La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2016 | CEDH | N°001-163664

CEDH | CEDH, AFFAIRE RIAHI c. BELGIQUE, 2016, 001-163664


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE RIAHI c. BELGIQUE

(Requête no 65400/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 juin 2016

DÉFINITIF

14/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Riahi c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fr

idrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,

Rend l’...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE RIAHI c. BELGIQUE

(Requête no 65400/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 juin 2016

DÉFINITIF

14/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Riahi c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65400/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Soufiane Riahi (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Amici, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue que son procès n’a pas été équitable étant donné qu’il n’a à un quelconque stade de la procédure eu la possibilité d’interroger l’unique témoin à charge.

4. Le 6 mars 2015, le grief concernant la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1985 et réside à Bruxelles.

6. Au cours de la nuit du 13 au 14 août 2005, D. a été agressé à Bruxelles par quatre individus qui lui dérobèrent, sous la menace, son téléphone portable et son portefeuille. D. appela les services de police qui, arrivant sur les lieux quelques instants après les faits, l’embarquèrent dans leur voiture pour faire avec lui le tour du quartier dans l’espoir de retrouver les agresseurs. D. reconnut au moins un de ses agresseurs dans un groupe de personnes. La police arrêta trois de ces personnes, dont le requérant.

7. Ces trois individus furent ensuite présentés à des fins de reconnaissance à D. derrière une vitre sans tain.

8. D. identifia ces trois personnes, dont le requérant, formellement comme ses agresseurs. Il les reconnaissait tant à leur physionomie qu’à leur habillement et l’intonation de leur voix, et indiqua le rôle de chacun d’eux au cours de l’agression qu’il avait subie. Il confirma ses déclarations devant le juge d’instruction.

9. Par jugement par défaut du 13 mars 2008, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le requérant à dix-huit mois de prison ferme. D., partie civile, bien que régulièrement cité, ne comparut pas à l’audience.

10. Statuant sur l’opposition formée par le requérant, qui ne comparut cependant pas, le tribunal correctionnel de Bruxelles le condamna à nouveau par jugement du 10 décembre 2009 à dix-huit mois de prison ferme.

11. Le requérant fut privé de liberté le 2 février 2010.

12. Suite à l’appel interjeté par le requérant, la cour d’appel de Bruxelles tint une audience le 29 mars 2010 et refixa l’affaire au 31 mars 2010, audience à laquelle le requérant ne fut cependant pas conduit, de sorte que son avocat décida de le représenter afin d’éviter un report d’audience.

13. Dans ses conclusions d’appel, le requérant demanda à titre principal son acquittement et sollicita à titre subsidiaire, pour le cas où la cour d’appel devrait estimer « qu’il n’y [avait] pas suffisamment d’éléments pour conclure que les faits reprochés au requérant [n’étaient] pas établis », la convocation de D. comme témoin.

14. Par arrêt du 27 avril 2010, la cour d’appel de Bruxelles confirma la condamnation du requérant. La cour d’appel ne convoqua pas D. et ne fit par ailleurs pas droit à la demande du requérant de procéder à son audition. La cour d’appel considéra que la culpabilité du requérant résultait à suffisance de la déposition circonstanciée, précise et nuancée de D. auprès de la police et de la confirmation de ses déclarations lors d’une audition par le juge d’instruction.

15. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il formula notamment un grief tiré de la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention et reprocha à la cour d’appel de l’avoir condamné sur base de la seule déposition de la victime D. sans qu’il n’ait jamais eu la possibilité d’interroger ou faire interroger ce dernier.

16. Par arrêt du 30 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant notamment en ces termes :

« Il ne résulte pas de [l’article 6 § 3 d) de la Convention] que le prévenu dispose d’un droit absolu d’obtenir la convocation de témoins devant la justice.

Les juges d’appel ont considéré que la victime avait fait une déposition circonstanciée, précise et nuancée concernant l’implication du demandeur dans l’agression. Ils ont en outre relevé qu’à l’occasion de sa déposition devant le juge d’instruction, elle était demeurée tout aussi affirmative. Ainsi, ils ont estimé que l’audition sollicitée n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité.

Pour apprécier si une cause a été entendue équitablement, il convient de l’examiner dans son ensemble. Dès lors que le demandeur a eu la possibilité de contredire librement, devant la juridiction de jugement, les éléments apportés contre lui par la partie poursuivante, il ne pourrait prétendre qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en matière répressive, la preuve du fait litigieux peut être établie par toutes voies de droit (Cass., 2 janvier 2003, no C.01.0188.F), et que lorsque la loi n’établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie en fait la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa conviction et que les parties ont pu librement contredire (voir, parmi d’autres, Cass., 5 janvier 2000, no P.99.1085.F, Cass., 27 février 2002, no P.02.0072.F, Cass., 23 janvier 2008, no P.07.1437.F, et Cass., 17 décembre 2008, no P.08.1223.F).

18. La loi du 1er avril 2007 modifiant le code d’instruction criminelle (« CIC ») en vue de la réouverture de la procédure en matière pénale permet aux condamnés de solliciter la réouverture de la procédure à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention. Les dispositions pertinentes figurent dans les articles 442bis à 442octies du CIC.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

19. Le requérant allègue que l’impossibilité d’interroger le seul témoin à charge a porté atteinte à son droit à un procès équitable tel que prévu par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

(...) »

20. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité et affirme que le grief est manifestement mal fondé.

22. La Cour constate que les parties développent les mêmes arguments que sous l’angle du bien-fondé du grief (voir paragraphes 24-26, ci-dessous) qu’elle examinera dans le cadre de l’examen au fond.

23. Au vu de ce qui précède et constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

24. Le requérant soutient qu’il n’a à aucun moment de la procédure pu interroger ou faire interroger le témoin-clé unique à charge, et que le refus de la cour d’appel de procéder à l’audition de D. n’est pas motivé par des circonstances exceptionnelles. Il explique aussi que la preuve en droit pénal belge est libre et que le juge du fond apprécie souverainement la valeur probante des éléments de preuve lui soumis.

25. Le Gouvernement fait valoir que D., victime et témoin unique des faits pour lesquels le requérant a été condamné, a fait, auprès des services de police, une déposition circonstanciée, précise et nuancée concernant le requérant et est demeuré tout aussi affirmatif devant le juge d’instruction. Il a par ailleurs été confronté, derrière une vitre sans tain, à ceux qu’il avait reconnus comme ses agresseurs afin de lui permettre de confirmer ou non ses reconnaissances antérieures et de préciser le rôle joué par chacun au cours des faits. L’audition n’a dès lors pas été nécessaire à la manifestation de la vérité, les préventions étant établies sans laisser la place au moindre doute raisonnable.

26. Le Gouvernement souligne que l’article 6 § 3 d) ne reconnaît pas un droit absolu d’obtenir la convocation de témoins devant la justice. De plus, si l’audition de la victime en audience publique de la juridiction de fond, en qualité de témoin unique à charge, devait être considérée comme une condition sine qua non du procès équitable, les procès ne pourraient plus être tenus au rythme actuel et certains procès n’auraient plus lieu d’être puisque nombre de victimes craindraient, comme en l’espèce, la confrontation. Finalement, pour déterminer si une cause a été entendue équitablement, il y a lieu de l’examiner dans son ensemble. Or, le conseil du requérant a en l’espèce pu contester largement les faits mis à charge du requérant et ce dernier a ainsi eu la possibilité de contredire librement devant la juridiction de jugement les éléments apportés contre lui. Le requérant connaissait l’identité du témoin unique et a pu contester sa probité et sa crédibilité mais aussi mettre à l’épreuve la sincérité et la fiabilité de son témoignage.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

27. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 100, 15 décembre 2015). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (voir, entre autres, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010, et autres références). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (Schatschaschwili, précité, § 101). La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références citées).

28. Elle rappelle en outre que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

29. Dans son arrêt Al-Khawaja et Tahery, la Cour a conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent de celui-ci et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1. La Cour a précisé que, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (ibidem, §§ 146-147).

30. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, § 107), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 152). La Cour doit rechercher :

i. s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii. si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et

iii. s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, § 147).

31. Cependant, l’absence de motif sérieux justifiant la non‑comparution d’un témoin ne peut en soi rendre un procès inéquitable, mais constitue un élément de poids pour apprécier l’équité globale d’un procès, et est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) (Schatschaschwili, précité, § 113).

32. La Cour doit aussi vérifier l’existence d’éléments compensateurs suffisants dans les affaires où, après avoir apprécié l’évaluation faite par les tribunaux internes de l’importance de pareilles dépositions, elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (ibidem, § 116).

33. En règle générale, il est pertinent d’examiner les trois étapes du critère Al-Khawaja et Tahery dans l’ordre défini dans cet arrêt (paragraphe 30, ci‑dessus). Il peut en aller différemment notamment lorsque l’un de ces critères se révèle particulièrement probant pour déterminer si la procédure a été ou non équitable (Schatschaschwili, précité, § 118).

34. De l’avis de la Cour, les mêmes principes sont applicables en l’espèce.

b) Application des principes en l’espèce

i. Les raisons pour ne pas permettre au requérant d’interroger ou de faire interroger D. en audience publique

35. La Cour constate en premier lieu que le témoin unique D. a été entendu par les services de police et par le juge d’instruction sans que le requérant ou son avocat aient pu assister à une de ces auditions.

36. La Cour constate ensuite que la cour d’appel a rejeté la demande du requérant de procéder à l’audition de D. Elle observe que la juridiction motiva cette décision par la considération que la culpabilité du requérant résultait à suffisance de la déposition circonstanciée, précise et nuancée de D. auprès de la police et de la confirmation de ses déclarations lors d’une audition par le juge d’instruction. La Cour note que la cour d’appel ne s’est pas fondée sur un empêchement du témoin pour venir témoigner. La cour d’appel n’a pas non plus invoqué une justification factuelle, un motif procédural ou juridique de nature à empêcher l’audition du témoin.

ii. L’importance de la déposition de D. pour la condamnation du requérant

37. La Cour constate à cet égard qu’il n’est pas contesté devant elle que les dépositions de D. ont constitué la preuve à charge unique dans le cadre de l’action publique menée contre le requérant. Le caractère unique de la preuve pèse lourd dans la balance et appelle des éléments suffisamment compensateurs des difficultés que son admission fait subir à la défense (voir Al-Khawaja et Tahery, précité, § 161).

iii. Les garanties procédurales pour contrebalancer les difficultés causées à la défense

38. La Cour rappelle que, dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec la déposition d’un témoin absent, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour la défense, notamment des garanties procédurales solides permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci. L’examen de cette question permet de vérifier si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable, compte tenu de son importance dans la cause, pour prononcer une condamnation (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 147).

39. La Cour observe dans ce contexte que le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l’équité de la procédure, en ce que non seulement il vise l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par-là, du bien-fondé des chefs d’accusation (Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 59, 22 novembre 2012, et Sică c. Roumanie, no 12036/05, § 69, 9 juillet 2013).

40. Dans la présente affaire, la victime et unique témoin, D., a été entendu par la police et par le juge d’instruction, mais n’a jamais comparu devant les juridictions du fond. Ni les juges du fond ni le requérant ou son représentant n’ont donc pu l’observer pendant l’interrogatoire pour apprécier sa crédibilité et la fiabilité de sa déposition (Tseber, précité, § 60, Sică, précité, § 70, Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 65, 18 juillet 2013, et Rosin c. Estonie, no 26540/08, § 62, 19 décembre 2013).

41. La Cour constate ensuite que la cour d’appel a analysé les dépositions de D. devant la police et le magistrat instructeur et a fait valoir leur caractère circonstancié, précis, nuancé et constant. Cela étant, la Cour se doit de rappeler qu’un tel examen ne saurait à lui seul compenser l’absence d’interrogation du témoin par la défense (Damir Sibgatullin c. Russie, no 1413/05, § 57, 24 avril 2012). En effet, aussi rigoureux soit-il, l’examen fait par le juge du fond constitue un instrument de contrôle imparfait dans la mesure où il ne permet pas de disposer des éléments pouvant ressortir d’une confrontation en audience publique entre l’accusé et son accusateur (Tseber, précité, § 65).

42. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le caractère déterminant des dépositions de D., en l’absence de confrontation avec le requérant en audience publique, emporte la conclusion que les juridictions internes, aussi rigoureux qu’ait été leur examen, n’ont pas pu apprécier correctement et équitablement la fiabilité de cette preuve.

43. Partant, considérant l’équité de la procédure dans son ensemble, la Cour juge que les droits de la défense du requérant ont ainsi subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable. Il y a donc eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

45. Le requérant réclame 10 000 euros (« EUR ») pour le préjudice moral qu’il aurait subi.

46. Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur la demande de satisfaction équitable.

47. La Cour estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt (voir paragraphe 43, ci-dessus) ne suffit pas à remédier. Elle rappelle cependant que lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée malgré l’existence d’une atteinte aux exigences d’équité de la procédure, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, mutatis mutandis, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 86, CEDH 2004‑IV, Krasniki c. République tchèque, no 51277/99, § 93, 28 février 2006, et Tseber, précité, § 75). Elle constate que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (voir paragraphe 18, ci-dessus). Eu égard à cette possibilité et statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant un montant de 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

48. Le requérant demande également 477,72 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.

49. Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations à cet égard.

50. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 400 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 400 EUR (quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-163664
Date de la décision : 14/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-d - Interrogation des témoins)

Parties
Demandeurs : RIAHI
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : AMICI A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award