La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/10/2016 | CEDH | N°001-166955

CEDH | CEDH, AFFAIRE RICHMOND YAW ET AUTRES c. ITALIE, 2016, 001-166955


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE RICHMOND YAW ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 3342/11, 3391/11, 3408/11 et 3447/11)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2016

DÉFINITIF

06/01/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Richmond Yaw et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Gu

ido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Abel Campos, greffier de sect...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE RICHMOND YAW ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 3342/11, 3391/11, 3408/11 et 3447/11)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2016

DÉFINITIF

06/01/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Richmond Yaw et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent quatre requêtes (nos 3342/11, 3391/11, 3408/11 et 3447/11) dirigées contre la République italienne et dont quatre ressortissants ghanéens, MM. Taky Berko Richmond Yaw, Yaw Ansu Matthew, Darke Isaac Kwadwo et Dominic Twumasi (« les requérants »), nés respectivement en 1974, en 1983, en 1979 et en 1986, ont saisi la Cour le 26 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me A. Ferrara, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.

3. Les requérants se plaignaient en particulier de la détention subie par eux aux fins d’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière.

4. Le 5 mars 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. Tant les requérants que le gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites. En outre, des commentaires ont été reçus de la part d’une association non gouvernementale, l’International Commission of Jurists (« l’ICJ »).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont quatre ressortissants ghanéens qui ont fui leur pays en raison d’affrontements interreligieux et qui sont arrivés en Italie en juin 2008.

6. Le 20 novembre 2008, le préfet de Caserte notifia des décrets d’expulsion aux requérants. Ces décrets prévoyaient que les requérants devaient être reconduits à la frontière une fois ces décisions validées par le juge de paix.

7. Le même jour, la préfecture imposa aux requérants un placement dans le centre de rétention temporaire (dit aussi « centre d’expulsion et d’identification » – « le CIE ») de Ponte Galeria, à Rome, afin de procéder à leur identification.

8. Le 24 novembre 2008, le juge de paix de Rome valida le placement dans le CIE.

9. Le 11 décembre 2008, le chef de la police (questore) demanda au juge de paix de Rome de proroger le placement des requérants de trente jours.

10. Le 15 décembre 2008, les requérants introduisirent une demande officielle de protection internationale.

11. Le 17 décembre 2008, sans prévenir ni les requérants ni leur avocat, le juge de paix de Rome prorogea ledit placement jusqu’au 23 janvier 2009 au motif que la procédure d’identification des intéressés n’avait pas été achevée.

12. Les requérants reçurent la notification de la décision de prolongation, qui se lisait ainsi :

« Après avoir lu la requête formulée par le préfet de police de Rome, concernant la prolongation de la période visée à l’article 14 alinéa 5 du décret législatif no286 de 1998, modifié par la loi 189 de 2002, considérant que les éléments requis à cette fin existent et que les vérifications concernant le ressortissant étranger sont encore en cours, le juge de paix proroge le placement dans le centre de rétention pour une période de trente jours.

J’ai lu et signé la mesure adoptée à mon égard et j’ai reçu une copie de ce document traduit en anglais, français et espagnol. »

13. Le 14 janvier 2009, les requérants furent libérés en raison de l’introduction de leur demande de protection internationale.

Le 23 janvier 2009, ils furent convoqués devant le chef de la police pour formaliser ladite demande et l’audience devant la commission pour l’octroi du statut de réfugié fut fixée au 19 mars 2009.

14. Le 16 février 2009, les requérants saisirent la Cour de cassation d’un recours visant à l’annulation de la décision du juge de paix de Rome du 17 décembre 2008.

15. Le 5 juin 2009, le juge de paix de Caserte annula les décrets d’expulsion.

16. Par un arrêt du 8 juin 2010, la Cour de cassation accueillit le pourvoi des requérants, cassa la décision du juge de paix de Rome et déclara nulle la décision de placement en rétention au motif qu’elle avait été adoptée de plano, sans audience et sans la participation des requérants et de leur avocat. Dans sa décision, la haute juridiction rappelait qu’elle avait déjà affirmé en 2010 que les principes fixés à l’article 14, alinéas 5 et 6 du décret-loi no 286/98 s’appliquaient également à la prolongation de la mesure de placement en rétention et que par conséquent la décision du juge de paix adoptée de plano, sans respect du principe du contradictoire, était nulle.

Ensuite, la Cour de cassation rappelait que la Cour constitutionnelle, qui s’était penchée sur la constitutionnalité de l’article 13, alinéa 5 bis du décret-loi no 286/98, avait déclaré, dans son arrêt no 222 de 2004, que cette disposition était inconstitutionnelle au motif qu’elle ne prévoyait pas que la validation de la décision de placement en détention devait se dérouler dans le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense et que, en outre, ces principes devaient s’appliquer même en cas de prolongation de la mesure.

17. Le 3 février 2011, les requérants introduisirent quatre actions civiles devant le tribunal de Rome contre l’État, dirigées contre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, en réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi en raison de leur placement en détention du 24 novembre 2008 au 14 janvier 2009.

18. Le tribunal de Rome se prononça sur ces actions par plusieurs décisions datées de septembre 2014 et juin 2016. S’agissant de la mise en cause du ministère de l’Intérieur, le tribunal rejeta les recours des requérants au motif que le chef de la police de Rome s’était limité à donner exécution à une décision de l’autorité judiciaire. Quant à la responsabilité du ministère de la Justice, il jugea que la demande des requérants était irrecevable et qu’il convenait d’introduire une action en responsabilité civile contre les magistrats.

19. En particulier, dans une de ses décisions (en date du 26 juin 2016), le tribunal de Rome soulignait, en se référant à la jurisprudence de la Cour, que la légalité de la détention initiale n’était pas, en tant que telle, affectée par la seule circonstance que la décision du juge de paix de prolonger la rétention des requérants avait été annulée par la suite.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le décret-loi (decreto legislativo) no 286/98 (« Texte unique des dispositions concernant la règlementation de l’immigration et les normes sur le statut des étrangers »)

20. Aux termes de l’article 5 du décret-loi no 286/98 :

« L’étranger qui est resté sur le territoire de l’État alors que son permis de séjour a expiré depuis plus de soixante jours sans qu’une demande de renouvellement ait été formulée fait l’objet d’une mesure d’expulsion contenant l’ordre de quitter le territoire de l’État dans un délai de quinze jours. Lorsque, selon le préfet, il existe un risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’expulsion, le commissaire de police (questore) ordonne la reconduite immédiate de l’étranger à la frontière. »

21. L’article 13 du même texte dispose ce qui suit :

« 1. Pour des raisons d’ordre public ou de sécurité de l’État, le ministre de l’Intérieur peut ordonner l’expulsion de l’étranger même si celui-ci n’est pas résident sur le territoire de l’État, en informant préalablement le président du Conseil des ministres et le ministre des Affaires étrangères.

2. Le préfet ordonne l’expulsion lorsque l’étranger :

a) est rentré sur le territoire de l’État en se soustrayant aux contrôles de frontière (...) ;

b) est resté sur le territoire de l’État sans avoir demandé de permis de séjour dans le délai imparti, sauf si le retard est dû à des raisons de force majeure, ou bien [s’y est maintenu] alors que le permis a été révoqué ou annulé ou qu’il a expiré depuis plus de soixante jours et que son renouvellement n’a pas été demandé (...) »

22. L’article 13 susmentionné prévoit également ce qui suit :

« [L’étranger visé par un] décret d’expulsion peut uniquement présenter un recours devant le juge de paix du lieu où l’autorité qui a ordonné l’expulsion a son siège. Le délai est de soixante jours à partir de la date de la mesure d’expulsion. Le juge de paix fait droit à la demande, ou la rejette, par une décision prise dans les vingt jours à partir du dépôt du recours. [La requête] peut être signée personnellement et être présentée par l’intermédiaire de la représentation diplomatique ou consulaire italienne du pays de destination. (...) Le juge doit valider la décision de placement dans les quarante-huit heures par une décision motivée après avoir entendu l’intéressé si celui-ci est présent.

L’étranger expulsé ne peut pas revenir sur le territoire de l’État sans une autorisation spéciale du ministre de l’Intérieur. En cas de violation de cette disposition, l’étranger est puni de un à quatre ans de réclusion et il est à nouveau expulsé avec reconduite immédiate à la frontière. »

23. L’article 14 du décret-loi no 286/98 est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Lorsqu’il n’est pas possible d’exécuter immédiatement l’expulsion par la reconduite à la frontière ou le refoulement, en raison de situations transitoires qui font obstacle à la préparation du retour ou de l’éloignement, le commissaire de police décide de placer l’étranger en rétention pendant la durée strictement nécessaire dans le centre de rétention le plus proche (...)

3. Le commissaire de police transmet le dossier au juge de paix pour validation, dans les quarante-huit heures, de la décision de placement.

4. L’audience [tenue aux fins de validation du] placement se déroule en chambre du conseil avec la participation obligatoire d’un avocat. L’intéressé doit être informé et conduit à l’audience. Le juge doit valider la décision de placement dans les quarante-huit heures par une décision motivée après avoir entendu l’intéressé si celui-ci est présent. La décision ne produit pas d’effets si elle n’est pas validée dans les quarante-huit heures.

5. La durée de la détention est, dans une première phase, limitée à un maximum de trente jours. À la demande du préfet, la période de détention peut être prolongée de trente jours par le juge si l’administration n’a pas réussi à déterminer l’identité et la nationalité de la personne ou si l’expulsion n’a pas pu avoir lieu pour des raisons techniques.

6. Les décisions de placement et de prolongation peuvent faire l’objet d’un recours non suspensif en cassation. »

B. Les dispositions en matière de réparation pour détention irrégulière (ou détention « injuste ») et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

24. L’article 314 du code de procédure pénale (CPP) prévoit un droit à la réparation dans deux cas distincts : lorsque l’accusé est acquitté à l’issue de la procédure pénale sur le fond (réparation pour injustice dite «substantielle », prévue par l’alinéa 1) ou lorsqu’il est établi que le suspect a été placé ou maintenu en détention provisoire au mépris des articles 273 et 280 du CPP (réparation pour injustice dite « formelle », prévue par l’alinéa 2).

25. L’article 314 du CPP se lit comme suit :

« Quiconque est relaxé par un jugement définitif au motif que les faits reprochés ne se sont pas produits, qu’il n’a pas commis les faits ou que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou ne sont pas érigés en infraction par la loi a droit à une réparation pour la détention provisoire subie, à condition de ne pas avoir provoqué [sa détention] ou contribué à la provoquer intentionnellement ou par faute lourde.

Le même droit est garanti à toute personne relaxée pour quelque motif que ce soit et à toute personne condamnée qui, au cours du procès, a fait l’objet d’une détention provisoire, lorsqu’il est établi par une décision définitive que l’acte ayant ordonné la mesure a été pris ou prorogé alors que les conditions d’applicabilité prévues aux articles 273 et 280 n’étaient pas réunies »

26. Par son arrêt no 310 de 1996, la Cour constitutionnelle a établi que, au-delà des cas prévus par l’article 314 du CPP, les individus ont droit à une réparation également dans le cas où la détention « injuste » est la conséquence de l’illégitimité d’un ordre d’exécution de la peine. Ensuite, dans son arrêt no 284 de 2003, la Cour constitutionnelle a précisé que le droit à la réparation pour détention « injuste » n’est pas exclu pour la seule raison que l’ordre d’exécution est légitime ou que la détention est la conséquence d’un comportement légal des autorités internes. Elle a ainsi souligné que, ce qui importe, c’est l’« injustice objective » (obiettiva ingiustizia) de la privation de liberté.

C. La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la réparation des dommages causés dans l’exercice de fonctions juridictionnelles et la responsabilité civile des magistrats (« la loi no 117/88 »)

27. Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, de la loi no 117/88, celle-ci s’applique « à tous les membres des magistratures de droit commun, administrative, financière, militaire et spéciale, qui exercent une activité juridictionnelle, indépendamment de la nature des fonctions, ainsi qu’aux autres personnes qui participent à l’exercice de la fonction juridictionnelle ».

28. L’article 2 de la loi no 117/88 énonce ce qui suit :

« 1. Toute personne ayant subi un dommage injustifié en raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire d’un magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour obtenir réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de liberté personnelle.

2. Dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à responsabilité.

3. Sont constitutifs d’une faute grave :

a) une violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable ;

b) l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement réfutée par les pièces du dossier ;

c) la négation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement établie par les pièces du dossier ;

d) l’adoption d’une mesure concernant la liberté personnelle en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation. »

29. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 117/88, constituent par ailleurs un déni de justice « le refus, l’omission ou le retard du magistrat dans l’accomplissement des actes relevant de sa compétence lorsque, après expiration du délai légal prévu pour l’accomplissement [d’un acte], la partie concernée a présenté une demande en vue de l’[exécution de cet] acte et que, sans raison valable, aucune mesure n’a été prise dans les trente jours consécutifs au dépôt de cette demande au greffe ».

30. Les articles suivants de la loi no 117/88 précisent les conditions et les modalités selon lesquelles une action en réparation peut être engagée au titre de l’article 2 ou de l’article 3 de cette loi, ainsi que les actions qui peuvent être intentées a posteriori contre le magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, voire d’un déni de justice.

31. Aux termes de l’article 4 de la loi no 117/88, l’action peut être introduite après épuisement des voies de recours permettant d’attaquer la mesure litigieuse et en tout état de cause seulement lorsque celle-ci n’est plus modifiable ou révocable.

III. LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la directive retour »)

32. La « directive retour » régit l’éloignement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, encadre le placement en détention de ces personnes lorsqu’il s’avère nécessaire et met en place des garanties procédurales.

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

33. La Cour constate que les requérants se plaignent tous de la détention subie aux fins d’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière. Partant, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de joindre les requêtes et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

34. Les requérants estiment avoir été privés de leur liberté de manière incompatible avec l’article 5 § 1 de la Convention.

Cette disposition se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

35. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes

36. Excipant du non-épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement argue que, au moment de l’introduction des requêtes, les procédures civiles engagées par les requérants devant le tribunal de Rome étaient encore pendantes. Il indique que ces actions avaient été introduites aux fins d’obtention d’une compensation pour les dommages qui auraient été subis par les intéressés à la suite de la prolongation de la mesure de rétention.

37. Le Gouvernement ajoute ensuite que ces recours ont été rejetés par le tribunal de Rome. Il précise que ce dernier n’a pas retenu la responsabilité du ministère de l’Intérieur et que, s’agissant du ministère de la Justice, il a indiqué aux requérants que le recours à exercer était celui concernant la responsabilité civile des magistrats.

38. En outre, le Gouvernement indique que, dans une affaire qu’il qualifie de similaire, par une décision du 13 mars 2013, le tribunal de Rome a indemnisé un étranger détenu en vue de son expulsion de manière illégale. Il en déduit que le recours suggéré par lui est un remède accessible et effectif et qu’il convient donc d’en faire usage. Il est également d’avis que, en l’espèce, le tribunal de Rome a rejeté les recours susmentionnés parce que les requérants ont saisi la Cour de cassation après avoir été libérés. Il ajoute que, au demeurant, les requérants ne se sont pas pourvus en appel contre les décisions du tribunal de Rome.

39. Les requérants combattent l’argument du Gouvernement. Ils soutiennent, jurisprudence à l’appui, que, dans des situations à leurs yeux analogues, les tribunaux internes se sont prononcés à dix-neuf reprises de manière défavorable à des plaignants. Ils estiment qu’il est ainsi établi qu’il n’existe pas de remède effectif pour se plaindre de la violation dénoncée par eux et qu’ils ont donc épuisé les voies de recours internes. Quant à l’action en responsabilité civile des magistrats, ils précisent qu’elle requiert d’établir le dol ou la faute grave, lesquels seraient très difficiles à prouver en l’espèce.

40. La Cour note que, pour rejeter les recours des requérants, le tribunal de Rome a estimé que les autorités avaient agi correctement en exécutant la décision du juge de paix.

41. La Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement. Elle rappelle qu’il incombe au gouvernement excipant du non-épuisement des voies de recours internes de démontrer qu’un recours effectif était disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir aux requérants la réparation de leurs griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999‑IX).

42. Or, dans la présente espèce, la Cour observe, d’une part, que les requérants se sont référés à plusieurs jugements du tribunal de Rome portant rejet de griefs similaires et, d’autre part, que le Gouvernement a produit une seule décision de ce tribunal ayant accueilli le recours d’un ressortissant étranger qui se trouvait dans une situation analogue. L’efficacité d’un appel contre les décisions litigieuses du tribunal de Rome semble ainsi pour le moins incertaine.

43. En tout état de cause, la Cour réaffirme sa jurisprudence selon laquelle, « lorsqu’est en jeu la légalité de la détention », une action en indemnisation dirigée contre l’État ne constitue pas un recours à exercer étant donné « que le droit de faire examiner par un tribunal la légalité de la détention et celui d’obtenir réparation d’une privation de liberté contraire à l’article 5 sont deux droits distincts » (Delijorgji c. Albanie, no 6858/11, § 61, 28 avril 2015, Ulisei Grosu c. Roumanie, no 60113/12, § 39, 22 mars 2016, et Włoch c. Pologne, no 27758/95, § 90, CEDH 2000-XI).

44. S’agissant enfin de l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants auraient à tort omis de se prévaloir du recours en responsabilité civile des magistrats prévu par la loi no 117/88, la Cour observe que cette action présuppose l’existence d’un comportement à tout le moins coupable de la part des magistrats et que, par conséquent, les requérants auraient dû prouver le dol ou la faute lourde des juges ayant statué dans leur affaire (voir l’article 2 § 3 d) de la loi no 117/88, paragraphe 28 ci-dessus). De plus, elle note que le Gouvernement n’a produit aucun exemple démontrant qu’une telle action a été intentée avec succès dans des circonstances similaires à celles de l’affaire des requérants (Zeciri c. Italie, no 55764/00, § 50, 4 août 2005, et voir, mutatis mutandis, Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, 8 janvier 2004).

45. Par conséquent, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

2. Sur la qualité de victime des requérants

46. Le Gouvernement considère qu’en tout état de cause les requérants ont perdu leur qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. À cet égard, il indique en particulier que la Cour de cassation a redressé leurs griefs en annulant la prolongation de la rétention au motif qu’elle avait été adoptée de plano, sans respect du principe du contradictoire. Les requérants auraient donc déjà obtenu un redressement de leurs griefs au niveau interne (Lacko c. Slovaquie (déc.), no 47237/99, CEDH, 2 juillet 2002, Bogdanovsky c. Italie (déc.), no 72177/01, 9 juillet 2002, Ovihangy c. Suède (déc.), no 44421/02, 9 mars 2004).

47. Les requérants combattent la thèse du Gouvernement. Ils indiquent que la décision de la Cour de cassation est intervenue dix-huit mois après leur libération et qu’elle n’a par conséquent pas permis un redressement de leurs griefs : ils n’auraient donc bénéficié d’aucune réparation.

48. La Cour rappelle que ne peut pas se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, celui qui, au plan national, a obtenu un redressement adéquat des violations alléguées de la Convention (voir, par exemple, mutatis mutandis, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 66, série A, no 51, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, Guisset c. France, no 33933/96, § 66, CEDH 2000-XI, et Kaftailova c. Lettonie (déc.), no 59643/00, 21 octobre 2004). Cette règle vaut même si l’intéressé obtient satisfaction alors que la procédure est déjà engagée devant la Cour ; ainsi le veut le caractère subsidiaire du système des garanties de la Convention (voir, en particulier, Mikheyeva c. Lettonie (déc.), no 50029/99, 12 septembre 2002).

49. La Cour rappelle également que, pour qu’une décision ou une mesure favorable à un requérant suffise à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 34, série A no 238, Amuur, précité, ibidem, Dalban c. Roumanie [GC], no28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, Labita c. Italie [GC], no26772/95, § 142, CEDH 2000-IV et Guisset, précité, ibidem, ainsi que les décisions Achour c. France, no 67335/01, 10 novembre 2004, et Kaftailova, précitée).

50. Sur ce point, se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour considère que la reconnaissance par la Cour de cassation de l’irrégularité de la prolongation de la détention litigieuse ne constitue pas une réparation suffisante puisqu’elle n’a pas permis aux requérants d’obtenir un redressement approprié.

51. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les requérants peuvent encore se prétendre victimes d’une violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à cet égard.

Constatant également que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties et observations du tiers intervenant

a) Les requérants

52. Les requérants indiquent qu’ils ont été détenus dans le cadre d’une procédure de reconduite à la frontière et que celle-ci est actuellement pendante. Ils ajoutent que la Cour de cassation a annulé la prolongation de leur détention pour cause de non-respect des principes du procès équitable, mais que son arrêt n’est intervenu que dix-huit mois après leur remise en liberté.

53. Précisant que la demande de prolongation de leur détention avait été faite afin de permettre leur identification avec l’aide de l’ambassade du Ghana, les requérants soutiennent que ladite demande ne contenait pas les éléments nécessaires à cette fin.

54. Ils indiquent que, dans son arrêt rendu dans l’affaire Bashir Mohamed Ali Mahdi, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a affirmé que toute prolongation d’une rétention devait faire l’objet d’un acte écrit motivé en droit et en fait et que cet acte devait être soumis à un contrôle de légalité exercé par le pouvoir judiciaire.

55. Enfin, les requérants affirment que la procédure d’identification les concernant n’a pas été conduite avec la diligence requise. À cet égard, ils rappellent la jurisprudence de la Cour dans les arrêts Chahal c. Royaume‑Uni (15 novembre 1996, § 113, Recueil 1996‑V), Saadi c. Royaume-Uni [GC] (no 13229/03, § 74, CEDH 2008) et Lokpo et Touré c. Hongrie (no 10816/10, § 14, 20 septembre 2011).

b) Le Gouvernement

56. Le Gouvernement soutient que la procédure de détention était conforme au droit national et international.

57. Il affirme que la prolongation de trente jours se justifiait par l’impératif de vérification de l’identité des requérants, afin de préparer le moyen de transport et les documents nécessaires au rapatriement de ces derniers. Se référant aux arrêts Chahal c. Royaume-Uni (précité), Bogdanovski c. Italie (no 72177/01, 14 décembre 2006) et Magnac c. Espagne (no 74480/01, 28 janvier 2003), il considère que, même sous l’angle de la durée, la détention des requérants était conforme à l’article 5 § 1 f) de la Convention.

58. Le Gouvernement indique ainsi que la décision du juge de paix de Rome a été notifiée aux requérants le 17 décembre 2008 et que la détention litigieuse a eu une durée globale inférieure à la limite légale. Il ajoute que, en tout état de cause, les requérants ont pu quitter le centre de rétention le 14 janvier 2009, donc quelques jours avant la date fixée par le juge de paix.

59. Quant à la décision de la Cour de cassation reconnaissant que la prolongation de la détention n’était pas conforme aux principes du procès équitable, le Gouvernement affirme qu’elle se référait aux principes fixés par la Cour constitutionnelle dans un précédent arrêt.

60. Enfin, selon le Gouvernement, les juridictions internes ont constaté qu’il y avait eu violation de la Convention et ont redressé ce manquement. De plus, le ministre de l’Intérieur aurait invité tous les policiers à respecter les principes fixés par la Cour de cassation et la Convention.

c) Le tiers intervenant

61. L’ICJ a adressé à la Cour un rapport intitulé « Undocumented, justice pour les migrants en Italie », portant sur une visite effectuée en Italie en juin 2014 et évaluant la pratique suivie par les autorités italiennes en matière d’immigration et d’asile.

62. Dans son rapport, l’ICJ s’inquiète du fait que, dès leur arrivée en Italie, les migrants sans papiers se voient automatiquement notifier une décision d’expulsion et sont placés dans des centres de rétention. Elle souligne en particulier qu’il s’avère très difficile de trouver des interprètes et que les décisions des juges de paix sont stéréotypées et non motivées. Elle indique que le placement dans un centre de rétention peut être prorogé jusqu’à huit mois s’il n’est pas possible d’exécuter l’expulsion en raison d’un manque de coopération de l’immigré ou de difficultés dans la procédure d’identification. Le rapport de l’ICJ met également en exergue la difficulté d’organiser des audiences devant le juge de paix pour valider les décisions de placement en détention.

63. En outre, l’ICJ indique que le régime d’asile européen commun est directement applicable dans les pays membres de l’Union européenne en tant que norme minimale et qu’il devrait être considéré comme formant le « droit interne » des États défendeurs aux fins de l’article 5 de la Convention en l’absence de règle nationale plus protectrice.

64. Par ailleurs, l’ICJ estime que la rétention dans l’attente de l’issue d’une procédure d’expulsion ou d’extradition mentionnée dans le second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention ne serait justifiable que pendant le déroulement de la procédure en question. Selon elle, il conviendrait de faire de ce principe une application stricte et de veiller ainsi à ce que les autorités s’emploient avec diligence à rechercher une possibilité réelle d’expulsion à tous les stades de la détention de la personne concernée. Toujours selon l’ICJ, les demandeurs d’asile protégés par des normes de droit interne ou de droit international interdisant leur expulsion dans l’attente de l’instruction de leur demande ne pourraient faire l’objet d’une détention prolongée pendant le déroulement de cette procédure.

65. Pour ce qui est des autres critères établis par la jurisprudence de la Cour, l’ICJ considère que l’exigence de « bonne foi » implique qu’un placement en rétention soit décidé avec la transparence et la diligence requises pour que les dispositifs de droit interne prévoyant des mesures alternatives à la détention ou la remise en liberté ne soient pas contournés ou manipulés au point de s’en trouver vides de sens. D’après l’ICJ, il conviendrait à cet égard de se reporter aux affaires Čonka c. Belgique (no 51564/99, CEDH 2002‑I) et R.U. c. Grèce (no2237/08, 7 juin 2011), dans lesquelles les règles juridiques matérielles et procédurales auraient été appliquées de telle manière qu’elles avaient été privées d’effet.

66. Enfin, s’agissant des garanties procédurales contre l’arbitraire, l’ICJ est d’avis qu’il y a lieu de renvoyer aux Principes directeurs du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), qui disposeraient que les demandeurs d’asile « ont droit aux garanties procédurales minimales » (Principe directeur 7).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

67. La Cour rappelle que l’article 5 de la Convention consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. De plus, seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Giulia Manzoni c. Italie, 1er juillet 1997, § 25, Recueil 1997-IV, et Velinov c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine, no 16880/08, § 49, 19 septembre 2013).

68. Énoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1 précité, l’une des exceptions au droit à la liberté permet aux États de restreindre celle des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (Saadi, précité, § 43, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no3455/05, §§ 162-163, CEDH 2009, et Abdolkhani et Karimnia c. Turquie, no 30471/08, § 128, 22 septembre 2009).

69. La privation de liberté doit être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 de la Convention : protéger l’individu contre l’arbitraire (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 63, série A no 244, et L.M. c. Slovénie, no 32863/05, § 121, 12 juin 2014). En exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l’article 5 § 1 de la Convention impose en premier lieu que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne. Ils concernent aussi la qualité de la loi : ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur, précité, § 50, et Abdolkhani et Karimnia, précité, § 130).

70. Sur ce dernier point, la Cour souligne que, lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 56, CEDH 2000-IX, et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 76, 9 juillet 2009).

71. De plus, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il ne suffit donc pas que la privation de liberté soit conforme au droit national ; encore faut-il qu’elle soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012).

72. Pour déterminer si l’article 5 § 1 de la Convention a été respecté, il est opportun de faire une distinction fondamentale entre les titres de détention manifestement invalides – par exemple ceux qui sont émis par un tribunal en dehors de sa compétence – et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces jusqu’au moment où ils sont annulés par une autre juridiction interne (Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 43, Recueil 1996‑III, Lloyd et autres c. Royaume-Uni, nos 29798/96 et suiv., §§ 83, 108, 113 et 116, 1er mars 2005, et Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 128-129, 8 novembre 2005).

73. Une décision de placement en détention doit être considérée comme étant ex facie invalide si le vice y ayant été décelé s’analyse en une « irrégularité grave et manifeste », au sens exceptionnel indiqué dans la jurisprudence de la Cour (Liu c. Russie, no 42086/05, § 81, 6 décembre 2007, Garabayev c. Russie, no 38411/02, § 89, 7 juin 2007, Marturana c. Italie, no 63154/00, § 79, 4 mars 2008, et Mooren, précité, § 75). La Cour a ainsi jugé manifestement invalides des ordonnances de détention prises dans des affaires dans lesquelles la partie concernée n’avait pas été dûment informée de la tenue d’une audience (Khoudoyorov, précité, § 129), ou dans lesquelles les juridictions internes n’avaient pas procédé à l’enquête sur les revenus exigée par la loi nationale (Lloyd et autres, précité, §§ 108 et 116). En revanche, la Cour a jugé régulière une détention ordonnée dans une affaire où il n’avait pas été établi que les actes des juridictions internes avaient été «grossièrement et manifestement irréguliers» (idem, § 114).

b) Application de ces principes à la présente espèce

74. En l’espèce, la Cour prend tout d’abord note des éléments suivants. Le 20 novembre 2008, les requérants ont été placés au centre de rétention pour une durée de trente jours et leur mise en détention a été validée par le juge compétent. Le 11 décembre 2008, le chef de la police a demandé au juge de paix de Rome de prolonger le placement des requérants de trente jours. Le 17 décembre 2008, le juge de paix a prorogé ledit placement jusqu’au 23 janvier 2009 au motif que la procédure d’identification des requérants n’avait pas été achevée, et ce sans informer ni les intéressés ni leur avocat, sans tenir d’audience et sans respecter les principes déjà fixés par la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation en 2002 et 2004.

75. La Cour observe ensuite que, le 8 juin 2010, la Cour de cassation a annulé la décision de prolongation de la rétention au motif qu’elle avait été adoptée de plano, sans la participation des requérants et de leur avocat.

76. La Cour relève que la jurisprudence interne était déjà claire en 2002 sur la nécessité de respecter le principe du contradictoire, même en cas de prolongation d’une mesure de détention. Elle estime que l’omission de convoquer les intéressés et leur avocat et celle de fixer une audience s’analysent en une « irrégularité grave et manifeste », au sens de sa jurisprudence (voir, a contrario, Hokic et Hrustic c. Italie, no [3449/05](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%223449/05%22%5D%7D), §§ 23-24, 1er décembre 2009), et que cette situation a emporté la nullité de cette partie de la détention.

77. Dans ces circonstances, la Cour conclut que la prolongation de la détention des requérants du 17 décembre 2008 au 14 janvier 2009 en vue de leur expulsion n’était pas conforme aux voies légales.

78. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

79. Les requérants se plaignent d’une absence de voies de recours internes effectives pour contester leur détention. Ils dénoncent également la durée d’examen de leur recours judiciaire, qui aurait été de plus de dix-huit mois devant la Cour de cassation. Ils invoquent l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

80. Le Gouvernement indique que les requérants se sont pourvus en cassation alors qu’ils n’étaient plus en détention. Par conséquent, les intéressés n’auraient pas le statut de victime.

81. Les requérants répliquent que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif. Ils affirment également que la décision de prolongation de leur détention n’indiquait pas quels étaient les remèdes disponibles pour contester la décision du juge de paix, les autorités devant lesquelles le pourvoi devait être présenté et le délai d’introduction de ce recours. Ils ajoutent qu’elle ne mentionnait pas non plus l’obligation de présence d’un avocat devant les juridictions supérieures. Ils indiquent aussi qu’eux seuls se sont vu notifier la décision de prolongation, et non leur avocat (paragraphe 12 ci-dessus)

82. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention peut être applicable seulement aux personnes détenues et ne peut pas être invoqué par une personne en liberté pour faire constater la prétendue illégalité d’une détention antérieure (Stephens c. Malte (no 1), no 11956/07, § 102, 21 avril 2009, X c. Suède no 10230/82, décision de la Commission du 11 mai 1983, Décisions et rapports (DR), et A.K. c. Autriche no 20832/92, décision de la Commission du 1er décembre 1993).

83. Dans la présente affaire, la Cour observe que les requérants se sont pourvus en cassation le 16 février 2009, alors qu’ils avaient été libérés le 14 janvier 2009. Il convient de noter par ailleurs que le recours en question était disponible à l’époque où les requérants étaient détenus et que rien ne les empêchait de se prévaloir d’un tel recours (voir a contrario Aden Ahmed c. Malte, no 55352/12, § 105, 23 juillet 2013).

84. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

85. Les requérants allèguent ne disposer, en droit italien, d’aucun moyen pour obtenir réparation pour les violations dénoncées par eux. Ils invoquent l’article 5 § 5 la Convention, qui se lit ainsi :

« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

86. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

87. La Cour relève que ce grief est lié au grief tiré de l’article 5 § 1 f) de la Convention, examiné ci-avant (paragraphes 74-78 ci-dessus), et qu’il doit donc aussi être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

88. Les requérants affirment ne pas disposer en droit italien d’un remède disponible pour obtenir réparation pour les violations alléguées par eux. À cet égard, ils indiquent que la Cour et la CJUE, respectivement dans les affaires Zeciri (précitée) et Seferovic c. Italie (no 12921/04, 8 février 2011) et dans l’affaire C-173/03 Traghetti del Mediterraneo SpA c. Italie (arrêt du 13 juin 2006), ont jugé que ni le recours prévu à l’article 314 du CPP ni le recours en responsabilité civile des magistrats ne constituaient des remèdes effectifs.

89. Le Gouvernement soutient que l’article 5 § 5 de la Convention n’a pas été méconnu.

90. Le tiers intervenant indique que le droit à réparation est un principe fondamental du droit international. Il ajoute que, selon les « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire » (résolution 60/147 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 16 décembre 2005), les États doivent prévoir une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi. Il est d’avis que, pour respecter l’article 5 § 5 de la Convention, les États doivent prévoir des procédures appropriées et efficaces qui garantissent la réparation en cas de détention illégale ou arbitraire. Cette obligation concernerait toute détention contraire au droit national ou au droit d’un autre État membre de l’Union européenne. Pour être effective, cette procédure devrait être judiciaire et accessible aux détenus et à leurs avocats.

2. Appréciation de la Cour

91. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 du même article (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série A no 185‑A). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 précité suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no [24952/94](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2224952/94%22%5D%7D), § 49 in fine, CEDH 2002-X).

92. En l’espèce, la Cour vient de constater que la prolongation de la détention des requérants a été irrégulière (paragraphes 79-78 ci-dessus) et que la Cour de cassation a reconnu la nullité de ladite prolongation (paragraphe 16 ci-dessus). Par conséquent, il y a lieu d’examiner la question de savoir si les requérants disposaient en droit italien d’un droit à réparation, au sens de l’article 5 § 5 de la Convention.

93. La Cour observe que l’article 314 du CPP, qui est censé fournir un remède en cas de privation de liberté « injuste », ne trouve pas à s’appliquer dans la situation des requérants.

94. Quant aux autres remèdes cités par le Gouvernement pour exciper du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour note que les arguments qui l’ont conduite à écarter cette exception (paragraphes 40‑43 ci‑dessus) l’amènent maintenant à conclure à la méconnaissance du paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention.

95. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les requérants ne disposaient d’aucun moyen pour obtenir, à un degré suffisant de certitude, réparation pour la violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

96. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention (voir, par exemple, Seferovic, précité, § 49, Zeciri, précité, § 52, Pezone c. Italie, no [42098/98](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2242098/98%22%5D%7D), §§ 51-56, 18 décembre 2003, et Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 46, série A no182)

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

97. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

98. Les requérants réclament 14 250 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi pour les cinquante-sept jours de leur détention (du 20 novembre 2008 au 14 janvier 2009) ou, à tout le moins, 6 500 EUR chacun pour les vingt-six jours de prolongation de leur détention (du 17 décembre 2008 au 14 janvier 2009).

99. Le Gouvernement conteste cette demande.

100. La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral certain et qu’il convient d’octroyer à chacun d’entre eux 6 500 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

101. Les requérants sollicitent également 14 307 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Ils indiquent par ailleurs qu’ils ont été condamnés au paiement de frais de procédure devant le tribunal de Rome et ils demandent à la Cour de les en exonérer. Ils réclament en outre 500 EUR pour des frais de traduction.

Les requérants demandent que toute somme octroyée au titre des frais et dépens soit versée directement sur le compte bancaire de leur représentant.

102. Le Gouvernement conteste la prétention formulée par les requérants, arguant que ceux-ci n’ont pas démontré avoir engagé les frais et dépens réclamés et qu’ils n’ont donc pas respecté l’article 60 du règlement de la Cour (« le règlement »).

103. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard aux documents dont elle dispose et aux critères rappelés ci-avant, la Cour estime raisonnable la somme de 10 500 EUR pour les frais et dépens et l’accorde aux requérants. Cette somme est à verser directement sur le compte bancaire du représentant des requérants.

C. Intérêts moratoires

104. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 f) et 5 de la Convention, et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 10 500 EUR (dix mille cinq cents euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par ceux-ci à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire du représentant des requérants ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposMirjana Lazarova Trajkovska
GreffierPrésidente


ANNEXE

No

|

Requête No

|

Introduite le

|

Requérant

Date de naissance

Lieu de résidence

|

Représenté par

---|---|---|---|---

1.
|

3342/11

|

26/11/2010

|

Taky Berko

RICHMOND YAW

07/04/1974

Castel Volturno

|

Alessandro FERRARA

2.
|

3391/11

|

26/11/2010

|

Yaw ANSU

MATTHEW

10/06/1983

Castel Volturno

|

Alessandro FERRARA

3.
|

3408/11

|

26/11/2010

|

Darke Isaac

KWADWO

04/08/1979

Castel Volturno

|

Alessandro FERRARA

4.
|

3447/11

|

26/11/2010

|

Dominic

TWUMASI

23/05/1986

Castel Volturno

|

Alessandro FERRARA


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-166955
Date de la décision : 06/10/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Voies légales;Article 5-1-f - Expulsion);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-5 - Réparation)

Parties
Demandeurs : RICHMOND YAW ET AUTRES
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FERRARA A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award