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17/01/2017 | CEDH | N°001-170384

CEDH | CEDH, AFFAIRE HABRAN ET DALEM c. BELGIQUE, 2017, 001-170384


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HABRAN ET DALEM c. BELGIQUE

(Requêtes nos 43000/11 et 49380/11)

ARRÊT

STRASBOURG

17 janvier 2017

DÉFINITIF

29/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Habran et Dalem c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco

,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambr...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HABRAN ET DALEM c. BELGIQUE

(Requêtes nos 43000/11 et 49380/11)

ARRÊT

STRASBOURG

17 janvier 2017

DÉFINITIF

29/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Habran et Dalem c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 43000/11 et 49380/11) dirigées contre le Royaume de Belgique et dont deux ressortissants de cet État, MM. Marcel Habran (« le premier requérant ») et Thierry Dalem (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour les 4 juillet 2011 et 27 juillet 2011 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le premier requérant a été représenté par Me M. Uyttendaele et Me L. Kennes, avocats à Bruxelles, ainsi que par Me G. Thuan dit Dieudonné, avocat à Strasbourg. Le deuxième requérant a été représenté par Mes S. Mary et M. Bosmans, avocats à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Les requérants allèguent que leur condamnation sur la base de témoignages de « repentis » a porté atteinte à l’équité de la procédure et que la durée de la procédure était excessive (article 6 § 1 de la Convention).

4. Le 8 avril 2014, les requêtes ont été jointes et communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le premier requérant est né en 1933 et réside à Bruxelles. Le deuxième requérant est né en 1958 et est détenu à la prison de Verviers.

A. Instruction menée avant l’arrestation des requérants

6. Le 12 janvier 1998, une tentative de vol fut commise sur un fourgon blindé de la société B.Z. circulant sur autoroute à hauteur de la commune de Waremme en Belgique. Deux des trois convoyeurs à bord du fourgon furent tués. Deux véhicules abandonnés par les auteurs furent retrouvés sur les lieux. À l’intérieur de ceux-ci furent découverts un fusil Kalashnikov, deux chargeurs de type Fal et des munitions.

7. Une expertise balistique effectuée le 14 février 1998 révéla que l’arme de type Fal avait été utilisée dans l’attaque d’un fourgon postal à Dison en 1996.

8. Le convoyeur survivant fit le récit de l’attaque et indiqua qu’elle était le fait de cinq hommes qui étaient cagoulés et portaient des gants.

9. Le procureur du Roi de Liège saisit un juge d’instruction de ces faits sous la qualification de vol avec violences avec la circonstance qu’un homicide avait été commis volontairement avec intention de donner la mort.

10. Un témoin anonyme cita comme auteurs possibles les noms de L.C., condamné pour des infractions liées au grand banditisme et indicateur d’un enquêteur, ainsi que de L.M., qui fut co-inculpé par la suite (voir paragraphe 13, ci-dessous). Le 30 mars 1998, L.C. affirma qu’il avait été invité par le deuxième requérant et C.K., qui fut également co-inculpé, pour procéder au repérage en préparation de l’attaque du fourgon de la B.Z. La compagne de L.C., E.E., confirma ensuite ce témoignage. Le témoin anonyme fut assassiné le 4 octobre 1999.

11. D’après un document établi par la Police fédérale de Liège, le 19 juin 2002, une personne, détenue à l’époque, R.C., exprima sa volonté de « collaborer avec les autorités judiciaires en échange d’avantages ». Connu de la police pour nombreux faits de banditisme, R.C. avait été inculpé, le 11 mars 2002, du chef de complicité dans un vol à main armée dans une autre affaire de banditisme, l’affaire B. Le 20 juin 2002, R.C. fut entendu par les autorités policières au sujet de l’attaque du fourgon de la B.Z. et du fourgon postal de Dison.

12. Le 24 juin 2002, le mandat d’arrêt délivré contre R.C. dans l’affaire B. fut levé en raison de charges insuffisantes mais il resta détenu car il purgeait un reliquat de peine de deux ans et demi.

13. D’après le document précité (voir paragraphe 11, ci-dessus), le 25 juin 2002, entendu à nouveau par les autorités policières, R.C. mentionna, à propos de l’attaque du fourgon de la B.Z., le nom des requérants ainsi que ceux notamment de L.M. et J.S. qui furent par la suite co-inculpés.

14. Le 30 septembre 2002, une apostille fut délivrée en vue de faire entendre R.C. par les autorités policières, à la suite de quoi il fut entendu une première fois officiellement le 2 octobre 2002. À cette occasion, il confirma son souhait de faire des révélations au sujet d’individus connus dans le milieu du banditisme, parmi lesquels les requérants, et au sujet notamment de l’attaque du fourgon à Waremme.

15. D’après le document de la Police fédérale de Liège précité, le 25 octobre 2002, R.C. se vit accorder par la commission de protection des témoins menacés des mesures de protection urgentes et provisoires.

16. Le 28 octobre 2002, R.C. fut entendu comme témoin sous serment par le juge d’instruction. Les déclarations de R.C. furent reproduites dans les actes d’accusation établis par la suite par le procureur fédéral. Il révéla sa participation à l’historique du projet d’attaque du fourgon début 1994 et mentionna le nom du deuxième requérant parmi les instigateurs. Il expliqua s’être dissocié en 1997 du groupe des instigateurs en raison de sa condamnation pour d’autres faits. Il s’était ensuite rapproché, en 2000, au cours d’un séjour en prison, de M.A., membre dudit groupe qui n’avait finalement pas participé à l’attaque du fourgon. M.A. lui révéla le déroulement des événements et la participation du premier requérant à l’attaque du fourgon.

17. Le 5 novembre 2002, R.C. bénéficia d’une libération conditionnelle.

B. Première arrestation des requérants

18. Le 31 octobre 2002, le premier requérant fut confronté à R.C. et placé sous mandat d’arrêt. Le deuxième requérant fut arrêté le 4 novembre 2002.

19. Déférés devant le juge d’instruction, les requérants clamèrent leur innocence dans l’attaque du fourgon de Waremme et arguèrent que les révélations de L.C. et R.C., eux-mêmes issus du milieu du banditisme, étaient mensongères. Le premier requérant expliqua également son emploi du temps exact du jour de l’attaque du fourgon en guise d’alibi.

20. Les requérants furent mis en liberté provisoire, faute d’éléments suffisants permettant de prolonger la détention préventive, suite à des décisions prises par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège, le 30 octobre 2003 en ce qui concerne le premier requérant, et le 27 novembre 2003 en ce qui concerne le deuxième requérant.

C. Poursuite de l’instruction

21. Le 15 septembre 2004, L.M., un des co-inculpés, fut assassiné.

22. Le 15 novembre 2004, D.S. contacta la police judiciaire fédérale à Liège, leur exposa ses craintes pour sa vie et indiqua être disposé à être entendu à propos de l’assassinat de L.M. en échange de garanties de sécurité. Il fut entendu le 2 décembre 2004 par la police. Le 6 décembre 2004, il fit part officiellement de son intention de collaborer avec la justice et de s’exprimer au sujet de l’attaque de Waremme.

23. Selon l’acte d’accusation qui fut ensuite établi par le procureur fédéral (voir paragraphe 34, ci-dessus), bien qu’appartenant tous deux au milieu du banditisme, R.C. et D.S. se connaissaient à peine.

24. Les 9, 10 et 16 décembre 2004, D.S. déposa officiellement en tant que témoin et ses déclarations furent reproduites dans l’acte d’accusation. Il apporta aux enquêteurs des informations qu’il avait apprises par L.M., notamment le nom des participants à l’attaque, parmi lesquels les requérants, le fait que celle-ci avait été préparée de longue date par une équipe différente et qu’une des armes retrouvées dans un des véhicules abandonnés sur les lieux des faits avait été achetée par L.M. au premier requérant et avait servi à une attaque d’un fourgon en 1996.

25. Le 20 décembre 2004, D.S. se vit accorder des mesures de protection urgentes et provisoires. Dans une déclaration du 28 octobre 2005, il s’exprima au sujet des aides qu’il avait reçues au titre des mesures de protection. Ces dernières furent retirées le 22 décembre 2005.

26. Après les premières déclarations de D.S., les enquêteurs se rendirent en commission rogatoire en France pour confronter M.A. aux dires de D.S. Le premier concéda qu’il avait rencontré le deuxième et que leur discussion avait porté sur les confidences qu’il avait faites à R.C. (voir paragraphe 16, ci-dessus) et admit avoir fait des repérages avec R.C. en vue de l’attaque du fourgon.

27. Le 8 mars 2005, H.P., l’épouse du défunt L.M. fut également entendue sous le bénéfice de mesures de protection au sujet notamment de l’attaque du fourgon de la B.Z. Elle cita le nom du deuxième requérant mais indiqua ignorer si le premier requérant avait participé à l’attaque du fourgon.

28. Courant 2006, les requérants furent confrontés à plusieurs reprises aux témoins D.S. et H.P. qui maintinrent leurs déclarations.

D. Deuxième arrestation des requérants, et renvoi devant la cour d’assises

29. Entretemps, sur la base des déclarations de D.S. et de H.P., les requérants furent à nouveau placés sous mandat d’arrêt, respectivement le 18 mai et le 8 juin 2005. Devant le juge d’instruction, ils contestèrent les nouveaux indices mis à leur charge, arguant que D.S. était un personnage douteux et qu’il avait négocié son témoignage pour obtenir une impunité pénale. Le deuxième requérant contesta également les déclarations de H.P. Plus tard, le premier requérant admit que l’alibi qu’il avait avancé lors de sa première arrestation (paragraphe 19, ci-dessus) avait été « fabriqué ».

30. Le 28 septembre 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège ordonna la remise en liberté du premier requérant.

31. Le 19 décembre 2006, l’instruction fut clôturée par le juge d’instruction. Le 6 mars 2007, le procureur fédéral requit le renvoi de douze personnes, dont les requérants, devant la juridiction de jugement. Le 26 juin 2007, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège renvoya ces douze inculpés devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège pour décider sur un renvoi éventuel devant la cour d’assises. Le 3 décembre 2007, la chambre des mises en accusation renvoya les douze inculpés devant la cour d’assises de Liège.

32. Quatre personnes, dont le premier requérant, introduisirent un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation. Ces pourvois furent rejetés par la Cour de cassation par un arrêt du 19 mars 2008.

33. En février 2008, D.S. décéda de mort naturelle.

E. Procès devant la cour d’assises de Liège

34. Le 2 juillet 2008, le procureur fédéral déposa l’acte d’accusation, long de 130 pages.

35. Le 3 septembre 2008, le procès s’ouvrit devant la cour d’assises de Liège mettant en cause onze des accusés, dont les requérants, pour les faits liés à l’attaque du fourgon de la B.Z. ainsi que d’autres faits de banditisme.

36. Au cours d’une audience devant la cour d’assises, V., un témoin de l’accusation, révéla qu’une prime avait été versée à R.C. Le président de la cour d’assises invita R.C. à clarifier la situation. Celui-ci déclara à visage découvert qu’il s’était vu attribuer une somme de 50 000 euros (EUR). Il précisa qu’il avait perçu la moitié en 2006 et l’autre juste avant sa comparution devant la cour d’assises en 2008.

37. Le 3 mars 2009, la cour d’assises de Liège acquitta deux accusés et condamna les neuf autres, parmi lesquelles les requérants. Le premier requérant fut condamné pour les faits liés à l’attaque du fourgon en qualité de dirigeant d’une organisation criminelle. La circonstance aggravante de meurtre, de même que celle d’avoir porté ou fait usage d’une arme, ne furent pas retenues à son encontre. Il fut condamné à une peine de quinze ans de réclusion et à une mise à disposition du gouvernement pendant vingt ans. Le deuxième requérant fut condamné pour faits de vol aggravé commis au Luxembourg, ainsi que pour les faits de Waremme et ceux de Dison. La circonstance aggravante de meurtre fut retenue à son encontre dans la tentative de vol à Waremme. Il fut condamné à trente ans de réclusion. La condamnation des requérants reposait également sur les chefs de détention d’armes et du rôle de dirigeant d’une association de malfaiteurs et d’une organisation criminelle.

38. La condamnation prononcée par la cour d’assises de Liège n’étant pas motivée et par référence à l’arrêt de la chambre dans l’affaire Taxquet c. Belgique (no 926/05, 13 janvier 2009), le 30 septembre 2009, la Cour de cassation cassa l’arrêt en tant qu’il statuait sur l’action publique exercée à charge de quatre demandeurs, dont les requérants, et renvoya la cause à la cour d’assises de Bruxelles-Capitale.

F. Procès devant la cour d’assises de Bruxelles-Capitale

39. Le 1er février 2010, le procureur fédéral déposa l’acte d’accusation. Celui-ci contenait in extenso les dépositions des témoins R.C. et D.S. (voir paragraphes 16, 22 et 24, ci-dessus).

40. Le 2 avril 2010, le nouveau procès débuta devant la cour d’assises de Bruxelles-Capitale.

41. Au cours des débats, les requérants déposèrent des conclusions pour contester, sur la base de l’article 6 § 1 de la Convention, la régularité des poursuites en ce qu’elles étaient fondées sur les déclarations de R.C. et de D.S., entretemps décédé.

42. En ce qui concerne les déclarations de R.C., les requérants soutenaient qu’en lui accordant à la fois le statut d’indicateur et celui de témoin protégé et en lui versant confidentiellement une prime en raison de son premier statut alors qu’il était entre-temps devenu témoin, les autorités auraient entretenu une confusion qui a permis à l’accusation de détourner la loi et d’utiliser des renseignements confidentiels, livrés par un indicateur, comme éléments de preuve fournis par un témoin. Tout cela s’était fait, selon les requérants, en l’absence de contrôle par un juge indépendant et impartial de la procédure d’octroi de la protection, en violation du droit à un procès équitable. À cela s’ajoutait que R.C. avait bénéficié du statut de témoin protégé malgré sa participation aux infractions à propos desquelles il témoignait, ce que la loi interdisait. Outre les conséquences de ce statut de « repenti » sur le plan de la valeur probante des déclarations de l’intéressé, cette situation aurait dû, de l’avis des requérants, obliger les autorités publiques à la transparence, alors qu’en l’espèce, les négociations qui avaient précédé les déclarations officielles de R.C. étaient restées dans une totale opacité, en violation du principe du contradictoire et des droits de la défense.

43. En ce qui concerne les déclarations de D.S., les requérants reprochaient aux autorités judiciaires d’avoir utilisé la même stratégie et d’avoir choisi de ne pas poursuivre D.S. des faits auxquels il avait déclaré avoir participé dans le seul but d’utiliser ses déclarations en justice en contrepartie de l’octroi du statut de témoin protégé. De la même manière, ils soutenaient que l’absence de transparence par le ministère public quant aux négociations avec D.S. avait emporté violation du droit de la défense.

44. Par un arrêt interlocutoire du 2 juillet 2010, la cour d’assises déclara non fondée la demande des requérants de déclarer irrecevables les poursuites à leur encontre et ordonna la poursuite immédiate de la procédure. En ce qui concerne les dispositions légales entourant les témoins protégés, la cour s’exprima en ces termes :

« [Les dispositions légales relatives aux mesures de protection] n’accordent pas une qualité ou un statut particuliers à la personne bénéficiant de mesures de protection, ni une valeur probante spécifique aux déclarations de cette personne.

Elles ne donnent pas à la commission de protection des témoins un quelconque pouvoir d’appréciation du contenu des déclarations du témoin menacé, celles-ci pouvant d’ailleurs être postérieures à l’octroi des mesures de protection.

(...)

Les dossiers constitués par la commission de protection des témoins à propos des demandes de mesures de protection dont elle est saisie sont confidentiels.

(...)

Les pièces contenues dans les dossiers (...) ne constituent pas des éléments de preuve sur lesquels sont initiées ou fondées les poursuites par le ministère public.

L’absence de communication de ces pièces à la défense est donc sans influence sur le caractère contradictoire des débats et le caractère équitable du procès.

Au demeurant, nonobstant la circonstance que les membres du ministère public font partie de la commission, le caractère confidentiel des dossiers de cette commission s’impose aussi au ministère public, seuls les membres de cette commission ayant accès au contenu des dossiers et ce exclusivement dans le cadre de l’exercice de leur fonction au sein de la commission.

(...)

(...) l’absence de contrôle par un juge indépendant et impartial de la procédure d’octroi des mesures est sans incidence sur le caractère équitable du procès et sur les droits de la défense.

En ce qui concerne les aides financières octroyées au témoin bénéficiant de mesures spéciales de protection, les décisions de la [commission] sont unilatérales et non le résultat d’une quelconque négociation. Elles ne sont pas liées au contenu des déclarations des témoins.

L’utilisation concrète des aides financières, qui ont pour but d’assurer indirectement la protection des témoins en permettant leur intégration dans la société, est contrôlée par le service de protection des témoins de la police fédérale.

(...)

Il ne résulte ni de l’instruction préparatoire ni des débats dans la présente cause, à savoir des déclarations et dépositions de [R.C.] (...), et des déclarations et dépositions de [D.S.], dont lecture a été faite à l’audience par le président de la cour d’assises que les aides financières octroyées par la [commission] à [R.C.], (...) et [D.S.] et/ou leur famille ne l’auraient pas été dans le respect des conditions légales.

Les accusés se méprennent lorsqu’ils prétendent qu’aucun juge indépendant et impartial ne peut contrôler la nature et le montant des aides financières accordées par la [commission], dès lors qu’à l’audience les témoins ayant bénéficié de telles aides peuvent être interrogés à ce sujet.

Certes D.S., en raison de son décès, n’a pas pu comparaître devant la cour. Toutefois, dans le cadre de l’instruction préparatoire, celui-ci s’est exprimé à ce sujet dans sa déclaration du 28 octobre 2005 (procès-verbal no [...]) dont lecture a été faite publiquement par le président de la cour d’assises à l’audience. »

45. S’agissant ensuite du recours aux indicateurs, la cour fit part de l’analyse suivante :

« Aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu’une personne soit, successivement, à propos des mêmes faits, indicateur et témoin, protégé ou non.

Dans cette hypothèse, seules ses déclarations en qualité de témoin seront prises en considération comme moyen de preuve.

Il n’y a dans le chef du ministère public, aucun détournement de la loi ou déloyauté en appuyant ses poursuites sur des déclarations d’une personne qui accepte de témoigner après avoir fourni, sous le couvert de l’anonymat, des informations à propos des mêmes faits que la partie poursuivante n’invoque pas.

(...)

Dans la présente espèce, les policiers ayant eu connaissance des informations livrées anonymement par des personnes ayant ensuite décidé de témoigner sans révéler le contenu précis de ces informations, ont toutefois déclaré sous serment au cours des débats que les informations n’étaient pas différentes des déclarations faites ensuite par ces personnes figurant dans des pièces de la procédure mais que ces déclarations étaient plus détaillées que les informations.

(...)

Rien n’interdit que, en sa qualité d’indicateur, une personne obtienne un avantage financier et que dans le cadre des mesures spéciales de protection qui lui sont octroyées au moment où elle décide de témoigner, une aide financière lui soit, par ailleurs, accordée.

Ces deux mesures d’ordre financier sont de nature différente.

(...)

L’avantage financier accordé à l’indicateur n’est pas la rétribution d’un témoignage puisque les informations qu’il livre ne sont pas constitutives d’une preuve, n’étant tout au plus qu’un moyen permettant d’initier ou d’orienter une enquête, d’une part, et que, d’autre part, il n’est pas lié à la circonstance que postérieurement à la délivrance d’information, l’indicateur décide ou refuse de témoigner.

L’aide financière accordée au témoin dans le cadre de mesures spéciales de protection n’est pas, non plus, une rétribution d’un témoignage mais un moyen d’insertion qui prend fin lorsque le témoin n’en a plus besoin, qu’il ait ou non témoigné à ce moment.

(...)

La circonstance que la décision unilatérale et non négociée d’accorder un avantage financier à un indicateur et/ou que le paiement effectif de cet avantage interviennent après que l’intéressé a décidé de témoigner et a, éventuellement, bénéficié de mesures de protection n’est pas significative d’une fraude à la loi ou d’une déloyauté du ministère public.

(...)

La cour relève qu’au cours des débats, les témoins [R.C. et (...)] se sont exprimés à propos du montant et des moments où un avantage financier leur a été accordé comme indicateurs. »

46. La cour se pencha enfin sur les éventuels avantages pénaux dont auraient bénéficié les témoins protégés. Elle considéra que nonobstant la circonstance que R.C. avait fait allusion, avant de bénéficier des mesures de protection, de son attente d’obtention d’avantages liés à sa situation carcérale, il n’était pas vraisemblable que des négociations soient intervenues avec le ministère public ni que de tels avantages lui aient été accordés. Elle considéra non fondé le reproche fait par les accusés aux juges d’instruction chargés du dossier de l’attaque du fourgon de ne pas avoir inculpé R.C. dès lors que, dans ses déclarations, celui-ci avait certes reconnu sa participation à des faits susceptibles de constituer des infractions mais dont ces juges d’instruction n’étaient pas saisis. Elle souligna qu’une absence de poursuite pour lesdits faits relevait de l’opportunité des poursuites qui appartenait au seul ministère public. Quant à la mainlevée, le 24 juin 2002, du mandat d’arrêt du 11 mars 2002 décerné à charge de R.C., elle était motivée par les résultats négatifs d’une expertise ADN relative aux faits les plus graves reprochés à l’inculpé et, d’autre part, par la non‑subsistance de l’absolue nécessité pour la sécurité publique de le maintenir en détention préventive. Il en allait de même, selon la cour, de la libération conditionnelle de R.C. le 5 novembre 2002 alors que les conditions légales de celle-ci étaient réunies depuis le 24 juin 2002.

47. En ce qui concerne D.S., la cour releva qu’à aucun moment il n’avait évoqué la recherche d’avantages financiers ou pénaux pour justifier sa demande de protection, celle-ci étant motivée exclusivement par le danger qu’il estimait courir au motif qu’il en savait trop sur les agissements criminels de L.M.

48. Et la cour d’assises de conclure qu’aucun de ces témoins ayant obtenu des mesures de protection ne pouvait être considéré comme étant, de fait, un « repenti » ou un « collaborateur de justice » et qu’aucune des dépositions de ces témoins n’était entachée de nullité qui justifierait qu’elle soit écartée.

49. Le 28 septembre 2010, le jury déclara les requérants coupables notamment de l’attaque du fourgon de la B.Z. en qualité de dirigeants d’une organisation criminelle. Les principales raisons qui avaient conduit le jury à se déterminer ainsi qu’il l’avait fait, furent ensuite résumés comme suit dans un arrêt de motivation de la cour d’assises de la même date :

« La culpabilité [du premier requérant] quant à sa participation à la tentative de vol commise à Waremme le 12 janvier 1998 résulte des déclarations concordantes de [R.C. et D.S.] dont les sources sont différentes. Ces témoignages indirects sont corroborés par l’élément objectif que, sur les lieux des faits, dans le véhicule Chrysler, fut retrouvée une Kalachnikov. [D.S.], lors de la diffusion d’une émission « appel à témoins », a reconnu cette arme comme étant une de celles appartenant à [L.M.], acquise par celui-ci auprès [du requérant].

(...)

Parmi les sources indiquant à R.C. la participation [du requérant] à l’attaque de Waremme se trouvent [le deuxième requérant et J.S.] qui reconnaissent tous deux avoir eu des entretiens avec [R.C.] mais dont ils contestent le contenu.

(...)

La culpabilité [du deuxième requérant] quant à sa participation à la tentative de vol commise à Waremme le 12 janvier 1998 résulte des déclarations concordantes des témoins [R.C., D.S. et H.P.] ainsi que des informations fournies par C.S. confirmées par le témoin E.E. Ces déclarations et informations sont confirmées par des éléments objectifs (...) (liens balistiques relatifs à l’utilisation du même fusil Fal et munitions retrouvées dans un sac confié par [le deuxième requérant] à J.P.M.). »

50. Par un arrêt de condamnation du 30 septembre 2010, la cour d’assises statua sur la peine. En réponse à un moyen de défense des requérants, la cour constata que la durée de la procédure dont se plaignaient les requérants n’était pas déraisonnable eu égard à la multiplicité des faits, au caractère organisé de la criminalité dans laquelle ils s’inscrivaient, au nombre de personnes impliquées, à la complexité de l’enquête et à la masse d’informations à traiter tant au niveau de l’instruction préparatoire qu’au cours des débats. La cour d’assises condamna le premier requérant à une peine de quinze ans de réclusion et le deuxième à une peine de vingt‑cinq ans de réclusion.

51. Invoquant une série de violations de l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre les trois arrêts précités de la cour d’assises de Bruxelles. La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 30 mars 2011.

52. Contre l’arrêt interlocutoire du 2 juillet 2010, les requérants faisaient valoir, au sujet du témoignage de R.C., qu’une déposition ne pouvait être prise en considération que si elle émanait d’un citoyen soucieux de participer à l’œuvre de justice, et non d’une personne qui témoignait par intérêt personnel. La Cour de cassation rejeta ce moyen pour les motifs suivants :

« (...) il appartient au juge du fond de mesurer l’incidence, sur la valeur probante d’un témoignage, de la vénalité prêtée au mobile qui l’inspire. (...) Les motifs qui poussent un témoin à déposer peuvent faire douter de sa crédibilité sans, pour autant, rendre impossible la tenue d’un procès équitable.

L’article 6 précité n’interdit pas (...) au juge de puiser des preuves dans la déclaration d’un témoin protégé conformément aux articles 102 à 111 du Code d’instruction criminelle, et ce même si ce témoin est un indicateur ayant décidé, après avoir fourni des renseignements sous ce statut, de déposer ensuite officiellement en justice. »

53. Les requérants soutenaient que le recours au statut d’indicateur puis de témoin de R.C., alors que la confidentialité avait été conservée quant aux contacts que celui-ci avait eus, en tant qu’indicateur, avec la police, avait emporté violation du principe du contradictoire puisque son témoignage leur fut opposé, ce d’autant plus que ce témoin avait reçu une prime sous couvert de son statut d’indicateur. La Cour de cassation rejeta ces moyens en ces termes :

« La déposition officielle d’une personne ayant précédemment fourni des renseignements sous le statut d’indicateur ne viole pas le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, dès lors qu’elle a pour effet de soumettre le témoignage à la contradiction des parties et à la publicité des débats, et que la confidentialité prescrite par l’article 47decies, § 6, du code d’instruction criminelle ne concerne pas les preuves déférées à la juridiction de jugement.

(...)

Le droit à un procès équitable n’exige ni la communication des renseignements fournis par un indicateur ni celle des données relatives aux contacts qu’il a eus avec les services de police.

L’audition subséquente de cet indicateur à titre de témoin a pour effet de soumettre ses dires à la contradiction des parties. Or l’arrêt constate que, d’après les policiers qui les ont reçues, les déclarations figurant au dossier ne diffèrent pas des informations précédemment livrées de manière confidentielle.

Le demandeur n’est dès lors pas fondé à soutenir que la confidentialité associée à l’intervention de l’indicateur a eu pour effet de soustraire au débat contradictoire des éléments de preuve produits contre lui. »

54. À la critique adressée par les requérants au fait que la procédure d’octroi des mesures d’aide et de protection au témoin menacé n’est pas soumise au contrôle d’un juge et en raison de sa confidentialité ne permet pas à la personne poursuivie d’établir que l’aide financière ne serait que l’achat déguisé d’un témoignage à charge, la Cour de cassation fit valoir ce qui suit :

« L’article 6 de la Convention exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge.

Le droit à la divulgation ne porte ni sur les mesures prises en vue de protéger des témoins risquant des représailles, à peine d’exposer ceux-ci au danger que ces mesures visent à prévenir, ni sur la gestion des contacts entretenus par un fonctionnaire de police avec un indicateur, à peine de compromettre la mise en œuvre de cette méthode particulière de recherche.

Les limites opposées à la divulgation de ces données confidentielles sont suffisamment compensées par la procédure orale et contradictoire suivie devant le jury, puisque le dossier qui lui est soumis ne comprend pas d’autres éléments que ceux communiqués à la défense et que celle-ci a pu, devant la juridiction de jugement, critiquer les déclarations reçues contre l’accusé, tant au point de vue de leur contenu que de leur origine.

L’arrêt décide légalement que l’absence de contrôle, par un juge indépendant et impartial, de la procédure d’octroi des mesures de protection en faveur des témoins menacés, n’a pas d’incidence sur le caractère équitable du procès. »

55. Le premier requérant se plaignait que l’arrêt de motivation du 28 septembre 2010 se fondait sur deux témoignages indirects dont les auteurs avaient été payés pour déposer contre eux. La Cour de cassation déclara ce moyen irrecevable dans la mesure où il reposait sur une prémisse gisant en fait. Pour le surplus, elle considéra que l’article 6 § 1 de la Convention n’avait pas vocation à régir l’appréciation, par le jury, de la valeur probante des éléments qui lui étaient soumis. Elle rejeta également le moyen tiré par le deuxième requérant de l’insuffisance et de la non‑pertinence des éléments retenus par les jurés pour corroborer les déclarations des témoins protégés.

56. Le premier requérant reprochait enfin à l’arrêt du 30 septembre 2010 statuant sur la peine de ne pas avoir tenu compte du caractère anormalement long des procédures menées contre les requérants au moment de prononcer la peine. La Cour de cassation rejeta le moyen considérant que, sur la base des circonstances relevées à la lumière des données concrètes de la cause, la cour d’assises avait pu légalement exclure le dépassement du délai raisonnable.

G. Libération du premier requérant

57. Le 9 février 2016, le tribunal d’application des peines de Bruxelles se prononça en faveur de la libération sous surveillance électronique du premier requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Témoins protégés

58. La loi du 7 juillet 2002 contenant des règles relatives à la protection des témoins menacés et d’autres dispositions a inséré dans le code d’instruction criminelle (« CIC ») un chapitre consacré à la protection des témoins menacés, formé des articles 102 à 111.

59. Le témoin menacé est défini comme une personne mise en danger à la suite de déclarations faites ou à faire durant l’information ou l’instruction d’une affaire pénale et qui est disposée à confirmer ces déclarations sur demande à l’audience de la juridiction de jugement. Le statut du témoin protégé ne peut être accordé à un inculpé ou un prévenu qui témoignerait à l’encontre des autres inculpés ou prévenus.

60. La loi a institué une commission de protection des témoins composée du procureur fédéral, d’un procureur du Roi, d’un procureur général, du directeur général de la police judiciaire de la police fédérale, du directeur des unités spéciales de la police fédérale (actuellement le directeur de la direction centrale des opérations de la police judiciaire), d’un représentant du ministère de la Justice et d’un représentant du ministère de l’Intérieur, ces deux derniers n’ayant qu’une compétence consultative.

61. La commission a la compétence exclusive en matière d’octroi, de modification ou de retrait de mesures de protection ordinaires ou spéciales et, à l’égard d’un témoin menacé qui bénéficie de mesures de protection spéciales, de mesures d’aide financière. Elle est saisie par une demande écrite du procureur du Roi, du procureur général, du procureur fédéral ou du juge d’instruction.

62. La loi subordonne l’octroi des mesures aux principes de proportionnalité et de subsidiarité. Elle précise que les mesures spéciales sont réservées aux personnes apportant leur témoignage dans le cadre d’affaires concernant une infraction pour laquelle une écoute téléphonique peut être autorisée, une infraction commise dans le cadre d’une organisation criminelle ou une violation grave du droit international humanitaire.

63. La loi prévoit des mesures de protection ordinaires telles que la protection des données auprès des services de la population et de l’état civil, l’organisation de patrouilles par les services de police, l’enregistrement des appels entrants et sortants, la protection physique rapprochée, etc. Elle prévoit également des mesures spéciales, dans les cas où la protection ordinaire ne suffira pas. À l’époque, ces mesures comprenaient l’attribution d’une nouvelle résidence et le changement d’identité.

64. Les mesures de protection octroyées à un témoin menacé sont retirées lorsqu’elles n’ont plus de raison d’être ou lorsque le témoin est formellement inculpé ou poursuivi par le ministère public pour les faits sur lequel il fait témoignage.

65. La décision de la commission est motivée. Elle mentionne les mesures de protection spéciales et les aides financières éventuellement octroyées. Les décisions de la commission ne sont susceptibles d’aucun recours.

66. La loi précitée prévoit l’octroi d’une assistance économique aux témoins protégés et à leur famille en vue de faciliter leur intégration dans la société et donc de garantir leur sécurité. Elle correspond en pratique à un montant se situant entre le revenu minimum garanti et l’allocation de chômage et est soumis à un contrôle strict par rapport aux objectifs de protection et de socialisation (Documents parlementaires, Chambre des représentants, 2001-2002, no 1483/002).

B. Indicateurs

67. Au terme de l’article 47decies du CIC, inséré dans ledit code par la loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquête, le recours aux indicateurs est le fait, pour un fonctionnaire de police, d’entretenir des contacts réguliers avec une personne, appelée indicateur, dont il est supposé qu’elle entretient des relations étroites avec une ou plusieurs personnes à propos desquelles il existe des indices sérieux qu’elles commettent ou commettraient des infractions et qui fournit à cet égard au fonctionnaire de police des renseignements ou des données, qu’ils aient été demandés ou non.

68. Le recours aux indicateurs est autorisé pour toutes les infractions. Un gestionnaire national des indicateurs ainsi qu’un gestionnaire local des indicateurs exercent un contrôle permanent sur la fiabilité des indicateurs, et veillent au respect des règles et des procédures. Ils agissent sous l’autorité, respectivement, du procureur fédéral et du procureur du Roi.

69. Le recours aux indicateurs implique la constitution et la tenue d’un dossier séparé et confidentiel contenant les rapports du gestionnaire local concernant les informations fournies par les indicateurs à propos d’infractions commises ou sur le point d’être commises. Seul le procureur du Roi a accès au dossier confidentiel. Le contenu de ce dossier est couvert par le secret professionnel.

70. Le juge d’instruction a, en vertu de l’article 56bis du CIC, un droit de consultation de ce dossier lorsqu’il a lui-même autorisé le recours aux indicateurs, ou lorsque l’affaire a été mise à l’instruction, mais sans pouvoir mentionner son contenu. Les juridictions d’instruction, les juridictions de fond, l’inculpé et les parties civiles n’y ont pas accès.

71. Le procureur du Roi décide si, en fonction de l’importance des informations fournies et en tenant compte de la sécurité de l’indicateur, il en dresse procès-verbal. Si ce procès-verbal porte sur une information (par le ministère public) ou une instruction (par un juge d’instruction) en cours, le procureur du Roi est chargé de le joindre au dossier répressif.

72. Saisie d’un recours en annulation de la loi de 2003 précitée qui tirait notamment moyen de la violation de l’article 6 de la Convention du fait de l’inexistence d’un contrôle du juge d’instruction ou des juridictions d’instruction sur la légalité de la méthode, la Cour constitutionnelle rejeta le moyen, par un arrêt no 202/2004 du 21 décembre 2004, en ces termes :

« Le dossier confidentiel concernant les indicateurs n’a pas la même portée ni le même contenu que le dossier confidentiel relatif à la mise en œuvre d’une observation ou d’une infiltration. Il ne contient en principe pas de preuves qui seront utilisées dans un procès ultérieur. Celles-ci doivent en effet faire l’objet du procès-verbal visé à l’article 47decies, § 6, alinéa 4. »

73. Les dispositions spécifiques du CIC relatives à l’anonymat des témoins (articles 86bis à 86quinquies) ne s’appliquent pas aux renseignements obtenus via des indicateurs. Selon la Cour de cassation, les déclarations anonymes recueillies en dehors du champ d’application de ces dispositions n’ont pas de force probante mais peuvent être prises en considération pour ouvrir ou orienter une enquête et rassembler des preuves de manière autonome, ou pour en apprécier la cohérence (Cass., 23 mars 2005, P.04.1528.F).

C. Témoignages devant la cour d’assises

74. Les dispositions applicables en l’espèce figuraient dans le code d’instruction criminelle (CIC) tel qu’il était en vigueur à l’époque du procès devant la cour d’assises de Bruxelles.

75. Le principe de base dans un procès en assises est que les débats concernant la preuve des charges fondant l’accusation soient oraux. Toutes les parties peuvent appeler à témoigner toutes les personnes dont l’audition leur paraît utile (article 324 du CIC).

76. L’article 317 alinéa 2 du CIC porte que les témoins déposent oralement. Par dérogation à ce principe, les déclarations des témoins qui sont décédés peuvent être lues par le président (article 354 du CIC). L’article 318 du CIC prévoit également que le président fait tenir, d’initiative ou sur demande des parties, par le greffier des additions, changements ou variations qui peuvent exister entre la déposition d’un témoin et ses précédentes déclarations.

77. Avant de déposer les témoins prêtent serment de dire la vérité et rien que la vérité (article 317 alinéa 1 du CIC).

78. Le président peut demander aux témoins tous les éclaircissements qu’il juge nécessaires à la manifestation de la vérité ; les juges et les jurés ont la même faculté mais doivent demander la parole au président. Les parties et le procureur général ne peuvent poser de questions que par l’intermédiaire du président (article 319 du CIC).

79. Après chaque déposition, le président demande au témoin s’il persiste dans ses déclarations et si tel est le cas, il doit ensuite demander au procureur général, à l’accusé et à la partie civile s’ils ont des observations à faire sur ce qui a été déclaré (article 320 du CIC).

80. L’accusé, la partie civile et le procureur général peuvent demander, après l’audition des témoins, que ceux qu’ils désignent quittent la salle d’audience, et qu’un ou plusieurs d’entre eux soient introduits et entendus à nouveau (article 326 du CIC).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QU’ELLE CONCERNE L’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE

81. Les requérants allèguent que leur condamnation sur la base de témoignages de « repentis » a porté atteinte à l’équité de la procédure en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

82. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité. Les arguments développés par les requérants en ce qui concerne les témoins protégés et les « repentis » ont déjà fait l’objet d’un débat contradictoire devant les juridictions nationales et reviennent à mettre en cause leur décision sur la recevabilité des preuves. Il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les juridictions internes.

83. Les requérants soutiennent qu’il est normal que dans le débat porté devant la Cour sur le point de savoir si leur condamnation a été prononcée à l’issue d’une procédure globalement équitable soit discutée la manière dont les juridictions nationales ont répondu aux arguments développés par la défense quant à une éventuelle violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

84. La Cour tient à rappeler qu’en vertu de l’article 19 de la Convention, elle a pour seule tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne dans l’appréciation des preuves dont elle était saisie, sauf si et dans la mesure où ces erreurs pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés protégés par la Convention (Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 99, CEDH 2016).

85. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (voir paragraphe 94, ci-dessous). Elle rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a globalement été équitable (Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 101, CEDH 2015, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, § 250, CEDH 2016). La Cour considère que les griefs tels que formulés par les requérants s’inscrivent dans ce cadre et interrogent la Cour sur le point de savoir si la procédure dans son ensemble a été équitable. L’examen de ces griefs relève donc de la juridiction de la Cour.

86. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

87. Les requérants soutiennent qu’ils ont été condamnés sur la base de déclarations fournies par R.C. et D.S. qui n’étaient pas des témoins « ordinaires » mais des « repentis » en ce sens qu’ils étaient issus du milieu criminel et ont témoigné par intérêt personnel en échange d’avantages. La manière dont les témoignages ont ainsi été recueillis suscitait des questions particulières quant à l’équité du procès et les autorités auraient dû veiller à fournir des garanties procédurales particulières.

88. En ce qui concerne R.C., il ressort de la chronologie des événements qu’en plus d’une prime, il a bénéficié d’avantages pénaux : il n’a pas été poursuivi pour la participation dans les faits qu’il a dénoncés, son mandat d’arrêt a été levé et il a obtenu une libération anticipée en raison de sa collaboration avec les autorités. Indépendamment de la nature de la collaboration (confidentielle puis officielle), les accusations ont été portées par une personne qui a reçu des avantages en contrepartie de sa collaboration avec la justice dans la même procédure à propos des mêmes faits. Il était disproportionné de dissimuler le déroulement exact et le contenu des négociations à la suite desquelles un tel témoignage à charge a été livré. Sachant que R.C. était devenu témoin avant même d’avoir reçu la moindre prime, rien ne justifiait que ces informations, qui étaient en possession du ministère public, aient été dissimulées à la défense et au jury si ce n’est pour éviter que soient contestées la régularité de la procédure et la valeur probante du témoignage.

89. Les requérants allèguent que leur condamnation est fondée exclusivement sur les témoignages de R.C. et D.S. Or ces témoignages, vu les circonstances dans lesquelles ils ont été recueillis, devaient être corroborés par des éléments objectifs de preuve de la culpabilité des requérants. En ce qui concerne le premier requérant, l’élément pris en compte par la cour d’assises de Bruxelles, qu’une arme aurait été trouvée dans le véhicule abandonné sur le lieu des faits, ne pouvait être retenu comme un élément de preuve de culpabilité à défaut d’avoir pris en compte la contradiction des déclarations de D.S. au sujet de l’origine de cette arme. De même, affirmer comme l’a fait la cour d’assises que la culpabilité du deuxième requérant résultait des déclarations concordantes de R.C. et D.S. sans rencontrer les contradictions dans ces déclarations présentées par lui relève de l’affirmation gratuite qui ne constitue pas une preuve de culpabilité.

90. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié de suffisamment de garanties procédurales pour compenser l’utilisation par la cour d’assises desdits témoignages. À la différence de l’affaire Cornelis c. Pays-Bas ((déc.), no 994/03, 25 mai 2004), les accords passés entre les autorités policières et les témoins avant leur déposition officielle n’ont pas été soumis au contrôle d’un juge ni à la contradiction des requérants. Sans ces éléments qui auraient permis d’apprécier la crédibilité et la fiabilité des témoignages, l’interrogation de R.C. n’a pu être faite de manière approfondie et les jurés n’ont pas pu évaluer en pleine connaissance de cause les risques que lesdits témoignages représentaient pour l’équité du procès.

b) Le Gouvernement

91. Le Gouvernement réfute la thèse des requérants selon laquelle les témoins R.C. et D.S. auraient bénéficié d’avantages illicites négociés avec les autorités belges. Il précise également que, si les deux témoins ont effectivement bénéficié de mesures de protection, techniquement seul R.C. a eu, pendant très peu de temps, le statut d’indicateur. En tout état de cause, le défraiement, légal, d’un indicateur ne peut constituer en soi une atteinte à un procès équitable dès lors que les informations perçues n’ont pas de valeur probante et ne reposent pas au dossier pour servir de preuve à l’encontre de l’accusé. De plus, bien qu’un des témoignages émanait d’une personne, R.C., qui avait antérieurement été interrogée confidentiellement sous le statut d’indicateur, il s’agissait de témoignages « ordinaires » dont le contenu n’a pas varié au cours de la procédure. R.C. a été interrogé officiellement et à visage découvert lors des débats devant la cour d’assises de Bruxelles-Capitale sur tous les éléments de la cause et de son témoignage, en ce compris la question de son défraiement. Les témoignages portés par R.C. et D.S. et utilisés par la cour d’assises pour condamner les requérants ne posaient donc pas de risques particuliers pour l’équité de la procédure.

92. Contrairement à la lecture donnée par les requérants, il ressort clairement de l’arrêt de la cour d’assises, selon le Gouvernement, qu’à l’instar de l’affaire Cornelis précitée, les jurés ne se sont pas basés exclusivement ni de façon déterminante sur ces témoignages pour rendre leur verdict. La défense, si elle n’a pas pu avoir accès au dossier confidentiel « indicateur », a eu connaissance de tout le dossier de procédure et a pu contradictoirement soulever des objections et développer ses arguments relatifs au statut particulier des témoins R.C. et D.S.

93. La non-divulgation des déclarations faites par ces deux témoins avant leurs dépositions officielles et des données relatives à la procédure d’octroi du statut de témoin protégé n’a pas présenté de risques particuliers pour l’équité du procès puisque ces déclarations étaient confidentielles et n’ont de toute façon pas servi de preuve contre les requérants. La défense a été confrontée aux déclarations des témoins et a pu débattre contradictoirement ces derniers. En outre, il ressort des affirmations des services compétents que les informations fournies par R.C. et D.S. avant leurs dépositions officielles n’étaient pas différentes de celles effectuées en tant que témoins protégés.

2. Appréciation de la Cour

94. La Cour rappelle que, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir paragraphe 85, ci‑dessus).

95. Elle rappelle ensuite que sa tâche, conformément à l’article 19 de la Convention, consiste à s’assurer du respect des engagements pris par les États parties à la Convention (voir paragraphe 84, ci-dessus). Il ne lui appartient donc pas de se prononcer, par principe, sur la recevabilité des éléments de preuve retenus par les juridictions internes pour établir la culpabilité des requérants (voir, mutatis mutandis et parmi d’autres, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002‑IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 95, CEDH 2006‑IX, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 89, 10 mars 2009, et Ibrahim et autres, précité, § 254). Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente en effet pas la recevabilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 162 et 175, CEDH 2010, et Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 118).

96. Pour mener à bien sa tâche, la Cour envisage la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis ainsi que, si nécessaire, des droits des témoins (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 118, et Schatschaschwili, précité, § 101).

97. Les requérants soutiennent que les témoignages litigieux ont été obtenus en dehors de tout cadre légal, émanaient d’indicateurs « repentis » dont la collaboration avec la justice avait été négociée, confidentiellement et contre l’octroi d’avantages, par les autorités de poursuite, et qu’ils n’avaient donc aucune valeur probante. Ils se plaignent que la non-divulgation des échanges entre les autorités de poursuite et d’enquête et les témoins litigieux avant qu’ils ne témoignent officiellement a, en réalité, empêché la cour d’assises de vérifier la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuve retenus contre eux et de constater qu’ils avaient été négociés par lesdites autorités en échange d’avantages pénaux.

98. Par un arrêt interlocutoire du 2 juillet 2010, la cour d’assises de Bruxelles-Capitale a analysé en détail l’ensemble des arguments invoqués par les requérants et, jugeant que les témoignages dénoncés par les requérants pouvaient être admis comme éléments de preuve, rejeté leur demande d’écarter ces témoignages (voir paragraphes 44-48, ci-dessus). La cour d’assises jugea que les allégations des requérants, selon lesquelles les deux témoins étaient des « repentis » et avaient bénéficié d’avantages pénaux, n’étaient pas fondées. Elle souligna qu’aucune disposition de droit belge ne faisait obstacle à ce qu’une personne soit successivement, à propos des mêmes faits, indicateur et témoin ni à ce qu’elle perçoive des aides financières à ces différents titres. Dans cette hypothèse, seules les déclarations faites en tant que témoin sont prises en compte comme moyen de preuve. La cour d’assises rappela que ni les déclarations d’indicateurs figurant au dossier confidentiel constitué par le ministère public ni ceux figurant au dossier constitué par la commission de protection des témoins ne contenaient et ne pouvaient contenir des éléments de preuve dans un procès ultérieur. Dans ces conditions, la cour d’assises jugea que l’absence de communication à la défense des pièces contenues dans lesdits dossiers ainsi que l’absence de contrôle par un juge de la procédure d’octroi des mesures de protection étaient sans influence sur le caractère contradictoire des débats, les droits de la défense et le caractère équitable du procès.

99. La Cour observe à titre préalable que, malgré l’absence d’un tel statut en droit belge, rien ne s’oppose à considérer qu’en l’espèce, les témoins litigieux étaient des « repentis ». Il lui suffit de constater que ces témoins étaient tous deux issus du milieu criminel et ont bénéficié d’avantages financiers. Elle est en outre d’avis, à la lumière de la chronologie des faits (voir paragraphes 11-17, ci‑dessus), que les requérants ont pu légitimement suspecter R.C. d’avoir bénéficié de certains avantages pénaux en contrepartie de ses déclarations.

100. La Cour rappelle que l’utilisation de déclarations faites par des témoins en échange d’une immunité ou d’autres avantages peut compromettre l’équité de la procédure menée contre l’accusé et soulever des questions délicates dans la mesure où, par leur nature même, de telles déclarations se prêtent à la manipulation et peuvent être faites uniquement en vue d’obtenir les avantages offerts en échange ou à titre de vengeance personnelle. Ainsi, le risque qu’une personne puisse être accusée et jugée sur la base d’allégations non vérifiées qui ne sont pas nécessairement désintéressées ne doit pas être sous-estimé (Cornelis, décision précitée, Vladislav Atanasov c. Bulgarie (déc.), no 20309/02, 3 mars 2009, et Shiman c. Roumanie (déc.), no 12512/07, § 33, 2 juin 2015 ; voir également, mutatis mutandis, sur l’utilisation de déclarations par des repentis sous l’angle de l’article 5 § 3, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 157, CEDH 2000‑IV, et Ereren c. Allemagne, no 67522/09, § 59, 6 novembre 2014).

101. Quant à la circonstance spécifique, admise par la cour d’assises de Bruxelles-Capitale, qu’un des témoins, R.C., avait été un indicateur, la Cour rappelle que la Convention n’empêche pas de s’appuyer au stade de l’enquête préliminaire, et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs anonymes. Toutefois, l’emploi ultérieur de telles sources par le juge du fond pour fonder une condamnation soulève un problème différent et n’est acceptable que s’il est entouré de garanties adéquates et suffisantes contre les abus et notamment d’une procédure claire et prévisible pour autoriser, exécuter et contrôler les mesures d’investigation dont il s’agit (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, et Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, § 53, CEDH 2008).

102. Cela étant, la Cour rappelle également, comme l’a souligné la Cour de cassation (voir paragraphes 52-55, ci-dessus) et contrairement à ce que soutiennent les requérants, que l’utilisation de déclarations dont l’origine est douteuse ne rend pas impossible la tenue d’un procès équitable (voir, notamment, les décisions Cornelis, Vladislav Atanasov, et Shiman, précitées).

103. En l’espèce, la Cour est d’avis, à l’examen de la chronologie des faits et au vu du cumul des statuts d’indicateur et de témoin ainsi que des profils des deux témoins litigieux, que la frontière entre ce qui constitue et ne constitue pas un élément de preuve ne paraît pas aussi étanche que ce que la cour d’assises a affirmé et que les requérants ont pu légitimement se demander si leur accusation et leur condamnation ne reposaient pas sur des allégations qui n’avaient pas été pleinement vérifiées, venant de personnes qui n’étaient pas nécessairement désintéressées.

104. Cela étant, la Cour relève que les témoins en cause, R.C. et D.S., bien que bénéficiaires de mesures de protection, n’ont pas bénéficié de l’anonymat et que leur identité était connue des requérants. De plus, elle estime, avec les juridictions internes, important que les policiers, qui ont recueilli les informations de R.C. et D.S., ont déclaré sous serment que ces informations initiales n’étaient pas en substance différentes des dépositions officielles faites ensuite par ces personnes et figurant parmi les pièces du dossier répressif, qui était un dossier accessible à la défense (voir paragraphe 45, ci-dessus).

105. Sur le point de savoir si, comme s’en plaignent les requérants, les déclarations des témoins R.C. et D.S. ont constitué le fondement déterminant de la condamnation des requérants, la Cour note que d’autres éléments tels que la balistique ou d’autres témoignages « non-suspects » concordants avec ceux des témoins sont entrés en considération (voir paragraphe 49, ci-dessus) bien que, comme le soulignent les requérants (voir paragraphe 89, ci-dessus), la solidité de ces éléments pris isolément était sujette à caution.

106. Quoiqu’il en soit, il est manifeste que lesdits témoignages revêtaient un poids certain. Étant donné les circonstances particulières ayant entouré leurs dépositions et les difficultés que leur admission a nécessairement causé à la défense (voir paragraphes 97-104, ci-dessus), la Cour estime qu’elle doit examiner si ces difficultés ont été dûment prises en compte pour assurer que la procédure puisse être considérée dans son ensemble comme équitable.

107. La Cour constate qu’au cours des débats devant la cour d’assises de Bruxelles-Capitale, amenée à statuer sur la culpabilité des requérants, un des témoins, R.C., était présent. Il a fait l’objet d’une audition et a pu faire l’objet d’un contre-interrogatoire par la défense conformément aux règles qui régissent le déroulement des procès d’assises en droit belge (voir paragraphes 74-80, ci-dessus).

108. L’autre témoin, D.S., n’a en revanche pas pu être interrogé aux cours des débats devant la cour d’assises puisqu’il était décédé avant l’ouverture du premier procès. Bien que les observations des requérants ne portent pas sur cet aspect pris isolément, la Cour relève que les dépositions de D.S. ont été lues aux jurés par le président (voir paragraphe 44, ci‑dessus).

109. La Cour rappelle que dans l’affaire Al-Khawaja et Tahery précitée, le témoin capital dans le procès contre Al-Khawaja, dont les dépositions avaient été recueillies par la police et lues aux jurés, était absent en raison de son décès avant l’ouverture du procès. La Cour a recherché si des éléments compensateurs suffisants avaient contrebalancé les difficultés qui en avaient résulté pour la défense pour que la procédure puisse être considérée comme équitable (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 153-158).

110. En l’espèce, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, il ressort de l’acte d’accusation que les deux témoins R.C. et D.S. se connaissaient à peine (voir paragraphe 23, ci-dessus). La cour d’assises dans la motivation des déclarations de culpabilité des requérants a souligné que les déclarations de ces deux témoins étaient concordantes, alors que leurs sources étaient différentes (voir paragraphe 49, ci-dessus). La Cour considère que les témoignages concordants de R.C. et de D.S., de source différente et apportés à des moments différents, ont constitué un « tout » qui a pu convaincre le jury au-delà de tout doute raisonnable.

111. La circonstance soulevée par les requérants qu’ils émanaient de personnes issues du milieu criminel et qui pourraient avoir été indirectement mêlées aux faits pour lesquels les requérants ont été condamnés (voir paragraphes 15 et 24, ci-dessus) ne change rien à ce constat (voir, mutatis mutandis, Jerino c. Italie (déc.), no 27549/02, 7 juin 2005).

112. La Cour note ensuite que les requérants, s’ils n’ont pas pu avoir accès au dossier confidentiel « indicateur » ni aux dossiers de la commission de protection des témoins, ont eu connaissance de tout le dossier répressif. De manière générale, ils n’invoquent d’ailleurs aucun obstacle en tant que tel à la préparation de leur défense devant la cour d’assises.

113. De plus, et ce qui est très important, les requérants n’ont pas été empêchés de contester la fiabilité des témoins ni le contenu et la crédibilité de leurs dépositions, et ce tout au long de la procédure. Après la confrontation avec les témoins au cours de l’instruction, des débats contradictoires se sont tenus devant la cour d’assises sur la base notamment des déclarations écrites de D.S. et de la déposition faite par R.C. en audience publique, comparaissant à visage découvert et pouvant être interrogé par les requérants. Tous les arguments invoqués par les requérants ont été rencontrés et examinés minutieusement par la cour d’assises d’abord et par la Cour de cassation ensuite.

114. La Cour tient en outre pour acquis, à défaut d’allégations contraires de la part des requérants, qu’au cours des débats, le ministère public ne s’est nullement prévalu des éléments non divulgués et que ceux-ci n’ont pas été portés à la connaissance du jury.

115. La Cour relève ensuite que la circonstance que les témoignages émanaient de personnes issues du milieu criminel qui pouvaient avoir été indirectement mêlées aux faits pour lesquels les requérants ont été condamnés, était connue de la cour d’assises. Il s’agit également, aux yeux de la Cour, d’une donnée importante qui lui permet de considérer, contrairement à ce que soutiennent les requérants, que les jurés étaient à même d’évaluer les risques que représentaient leur témoignages sur le procès équitable.

116. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que c’est à bon droit que la Cour de cassation a considéré, par son arrêt du 30 mars 2011, que les limites opposées à la divulgation de certaines pièces du dossier ont, en l’espèce, été suffisamment compensées par la procédure orale et contradictoire suivie devant la juridiction de jugement.

117. La Cour conclut que la procédure dans son ensemble a été entourée de garanties suffisamment solides et n’a pas manqué d’équité à l’égard d’aucun des deux requérants.

118. Partant, en ce que la requête concerne l’équité de la procédure, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QU’ELLE CONCERNE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

119. Les requérants se plaignent en outre que la durée excessive de la procédure n’a pas été prise en compte par la cour d’assises de Bruxelles‑Capitale au moment de prononcer les peines le 30 septembre 2010. Ils y voient une violation de l’article 6 § 1 de la Convention dont la partie pertinente se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

120. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare dès lors recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

121. Les requérants se plaignent que la durée excessivement longue de la procédure, qui s’est étalée de 2002 à 2011, n’a pas été prise en compte par la cour d’assises de Bruxelles-Capitale dans la fixation des peines qui leur furent infligées.

122. Le Gouvernement explique qu’il s’agissait d’une affaire hors norme, d’une complexité exceptionnelle : dix-huit dossiers initiaux qui furent joints en 2007, douze assassinats, vingt-sept faits de grand banditisme, 143 cartons au dossier de la procédure et vingt‑trois constitutions de partie civile. Il faut également tenir compte du comportement des requérants et du fait qu’en raison de la « loi du silence » qui prévaut dans ce type de milieu criminel, il a été très difficile d’avancer rapidement au stade de l’enquête et de l’instruction. Ce n’est qu’avec les témoignages de R.C. et de D.S. que d’autres éléments à charge ont été découverts et que l’enquête, qui stagnait, est repartie. Le retard ainsi pris peut être évalué à environ trois années. Une fois de nouveaux éléments probants à leur disposition, les enquêteurs ont bouclé l’enquête en un an et demi. Les requérants ont par ailleurs utilisé toutes les voies de recours à leur disposition et fait usage de la faculté de demander des devoirs d’enquête complémentaires qui se sont nécessairement ajoutés à la durée globale du procès. Il en résulté un procès hors norme qui a connu des aléas tels que la cassation de l’arrêt de la cour d’assises de Liège prononcé à peine un mois et demi après l’arrêt d’une chambre de la Cour dans l’affaire Taxquet c. Belgique (no 926/05, 13 janvier 2009). Sous réserve de ces éléments, les différentes étapes de la procédure se sont déroulées dans des délais très raisonnables et aucune inertie ne peut, en tout état de cause, être imputée aux autorités.

2. Appréciation de la Cour

123. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et des autorités compétentes. En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012).

124. La Cour observe que les requérants ont été une première fois arrêtés le 31 octobre 2002 pour le premier requérant et le 4 novembre 2002 pour le second, dates qu’elle retient comme point de départ de la procédure pénale en cause (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 18, série A no 8). Le dernier jugement définitif a été rendu le 30 mars 2011 avec l’arrêt de la Cour de cassation qui rejeta le pourvoi des requérants dirigé contre l’arrêt de condamnation de la cour d’assises de Bruxelles-Capitale du 28 septembre 2010. Par conséquent, la procédure a duré huit ans et cinq mois, période qui englobe le stade de l’instruction et l’examen de l’affaire à deux niveaux de juridiction.

125. La Cour constate que l’affaire était d’une extrême complexité compte tenu, comme l’ont souligné les juridictions internes (voir paragraphes 50 et 56, ci-dessus), de la multiplicité des faits, du caractère organisé de la criminalité dans laquelle ils s’inscrivaient, du nombre de personnes impliquées, de la difficulté de l’enquête et de la masse d’information à traiter tant au niveau de l’instruction préparatoire qu’au cours des débats.

126. La Cour note ensuite que les requérants ont exercé des recours et ont formulé de nombreuses demandes. Elle rappelle, à ce sujet, que l’on ne peut pas reprocher aux requérants d’avoir tiré parti des voies de recours que leur ouvrait le droit interne (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 148, 10 septembre 2010).

127. En ce qui concerne le comportement des autorités, la Cour observe que la procédure a été dans son ensemble conduite avec une diligence suffisante (voir, pour une appréciation analogue dans une affaire d’une « complexité toute particulière », Neumeister, précité, § 21). Le seul prolongement de la durée de la procédure qui pourrait être imputé aux autorités résulte de la circonstance que, pour tenir compte de la jurisprudence Taxquet précitée, le premier verdict en assises ait été annulé et que le procès ait dû être entièrement recommencé (voir paragraphe 38, ci‑dessus).

128. Se livrant à une appréciation globale de la complexité de l’affaire et du comportement des parties, la Cour estime que la durée totale de la procédure ne s’est pas prolongée au-delà de ce qui peut passer pour raisonnable au vu des circonstances particulières de la cause.

129. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les requêtes recevables ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’équité de la procédure ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente


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