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14/02/2017 | CEDH | N°001-171463

CEDH | CEDH, AFFAIRE LEKIĆ c. SLOVÉNIE, 2017, 001-171463


Quatrième section

AFFAIRE LEKIĆ c. SLOVÉNIE

(Requête no 36480/07)

ARRÊT

STRASBOURG

14 février 2017

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 11/12/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lekić c. Slovénie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Iulia Motoc,


Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
Boštjan Zalar, juge ad hoc,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du...

Quatrième section

AFFAIRE LEKIĆ c. SLOVÉNIE

(Requête no 36480/07)

ARRÊT

STRASBOURG

14 février 2017

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 11/12/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lekić c. Slovénie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
Boštjan Zalar, juge ad hoc,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36480/07) dirigée contre la République de Slovénie et dont un ressortissant de cet État, M. Ljubomir Lekić (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant a été représenté par Me S. Zdolšek, avocat à Ljubljana.

2. Le gouvernement slovène (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme B. Jovin Hrastnik, procureure générale.

3. Le requérant alléguait notamment que la radiation de la société L.E. du registre des sociétés avait constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit au respect de ses biens. En effet, selon lui, la radiation signifiait que la société dont il était l’un des associés avait cessé d’exister et, de plus, qu’il était devenu personnellement responsable des dettes de la société.

4. Le 28 novembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. M. Marko Bošnjak, juge élu au titre de la Slovénie, s’étant trouvé empêché de siéger dans l’affaire (article 28 du règlement), le président de la quatrième section a décidé de désigner M. Boštjan Zalar pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1956 et réside à Ljubljana.

A. Les fonctions du requérant au sein de la société L.E.

6. Le 8 octobre 1992, le requérant acquit une part sociale dans L.E., une société à responsabilité limitée dont le siège se trouvait à Ljubljana. Une fois son nom inscrit sur le registre des personnes morales tenu par le tribunal compétent (« le registre des sociétés » ou « le registre »), il devint l’un des neuf associés de la société inscrits au registre, chacun d’entre eux détenant une part égale représentant 11,11 % du capital social qui s’élevait à 2 995 250 tolars slovènes (SIT) (12 498,96 euros (EUR)).

7. Deux des associés fondateurs quittèrent la société L.E. au début de l’année 1993. Le 2 février de la même année, en plus d’être l’un des associés de la société, le requérant fut employé par celle-ci en tant que chef de son service informatique. Il assistait également le directeur financier.

8. Le 19 février 1993, quatre personnes occupant des fonctions clés dans la société L.E. en tant qu’associés et dirigeants furent impliquées dans un accident de voiture. Deux d’entre elles décédèrent et les deux autres furent grièvement blessées. À la suite de cet accident, les activités de la société ne purent se poursuivre et celle-ci subit une perte financière considérable. En outre, la direction de la société fut sérieusement affaiblie et, en 1993, tous les associés, sauf le requérant et une autre personne, se retirèrent du conseil d’administration. Dans un premier temps, à partir du 29 avril 1993, le requérant occupa alors le poste de directeur par intérim, puis, à compter du 23 février 1995, celui de directeur général. En cette qualité, il était le représentant de la société.

9. Entre-temps, le 24 août 1993, se fondant sur un acte authentique relatif à des services de transport impayés, la société des chemins de fer slovènes (Slovenske železnice) avait sollicité la délivrance à l’encontre de la société L.E d’une injonction de payer. La société avait contesté l’injonction et il avait été ordonné aux parties de régler le litige par la voie contentieuse. La société des chemins de fer avait engagé une action civile en paiement de trois sommes dont le montant total s’élevait à environ 5 000 000 SIT (20 000 EUR).

10. En 1995, la société L.E. fut transformée en société à responsabilité limitée dans les formes prévues par l’article 580 de la loi sur les sociétés. Cette loi exigeait des sociétés auxquelles elle s’appliquait une augmentation du capital, et la mise en conformité de leurs activités avec ses dispositions (paragraphe 34 ci-dessous). Toutefois, au moment de la transformation, la société L.E. n’avait plus de liquidités et était devenue insolvable.

11. Le 6 mai 1996, à la suite d’une décision rendue par l’assemblée générale de la société L.E., le requérant démissionna de son poste de directeur général. Les associés ne nommèrent pas un nouveau directeur général et la société se trouva en conséquence sans dirigeant. La démission du requérant ne fut pas inscrite au registre des sociétés.

12. Le 19 juin 1997, lors d’une assemblée générale, les associés décidèrent de demander l’ouverture d’une procédure de faillite, pour cause d’insolvabilité de la société L.E. La demande en ce sens que la société présenta devant la juridiction compétente fut rejetée au motif que les frais et dépens afférents à la procédure de faillite, exigibles d’avance et s’élevant à 150 000 SIT (626 EUR), n’avaient pas été payés. Les associés constatèrent qu’ils n’étaient pas en mesure d’assumer ces frais. Par conséquent, ils décidèrent d’attendre que la liquidation de la société fût ordonnée d’office par les tribunaux en vertu de la législation alors applicable, à savoir la loi modifiée relative au règlement judiciaire, à la faillite et à la liquidation, entrée en vigueur le 1er juillet 1997. Cette loi modifiée autorisait les tribunaux à ouvrir d’office une procédure de faillite dans certaines circonstances particulières (paragraphe 34 ci-dessous).

13. Le 31 juillet 1997, le requérant cessa de travailler pour la société L.E. En outre, à la fin de l’année 2000, deux autres associés de la société décédèrent.

14. Dans le cadre de la procédure civile engagée par la société des chemins de fer contre la société L.E., le requérant fut convoqué à une audience prévue pour le 22 novembre 2000. Empêché, il présenta des observations écrites expliquant que la société L.E. était insolvable depuis plusieurs années. Le 22 novembre 2000, le tribunal de district de Ljubljana enjoignit la société L.E. de verser à la société des chemins de fer les trois sommes que celle-ci réclamait.

B. La procédure de radiation de la société L.E.

15. Dans l’intervalle, le 1er juillet 1999, la loi relative au règlement judiciaire, à la faillite et à la liquidation avait de nouveau été modifiée, notamment aux fins de l’abrogation des dispositions relatives à l’ouverture d’office d’une procédure de faillite. De surcroît, la loi sur les opérations financières des sociétés, entrée en vigueur le 23 juillet 1999, avait introduit une nouvelle mesure : lorsqu’une société était insolvable et/ou inactive, il était possible d’ordonner d’office sa radiation du registre des sociétés, sans liquidation. Pareille société pouvait donc être dissoute sans que fût ouverte une procédure préalable visant à la distribution des actifs et au désintéressement – dans la mesure du possible – des créanciers. Toutefois, pour protéger les créanciers d’une société ainsi radiée, la loi sur les opérations financières des sociétés prévoyait la responsabilité conjointe et solidaire des associés pour les dettes de la société.

16. Sur la base d’un document établi par l’agence en charge des registres publics et des services connexes, selon lequel la société L.E. n’avait effectué aucune transaction bancaire sur une période de douze mois consécutifs, le tribunal de district de Ljubljana, en tant que juridiction en charge de la tenue du registre des sociétés, ouvrit une procédure de radiation le 19 janvier 2001.

17. À cette date, la décision d’ouverture de la procédure de radiation fut inscrite au registre des sociétés et on tenta sans succès de la notifier au siège de la société L.E. La décision avait été envoyée à l’adresse de la société, mais aucun de ses représentants n’ayant été présent pour la recevoir, un avis de passage indiquant que le document pouvait être retiré au bureau de poste fut déposé dans la boîte aux lettres de la société. Le 12 février 2001, la décision fut renvoyée au tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés, avec la mention que le destinataire ne s’était pas présenté pour la retirer. Ce tribunal notifia alors la décision par affichage sur son panneau, conformément à la loi sur le registre des personnes morales. Selon le requérant, la société L.E. n’avait plus aucune activité à l’adresse de son siège depuis 1997 et, depuis lors, n’avait plus de locaux à cet endroit ou ailleurs. De surcroît, il n’y aurait pas eu de boîte aux lettres dans l’immeuble de bureaux en question et le courrier aurait dû être déposé à la réception.

18. Ni la société L.E. ni ses associés ne s’opposèrent à la décision d’ouverture de la procédure de radiation. Par conséquent, le 11 mai 2001, le tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés ordonna la radiation de la société L.E. Cette décision fut publiée au Journal officiel le 30 mai 2001. Le tribunal tenta aussi de la notifier à l’adresse de la société L.E., mais, comme précédemment, la décision fut renvoyée le 4 juin 2001 avec la mention que le destinataire ne s’était pas présenté pour la retirer. Comme auparavant, la décision fut affichée sur le panneau du tribunal. Ni la société L.E. ni l’un de ses associés ne se prévalurent du droit de faire appel de la décision de radiation, si bien que la décision devint définitive le 17 août 2001.

19. Le 25 septembre 2001, la société L.E. fut radiée du registre des sociétés et cessa donc d’exister. L’avis de radiation fut publié au Journal officiel le 6 février 2002.

20. Le requérant affirme avoir eu connaissance de la radiation de la société L.E. lorsque, le 22 décembre 2004, on lui notifia une ordonnance d’exécution autorisant la saisie de ses biens.

C. La procédure d’exécution dirigée contre le requérant

21. En effet, entre-temps, le 5 avril 2002, se fondant sur la décision ordonnant à la société L.E. de lui verser environ 20 000 EUR (paragraphe 9 ci-dessus), la société des chemins de fer avait demandé l’ouverture devant le tribunal de district de Ljubljana d’une procédure d’exécution dirigée contre sept associés de la même société.

22. Le 5 juin 2002, la société créancière avait obtenu du tribunal de district de Ljubljana une ordonnance de saisie des biens personnels du requérant, qui avait ultérieurement été étendue au salaire de l’intéressé.

23. Le 29 décembre 2004, le requérant forma une opposition contre l’ordonnance d’exécution. Il argua que le tribunal local n’avait ni établi les fonctions qu’il avait effectivement occupées au sein de la société L.E. ni reconnu son statut d’« associé inactif » (paragraphes 48-49 ci-dessous), qui l’aurait exonéré de la responsabilité des dettes de la société. Il soutint que la créance de la société des chemins de fer à l’égard de la société L.E. existait avant qu’il ne prît ses fonctions dans celle-ci et qu’il avait intégré la direction de la société L.E. au seul motif que les deux associés qui en étaient précédemment les dirigeants étaient décédés. De plus, le requérant considéra qu’il incombait à la société créancière de prouver qu’il avait été un associé actif de la société et que cette question devait être examinée dans le cadre d’une procédure civile contentieuse. Enfin, il sollicita un sursis à exécution.

24. Le 12 mars 2005, l’opposition formée par le requérant fut rejetée. Le tribunal local considéra que la charge de la preuve du statut d’associé inactif pesait sur le requérant et que celui-ci n’avait pas prouvé qu’il avait été un associé inactif de la société L.E. Il estima que, du fait de sa part sociale qui représentait 11,11 % du capital, le requérant avait bénéficié des droits d’un associé minoritaire et que, en outre, il avait été salarié de la société et avait activement participé à la direction de celle-ci depuis avril 1993. Il observa qu’en sa qualité de directeur, puis de directeur général, le requérant avait été autorisé à agir au nom de la société. Il ajouta que même après sa démission du poste de directeur général, le requérant avait encore été actif dans la société et avait d’ailleurs signé la demande d’ouverture d’une procédure de faillite. Il repoussa également la demande du requérant tendant à un sursis à exécution, au motif que l’intéressé n’avait pas démontré que l’exécution lui aurait causé un dommage grave ou irréparable. Dans l’appel qu’il forma contre cette décision, le requérant reprenait les arguments qu’il avait avancés à l’appui de son opposition à l’ordonnance d’exécution.

25. Le 6 mai 2005, le requérant assista à une audience relative à une opposition formée par D.P., un autre associé de la société L.E., contre l’ordonnance d’exécution.

26. Le 9 février 2006, la cour d’appel de Ljubljana rejeta l’appel du requérant, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux énoncés par le tribunal de première instance. L’ordonnance d’exécution devint ainsi définitive. La cour d’appel releva notamment que la Cour constitutionnelle avait considéré que la mesure prévue par la loi sur les opérations financières des sociétés, qui avait pour effet de « lever le voile de la personnalité juridique », était conforme au principe de la séparation entre les biens d’une société et ceux des associés de celle-ci, et donc compatible avec la Constitution. Elle jugea dépourvue de pertinence la question de savoir si le requérant était devenu associé de la société L.E. avant ou après la naissance de la créance. Elle estima que dès lors que le requérant était devenu associé de la société, il était responsable tant de ses actifs que de son passif et avait les droits d’un associé minoritaire. Elle souligna particulièrement que le requérant avait participé activement à la direction de la société. Elle expliqua que les motifs justifiant la levée du voile de la personnalité juridique en vertu de la loi sur les opérations financières des sociétés n’étaient pas identiques à ceux prévus par la loi sur les sociétés. D’après la cour d’appel, la loi sur les opérations financières des sociétés établissait une présomption irréfragable selon laquelle les associés d’une société inactive avaient pour intention de la dissoudre et prévoyait expressément qu’en pareille situation les associés étaient conjointement et solidairement responsables du reliquat des dettes (paragraphe 41 ci-dessous).

27. Le 5 mai 2006, le requérant forma deux recours devant la Cour constitutionnelle, l’un concernant la procédure de radiation et l’autre la procédure d’exécution.

28. Le 31 janvier 2007, la Cour constitutionnelle rejeta le recours introduit par le requérant au sujet de la procédure de radiation. Dans son arrêt, qui fut notifié au requérant le 5 février 2007, la Cour constitutionnelle constatait que le requérant n’avait pas d’intérêt juridique lui permettant de contester la décision rendue par le tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés, car la société L.E. avait déjà été radiée. Par conséquent, la haute juridiction estimait que même une issue favorable du recours constitutionnel ne pourrait pas améliorer la position juridique du requérant. Le 9 juillet 2007, elle rejeta aussi le recours relatif à la procédure d’exécution, jugeant que les droits fondamentaux du requérant n’avaient manifestement pas été violés. Rappelant que seuls les associés actifs d’une société radiée du registre des sociétés pouvaient être tenus pour responsables des dettes de celle-ci, elle conclut que les juridictions inférieures avaient correctement jugé que la participation active du requérant à la direction de la société L.E. s’opposait à ce que celui-ci fût exonéré de sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société.

29. En 2010, en application de l’ordonnance d’exécution, une partie du salaire mensuel du requérant fut saisie aux fins du remboursement de sa dette. Le 23 septembre 2011, l’intéressé parvint à un règlement amiable extrajudiciaire avec la société des chemins de fer, à qui il versa la somme convenue. Après le retrait de la demande d’exécution, la procédure dirigée contre le requérant fut close le 28 septembre 2011. M. Lekić paya un montant total de 32 795 EUR à son créancier.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La législation antérieure à la loi sur les opérations financières des sociétés

30. En 1988, la loi sur les entreprises, qui établissait un cadre juridique pour la propriété privée de ces entreprises, entra en vigueur dans l’ex‑République socialiste fédérative de Yougoslavie. Elle autorisait la constitution d’entreprises privées par toutes sortes d’investisseurs, avec un capital social relativement faible.

31. Après son accession à l’indépendance, la Slovénie adopta en 1993 la loi sur les sociétés, qui remplaça dans son intégralité la loi sur les entreprises. Cette nouvelle loi définissait la société à responsabilité limitée comme une société dont le capital était composé des parts détenues par ses associés. Une telle société ne pouvait avoir plus de cinquante associés et sa constitution nécessitait l’établissement d’un contrat entre les associés, sous la forme d’un acte notarié. Chaque associé recevait un nombre de parts proportionnellement à sa prise de participation dans le capital social. Les associés n’étaient pas personnellement responsables des obligations de la société à responsabilité limitée. Un dirigeant de la société devait inscrire celle-ci au registre des sociétés. Une demande d’inscription au registre devait indiquer notamment la liste des associés et la répartition des parts sociales entre eux, la dénomination sociale, l’objet social et le siège social. Toute modification des données figurant au registre des sociétés devait être communiquée dans un délai de trois jours à la juridiction en charge de la tenue de celui-ci.

32. D’après la loi sur les sociétés, une société à responsabilité limitée avait un ou plusieurs dirigeants qui géraient les affaires de la société et la représentaient. Plusieurs types de décisions importantes concernant la direction et l’exploitation de la société (par exemple les décisions relatives à la nomination des dirigeants ou à la distribution des bénéfices) devaient toutefois être adoptées par l’assemblée générale. Les associés dont les parts sociales représentaient au moins un dixième du montant total du capital social pouvaient exiger la convocation d’une assemblée générale. À cet égard, ils avaient l’obligation de préciser les points qui seraient à l’ordre du jour de l’assemblée, ainsi que les motifs de la convocation. De plus, les associés en question pouvaient aussi demander qu’un point particulier fût inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale déjà convoquée. Par ailleurs, à la demande d’un associé, le dirigeant de la société devait immédiatement informer l’associé en question des affaires de la société et lui donner accès aux archives et documents de la société.

33. En ce qui concerne la dissolution d’une société, la loi sur les sociétés prévoyait qu’une société à responsabilité limitée devait être dissoute, par exemple, si elle faisait faillite, si le capital social tombait en dessous du seuil légal ou si ses associés décidaient de la liquider. Un associé dont les parts sociales représentaient au moins un dixième du montant total du capital social pouvait engager une action devant le tribunal compétent aux fins de la dissolution de la société, s’il estimait que les objectifs de celle-ci ne pouvaient pas être atteints à un degré suffisant, ou s’il existait un autre motif raisonnable de dissolution. De plus, les associés d’une société à responsabilité limitée pouvaient décider de dissoudre celle-ci dans le cadre d’une procédure dite « sommaire », sans liquidation, si tous les associés demandaient la radiation au tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés. Dans ce cas, ils devaient joindre à leur demande une résolution approuvant la dissolution de la société par la voie de la procédure sommaire, ainsi qu’une déclaration commune des associés sous la forme d’un acte notarié attestant que la société s’était acquittée de toutes ses obligations, qu’elle avait réglé tout litige éventuel avec les employés et que les associés reconnaissaient leur responsabilité conjointe et solidaire pour les éventuelles obligations que la société n’aurait pas encore honorées. Toute créance sur la société radiée pouvait être recouvrée auprès des associés de celle-ci dans un délai de un an à compter de la publication de l’avis de radiation au registre des sociétés.

34. La loi sur les sociétés introduisit des changements importants dans la gestion des sociétés. Elle augmenta notamment le montant minimal du capital social requis pour l’exploitation d’une société à responsabilité limitée. Les sociétés existantes furent tenues de se conformer à la nouvelle législation plus stricte dans un délai d’environ un an et demi à compter de l’entrée en vigueur de la loi. À défaut, en application de l’article 580 de la loi, les sociétés étaient liquidées et radiées d’office du registre des sociétés et leurs associés étaient tenus pour personnellement responsables de leurs dettes. Par la suite, la Cour constitutionnelle annula partiellement cette disposition, distinguant entre les associés ayant participé activement à la gestion de la société et les associés « passifs » (décision no U-I-135/00). D’après la décision de la haute juridiction, seuls les anciens associés actifs pouvaient être tenus pour personnellement responsables des dettes de la société (paragraphe 49 ci-dessous).

35. En 1997, le législateur traita le problème du nombre élevé de sociétés inactives et insolvables en modifiant la loi relative aux procédures de règlement judiciaire, de faillite et de liquidation, qui s’appliquait jusqu’alors. Après modification de la loi le 1er juillet 1997, les tribunaux furent autorisés à ouvrir d’office des procédures de faillite contre les sociétés qui n’avaient pas payé de salaires pendant trois mois consécutifs, contre celles qui étaient titulaires de comptes bancaires bloqués ou encore contre celles qui avaient manqué de liquidités pendant les douze mois précédents. Les sociétés insolvables qui auraient elles-mêmes demandé l’ouverture d’une procédure de faillite avaient l’obligation de payer d’avance les frais liés à la publication au Journal officiel de l’avis d’ouverture de la procédure. Le reste des frais de procédure étaient prélevés sur la masse des biens de la faillite. Si les actifs composant cette masse n’étaient pas même suffisants pour couvrir les frais de procédure, le collège de juges supervisant la faillite ouvrait la procédure et la concluait immédiatement. Après qu’il eut été établi que la procédure de faillite ouverte d’office ne constituait pas une solution réaliste du fait du grand nombre de sociétés inactives (environ 6 000 au début de l’année 1998) et en raison du coût élevé associé à l’ouverture d’une procédure, qui était assumé par l’État, les dispositions relatives à cette procédure furent abrogées par une autre modification législative, entrée en vigueur le 1er juillet 1999.

B. La loi sur les opérations financières des sociétés

36. La loi sur les opérations financières des sociétés fut adoptée le 24 juin 1999 et publiée au Journal officiel no 54/99 du 8 juillet 1999. Elle entra en vigueur le 23 juillet 1999, introduisant de nouvelles façons d’aborder le problème des sociétés inactives et/ou insolvables. Le législateur releva qu’un grand nombre de sociétés privées étaient dans l’incapacité d’honorer leurs dettes, ce qui contribuait à un manque de rigueur dans les aspects financiers des actes juridiques concernant ces sociétés et plaçait leurs créanciers dans une position précaire. Partant, la nouvelle loi exigeait des sociétés de conduire leurs affaires de manière à ce qu’elles fussent à tout moment en mesure de remplir leurs obligations en temps voulu (article 5). De plus, les sociétés devaient maintenir leurs capitaux propres à un niveau suffisant, proportionnel au volume et au type d’opérations et d’activités menées, ainsi qu’aux risques auxquels elles étaient exposées (article 6). À cet égard, la direction de la société devait s’assurer que celle-ci conduisait ses affaires conformément à la loi et aux principes applicables aux opérations financières (article 8), surveillait régulièrement les risques encourus dans l’exécution de ces opérations et prenait des mesures appropriées pour se protéger contre pareils risques (article 9).

37. Si une société se trouvait en manque de liquidités et n’était donc plus en mesure d’honorer à temps les dettes venant à échéance, sa direction devait adopter les mesures nécessaires pour reconstituer les liquidités et, si ces mesures ne produisaient aucun résultat dans les deux mois, elle devait ouvrir une procédure de faillite ou de règlement judiciaire (article 12). De même, si une société devenait insolvable, avec des actifs insuffisants pour honorer ses dettes, sa direction avait l’obligation de demander, dans un délai maximum de deux mois, l’ouverture d’une procédure de faillite ou un règlement judiciaire (article 13). Si les dirigeants ne respectaient pas ces obligations, ils pouvaient être tenus pour personnellement responsables des dommages causés par leur manquement aux créanciers de la société. En outre, sous certaines conditions, le conseil d’administration et les associés d’une société pouvaient être tenus pour personnellement responsables des dommages causés aux créanciers.

38. Les sociétés qui ne suivaient pas les procédures prescrites pour rétablir leur solvabilité ou mettre un terme à leurs activités en cas d’insolvabilité devaient, en application du chapitre 3 de la loi sur les opérations financières des sociétés, être radiées d’office du registre des sociétés, sans ouverture préalable d’une procédure de liquidation. D’après l’article 25 de cette loi, il y avait lieu d’ouvrir une procédure de radiation si, par exemple, on pouvait supposer que la société en question n’avait aucun actif, ce qui était considéré comme établi si, pendant douze mois consécutifs, la société n’avait effectué aucune transaction sur le compte bancaire qu’elle avait déclaré. Les établissements effectuant des paiements pour la société avaient l’obligation d’informer le tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés de telles circonstances dans un délai de un mois à compter du constat par eux d’une telle situation (article 26(2)).

39. Après avoir établi que les conditions de radiation d’une société étaient remplies, le tribunal en charge du registre des sociétés devait ouvrir d’office une procédure de radiation. La décision d’ouverture d’une telle procédure était notifiée à la société concernée et inscrite au registre des sociétés (article 29). La société elle-même ou un de ses associés ou créanciers pouvaient faire opposition dans un délai de deux mois, pour l’un des motifs suivants : i) les conditions de radiation avaient été établies de manière erronée ou incomplète, ii) une autre procédure de dissolution de la société, à savoir une procédure de règlement judiciaire, de faillite ou de liquidation, avait été ouverte ou demandée, ou iii) une demande d’ouverture d’une procédure de faillite avait été déposée pour le compte de la société et un paiement d’avance des frais avait été effectué à cette fin, ou le demandeur avait été exempté d’un tel paiement (article 30).

40. En l’absence d’opposition contre la décision d’ouverture d’une procédure de radiation, ou si pareille opposition avait été rejetée, le tribunal en charge de la tenue du registre des sociétés rendait une décision de radiation, qui était notifiée à la société concernée et publiée au Journal officiel (article 32 et 33). Dans les trente jours suivant la notification ou la publication, une personne s’étant opposée sans succès à l’ouverture de la procédure de radiation, un associé ou un créancier de la société pouvait interjeter appel de la décision de radiation en avançant les mêmes arguments que ceux qu’elle avait invoqués à l’appui de l’opposition (article 34). En l’absence d’appel contre la décision de radiation, ou en cas de rejet d’un tel appel, la décision de radiation devenait définitive, le tribunal compétent radiait la société du registre des sociétés et un avis de radiation était publié au Journal officiel (article 35).

41. Afin d’assurer la protection des créanciers des sociétés radiées, la loi sur les opérations financières des sociétés disposait que les associés étaient personnellement responsables du reliquat des dettes. Cette loi établissait une présomption irréfragable selon laquelle les associés d’une société inactive et/ou insolvable avaient l’intention de dissoudre celle-ci, mais n’avaient pas entamé une procédure de liquidation ou de faillite. D’après les dispositions applicables (article 27(4) de la loi sur les opérations financières des sociétés, combiné avec l’article 394(1) de la loi sur les sociétés), les associés étaient réputés avoir consenti à être tenus pour conjointement et solidairement responsables du reliquat des dettes de la société radiée. Les créanciers de cette dernière pouvaient réclamer aux associés le remboursement des créances dans l’année suivant la publication de l’avis de radiation au Journal officiel.

42. La loi sur les opérations financières des sociétés ayant de lourdes conséquences, ses dispositions relatives aux mesures visant à garantir un montant adéquat de capitaux propres et la solvabilité des sociétés prirent effet six mois après l’entrée en vigueur de la loi. Les dispositions du chapitre 3 régissant la procédure de radiation prirent effet encore plus tard. À cet égard, la disposition relative à la présomption selon laquelle une société n’avait pas d’actif ne prenait effet que si celle-ci n’avait effectué aucune transaction sur son compte bancaire pendant douze mois consécutifs après l’entrée en vigueur de la loi sur les opérations financières des sociétés, à savoir à partir du 23 juillet 2000.

43. En 2007, estimant que la loi sur les opérations financières des sociétés portait atteinte à plusieurs principes du droit des sociétés et avait des effets négatifs importants sur la situation des associés de sociétés radiées, le législateur décida de modifier cette loi et d’exonérer les associés de leur responsabilité personnelle pour les dettes de leurs sociétés. Après sa modification, la loi sur les opérations financières des sociétés disposait que toutes les procédures judiciaires et administratives en cours par lesquelles les créanciers de sociétés radiées cherchaient à recouvrer leurs créances auprès des associés de celles-ci seraient closes d’office. Certains créanciers, qui avaient entamé contre d’anciens associés de sociétés radiées des procédures, alors toujours pendantes, et qui étaient donc sur le point de perdre toute possibilité de recevoir un paiement, formèrent un recours constitutionnel contre la nouvelle législation. Dans sa décision no U‑I‑117/07, la Cour constitutionnelle accueillit le recours et annula les dispositions contestées, estimant que celles-ci ne protégeaient pas les créanciers de manière appropriée.

C. La loi relative aux opérations financières, à la procédure d’insolvabilité et à la liquidation obligatoire

44. Le 15 janvier 2008, la loi relative aux opérations financières, à la procédure d’insolvabilité et à la liquidation obligatoire, qui remplaçait la loi sur les opérations financières des sociétés, fut adoptée. Elle prévoyait toujours la possibilité de radier une société du registre des sociétés sans l’ouverture préalable d’une procédure de liquidation, mais en soumettant pareille radiation à des conditions légèrement différentes.

45. Par la suite, la loi sur les procédures d’exécution ou d’exonération relatives à la responsabilité des actionnaires pour les obligations des sociétés (« la loi sur la responsabilité des actionnaires »), adoptée le 19 octobre 2011, exonéra de nouveau les associés de leur responsabilité personnelle pour les dettes de sociétés radiées. Étant donné que les solutions législatives prévues dans cette loi présentaient une similitude avec celles de la loi modifiée sur les opérations financières (paragraphe 43 ci-dessus), la Cour constitutionnelle fut de nouveau appelée à statuer sur le point de savoir si la loi sur la responsabilité des actionnaires ménageait un juste équilibre entre les intérêts des associés de sociétés radiées et ceux des créanciers de celles‑ci. La haute juridiction rappela que, dans les cas où la créance avait été reconnue par une décision judiciaire ou faisait l’objet d’une procédure judiciaire en cours, de même que dans les cas où le créancier n’avait pas encore engagé une action contre les anciens associés de la société radiée, mais pouvait légitiment envisager d’en introduire une, il n’existait aucun motif constitutionnellement recevable de porter atteinte aux droits acquis du créancier. Elle admit toutefois l’exonération au bénéfice des anciens associés de sociétés qui avaient été radiées du registre des sociétés après l’entrée en vigueur de la loi sur la responsabilité des actionnaires.

D. La décision de la Cour constitutionnelle concernant l’établissement de la responsabilité personnelle des associés et/ou actionnaires pour les dettes de la société (no U-I-135/00)

46. Plusieurs anciens associés de sociétés radiées formèrent un recours devant la Cour constitutionnelle pour contester la réglementation introduite par la loi de 1999 sur les opérations financières des sociétés. Le 9 octobre 2002, la Cour constitutionnelle rejeta partiellement le recours (décision no U-I-135/00), jugeant que la mesure de radiation d’une société inactive n’ayant aucun actif n’était pas contraire à la Constitution. La haute juridiction nota qu’une société économiquement inactive ne se livrait à aucune activité, ne générait aucun revenu et ne faisait aucun paiement. Par ailleurs, selon la Cour constitutionnelle, la situation financière d’une telle société n’était pas connue de ses créanciers, qui présumaient que celle-ci disposait au moins d’un minimum d’actif. Pour ces motifs, d’après la haute juridiction, les sociétés non opérationnelles représentaient une menace pour la sécurité des opérations juridiques dans lesquelles elles étaient impliquées, ainsi que pour la situation de leurs créanciers.

47. Les anciens associés qui avaient formé le recours devant la Cour constitutionnelle soutenaient aussi qu’ils ne pouvaient pas effectivement protéger leurs droits dans le cadre de la procédure de radiation, car les documents relatifs à l’ouverture de cette procédure, de même que ceux concernant la radiation, ne leur avaient pas été notifiés personnellement. En réponse à cet argument, la Cour constitutionnelle considéra que la notification de ces documents à la société, combinée à un avis publié au registre des sociétés ou au Journal officiel, était suffisante. Elle releva que la législation contestée s’appliquait à diverses formes de sociétés, dont certaines appartenaient à de nombreux actionnaires. Elle estima que la notification personnelle des documents prendrait trop de temps et serait impossible dans certains cas.

48. En ce qui concerne la responsabilité personnelle d’anciens associés ou actionnaires, la Cour constitutionnelle souligna qu’il était exact qu’en principe ceux-ci pouvaient légitimement s’attendre à ce que leur responsabilité pour les dettes de la société ne dépassât pas la valeur de leurs parts ou actions. Elle nota toutefois que les sociétés avaient l’obligation de s’assurer qu’elles exerçaient leurs activités avec un capital social adéquat dont le montant ne devait pas tomber en dessous du seuil légal. Elle fit observer que les sociétés dont le capital social était insuffisant étaient économiquement beaucoup plus faibles que celles exerçant leurs activités conformément à la loi, une telle insuffisance affectant selon elle la sécurité de l’ensemble des opérations juridiques. Elle reconnut néanmoins la variété des situations juridiques et factuelles des associés ou actionnaires de sociétés radiées et distingua entre les associés ou actionnaires « actifs », qui étaient en mesure d’influer sur le fonctionnement de la société, et les associés ou actionnaires « passifs », qui étaient dépourvus de pareille capacité d’influence. Elle valida la législation en ce qui concerne les associés ou actionnaires actifs, mais l’annula pour autant qu’elle se rapportait aux associés ou actionnaires passifs. Dans la motivation de sa décision, elle énonça les critères que les juridictions ordinaires devaient prendre en considération pour déterminer la situation d’anciens associés ou actionnaires. Ces critères se basaient sur le comportement personnel des associés ou actionnaires et sur les effets de leur comportement sur le fonctionnement de la société, c’est-à-dire qu’ils se fondaient sur la mesure dans laquelle ces associés ou actionnaires avaient connaissance de la gestion de l’entreprise et y participaient.

49. La Cour constitutionnelle expliqua que les tribunaux appelés à examiner la responsabilité personnelle d’associés ou d’actionnaires devaient donc avant tout établir si tel associé ou actionnaire avait exercé une influence sur les activités de la société concernée. Elle précisa que ces tribunaux devaient fonder leur appréciation sur plusieurs éléments, notamment le type de société (société anonyme ou société à responsabilité limitée), la qualité de chaque associé ou actionnaire (personne physique ou morale) et les relations internes entre associés ou actionnaires. De plus, selon la Cour Constitutionnelle, les tribunaux pouvaient trancher la question de la responsabilité personnelle en tenant également compte des cas généraux prévus par la loi sur les sociétés dans lesquels il était permis d’ignorer la personnalité morale d’une société, notamment les suivants : i) une personne s’est comportée de manière abusive à l’égard de la société pour atteindre un objectif qu’elle n’aurait pas dû viser dans la position où elle se trouvait, ou ii) une personne s’est comportée de manière abusive à l’égard de la société, causant ainsi un préjudice aux créanciers de cette dernière, ou iii) une personne a utilisé les actifs de la société dans son intérêt personnel et en violation de la loi, ou iv) une personne a réduit le montant des actifs de la société pour son bénéfice ou au bénéfice d’autrui, en sachant que la société ne serait pas en mesure d’honorer ses dettes envers des tiers.

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A. Thèses des parties

50. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la requête, faute pour le requérant d’avoir respecté le délai de six mois pour saisir la Cour en ce qui concerne la partie de la requête relative à la procédure de radiation. Selon le Gouvernement, la société L.E. a été radiée du registre des sociétés en 2001 et tant la décision d’ouverture de la procédure de radiation (paragraphe 16 ci-dessus) que la décision de radiation de la société (paragraphe 18 ci-dessus) ont été exécutées plusieurs années avant que le requérant ne formât un recours constitutionnel contestant la radiation. La Cour constitutionnelle aurait par conséquent jugé que l’annulation des décisions contestées ne pouvait pas améliorer la situation juridique du requérant. Elle aurait donc conclu que le requérant n’avait pas d’intérêt juridique lui permettant de former un recours contre ces décisions (paragraphe 28 ci-dessus). Le délai de six mois pour saisir la Cour aurait commencé à courir à compter de la date à laquelle la décision de radiation du registre des sociétés serait devenue définitive. Le recours constitutionnel formé par le requérant quelques années plus tard n’aurait pas prolongé ce délai.

51. En outre, dans le cadre de la procédure d’exécution, le requérant serait parvenu à un règlement amiable extrajudiciaire avec le créancier concerné (paragraphe 29 ci-dessus). Le requérant aurait reconnu la dette, l’aurait payée et n’aurait donc plus été fondé à former une opposition concernant la législation qui tient les associés d’une société radiée pour personnellement responsables de ses dettes.

52. Cependant, dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement indique que les griefs liés à la procédure d’exécution ne font pas partie de la présente requête, mais qu’ils doivent avoir été soulevés dans une autre requête à laquelle le requérant s’est référé et qui n’a pas été portée à sa connaissance.

53. Le requérant soutient que le délai de six mois pour saisir la Cour a commencé à courir à compter de la date de la décision définitive rendue par les autorités internes. Il se dit convaincu d’avoir légitimement formé deux recours constitutionnels, l’un contre la décision de radiation et l’autre contre l’ordonnance d’exécution, après avoir pris connaissance des procédures de radiation et d’exécution. Il indique qu’il ne pouvait pas saisir la Cour avant d’avoir connaissance de la radiation et de la responsabilité personnelle qui en résultait pour lui. Or il aurait appris ces deux choses trois ans après la radiation. Le requérant estime que, dès lors que l’un de ses griefs principaux concerne son impossibilité de participer à la procédure de radiation, faute pour les autorités internes de lui avoir notifié les décisions pertinentes, il ne peut être statué sur l’exception d’inobservation du délai de six mois soulevée par le Gouvernement qu’en examinant le fond de l’affaire. Quant à la phase d’exécution, elle ferait partie intégrante de la procédure et il serait donc nécessaire de considérer les procédures de radiation et d’exécution dans leur ensemble.

54. En outre, concernant le règlement amiable extrajudiciaire, le requérant considère qu’il n’est pas lui-même à l’origine des obligations de paiement au créancier, mais que c’est la radiation qui a fait peser celles-ci sur lui. Il explique que, compte tenu de la possibilité pour le créancier de saisir jusqu’aux deux tiers de son salaire mensuel, il avait préféré conclure une transaction selon laquelle il ne devait payer qu’une somme forfaitaire représentant une partie des dettes de la société, proportionnelle à la part qu’il détenait dans l’ancienne société. Il ajoute que, dès lors que lui et tous les autres associés de la société étaient tenus pour conjointement et solidairement responsables du paiement de la totalité de la somme due par la société L.E. à la société des chemins de fer, il avait considéré que les termes de la transaction lui étaient favorables. En bref, cette transaction aurait simplement été un moyen d’éviter un préjudice matériel plus grand.

B. Appréciation de la Cour

55. Quant à la question de savoir si le requérant a respecté le délai de six mois pour saisir la Cour, celle-ci rappelle que ce délai commence à courir à partir de la date à laquelle l’intéressé a une connaissance suffisante de la décision interne définitive (Baghli c. France, no 34374/97, § 31, CEDH 1999‑VIII, et A.N. c. Lituanie, no 17280/08, § 77, 31 mai 2016). En l’espèce, la décision de la Cour constitutionnelle rejetant le recours du requérant a été rendue le 31 janvier 2007 et notifiée à celui-ci le 5 février 2007. Le requérant a introduit sa requête devant la Cour le 4 août 2007, c’est-à-dire dans les six mois à compter de la notification de la décision rendue par la Cour constitutionnelle.

56. Toutefois, selon le Gouvernement, la date à partir de laquelle le délai de six mois devrait être calculé est le 17 août 2001, le jour où la décision radiant la société du registre des sociétés est devenue définitive. Observant que, dans de nombreux cas, le résultat définitif, à savoir celui revêtant l’autorité de la chose jugée, ne correspond pas chronologiquement à la décision interne définitive, la Cour rappelle que les requérants dans les affaires slovènes sont en principe tenus de former un recours constitutionnel avant de la saisir (Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 296, CEDH 2012 (extraits), et la jurisprudence citée). Par ailleurs, bien que la Cour constitutionnelle ait jugé que même une décision rendue en faveur du requérant ne pouvait pas améliorer la position juridique de celui-ci, elle n’a pas rejeté son recours constitutionnel pour tardiveté.

57. L’argument avancé par le Gouvernement implique qu’un recours constitutionnel ne devrait pas passer pour un recours effectif dans les circonstances de la cause. Cependant, étant donné qu’en principe un recours constitutionnel est considéré comme un recours effectif devant être exercé et qu’aucun argument clair n’a été présenté relativement à d’autres voies de droit qui auraient été, le cas échéant, à la disposition du requérant après qu’il a eu connaissance de la radiation, la Cour ne saurait admettre que le recours constitutionnel formé en l’espèce devrait être ignoré aux fins du calcul du délai de six mois. La Cour conclut donc que le requérant a respecté ce délai.

58. En outre, en ce qui concerne l’argument du Gouvernement selon lequel le règlement amiable extrajudiciaire interdisait au requérant de se plaindre de sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société L.E., la Cour relève que la conduite adoptée par l’intéressé ne saurait être interprétée comme signifiant qu’il reconnaissait le caractère légitime des dettes payées par lui. De plus, avant la conclusion du règlement amiable, le requérant a usé de toutes les voies de recours internes qui étaient apparemment à sa disposition pour contester sa responsabilité pour le paiement de la dette en question. Par ailleurs, il a introduit devant la Cour la requête qui fait l’objet de la présente affaire. Comme il l’a expliqué, les termes du règlement amiable lui étaient plus favorables que la responsabilité découlant de la loi et il a accepté de le conclure uniquement pour éviter un plus grand préjudice. La Cour considère que le simple fait que le requérant a satisfait à l’obligation que lui imposait l’une des décisions contestées ne le prive pas de la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et ne permet pas non plus de conclure que le litige a été résolu ou qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête au sens de l’article 37 § 1 b) et c) de la Convention.

59. Enfin, quant à l’objet de la requête, la Cour observe que, en réponse au grief soulevé par le requérant relativement à sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société, les parties ont été invitées à formuler leurs observations sur la question de savoir si l’imposition de cette responsabilité avait ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public et les droits du requérant protégés par l’article 1 du Protocole no 1. Il convient de noter que, dans ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, le Gouvernement s’est référé à plusieurs reprises à la procédure d’exécution, tant du point de vue des faits que du droit. Arguant que le requérant avait légitimement été désigné comme « associé actif » de la société, le Gouvernement a aussi invoqué les décisions rendues par les tribunaux internes dans le cadre de la procédure d’exécution. Par conséquent, lorsqu’elle examinera les violations alléguées, la Cour tiendra compte de cette procédure dans la mesure où c’est dans le cadre de celle-ci que la responsabilité personnelle du requérant a été établie.

60. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

61. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant allègue une violation de son droit au respect de ses biens. Sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, il soutient aussi que la radiation de la société du registre des sociétés n’a pas été accompagnée de garanties procédurales et que son droit à un procès équitable a donc été méconnu.

62. L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

63. Les passages pertinents en l’espèce de l’article 6 § 1 de la Convention disposent :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

64. La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi beaucoup d’autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). Elle a précédemment jugé que, bien que l’article 1 du Protocole no 1 ne renferme aucune exigence procédurale explicite, cette disposition implique néanmoins que le droit interne doit offrir une protection juridique contre les atteintes arbitraires portées aux droits par la puissance publique et que toute mesure d’ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens doit être accompagnée de certaines garanties procédurales (Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005‑XII (extraits)). En l’espèce, la Cour considère que le grief que le requérant tire de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’absence de procédure judiciaire effective pour contester la radiation est étroitement lié à celui qu’il soulève sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 et peut dès lors être examiné avec ce dernier (voir, mutatis mutandis, Forminster Enterprises Limited c. République tchèque, no 38238/04, § 59, 9 octobre 2008).

A. Applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 à l’annulation de la part détenue par le requérant dans la société L.E.

1. Thèses des parties

65. Les parties s’accordent à dire que la responsabilité personnelle du requérant pour le reliquat des dettes de la société L.E. constituait une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit au respect de ses biens. Tel est également l’avis de la Cour. Toutefois, étant donné que la part détenue par le requérant dans la société L.E. avait perdu toute valeur économique, les positions des parties diffèrent sur le point de savoir si l’article 1 du Protocole no 1 s’applique à l’annulation de cette part.

66. Le Gouvernement reconnaît qu’une part dans une société représente un ensemble de droits, dont le droit de diriger la société, ainsi que le droit de percevoir une part des bénéfices, et qu’elle s’analyse donc en principe en un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il indique toutefois qu’en l’espèce la société en question n’exerçait aucune activité et n’avait plus d’actifs suffisants pour honorer la créance concernée. Il en déduit que la valeur économique de la part du requérant dans la société radiée est discutable et que cette part ne peut pas passer pour un « bien ». Il précise néanmoins que, si la Cour devait parvenir à une conclusion différente, il soutiendrait que la législation considère les anciens associés de sociétés radiées comme des ayants cause à titre universel, qui succèdent donc aux sociétés non seulement pour le passif, mais aussi pour l’éventuel actif de celles-ci, et que pareille législation s’analyse en une réglementation de l’usage des biens.

67. Le requérant ne partage pas l’avis du Gouvernement, estimant que d’après la jurisprudence constante de la Cour, l’article 1 du Protocole no 1 est applicable à une part dans une société. Il indique que, dans l’arrêt Sovtransavto Holding c. Ukraine (no 48553/99, §§ 91-93, CEDH 2002‑VII), la Cour a considéré que le détenteur d’une part dans une société avait non seulement une créance indirecte sur les actifs sociaux, mais aussi d’autres droits s’y rattachant, tels que des droits de vote et le droit d’influer sur la société. Partant, selon le requérant, il importe peu que la société L.E. n’ait eu aucun actif à la date de la radiation. De plus, en l’espèce, les associés auraient gardé leurs droits de vote, le droit d’influer sur la société, ainsi que d’autres droits relatifs à celle-ci. De surcroît, l’annulation de la part du requérant dans la société L.E. aurait directement affecté les droits de celui-ci protégés par l’article 1 du Protocole no 1.

2. Appréciation de la Cour

68. Pour autant que le requérant se plaint de la perte de sa part dans la société L.E. du fait de la radiation de celle-ci, la Cour estime que la présente affaire soulève deux questions d’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1, se rapportant à la nature de cette part sociale.

69. Premièrement, la Cour considère qu’il est nécessaire d’examiner la question plus générale de savoir si les mesures concernant la société peuvent passer pour avoir directement porté atteinte aux droits du requérant en tant qu’associé. À cet égard, la Cour a répondu à cette question par l’affirmative notamment dans des affaires dans lesquelles les mesures contestées avaient eu une incidence directe sur les droits inhérents à la propriété d’actions ou de parts, par exemple parce qu’il y avait eu annulation d’actions ou obligation de les échanger à un prix défavorable (Olczak c. Pologne (déc.), no 30417/96, §§ 60-62, CEDH 2002‑X (extraits), et Pokis c. Lettonie (déc.), no 528/02, CEDH 2006‑XV). S’il est vrai que la mesure de radiation contestée a été prise au préjudice de la société L.E., il est incontestable qu’elle a aussi directement touché le requérant de deux façons différentes. Non seulement celui-ci a vu sa part sociale annulée, mais sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société radiée s’est trouvée engagée du fait de cette annulation. Par conséquent, la dissolution de la société L.E. a emporté des conséquences ayant porté atteinte aux intérêts financiers du requérant en tant qu’ancien associé et qui ont donc été directement déterminantes pour les droits individuels de celui-ci.

70. Deuxièmement, le Gouvernement soulève la question de savoir si, du fait de sa valeur économique selon lui discutable, la part sociale du requérant peut être considérée comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Compte tenu de cet argument, la Cour estime nécessaire de clarifier la nature d’une part dans une société dans le cadre des circonstances particulières de la présente affaire.

71. Il ne fait aucun doute qu’une action ou une part sociale ayant une valeur économique peut être considérée comme un bien (Olczak, précité, § 60, et Sovtransavto, précité, § 91). La Cour a également jugé que les parts d’une société placée sous administration provisoire au motif qu’elle était insolvable et dans l’incapacité d’honorer ses dettes avaient indubitablement une valeur économique et constituaient des biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Vefa Holding Sh.p.k. and Alimuçaj c. Albanie (déc.), no 24096/05, § 93, 14 juin 2011). En effet, la Cour l’a considéré à de nombreuses reprises, une part ou action d’une société est une chose complexe. La propriété d’une part ou action implique que son détenteur possède un ensemble de droits s’y rattachant, dont une créance sur les actifs sociaux en cas de liquidation de la société, mais aussi d’autres droits, particulièrement des droits de vote et le droit d’influer sur la société (Société S. et T. c. Suède, no 11189/84, décision de la Commission du 11 décembre 1986, DR 50, p. 142). Partant, la Cour souscrit à l’argument du requérant selon lequel, bien qu’au cours des quatre années écoulées entre la fin des activités de la société L.E. et sa radiation il n’ait tiré aucun avantage pécuniaire de cette société, il pouvait quand même exercer certains droits découlant de la détention d’une part sociale. Ces droits autorisaient le requérant et d’autres associés de la société L.E. à exercer une activité commerciale. Ils étaient donc de nature pécuniaire. En conséquence, la Cour admet que la simple détention d’une part sociale crée des intérêts patrimoniaux et elle ne saurait donc conclure que l’absence d’activité commerciale et d’actifs a fait sortir la part détenue par le requérant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.

72. Cela suffit à rendre l’article 1 du Protocole no 1 applicable à l’annulation de la part détenue par le requérant dans la société L.E., cette perte ayant été causée par la radiation de cette société du registre des sociétés.

B. Observation de l’article 1 du Protocole no 1

1. Règle applicable de l’article 1 du Protocole no 1

a) Thèses des parties

73. Le Gouvernement soutient que l’ingérence alléguée s’analyse en une réglementation de l’usage d’un bien, alors que le requérant argue qu’il a non seulement été dépossédé de sa part dans la société L.E., mais qu’il a aussi été tenu pour responsable des dettes de la société. Le requérant indique qu’il en résulte qu’il a été forcé de céder ses biens au créancier de la société. Il aurait subi les conséquences directes de la dissolution forcée de la société et l’ingérence dans l’exercice de ses droits de propriété constituerait une privation de propriété.

b) Appréciation de la Cour

74. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, l’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, qui figure dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, et Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 77, CEDH 2010).

75. La Cour rappelle que la radiation a eu deux conséquences pour les biens du requérant : d’une part, elle a dépossédé le requérant de sa part dans la société L.E. et, d’autre part, elle a mis en jeu sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société radiée. Quant à l’annulation de la part du requérant, la Cour a jugé dans sa décision Olczak (précitée, § 71) que la réduction de 45 % à 0,4 % des parts détenues par le requérant ne l’avait certes pas techniquement dépouillé de ses actions, mais que la diminution de leur valeur économique était suffisante pour équivaloir à une privation de propriété. En revanche, en l’espèce, les parties ont admis que la société L.E. n’avait aucun actif à la date de radiation. En outre, avant que la mesure de radiation ne soit exécutée, la société n’avait exercé aucune activité commerciale pendant quatre ans. En fait, c’est précisément à cause de ces circonstances que la radiation avait été ordonnée. Par conséquent, la Cour considère que bien que la détention de la part sociale ait fait naître des intérêts patrimoniaux et que la radiation ait privé le requérant de ceux-ci, il faut tenir compte du fait que l’annulation de la part sociale du requérant n’a pas réduit la valeur économique du patrimoine de celui-ci.

76. Par ailleurs, à supposer même que, prise isolément, l’annulation de la part du requérant dans la société L.E. puisse passer pour une privation de propriété, la Cour estime qu’elle doit être considérée dans un contexte plus large comme s’inscrivant dans la réglementation destinée à accroître la discipline dans les opérations effectuées par les sociétés et à rétablir la sécurité des actes juridiques sur le marché commercial slovène. À cet égard, la responsabilité personnelle pour le paiement des dettes de la société, qui en est résultée pour le requérant, s’inscrit dans le même contexte et impliquait l’obligation de couvrir les pertes subies par le créancier de la société L.E. La Cour voit cette obligation comme une sanction de la méconnaissance par le requérant, en sa qualité d’associé ayant une influence sur les activités de la société, des obligations qui pesaient sur celle-ci. Sur la base du principe permettant de lever le voile de la personnalité juridique, la mesure contestée doit être considérée comme une mesure de réglementation par l’État du fonctionnement du marché, des pratiques des sociétés et de la gestion des biens de celles-ci.

77. À la lumière des circonstances qui viennent d’être décrites, la Cour constate que la radiation a eu des effets juridiques complexes et variés, qui ne peuvent pas être aisément classés dans une catégorie précise de l’article 1 du Protocole no 1. De plus, les situations visées par la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 ainsi que par le second alinéa ne sont que des exemples particuliers d’atteintes au droit au respect des biens tel qu’il est garanti par la règle générale énoncée dans la première phrase du premier alinéa. Dès lors, la Cour considère qu’il est nécessaire d’examiner l’affaire à la lumière de la norme générale de cet article.

2. Sur la justification de l’ingérence

a) Légalité de l’ingérence

i. Thèses des parties

α) Le requérant

78. Le requérant allègue que les circonstances dans lesquelles les autorités ont levé le voile de la personnalité juridique et tenu des individus pour responsables des dettes de sociétés radiées ne satisfont pas aux exigences de sécurité juridique. Il indique qu’avant l’adoption de la loi sur les opérations financières des sociétés les associés ou actionnaires d’une société n’étaient personnellement responsables des dettes de la société que si, par un exercice inapproprié de leurs droits sociaux, ils avaient causé un préjudice à la société. Or la loi sur les opérations financières des sociétés aurait représenté un changement fondamental et rapide, du jour au lendemain, de la structure entière du droit des sociétés.

79. Le requérant soutient qu’il était légitime qu’il ne fût pas au courant de la conduite d’une procédure de radiation, jusqu’à ce qu’on lui eût notifié l’ordonnance d’exécution qui visait initialement la société L.E. Il indique que la décision d’ouverture de la procédure de radiation ainsi que la décision de radiation de la société n’avaient été notifiées qu’à la société, qui pourtant, ajoute-t-il, avait cessé ses activités quatre ans avant la radiation. Il en déduit qu’on ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre à ce que la société prît connaissance de ces décisions qui, d’après lui, portaient atteinte à ses droits et intérêts. S’appuyant sur l’arrêt Bruncrona c. Finlande (no 41673/98, 16 novembre 2004), il ajoute qu’une décision touchant ses propres droits et intérêts aurait dû lui être notifiée en personne, ce qui, selon lui, n’a pas été le cas dans le cadre de la procédure de radiation. Il estime qu’il n’a donc pas bénéficié d’une possibilité raisonnable de présenter ses arguments devant les autorités nationales aux fins de contester effectivement les mesures qui, selon lui, constituaient une ingérence dans l’exercice de ses droits découlant de l’article 1 du Protocole no 1. Il affirme que l’ordonnance d’exécution de la créance de la société des chemins de fer contre la société L.E. ne lui a pas été notifiée avant 2004 et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il avait pris connaissance de la radiation de la société du registre des sociétés et de la responsabilité personnelle qui en résultait pour lui s’agissant du reliquat des dettes de la société.

80. Quant aux critères régissant la responsabilité personnelle des associés, le requérant expose qu’au moment où la société L.E. avait été radiée du registre des sociétés et où l’ordonnance d’exécution avait été rendue contre lui, la Cour constitutionnelle n’avait pas encore adopté sa décision no U-I-135/00. Il en conclut qu’il ne pouvait pas prévoir qu’il y aurait ultérieurement une distinction entre associés ou actionnaires « actifs » et « passifs ». Il ajoute que la distinction a été opérée rétroactivement, la Cour constitutionnelle ayant adopté la décision concernée le 9 octobre 2002, un an après la radiation de la société L.E. du registre des sociétés. Selon le requérant, les critères de distinction entre associés actifs et associés passifs sont trop vagues. L’appréciation au cas par cas de la situation de tel ou tel associé ou actionnaire d’une société radiée ne garantirait donc pas la sécurité juridique à un degré suffisant.

81. Sur la base de ces arguments, le requérant argue que les choix qui se présentaient à lui dans le cadre de la procédure d’exécution étaient très limités, car, selon lui, les tribunaux étaient liés par les décisions rendues lors de la procédure de radiation. Il indique que les juridictions internes ont écarté son argument selon lequel, au sens des critères énoncés par la Cour constitutionnelle dans sa décision no U-I-135/00, il n’était pas un associé actif. Il affirme qu’elles ont rejeté cet argument au motif, selon lui, que la part qu’il détenait dans la société, soit 11,11 % du capital social, lui donnait les droits d’un associé minoritaire pouvant donc influer sur la gestion de la société, et qu’en tant qu’ancien directeur de la société, il avait de fait influé sur la gestion des activités de la société. Il estime que ces juridictions ont interprété la notion d’« associé actif » de manière arbitraire et disproportionnée, et en violation du principe de sécurité juridique. Il ajoute qu’elles ont refusé d’accorder la moindre importance au fait que, selon lui, en qualité d’associé de la société L.E. il n’avait pas agi de mauvaise foi, ou au fait que les dettes de la société avaient été contractées avant qu’il en devînt associé.

β) Le Gouvernement

82. Le Gouvernement soutient que, fondée sur les dispositions de la loi sur les opérations financières des sociétés, la mesure contestée était légale. Rappelant la décision no U-I-135/00 rendue par la Cour constitutionnelle, il expose que les sociétés radiées ne se livraient à aucune opération économique, n’exerçaient aucune activité, ne généraient aucun revenu, n’effectuaient aucun paiement et n’avaient pas non plus d’actif. Il ajoute que leur situation financière n’était toutefois pas transparente aux yeux des créanciers potentiels, qui pouvaient néanmoins présumer que ces sociétés disposaient au moins d’un minimum d’actif. Selon le Gouvernement, il aurait donc été possible d’utiliser abusivement des sociétés n’exerçant aucune activité, dans le but de porter préjudice à leurs créanciers. Aussi, l’adoption de la loi sur les opérations financières des sociétés aurait-elle eu pour objectif de protéger la situation des créanciers et de réduire les risques liés aux actes juridiques accomplis sur le marché commercial slovène. À cet égard, dans le cadre de la procédure d’exécution, la responsabilité du requérant aurait été appréciée selon les critères établis par la Cour constitutionnelle. L’opposition du requérant et les recours ultérieurs formés par lui relativement à sa qualité d’associé actif auraient été rejetés par les juridictions nationales à tous les niveaux.

83. De plus, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel il n’a pas pu participer à la procédure de radiation, le Gouvernement soutient que l’intéressé a eu une possibilité équitable d’y participer, même si ni la décision d’ouverture de la procédure de radiation ni la décision de radiation ne lui ont été personnellement notifiées. Il affirme que les deux décisions ont été dûment notifiées à la société L.E., deux avis de passage ayant été déposés dans la boîte aux lettres de celle-ci, l’informant que la correspondance en question pouvait être retirée au bureau de poste. D’après le Gouvernement, le courrier n’ayant pas été retiré dans le délai imparti, les deux décisions avaient été affichées sur le panneau de la juridiction compétente et étaient donc réputées notifiées. De plus, la décision d’ouverture de la procédure de radiation aurait été inscrite au registre des sociétés, aisément consultable par le public, et la décision de radiation aurait été publiée au Journal officiel. Dans ces circonstances, une attitude diligente de la part du requérant et des autres associés de la société L.E. leur aurait permis de prendre connaissance des deux décisions de deux manières différentes. En outre, le délai d’opposition à l’ouverture de la procédure et celui de recours contre la décision de radiation auraient été considérables, l’un étant de deux mois et l’autre de trente jours.

84. Le Gouvernement expose aussi que, si les associés initiaux d’une société à responsabilité limitée doivent être inscrits au registre des sociétés, l’inscription dans celui-ci des changements ultérieurs d’associés n’est pas requise pour qu’ils prennent effet. Ainsi, il explique que dans de nombreux cas – notamment celui de la société L.E., dont quatre associés décédés avant la radiation étaient inscrits au registre des sociétés jusqu’à la date de celle-ci –, les autorités ne disposent pas d’informations leur permettant de notifier les documents personnellement aux associés. Se référant à la décision no U‑I-135/00 rendue par la Cour constitutionnelle, il soutient qu’une notification personnelle des documents non seulement prendrait trop de temps, mais serait impossible dans de nombreux cas.

85. Par ailleurs, le Gouvernement argue que, malgré son rôle actif dans les activités de la société, le requérant n’a ni retiré le courrier adressé à celle-ci ni surveillé les registres publics (le panneau d’affichage de la juridiction concernée et le Journal officiel), alors qu’il aurait dû savoir qu’une procédure de radiation finirait par être ouverte. Selon le Gouvernement, il est également incontestable que le requérant avait connaissance de l’action civile engagée contre la société L.E. par la société des chemins de fer (paragraphe 14 ci-dessus) et qu’il pouvait s’attendre à ce que cette dernière tentât de faire exécuter ses créances. Enfin, d’après le Gouvernement, même si le requérant s’était opposé à temps à la radiation, les arguments qu’il a ultérieurement avancés dans le cadre de la procédure d’exécution pour démontrer qu’il n’était pas un associé actif de la société n’auraient pas empêché la radiation de cette dernière du registre des sociétés. En effet, le fait que la demande antérieure d’ouverture d’une procédure de faillite introduite par la société L.E. avait été rejetée parce que les frais afférents à cette procédure n’avaient pas été payés d’avance, ne pourrait pas passer pour l’un des motifs permettant à une société de s’opposer avec succès à la radiation (paragraphe 39 ci-dessus).

ii. Appréciation de la Cour

α) Principes généraux

86. La Cour rappelle que son pouvoir de contrôler la conformité au droit interne de mesures contestées est limité : il appartient au premier chef aux autorités internes, notamment les cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne et de se prononcer sur les questions de constitutionnalité (voir, parmi beaucoup d’autres, Wittek c. Allemagne, no 37290/97, § 49, CEDH 2002‑X, Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, § 39, 20 février 2003, et Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 82, CEDH 2000‑XII). Cela ne dispense toutefois pas la Cour de déterminer si l’ingérence en question était conforme aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1. La Cour souligne encore que cet article exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Capital Bank AD, précité, §§ 132-133, qui renvoie à l’arrêt Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II).

87. Le principe de légalité présuppose également l’existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 109-110, CEDH 2000‑I). De même, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 84, CEDH 2000‑XI). Il est vrai que l’article 1 du Protocole no 1 ne renferme aucune exigence procédurale explicite et que l’absence de recours judiciaire ne viole pas en soi cette disposition (Fredin c. Suède (no 1), 18 février 1991, § 50, série A no 192, et S.C. Antares Transport S.A. et S.C. Transroby S.R.L. c. Roumanie, no 27227/08, § 46, 15 décembre 2015). Néanmoins, l’article 1 du Protocole no 1 implique que toute atteinte au respect des biens soit accompagnée de garanties procédurales offrant à la personne ou entité concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures judiciaires et administratives applicables d’un point de vue général (Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002‑IV, et la jurisprudence citée, et Stolyarova c. Russie, no 15711/13, § 43, 29 janvier 2015).

β) Application de ces principes au cas d’espèce

88. Pour en venir aux circonstances de l’espèce, la Cour relève d’emblée que la législation contestée prévoyant la radiation du registre des sociétés des sociétés n’ayant aucune activité ni aucun actif représentait la réponse du législateur slovène à un problème qui était apparemment endémique en Slovénie durant la période de transition politique vers une économie de marché. Initialement, le législateur a commencé par établir un marché ouvert qui était accessible au plus grand nombre possible d’investisseurs (paragraphe 30 ci-dessus), mais il en est toutefois résulté qu’un nombre toujours croissant de sociétés se sont trouvées dans l’incapacité d’honorer leurs dettes et de rester en activité. La loi de 1993 sur les sociétés a donc augmenté le montant minimal du capital social et imposé aux sociétés existantes un délai dans lequel elles étaient tenues de se conformer à la nouvelle législation plus stricte (paragraphe 34 ci-dessus). Cette tentative de renforcement de la sécurité juridique du marché commercial n’a cependant pas réussi. En 1998, on comptait plus de 6 000 sociétés qui n’avaient exercé aucune activité depuis très longtemps et n’avaient plus d’actifs (paragraphe 108 ci-dessous). Or les dirigeants de ces sociétés inactives n’ont ouvert aucune procédure qui aurait permis de les dissoudre, ou, comme ce fut le cas de la société L.E., elles n’ont pas mené ce type de procédure à son terme.

89. Le législateur a d’abord répondu au problème à grande échelle des sociétés inactives et insolvables en créant une procédure de faillite ouverte d’office par les juridictions compétentes. Cette nouvelle procédure n’a toutefois pas permis de résoudre le problème. Par la suite, la loi sur les opérations financières des sociétés, adoptée par le législateur le 23 juillet 1999, imposa aux sociétés plusieurs mesures encadrant la gestion de leurs liquidités et de leur solvabilité. De plus, si une société se trouvait en manque de liquidités, ou en situation d’insolvabilité, et n’était pas en mesure de rétablir le cours normal de ses activités dans un délai de deux mois, cette loi exigeait qu’elle demandât l’ouverture d’une procédure de faillite ou de règlement judiciaire (paragraphe 37 ci-dessus). Les sociétés qui ne respectaient pas ces obligations devaient être radiées d’office du registre des sociétés, sans ouverture préalable d’une procédure de liquidation. Une telle mesure de radiation conduisait nécessairement à l’annulation des parts ou actions de la société, mais elle avait aussi une incidence sur les associés ou actionnaires de celle‑ci, puisqu’ils devenaient personnellement responsables des dettes de la société.

90. En ce qui concerne la légalité de l’ingérence contestée, la Cour observe que la radiation de la société L.E. et les conséquences qui en ont découlé se fondaient sur les dispositions du chapitre 3 de la loi sur les opérations financières des sociétés (paragraphes 38 et 41 ci-dessus). Cette loi a été publiée au Journal officiel no 54/99 du 8 juillet 1999 et est entrée en vigueur le 23 juillet 1999 (paragraphe 36 ci-dessus). Elle énonçait les conditions dans lesquelles les sociétés étaient autorisées à exercer leurs activités, ainsi que les conditions d’ouverture d’une procédure de radiation (paragraphes 38 ci-dessus), et contenait des dispositions détaillées régissant la conduite de cette procédure et les recours qui pouvaient être formés contre une décision de radiation (paragraphes 39-40 ci-dessus). Elle prévoyait également que les anciens associés ou actionnaires de sociétés radiées seraient tenus pour personnellement responsables du reliquat des dettes de la société (paragraphe 41 ci-dessus).

91. Considérées dans leur ensemble, ces dispositions constituaient un cadre législatif clair et complet, destiné à renforcer la sécurité juridique au bénéfice des acteurs du marché et à protéger les créanciers. Comme le requérant, la Cour constate que les réformes ont eu de lourdes conséquences, mais elle considère que celles-ci ne se sont pas manifestées de manière inattendue. Au contraire, le chapitre 3 de la loi sur les opérations financières des sociétés, qui contenait les dispositions relatives à la radiation, n’est devenu applicable qu’un an après l’entrée en vigueur de cette loi. De l’avis de la Cour, cette prise d’effet différée de un an donnait aux sociétés inactives et insolvables, comme la société L.E., suffisamment de temps pour demander l’ouverture de la procédure appropriée aux fins d’une dissolution et pour éviter la radiation du registre des sociétés.

92. Le requérant soutient qu’il était légitime qu’il ne fût pas au courant de la conduite d’une procédure de radiation, jusqu’à ce qu’on lui eût notifié l’ordonnance d’exécution presque quatre ans plus tard. Cependant, conformément au principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », la Cour considère que le requérant n’était pas dispensé de prendre connaissance des dispositions de la loi sur les opérations financières des sociétés (K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 73, CEDH 2001‑II (extraits)). Lorsque cette loi a été adoptée, le requérant était encore un associé minoritaire de la société L.E. De surcroît, en qualité d’ancien directeur général, il devait être parfaitement au courant non seulement de l’insolvabilité de la société, mais aussi de la procédure civile engagée contre celle-ci par un créancier (paragraphes 8 et 14 ci-dessus). En conséquence, la Cour estime qu’on pouvait attendre du requérant qu’il consacrât une grande attention aux problèmes non résolus à laquelle la société faisait face. Elle considère qu’on pouvait aussi attendre de lui une certaine connaissance de la législation applicable aux sociétés, particulièrement celle relative aux sociétés insolvables. Il convient de noter à cet égard que la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. La Cour a souligné que l’avis d’un spécialiste peut revêtir une importance particulière pour les professionnels, dont on peut attendre qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques que comporte leur métier (voir, mutatis mutandis, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V). Cela vaut aussi pour les personnes se lançant dans des entreprises commerciales.

93. À la lumière de ce qui précède, la Cour juge que la réglementation introduite par la loi sur les opérations financières des sociétés était accessible au requérant et que le contenu de cette loi était suffisamment clair pour lui permettre de prévoir que la société L.E. encourait le risque d’être radiée du registre des sociétés. À cet égard, la Cour ajoute que le principe de sécurité juridique, qui est implicite dans l’ensemble des articles de la Convention et constitue l’un des éléments fondamentaux de l’État de droit, n’implique pas seulement l’exigence de clarté et de prévisibilité de la loi, mais requiert notamment un environnement juridique dans lequel les normes sont appliquées et exécutées par les autorités de manière cohérente.

94. De plus, il est exact que, comme l’avance le requérant, à peine deux ans après l’entrée en vigueur de la loi sur les opérations financières des sociétés et un an après que ses dispositions relatives à la radiation furent devenues applicables, les effets de la législation en matière de responsabilité personnelle pour les dettes de sociétés radiées, selon laquelle tous les associés étaient responsables quel qu’ait été leur rôle au sein de la société, furent atténués par la décision no U-I-135/00 rendue par la Cour constitutionnelle. Cette chronologie n’a toutefois aucunement affecté le requérant, étant donné que la question de la responsabilité personnelle de celui-ci pour les dettes de la société L.E. avait été examinée dans le cadre de la procédure d’exécution ayant commencé en avril 2002 (paragraphe 21 ci‑dessus), et tranchée en juillet 2007 (paragraphe 28 ci-dessus). Tout au long de cette procédure, dont le requérant n’a certes eu connaissance qu’en décembre 2004 (paragraphe 23 ci-dessus), celui-ci a soutenu qu’il n’était pas un associé actif de la société L.E., invoquant la décision en question de la Cour constitutionnelle à l’appui de son argument principal contre l’exécution. La Cour considère donc que le fait que la distinction entre associés actifs et associés passifs n’a été introduite qu’en octobre 2002 n’a aucunement restreint l’exercice par le requérant de ses droits (paragraphes 46-48 ci-dessus).

95. En résumé, la Cour juge que la réglementation établie par la loi sur les opérations financières des sociétés et modifiée par la Cour constitutionnelle était suffisamment accessible et prévisible ; partant, l’ingérence contestée avait une base légale suffisante en droit slovène pour satisfaire aux exigences du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

96. Deuxièmement, le requérant se plaint qu’il n’a pas eu accès à des procédures qui lui auraient permis de contester effectivement la radiation et sa responsabilité personnelle qui en a découlé concernant les dettes de la société L.E. La Cour note que les deux aspects de l’ingérence contestée ont fait l’objet de deux procédures distinctes. La radiation a été ordonnée dans une procédure, alors que la responsabilité personnelle du requérant a été établie dans une autre, à savoir la procédure d’exécution, dans le cadre de laquelle, après sa radiation du registre des sociétés, la société L.E., qui était le débiteur initial, a été remplacée par ses anciens associés.

97. La principale question soulevée par le requérant au sujet de la procédure de radiation concerne le fait que la décision d’ouverture de cette procédure et la décision de radiation de la société du registre des sociétés ne lui ont pas été personnellement notifiées. En effet, la Cour note que la première de ces décisions a été notifiée à la société et inscrite au registre des sociétés (paragraphe 39 ci-dessus), alors que la seconde a été publiée au Journal officiel et notifiée à la société (paragraphe 40 ci-dessus). La société concernée, ses associés et ses créanciers avaient la possibilité de s’opposer à la décision d’ouverture de la procédure dans un délai de deux mois. Quant au délai d’appel, il était de trente jours à compter de la date de notification de la décision à la société ou de la date de publication au Journal officiel. Par conséquent, la situation n’est pas la même que dans l’affaire Bruncrona (précitée, §§ 65-69) invoquée par le requérant, en ce que, en l’espèce, les informations relatives à la radiation imminente ont été fournies avant que celle-ci ne prît effet ; c’est plutôt le mode de notification qui est contesté par le requérant.

98. Pour déterminer si le requérant a eu une possibilité adéquate de contester la mesure de radiation en dépit du défaut de notification personnelle, la Cour se fondera sur les mêmes considérations que celles appliquées pour établir si la législation en question était accessible et prévisible. À cet égard, elle relève que la loi sur les opérations financières des sociétés énonçait les modalités de notification des documents procéduraux aux parties concernées. Les deux décisions en question ont été notifiées à la société L.E. au moyen d’avis de passage laissés dans la boîte aux lettres de celle-ci et indiquant que ces documents pouvaient être retirés au bureau de poste. La société ne les a pas retirés et les décisions ont été ultérieurement notifiées par affichage sur le panneau de la juridiction compétente. Eu égard à l’avis de la Cour selon lequel la réglementation relative aux formalités et aux délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de sécurité juridique, le requérant était en droit de s’attendre à ce que ces règles fussent appliquées (Cañete de Goñi c. Espagne, no 55782/00, § 36, CEDH 2002‑VIII).

99. Le Gouvernement soutient qu’il aurait été trop long, voire impossible de notifier les documents à chaque associé de la société concernée. Il ajoute que, si le requérant et les autres associés avaient fait preuve de la diligence requise, ils auraient pu prendre connaissance des deux documents à temps. Compte tenu des considérations qui précèdent (paragraphes 92-94 ci-dessus), la Cour estime que le fait que le requérant n’a pas formé de recours contre la décision d’ouverture de la procédure de radiation, ou contre la décision de radiation, était le résultat de son propre manque de diligence, étant donné qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à l’ouverture d’une procédure de radiation contre la société L.E. et que, seul ou avec les autres associés, il aurait pu faire le nécessaire pour obtenir le courrier adressé à la société (Hennings c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 26, série A no 251‑A).

100. En tout cas, de l’avis de la Cour, tant que les associés maintenaient l’existence, ne fût-ce que formelle, de la société et qu’ils n’avaient pas trouvé de moyen de la dissoudre, ils auraient dû accomplir un minimum d’actes de gestion, d’autant plus qu’une procédure judiciaire était déjà en cours contre la société.

101. Enfin, ayant conclu que la diligence requise aurait permis au requérant de participer effectivement à la procédure de radiation, la Cour peut accepter l’approche pragmatique adoptée par les autorités internes en ce qui concerne la notification des documents relatifs à cette procédure, considérant notamment qu’une notification adressée à une société s’accompagnait de longs délais de recours contre la décision d’ouverture d’une procédure de radiation et contre une décision de radiation.

102. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la mesure de radiation de la société L.E. du registre des sociétés offrait des garanties procédurales suffisantes au requérant et était donc légale au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

103. Cependant, en ce qui concerne la procédure d’exécution, la Cour fait observer que le requérant allègue pour l’essentiel que les tribunaux internes n’ont pas correctement appliqué les critères de distinction entre associés actifs et associés passifs. Elle estime que ce grief peut être considéré comme une question de droit matériel qui peut donc être tranchée de manière plus appropriée dans le contexte de l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de ses biens causée par le fait qu’il a été tenu pour personnellement responsable des dettes de la société radiée. En outre, aux fins de cette appréciation, la Cour se référera, en tant que de besoin, aux constatations qu’elle a faites ci‑dessus concernant le comportement du requérant et la mesure dans laquelle ce comportement a contribué aux décisions contestées.

b) But de l’ingérence

i. Thèses des parties

104. Le requérant expose que la législation en matière de radiation a eu de lourdes conséquences, car au total plus de 17 000 sociétés auraient été radiées du registre des sociétés et environ 50 000 individus auraient été touchés. L’adoption de cette législation n’aurait été justifiée par aucune circonstance particulière qui n’aurait pas pu être traitée de manière appropriée dans le cadre d’une procédure de faillite.

105. Le requérant indique aussi que le législateur était conscient de l’erreur qu’il avait commise en adoptant la loi sur les opérations financières des sociétés et qu’il avait tenté à deux reprises de corriger la réglementation – inconstitutionnelle selon le requérant – en matière de radiation, dans le but d’exonérer les anciens associés ou actionnaires de sociétés radiées de leur responsabilité personnelle pour les dettes de la société. En effet, en 2007 le législateur a modifié la loi sur les opérations financières des sociétés (paragraphe 43 ci-dessus) et en 2011 la loi sur la responsabilité des actionnaires est entrée en vigueur (paragraphe 45 ci-dessus). Se référant aux motifs énoncés par le législateur à l’appui de cette réforme, le requérant soutient que la législation en question était contraire aux principes fondamentaux du droit des sociétés applicables en Slovénie et dans l’Union européenne. Les changements proposés concernant la loi sur les opérations financières des sociétés n’auraient toutefois pas été adoptés. À chacune des deux tentatives de réforme, la Cour constitutionnelle aurait annulé la législation modifiée, considérant que les dispositions relatives à l’exonération des anciens associés de leur responsabilité personnelle n’offraient pas une protection suffisante aux créanciers de sociétés radiées.

106. Le Gouvernement argue que la législation adoptée en matière de radiation était conforme à l’intérêt général, à savoir la protection des créanciers et la sécurité des opérations juridiques effectuées par les sociétés. Il affirme que de 1991 à 1998, le montant moyen de l’encours des obligations non acquittées par des sociétés a augmenté de 6 319 000 000 SIT (26 400 000 EUR) à 87 573 000 000 SIT (365 400 000 EUR) ; en 1998, ce montant était 15 % plus élevé que l’année précédente.

107. Le Gouvernement indique que, selon les estimations, au début de l’année 1998, il y avait plus de 6 000 sociétés qui n’avaient plus d’actifs et qui n’exerçaient aucune activité depuis longtemps. Il ajoute que, la même année, 8 537 entités juridiques ont vu leurs comptes bancaires bloqués pendant plus de cinq jours en raison de dettes impayées, que les comptes d’un nombre important de ces entités (6 587) ont été bloqués pendant plus de un an et que 6 083 d’entre elles n’avaient aucun employé. Selon le Gouvernement, ces données amènent à conclure que 92 % des entités juridiques dont les comptes bancaires ont été bloqués pendant plus de un an n’avaient plus aucune activité ni aucun actif.

108. Le Gouvernement expose que la législation qui s’appliquait alors prévoyait que, pour de telles sociétés, une procédure de faillite serait ouverte d’office. Il ajoute que le législateur a toutefois décidé que cette mesure s’était avérée trop onéreuse et trop difficile à gérer. Il explique qu’un déferlement d’affaires de faillite aurait paralysé les tribunaux, car la loi leur faisait obligation de traiter ces affaires en priorité. Selon le Gouvernement, le législateur a par conséquent décidé d’instaurer une nouvelle procédure selon laquelle les sociétés n’ayant aucune activité pouvaient être dissoutes sans liquidation préalable, considérant qu’elles n’avaient aucun actif à céder et que le produit de la liquidation ne suffirait pas pour rembourser les créanciers.

ii. Appréciation de la Cour

109. Toute ingérence dans la jouissance d’un droit ou d’une liberté reconnus par la Convention doit poursuivre un but légitime. Le principe du « juste équilibre » inhérent à l’article 1 du Protocole no 1 lui-même suppose l’existence d’un intérêt général de la communauté. De surcroît, il convient de rappeler que les différentes règles incorporées dans l’article 1 ne sont pas dépourvues de rapport entre elles et que la deuxième et la troisième ne sont que des cas particuliers (paragraphe 74 ci-dessus). Il en découle, notamment, que l’existence d’une « cause d’utilité publique » exigée en vertu de la deuxième phrase, ou encore « l’intérêt général » mentionné dans le deuxième alinéa, constituent en fait des corollaires du principe énoncé à la première phrase. En conséquence, une ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens, au sens de la première phrase de l’article 1, doit également poursuivre un but d’utilité publique (Beyeler, précité, § 111).

110. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’« utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général justifiant des mesures applicables dans le domaine de l’exercice du droit de propriété (Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 165, CEDH 2006‑VIII). La Cour observe que la décision d’adopter des lois régissant le fonctionnement du marché commercial et la gestion des biens des sociétés, dans le but de renforcer la sécurité juridique sur l’ensemble de ce marché, implique d’ordinaire l’examen de questions politiques, économiques et sociales. Lorsque des questions de politique économique et sociale générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation particulièrement large au décideur national (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 98, 25 octobre 2012, et Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2006‑VI).

111. En l’espèce, la radiation était une mesure visant à dissoudre un nombre élevé de sociétés inactives et insolvables. Les règles législatives transitoires régissant la constitution et l’exploitation des sociétés avaient ouvert le marché commercial à de nombreux investisseurs, dont une grande partie s’était avérée ne pas être en mesure de diriger des entreprises viables. Ces entreprises insolvables pouvaient passer pour une anomalie du marché, appelant une réponse législative destinée à résoudre le problème des effets négatifs qu’elles avaient en termes de discipline dans les aspects financiers de leurs actes juridiques, ainsi qu’à l’égard de la situation de leurs créanciers. La loi sur les opérations financières des sociétés représentait donc une tentative de rétablissement de la stabilité sur le marché commercial. La Cour ne voit aucune raison de douter que l’approche adoptée par le législateur slovène pour améliorer le fonctionnement du marché était d’« utilité publique ». Il reste à établir si l’ingérence était également proportionnée à ce but d’utilité publique.

c) Proportionnalité de l’ingérence

i. Thèses des parties

α) Le requérant

112. Se référant à l’arrêt Agrotexim et autres c. Grèce (24 octobre 1995, § 66, série A no 330‑A), le requérant soutient que, d’après la jurisprudence de la Cour, lever le « voile social » en faisant abstraction de la personnalité juridique d’une société n’est justifié que dans des circonstances exceptionnelles. De plus, citant la décision Olczak (précitée, § 58), il affirme que la Cour a déjà jugé que l’annulation de parts dans une société vise directement les droits des actionnaires. Partant, il est d’avis que ses droits protégés par l’article 1 du Protocole no 1 ont été directement affectés et qu’une quelconque ingérence dans l’exercice par lui du droit au respect de ses biens aurait dû être – mais n’a pas été – équitablement mise en balance avec l’intérêt général visé. Sur ce point, il estime qu’il ne s’est pas comporté à l’égard de la société L.E. d’une manière abusive qui aurait causé un préjudice aux créanciers et que sa possibilité d’influer sur les activités de cette société ne constituait pas une raison valable d’engager sa responsabilité personnelle pour les dettes de la société. Il ajoute que la dette en question avait été contractée en dehors de sa participation, qu’il n’était plus directeur général de la société au moment de la radiation et qu’il avait tenté de faire dissoudre la société en ouvrant une procédure de faillite. Pourtant, selon le requérant, ces éléments ont été complètement ignorés par les tribunaux internes, qui de surcroît auraient pris leurs décisions sans tenir d’audience.

113. Le requérant soutient par ailleurs que lever le voile de la personnalité juridique et tenir pour personnellement responsables les associés de sociétés radiées sont des mesures dépourvues de but légitime, car, selon lui, les objectifs visés par le législateur, à savoir la protection des créanciers et la sécurité des opérations juridiques, auraient pu être atteints de manière adéquate simplement par la dissolution des sociétés inactives. Le requérant reconnaît que, sans responsabilité personnelle pour les dettes, les créanciers n’auraient pas été payés, mais il indique que ces dettes ont été contractées dans le cadre du cours normal des activités de la société. Selon lui, un acte répréhensible ou frauduleux commis par la direction ou les associés d’une société peut toutefois être puni par d’autres moyens juridiques visant à prévenir et redresser pareil acte. En outre, en cas de faillite, certaines créances resteraient également impayées et il n’y aurait donc pas de raison valable d’adopter une approche différente dans le cas de sociétés n’ayant pas d’actifs.

β) Le Gouvernement

114. Le Gouvernement affirme que la mesure en question n’a été utilisée qu’en dernier ressort, c’est-à-dire dans les cas où des sociétés n’exerçant aucune activité n’avaient pas été dissoutes par leurs associés au moyen d’une procédure de liquidation ou de faillite. Il en déduit que la radiation pouvait être évitée si les associés d’une telle société agissaient en temps voulu. Il ajoute que si les frais liés à l’ouverture d’une procédure de faillite étaient trop élevés, la société concernée pouvait former un recours contre le paiement d’avance requis. À cet égard, il se réfère à plusieurs décisions rendues dans des affaires où, indique-t-il, les personnes qui avaient demandé l’ouverture d’une procédure de faillite avaient obtenu une réduction du montant des frais à payer d’avance.

115. Le Gouvernement déclare que la loi sur les opérations financières des sociétés prévoyait une longue période transitoire durant laquelle les sociétés et leurs associés avaient eu le temps de se familiariser avec ses dispositions et d’agir en conséquence. Il ajoute que la présomption selon laquelle une société n’ayant pas d’actifs remplissait les conditions de radiation ­– ce qui était le cas de la société L.E. – ne pouvait s’appliquer qu’à compter du 23 juillet 2000, soit un an après l’entrée en vigueur de la loi sur les opérations financières des sociétés (paragraphe 42 ci-dessus). Au total, plus de trois années se seraient écoulées entre le rejet de la demande d’ouverture d’une procédure de faillite et le début de la procédure de radiation.

116. Deuxièmement, en ce qui concerne la responsabilité personnelle des associés pour les obligations pesant sur les sociétés radiées, le Gouvernement reconnaît que ceux-ci n’étaient en principe responsables des dettes de la société qu’à concurrence de la valeur des parts qu’ils détenaient. Il indique toutefois que la mesure consistant à lever le voile de la personnalité juridique pouvait être mise en œuvre lorsque des associés s’étaient comportés de manière abusive à l’égard de leur société. Il ajoute que la règle permettant d’ignorer la personnalité juridique avait été appliquée aux associés de sociétés qui, après l’entrée en vigueur de la loi sur les sociétés (paragraphe 34 ci-dessus), ne s’étaient pas conformés dans le délai requis aux nouvelles règles alors applicables en matière de direction et d’exploitation d’une société, ainsi qu’en ce qui concerne le montant du capital social. De même, selon le Gouvernement, la sanction de radiation avait pour but de protéger la sécurité des opérations juridiques et la situation des créanciers. En conséquence, le législateur aurait décidé de suivre le même principe et d’ignorer la personnalité juridique des sociétés n’ayant aucune activité. Cela dit, les associés de sociétés radiées étant considérés comme les ayants cause à titre universel de celles-ci, ils seraient non seulement tenus pour responsables des dettes de la société, mais ils auraient aussi des droits sur d’éventuels actifs sociaux.

117. Quant au degré de responsabilité des associés, le Gouvernement renvoie à la décision no U-I-135/00 (paragraphes 46-49 ci-dessus) dans laquelle la Cour constitutionnelle a jugé, selon lui, que les associés qui avaient une influence sur les activités de la société (les « associés actifs ») pouvaient légitimement être tenus pour responsables du reliquat des dettes. Selon lui, la question de savoir si un associé déterminé pouvait être considéré comme un associé actif dépendait de plusieurs critères, notamment du point de savoir si cet associé avait eu une quelconque influence sur la gestion de la société, de la connaissance que l’associé avait de la gestion de la société et du degré de sa participation à celle-ci, de l’intérêt qu’il avait manifesté à participer à la gestion de la société, ainsi que du point de savoir si les obligations en question étaient apparues lorsque l’intéressé était associé ou ultérieurement. Ces critères de distinction entre associés actifs et associés passifs permettraient d’assurer un équilibre approprié entre l’intérêt général, à savoir la protection des créanciers et la sécurité des opérations juridiques, et le droit des associés au respect de leurs biens.

118. S’agissant du requérant lui-même, le Gouvernement attire l’attention sur les décisions rendues par les tribunaux internes dans la procédure d’exécution et indique que le requérant était employé par la société L.E. et qu’il en a d’abord été directeur par intérim, puis directeur général. En outre, selon le Gouvernement, comme le requérant détenait une part représentant 11,11% du capital social, il avait le droit de demander que la nomination d’un nouveau dirigeant fût décidée ou que d’autres décisions fussent prises en ce qui concerne la situation financière de la société, dès lors que la demande de celle-ci aux fins de l’ouverture d’une procédure de faillite avait été rejetée pour motifs procéduraux (paragraphe 12 ci-dessus).

ii. Appréciation de la Cour

119. La Cour rappelle que, dans un domaine économique aussi sensible que l’établissement et le fonctionnement d’une économie de marché, les États contractants bénéficient d’une ample marge d’appréciation (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, § 91, CEDH 2005‑VI). Ainsi, lorsque le marché commercial se détériore en raison du nombre élevé de sociétés inactives et insolvables, il peut être essentiel pour l’État d’intervenir afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à l’économie et d’améliorer la sécurité juridique des acteurs du marché. La marge d’appréciation ne doit néanmoins pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la protection de la substance même des droits individuels consacrés à l’article 1 du Protocole no 1.

120. À cet égard, une loi portant atteinte au droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de cet équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l’État. Dans chaque affaire où est alléguée la violation de cette disposition, la Cour doit donc vérifier si, en raison de l’action ou de l’inaction de l’État, la personne concernée a dû supporter une charge disproportionnée et excessive (Sporrong et Lönnroth, précité, § 73, et Ex-roi de Grèce et autres, précité, §§ 89-90, et la jurisprudence citée).

121. En l’espèce, la mesure de radiation a incontestablement eu de lourdes conséquences pour de nombreux individus, dont le requérant, qui de fait ont été tenus pour personnellement responsables des dettes de leurs sociétés respectives. Sur ce point, la Cour note que les observations formulées par le requérant se concentrent plutôt sur ce deuxième aspect de l’ingérence. Elle juge toutefois approprié d’examiner d’abord la dissolution de la société L.E., ainsi que l’annulation de la part du requérant dans cette société. La radiation constitue une sorte de dissolution administrative des sociétés, qui leur est imposée lorsqu’elles n’ont pas respecté les exigences légales relatives à leur fonctionnement. En réalité, une telle mesure n’a été prise que pour les sociétés qui depuis très longtemps ne fonctionnaient plus conformément à la réglementation ou, plus précisément, qui n’exerçaient plus aucune activité du tout. Il est clair que le droit des sociétés ne prévoyait pas que les sociétés insolvables devaient continuer à exister (paragraphes 34-37 ci-dessus). Pourtant, un grand nombre de ces sociétés avaient une existence formelle et, alors que la plupart d’entre elles n’avaient aucun actif, beaucoup étaient criblées de dettes (paragraphes 107-108 ci-dessus). La Cour partage le point de vue du Gouvernement selon lequel pareille situation ne pouvait pas durer indéfiniment.

122. Dans le cas de la société L.E., le requérant admet qu’elle était déjà insolvable lorsqu’elle a été transformée en société à responsabilité limitée dans les formes prévues par l’article 580 de la loi sur les sociétés (paragraphe 10 ci-dessus), pour laquelle le montant minimum du capital social était plus élevé que celui qui était requis pour les entités juridiques constituées auparavant. Partant, force est de conclure que, premièrement, dès sa transformation, la société L.E., en tant que société à responsabilité limitée, n’avait pas un montant adéquat de capital social et, deuxièmement, qu’elle a agi contrairement aux règles applicables du droit des sociétés. De plus, alors que depuis 1995 la société en question n’avait été en mesure ni de remédier à son manque de liquidités, ni de rétablir sa solvabilité, elle n’a demandé l’ouverture d’une procédure de faillite que deux ans plus tard, lorsqu’il était évident qu’elle n’avait absolument plus aucun actif. En conséquence, elle n’a pas payé le montant de 626 EUR exigé d’avance au titre des frais de la procédure de faillite et a attendu l’ouverture d’office de cette procédure (paragraphe 35 ci-dessus). Mais la législation pertinente a été modifiée et cette possibilité d’ouverture d’office a été supprimée, la loi sur les opérations financières des sociétés comportant des dispositions plus strictes relativement au fonctionnement des sociétés. Au cours de la période de transition de un an prévue avant la prise d’effet des dispositions sur la radiation, la société en question aurait pu engager une autre procédure de faillite. Or, si elle avait demandé l’ouverture de cette procédure, ses associés auraient certes eu l’obligation de payer les frais y afférents, mais ils auraient évité la radiation et n’auraient pas été tenus pour personnellement responsables des dettes de la société. En outre, la Cour rappelle que, de juin 1997 à la date de sa radiation en septembre 2001, la société n’avait pas de dirigeant, bien qu’une action civile fût en cours contre elle depuis 1993 pour le paiement d’une dette. De l’avis de la Cour, l’absence de dirigeants, même si elle n’était pas contraire au droit applicable, n’était certainement pas conforme aux bonnes pratiques commerciales.

123. En bref, la société a continué à exister malgré son incapacité à payer ses dettes ou à exercer les activités pour lesquelles elle avait été constituée. Compte tenu de ces considérations, la Cour partage l’avis de la Cour constitutionnelle, invoqué par le Gouvernement, selon lequel les sociétés inactives et/ou insolvables représentent une menace pour le bon fonctionnement du marché. De plus, comme le Gouvernement le soutient, la procédure de radiation n’a été engagée qu’en dernier ressort, en l’absence de toute autre procédure ouverte aux fins de la dissolution de la société. De surcroît, la Cour note, comme elle l’a déjà constaté, que la procédure de radiation était accompagnée de garanties procédurales suffisantes qui, si le requérant avait eu une attitude plus diligente, lui auraient permis de défendre ses intérêts de manière effective (paragraphes 99-103 ci-dessus).

124. Enfin, s’agissant de la charge que représenterait pour le requérant l’annulation de sa part sociale, la Cour a déjà constaté qu’aucune réduction de la valeur économique du bien de l’intéressé n’en a résulté, puisque la société L.E. n’avait aucun actif. De plus, le requérant et les autres associés avaient de toute façon eu l’intention de dissoudre la société eux-mêmes et, d’après le requérant, c’est uniquement parce qu’ils n’avaient pas pu payer d’avance les frais de la procédure de faillite qu’ils n’avaient pas pu procéder à cette dissolution. À la lumière de ces considérations, la Cour considère que la radiation de la société L.E. du registre des sociétés n’a pas représenté une charge individuelle exorbitante pour le requérant.

125. Il reste à examiner si la même conclusion s’applique en ce qui concerne la responsabilité personnelle du requérant pour les dettes de la société à la suite de l’annulation de sa part dans la société L.E. Le requérant est convaincu que la levée du voile de la personnalité juridique n’était pas justifiée dans les circonstances de la cause. Il s’appuie notamment sur la jurisprudence élaborée par la Cour dans l’arrêt Agrotexim et autres (précité), selon laquelle seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier la levée du voile de la personnalité juridique. Cet avis n’a toutefois pas été formulé en réponse à la question de savoir si une ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens était justifiée ou proportionnée, mais plutôt en réponse à celle de savoir si un requérant pouvait en toutes circonstances se prétendre victime d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à raison d’actes dirigés contre le patrimoine d’une société, entité juridique distincte (Agrotexim et autres, précité, § 66, et Olczak, précité, § 57). En l’espèce, il a déjà été répondu par l’affirmative à la deuxième question (paragraphe 69 ci-dessus). Cependant, sur le point de savoir si les circonstances de la présente affaire justifiaient la radiation, la Cour estime que le non-respect, décrit ci-dessus, par la société L.E. du droit des sociétés et des principes d’une saine gestion d’entreprise, notamment : a) un capital social insuffisant, b) l’inobservation de la loi et des bonnes pratiques commerciales, c) un état prolongé d’insolvabilité et d) la passivité des dirigeants de la société avait justifié une réponse ferme de la part des autorités, celles-ci pouvant entre autres tenir pour personnellement responsable tout associé dont il était établi qu’il était à l’origine des irrégularités commises dans l’exploitation de la société.

126. La Cour observe également que la réduction du capital à un montant inférieur au seuil légal et, finalement, sa réduction à néant, associée au défaut prolongé d’engagement d’une procédure de faillite, a eu des conséquences néfastes sur la situation du créancier de la société. Celui-ci s’est trouvé dans une incertitude prolongée quant au paiement de sa créance (paragraphes 9, 14 et 21-29 ci-dessus). De l’avis de la Cour, la procédure n’aurait pas été si longue si la société L.E. avait fait le constat de son incapacité à reconstituer un capital minimum suffisant pour continuer ses activités et avait par conséquent demandé l’ouverture d’une procédure de faillite en temps utile. Si la société avait présenté une telle demande à temps, elle aurait probablement encore disposé des fonds nécessaires pour payer les frais d’une procédure de faillite.

127. Partant, s’il est vrai, comme le soutient le requérant, que les dettes en question ont été contractées dans le cadre du cours normal des activités de la société, la Cour estime que les effets de l’inactivité prolongée ultérieure de la société ne relèvent pas du même contexte.

128. Quant à l’appréciation par les tribunaux internes de la responsabilité personnelle du requérant pour les dettes de la société L.E., la Cour note que, déjà en sa qualité d’associé minoritaire, le requérant avait une influence importante sur les activités de la société (paragraphe 32 ci-dessus). Il avait notamment la possibilité d’engager une action judiciaire en dissolution de la société (paragraphe 33 ci-dessus). En outre, le requérant a été employé par la société pendant plus de quatre ans et il a participé à sa direction, d’abord en tant que directeur par intérim, puis comme directeur général (paragraphes 7, 8 et 10 ci-dessus). La Cour conclut que les irrégularités qui ont été décrites ci-dessus concernant l’exploitation de la société L.E. sont dans une large mesure imputables au requérant lui-même. Dans ce contexte et eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative aux éléments permettant de distinguer entre associés actifs et associés passifs (paragraphes 48-49 ci-dessus), la Cour juge raisonnable que le requérant ait été considéré par les tribunaux internes comme un associé actif de la société L.E. et donc tenu pour responsable du paiement des dettes de la société. À cet égard, il convient de noter que la Cour constitutionnelle a confirmé que les juridictions inférieures avaient correctement appliqué à la situation individuelle du requérant les critères qu’elle avait définis pour distinguer entre associés actifs et associés passifs (paragraphe 28 ci-dessus). Par conséquent, rappelant qu’il appartient au premier chef aux autorités internes, notamment aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, la Cour ne saurait accueillir l’argument du requérant selon lequel les tribunaux internes auraient dû accorder plus d’importance aux autres éléments avancés par lui (paragraphe 114 ci-dessus) et l’exonérer de sa responsabilité personnelle.

129. Par ailleurs, pour autant que le requérant se plaint que la décision relative à sa qualité d’associé actif a été prise en l’absence d’audience publique, la Cour relève qu’il n’a demandé la tenue d’une telle audience à aucun moment au cours de la procédure interne. Le requérant n’allègue pas non plus avoir introduit une demande d’audience en ce sens à un quelconque stade de cette procédure.

d) Conclusion

130. En conclusion, compte tenu de l’ample marge d’appréciation dont les États contractants disposent quant aux questions relatives aux systèmes de politique économique, la Cour conclut que la mesure contestée ne représentait pas une charge individuelle exorbitante pour le requérant dans les circonstances particulières de la cause. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

131. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, le requérant allègue s’être vu refuser un recours effectif concernant la procédure de radiation. Il n’aurait pas été en mesure d’obtenir le redressement de la violation de son droit de participer à la procédure et n’aurait disposé d’aucun recours effectif contre la décision de radiation de la société du registre des sociétés.

132. La Cour observe que, compte tenu du caractère accessible et prévisible de la législation sur laquelle la mesure de radiation contestée se basait, l’allégation du requérant relative à l’illégalité de cette mesure ne révèle aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle n’a pas non plus jugé fondé le grief relatif à l’absence alléguée de garanties procédurales suffisantes permettant de contester la radiation. Sur la base de ces considérations, ainsi que des observations formulées par les parties, elle a conclu que la mesure contestée n’a pas représenté une charge individuelle exorbitante pour le requérant (paragraphe 130 ci-dessus). À la lumière des constats effectués ci-dessus, elle estime que le requérant ne saurait légitimement demander réparation au motif qu’il ne lui aurait pas été possible de participer à la procédure, cette impossibilité ayant été jugée imputable à son manque de diligence (paragraphe 104 ci-dessus). Pour la même raison, elle ne peut considérer que le grief tiré par le requérant de l’absence alléguée de recours effectif contre la décision de radiation est « défendable » aux fins de l’article 13.

133. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no1 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 14 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour
Numéro d'arrêt : 001-171463
Date de la décision : 14/02/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Privation de propriété;Respect des biens;Biens)

Parties
Demandeurs : LEKIĆ
Défendeurs : SLOVÉNIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZDOLSEK S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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