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23/06/2016 | CEDH | N°001-164522

CEDH | CEDH, AFFAIRE BEN MOUMEN c. ITALIE, 2016, 001-164522


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BEN MOUMEN c. ITALIE

(Requête no 3977/13)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2016

DÉFINITIF

23/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ben Moumen c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Paul Mahoney,


Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2016,

Ren...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BEN MOUMEN c. ITALIE

(Requête no 3977/13)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2016

DÉFINITIF

23/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ben Moumen c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3977/13) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant marocain, M. Smail Ben Moumen (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Toma, avocat à Matino (Lecce). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent, Mme P. Accardo.

3. Le requérant allègue en particulier qu’une procédure pénale dirigée à son encontre n’a pas été équitable au motif qu’il n’a pas pu interroger ou faire interroger un témoin à charge.

4. Le 29 juin 2015, le grief concernant l’impossibilité d’interroger le témoin en question a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1974 et est actuellement détenu au pénitencier de Lecce.

A. Les accusations contre le requérant et les investigations préliminaires

6. Le 23 novembre 2008, A, une ressortissante roumaine, porta plainte contre le requérant. Elle affirma que ce dernier avait proposé de l’accompagner chez elle à bord de sa voiture ; cependant, il l’avait conduite à la campagne et l’avait menacée, battue et violée. A ne s’était pas physiquement opposée au viol par crainte de subir des violences ultérieures. À bord de la voiture se trouvait également un autre ressortissant marocain, B, qui s’était toutefois éloigné au moment de la commission du viol.

7. B fut interrogé par les carabiniers de Lesina (Foggia) le 23 novembre 2008. Il déclara que le requérant avait emprunté une route de campagne et avait fait des avances sexuelles explicites à A, qui les avait refusées et, avec un prétexte, s’était éloignée de la voiture. B confirma que le requérant avait battu A, l’obligeant à regagner l’intérieur de la voiture. Connaissant le caractère violent du requérant, B était sorti du véhicule et n’avait pas pu voir ce qui se passait à l’intérieur. Cependant, il avait constaté que celui-ci « oscillait ». Lorsqu’il était remonté en voiture, B avait vu que A pleurait.

8. À la lumière de ces dépositions, le requérant fut accusé de viol, coups et blessures et actes libidineux dans un lieu public.

9. Le 9 février 2009, A fut interrogée dans le cadre d’une audience ad hoc (incidente probatorio) devant le juge des investigations préliminaires (ci-après le « GIP ») de Lucera (Foggia). Le défenseur du requérant était présent à cette audience et eut la faculté de poser des questions à A. Cette dernière confirma les accusations contre le requérant.

10. Le 16 février 2009, le GIP de Lucera renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de cette même ville.

B. Le procès de première instance

11. Aux audiences des 9 juillet et 8 octobre 2009, un carabinier ayant recueilli la plainte de A et le fiancé de cette dernière furent entendus. Avec l’accord du requérant, le parquet renonça à l’audition de A.

12. L’audience du 14 janvier 2010 devait être consacrée, entre autres, à l’audition de B. Cependant, ce témoin ne se présenta pas. Le tribunal, s’appuyant sur l’article 512 du code de procédure pénale (le « CPP » – paragraphe 28 ci-après) et en dépit de l’opposition de la défense, ordonna la lecture de la déposition que B avait faite aux carabiniers de Lesina le 23 novembre 2008 (paragraphe 7 ci-dessus). Suite à sa lecture, cette déposition fut acquise au dossier du juge (fascicolo per il dibattimento). Au cours de la même audience, le requérant et d’autres témoins furent entendus.

13. Le 6 mai 2010, un gynécologue ayant examiné A fut interrogé et le requérant fit des déclarations spontanées.

14. Par un jugement du 23 septembre 2010, dont le texte fut déposé au greffe le 8 octobre 2010, le tribunal de Lucera condamna le requérant à une peine de sept ans d’emprisonnement.

15. Cette décision se fonda sur les déclarations faites par A au cours de l’audience ad hoc du 9 février 2009 (paragraphe 9 ci-dessus), estimées précises, crédibles et corroborées par d’autres éléments. Parmi ceux-ci figuraient les déclarations de B.

16. Le tribunal précisa que la circonstance qu’un témoin était devenu introuvable s’analysait en une « impossibilité objective » de l’interroger aux débats, ce qui, aux termes de l’article 512 du CPP (paragraphe 28 ci-après), lu à la lumière de l’article 111 de la Constitution (paragraphe 30 ci-après), permettait d’utiliser pour décider sur le bien-fondé des accusations toute déposition faite avant le procès. Le tribunal estima que l’absence de B n’était pas prévisible, étant donné qu’il avait élu un domicile et travaillait en Italie. La circonstance qu’il n’était pas un ressortissant de l’Union européenne ne changeait rien à cette conclusion.

17. Le tribunal estima également que les examens gynécologiques effectués sur A n’étaient pas de nature à démentir la version des faits de la victime. En effet, l’absence de lésions significatives était compatible avec un viol perpétré avec menace et A n’avait pas indiqué les modalités de l’éjaculation. Par ailleurs, le gynécologue n’avait pas vérifié la présence de liquide séminal. Enfin, le carabinier ayant recueilli la plainte de A avait pu constater que cette dernière était un état de choc et se plaignait de douleurs abdominales.

C. L’appel

18. Le requérant interjeta appel. Il contesta l’évaluation des preuves à sa charge et s’opposa à l’utilisation de la déposition de B. Il observa que ce dernier était un ressortissant non-communautaire sans permis de séjour, qui n’avait fourni ni d’adresse fixe ni de numéro de téléphone. Dès lors, son absence aux débats était non seulement prévisible, mais très probable. Il aurait donc dû être entendu dans le cadre d’une audience ad hoc. Par ailleurs, B était apparemment retourné au Maroc, ce qui amenait à penser qu’il s’était volontairement soustrait à l’interrogatoire. Or, aux termes de l’article 526 § 1bis du CPP (paragraphe 29 ci-après), la culpabilité de l’accusé ne pouvait pas être prouvée sur la base des déclarations faites par ceux qui, de leur plein gré, s’étaient toujours soustraits à l’examen par le prévenu ou son défenseur.

19. Par un arrêt du 14 juin 2011, dont le texte fut déposé au greffe le 12 septembre 2011, la cour d’appel de Bari réduisit la peine infligée au requérant à six ans d’emprisonnement.

20. La cour d’appel releva que lorsque, le 23 novembre 2008, il avait été interrogé par les carabiniers de Lesina (paragraphe 7 ci-dessus), B avait élu domicile auprès du siège de la société de transports pour laquelle il travaillait. Les autorités avaient ensuite à plusieurs reprises et en vain essayé de lui signifier la citation à comparaître auprès de ce domicile. Le 17 décembre 2009, les carabiniers avaient rédigé un procès-verbal de recherches vaines (verbale di vane ricerche). Au moment de son interrogatoire par les carabiniers, B avait un travail stable et régulier en Italie, et rien ne permettait de penser qu’il y aurait renoncé quelques mois plus tard, retournant au Maroc sans laisser d’adresse et se rendant ainsi introuvable. Ceci était d’autant plus vrai si l’on songeait aux faits que B s’était montré disposé à collaborer avec les autorités et qu’il avait un intérêt concret à garder sa source de revenus. Il s’ensuivait que son absence aux débats n’était pas prévisible. La lecture et l’utilisation de la déposition faite aux carabiniers étaient donc légitimes.

21. La cour d’appel ajouta qu’il n’était pas possible d’effectuer des recherches ultérieures dans le lieu de naissance ou de dernière résidence à l’étranger de B car il s’agissait d’un homme né à Casablanca et dont l’adresse au Maroc était inconnue.

22. La cour d’appel nota ensuite que les déclarations de A pouvaient être utilisées comme preuve à charge ; cependant, s’agissant d’un témoignage provenant de la victime, sa crédibilité devait être vérifiée avec rigueur. Or, la version de A était crédible et les examens médicaux effectués sur elle, qui faisaient uniquement état d’une excoriation au genou, étaient compatibles avec un viol perpétré avec menace de mort. Rien ne donnait à penser que A avait menti, d’autant plus que sa version était confirmée par B, qui n’avait aucune raison pour accuser le requérant, qui était un concitoyen marocain et un collègue de travail. De plus, avant les faits délictueux, A et B ne se connaissaient pas.

23. Enfin, la version de A était corroborée par le témoignage du carabinier ayant recueilli sa plainte, et la circonstance que l’examen gynécologique n’avait pas révélé la présence de liquide séminal n’était pas de nature à innocenter le requérant, étant donné que les modalités de l’éjaculation demeuraient inconnues.

D. Le pourvoi en cassation

24. Le requérant se pourvut en cassation, réitérant ses allégations concernant l’impossibilité d’utiliser la déposition de B. Il affirma en outre que la crédibilité de A n’avait pas été dûment évaluée et que les examens gynécologiques tendaient à exclure l’existence de tout rapport sexuel entre lui et la victime présumée.

25. Par un arrêt du 13 juin 2012, dont le texte fut déposé au greffe le 25 juillet 2012, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi.

26. La Cour de cassation observa que la cour d’appel avait clarifié que des recherches ultérieures et efficaces de B s’avéraient impossibles. Se conformant à la jurisprudence en la matière, elle avait établi : a) que ce témoin était introuvable, b) que l’impossibilité de réitérer son témoignage n’était pas prévisible, et c) que l’absence du témoin n’était pas due au libre choix de ce dernier de se soustraire à l’interrogatoire. En particulier, les autorités avaient essayé de notifier à B la citation à comparaître auprès du domicile qu’il avait élu et un procès-verbal de recherches vaines avait été rédigé. De plus, B était d’origine marocaine et son lieu de résidence était inconnu. Par ailleurs, il avait séjourné longtemps en Italie et y exerçait un travail régulier et stable, ce qui ne permettait pas de qualifier son absence de « prévisible ». Enfin, rien ne permettait de penser que B avait l’intention de se soustraire à l’interrogatoire.

27. Au demeurant, la Cour de cassation observa que la cour d’appel avait examiné les déclarations de A, les estimant crédibles et corroborées par celles de B et du carabinier qui avait recueilli la plainte de la victime.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

28. L’article 512 du CPP se lit ainsi :

« Le juge, à la demande des parties, ordonne la lecture des actes accomplis par la police judiciaire, par le parquet, par les défenseurs des parties privées et par le juge dans le cadre de l’audience préliminaire lorsque, pour des faits ou circonstances imprévisibles, leur réitération est devenue impossible. »

29. Aux termes de l’article 526 §§ 1 et 1bis du CPP,

« 1. Le juge ne peut pas utiliser pour sa décision des preuves autres que celles légitimement acquises au cours des débats.

1bis. La culpabilité du prévenu ne peut pas être établie sur la base des déclarations faites par les personnes qui, par leur libre choix, se sont toujours et volontairement soustraites à l’interrogatoire par l’accusé ou son défenseur. »

30. En 1999, le Parlement a décidé d’insérer le principe du procès équitable dans la Constitution elle-même (voir la loi constitutionnelle no 2 du 23 novembre 1999). L’article 111 de la Constitution, dans sa nouvelle formulation et dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« (...) Dans le cadre du procès pénal, la loi garantit que la personne accusée d’une infraction (...) a la faculté, devant le juge, d’interroger ou de faire interroger toute personne formulant des déclarations à charge (...). La culpabilité de l’accusé ne peut pas être prouvée sur la base de déclarations faites par une personne qui s’est toujours librement et volontairement soustraite à l’interrogatoire par l’accusé ou son défenseur. La loi réglemente les cas où un examen contradictoire des moyens de preuve n’a pas lieu, avec le consentement de l’accusé ou en raison d’une impossibilité objective dûment prouvée ou encore en raison d’un comportement illicite dûment prouvé. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

31. Le requérant considère que la procédure pénale à son encontre n’a pas été équitable. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).

(...).

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...) ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...). »

32. Le Gouvernement conteste le grief du requérant.

A. Sur la recevabilité

33. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

34. Le requérant allègue avoir été condamné sur la base de la déposition faite aux carabiniers par B, un témoin qui n’a pas été interrogé aux débats. Bien qu’il était probable que B fût retourné au Maroc, aucune recherche par la voie consulaire n’a été effectuée dans ce pays. De plus, ce témoin n’a pas été cherché auprès de l’administration pénitentiaire. Selon le requérant, l’absence aux débats de B était largement prévisible, étant donné qu’il s’agissait d’un étranger sans permis de séjour et sans domicile fixe. Dès lors, il s’imposait de l’interroger lors d’une audience ad hoc en présence du défenseur de l’accusé.

b) Le Gouvernement

35. Le Gouvernement considère que l’acquisition et la lecture des déclarations faites par B aux carabiniers étaient légitimes en droit interne. Il expose que l’article 111 de la Constitution (paragraphe 30 ci-dessus) prévoit une dérogation à la règle de l’interrogatoire contradictoire des témoins, notamment lorsqu’on est en présence d’une « impossibilité objective dûment prouvée ». Cette exception a été codifiée à l’article 512 du CPP, qui permet la lecture, et donc l’utilisation pour décider du bien-fondé des accusations, des actes dont la réitération est devenue impossible « pour des faits ou circonstances imprévisibles » (paragraphe 28 ci-dessus).

36. Selon le Gouvernement, ces dispositions ont été interprétées de manière conforme à la Convention par les juridictions italiennes. En particulier, par un arrêt no 27918 du 14 juillet 2011, les sections réunies de la Cour de cassation ont dit que les déclarations d’un témoin absent doivent être évaluées avec la prudence nécessaire, procédant non seulement à un examen de la crédibilité subjective et objective du témoin, mais aussi à la confrontation de sa déposition avec les autres éléments présentés aux débats. De plus, la Cour de cassation a précisé que le juge doit accomplir toute vérification possible pour déterminer la cause de l’absence du témoin, afin d’exclure que celle-ci soit due à son libre choix (voir, notamment, Cour de cassation, arrêt des sections réunies no 36474 du 28 mai 2003, et arrêt de la quatrième section no 5821 du 10 décembre 2005). Enfin, le caractère « imprévisible » de l’absence du témoin doit être évalué ex ante, ayant regard non pas à des simples hypothèses, mais aux éléments concrets dont les parties disposaient avant l’expiration du délai pour demander l’acquisition du témoignage au cours d’une audience ad hoc (voir Cour de cassation, arrêt de la deuxième section no 49007 du 16 septembre 2014, rv 261427).

37. De l’avis du Gouvernement, en l’espèce la cour d’appel de Bari a dûment motivé tant l’impossibilité concrète de citer B à comparaître (due au fait qu’il était introuvable et que plusieurs tentatives de lui notifier les actes du procès au domicile élu avaient échouées) que l’inutilité d’effectuer des recherches ultérieures pour le repérer. En effet, les autorités italiennes ne disposaient pas de l’adresse de B au Maroc, ce qui rendait en pratique ineffective toute recherche dans son lieu de naissance, et rien ne permettait de penser que B eût été placé en détention. Les juridictions internes auraient également établi que l’absence de B, une personne ayant montré sa volonté de collaborer avec la justice et exerçant un travail régulier en Italie, était imprévisible avant le renvoi en jugement du requérant, et que rien ne permettait de penser que son absence eût été délibérée. À la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation, la simple circonstance que B n’était pas un ressortissant de l’Union européenne ne permettait pas de parvenir à des conclusions différentes.

38. Le Gouvernement estime que l’absence de B était justifiée par un « motif sérieux », à savoir sa décision imprévisible de quitter son travail et son domicile. Les autorités auraient déployé tout effort raisonnable pour assurer sa présence (cet élément permettrait de distinguer la présente affaire de l’affaire Rudnichenko c. Ukraine, no 2775/07, 11 juillet 2013) ; leur demander des efforts supplémentaires serait excessif dans les circonstances particulières de l’espèce et irait à l’encontre de la nécessité d’assurer, dans un délai raisonnable, la punition des personnes coupables d’une infraction. Les recherches accomplies en Italie dans les lieux fréquentés par les compatriotes de B avaient seulement conduit à apprendre que l’intéressé était retourné dans son pays. Les tribunaux internes auraient à juste titre estimé impossible, ou du moins extrêmement difficile, de trouver le requérant au Maroc sans disposer d’éléments autres que son lieu de naissance. À cet égard, le Gouvernement rappelle qu’aux termes de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 et de l’accord bilatéral entre l’Italie et le Royaume du Maroc de 1971, la demande de remise d’actes de procédure dans un pays étranger doit indiquer l’adresse du destinataire.

39. Le Gouvernement observe en outre que la jurisprudence de la Cour de cassation a récemment évolué, et applique désormais les dispositions – plus strictes – en matière de recherche du prévenu introuvable également aux témoins devenus introuvables (voir, notamment, Cour de cassation, arrêt no 24039 du 24 mai 2011, rv. 250109, Methnani).

40. Le Gouvernement souligne qu’afin de confirmer la preuve principale à charge, à savoir le témoignage de A, le tribunal de Lucera a pris en considération d’autres preuves, telles que les déclarations de B et des autres témoins. Dans ces circonstances, on ne saurait estimer que la déposition de B ait constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant. Ce dernier a par ailleurs eu la possibilité d’interroger A et les autres témoins présents aux débats, de contester les preuves produites par le parquet (parmi lesquelles le témoignage de B) et de produire tout élément qu’il a estimé utile pour sa défense. En outre, les juridictions du fond ont attentivement évalué l’existence d’éventuels rapports entre B, les autres témoins et le requérant. L’admission de la déposition de B aurait donc été contrebalancée par des garanties procédurales suffisantes.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

41. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 175, CEDH 2010) et, si nécessaire, des droits des témoins (voir, parmi bien d’autres arrêts, Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 70, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011). La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Gäfgen, précité, § 162, avec les références qui y sont citées).

42. L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001-II, et Solakov c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 47023/99, § 57, CEDH 2001-X).

43. Eu égard aux principes établis dans l’affaire de Grande Chambre Al‑Khawaja et Tahery précitée, la Cour doit successivement examiner si l’impossibilité pour la défense d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge était justifiée par un motif sérieux ; si les dépositions du témoin absent ont constitué la preuve unique ou déterminante de la culpabilité du requérant ; et, enfin, s’il existait des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de sa fiabilité (Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 57, 18 juillet 2013).

44. Ces principes ont été explicités dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne (no 9154/10, § 111-131, CEDH 2015), où la Grande Chambre a confirmé que l’absence de motif sérieux justifiant la non‑comparution d’un témoin ne pouvait en elle-même rendre un procès inéquitable, bien qu’elle demeure un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès, qui est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d). De plus, le souci de la Cour étant de s’assurer que la procédure dans son ensemble était équitable, elle doit vérifier s’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires où les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation de l’accusé, mais aussi dans celles où elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable.

b) Application de ces principes en l’espèce

i. Sur le point de savoir si l’absence de B au procès se justifiait par un motif sérieux

45. La Cour observe qu’en l’espèce la non-comparution de B, qui a amené le tribunal de Lucera à admettre à titre de preuve sa déposition non vérifiée, s’expliquait par l’impossibilité d’entrer en contact avec ce témoin. Les autorités avaient à plusieurs reprises et en vain essayé de lui signifier la citation à comparaître auprès du domicile qu’il avait élu (le siège de la société de transport pour laquelle il travaillait – paragraphe 20 ci-dessus) et il ne s’était pas présenté à l’audience du 14 janvier 2010, qui devait être consacrée à son audition (paragraphe 12 ci-dessus).

46. La Cour rappelle que lorsque l’absence du témoin dépend de cette raison, elle exige du tribunal du fond qu’il ait fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour assurer la comparution de l’intéressé (Gabrielyan c. Arménie, no 8088/05, § 78, 10 avril 2012 ; Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 48, 22 novembre 2012 ; et Kostecki c. Pologne, no 14932/09, §§ 65-66, 4 juin 2013). L’impossibilité pour les juridictions internes d’entrer en contact avec le témoin concerné ou le fait que celui-ci ait quitté le territoire du pays dans lequel l’instance est conduite ont été jugés insuffisants en soi pour satisfaire à l’article 6 § 3 d), lequel exige des États contractants qu’ils prennent des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (Gabrielyan, précité, § 81, Tseber, précité, § 48, et Lučić c. Croatie, no 5699/11, § 79, 27 février 2014).

47. Pareilles mesures relèvent de la diligence que les États contractants doivent déployer pour assurer la jouissance effective des droits garantis par l’article 6 (Gabrielyan, précité, § 81), faute de quoi l’absence du témoin est imputable aux autorités internes (Tseber, précité, § 48 ; Lučić, précité, § 79 ; et Schatschaschwili, précité, § 120). En particulier, ces dernières doivent avoir recherché activement le témoin avec l’aide des autorités nationales, notamment de la police (Salikhov c. Russie, no 23880/05, §§ 116-117, 3 mai 2012 ; Prăjină c. Roumanie, no 5592/05, § 47, 7 janvier 2014 ; et Lučić, précité, § 79), et, en règle générale, avoir eu recours à l’entraide judiciaire internationale lorsque le témoin en question résidait à l’étranger et que pareil mécanisme était disponible (Gabrielyan, précité, § 83 ; Lučić, précité, § 80 ; Nikolitsas c. Grèce, no 63117/09, § 35, 3 juillet 2014 ; et Schatschaschwili, précité, § 121).

48. Pour que les autorités soient considérées comme ayant déployé tous les efforts raisonnables pour assurer la comparution d’un témoin, il faut aussi que les tribunaux internes aient procédé à un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l’incapacité du témoin à assister au procès, en tenant compte de la situation particulière de l’intéressé (Nechto c. Russie, no 24893/05, § 127, 24 janvier 2012 ; Damir Sibgatullin c. Russie, no 1413/05, § 56, 24 avril 2012 ; Yevgeniy Ivanov c. Russie, no 27100/03, § 47, 25 avril 2013 ; et Schatschaschwili, précité, § 122).

49. Force est de constater qu’en l’espèce les tribunaux italiens se sont bornés à indiquer que l’absence de B, qui avait un travail stable et régulier en Italie et s’était montré disposé à collaborer avec les autorités, n’était pas prévisible et que les recherches du témoin en Italie avaient été vaines (paragraphes 16, 20 et 26 ci-dessus). La cour d’appel et la Cour de cassation ont exclu la possibilité d’effectuer des recherches ultérieures à l’étranger en observant que B était un homme né à Casablanca et dont l’adresse au Maroc était inconnue (paragraphes 21 et 26 ci-dessus).

50. Aux yeux de la Cour, une telle exclusion aprioriste se concilie mal avec l’obligation des États contractants de prendre des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge. En particulier, la cour d’appel et la Cour de cassation n’ont pas indiqué les raisons pour lesquelles il s’avérait impossible d’avoir recours à l’entraide judiciaire internationale pour contacter le témoin, qu’elles présumaient être retourné au Maroc (voir, a contrario, Schatschaschwili, précité, §§ 136-140, où la Cour a souligné que le tribunal régional de Göttingen avait pris contact avec les témoins résidant à l’étranger pour leur proposer différentes options de nature à leur permettre de venir témoigner et, face à leur refus, avait eu recours à l’entraide judiciaire internationale, demandant que les témoins en question fussent convoquées devant une juridiction lettone pour que le président du tribunal régional pût les entendre par vidéoconférence et pour permettre à la défense de les contre-interroger). La circonstance, évoquée par le Gouvernement, qu’aux termes de la Convention européenne d’entraide judiciaire et de l’accord bilatéral entre l’Italie et le Royaume du Maroc, la demande de remise d’actes de procédure doit indiquer l’adresse du destinataire (paragraphe 38 ci-dessus) n’a pas été mentionnée par les tribunaux internes. Au demeurant, la Cour n’est pas convaincue que la non-connaissance de l’adresse de B constituait un obstacle insurmontable, de nature à dispenser les autorités judiciaires italiennes de toute obligation d’essayer d’entrer en contact avec B par l’intermédiaire des autorités marocaines.

51. Dans ces circonstances, la Cour estime que les juridictions italiennes n’ont pas déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer la comparution de B (voir, mutatis mutandis, Rudnichenko, précité, §§ 105-109, où la Cour a conclu que la restriction apportée au droit du requérant de faire interroger un témoin absent ne reposait sur aucun motif, valable ou non, observant notamment qu’aucune mesure n’avait été prise pour faire en sorte que le témoin litigieux comparaisse et puisse être interrogé).

52. Cependant, comme observé plus haut (paragraphe 44 ci-dessus), même si elle constitue un élément de poids pour apprécier l’équité globale du procès, l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution de B n’est pas en soi constitutive d’une violation de l’article 6 de la Convention. La Cour examinera donc ultérieurement si sa déposition constituait le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant et s’il existait des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés que l’impossibilité de contre-interroger ce témoin a causées à la défense.

ii. Sur le point de savoir si la déposition de B constituait le fondement unique ou déterminant de la condamnation

53. La Cour rappelle que lorsque, comme en l’espèce, la déposition du témoin absent n’est pas la seule preuve à charge de l’accusé et est corroborée par d’autres éléments, l’appréciation de son caractère déterminant dépendra de la force probante de ces autres éléments : plus celle-ci sera importante, moins la déposition du témoin absent sera susceptible d’être considérée comme déterminante (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 131). La Cour aura égard à l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales, afin de s’assurer que leur évaluation du poids de la preuve n’était pas inacceptable ou arbitraire (Schatschaschwili, précité, §§ 124 et 141).

54. La Cour constate que le seul témoin oculaire du viol perpétré par le requérant était la victime des infractions, A. Selon la déposition de cette dernière, B s’était éloigné au moment de la commission du viol (paragraphe 6 ci-dessus), ce qui a été confirmé par l’intéressé lui-même lors de son interrogatoire devant les carabiniers de Lesina. B a en effet déclaré qu’il était sorti du véhicule où le viol a eu lieu et qu’il n’avait pas pu voir ce qui se passait à l’intérieur. En revanche, B avait assisté aux avances sexuelles explicites du requérant et à ses actions violentes à l’encontre de A. En outre, une fois remonté en voiture, B avait vu que A pleurait (paragraphe 7 ci‑dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne saurait considérer comme arbitraire l’évaluation des tribunaux italiens selon laquelle les déclarations de B n’étaient qu’un élément qui corroborait la preuve principale, à savoir le témoignage de A (paragraphes 15, 22 et 27 ci‑dessus). De plus, il ne s’agissait pas d’un élément corroboratif exclusif, les juridictions italiennes ayant souligné que la version de A était confirmée aussi par les déclarations du carabinier ayant recueilli sa plainte, qui avait pu constater que la victime était en état de choc et se plaignait de douleurs abdominales (paragraphes 17, 23 et 27 ci-dessus).

55. Dans ces conditions, la Cour estime que la déposition du témoin absent n’était pas « déterminante », c’est-à-dire susceptible d’emporter la décision sur l’affaire (voir, a contrario, Schatschaschwili, précité, §§ 141‑144).

iii. Sur le point de savoir s’il existait des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense

56. La Cour rappelle que les éléments compensateurs doivent permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité du témoignage non vérifié (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 147, et Schatschaschwili, précité, § 125). Notamment, une garantie importante est constituée par le fait que les juridictions internes, conscientes de la valeur réduite des déclarations du témoin absent, se penchent sur elles avec prudence (comparer avec Bobeş c. Roumanie, no 29752/05, § 46, 9 juillet 2013, et Brzuszczyński c. Pologne, no 23789/09, §§ 85-86, 17 septembre 2013). Une autre garantie de grand poids est la production au procès d’éléments de preuve, par exemple des données médicolégales, venant corroborer la déposition non vérifiée. La Cour a en outre considéré comme un facteur important venant à l’appui de la déposition d’un témoin absent l’existence de fortes similitudes entre la description faite par le témoin absent de l’infraction qu’il alléguait avoir été dirigée contre lui et celle faite par un autre témoin, avec lequel rien n’indiquait qu’il y eût eu collusion, d’une infraction comparable commise par le même défendeur. Cela vaut d’autant plus si ce dernier témoin dépose au procès et que sa fiabilité est vérifiée par un contre-interrogatoire (Schatschaschwili, précité, § 128 ; comparer avec Al-Khawaja et Tahery, précité, § 156).

57. Le défendeur doit en outre se voir offrir la possibilité de donner sa propre version des faits et de mettre en doute la crédibilité du témoin absent en soulignant toute incohérence ou contradiction avec les déclarations d’autres témoins (Aigner c. Autriche, no 28328/03, § 43, 10 mai 2012, et Garofolo c. Suisse (déc.), no 4380/09, § 56, 2 avril 2013). Lorsque l’identité du témoin est connue de la défense, celle-ci est en mesure d’identifier et d’analyser les motifs que le témoin peut avoir de mentir, et donc de contester sa crédibilité de manière effective même en son absence, bien que dans une mesure moindre qu’au cours d’une confrontation directe (Brzuszczyński, précité, § 88, et Schatschaschwili, précité, § 131).

58. La Cour relève qu’en l’espèce, la cour d’appel de Bari a évalué avec soin la crédibilité de B, observant que ce témoin n’avait aucune raison pour accuser le requérant et qu’avant les faits délictueux, il ne connaissait la victime. Ces éléments ont amené la cour d’appel à considérer la déposition de B comme étant désintéressée, et donc suffisamment fiable. En outre, aussi les déclarations de A ont été examinées avec rigueur, les juges du fond s’étant penchés sur la question de savoir si les résultats des examens médicaux effectués sur elle étaient compatibles avec sa version des faits (paragraphes 17 et 22-23 ci-dessus). En l’absence d’indices de collusion entre ces deux témoins, la concordance des versions de A et B a été un élément de poids pour affirmer la culpabilité du requérant.

59. La Cour observe de surcroît que le requérant a été représenté par un avocat tout au long du procès et qu’il a eu la possibilité de présenter ses défenses et sa version des évènements par l’intermédiaire de son conseil et en personne, notamment lors des audiences des 14 janvier et 6 mai 2010, au cours desquelles il a été interrogé et a fait des déclarations spontanées (paragraphes 12-13 ci-dessus).

60. Il convient en outre de noter que le conseil du requérant a eu la possibilité de contre-interroger A, victime présumée d’un viol, à l’audience ad hoc du 9 février 2009 (paragraphe 9 ci-dessus). Le requérant a renoncé à une deuxième opportunité de poser de questions à A lorsqu’il a donné son accord à la renonciation du parquet à l’audition de la victime aux débats (paragraphe 11 ci-dessus). Enfin, la défense a eu le loisir de contre-interroger d’autres témoins, à savoir le carabinier ayant recueilli la plainte de A, le fiancé de cette dernière et le gynécologue l’ayant examiné après les faits (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). L’accusé a ainsi eu la possibilité d’essayer de miner la crédibilité des témoins à charge, et plus particulièrement de B. En effet, il connaissait son identité et a eu le loisir de souligner toute incohérence ou contradiction éventuelle entre les déclarations de B et celles des autres témoins.

61. Il est vrai que les autorités de poursuite n’ont pas donné au requérant ou à son avocat la possibilité d’interroger B au stade de l’instruction. Cependant, la Cour observe que cette possibilité est normalement prévue pour les cas où il y a un risque que le témoin ne puisse pas être entendu lors d’un procès ultérieur contre l’accusé. Or, en l’espèce la Cour ne saurait souscrire à la thèse du requérant selon laquelle l’absence de B aux débats était prévisible (paragraphe 34 ci-dessus). En effet, comme les juridictions italiennes l’ont remarqué, au moment de son interrogatoire par les carabiniers, B avait élu un domicile, avait un travail stable et régulier en Italie et s’était montré disposé à collaborer avec les autorités (paragraphes 16, 20 et 26 ci-dessus – voir, a contrario, Schatschaschwili, précité, § 158-160, où la Cour a estimé que le risque d’absence des témoins au procès était prévisible, compte tenu du fait qu’elles séjournaient en Allemagne temporairement, qu’elles avaient exprimé leur souhait de repartir dès que possible dans leur pays et qu’elles craignaient d’avoir des problèmes avec la police et de subir des représailles de la part des auteurs de l’infraction).

iv. Appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble

62. Afin de se livrer à une appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble, la Cour a eu égard aux éléments compensateurs présents en l’espèce, considérés dans leur globalité à la lumière de sa conclusion selon laquelle la déposition de B n’a pas été déterminante pour la condamnation du requérant (paragraphe 55 ci-dessus). Elle estime que ces éléments étaient de nature à contrebalancer les difficultés rencontrées par la défense, et ce en dépit du fait que les juridictions italiennes n’ont pas déployé tous les efforts raisonnablement nécessaires pour assurer la comparution de B (paragraphe 51 ci-dessus).

63. Dès lors, la Cour estime que le fait que le requérant n’a pu, à aucun stade de la procédure, interroger ou faire interroger le témoin B n’a pas rendu inéquitable la procédure dans son ensemble.

64. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-164522
Date de la décision : 23/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6-3-d - Interrogation des témoins;Article 6 - Droit à un procès équitable)

Parties
Demandeurs : BEN MOUMEN
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TOMA A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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