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09/02/2017 | CEDH | N°001-170838

CEDH | CEDH, AFFAIRE SOLARINO c. ITALIE, 2017, 001-170838


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SOLARINO c. ITALIE

(Requête no 76171/13)

ARRÊT

STRASBOURG

9 février 2017

DÉFINITIF

09/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

.




En l’affaire Solarino c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos

-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre d...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SOLARINO c. ITALIE

(Requête no 76171/13)

ARRÊT

STRASBOURG

9 février 2017

DÉFINITIF

09/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

.

En l’affaire Solarino c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76171/13) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant italien, M. Giorgio Solarino (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me L. D’Urso, avocate à Catane. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora.

3. Le 23 mars 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1972 et réside à Catane.

5. Le 5 septembre 2004 naquit A., la fille du requérant et de son épouse, C.C. À une date non précisée en 2006, le couple se sépara. Dès son départ, C.C. manifesta une forte opposition à toute relation entre le requérant et A., âgée alors de deux ans.

6. Le 13 juin 2006, le tribunal de Catane (ci-après « le tribunal pour enfants ») confia la garde de l’enfant conjointement aux deux parents, fixa sa résidence chez C.C. et accorda au requérant un droit de visite et d’hébergement.

7. Le 26 septembre 2007, C.C. demanda que le requérant fût déchu de son autorité parentale car elle le soupçonnait de s’être livré à des attouchements sexuels sur leur fille.

8. Le 3 octobre 2007, C.C. déposa une plainte contre le requérant pour attouchements sexuels sur l’enfant.

9. Le 14 décembre 2007, le tribunal pour enfants suspendit les rencontres entre le requérant et l’enfant dans l’attente de l’expertise qui devait être menée sur la mineure et son père et de l’aboutissement de l’enquête pénale portant sur les attouchements sexuels allégués.

10. Le 5 décembre 2008, le procureur demanda au juge chargé de l’enquête préliminaire (« le GIP ») de classer la plainte. Il soulignait en particulier que rien ne pouvait être reproché au requérant et que l’enfant avait été entendue deux fois avec l’aide d’une neuropsychiatre.

11. Par une décision du 26 mars 2009, le tribunal pour enfants, en se basant sur l’expertise menée sur la mineure et le requérant, décida que celui‑ci pouvait à nouveau rencontrer l’enfant et lui téléphoner, après avoir relevé que cette dernière était très contente de voir son père.

12. Le 23 avril 2009, C.C. introduisit un recours devant la section des mineurs de la cour d’appel contre la décision du tribunal pour enfants du 26 mars 2009. Elle demandait que la tenue des rencontres eût lieu en milieu protégé. Elle réitérait ses accusations d’attouchements sexuels sur l’enfant et sollicitait une nouvelle expertise.

13. Le 7 mai 2009, le GIP classa la plainte de C.C.

14. En septembre 2009, la cour d’appel fit droit à la demande de C.C. Elle ordonna ainsi que les rencontres eussent lieu en milieu protégé. Elle demanda également la réalisation d’une nouvelle expertise technique sur le requérant et l’enfant. Enfin, elle chargea les services sociaux d’observer le lien existant entre le père et la fillette, de déposer un rapport à ce sujet et d’établir si l’enfant avait des attitudes ou des comportements résultant de possibles abus sexuels.

15. Selon le rapport d’expertise déposé en 2011, il n’y avait pas d’éléments qui pouvaient donner lieu à penser à des abus sexuels. D’après l’expert, les soupçons d’attouchements sexuels étaient attribuables à des angoisses et craintes de C.C., qui aurait été blessée après avoir été abandonnée par le requérant. L’expert concluait dans le sens d’un rapprochement entre ce dernier et l’enfant.

16. Par une décision du 29 juillet 2011, la cour d’appel, sans prendre en considération l’expertise susmentionnée, établie dans un sens favorable au requérant, décida d’interdire tout contact entre l’enfant et les grands-parents paternels et de restreindre le droit de visite du requérant, portant le nombre de rencontres à une par semaine, en milieu protégé, jusqu’à ce que l’enfant atteignît l’âge de dix ans. La décision était principalement motivée par des soupçons, exprimés par la mère de l’enfant, que le requérant et les grands‑parents paternels s’étaient livrés à des attouchements sexuels sur la mineure.

17. Le 12 décembre 2011, le requérant demanda au tribunal pour enfants de réformer la décision de la cour d’appel.

18. Par une décision du 10 juillet 2012, le tribunal rejeta la demande du requérant et se déclara incompétent.

19. Le 6 septembre 2012, le requérant demanda à la cour d’appel de l’autoriser à rencontrer l’enfant dans un endroit plus proche de son domicile. Cette demande fut rejetée le 27 novembre 2012.

20. Le 11 novembre 2013, saisi à nouveau par le requérant, le tribunal de Catane reconnut d’abord sa compétence pour toutes les questions concernant la garde de l’enfant et le droit de visite. Ensuite, après avoir examiné toutes les expertises déposées depuis 2007 et observé qu’aucune atteinte à l’état psychique de l’enfant ne pouvait être relevée, il ordonna la reprise de rencontres libres, hors milieu protégé, entre le requérant et la fillette.

21. Le 18 novembre 2013, C.C. interjeta appel de la décision du tribunal.

22. Le 17 décembre 2013, la cour d’appel rejeta le recours et établit que le tribunal de Catane était la seule juridiction compétente.

23. Par une décision du 12 juin 2015, le tribunal de Catane prononça la séparation de corps entre le requérant et C.C.

24. En se basant sur le rapport d’expertise déposé en 2011, le tribunal déclara que l’enfant, qui désormais avait plus de dix ans, avait subi un préjudice très grave en raison de l’altération de la relation avec son père, ses grands-parents paternels et son demi-frère, né entre-temps. Selon lui, la décision de la cour d’appel du 29 juillet 2011 était due à une appréciation erronée de l’expertise et était basée sur des arguments non pertinents. Par conséquent, le tribunal décida de confier la garde de l’enfant conjointement aux deux parents, et il octroya au requérant un droit de visite et d’hébergement. Enfin, le tribunal indiqua que, en cas de non-respect de ces prescriptions par la mère, il modifierait sa décision concernant la garde de l’enfant en fixant la résidence principale de celle-ci chez le requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

25. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no 53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

26. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu nouer une relation avec son enfant pendant de longues années. Il indique en outre que, dans sa dernière décision, le tribunal de Catane a reconnu que la mineure avait subi un préjudice très grave en raison d’une altération de sa relation avec ses grands‑parents paternels, son demi-frère et lui-même, à la suite de la décision de la cour d’appel du 29 juillet 2011. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant dénonce également un défaut d’équité de la procédure devant les juridictions internes.

27. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements défendeurs. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’une disposition de la Convention, article ou paragraphe, qui n’avait pas été invoquée par les parties. En effet, un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce, et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I). À la lumière de ces principes, la Cour estime que le présent grief se prête à être analysé sous l’angle de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Fourkiotis c. Grèce, n 74758/11, § 44, 16 juin 2016), qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

28. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.

A. Sur la recevabilité

29. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

30. Le requérant argue avoir été dans l’impossibilité de nouer une relation avec son enfant entre 2007 et 2013 en raison d’une divergence des décisions prononcées par les juridictions italiennes. Il indique que ses contacts avec la mineure ont d’abord été limités à la suite de la plainte déposée par C.C. Il dit que, une fois la plainte classée, à la suite d’une expertise ayant conclu à une absence d’abus sexuels, le tribunal pour enfants a jugé, le 26 mars 2009, qu’il pouvait rencontrer librement la fillette.

31. Le requérant expose ensuite que, en septembre 2009, à la demande de C.C., la cour d’appel a limité son droit de visite et a décidé qu’il pouvait rencontrer l’enfant exclusivement en la présence des agents des services sociaux. Il ajoute que, le 19 juillet 2011, la cour d’appel a confirmé cette décision et a interdit tout contact entre les grands-parents paternels et l’enfant jusqu’aux dix ans de celle-ci.

32. Le requérant indique aussi que, par la suite, le 12 juin 2015, le tribunal pour enfants a décidé de confier la garde de la fillette conjointement aux deux parents et lui a octroyé un droit de visite et d’hébergement. Selon lui, les juridictions internes ont pris des décisions divergentes pendant plusieurs années, d’abord en lui permettant d’exercer son droit de visite et ensuite en le restreignant.

33. Le requérant fait enfin observer que, dans sa décision de 2015, le tribunal de Catane a reconnu que l’enfant avait subi un préjudice en raison d’une restriction des contacts avec lui-même. Par conséquent, il demande à la Cour de conclure à la violation de l’article 8 de la Convention.

34. Après avoir énoncé les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement soutient que les juridictions nationales ont toujours agi dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il précise qu’il n’y a jamais eu d’interruptions dans les contacts entre le requérant et la mineure depuis 2006, ni de rupture du lien familial. Il indique que les autorités judiciaires ont dû procéder à une appréciation de la situation de la mineure, situation qu’il qualifie de sensible et complexe.

35. Le Gouvernement dit également qu’en 2015, en se basant sur une expertise ayant mis en lumière l’existence de liens étroits entre l’enfant et son père, le tribunal pour enfants a confié la garde de la mineure conjointement aux deux parents et a octroyé au requérant un droit de visite et d’hébergement.

36. Par conséquent, le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

37. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 58, CEDH 2002) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no [25702/94](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2225702/94%22%5D%7D), § 151, CEDH 2001‑VII).

38. La Cour rappelle que l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics et qu’il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 59 CEDH 2000‑IX) pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no [30943/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2230943/96%22%5D%7D), § 66, CEDH 2003‑VIII).

39. La Cour rappelle également que l’obligation des autorités nationales de prendre des mesures pour faciliter des rencontres entre un parent et son enfant n’est pas absolue. Le point décisif consiste à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles en l’occurrence (idem, § 58). Dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Maumousseau et Washington c. France, no [39388/05](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2239388/05%22%5D%7D) § 83, 6 décembre 2007 ; Zhou c. Italie, no 33773/11, § 48, 21 janvier 2014 ; Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 102, 15 janvier 2015). Le facteur temps revêt donc une importance particulière car tout retard procédural risque de trancher en fait le problème en litige (H. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 120, pp. 63-64, §§ 89-90 ; P.F. c. Pologne, no 2210/12, § 56, 16 septembre 2014).

40. Par ailleurs, les autorités nationales bénéficiant de rapports directs avec tous les intéressés, la Cour répète qu’elle n’a point pour tâche de réglementer les questions de garde et de visite. Toutefois, il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions que ces instances ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu.

41. La Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude en particulier en matière de droit de garde. Il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties juridiques destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre un jeune enfant et l’un de ses parents ou les deux (Sommerfeld c. Allemagne [GC], no [31871/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2231871/96%22%5D%7D), §§ 62-63, CEDH 2003-VIII).

42. En l’espèce, la Cour relève que les décisions par lesquelles les autorités nationales ont décidé de restreindre le droit de visite du requérant ont effectivement constitué une ingérence dans le droit de ce dernier au respect de sa vie familiale et qu’il en résultait une obligation positive pour l’État de maintenir les relations personnelles entre les intéressés (T. c. République tchèque, no [19315/11](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2219315/11%22%5D%7D), § 105, 17 juillet 2014).

43. Elle note que les mesures prises, fondées sur les dispositions pertinentes en la matière du code civil, étaient prévues par la loi. Il ressort des motifs retenus par les juridictions internes que leur application avait pour objectif la sauvegarde des intérêts de l’enfant. Les mesures incriminées poursuivaient donc un but légitime au regard du second paragraphe de l’article 8 de la Convention, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui. Il convient encore d’examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour justifier les mesures litigieuses étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 in fine de l’article 8 de la Convention.

44. À cet égard, la Cour constate tout d’abord que, en 2006, le requérant bénéficiait d’un droit de visite élargi en vertu de la décision prononcée par le tribunal de Catane le 13 juin 2006 et que, à la suite de la plainte pour abus sexuels déposée par la mère de l’enfant, ledit tribunal a suspendu l’exercice de ce droit dans l’attente de l’aboutissement de l’enquête pénale. Aussi la Cour estime‑t-elle que, en attendant l’issue de l’enquête pénale, l’intérêt de l’enfant justifiait la suspension et la restriction du droit parental et du droit de visite du requérant et qu’il légitimait l’ingérence dans le droit de ce dernier au respect de sa vie familiale. L’ingérence était donc, jusqu’à l’issue de l’enquête préliminaire, « nécessaire à la protection des droits d’autrui », en l’espèce les droits de l’enfant.

45. La Cour rappelle cependant que ce même intérêt de l’enfant exigeait aussi de permettre au lien familial de se développer à nouveau dès que les mesures prises ne seraient plus apparues comme nécessaires (Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250).

46. En l’espèce, la Cour constate que, à la suite du classement de la plainte pénale, le tribunal pour enfants a décidé, par une décision du 26 mars 2009, en se basant sur l’expertise menée sur la mineure et le requérant, que celui-ci pouvait à nouveau rencontrer l’enfant, après avoir relevé que cette dernière était très contente de voir son père.

47. La Cour note toutefois que, à la demande de la mère, à partir de septembre 2009, le droit de visite a à nouveau été limité et que, le 29 juillet 2011, la cour d’appel, sans prendre en considération l’expertise établie dans un sens favorable au requérant, et nonobstant le classement de la plainte pénale, a décidé d’interdire tout contact entre l’enfant et les grands-parents paternels et de restreindre le droit de visite du requérant, portant le nombre de rencontres à une par semaine, en milieu protégé, jusqu’à ce que la mineure atteignît l’âge de dix ans. Elle relève que la décision de la cour d’appel était principalement motivée par des soupçons, exprimés par la mère de l’enfant, que le requérant et les grands‑parents paternels s’étaient livrés à des attouchements sexuels sur la fillette.

48. La Cour observe ensuite que ce n’est qu’en novembre 2013 que le requérant a pu recommencer à rencontrer librement la mineure, hors milieu protégé, deux fois par semaine, à la suite de la décision du tribunal de Catane qui avait souligné qu’aucune atteinte à l’intégrité de l’enfant ne pouvait être relevée.

49. La Cour constate également que, en se basant sur le rapport d’expertise déposé en 2011, le tribunal de Catane a déclaré en juin 2015 que l’enfant, qui était alors âgée de plus de dix ans, avait subi un préjudice très grave en raison de l’altération de la relation avec son père, ses grands‑parents paternels et son demi-frère, né entre-temps. Selon le tribunal, la décision prise par la cour d’appel le 29 juillet 2011 était la conséquence d’une appréciation erronée de l’expertise et était basée sur des arguments non pertinents.

50. La Cour relève à cet égard que la cour d’appel n’a pas pris en considération l’expertise menée sur l’enfant et le requérant et que, en outre, les soupçons pesant sur ce dernier et sur les grands-parents paternels de s’être livrés à des attouchements sexuels sur la mineure étaient le motif principal pour lequel le droit de visite de l’intéressé avait été limité.

51. La Cour est d’avis, à l’instar du tribunal de Catane, que les motifs de la décision incriminée montrent que la juridiction nationale en cause, qui n’a pris en considération ni l’expertise ayant exclu les abus sexuels ni le classement de la plainte, n’a pas examiné avec soin la situation de l’enfant. Elle observe que la cour d’appel a en revanche estimé, sur la base de simples soupçons, que le maintien de contacts avec le requérant et les grands-parents paternels pouvait être préjudiciable au développement de l’enfant.

52. La Cour estime que, eu égard à l’importance de la question en jeu – à savoir la relation entre un parent et son enfant –, cette juridiction n’aurait pas dû se baser sur de simples soupçons pour restreindre le droit de visite du requérant et considérer, en dépit des conclusions de l’expertise susmentionnée et du classement de la plainte pénale, que le maintien de contacts avec le père et les grands‑parents paternels pouvait nuire au développement de la mineure.

53. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la cour d’appel n’a pas fait état de motifs suffisants et pertinents pour justifier sa décision, ultérieurement réformée par deux décisions successives du tribunal de Catane, de restreindre le droit de visite du requérant pour la période comprise entre septembre 2009 et novembre 2013.

54. Dès lors, la Cour conclut que les autorités nationales ont outrepassé leur marge d’appréciation et qu’elles ont donc enfreint, dans le chef du requérant, les droits garantis par l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il dit avoir subi. Il sollicite également une réparation du dommage moral qu’il estime avoir subi, sans toutefois chiffrer sa demande.

57. Le Gouvernement conteste les prétentions du requérant.

58. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette la demande y afférente. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

59. Le requérant demande également 14 474,47 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, pour lesquels il fournit des justificatifs.

60. Le Gouvernement conteste cette prétention.

61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 6 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerMirjana Lazarova Trajkovska
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-170838
Date de la décision : 09/02/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : SOLARINO
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : D'URSO L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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