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19/01/2017 | CEDH | N°001-170603

CEDH | CEDH, AFFAIRE TZIOVANIS ET AUTRES c. GRÈCE, 2017, 001-170603


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TZIOVANIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 27462/09)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

19/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tziovanis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,


Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TZIOVANIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 27462/09)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

19/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tziovanis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. Á l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27462/09) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Dimitrios Tziovanis, M. Nikolaos Tziovanis et Mme Zoï Tziovani-Gagopoulou, et une société à responsabilité limitée, l’Athlitiko Kentro, représentée par M. Dimitrios Tsobanoudis (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me V. Chirdaris, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les déléguées de son agent, Mme G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme M. Yermani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérants allèguent une violation de leur droit d’accès à un tribunal et de leur droit à ce que leur cause soit entendue dans un « délai raisonnable », garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et une violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 (délai raisonnable).

4. Le 19 mars 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. M. Nikolaos Tziovanis et Mme Zoï Tziovani-Gagopoulou résident à Serres. M. Dimitrios Tziovanis et M. Dimitrios Tsobanoudis résident à Athènes. La société requérante a son siège à Athènes.

6. Le 7 mai 2001, la société requérante Athlitiko Kentro (centre sportif) et M. Stefanos Tziovanis, père de certains des requérants décédé par la suite, saisirent le tribunal de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts, fondée sur les dispositions du code civil relatives à la responsabilité pour faute et à l’enrichissement sans cause, contre l’Eglise de Grèce, ainsi que contre une société de construction et son représentant, au sujet de la location d’un centre sportif appartenant à la première défenderesse et gérée par la seconde.

7. L’audience initialement fixée au 19 septembre 2002 fut avancée au 30 mai 2002, à la demande des requérants qui trouvaient la date trop éloignée de celle de l’introduction de l’action. Toutefois, à cette date, l’audience fut reportée au 18 mars 2004. La raison de cet ajournement ne ressort pas du dossier.

8. Par un jugement du 12 juillet 2004, le tribunal de première instance considéra qu’il était incompétent en ce qui concernait la première défenderesse et renvoya l’affaire à la même juridiction, mais siégeant à juge unique, compétente en matière de baux. Le tribunal rejeta comme vague l’action dans la mesure où elle se fondait sur l’enrichissement sans cause. Enfin, il rejeta comme non fondée la partie de l’action relative aux dommages-intérêts : il admit l’objection des défendeurs selon laquelle cette partie de l’action était couverte par la prescription et rejeta, comme vague et non prouvée, la contre-objection des requérants selon laquelle le délai de prescription avait été interrompu car les défendeurs avaient reconnu les prétentions des requérants.

9. Dans leurs observations du 18 février 2004, les requérants avaient soulevé cette contre-objection, fondée sur l’article 260 du code civil, en soutenant que les défendeurs avaient reconnu leur responsabilité pour le dommage économique qu’ils avaient causé aux requérants. De même, dans leurs observations complémentaires du 2 mars 2004 (page 12), ils avaient soutenu que le délai de prescription avait été interrompu par les démarches répétées auprès des défendeurs.

10. Le 18 janvier 2005, la société requérante et les trois autres requérants, qui avaient succédé entretemps à Stefanos Tziovanis, décédé, interjetèrent appel devant la cour d’appel d’Athènes.

11. Le 12 mai 2005, les requérants invitèrent la cour d’appel à fixer la date de l’audience. Celle-ci eut lieu le 17 novembre 2005.

12. Dans leur acte d’appel, du 12 janvier 2005, ils soulevaient deux moyens. D’une part, ils alléguaient que le tribunal de première instance avait accueilli l’objection relative à la prescription soulevée par la partie adverse, mais en se fondant sur des motifs contraires à la loi et aux éléments de preuve présentés. Selon eux, le délai de prescription avait commencé à courir non pas à compter du 6 mai 1996, mais à compter du 7 mai 1996 et, et avait pris fin le 7 mai 2001 et non le 6 mai 2001 qui était un dimanche. Or c’était à juste titre qu’ils avaient notifié leur action aux défendeurs le 7 mai 2001 et avaient ainsi interrompu la prescription à cette date. D’autre part, ils soutenaient que le point de départ du délai de prescription ne commençait pas, comme l’affirmait le jugement attaqué, en 1994 ou, en tout état de cause, les 22 ou 30 avril 1996, mais le 6 mai 1996, date à laquelle le centre sportif avait été scellé.

13. Dans leurs observations complémentaires en appel, du 30 septembre 2005 (page 20), les requérants relevaient dans un membre de phrase ce qui suit :

« (...) notre prétention est soumise à la prescription de vingt ans et dans tous les cas, les défendeurs ainsi que l’Eglise de Grèce, ont reconnu cette prétention et se sont déclarés prêts à nous rembourser. Toutefois, nous n’avons pas accepté les montants dérisoires qu’ils nous ont proposés. Notre prétention ne tombait pas sous le coup de la prescription de cinq ans, comme nous l’exposons clairement et en détail dans notre acte d’appel ; c’est pour cette raison que nous considérons comme superflu une nouvelle analyse des dispositions et faits pertinents qui réfute l’objection des défendeurs. »

En outre, ils faisaient état des démarches qu’ils avaient entreprises auprès des défendeurs afin que ceux-ci redressent le préjudice qu’ils leur avaient causé et rappelaient qu’ils avaient indiqué devant le tribunal de première instance les faits qui fondaient leur contre-objection relative à l’interruption du délai de prescription. Ils concluaient que le jugement attaqué avait commis une erreur en ne prenant pas en compte la contre-objection qu’ils avaient formulée et qu’ils avaient prouvée par des témoins et par divers documents.

14. Par un arrêt du 17 juillet 2006, rectifié par un second arrêt du 2 février 2007 en raison de certaines erreurs matérielles du premier, la cour d’appel infirma le jugement attaqué mais en même temps déclara l’action des requérants irrecevable pour défaut de locus standi, compte tenu de la prescription de leurs prétentions. De plus, elle jugea que les allégations des requérants relatives à l’interruption du délai de prescription étaient irrecevables car non invoquées en première instance. Enfin, la cour d’appel souligna que la contre-objection des requérants, relative à l’interruption du délai de prescription, n’était pas conforme au droit car les démarches auprès des défendeurs n’étaient pas de nature à interrompre ce délai.

15. Le 22 février 2007, les requérants déposèrent un pourvoi en cassation.

16. Dans leur pourvoi (daté du 21 février 2007), ils formulaient deux moyens : le premier portait sur le point de départ du délai de prescription et sur l’application erronée de la législation pertinente, le deuxième concernait la contre-objection relative à l’interruption de ce délai et l’omission de la cour d’appel de l’examiner en dépit du fait que cette contre-objection avait déjà été soulevée en première instance, tant dans leurs observations du 18 février 2004 que dans leurs observations complémentaires du 2 mars 2004.

17. Le 7 mars 2007, la Cour de cassation fixa l’audience au 4 février 2008.

18. Par un arrêt du 19 mai 2008 mis au net et archivé le 31 octobre 2008 la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle s’exprima ainsi :

« Selon l’article 562 § 2 du code de procédure civile, un moyen de cassation qui se fonde sur un argument qui n’a pas été légalement soulevé devant la juridiction du fond est irrecevable, sauf s’il s’agit a) d’une irrégularité qui ne pouvait pas être soulevée devant la juridiction du fond, b) d’une erreur qui résulte de la décision [attaquée] elle-même, c) d’un argument relatif à l’ordre public. En conséquence, pour qu’un moyen de cassation soit précis, il convient que les éléments militant pour sa recevabilité en ressortent facilement (...), c’est-à-dire qu’il doit être clair que l’allégation sur laquelle il se fonde a été présentée devant la juridiction du fond pendant l’audience qui a donné lieu à la décision attaquée. Le deuxième moyen de cassation, tiré de l’article 559 § 14 du code de procédure civile, selon lequel la cour d’appel a commis une erreur en déclarant irrecevable la demande des requérants quant à l’interruption du délai de prescription en raison de la reconnaissance par les défendeurs de la prétention (article 260 du code civil), doit être rejeté notamment comme vague, car il n’est pas indiqué que cette allégation (...) avait été invoquée par les requérants devant la cour d’appel (...) dans leurs moyens d’appel ou dans leurs observations complémentaires en appel, pendant l’audience qui a donné lieu à l’arrêt attaqué. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile prévoient :

Article 118 § 4

« Les documents remis par une partie à l’autre ou soumis au tribunal doivent mentionner :

L’objet du document, de manière claire, précise et brève. »

Article 226 § 5

« Toute demande d’une partie tendant à l’examen prioritaire d’une requête, d’une action ou d’une voie de recours devant toute juridiction, pour toute procédure, (...) doit être soumise par écrit. Sous peine d’irrecevabilité, la demande doit indiquer les motifs pour lesquels une priorité doit être accordée à l’affaire et le juge compétent se prononce par décision motivée. »

Article 559

« Le pourvoi est permis seulement dans les cas suivants : (...) 14) si le tribunal, en méconnaissance de la loi, a conclu ou n’a pas conclu, à la nullité, à la déchéance d’un droit ou à l’irrecevabilité (...) »

Article 562 § 2

« Tout moyen de cassation fondé sur un argument qui n’a pas été légalement soulevé devant la juridiction du fond est irrecevable, sauf s’il s’agit a) d’une irrégularité qui ne pouvait pas être soulevée devant la juridiction du fond, b) d’une erreur qui résulte de la décision [attaquée] elle-même, c) d’un argument relatif à l’ordre public. »

Article 562 § 4

« Exceptionnellement, la Cour de cassation examine d’office, après proposition du juge rapporteur (...) les moyens de cassation qui sont indiqués aux points (...) 14 (...) de l’article 559. »

Article 566 § 1

« Le texte du pourvoi doit inclure les éléments mentionnés aux articles 118 à 120, mentionner la décision attaquée, les moyens de cassation, (...) »

20. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’article 562 § 2 consacre le principe selon lequel la Cour de cassation contrôle la légalité des décisions prises par les juridictions inférieures sur la base des éléments factuels et juridiques qui devaient être pris en compte par le juge du fond. La Cour de cassation admet, ainsi, que l’article 562 § 2 du code de procédure civile consacre une condition spéciale de recevabilité, selon laquelle le pourvoi en cassation doit faire ressortir que les arguments servant de fondement aux moyens de cassation avaient légalement été soulevés devant les juridictions de fond (voir, entre autres, Cour de cassation (formation plénière) arrêt no 43/1990).

21. L’article 260 du code civil dispose :

« La prescription est interrompue lorsque le débiteur a reconnu, de quelque manière que ce soit, la prétention du créancier. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL

22. Les requérants allèguent que le rejet de leur second moyen de cassation comme irrecevable par la Cour de cassation a enfreint leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

23. Le Gouvernement soutient que le deuxième moyen de cassation des requérants était fondé sur une compréhension erronée des motifs de l’arrêt de la cour d’appel : ils croyaient à tort que celle-ci avait rejeté leur contre-objection relative à l’interruption du délai de prescription comme vague et comme irrecevable – car soulevée pour la première fois devant elle –, alors qu’il ressort du texte même de l’arrêt que la contre-objection avait été rejetée comme non fondée, dès lors que « les démarches auprès des défendeurs n’étaient pas de nature à interrompre le délai ».

24. Le Gouvernement souligne que les allégations des requérants concernant le point de départ du délai de prescription ont été traitées dans le cadre de l’examen du premier moyen et que la Cour de cassation n’avait pas à se répéter. L’utilisation par la Cour de cassation des termes « le deuxième moyen de cassation, tiré de l’article 559 § 14 du code de procédure civile, (...) doit être rejeté notamment comme vague », démontre clairement que le caractère vague du moyen constitue une des raisons seulement du rejet de ce moyen.

25. Se prévalant des articles 118 § 4 et 566 § 1 du code de procédure civile et de la jurisprudence de la Cour de cassation, le Gouvernement affirme que le pourvoi doit préciser que l’argument sur lequel est fondé le moyen de cassation a été légalement soulevé devant les juridictions du fond.

26. Les requérants allèguent que le Gouvernement, au lieu de présenter ses observations sur la violation alléguée, se met à la place de la Cour de cassation et procède lui-même à l’examen du bien-fondé du deuxième moyen de cassation. Selon eux, le Gouvernement prétend que ce moyen était non seulement irrecevable mais aussi non fondé, ce que la Cour de cassation n’a jamais déclaré.

27. De plus, les requérants récusent l’argument du Gouvernement selon lequel la Cour de cassation n’aurait pas estimé nécessaire de répondre à ce deuxième moyen car elle y avait déjà répondu par le biais de ses motifs concernant le premier. Ils soulignent que la Cour de cassation aurait dû justifier en détail le rejet du deuxième moyen d’autant plus que celui-ci concernait la contre-objection de l’interruption du délai de prescription et l’omission de la cour d’appel de l’examiner, alors que le premier moyen portait sur le point de départ de ce délai et l’application erronée de la législation pertinente.

28. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, §§ 25-26, série A no 11 ; Erfar-Avef c. Grèce, no 31150/09, § 39, 27 mars 2014). Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 37, Recueil 1997‑VIII). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal, reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention, dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX ; Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 18, 24 mai 2006 ; Sik c. Grèce, no 28157/09, § 16, 29 janvier 2015).

29. La Cour rappelle aussi que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Toutefois, les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I ; Roumeliotis c. Grèce, no 53361/07, § 23, 15 octobre 2009).

30. La Cour note que la condition de recevabilité faisant l’objet du grief des requérants tiré de l’article 6 § 1 de la Convention est une construction jurisprudentielle découlant de l’article 562 § 2 du code de procédure civile. Elle dérive pour autant directement de la lettre de cette disposition dans la mesure où elle exige que le pourvoi en cassation fasse ressortir que les arguments servant de fondement aux moyens de cassation avaient légalement été soulevés devant les juridictions de fond (voir aussi Stavrinoudakis c. Grèce, no 26307/07, § 34, 29 octobre 2009).

31. En l’occurrence, le grief des requérants porte sur la nécessité de reproduire dans le pourvoi en cassation l’argument précédemment formulé devant la juridiction inférieure et servant de base à ses moyens de cassation. Si la recevabilité du pourvoi en cassation exige, entre autres, que le demandeur relate dans son pourvoi les arguments soulevés devant les juridictions inférieures sur lesquels se fonde un moyen de cassation, cette condition résulte de la nature de la procédure en cassation et répond aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice. Quand le demandeur en cassation impute à la juridiction inférieure une application erronée du droit pertinent quant aux arguments soulevés devant celle-ci, il paraît raisonnable d’exiger que celui-ci expose dans son pourvoi lesdits arguments et démontre qu’ils avaient été avancés selon les conditions de recevabilité prescrites. Dans le cas contraire, la haute juridiction ne serait aucunement en mesure d’exercer son contrôle à l’égard de l’arrêt attaqué ; elle serait tenue de rétablir elle-même les arguments avancés devant la juridiction de fond (ibid. § 33).

32. En l’espèce, la Cour relève que la Cour de cassation a considéré que le deuxième moyen de cassation, tiré de l’article 559 § 14 du code de procédure civile, selon lequel la cour d’appel avait commis une erreur en déclarant irrecevable la demande des requérants quant à l’interruption du délai de prescription en raison de la reconnaissance par les défendeurs de la prétention, devait être rejeté notamment comme vague, car il n’était pas indiqué que cette allégation avait été invoquée par eux devant la cour d’appel dans leurs moyens d’appel ou dans leurs observations complémentaires en appel, pendant l’audience qui a donné lieu à l’arrêt attaqué.

33. Or, la Cour note qu’à aucun moment dans leurs moyens d’appel et dans leurs observations complémentaires en appel, les requérants n’ont invoqué explicitement l’article 260 du code civil, qui prévoit que le délai de prescription cesse de courir lorsque le débiteur a reconnu la prétention du créancier.

34. Dans leur acte d’appel, du 12 janvier 2005, les moyens qu’ils soulevaient avaient trait à la date à laquelle le délai de prescription avait commencé à courir et l’erreur commise par la juridiction de première instance quant à la détermination de cette date (paragraphe 12 ci-dessus).

35. Dans leurs observations complémentaires en appel, du 30 septembre 2005, ils relevaient que leur prétention était soumise à la prescription de vingt ans et dans tous les cas, les défendeurs ainsi que l’Eglise de Grèce, avaient reconnu cette prétention et s’étaient déclarés prêts à les rembourser. Ils précisaient, toutefois, qu’ils n’avaient pas accepté les montants dérisoires proposés. Ils affirmaient que leur prétention ne tombait pas sous le coup de la prescription de cinq ans, comme ils l’avaient exposé clairement et en détail dans leur acte d’appel ; c’est pour cette raison, rajoutaient-ils, qu’ils considéraient comme superflu une nouvelle analyse des dispositions et faits pertinents qui réfutait l’objection des défendeurs (paragraphe 13 ci-dessus).

36. En rejetant le pourvoi des requérants, la Cour de cassation a souligné que pour qu’un moyen de cassation soit précis, il convient que les éléments militant pour sa recevabilité en ressortent facilement, c’est-à-dire qu’il doit être clair que l’allégation sur laquelle il se fonde a été présentée devant la juridiction du fond pendant l’audience qui a donné lieu à la décision attaquée. Or, de l’avis de la Cour de cassation, tel n’a pas été le cas en l’espèce.

37. La Cour estime utile de relever aussi qu’elle jouit d’une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 47, série A no 171‑A) et qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I).

38. En l’espèce, la Cour considère que dans leurs observations supplémentaires devant la cour d’appel, les requérants ont invoqué l’argument décisif de manière accessoire, sans mentionner la disposition pertinente, à savoir l’article 260 du code civil, et sans étayer suffisamment cet argument sur le plan factuel et juridique. En outre, leur renvoi à leur acte d’appel était sans objet étant donné que l’acte en question ne contenait strictement rien sur ce point. Dans ces conditions, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le raisonnement par lequel la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des requérants.

39. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’en rejetant le deuxième moyen de cassation en cause comme vague, la Cour de cassation n’a pas entravé le droit d’accès à un tribunal des requérants tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

40. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DÉPASSEMENT DU « DÉLAI RAISONNABLE »

41. Les requérants se plaignent du non-respect d’un délai raisonnable dans la procédure qu’ils ont engagée devant les juridictions civiles. Ils allèguent une violation de l’article 6 § 1 dont la partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

42. La Cour constate que cet aspect de la requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

43. Les requérants soulignent que le retard principal se situe devant le tribunal de première instance, retard pour lequel ils ne sont nullement responsables.

44. Le Gouvernement soutient que l’affaire a été soumise à trois instances et que son examen a duré sept ans. C’est à tort que les requérants prétendent qu’il y a eu dépassement du délai raisonnable : le tribunal de première instance a accueilli la demande des requérants de fixer l’audience à une date plus rapprochée, et les requérants sont responsables d’au moins neuf mois de retard car ils ont formé leur appel le 18 janvier 2005, alors que le jugement du tribunal de première instance était archivé depuis le 17 août 2005, et ont laissé passer quatre mois avant de demander à la cour d’appel de fixer une date d’audience.

45. La Cour note que la période à considérer a débuté le 7 mai 2001, avec la saisine du tribunal de première instance d’Athènes, et a pris fin le 31 octobre 2008, avec la mise aux archives de l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré sept ans, cinq mois et vingt-quatre jours pour trois instances.

46. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

47. La Cour note que la procédure devant le tribunal de première instance a duré trois ans et deux mois environ. L’audience initialement fixée au 19 septembre 2002 a été avancée au 30 mai 2002, à la demande des requérants qui trouvaient la date trop éloignée de celle de l’introduction de l’action. Toutefois, à cette date, l’audience a été reportée au 18 mars 2004. La raison de cet ajournement ne ressort pas du dossier, mais le Gouvernement ne l’attribue pas aux requérants. Quant à la procédure devant la cour d’appel, elle a duré deux ans et quatorze jours, dont plus de six mois pour la rectification de certaines erreurs matérielles.

48. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que la durée de la procédure litigieuse a dépassé les limites du « délai raisonnable ».

49. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 sur ce point.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DÉPASSEMENT DU « DÉLAI RAISONNABLE »

50. Les requérants allèguent aussi une violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence d’un recours effectif permettant de se plaindre de la durée de la procédure et de l’entrave au droit d’accès à un tribunal. L’article 13 se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

51. Dans la mesure où le grief se rapporte à l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de la violation du droit d’accès à un tribunal, la Cour, eu égard à sa conclusion au paragraphe 39 ci-dessus, le déclare irrecevable. En revanche, elle constate que la branche du grief relatif à la durée de la procédure n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

52. Les requérants soulignent que la Cour a déjà jugé qu’il n’existe en Grèce aucun recours qui satisfasse aux exigences d’effectivité de l’article 13 à cet égard. La possibilité de demander d’avancer la date d’audience ne constitue pas non plus un tel recours. Quoiqu’il en soit, leur omission d’introduire une demande au titre de l’article 226 § 5 précité ne saurait en aucun cas dégager l’Etat de sa responsabilité d’organiser son système juridique de manière à assurer le déroulement des procédures dans un délai raisonnable.

53. Le Gouvernement prétend que les requérants avaient à leur disposition un recours effectif pour se plaindre de la durée de la procédure : l’article 226 § 5 du code de procédure civile leur offrait la possibilité de solliciter l’examen en priorité de leur affaire tant devant la cour d’appel que devant la Cour de cassation. Cet article est entré en vigueur le 16 septembre 2005, soit lorsque l’affaire était pendante en appel, puis en cassation. Même avant l’entrée en vigueur de cette disposition, les requérants avaient demandé et obtenu devant le tribunal de première instance que l’audience soit fixée à une date plus proche que celle que le tribunal avait initialement prévue.

54. La Cour rappelle que dans l’arrêt Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI), elle a jugé que l’article 13 de la Convention « garantit [un droit à] un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable ».

55. Pour être effectif, un recours permettant de dénoncer la longueur d’une procédure doit notamment fonctionner sans délais excessifs et fournir un niveau de redressement adéquat (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 195 et 204-207, CEDH 2006‑V, et Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008). L’article 13 permet aussi à un Etat de choisir entre un recours apte à provoquer l’accélération d’une procédure pendante et un recours indemnitaire permettant d’obtenir a posteriori une compensation pour des retards déjà accumulés. Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, § 158 et Scordino c. Italie (no 1) [GC], précité, § 187). La Cour renvoie aussi à cet égard aux principes généraux énoncés dans la décision Techniki Olympiaki c. Grèce (no 40547/10, §§ 28-31, 1er octobre 2013) et à l’arrêt Xynos c. Grèce (no 30226/09, § 32, 9 octobre 2014).

56. La Cour relève que le recours indiqué par le Gouvernement ne lui semble pas satisfaire aux conditions posées par les arrêts précités. De toute évidence, il ne s’agit pas d’un recours indemnitaire en cas de dépassement du délai raisonnable. D’autre part, comme il ressort des termes mêmes employés, l’article 226 § 5 ne concerne que les demandes d’examen prioritaire d’une affaire faite par une des parties à la procédure : c’est-à-dire des cas où un tel examen s’imposerait pour des motifs particuliers dont la pertinence serait appréciée souverainement par le juge saisi de la demande. Cet article ne prévoit pas un recours spécifique permettant expressément l’accélération de la procédure afin d’éviter que la longueur de celle-ci devienne incompatible avec la Convention. La seule obligation qui pèse sur le juge compétent saisi de la demande consiste à donner des motifs pour sa décision, que celle-ci soit ou non favorable au demandeur.

57. De plus, le Gouvernement ne fournit aucun exemple de procédure qui aurait commencé à traîner en longueur et qui aurait été accélérée suite à une demande faite en vertu de cet article. Si, en l’espèce, la demande des requérants au tribunal de première instance pour que celui-ci fixe l’audience à une date plus rapprochée – demande faite d’ailleurs à une époque où l’article 226 § 5 n’était pas encore en vigueur – a été accueillie par ce tribunal, rien ne permet en l’état d’affirmer que cet article serait le recours adéquat aux fins de l’article 13.

58. Eu égard à ces considérations, la Cour estime qu’en l’espèce le recours désigné par le Gouvernement ne pouvait pas assurer une protection adéquate contre la durée excessive de la procédure litigieuse. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

60. Les requérants réclament 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, dont 10 000 EUR pour celui causé par le dépassement du « délai raisonnable » et 40 000 EUR pour celui causé par la violation du droit d’accès à un tribunal. Les requérants soulignent que leur entreprise était bénéficiaire et que, en 1995, lorsqu’elle a cessé son activité, ses bénéfices nets avaient atteint 14 153 425 drachmes.

61. Le Gouvernement considère la somme réclamée comme excessive et estime que le constat d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il souligne que rien ne permet aux requérants d’alléguer que la durée de la procédure ait eu comme conséquence la cessation d’activité de leur entreprise ou que si le deuxième moyen de cassation avait été examiné, ceux-ci auraient continué à tirer les mêmes bénéfices qu’en 1995.

62. La Cour considère que les violations constatées en l’espèce n’ont aucun lien de causalité avec les résultats financiers de l’entreprise des requérants. En revanche, elle considère qu’il y a lieu de leur octroyer 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

63. Les requérants demandent également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

64. Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive et se déclare prêt à accorder 1 000 EUR.

65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants la somme de 500 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs relatifs au dépassement du « délai raisonnable » de la procédure et à l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de la durée de la procédure et le restant de la requête irrecevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au grief tiré du dépassement du « délai raisonnable » de la procédure ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention, en ce qui concerne l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de la durée de la procédure ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposLedi Bianku
GreffierPrésident


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