’article 5 § 1 f) concerne l’hypothèse de la détention d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire. La Cour a estimé que, tant qu’un État n’a pas autorisé l’entrée sur son territoire, celle-ci est « irrégulière », et que la détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser à « empêcher l’intéressé de pénétrer irrégulièrement » (Saadi, précité, § 65 ; voir également Khlaifia, précité, § 96).

60. Le second membre de phrase de l’article 5 § 1 f) concerne la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’éloignement est en cours. Il n’est pas exigé, pour justifier une privation de liberté sur cette base, que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112, et A. et autres c. Royaume‑Uni, précité, § 164 ; voir également Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 38, CEDH 2002‑I, et Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, § 74, 19 janvier 2010). Cependant, comme il vient d’être rappelé, il faut qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition soit en cours ; si cette procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (A. et autres c. Royaume‑Uni, précité, § 164, et Khlaifia, précité, § 90).

61. En plus d’être prévue aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit aussi être « régulière ».

62. En matière de régularité d’une détention, y compris l’observation des voies légales, la Convention renvoie pour l’essentiel au droit interne et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Saadi, précité, § 67, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 125, CEDH 2013, Mozer c. République de Moldova et Russie [GC], no 11138/10, § 134, 23 février 2016, et Khlaifia, précité, § 91). La Cour doit également s’assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux qui s’y trouvent contenus de manière explicite ou implicite notamment en matière de sécurité juridique (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72 et 76, 9 juillet 2009).

63. Enfin, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Hassan c. Royaume-Uni [GC], no 29750/09, § 105, CEDH 2014, et Khlaifia, précité, § 91). Une privation de liberté peut donc être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention (voir, parmi d’autres, Saadi, précité, § 67, A. et autres c. Royaume‑Uni, précité, § 164, Mooren, précité, § 77, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 84, 23 février 2012).

64. Pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit répondre à certains critères. La détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but poursuivi par la détention ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés, car une telle mesure s’applique non pas à des auteurs d’infractions pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi, précité, § 74, et A. et autres c. Royaume‑Uni, précité, § 164).

65. Selon la Cour, le principe selon lequel la détention ne doit pas être arbitraire doit s’appliquer à une détention relevant de la première partie de l’article 5 § 1 f) de la même façon qu’à une détention visée par le second volet (Saadi, précité, § 73).

b) Application dans le cas d’espèce

66. Il n’est pas contesté par les parties devant la Cour que les mesures de détention litigieuses relevaient des motifs énumérés par l’article 5 § 1 f) de la Convention. La Cour estime que du 1er février 2011 au 17 février 2011, alors qu’une demande d’asile était pendante, la privation de liberté visait à empêcher le requérant de pénétrer irrégulièrement sur le territoire (première partie de l’article 5 § 1 f)), que du 17 février 2011 au 5 mai 2011, alors qu’aucune demande d’asile n’était pendante et le requérant vivait sous le coup d’un éloignement, la privation de liberté visait à pouvoir procéder à l’éloignement (seconde partie de l’article 5 § 1 f)), et que du 5 mai 2011 au 4 juillet 2011, alors qu’une nouvelle demande d’asile était pendante, la privation de liberté visait de nouveau à empêcher le requérant de pénétrer irrégulièrement sur le territoire (première partie de l’article 5 § 1 f)).

67. La Cour relève en outre que si la légalité interne des décisions de privation de liberté était contestée par le requérant dans le cadre de sa requête initiale devant la Cour, cette question n’a plus fait l’objet de débat ensuite, le requérant considérant, à la lumière des observations du Gouvernement, que chacune des mesures de privation de sa liberté a respecté le prescrit de la loi sur les étrangers (voir, pour l’examen de la légalité de privations de liberté dans d’autres cas où celles-ci étaient basées sur des applications successives de l’article 74/5 § 1, 2o, de la loi sur les étrangers, Ntumba Kabongo c. Belgique (déc.), no 52467/99, 2 juin 2005, et Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, §§ 91-92, 13 décembre 2011).

68. Le requérant met toutefois en cause la légalité des décisions de privation de liberté du fait que la loi belge n’était pas, à l’époque des faits, en conformité avec l’obligation découlant de l’article 7 § 3 de la directive Accueil d’évaluer la nécessité de la détention (voir paragraphe 43, ci‑dessus).

69. Avant d’examiner cet argument, la Cour tient à faire remarquer que ce ne sont que la première et la troisième période de détention (voir paragraphe 65, ci-dessus) qui semblent tomber sous l’application de la directive Accueil, la deuxième période semblant relever plutôt de la directive Retour (voir l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 30 novembre 2009, Said Shamilovich Kadzoev, cité au paragraphe 44, ci‑dessus).

70. La Cour rappelle qu’en matière d’observation des « voies légales » (voir paragraphe 62, ci-dessus), l’article 5 § 1 renvoie non seulement aux normes de droit interne mais également, le cas échéant, à d’autres normes juridiques applicables aux intéressés, y compris celles qui trouvent leur source dans le droit international (Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, CEDH 2010, Takush c. Grèce, no 2853/09, § 40, 17 janvier 2012, et Kholmurodov c. Russie, no 58923/14, § 84, 1er mars 2016). Les normes de droit interne peuvent à l’évidence trouver aussi leur origine dans le droit de l’Union européenne.

71. Cela étant, la Cour n’estime pas nécessaire de s’interroger, en l’espèce, sur la mise en œuvre en droit belge de la directive Accueil. Elle rappelle en effet qu’il appartient au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, le cas échéant en conformité avec le droit de l’Union européenne. Sous réserve d’une interprétation arbitraire ou manifestement déraisonnable (voir Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 86, CEDH 2007‑I), le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de cette interprétation (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, et Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, § 51, CEDH 2015 ; voir également, spécifiquement en ce qui concerne le droit de l’Union européenne, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, § 54, 20 septembre 2011, et Jeunesse c. Pays-Bas [GC], no 12738/10, § 110, 3 octobre 2014). La Cour rappelle également que, dans une affaire issue d’une requête individuelle, elle n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique contestées, mais elle doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie (voir, parmi beaucoup d’autres, Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, 24 janvier 2017).

72. Or la principale question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les mesures de détention critiquées par le requérant étaient arbitraires au sens de la jurisprudence la Cour. Le requérant fait en effet valoir, certes sous l’angle de la compatibilité de l’article 74/5 de la loi sur les étrangers avec l’article 7 § 3 de la directive Accueil, que lesdites mesures n’ont pas été mises en œuvre de bonne foi car elles ont été appliquées de façon automatique sans que les autorités n’en aient apprécié individuellement la nécessité. Or, en raison de son état de santé psychologique, il était vulnérable, ce qui aurait dû amener ces dernières à effectuer un examen individuel de sa situation pour évaluer s’il était nécessaire de le détenir et déterminer si la détention était adaptée.

73. La Cour rappelle à ce sujet qu’elle a déjà estimé que des décisions généralisées ou automatiques de placement en détention des demandeurs d’asile sans appréciation individuelle des besoins particuliers des intéressés pouvaient poser problème au regard de l’article 5 § 1 f). Corrélativement, la Cour a estimé que les autorités compétentes devaient rechercher s’il était possible de leur substituer une autre mesure moins radicale. Cette exigence vise à détecter si les intéressés présentent une vulnérabilité particulière qui s’oppose à la détention (voir, par exemple, s’agissant de mineurs étrangers accompagnés, Muskhadzhiyeva et autres, précité, Kanagaratnam, précité, § 94, Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 119, 19 janvier 2012, et A.B. et autres c. France, no 11593/12, § 123, 12 juillet 2016 ; en ce qui concerne des mineurs non accompagnés, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, §§ 99-104, CEDH 2006-XI, Rahimi, précité, §§ 108-110, et Housein c. Grèce, no 71825/11, § 76, 24 octobre 2013, et à propos d’étrangers malades : Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, no 10486/10, § 124, 20 décembre 2011). Dans certaines affaires, la Cour a mis en cause la politique généralisée de détention de migrants (Suso Musa c. Malte, no 42337/12, § 100, 23 juillet 2013, et Abdullahi Elmi et Aweys Abubakar c. Malte, nos 25794/13 et 28151/13, § 146, 22 novembre 2016 ; voir également, dans des cas où la preuve de la nécessité de la détention était requise par le droit national, Rusu, précité, §§ 57-58, et Nabil et autres c. Hongrie, no 62116/12, §§ 40-43, 22 septembre 2015).

74. En l’espèce, le Gouvernement reconnaît que le requérant présentait des troubles nécessitant un suivi psychologique intensif et avait, de ce fait, des besoins particuliers liés à son état de santé mentale. Ces données n’étant toutefois pas connues des autorités belges lorsque le requérant s’est présenté à la frontière le 1er février 2011, la Cour estime qu’il ne saurait être reproché aux autorités belges de ne pas en avoir tenu compte quand a été prise la décision de le détenir dans le centre de transit de l’aéroport en vue de l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire belge.

75. Il ressort ensuite de la chronologie des événements que le requérant a, dès les premières semaines de sa détention, eu recours aux services de soutien psychologique du centre de transit 127 de Melsbroek puis du centre fermé de Bruges (voir paragraphes 34-35, ci-dessus). Il ne s’est toutefois prévalu de ses problèmes de santé pour la première fois que dans sa requête de mise en liberté introduite le 6 avril 2011 à la suite du réquisitoire de réécrou (voir paragraphe 12, ci-dessus). À partir de ce moment-là, les autorités ne pouvaient plus ignorer la situation du requérant.

76. La Cour relève que la mesure de détention du 5 mai 2011 ne contenait pas de référence aux circonstances propres du requérant. À l’instar des deux autres décisions de privation de liberté et, conformément au prescrit de la loi sur les étrangers en son article 74/5, § 1, 2o, la décision du 5 mai 2011 se limite à se référer au fait que le requérant a tenté de pénétrer sur le territoire sans satisfaire aux conditions et qu’il a demandé à la frontière à être reconnu comme réfugié, d’une part, et que le maintien dans un lieu déterminé est estimé nécessaire afin de garantir le refoulement éventuel, d’autre part (voir paragraphe 20, ci-dessus).

77. La Cour note que les décisions successives de privation de liberté sont ainsi formulées de manière laconique et stéréotypée, et ne permettaient pas au requérant de connaître les raisons justifiant concrètement sa détention.

78. Cela étant dit, cette circonstance n’a pas empêché les juridictions compétentes – la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation –, d’exercer leur contrôle, fût-il limité à un contrôle de légalité, en tenant compte des exigences de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 f) rappelées ci-dessus et des circonstances particulières du requérant (voir paragraphes 25 et 28, ci-dessus).

79. De plus, la Cour considère que pour pouvoir conclure à une violation de l’article 5 § 1, le requérant aurait dû établir qu’il était dans une situation particulière qui pouvait prima facie conduire à la conclusion que sa détention n’était pas justifiée (voir, a contrario, Yoh-Ekale Mwanje, précité, § 124). Or, la seule santé mentale du requérant n’était pas, en l’espèce, de nature à pouvoir conduire à une telle conclusion : le requérant a bénéficié d’une attention particulière dans les deux centres fermés où il a séjourné et les rapports établis par les services de soutien psychologique n’ont pas fait état de contre-indication à la détention (voir paragraphes 34-35, ci-dessus).

80. Eu égard à ce constat, il ne saurait être considéré, comme le soutient le requérant, que la mesure de détention n’était pas adaptée à son état de santé mentale ni que les autorités auraient été tenues de chercher des mesures moins restrictives à sa détention.

81. Reste enfin à déterminer si la détention du requérant pendant cinq mois ne s’est pas prolongé pendant un laps de temps déraisonnable, avec pour conséquence que la privation de liberté était disproportionnée. À ce sujet, la Cour considère qu’eu égard aux circonstances de la cause, qui ont impliqué la mise en œuvre d’une procédure de rapatriement vers la Turquie, puis d’une procédure de refoulement vers l’Égypte, ainsi que l’examen de deux demandes d’asile, la durée de la détention ne peut être considérée comme étant excessive.

82. Partant, il n’y pas a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable, et

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 avril 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıIşıl Karakaş
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Lemmens ;

– opinion dissidente des juges Karakaş et Turković.

A.I.K.
H.B.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS

1. J’ai voté avec la majorité pour conclure qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Cette affaire porte sur la question de la détention administrative (ou « rétention ») de demandeurs d’asile. C’est une question d’une actualité évidente, dont l’intérêt dépasse de loin les frontières de la Belgique.

Dans la présente opinion, je voudrais attirer l’attention sur le fait que le raisonnement suivi dans l’arrêt contient des nuances par rapport à l’approche stricte suivie dans la jurisprudence pertinente de la Grande Chambre. Ce sont précisément ces nuances qui permettent de conclure que le constat de non-violation est en harmonie avec l’état actuel du droit international et du droit de l’Union européenne en la matière.

Jurisprudence de la Grande Chambre

2. Comme il est constaté au paragraphe 66 de l’arrêt, la rétention du requérant était couverte successivement par la première partie de l’article 5 § 1 f) de la Convention (empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement dans le territoire), par la seconde partie de cette disposition (procédure d’expulsion en cours), puis de nouveau par la première partie de la disposition.

Or, selon la jurisprudence de la Grande Chambre, ni sous la première partie ni sous la seconde partie, l’article 5 § 1 f) n’exige que la détention d’un étranger soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (donc de se cacher dans l’illégalité) (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 71-73, CEDH 2008, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 90, CEDH 2016 (extraits)). Si la nécessité joue un certain rôle, ce n’est qu’en relation avec la durée de la rétention, qui ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (voir la jurisprudence citée au paragraphe 64 de l’arrêt).

La détention administrative de migrants : état actuel du droit international des droits de l’homme et du droit de l’Union européenne

3. La jurisprudence précitée de la Grande Chambre a été critiquée, notamment au sein de la Cour même, pour défaut d’harmonie avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le droit de l’Union européenne (voir, par exemple, l’opinion en partie dissidente commune aux juges Rozakis, Tulkens, Kovler, Hajiyev, Spielmann et Hirvelä dans l’affaire Saadi, précitée, et l’opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque dans l’affaire Abdullahi Elmi et Aweys Abubakar c. Malte (nos 25794/13 et 28151/13, 22 novembre 2016).

4. Aux termes de l’article 9 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

« Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi. »

Dans sa jurisprudence relative à cet article, le Comité des droits de l’homme des Nations unies considère, notamment, que le manquement des services de l’immigration à se pencher sur des considérations propres à l’intéressé, telles que le risque de fuite et le manque de coopération avec lesdits services, et sur l’existence de moyens moins contraignants d’atteindre les mêmes objectifs, peut rendre la détention d’un demandeur d’asile arbitraire au sens de l’article 9 § 1 précité (voir, par exemple, A. c. Australie, communication no 560/1993, constatations adoptées le 3 avril 1997, §§ 9.2-9.4, et C. c. Australie, communication no 900/1999, constatations adoptées le 28 octobre 2002, § 8.2, citées dans Saadi, précité, § 31). Dans sa jurisprudence la plus récente, le Comité des droits de l’homme s’exprime ainsi :

« Le Comité rappelle que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. La détention pendant une procédure aux fins du contrôle de l’immigration n’est pas arbitraire en soi mais doit être justifiée, raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu des circonstances, et la mesure doit être réévaluée si elle est maintenue. Les demandeurs d’asile qui entrent illégalement sur le territoire d’un État partie peuvent être placés en rétention pendant une brève période initiale, le temps de vérifier leur entrée, d’enregistrer leurs griefs et de déterminer leur identité si elle est douteuse. Les maintenir en détention pendant que leur demande est examinée serait arbitraire en l’absence de raisons particulières propres à l’individu, comme un risque de fuite, d’atteinte à autrui ou d’acte contre la sécurité nationale. Il convient d’étudier les éléments utiles au cas par cas et de ne pas fonder la décision sur une règle obligatoire applicable à une vaste catégorie de personnes ; il convient également d’envisager des moyens moins intrusifs d’obtenir le même résultat, comme l’obligation de se présenter à la police, le versement d’une caution ou d’autres moyens d’empêcher le demandeur de passer dans la clandestinité ; il faut en outre que la décision fasse l’objet d’un réexamen périodique et d’un contrôle juridictionnel. La décision doit également prendre en considération les besoins des enfants et l’état de santé mentale de l’étranger placé en détention. Les intéressés ne doivent pas rester retenus indéfiniment aux fins du contrôle de l’immigration si l’État partie n’est pas en mesure de procéder à leur expulsion » (M.M.M. et consorts c. Australie, communication no 2136/2012, constatations adoptées le 25 juillet 2013, § 10.3, et F.K.A.G. et consorts c. Australie, communication no 2094/2011, constatations adoptées le 26 juillet 2013, § 9.3 ; dans le même sens, voir Hamadie Al-Gertani c. Bosnie-Herzégovine, communication no 1955/2010, constatations adoptées le 1er novembre 2013, § 10.3, et Hew Raymond Griffiths c. Australie, communication no 1973/2010, constatations adoptées le 21 octobre 2014, § 7.2). »

Cette jurisprudence est confirmée dans l’Observation générale no 35 sur l’article 9 du Pacte, adoptée par le Comité à sa 112e session (7-31 octobre 2014) (§ 18, avec références à l’ensemble de la jurisprudence du Comité en matière de détention de migrants à des fins de contrôle de l’immigration, CCPR/C/GC/35).

5. Le droit pertinent de l’Union européenne est cité aux paragraphes 43‑46 de l’arrêt.

En ce qui concerne spécialement la rétention de demandeurs d’asile, la matière est actuellement régie par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil (refonte) ») (voir paragraphe 44 de l’arrêt). Selon l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, un demandeur d’asile ne peut être placé en rétention que lorsque cela s’avère nécessaire, sur la base d’une appréciation au cas par cas, et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. Il s’agit là de « limitations importantes au pouvoir conféré aux États membres [de l’Union européenne] de procéder à un placement en rétention » (arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 15 février 2015 dans N., C-601/15 PPU, point 61).

Des limitations analogues étaient également imposées, fût-ce implicitement, par l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« directive Accueil ») (voir paragraphe 43 de l’arrêt), en vigueur à l’époque des faits (arrêt de la Cour de justice de l’UE du 30 mai 2013 dans Arslan, C‑534/1, point 63).

6. Il découle de ce bref aperçu du droit international et européen que la rétention de demandeurs d’asile n’est permise que si elle répond à des conditions relativement strictes. La nécessité en est une. À première vue, la jurisprudence de la Grande Chambre ne semble pas se situer sur la même longueur d’onde.

Jurisprudence de certaines chambres, et raisonnement suivi dans le présent arrêt

7. Toutefois, l’évolution récente de la jurisprudence des chambres de la Cour va dans le sens d’imposer aux autorités nationales de détecter si les étrangers concernés présentent une vulnérabilité particulière qui s’oppose à la détention. Dans l’affirmative, une décision automatique de placement en détention des intéressés, sans appréciation individuelle de leurs besoins particuliers et sans recherche d’une possibilité d’appliquer une mesure moins radicale, peut poser problème au regard de l’article 5 § 1 f) (voir la jurisprudence citée au paragraphe 73 de l’arrêt).

Cette jurisprudence complète celle de la Grande Chambre. À mon avis, elle permet en pratique d’atteindre le même but que celui visé par le Pacte et le droit européen, qui est d’empêcher que des rétentions administratives aient lieu lorsqu’il n’y a pas de justification objective, réelle et suffisante à une telle mesure.

8. La jurisprudence précitée des chambres est également suivie dans le présent arrêt.

J’y souscris entièrement.

OPINION DISSIDENTE DES JUGES KARAKAŞ ET TURKOVIĆ

Nous ne souscrivons pas à l’avis de la majorité selon lequel il n’y pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans la présente affaire.

Nous pensons que la protection de l’article 5, un droit fondamental qui s’applique à « toute personne », ne saurait être moins élevée dans le domaine de l’asile et de l’immigration au prétexte que les États jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, et Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V) et compte tenu de « la faculté pour les États de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – par le biais d’une demande d’asile ou non – l’autorisation d’entrer dans le pays est un corollaire indispensable de ce droit » (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008).

Cependant, la Cour a souligné que pareille détention doit se concilier avec la finalité générale de l’article 5, qui est de protéger le droit à la liberté et d’assurer que nul ne soit dépouillé de sa liberté de manière arbitraire (Saadi, précité, § 66). Nous pensons qu’on ne peut pas interpréter l’arrêt Saadi comme signifiant que les États peuvent détenir régulièrement des étrangers dans l’attente d’une décision sur leur demande d’asile.

Le droit international et les normes européennes imposent une définition restrictive des circonstances autorisant la détention de demandeurs d’asile en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire d’un État. De notre point de vue la détention d’immigrés potentiels ne peut se concilier avec l’article 5 § 1 au regard du droit international et de droit de l’Union européenne (voir l’opinion dissidente des juges Rozakis, Tulkens, Kovler, Hajiyev, Spielmann et Hirvelä dans l’affaire Saadi, précitée).

Pour la présentation actuelle de l’état du droit international et de droit de l’Union européenne, nous renvoyons à l’opinion concurrente du juge Lemmens annexée au présent arrêt.

D’après notre jurisprudence, pour ne pas être taxée d’arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l’article 5 § 1 f) doit être mise en œuvre de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009).

Selon les termes de l’article 5 de la CEDH, cette forme de privation de liberté, une détention administrative, est autorisée sous réserve que des mesures soient prises soit en vue d’un éloignement, soit afin de prévenir une entrée non autorisée dans le pays. La privation de liberté des migrants en situation irrégulière ne peut être ni arbitraire, ni une conséquence automatique d’une violation de la législation relative aux étrangers. En d’autres termes, la détention administrative de migrants en situation irrégulière doit être exceptionnelle, proportionnée et, par conséquent, constituer une mesure individuelle.

La privation de liberté en vertu de la législation relative aux étrangers ne devrait être qu’une mesure intervenant en dernier ressort, après un examen individuel et minutieux de chaque cas (voir CPT/Inf(2017)3 Rétention des migrants).

À la lumière de ces éléments, tout d’abord on constate que les autorités belges ont placé et ont maintenu le requérant en détention administrative de manière automatique, sans avoir procédé à un examen de sa situation individuelle pour rechercher s’il présentait ou non une réelle menace pour la sécurité nationale ou un danger d’une autre nature.

L’autre point qui démontre l’automaticité de sa détention est que les autorités n’ont pas examiné l’adéquation de sa détention avec son état de santé mentale et la nécessité de ladite détention.

En outre, la pratique de détention systématique en Belgique figure dans les rapports du Commissaire aux droits de l’homme du 17 juin 2009 (CommDH(2009)14) et du 28 janvier 2016 (CommDH(2016)1) (§§41-42).

« Les demandeurs d’asile peuvent être détenus pour une période initiale de deux mois (correspondant à la durée de la procédure d’asile), avec possibilité de prolongation jusqu’à huit mois maximum, en cas de « nécessité pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ».

Le contrôle porte uniquement sur la légalité de la détention, et non sur son opportunité ou sa proportionnalité. En ce qui concerne les personnes en attente d’expulsion, depuis la transposition de la directive « retour » de l’UE dans le droit belge en 2012 la détention n’est possible qu’en dernier ressort et s’il n’existe aucun autre moyen, moins contraignant, de prévenir le risque de fuite ou de permettre l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Toutefois, le Commissaire note que le droit en vigueur ne prévoit pas de garanties similaires pour les demandeurs d’asile placés en détention, dont la nécessité ne donne apparemment lieu à aucune évaluation individuelle.

Aucune évaluation individuelle de la vulnérabilité de la personne ou du risque de fuite n’aurait lieu lorsque la détention est prolongée.

Le Commissaire tient également à souligner que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la détention administrative des demandeurs d’asile doit être considérée comme arbitraire si elle n’est pas étroitement liée au motif de la détention. À cet égard, le fait de détenir des demandeurs d’asile à la frontière au motif qu’ils pourraient faire l’objet d’un éloignement est problématique, car ces personnes ne peuvent être renvoyées avant que les autorités aient traité leur demande ».

La Cour a déjà estimé que des décisions généralisées ou automatiques de placement en détention des demandeurs d’asile sans apprécier de manière individuelle si les besoins particuliers des intéressés pouvaient poser problème au regard de l’article 5 § 1 f) (voir le paragraphe 73 de l’arrêt et les exemples cités).

La majorité n’en tire aucun conséquence, tout en admettant au paragraphe 77 de l’arrêt que « les décisions successives de privation de liberté sont ainsi formulées de manière laconique et stéréotypée, et ne permettaient pas au requérant de connaître les raisons justifiant concrètement sa détention ».

La jurisprudence de la Cour exige que l’on démontre au cas par cas la nécessité objective d’un placement en détention dans le cadre de l’article 5. Pour la majorité, la manière laconique et stéréotypée des décisions de privation de liberté ne pose aucun problème au sens de l’article 5. La Cour a conclu à la violation dans les affaires où les tribunaux internes avaient maintenu le requérant en détention en recourant à des formules stéréotypées sans évoquer des faits précis ou sans envisager d’autres mesures préventives (voir l’abondante jurisprudence de la Cour à cet égard, par exemple ; Solmaz c. Turquie, no 27561/02, § 41, 16 janvier 2007, Cahit Demirel c. Turquie, no 18623/03, § 24, 7 juillet 2009, Filiz c. Turquie, no 28074/08, § 61, 4 mars 2014, Tretyakov c. Ukraine, no 16698/05, § 59, 29 septembre 2011 ; Vasilkoski et autres c. « ex-République yougoslave de Macédoine », no 28169/08, § 64, 28 octobre 2010, Qing c. Portugal, no 69861/11, § 67-68, 5 novembre 2015 ; Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 122, CEDH 2016).

Dans le cas d’espèce les décisions étaient rédigées en des termes stéréotypés et étaient dépourvues d’une analyse de la situation personnelle du requérant. Nous ne voyons aucune raison pour se départir de cette jurisprudence dans le cadre d’une détention dite administrative.

Concernant la situation médicale du requérant, il souffrait d’un état dépressif de type abandonnique pour lequel une prise en charge psychothérapeutique et éventuellement médicamenteuse en Belgique s’imposait (paragraphe 34 de l’arrêt). Or rien ne montre que le requérant ait bénéficié d’une prise en charge médicamenteuse. Même s’il a eu des consultations auprès du psychologue du centre, il a été privé d’un traitement qui s’imposait dans le cas des autres personnes qui se trouvait dans la même situation médicale ; autrement dit, il n’a pas été soigné.

Nous souhaitons rappeler les Principes directeurs du Haut‑Commissariat des Nations unies aux Réfugiés et Apatrides relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention (2012), en particulier le Principe directeur 9.1 :

« Les demandeurs d’asile, en raison des évènements souvent traumatisants ayant précipité leur fuite et des circonstances liées à leur demande d’asile, peuvent présenter des maladies mentales, des traumatismes, des dépressions, des angoisses, des manifestations d’agressivité et autres conséquences physiques, psychologiques et affectives. Il convient de tenir compte de ces facteurs dans l’évaluation de la nécessité de les placer en détention... »

Aucune évaluation de sa vulnérabilité n’a eu lieu et l’état de santé du requérant n’a été jamais examiné par les juridictions internes. Par conséquent, celles-ci n’ont pas cherché si son état de santé était compatible avec sa détention et si des mesures moins restrictives pouvaient être envisagées. Au contraire, ils ont prolongé la détention même sans faire connaître les raisons de cette prolongation.

Dans ces conditions, nous estimons que la détention du requérant était arbitraire et a emporté violation de l’article 5 § 1 de la Convention.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-172464
Date de la décision : 04/04/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulières;Article 5-1-f - Expulsion;Empêcher l'entrée irrégulière sur le territoire)

Parties
Demandeurs : THIMOTHAWES
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHIHAOUI Z.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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