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31/01/2017 | CEDH | N°001-170850

CEDH | CEDH, AFFAIRE KALNĖNIENĖ c. BELGIQUE, 2017, 001-170850


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KALNĖNIENĖ c. BELGIQUE

(Requête no 40233/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2017

DÉFINITIF

30/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kalnėnienė c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Tur

ković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KALNĖNIENĖ c. BELGIQUE

(Requête no 40233/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2017

DÉFINITIF

30/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kalnėnienė c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40233/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante lituanienne, Mme Aušra Kalnėnienė (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 septembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me J. de Boeck, avocat à Galmaarden. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. La requérante allègue notamment qu’elle a fait l’objet d’une perquisition illégale à son domicile en violation de l’article 8 de la Convention et que l’utilisation subséquente des preuves obtenues de manière irrégulière a violé son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 de la Convention.

4. Le 21 février 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement. La requérante ainsi que le Gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites (article 54 § 2 du règlement). Le Gouvernement lituanien n’a pas souhaité se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1963 et réside à Bruxelles.

A. La perquisition litigieuse

6. Le 13 juin 2005, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles délivra un mandat de perquisition afin de :

« procéder à une perquisition à l’adresse 53 rue des [E.], 1080 Molenbeek-Saint-Jean, où résiderait le dénommé [J.R.], dans le but d’y rechercher et de saisir tous les éléments et/ou objets qui ont trait à la participation à une organisation criminelle et traite d’êtres humains ».

7. L’immeuble d’habitation sis au 53 rue des E. comporte dix appartements distincts sur quatre étages. L’appartement de J.R. se trouve au rez-de-chaussée, celui de la requérante au deuxième étage.

8. Le 17 juin 2005, des officiers de police judiciaire procédèrent à la perquisition dans l’appartement de J.R. Ils effectuèrent également un contrôle d’identité de l’ensemble des habitants de l’immeuble et constatèrent que le nom de la requérante apparaissait dans le dossier pénal dans le cadre duquel ils avaient obtenu le mandat de perquisition. Les officiers décidèrent alors de leur propre chef de procéder à la perquisition de l’appartement de la requérante. Ils y saisirent des notes, des cahiers, de l’argent, des téléphones portables, des passeports et d’autres documents.

B. L’instruction et le règlement de la procédure

9. Le 17 juin 2005, suite à la perquisition litigieuse, la requérante fut privée de sa liberté et présentée au juge d’instruction qui, le même jour, délivra un mandat d’arrêt à son encontre et procéda à sa mise en accusation pour avoir participé à une organisation criminelle et pour avoir usé de manœuvres frauduleuses pour faire entrer ou séjourner un étranger dans le Royaume.

10. La requérante rapporte que, lors des interrogatoires de police, elle fut confrontée aux éléments de preuve obtenus lors de la perquisition, ce qui l’amena à avouer les faits reprochés.

11. Le 6 décembre 2005, à l’audience de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles sur le règlement de la procédure, la requérante excipa de la nullité de tous les actes d’instruction en raison de l’illégalité de la perquisition effectuée sans mandat. Elle demanda l’écartement des débats des éléments du dossier recueillis lors de la perquisition.

Le même jour, la chambre du conseil rejeta la demande de la requérante et la renvoya devant le tribunal correctionnel. La chambre du conseil considéra que la perquisition était régulière, eu égard à l’article 88 du code d’instruction criminelle (« CIC »), qui prévoyait qu’une perquisition pouvait avoir lieu dans d’autres lieux que le domicile de l’inculpé (paragraphe 20, ci-dessous).

12. Le 21 décembre 2005, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma la décision de la chambre du conseil. Elle estima notamment que le mandat de perquisition avait été délivré pour tout l’immeuble sis à l’adresse indiquée et qu’il ne se limitait pas au logement de J.R. Les services de police avaient dès lors agi dans les limites du mandat en perquisitionnant le logement de la requérante.

13. Le 21 février 2006, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 21 décembre 2005 en raison de l’absence de réponse, par la chambre des mises en accusation, à un moyen soulevé par la requérante, et renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles autrement composée.

14. Le 10 mai 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata que la perquisition du domicile de la requérante était irrégulière en ces termes :

« Tout en tenant compte du fait qu’une perquisition est ordonnée concernant un logement et non concernant une personne, la mention [dans le mandat de perquisition] relative au séjour du dénommé [J.R.] constitue une limitation de l’adresse indiquée, étant donné que cette mention serait superflue si le juge d’instruction n’avait pas eu pour intention de limiter le mandat de perquisition au logement de cette personne. Cette intention ressort d’ailleurs clairement des éléments de l’instruction préalables audit mandat.

Il ressort des constatations des enquêteurs qui ont effectué la perquisition qu’il y avait plusieurs logements à l’adresse indiquée dans le mandat : l’un d’eux, au rez-de-chaussée, est le logement occupé par le dénommé [J.R.] ; un autre, au second étage, est le logement occupé par [la requérante].

Pour ce dernier logement, aucun mandat de perquisition n’a été délivré et [la requérante] n’a pas consenti à la perquisition.

Nonobstant l’irrégularité de la perquisition du logement occupé par [la requérante] et des saisies effectuées à cette occasion, il n’y a pas lieu, dans l’état actuel de la procédure, de conclure à la nullité des actes d’instruction ou d’écarter des pièces du dossier. »

La chambre des mises en accusation estima en effet que l’irrégularité de la perquisition et le fait de ne pas écarter ses résultats du dossier n’empêchaient pas qu’un procès équitable puisse être garanti à la requérante. Pour cela, la chambre des mises en accusation prit en compte le fait que l’irrégularité n’était pas prescrite à peine de nullité par une loi, qu’elle n’avait pas été commise intentionnellement, qu’elle n’entachait pas la fiabilité des preuves ainsi recueillies, que la requérante était poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernaient que des preuves matérielles et qu’il y avait d’autres éléments à charge pouvant mener à la déclaration de culpabilité de la requérante. Cette dernière fut donc renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de traite d’êtres humains, participation à une organisation criminelle, recel et falsification d’un passeport.

C. La procédure devant les juridictions du fond

15. Dans ses conclusions devant les juridictions du fond, la requérante demanda notamment que les éléments de preuve recueillis au cours de la perquisition irrégulière soient écartés des débats.

16. Le 28 juin 2006, le tribunal correctionnel de Bruxelles déclara la requérante coupable des faits qui lui étaient reprochés et la condamna à une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 10 000 euros (EUR). Le tribunal considéra qu’il n’y avait pas lieu d’exclure les éléments de preuve obtenus par la perquisition irrégulière pour les mêmes raisons que celles exposées par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 10 mai 2006. S’agissant du grief de la requérante tiré de l’absence de recours pour redresser la violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile, le tribunal correctionnel indiqua que la requérante pouvait introduire une action en réparation contre l’État en application de l’article 1382 du code civil.

Pour fonder sa conviction, le tribunal tint compte des éléments de preuve obtenus lors de la perquisition litigieuse ainsi que d’autres éléments obtenus régulièrement, notamment des écoutes téléphoniques, les résultats d’une filature, ainsi que les déclarations et aveux de la requérante.

17. Le 21 novembre 2006, la cour d’appel de Bruxelles confirma le jugement du tribunal correctionnel en tous points.

18. La requérante se pourvut en cassation. Le 13 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Selon la Cour de cassation, il ne pouvait être déduit ni de l’article 6 ou de l’article 8 de la Convention, ni d’aucune disposition constitutionnelle ou légale que les preuves obtenues en méconnaissance d’un droit fondamental étaient toujours inadmissibles. Sauf dans les cas où une disposition conventionnelle, constitutionnelle ou légale prévoyait elle-même les conséquences juridiques à tirer d’une méconnaissance de formes prescrites par la loi, il revenait au juge de décider des conséquences à tirer de cette irrégularité. La circonstance que la formalité dont la méconnaissance était constatée concernait notamment un des droits fondamentaux garantis par les articles 6 et 8 de la Convention n’y dérogeait pas.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La protection du domicile et le mandat de perquisition

19. L’inviolabilité du domicile est garantie par l’article 15 de la Constitution ainsi libellé :

« Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. »

20. Concernant la perquisition, les dispositions pertinentes du code d’instruction criminelle (« CIC ») se lisent comme suit :

Article 87

« Le juge d’instruction se transportera, s’il en est requis, et pourra même se transporter d’office dans le domicile de l’inculpé, pour y faire la perquisition des papiers, effets, et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. »

[Article](http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a1.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=1808111730&&caller=list&F&fromtab=loi&tri=dd+AS+RANK&rech=1&numero=1&sql=.text+contains+.''..#Art.87#Art.87) [88](http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a1.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=1808111730&&caller=list&F&fromtab=loi&tri=dd+AS+RANK&rech=1&numero=1&sql=.text+contains+.''..#Art.88bis#Art.88bis)

« Le juge d’instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu’on aurait caché les objets dont il est parlé dans l’article précédent. »

Article 89bis

« Le juge d’instruction peut déléguer, pour procéder à la perquisition et à la saisie, un officier de police judiciaire de son arrondissement ou de l’arrondissement où les actes doivent avoir lieu. [...]

Il donne cette délégation par ordonnance motivée et dans les cas de nécessité seulement.

Toute subdélégation est interdite. »

B. L’admissibilité de preuves obtenues de manière irrégulière

21. À l’époque des faits, les dispositions pertinentes du CIC se lisaient comme suit :

Article 131

« § 1er. La chambre du conseil prononce, s’il y a lieu, la nullité de l’acte et de tout ou partie de la procédure subséquente lorsqu’elle constate une irrégularité, une omission ou une cause de nullité affectant :

1o un acte d’instruction;

2o l’obtention de la preuve.

§ 2. Les pièces déclarées nulles sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, s’il n’y a pas eu d’appel dans le délai prévu à l’article 135. »

Article 235bis

« § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d’office.

§ 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine.

§ 3. Lorsque la chambre des mises en accusation contrôle d’office la régularité de la procédure et qu’il peut exister une cause de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle ordonne la réouverture des débats.

§ 4. La chambre des mises en accusation entend, en audience publique si elle en décide ainsi à la demande de l’une des parties, le procureur général, la partie civile et l’inculpé en leurs observations.

§ 5. Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l’article 131, § 1er, ou relatives à l’ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l’être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l’appréciation de la preuve ou qui concernent l’ordre public. Il en va de même pour les causes d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, sauf lorsqu’elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l’égard des parties qui ne sont appelées dans l’instance qu’après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l’article 131, § 2, ou au § 6 du présent article.

§ 6. Lorsque la chambre des mises en accusation constate une irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l’article 131, § 1er, ou une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle prononce, le cas échéant, la nullité de l’acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure. Les pièces annulées sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, après l’expiration du délai de cassation. »

22. Pour un historique de la jurisprudence belge relative à l’admissibilité de preuves irrégulièrement obtenues, voir l’arrêt Lee Davies c. Belgique (no 18704/05, §§ 23-29, 28 juillet 2009).

23. Depuis son arrêt du 14 octobre 2003 dit « Antigone », la Cour de cassation considère qu’un élément de preuve obtenu de manière irrégulière ne doit pas nécessairement être écarté. Le juge ne peut écarter une preuve irrégulière, outre le cas de la violation d’une forme prescrite à peine de nullité, que lorsque son obtention est entachée d’un vice de nature à lui ôter sa fiabilité ou à compromettre le droit à un procès équitable. Dans ces cas, il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité de la preuve obtenue illicitement en tenant compte des circonstances de la cause. Il peut donc, dans certaines circonstances, admettre la preuve obtenue illicitement (Cass., 14 octobre 2003, Pas., 2003, no. 499 ; Cass., 23 mars 2004, Pas., 2004, no. 165 ; Cass., 2 mars 2005, Pas., 2005, no. 130 ; Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, no. 576 ; Cass., 31 octobre 2006, Pas., 2006, no. 535 ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, no. 581 ; Cass., 5 juin 2012, Pas., 2012, no. 363). S’il n’est pas établi que l’illégalité entache la fiabilité de la preuve ou compromet le droit à un procès équitable, le juge ne peut pas écarter la preuve obtenue illicitement (Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, no. 503 ; Cass., 4 décembre 2007, Pas., 2007, no. 613 ; Cass., 3 avril 2012, Pas., 2012, no. 214).

24. Par un arrêt du 27 juillet 2011, no. 139/2011, la Cour constitutionnelle a considéré que des dispositions légales qui subordonnent l’obtention d’éléments de preuve à certaines conditions, dans l’interprétation selon laquelle l’obtention d’éléments de preuve dans des circonstances ne satisfaisant pas aux conditions prévues n’entraîne pas nécessairement la nullité de la preuve ainsi obtenue, ne violent pas certains articles de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 § 1 et 8 de la Convention. La Cour constitutionnelle s’est ainsi ralliée à la jurisprudence de la Cour de cassation.

25. La loi du 24 octobre 2013 modifiant le titre préliminaire du code de procédure pénale en ce qui concerne les nullités y a inséré un article 32 consacrant la jurisprudence développée par la Cour de cassation en ces termes :

« La nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si :

. le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou ;

. l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou ;

. l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. »

C. L’action en réparation fondée sur une faute

26. L’article 1382 du code civil se lit comme suit :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

27. La requérante allègue que la perquisition ayant eu lieu à son domicile sans mandat du juge d’instruction constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile tel que protégé par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

28. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

29. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

30. La requérante rappelle que l’illégalité de la perquisition ayant eu lieu à son domicile a été admise par les juridictions nationales. Il est donc acquis, selon elle, que son droit au respect de sa vie privée et de son domicile a été violé.

31. Le Gouvernement fait valoir que le mandat de perquisition délivré par le juge d’instruction le 13 juin 2005 l’a été conformément à l’article 89bis CIC et qu’il comporte toutes les mentions minimales permettant de contrôler que les agents effectuant la perquisition se sont bien limités à son objet. Il suffirait, selon le Gouvernement, que le mandat indique le délit visé, le lieu et l’objet de la perquisition. Aucune disposition légale n’exigerait formellement que soit mentionné le nom de l’occupant. L’indication, dans le mandat de perquisition litigieux, que J.R. résiderait à l’adresse indiquée n’était donc pas obligatoire, et n’impliquait pas nécessairement une limitation quant à l’étendue de la perquisition dans l’immeuble concerné. Le Gouvernement est d’avis que la référence au dénommé J.R. dans le mandat de perquisition n’empêchait pas les officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans les différents appartements de l’immeuble, et que ceux-ci n’ont pas outrepassé leurs pouvoirs en ce faisant puisque leurs recherches se sont limitées à l’objet du mandat.

2. Appréciation de la Cour

32. Il est établi que le domicile de la requérante a été perquisitionné par des officiers de police judiciaire le 17 juin 2005 dans le cadre d’une large opération de perquisitions. Il n’est pas contesté qu’une telle perquisition s’analyse en une ingérence dans les droits de la requérante tels que garantis au titre du paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention, et plus particulièrement à son droit au respect de son domicile. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 2, c’est-à-dire qu’elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 72, 10 mars 2009). En particulier, l’expression « prévue par la loi » impose entre autres le respect du droit interne (Bykov, précité, § 76 ; voir également, par exemple, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 26, CEDH 2000‑V).

33. La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 127, CEDH 2015). Elle ne dispose que d’une compétence limitée s’agissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué. Il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à s’assurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées d’arbitraire ou d’irrationalité manifeste (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007‑I).

34. En l’espèce, la Cour constate d’emblée que les juridictions nationales ont estimé que la perquisition effectuée au domicile de la requérante l’a été sans mandat du juge d’instruction (paragraphe 14, ci‑dessus).

35. Le Gouvernement fait néanmoins valoir que le mandat de perquisition délivré par le juge d’instruction le 13 juin 2005 était tout à fait régulier, qu’il respectait les formes prescrites par l’article 89bis CIC et qu’il permettait aux officiers de police judiciaire de perquisitionner le domicile de la requérante.

36. La Cour ne peut souscrire entièrement à une telle analyse. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de déterminer si le mandat de perquisition du 13 juin 2005 était régulier, mais de vérifier si celui-ci autorisait légalement les officiers de police judiciaire à procéder à une perquisition au domicile de la requérante, non spécifiquement mentionné dans le mandat litigieux.

37. La Cour rappelle que les exceptions prévues au paragraphe 2 de l’article 8 doivent être interprétées de manière restrictive (Funke c. France, 25 février 1993, § 55, série A no 256‑A, et Keegan c. Royaume-Uni, no 28867/03, § 31, CEDH 2006‑X). Aussi, vu l’importance des droits garantis par l’article 8 de la Convention et de l’ingérence que constitue une perquisition dans ce droit, la Cour ne saurait accepter qu’un mandat de perquisition soit interprété de manière aussi extensive comme s’il avait été délivré pour un immeuble entier constitué de plusieurs logements et occupé par de multiples personnes y ayant leur domicile, sauf motivation particulière du juge d’instruction.

38. Au contraire, la Cour est convaincue par l’analyse effectuée par les juridictions internes quant à l’absence de mandat pour procéder à la perquisition dans le logement de la requérante. Or l’article 89bis CIC prévoit qu’une perquisition ne peut être effectuée par un officier de police judiciaire que si celui-ci dispose d’un mandat exprès du juge d’instruction (paragraphe 19, ci-dessus). Tel n’était pas le cas en l’espèce.

39. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y avait pas de base légale à la perquisition litigieuse, et que celle-ci n’était dès lors pas « prévue par la loi ». Eu égard à cette conclusion, elle n’est pas tenue de rechercher si l’ingérence était « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite de l’un des buts énumérés au paragraphe 2 de cette disposition (Bykov, précité, § 82).

40. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

41. La requérante allègue que l’utilisation des éléments de preuve obtenus irrégulièrement pour fonder sa culpabilité et le cadre juridique y afférant ont emporté violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

42. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015), et eu égard à la formulation du grief par la requérante, la Cour estime qu’il convient d’examiner ce grief sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention. Dans sa partie pertinente en l’espèce, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

43. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

44. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

45. La requérante soutient qu’il n’existe pas de législation suffisamment accessible et prévisible déterminant l’admissibilité et l’utilisation de preuves recueillies de façon irrégulière. Cette insécurité juridique aurait rendu difficile la préparation de sa défense et l’aurait placée dans une situation de net désavantage par rapport au ministère public. En outre, cela aurait eu pour conséquence que la culpabilité de la requérante n’a pas été « légalement » établie tel que le requiert le paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention.

La requérante estime également que l’utilisation des éléments de preuve obtenus au cours de la perquisition illégale pour fonder sa culpabilité et déterminer la peine constitue une violation de son droit à un procès équitable. Se référant aux opinions dissidentes exprimées par plusieurs juges (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, série A no 140, et Khan, précité), elle fait valoir qu’aucun procès ne peut être équitable si des éléments de preuve obtenus en violation d’un droit fondamental y sont utilisés.

Enfin, la requérante est d’avis que la perquisition illégale a constitué une violation de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Ce droit impliquerait que l’accusation doive fonder son argumentation sur des éléments de preuve obtenus sans contrainte ni pression exercée contre le suspect. Or la perquisition a été effectuée contre sa volonté.

46. Le Gouvernement fait valoir que la jurisprudence des tribunaux belges relative à l’admissibilité de preuves obtenues de manière irrégulière est constante et qu’elle a déjà été avalisée par la Cour dans son arrêt Lee Davies c. Belgique (no 18704/05, 28 juillet 2009). Selon lui, il ne ressort ni de la Convention, ni de la Constitution belge qu’une preuve obtenue en méconnaissance d’un droit fondamental doive nécessairement être déclarée inadmissible et écartée des débats. Le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour qui ne conclut que très rarement à la violation du droit à un procès équitable dans les affaires où des preuves irrégulièrement obtenues ont été utilisées au cours du procès. Il rappelle qu’il convient de prendre en compte la cause dans son ensemble, en ce compris la manière dont la preuve a été obtenue et les circonstances dans lesquelles l’irrégularité a été commise. Une telle appréciation a été dûment effectuée par les juridictions internes en l’espèce. Partant le Gouvernement conclut que le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Convention n’est pas fondé.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

47. La Cour a rappelé les principes généraux applicables en la matière dans son arrêt Bykov c. Russie (précité, §§ 88-93) en ces termes :

« 88. La Cour rappelle qu’elle a pour seule tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk, précité, § 45, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998-IV, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94‑96, CEDH 2006-IX).

89. La Cour n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’« illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (voir, notamment, Khan, précité, § 34, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 76, CEDH 2001-IX, Heglas c. République tchèque, no 5935/02, §§ 89-92, 1er mars 2007, et Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002‑IX).

90. Pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Si un problème d’équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n’est pas corroborée par d’autres éléments, il faut noter que lorsqu’elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre (voir, notamment, les arrêts Khan et Allan précités, respectivement §§ 35 et 37, et § 43).

91. En ce qui concerne en particulier l’examen de la nature de la violation de la Convention constatée, la Cour observe qu’elle a relevé notamment dans les affaires Khan (précité, §§ 25-28) et P.G. et J.H. c. Royaume-Uni (précité, §§ 37-38) que l’emploi d’appareils d’écoute secrète était contraire à l’article 8, puisque le recours à de tels dispositifs était dépourvu de base en droit interne et que l’ingérence dans l’exercice par les requérants concernés du droit au respect de leur vie privée n’était pas « prévue par la loi ». Néanmoins, l’admission comme preuves des informations ainsi obtenues ne se heurtait pas, dans les circonstances de ces affaires, aux exigences d’équité posées par l’article 6 § 1.

92. Quant au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et au droit de garder le silence, la Cour rappelle que ces droits sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour but de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 (John Murray c. Royaume‑Uni, 8 février 1996, § 45, Recueil 1996-I). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan, précité, § 44, Jalloh, précité, §§ 94-117, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-III). Pour rechercher si une procédure a anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le degré de la coercition, l’existence de garanties appropriées dans la procédure et l’utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus (voir, par exemple, Heaney et McGuinness c. Irlande, no 34720/97, §§ 54-55, CEDH 2000-XII, et J.B. c. Suisse, no 31827/96, CEDH 2001‑III).

93. Les exigences générales d’équité posées à l’article 6 s’appliquent à toutes les procédures pénales, quel que soit le type d’infraction concerné. Les préoccupations d’intérêt général ne sauraient justifier des mesures vidant de leur substance même les droits de la défense d’un requérant, y compris celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination garanti par l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Heaney et McGuinness, précité, §§ 57-58). »

b) Application au cas d’espèce

48. S’agissant en premier lieu de l’argument de la requérante tiré de l’absence de législation accessible et prévisible déterminant l’admissibilité de preuves obtenues de manière irrégulière, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que la jurisprudence belge en la matière était suffisamment bien établie au moment des faits et laissait au juge un large pouvoir d’appréciation pour atténuer voire, le cas échéant, effacer les conséquences des irrégularités affectant l’obtention d’une preuve (Lee Davies, précité, § 47). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette constatation en l’espèce, et ce d’autant plus que la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis l’arrêt dit « Antigone » a été consacrée en 2013 par l’article 32 du titre préliminaire du code de procédure pénale (paragraphes 22 à 25, ci-dessus).

49. Quant à l’équité de la procédure du fait de l’utilisation des preuves obtenues de manière irrégulière pour fonder la culpabilité de la requérante, la Cour constate que la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 10 mai 2006 puis les juridictions du fond ont examiné de manière minutieuse si elles devaient, eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation, écarter des débats les éléments de preuve obtenus lors de la perquisition litigieuse (paragraphes 14 à 17, ci-dessus). Les juridictions prirent en compte le fait que l’irrégularité constatée n’était pas légalement sanctionnée par une nullité, qu’elle n’entachait pas la fiabilité des preuves ainsi recueillies, qu’elle n’avait pas été commise intentionnellement, que la requérante était poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernaient que des preuves matérielles et qu’il y avait d’autres éléments à charge pouvant mener à la déclaration de culpabilité de la requérante. Elles estimèrent qu’il n’y avait donc pas lieu d’écarter les preuves litigieuses des débats.

50. À cet égard, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé à plusieurs reprises que l’admission de preuves obtenues en violation de l’article 8 de la Convention ne se heurte pas en soi aux exigences du droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (parmi d’autres, Schenk, précité, § 76, P.G. et J.H., précité, §§ 37-38, Khan, précité, § 35, et Bykov, précité, § 91).

51. En l’espèce, la Cour relève que les circonstances dans lesquelles les éléments de preuve litigieux ont été recueillis ne font aucunement douter de leur fiabilité ou de leur exactitude. La requérante s’est vu offrir la possibilité de contester devant trois degrés de juridiction les éléments recueillis et les constatations faites et de s’opposer à leur utilisation. De plus, sa condamnation se fonde également sur d’autres éléments de preuve que ceux obtenus lors de la perquisition litigieuse (paragraphe 16, ci-dessus). Par ailleurs, rien ne permet de conclure que l’appréciation par les tribunaux internes ait été arbitraire ou manifestement déraisonnable, ou que les droits de la défense de la requérante n’aient pas été suffisamment respectés.

52. Enfin, s’agissant du droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il n’apparaît pas que la requérante ait, à la différence de l’affaire Allan c. Royaume-Uni (précité, §§ 50-53), fait l’objet de contrainte ou de pression, ni même d’un subterfuge pour lui soutirer des aveux ou d’autres déclarations l’incriminant. Au contraire, les preuves recueillies au cours de la perquisition litigieuse sont des éléments matériels qui existaient indépendamment de la volonté de la requérante (voir, mutatis mutandis, Saunders, précité, § 69, et Jalloh, précité, § 102).

53. Ainsi, la Cour estime que la procédure conduite dans l’affaire de la requérante, considérée dans son ensemble, n’a pas méconnu les exigences d’un procès équitable.

54. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

55. La requérante estime ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour faire redresser son grief tiré de l’article 8 de la Convention. L’article 13 est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

56. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

57. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

58. La requérante rappelle que les juridictions nationales ont constaté que la perquisition à son domicile était illégale ; elles ont toutefois refusé de déclarer les poursuites irrecevables ou d’écarter des débats les éléments de preuve obtenus au cours de la perquisition. La requérante estime dès lors que le dommage causé par la violation de l’article 8 de la Convention n’a pas été redressé. Au contraire, les éléments recueillis de manière irrégulière ont été utilisés pour la condamner. Compte tenu du fait que le droit belge ne prévoit pas de sanction en cas d’obtention de preuves en violation de l’article 8 de la Convention, la protection de l’article 8 n’est que théorique et illusoire et la requérante n’avait pas de recours effectif pour obtenir le redressement de la violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile.

59. Le Gouvernement fait valoir que la requérante a bénéficié d’un recours effectif pour se plaindre de la violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile en mettant en œuvre les différentes procédures offertes par le CIC devant les juridictions d’instruction dans le cadre du système de purge des nullités au cours de l’instruction. En outre, le référé pénal aurait pu lui permettre de faire cesser les effets d’une perquisition qu’elle jugeait irrégulière en demandant au juge d’instruction la levée de la saisie effectuée au cours de la perquisition.

2. Appréciation de la Cour

60. La Cour relève que la requérante ne précise pas quel type de redressement elle estime être approprié pour la perquisition illégale à son domicile ; elle s’est bornée à demander que les éléments de preuve obtenus au cours de la perquisition soient écartés des débats.

61. La Cour relève qu’en vertu de la législation belge, la requérante a pu faire contrôler la régularité de la procédure. Au regard des exigences du droit à un procès équitable, les juridictions d’instruction et de jugement pouvaient déclarer les poursuites irrecevables ou écarter les éléments de preuve litigieux des débats. Or, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, la Cour a estimé que les exigences du droit à un procès équitable ne commandaient pas, en l’espèce, l’écartement des débats des éléments de preuve obtenus lors de la perquisition ni l’irrecevabilité des poursuites entamées contre la requérante (voir paragraphes 50 et 51, ci-dessus). L’article 13 de la Convention ne l’exigeait pas davantage.

62. De plus, la Cour constate, tel que l’a relevé le tribunal correctionnel (paragraphe 16, ci-dessus), que la requérante aurait également pu introduire une action en réparation contre l’État sur pied de l’article 1382 du code civil afin d’obtenir un redressement pour les dommages causés par la perquisition litigieuse (paragraphe 26, ci-dessus). La requérante n’a pas fait valoir qu’une telle procédure ne permettait pas un redressement adéquat.

63. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

65. La requérante affirme avoir subi un préjudice matériel et moral et s’en remet à la Cour pour établir le montant de ce dommage.

66. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

67. En l’absence de développements de la requérante concernant le dommage matériel et moral allégué, la Cour considère que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice qu’elle aurait subi.

B. Frais et dépens

68. La requérante n’a présenté aucune demande concernant les frais et dépens engagés durant la procédure. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

5. Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante commune des juges Karakaş et Turković ;

– opinion en partie dissidente de la juge Karakaş.

A.I.K.
S.H.N.

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES KARAKAŞ ET TURKOVIĆ

69. Nous avons voté avec la majorité compte tenu de la jurisprudence de la Cour en matière de recevabilité et d’utilisation d’éléments de preuve obtenus de manière irrégulière. Cependant, la présente affaire donne l’occasion d’appeler l’attention sur l’impact que la jurisprudence croissante de la Cour dans ce domaine a sur la notion même de procès équitable dans le droit des différents États.

70. La présente affaire nous rappelle que le code de procédure pénale belge a été modifié en 2013 de telle sorte que la nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si, notamment, l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable (voir le paragraphe 25 de l’arrêt). Cette modification fait suite à une jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle (voir les paragraphes 22 à 24 de l’arrêt).

71. Si nous sommes d’accord pour dire que l’article 6 « ne réglemente pas l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne » (voir notamment Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, Série A no 140, § 46), nous considérons que cette évolution au niveau national dans le sens d’une acceptation des éléments de preuve obtenus irrégulièrement comme conformes au droit à un procès équitable confirme les avertissements et les préoccupations formulés par de nombreux juges dans leurs opinions séparées sur des affaires semblables depuis l’arrêt Schenk (précité) – en particulier, l’idée que « la notion même d’équité dans le procès pourrait avoir tendance à se réduire ou à devenir à géométrie variable » du fait de l’acceptation d’éléments de preuve obtenus irrégulièrement (voir l’opinion en partie dissidente de la juge Tulkens jointe à l’arrêt P.G. et J.H. c. Royaume-Uni (no 44787/98, CEDH 2001-IX)), et que cette acceptation pourrait « desservir une bonne administration de la justice » (voir l’opinion dissidente commune aux juges Petiti, Spielmann, de Meyer et Carillo Salcedo jointe à l’arrêt Schenk précité) et/ou « porte[r] atteinte à la protection effective des droits garantis par la Convention » (opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge Loucaides jointe à l’arrêt Khan c. Royaume-Uni (no 35394/97, CEDH 2000-V)).

72. Si nous n’allons pas jusqu’à dire qu’un procès ne peut être qualifié d’« équitable » lorsqu’a été admise au cours de celui-ci une preuve obtenue en violation d’un droit fondamental garanti par la Convention » (opinion en partie dissidente de la juge Tulkens jointe à l’arrêt P.G. et J.H. précité, § 1, voir aussi l’opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge Loucaides jointe à l’arrêt Khan précité), nous croyons que le moment est venu pour la Cour de changer sa rhétorique et de reconnaître ouvertement qu’elle a pour tâche de déterminer des règles minimales de recevabilité des preuves obtenues en violation des droits garantis par la Convention. Cela serait conforme à l’article 19 de la Convention, en vertu duquel la Cour a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la Convention.

73. De fait, comme l’ont souligné les juges Kalaydjieva, Pinto de Albuquerque et Turković dans leur opinion concordante en l’affaire Dvorski c. Croatie ([GC], no 25703/11, arrêt du 20 octobre 2015), la Cour a déjà énoncé une règle d’exclusion automatique des aveux recueillis en violation de l’article 3 et des preuves matérielles directement obtenues par la torture (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 99 et 105, CEDH 2006-IX, Haroutyounian c. Arménie, no 36549/03, § 63, CEDH 2007-III, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 176, CEDH 2010). Selon ces juges, l’arrêt Salduz avait instauré une règle automatique d’exclusion pour toute déclaration auto-incriminante faite sans qu’un avocat ait été présent pendant l’interrogatoire alors qu’il n’y avait aucune raison impérieuse de refuser l’accès à un avocat (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 55 et 58, CEDH 2008). La Cour a aussi confirmé que l’exclusion des preuves était un redressement approprié en cas de provocation policière (Bannikova c. Russie, no 18757/06, § 56, 4 novembre 2010).

74. Dans l’élaboration de normes sur l’exclusion des preuves, la Cour devrait avoir un rôle limité compte tenu de sa place subsidiaire. L’exclusion d’éléments de preuve obtenus irrégulièrement devrait demeurer au premier chef une matière régie par le droit interne, pour autant que ces éléments n’aient pas été obtenus en violation des droits garantis par la Convention (voir, parmi bien d’autres, Schenk, précité, §§ 45-46, et Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV). Cela étant, lorsque les preuves ont été obtenues en violation de ces droits, ce devrait être la tâche même de la Cour que de déterminer où et comment fixer la limite de leur recevabilité (voir l’opinion de la juge Tulkens jointe à l’arrêt P.G. et J.H. précité). Ce faisant, la Cour devrait tenir compte de la nature du droit violé et de la nature de la violation elle-même (voir Allan c. Royaume‑Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002‑IX). Bien entendu, rien n’empêche les États de garantir un niveau de protection supérieure à celui appliqué par la Cour.

75. De plus, la Cour doit « examiner avec soin la conformité à l’article 6 § 1 d’un procès se basant sur de telles preuves à charge » (voir l’opinion en partie dissidente du juge Costa jointe à l’arrêt Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, 10 mars 2009). Ce faisant, elle doit s’assurer que les autorités internes exercent leur pouvoir de juguler et de prévenir la criminalité en respectant pleinement les voies légales et autres garanties (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII) et qu’elles sont « dissuad[ées] efficacement d’adopter derechef une conduite illicite » (opinion du juge Loucaides jointe à l’arrêt Khan précité).

76. De plus, eu égard aux opinions séparées que l’on trouve dans la jurisprudence récente de la Cour quant à l’évaluation de l’équité globale de la procédure au regard de l’article 6 (voir notamment l’opinion concordante commune aux juges Spielmann, Karakaş, Sajó et Keller jointe à l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, CEDH 2015, et l’opinion en partie dissidente et en partie concordante commune aux juges Sajó et Laffranque jointe à l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, CEDH 2016), nous soulignons que l’équité globale du procès doit être déterminée à la lumière de la Convention lue comme un tout cohérent et interprétée de manière harmonieuse et conforme à son esprit général (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 68-69, Série A no 28, voir aussi Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], nos 60367/08 et 961/11, § 87, 24 janvier 2017).

77. Nous considérons comme la juge Tulkens que « l’équité suppose le respect de la légalité et donc aussi, a fortiori, le respect des droits garantis par la Convention dont précisément la Cour assure le contrôle » (opinion précitée). Il faut donc souligner que l’équité du procès dans son ensemble ne peut être préservée malgré la violation soit d’un élément expressément garanti de l’article 6 soit d’un autre article de la Convention que dans des cas très exceptionnels. Si la Cour ne raisonnait pas ainsi, elle pourrait donner à penser qu’elle tolère la conduite illicite des États. Cela affaiblirait inévitablement la notion même d’état de droit, qui est expressément mentionnée dans le préambule de la Convention et qui est inhérente à tous les articles de cet instrument : « comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (...) Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique » (Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, § 67, 29 novembre 2016, CEDH 2016).

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

J’ai voté contre le point 5 du dispositif, qui concerne l’article 41, car de mon point de vue la chambre aurait dû accorder une certaine somme à la requérante au titre du dommage moral.

Il est évident qu’au titre de l’article 41 la Cour décide d’allouer un certain montant pour dommage moral si elle considère qu’« il y a lieu » d’accorder réparation. Jouissant d’une grande latitude pour déterminer dans quels cas il y a lieu d’octroyer des dommages et intérêts aux requérants, la Cour conclut fréquemment que le constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante et que l’octroi d’une indemnité pécuniaire ne s’impose pas (voir, parmi beaucoup d’autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 76, CEDH 1999-II, Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, CEDH 2016). Pour arriver à cette conclusion, elle prend en compte l’ensemble des faits de la cause, notamment la nature des violations qu’elle a constatées ainsi que les éventuelles particularités du contexte dans lequel l’affaire s’inscrit (voir, par exemple, Vinter, précité, et l’opinion dissidente des juges Spielmann, Sajó, Karakaş et Pinto de Albuquerque dans l’arrêt Murray, précité). Si les circonstances de l’affaire le justifient, comme dans l’affaire McCann et autres c. Royaume-Uni (27 septembre 1995, § 219, série A no 324), où la Cour a refusé d’accorder une quelconque indemnité au titre d’un préjudice moral eu égard au fait que les trois terroristes présumés abattus avaient l’intention de poser une bombe à Gibraltar, ou si la nature de la violation constatée le justifie, comme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse ([GC], no 29217/12, CEDH 2014), elle décide que le constat de violation suffit pour tout préjudice moral. Autrement dit, c’est uniquement dans des cas très exceptionnels que la Cour décide de ne pas octroyer de somme au titre du dommage moral.

Il peut également y avoir des cas où la Cour décide d’octroyer une somme inférieure à celle accordée dans d’autres affaires relevant de l’article concerné, toujours en considération des particularités du contexte. L’exemple le plus typique en est l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 3455/05, CEDH 2009), dans le contexte du terrorisme, où la Cour a expliqué par de longs motifs (§ 252 ; voir aussi Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 145, CEDH 2013) les raisons qui justifiaient l’octroi d’une somme nettement inférieure à celles qu’elle avait accordées dans d’autres affaires de détention irrégulière.

Concernant le dommage moral dans la présente affaire, la majorité ne juge pas nécessaire d’accorder une somme à ce titre, considérant que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

En l’espèce, le domicile de la requérante a été perquisitionné sans base légale.

Cette violation grave de l’article 8 a certainement causé un dommage moral à la requérante, qui ne peut pas se satisfaire de la seule constatation de son préjudice. C’est la raison pour laquelle j’étais en faveur de l’octroi d’une somme au titre de la satisfaction équitable pour le préjudice moral subi par la requérante.


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