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28/03/2017 | CEDH | N°001-172313

CEDH | CEDH, AFFAIRE ŞOLARI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2017, 001-172313


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞOLARI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 42878/05)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mars 2017

DÉFINITIF

28/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Şolari c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco, r>Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du cons...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞOLARI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 42878/05)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mars 2017

DÉFINITIF

28/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Şolari c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mars 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42878/05) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Eugen Şolari (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 novembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V. Zamă, avocat à Chisinau. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord par M. V. Grosu, ensuite par M. L. Apostol.

3. Devant la Cour, le requérant alléguait une violation de l’article 11 de la Convention.

4. Le 29 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1983 et réside à Chișinău.

A. Contexte de l’affaire

6. Par une décision du 25 avril 2005, la mairie de Chişinău autorisa l’association Proiect Nou-Bugeac (« l’association ») à organiser une manifestation au centre-ville le 1er mai 2005. L’autorisation désignait le lieu exact où l’évènement devait se dérouler, à savoir « à l’intérieur du square de l’Opéra national, près de la fontaine, à droite après l’entrée dans le square ». Le paragraphe 6 de ladite décision interdisait à l’association d’utiliser les symboles de partis, d’organisations politiques ou d’associations non enregistrés en République de Moldova.

7. Le square susmentionné est situé sur le parvis de l’Opéra national et mesure environ 40 mètres sur 80.

8. Le 1er mai 2005, une quarantaine de personnes, dont le requérant, participèrent au rassemblement. Les manifestants scandèrent, entre autres, des slogans de soutien aux travailleurs, des slogans antigouvernementaux et des slogans anticapitalistes. Certains d’entre eux arboraient des symboles rappelant ceux de l’Union soviétique, notamment la faucille et le marteau.

B. Procédure administrative à l’encontre du requérant

9. Le 4 mai 2005, la police dressa un procès-verbal de contravention administrative à l’encontre du requérant. Il lui était reproché d’avoir contrevenu à l’article 174-1 § 2 du code des contraventions administratives (« le CCA »), qui sanctionne le « non-respect de la réglementation relative à l’organisation et au déroulement des rassemblements ». Dans ses parties pertinentes en l’espèce, le procès-verbal se lisait comme suit :

« (...) au jour et à l’heure autorisés, le rassemblement a commencé, non pas à l’endroit désigné dans la décision de la mairie de Chişinău [du 25 avril 2005], mais sur les marches du théâtre de l’Opéra national. En outre, pendant la manifestation, [les manifestants] ont brandi des pancartes et scandé des slogans de partis et mouvements politiques non enregistrés en République de Moldova, à savoir « le parti national bolchevik » et « la résistance populaire ». Par ailleurs, les participants portaient des brassards rouges comportant un cercle blanc avec une faucille et un marteau noirs à l’intérieur, [ce qui est un] symbole non enregistré.

Par ces actes, les organisateurs et les participants au rassemblement ont contrevenu aux paragraphes 1 et 6 de la décision de la mairie de Chişinău du 25 avril 2005, ainsi qu’à l’article 13 § 2 de la loi sur les rassemblements et à l’article 174-1 § 2 du code des contraventions administratives.

Eugen Șolari a activement participé à ces actions illégales (...) »

10. Par une décision du même jour, le tribunal de Buiucani jugea le requérant coupable d’avoir commis les faits réprimés par l’article 174-1 § 2 du CCA. Il lui infligea une amende d’un montant de 450 lei moldaves (MDL) (soit environ 28 euros (EUR) à l’époque des faits). Il estimait que la culpabilité du requérant avait été confirmée, entre autres, par les photos prises lors du rassemblement.

11. Le 13 mai 2005, le requérant forma un recours. Il soutenait, entre autres, que, lors de la manifestation, ni les représentants de la mairie ni les agents de police présents sur les lieux n’avaient fait de remarques concernant le lieu ou le mode de déroulement du rassemblement.

12. Par un jugement définitif du 25 mai 2005, la cour d’appel de Chişinău confirma l’arrêt de la juridiction inférieure et rejeta le recours du requérant comme mal fondé.

13. Le 14 novembre 2005, le tribunal de Buiucani constata le non-paiement par le requérant de l’amende infligée et convertit cette peine en une détention administrative d’une durée de trente jours. Par la suite, le requérant fut effectivement placé en détention.

14. À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant contesta cette décision.

15. Le 3 décembre 2005, il paya l’amende.

16. Par une décision du 7 décembre 2005, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma la décision de la juridiction inférieure et ordonna la libération immédiate du requérant. Elle notait que celui-ci avait payé intégralement l’amende, qu’il avait un logement, qu’il n’avait pas d’antécédents administratifs ou pénaux, qu’il n’avait pas d’emploi et qu’il ne disposait pas de ressources élevées.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

17. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CCA du 29 mars 1985, qui était en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

« Article 26. L’amende

(...)

En cas de non-paiement de l’amende (...), le tribunal peut convertir cette sanction en une détention administrative d’une durée de trente jours maximum, calculant dix jours de détention pour une unité conventionnelle.

(...)

Article 174-1. Non-respect de la réglementation relative à l’organisation et au déroulement des rassemblements

(...)

2) L’organisation et le déroulement d’un rassemblement sans avis de la mairie ou sans autorisation de celle-ci ainsi que la non-observation des conditions (forme, lieu, heure) de déroulement du rassemblement entraînent l’infliction aux organisateurs (leaders) du rassemblement d’une amende d’un montant allant de 25 à 50 unités conventionnelles.

(...) »

À l’époque des faits, une unité conventionnelle était égale à 18 MDL (environ 1,10 EUR suivant le taux de change applicable au moment des faits).

18. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 21 juillet 1995 sur les rassemblements, qui était en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :

« Article 13. La décision relative à la forme du rassemblement ainsi qu’à la date et au lieu de son déroulement

(...)

2. L’autorisation d’un rassemblement, qui précise la forme de celui-ci ainsi que la date et le lieu de son déroulement (...), est remise à l’organisateur (...). L’autorisation (...) mentionne les droits et les obligations de l’organisateur du rassemblement, la responsabilité encourue en cas de non-respect de la loi (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

19. Invoquant les articles 6, 10, 11 et 14 de la Convention, le requérant se plaint de s’être vu infliger une amende administrative en raison de sa participation, le 1er mai 2005, à la manifestation tenue devant l’Opéra national de Chișinău.

Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime qu’il convient d’examiner ce grief sous l’angle du seul article 11 de la Convention (Sáska c. Hongrie, no 58050/08, § 12, 27 novembre 2012, et Kudrevičius et autres c. Lituanie [GC], no 37553/05, § 85, CEDH 2015). Cette disposition énonce ce qui suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

A. Sur la recevabilité

20. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

21. Le requérant allègue qu’il a subi une ingérence dans son droit à la liberté de réunion et que cette ingérence n’était pas prévue par la loi puisque, selon lui, l’article 174-1 du CCA n’était applicable qu’aux seuls organisateurs et leaders d’une manifestation. Or il soutient ne pas avoir été l’un des organisateurs ou leaders de la manifestation du 1er mai 2005. Il soutient également que l’ingérence qu’il dénonce ne poursuivait aucun but légitime. Il allègue en outre que l’ingérence en question était disproportionnée au regard des circonstances. À ce propos, il indique notamment que la manifestation s’est déroulée de manière pacifique et que les autorités ne l’ont pas informé, au moment des faits, de l’irrégularité de sa conduite. Il ajoute que celles-ci auraient pu adopter des mesures moins intrusives pour atteindre les buts visés et que l’amende infligée a ensuite été convertie en une peine d’emprisonnement.

22. Le Gouvernement admet qu’il y a eu ingérence dans le droit du requérant à la liberté de réunion énoncé à l’article 11 de la Convention. Il estime, en revanche, que cette ingérence était justifiée au regard du second paragraphe de cet article. Il argue notamment qu’elle était prévue par l’article 13 de la loi sur les rassemblements et par l’article 174-1 du CCA, qu’elle poursuivait le but de maintien de l’ordre public et qu’elle était proportionnée au but recherché. Il indique enfin que la police n’est pas intervenue pendant la manifestation et que le requérant s’est vu infliger la sanction minimale.

23. S’agissant du droit à la liberté de réunion, la Cour renvoie aux principes généraux rappelés dans l’arrêt Kudrevičius et autres (précité, §§ 91‑92, 100, 108-110, et 142-157).

24. En l’espèce, elle observe qu’il ne prête pas à controverse entre les parties qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté de réunion et elle ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente. Pareille ingérence emporte violation de l’article 11 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de cette disposition et peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

25. La Cour observe ensuite que les parties ne sont pas d’accord sur la question de la légalité de l’ingérence. Elle relève que le principal point de désaccord porte sur l’applicabilité de l’article 174-1 § 2 du CCA à la situation du requérant et, plus particulièrement, sur le point de savoir si ce dernier était ou non l’un des organisateurs de la manifestation. Elle note à ce sujet que, selon le texte de cette disposition, une amende pouvait être infligée aux organisateurs (leaders) du rassemblement. D’après le procès‑verbal dressé par la police, le requérant avait activement participé à des actions alléguées illégales. Cependant, ni le tribunal de Buiucani, ni la cour d’appel de Chișinău ne se sont penchés dans leur raisonnement sur la question de savoir si le requérant était un organisateur ou un participant à la manifestation. Dans ses observations, le Gouvernement n’a pas non plus abordé cette question. Par conséquent, la Cour exprime des doutes quant à la légalité de l’ingérence litigieuse. Elle estime cependant qu’il n’est pas nécessaire d’examiner ce point, car, en tout état de cause, l’ingérence n’était pas nécessaire au sens de l’article 11 § 2 de la Convention.

26. Elle peut admettre que la mesure litigieuse visait au moins un des buts reconnus comme légitimes par le paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre (voir, par exemple, Körtvélyessy c. Hongrie, no 7871/10, § 23, 5 avril 2016).

27. S’agissant de la question de savoir si l’ingérence en cause était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour rappelle que la liberté de réunion pacifique, l’un des fondements d’une société démocratique, est assortie d’un certain nombre d’exceptions qui appellent une interprétation étroite et que le besoin de la restreindre doit se trouver établi de façon convaincante. Lorsqu’ils examinent si les restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation, mais celle-ci n’est pas illimitée. C’est au demeurant à la Cour de se prononcer de manière définitive sur la compatibilité de la restriction avec la Convention et elle le fait en appréciant les circonstances de la cause (Kudrevičius et autres, précité, § 142).

28. La Cour rappelle également que le fait de subordonner la tenue d’une manifestation publique à une notification, voire à une procédure d’autorisation, ne porte pas atteinte en principe à la substance du droit consacré par l’article 11 de la Convention, pour autant que le but de la procédure est de permettre aux autorités de prendre des mesures raisonnables et adaptées destinées à garantir le bon déroulement des évènements de ce type. Les organisateurs de rassemblements publics doivent obéir aux normes régissant ce processus en se conformant aux réglementations en vigueur (Kudrevičius et autres, précité, § 147, et Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie, no 20347/07, § 96, 5 juillet 2016). Cependant, une situation illégale ne justifie pas nécessairement une ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté de réunion et les réglementations de cette nature ne doivent pas constituer une entrave dissimulée à la liberté de réunion telle qu’elle est protégée par la Convention (Samüt Karabulut c. Turquie, no 16999/04, § 35, 27 janvier 2009, et Berladir et autres c. Russie, no 34202/06, § 39, 10 juillet 2012).

29. En l’espèce, la Cour observe que la manifestation litigieuse était pacifique et qu’aucun incident violent n’a été signalé par les autorités. Elle redit que, en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance à l’égard des rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion telle qu’elle est garantie par l’article 11 de la Convention ne soit pas dépourvue de tout contenu (Oya Ataman c. Turquie, no 74552/01, § 42, CEDH 2006‑XIV). Le « degré de tolérance » approprié ne peut être défini in abstracto ; la Cour doit examiner les circonstances particulières de l’affaire, en particulier l’ampleur des « perturbations de la vie quotidienne » qui auraient découlé de l’évènement en cause (Primov et autres c. Russie, no 17391/06, § 145, 12 juin 2014, et Kudrevičius et autres, précité, § 155).

30. Dans la présente affaire, la Cour constate que le requérant s’est vu infliger une sanction administrative pour avoir, en dépit des conditions stipulées dans l’autorisation préalable délivrée par la mairie, manifesté dans un lieu autre que celui autorisé, et pour avoir brandi et porté des symboles d’organisations politiques non enregistrées en République de Moldova.

31. S’agissant du lieu de la manifestation, la Cour remarque qu’il était certes différent du lieu exact désigné par la mairie dans son autorisation préalable. Elle observe cependant qu’il ne se situait qu’à quelques dizaines de mètres du lieu en question. Elle note également que le rassemblement a eu lieu un jour férié et qu’il n’apparaît pas que, en occupant les marches de l’Opéra national, les manifestants aient perturbé d’une quelconque manière le fonctionnement de cet établissement. Elle relève en outre que les manifestants sont restés pendant toute la durée de l’évènement sur le parvis de l’Opéra national dans lequel se situe le square, qu’ils ne se sont pas rendus dans les rues proches de ce lieu et que leur rassemblement n’a eu aucune incidence sur la circulation routière. À la lumière de ces éléments, et compte tenu des dimensions du square en question (paragraphe 7 ci-dessus) tout comme du nombre relativement faible de manifestants – une quarantaine –, la Cour ne peut que conclure que les perturbations de la vie quotidienne engendrées par le rassemblement ont été insignifiantes et que, de toute évidence, elles n’ont pas dépassé celles généralement causées par l’exercice du droit de réunion pacifique (comparer avec Barraco c. France, no 31684/05, § 46, 5 mars 2009, et Budaházy c. Hongrie, no 41479/10, § 43, 15 décembre 2015).

32. La Cour estime également que le changement du lieu de la manifestation n’a pas constitué une violation flagrante des conditions énoncées dans l’autorisation préalable et qu’il ne saurait être considéré comme un acte répréhensible au sens de sa jurisprudence (comparer avec Kudrevičius et autres, précité, §§ 165 et 173-174).

33. Elle observe en outre qu’il n’apparaît pas que le déplacement de la manifestation de quelques dizaines de mètres par rapport au lieu autorisé ait pris les autorités au dépourvu et qu’il ait affecté leur capacité à maintenir l’ordre et à garantir de manière générale le bon déroulement de l’évènement. Cela n’a d’ailleurs été allégué ni par les autorités elles-mêmes ni par le Gouvernement.

34. S’agissant des symboles arborés par le requérant et les autres manifestants, la Cour note qu’ils rappelaient fortement ceux utilisés par le régime communiste de l’Union soviétique.

35. À ce sujet, elle rappelle que la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention protège aussi les manifestations susceptibles de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elles veulent promouvoir. Les mesures entravant la liberté de réunion et d’expression en dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes démocratiques – aussi choquants et inacceptables que puissent sembler certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités – desservent la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril (voir Kudrevičius et autres, précité, § 145, et les affaires qui y sont citées). La Cour a déjà admis que le port de l’étoile rouge, omniprésente sous la férule des régimes communistes dans plusieurs pays, était susceptible de causer un malaise aux victimes de ceux-ci et à leurs familles, qui pouvaient légitimement s’en offusquer. Mais de tels sentiments, aussi compréhensibles soient-ils, ne sauraient à eux seuls circonscrire la liberté d’expression (Vajnai c. Hongrie, no 33629/06, § 57, CEDH 2008). La Cour redit également que, malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, l’article 11 doit s’envisager aussi à la lumière de l’article 10 lorsque l’exercice de la liberté de réunion a pour objectif l’expression d’opinions personnelles ou qu’il vise à donner toute sa place au débat public et à laisser la contestation s’exprimer ouvertement (Kudrevičius et autres, précité, § 86).

36. En l’espèce, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas expliqué en quoi le port en public par le requérant des symboles en question aurait provoqué, ou risqué de provoquer, des troubles à l’ordre public. Elle considère en outre que le simple fait d’arborer ces symboles n’était pas susceptible de favoriser la violence en insufflant une haine profonde et irrationnelle à l’encontre de personnes déterminées (voir, mutatis mutandis, Fáber c. Hongrie, no 40721/08, § 56, 24 juillet 2012). De surcroît, elle relève qu’il n’a pas été établi que le port des symboles litigieux revenait à adhérer à des idées totalitaires ou à afficher une intention de participer au débat politique au mépris de l’État de droit et des principes démocratiques, et ce d’autant que la manifestation était pacifique et qu’elle avait été légalement autorisée (voir, mutatis mutandis, Vajnai, précité, § 53).

37. Quant à la sanction infligée au requérant, la Cour rappelle que la liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’une personne ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction – même une sanction se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires – pour avoir participé à une manifestation non prohibée, pour autant que l’intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (Kudrevičius et autres, précité, § 149). Une manifestation pacifique ne doit pas, en principe, faire l’objet d’une menace de sanction pénale, notamment d’une privation de liberté (idem, § 146).

38. Dans la présente affaire, la Cour estime que, en l’absence de commission de tout acte répréhensible par le requérant, l’amende qui a été infligée à celui-ci, quand bien même elle était du montant minimal prévu dans ce cas, n’était pas proportionnée au but légitime visé. Qui plus est, cette sanction a été, en raison du défaut de paiement, convertie en une peine d’emprisonnement, que le requérant a en partie purgée.

39. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la condamnation du requérant aux motifs qu’il avait manifesté dans un lieu autre que celui autorisé et qu’il avait arboré des symboles communistes non enregistrés ne saurait passer pour répondre à un « besoin social impérieux ». Aussi juge-t-elle que les autorités internes ont outrepassé leur marge d’appréciation en la matière. Dès lors, l’ingérence litigieuse n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 11 de la Convention.

Partant, il y a eu violation de cette disposition en l’espèce.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

41. Le requérant réclame 28 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi. Il indique que cette somme correspond à l’amende qu’il a dû payer à la suite de sa condamnation.

Il demande également 4 000 EUR pour préjudice moral.

42. Le Gouvernement soutient que les prétentions au titre du préjudice matériel ne sont pas étayées. Il estime également que le montant demandé pour préjudice moral est excessif.

43. La Cour juge qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée de l’article 11 de la Convention et l’amende administrative payée par le requérant. Elle accorde donc à l’intéressé la somme de 28 EUR pour dommage matériel.

44. Elle considère également qu’il y a lieu d’octroyer au requérant l’intégralité de la somme demandée au titre du préjudice moral, soit 4 000 EUR.

B. Frais et dépens

45. Le requérant demande également 1 560 EUR en remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour. Il produit un relevé détaillé des heures de travail prestées par son avocat pour la procédure devant la Cour (15,6 heures facturées au taux horaire de 100 EUR).

46. Le Gouvernement estime que ces demandes ne sont pas étayées et que le montant réclamé est excessif.

47. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour accorde au requérant l’intégralité de la somme réclamée, à savoir 1 560 EUR pour la procédure devant elle.

C. Intérêts moratoires

48. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 28 EUR (vingt-huit euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel,

ii. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

iii. 1 560 EUR (mille cinq cent soixante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-172313
Date de la décision : 28/03/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 11 - Liberté de réunion et d'association (Article 11-1 - Liberté de réunion pacifique)

Parties
Demandeurs : ŞOLARI
Défendeurs : RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZAMĂ V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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