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28/03/2017 | CEDH | N°001-172312

CEDH | CEDH, AFFAIRE SAVOTCHKO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2017, 001-172312


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SAVOTCHKO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 33074/04)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mars 2017

DÉFINITIF

28/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Savotchko c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,


Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en cham...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SAVOTCHKO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 33074/04)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mars 2017

DÉFINITIF

28/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Savotchko c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33074/04) dirigée contre la République de Moldova et dont une ressortissante russe, Mme Olga Savotchko (Ольга Савочко (« la requérante »)), a saisi la Cour le 20 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me L. Talambuța, avocat à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord par M. V. Grosu, ensuite par M. L. Apostol.

3. La requérante se plaint en particulier d’une violation de l’article 8 de la Convention.

4. Le 9 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Informé de son droit de prendre part à la procédure (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 du règlement de la Cour), le gouvernement russe a fait savoir qu’il n’entendait pas l’exercer en l’espèce.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1952 et réside à Chişinău.

A. Contexte de l’affaire

6. Un litige successoral survint entre la requérante et sa mère ; le différend fut porté devant les tribunaux civils.

7. D’après la requérante, la société M., l’opérateur national de téléphonie fixe ayant pour unique actionnaire l’État, avait transmis à sa mère et à l’avocat de celle-ci, Me O.M., plusieurs de ses relevés téléphoniques mensuels. Ces relevés – que la requérante produit devant la Cour – couvraient la période allant de septembre 2001 à février 2002 et comprenaient des données relatives aux numéros composés, ainsi qu’à la date, à l’heure, à la durée et au coût des appels effectués par l’intéressée.

8. Au cours de la procédure, la mère de la requérante produisit ces relevés téléphoniques devant le tribunal compétent pour connaître du litige susmentionné. Celui-ci les utilisa comme preuve pour rejeter partiellement, le 16 juillet 2002, une demande formulée par la requérante aux fins d’exonération de la taxe judiciaire.

9. Par une lettre du 5 août 2002, la société M. fournit à Me O.M., à la demande de celui-ci, des informations relatives aux paiements mensuels effectués par la requérante entre octobre 2001 et juillet 2002.

B. Action de la requérante contre la société M.

10. Le 22 août 2002, la requérante intenta une action contre la société M. afin d’obtenir réparation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi à la suite de la divulgation alléguée de ses relevés téléphoniques. Elle arguait que son droit à la vie privée avait été méconnu et que cette société avait agi de manière illégale.

11. Par un jugement du 2 avril 2003, le tribunal de Buiucani débouta la requérante de l’ensemble de ses prétentions. Ce jugement, dans ses passages pertinents en l’espèce, se lisait comme suit :

« [La société M.] et [la plaignante] sont parties [à un] contrat de prestation de services de télécommunication [en date] du 25 juin 2001.

Depuis longtemps, [la plaignante] était en litige avec sa mère, dont les intérêts étaient défendus par l’avocat O.M. (...). [Celui-ci] a demandé à la société M. de lui [communiquer] la liste des services téléphoniques fournis [à la plaignante pour le numéro en question] ainsi que leur coût.

Le tribunal estime que les actions de l’avocat O.M. sont légales et que la société M., en fournissant ces informations, n’a pas enfreint les clauses du contrat du 25 juin 2001 ni fourni des informations susceptibles de porter atteinte à l’honneur et la dignité de [la plaignante]. »

12. Le 14 avril 2003, la requérante fit appel de ce jugement.

13. Par un arrêt du 28 mai 2003, le tribunal de Chişinău rejeta l’appel pour défaut de fondement. Il relevait, entre autres, ce qui suit :

« La première instance a correctement constaté que les informations transmises par la société M., [à savoir] les relevés des services de télécommunication fournis [à la plaignante pour le numéro en question], ne port[ai]ent pas atteinte à l’honneur et à la dignité [de cette dernière]. (...) [Ces] informations ont été obtenues selon les voies légales par l’avocat O.M.

(...)

Il a été établi avec certitude que le contenu des conversations téléphoniques n’a pas été dévoilé (...). [P]ar conséquent, le droit de la plaignante au secret (...) des conversations téléphoniques n’a pas été méconnu. »

14. La requérante forma un pourvoi contre cette décision. Elle arguait que la divulgation des informations litigieuses était contraire à la loi relative aux télécommunications, garantissant le secret des conversations téléphoniques, ainsi qu’à la loi relative à l’accès à l’information.

15. Par une décision définitive du 21 janvier 2004, la Cour suprême de justice rejeta le pourvoi, l’estimant mal fondé. Elle faisait siens les arguments des instances inférieures, et elle ajoutait que, en application de l’article 15 de la loi relative à la profession d’avocat, Me O.M. était autorisé à demander les informations litigieuses et la société M. tenue de les lui fournir.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

16. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi relative aux télécommunications du 24 novembre 1995, en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées :

« Article 4.

1. La confidentialité des conversations téléphoniques et des (...) prestations fournies par le biais des réseaux de télécommunication est garantie par la Constitution, par la présente loi et par d’autres actes normatifs (...).

2. Les personnes travaillant dans le domaine des télécommunications sont tenues de garantir cette confidentialité. Il leur est interdit de divulguer le contenu des conversations téléphoniques ou des autres communications effectuées par l’intermédiaire des réseaux de télécommunication, ainsi que de divulguer des informations concernant les services fournis à d’autres personnes que le fournisseur, le destinataire ou les personnes dûment investies [du droit de demander de telles informations]. (...) »

17. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi relative à l’accès à l’information du 11 mai 2000, en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit :

« Article 5. Les sujets de la présente loi

(...)

2. Les fournisseurs d’informations (...) sont :

(...)

c) les personnes physiques ou morales qui, en vertu de la loi ou du contrat signé avec l’autorité publique, se sont vu confier la gestion de certains services publics et qui (...) disposent d’informations officielles, y compris de données à caractère personnel.

(...)

Article 8. L’accès à l’information à caractère personnel

1. L’information à caractère personnel est constituée des données relatives à une personne privée identifiée ou identifiable (...), [et elle] fait partie de la catégorie des informations personnelles confidentielles. Au sens de cette loi, les données exclusivement relatives à l’identification des personnes (données contenues dans les papiers d’identité) ne constituent pas des informations confidentielles.

2. Les fournisseurs d’informations qui détiennent des informations à caractère personnel sont tenus de garantir la confidentialité de la vie privée de la personne.

(...)

7. Les fournisseurs d’informations peuvent divulguer toute information à caractère personnel, demandée conformément à la présente loi, seulement lorsque :

a) la personne concernée par l’information consent à sa divulgation ;

b) l’information demandée dans son intégralité a été rendue publique (...) avant la date de la demande.

8. Si la personne concernée par les informations à caractère personnel ne consent pas à leur divulgation, l’accès à ces informations ne peut être autorisé que par une décision judiciaire constatant que la divulgation de ces informations revêt un intérêt public [lié à] la protection de la santé de la population, à la sécurité publique ou à la protection de l’environnement ».

18. L’article 15 de la loi relative à la profession d’avocat du 13 mai 1999, en vigueur au moment des faits, traitait des garanties accordées aux avocats dans l’exercice de leur profession et comprenait quinze paragraphes. Il énonçait notamment un certain nombre de principes garantissant aux avocats, entre autres, l’indépendance, le respect du secret professionnel, l’interdiction de l’immixtion des autorités dans leur activité, l’inviolabilité du domicile et du cabinet, ainsi que la confidentialité de la correspondance professionnelle. Il ne faisait aucune mention du droit des avocats de demander et d’obtenir l’accès à des données, à caractère personnel ou non, auprès des autorités ou d’acteurs privés.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

19. Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante allègue que la divulgation de ses relevés téléphoniques s’analyse en une violation de son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance. Cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Établissement des faits

20. La Cour observe que les parties sont en désaccord quant à l’étendue et à la nature des informations révélées par l’opérateur de téléphonie fixe, la société M.

21. La requérante allègue que cette société a transmis à des tiers ses relevés téléphoniques mensuels couvrant une période de plusieurs mois et comprenant des données relatives aux numéros composés, ainsi qu’à la date, à l’heure, à la durée et au coût des appels.

22. Le Gouvernement soutient quant à lui que la société M. a communiqué à Me O.M. des informations relatives aux paiements effectués par la requérante, et non pas les relevés téléphoniques détaillés de l’intéressée.

23. La Cour remarque que, dans le cadre de la procédure civile engagée devant les juridictions internes au sujet du différend successoral susmentionné, les relevés téléphoniques détaillés de la requérante ont été fournis par la mère de cette dernière au tribunal (paragraphe 8 ci-dessus) – ce qui n’est pas contesté par les parties devant elle. Elle relève également que, par la suite, la transmission de ces relevés par la société M. à Me O.M. a été constatée par les tribunaux nationaux appelés à se prononcer sur l’action de la requérante engagée à l’encontre de cette société (paragraphes 11 et 13 ci‑dessus). Elle note que rien ne lui permet de s’écarter de ce constat.

24. Pour la Cour, il est donc établi que les relevés téléphoniques détaillés de la requérante ont été transmis par la société M. à une tierce personne.

B. Sur la recevabilité

25. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

C. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. La requérante soutient que les relevés téléphoniques divulgués par la société M. contenaient des données à caractère personnel et que leur transmission à une tierce personne n’était ni conforme à la loi ni justifiée par un quelconque besoin d’intérêt général.

27. Le Gouvernement argue qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée au motif que les données en cause ont été fournies non pas à une autorité étatique, mais à un avocat défendant les intérêts d’une cliente, et qu’elles n’ont pas été rendues publiques. Il dit également que les données susmentionnées ont été obtenues dans le respect des dispositions de la loi relative à l’accès à l’information et de celles de la loi relative aux télécommunications.

2. Analyse de la Cour

28. La Cour observe que la divulgation dénoncée dans la présente affaire est imputée à une société privée. Elle constate cependant que l’État est l’unique actionnaire de ladite société. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que les actions de la société M. engagent la responsabilité de l’État défendeur au regard de la Convention, et elle note à ce sujet que ce point ne prête pas à controverse entre les parties.

29. La Cour rappelle ensuite que les appels téléphoniques reçus dans des locaux privés sont compris dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » visées à l’article 8 § 1 de la Convention (Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, et Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 44, CEDH 2000‑II). Elle redit également que l’exploitation d’informations se rapportant à des conversations téléphoniques, notamment les dates et durées de celles-ci ainsi que les numéros composés, peut poser problème au regard de l’article 8 de la Convention, ces éléments faisant « partie intégrante des communications téléphoniques » (Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 84, série A no 82, et Copland c. Royaume-Uni, no 62617/00, § 43, CEDH 2007‑I). Ainsi, pareilles informations s’analysent en des données à caractère personnel (Heglas c. République tchèque, no 5935/02, § 60, 1er mars 2007).

30. En l’occurrence, la Cour estime que la divulgation, sans le consentement de la requérante, des données à caractère personnel se rapportant aux services de téléphonie fixe fournis à celle-ci ainsi que leur utilisation à son encontre dans le cadre d’une procédure civile ont sans doute constitué une ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et de sa correspondance, au sens de l’article 8 de la Convention (Copland, précité, § 44, et Heglas, précité, § 61).

31. Il incombe dès lors à la Cour de rechercher si cette ingérence se justifiait au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, et notamment si elle était « prévue par la loi ».

32. La Cour remarque que, dans le cadre de la procédure engagée par la requérante contre la société M., la première instance et la cour d’appel se sont limitées à dire que la divulgation des données litigieuses était légale, sans préciser toutefois quelle norme spécifique était applicable en l’espèce (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Elle note ensuite que la Cour suprême de justice a fait référence à l’article 15 de la loi relative à la profession d’avocat pour conclure à la légalité des actions de Me O.M. et de la société M. (paragraphe 15 ci-dessus). Elle relève cependant que cette disposition, en vigueur au moment des faits, régissait les relations entre les avocats et les autorités étatiques et qu’elle ne contenait aucune mention quant au droit des avocats de demander et d’obtenir l’accès à des données à caractère personnel (paragraphe 18 ci-dessus).

33. La Cour constate en outre que, dans ses observations, le Gouvernement a soutenu que la divulgation des informations litigieuses était conforme aux dispositions de la loi relative à l’accès à l’information et à celles de la loi relative aux télécommunications. À ce sujet, elle note tout d’abord que les tribunaux nationaux n’ont aucunement mentionné ces normes, comme base légale, pour justifier l’ingérence en cause. Elle souligne que, même si cela avait été le cas, la société M. n’était autorisée à divulguer des informations à caractère personnel sans le consentement de la requérante, en application de l’article 8 § 8 de la loi relative à l’accès à l’information (paragraphe 17 ci-dessus), qu’en présence d’une décision judiciaire l’y obligeant. La Cour ne peut que constater qu’une telle décision n’avait pas été adoptée en l’espèce. Elle note par ailleurs que, en vertu de l’article 4 de la loi relative aux télécommunications, les informations relatives aux services téléphoniques fournis pouvaient être transmises à des personnes dûment investies du droit d’en demander la divulgation (paragraphe 16 ci‑dessus). Or ni les instances nationales ni le Gouvernement n’ont établi que Me O.M. était dûment investi de ce droit.

34. En résumé, la Cour relève que les dispositions internes pertinentes en l’espèce interdisaient, sous réserve de quelques exceptions, la divulgation des informations litigieuses. Elle observe qu’il n’apparaît pas que ces exceptions eussent été applicables dans le cas de la requérante et que, de surcroît, le Gouvernement n’est pas parvenu à prouver le contraire.

35. Il s’ensuit que l’ingérence constatée n’était pas « prévue par la loi » au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion dispense la Cour d’examiner la question de la nécessité de l’ingérence. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef de la requérante.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

36. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante se plaint d’un manque d’impartialité des juges ayant statué en appel sur son action civile dirigée contre la société M.

Elle allègue également qu’il a été porté atteinte en l’espèce à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.

Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, elle dénonce en outre une absence de recours interne effectif susceptible de remédier à la violation alléguée de ses droits découlant de la Convention.

Elle critique enfin la divulgation de ses relevés téléphoniques en ce qu’elle aurait emporté violation à son égard du droit au respect de ses biens protégé par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

37. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue sous l’angle de l’article 8 de la Convention (paragraphe 35 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente espèce. Compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu’il ne s’impose pas de statuer séparément sur les autres griefs tirés des articles 6, 10 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, pour une approche similaire, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

39. La requérante réclame 51 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi. Elle indique que cette somme correspond à sa quote-part d’un immeuble qui aurait été l’objet du litige successoral entre elle et sa mère, et elle soutient avoir perdu la propriété de ce bien à l’issue de la procédure ayant vu ses relevés téléphoniques être utilisés comme preuve.

Elle demande également 5 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.

40. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

41. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée de l’article 8 de la Convention et le dommage matériel allégué, et elle rejette la demande y afférente. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

42. La requérante sollicite également 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 2 712 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Elle produit des notes de frais de traduction de ses observations présentées à la Cour pour un montant total de 232 EUR, ainsi qu’un relevé détaillé des heures de travail prestées par son avocat pour la procédure devant la Cour (vingt-huit heures facturées au taux horaire de 85 EUR).

43. Le Gouvernement estime que ces demandes ne sont pas étayées.

44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, en l’absence de tout document justificatif, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale. En revanche, elle estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le reste des griefs ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıIşıl Karakaş
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-172312
Date de la décision : 28/03/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance;Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : SAVOTCHKO
Défendeurs : RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TALAMBUȚA L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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