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07/06/2016 | CEDH | N°001-163339

CEDH | CEDH, AFFAIRE ŞAHİN KUŞ c. TURQUIE, 2016, 001-163339


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞAHİN KUŞ c. TURQUIE

(Requête no 33160/04)

ARRÊT

STRASBOURG

7 juin 2016

DÉFINITIF

07/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Şahin Kuş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turkov

ić,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 ma...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞAHİN KUŞ c. TURQUIE

(Requête no 33160/04)

ARRÊT

STRASBOURG

7 juin 2016

DÉFINITIF

07/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Şahin Kuş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33160/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Şahin Kuş (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A.H. Nurullahoğlu, avocat à Konya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le requérant se plaignait de l’annulation et de la modification de son certificat d’équivalence de diplôme universitaire, ainsi que de l’annulation de sa nomination à un poste d’instituteur.

4. Le 16 juin 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1964 et réside à Konya.

6. Le 8 juin 1993, le requérant obtint un diplôme universitaire en « langue et littérature arabes » à l’Université de Damas, en Syrie.

7. Le 16 août 1993, le Conseil de l’enseignement supérieur turc (« le YÖK ») reconnut le diplôme du requérant comme équivalent à une licence (diplôme représentant en Turquie quatre ans d’études).

8. Après avoir obtenu la reconnaissance de son diplôme syrien, le requérant s’inscrivit à l’Institut des sciences sociales de l’Université turque de Selçuk (Konya) pour y poursuivre ses études de master en « langue et rhétorique arabes ». Le 17 octobre 1996, il termina ses études et obtint son diplôme de master.

9. Entre-temps, en 1996, il présenta sa candidature auprès du ministère de l’Éducation nationale (« le ministère ») pour un poste d’instituteur. Son dossier ayant été retenu, il fut nommé par une décision du 25 décembre 1996 du ministère en tant qu’instituteur.

10. Le 14 mai 1997, il prit effectivement ses fonctions en tant qu’instituteur stagiaire dans une école de l’enseignement primaire à Aralık (Iğdır).

11. Du 30 juin au 22 août 1997, il suivit avec succès une formation pédagogique, organisée par le ministère pour les aspirants instituteurs.

12. Cependant, le 2 avril 1997, le YÖK prit la décision de ne plus accorder de certificats d’équivalence pour les diplômes de théologie ou en relation avec la théologie, obtenus à l’étranger, et ce, en invoquant le niveau insuffisant de l’enseignement dispensé.

Le 16 juillet 1997, le YÖK élargit le champ d’application de cette dernière décision. Il décida de ne plus accorder de certificats d’équivalence non seulement pour les diplômes de théologie mais aussi pour tout autre diplôme obtenu dans un établissement d’enseignement supérieur où la théologie est enseignée. Il décida également d’annuler les certificats d’équivalence précédemment délivrés par lui, dont celui délivré au requérant, toujours au motif que le niveau de l’enseignement dispensé par l’Université de Damas était insatisfaisant par rapport à celui des universités turques.

13. C’est ainsi que, le 30 juillet 1997, le ministère de l’Éducation nationale annula la nomination du requérant, en se fondant sur cette dernière décision du YÖK. Le 1er septembre 1997, il fut effectivement démis de ses fonctions.

14. Le 4 octobre 1997, le requérant saisit le tribunal administratif d’Erzurum d’une demande en annulation des décisions du YÖK et du ministère.

15. Par une décision du 10 décembre 1997, modifiant celle du 16 juillet 1997, le YÖK décida de ne pas annuler les certificats d’équivalence dûment accordés, mais de les assortir d’une mention précisant que ceux-ci ne seraient pas valables pour la nomination des instituteurs et professeurs selon l’article 43 de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur.

16. Le 29 décembre 1997, considérant que la demande d’annulation de la décision du YÖK relevait de la compétence du Conseil d’État, le tribunal administratif d’Erzurum renvoya l’affaire à ce dernier.

17. Le 5 mai 1998, faisant suite à sa décision du 10 décembre 1997, le YÖK décida de ne pas annuler la reconnaissance du diplôme de licence du requérant, au motif que ce dernier avait déjà obtenu son diplôme de master. Il rétablit donc le certificat d’équivalence de diplômes, mais en y apposant une annotation se traduisant comme suit : « Ce certificat n’est pas valable pour la nomination des instituteurs et professeurs ».

18. Dans ses observations adressées au Conseil d’État, le YÖK expliqua que le requérant, bien que diplômé de « langue et littérature arabes », avait suivi un programme universitaire incluant l’enseignement de la théologie, au sein d’une université où la théologie est enseignée.

19. Le 3 février 1999, le Conseil d’État débouta le requérant. Il considéra qu’il n’y avait plus lieu de se prononcer sur la validité de l’équivalence, celle-ci ayant entre-temps été reconnue par le YÖK. Quant à la décision du ministère d’annuler la nomination, il considéra qu’elle était conforme au droit, étant donné qu’à la suite de la décision du YÖK du 5 mai 1998 et au vu l’article 45 § 2 de la loi no 1739 sur l’Éducation nationale, il était clair que l’équivalence délivrée au requérant ne lui permettait pas juridiquement d’exercer le métier d’instituteur/professeur.

20. Le 19 janvier 2000, par une majorité de quatorze voix contre trois, l’assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’État (Danıştay İdari Dava Daireleri Genel Kurulu) confirma le jugement attaqué. Les juges dissidents émirent, de leur côté, une opinion divergente en estimant que la compétence du YÖK était limitée par les dispositions législatives en vigueur à la reconnaissance des diplômes à l’étranger, et ne permettait pas au YÖK d’apposer des annotations visant, comme celle en cause, à limiter leur champ d’application. Selon eux, c’était au ministère de l’Éducation qu’il appartenait de vérifier si les personnes ayant obtenu l’équivalence de leur diplôme remplissaient les qualifications requises pour être instituteur.

21. Le 25 décembre 2003, le recours en rectification formé par le requérant fut rejeté. Cet arrêt fut notifié au requérant le 12 février 2004.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. L’article 7 de la loi no 2547 du 4 novembre 1981 relative à l’enseignement supérieur définit les missions du YÖK. Selon l’alinéa p) de cette disposition, le YÖK a notamment pour mission de constater l’équivalence des diplômes d’enseignement supérieur obtenus à l’étranger.

23. Le passage pertinent de l’article 43 de la loi no 2547 se lit ainsi :

« b) Pour les universités dispensant un enseignement dans les mêmes domaines (...), la question de l’équivalence quant aux éléments tels que l’enseignement, les méthodes, le contenu et la durée de la formation et les modalités d’évaluation, ainsi que la question de l’équivalence des titres et droits acquis au terme des études, sont régies par Conseil de l’enseignement supérieur, sur recommandation du Conseil interuniversitaire, et pour les voies de formation des enseignants, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale pour la vérification des éléments indiqués.

(...) »

24. Le règlement du 14 juillet 1996 sur l’équivalence des diplômes obtenus à l’étranger, en vigueur à l’époque des faits, définissait les modalités de la reconnaissance des diplômes. Ledit règlement ne prévoyait pas la possibilité d’une annulation ou d’une modification d’un certificat d’équivalence déjà accordé par le Conseil de l’enseignement supérieur.

25. L’article 45 § 2 de la loi no 1739 sur l’Éducation nationale se traduit comme suit :

« Les professeurs/instituteurs sont nommés par le ministère de l’Éducation nationale, parmi les diplômés des organismes d’enseignement supérieur qui les forment ou parmi les diplômés des organismes d’enseignement [situés] à l’étranger et dont l’équivalence du diplôme est reconnue. »

26. L’article 48 de la loi no 657 sur les fonctionnaires d’État énonce les conditions d’accès à la fonction publique, parmi lesquelles figure la possession d’un diplôme lié à la fonction. L’article 98 b) de cette même loi indique qu’il est mis fin à la fonction de l’agent en cas de perte des conditions d’accès à la fonction publique ou lorsque la non-réalisation de ces conditions apparaît postérieurement.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint des décisions internes ayant annulé puis modifié son certificat d’équivalence et sa nomination, ainsi que des décisions juridiques y relatives, sans invoquer aucun article de la Convention.

28. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Glor c. Suisse, no 13444/04, § 48, CEDH 2009), estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 8 de la Convention, lequel se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

29. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

30. Le requérant soutient qu’après avoir délivré un certificat d’équivalence le YÖK n’avait pas compétence pour, quatre années plus tard, l’annuler ou le modifier, au motif qu’il n’était pas valable pour la nomination des instituteurs. Selon le requérant, l’annulation de sa nomination par le ministère ne repose sur aucun fondement juridique, dans la mesure où le ministère n’est en droit de révoquer un instituteur que s’il a commis certains délits, situation étrangère au cas d’espèce.

31. Le Gouvernement expose que la reconnaissance du diplôme du requérant n’était pas conforme à la loi, et que c’est pour cette raison que le YÖK a décidé de l’annuler. En ce qui concerne la base légale de l’ingérence, le Gouvernement affirme que le YÖK, compétent en vertu de l’article 7, alinéa p) de la loi no 2547 pour reconnaître l’équivalence de diplômes obtenus à l’étranger, est également habilité à annuler un certificat d’équivalence accordé auparavant. Le pouvoir accordé au YÖK pour reconnaître l’équivalence des diplômes comprend aussi la compétence pour déterminer si les diplômés des organismes d’enseignement situés à l’étranger sont aptes à exercer une profession. Par conséquent, l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.

32. Quant au but légitime poursuivi, le Gouvernement fait valoir que si les diplômés ayant eu une formation universitaire insuffisante à l’étranger étaient autorisés à enseigner, la qualité de l’éducation dispensée aux élèves serait diminuée, de sorte que ces derniers seraient privés de la possibilité d’obtenir une éducation satisfaisante. Il estime donc que l’ingérence litigieuse poursuivait un but légitime au sens du second paragraphe de l’article 8.

33. Enfin, le Gouvernement est d’avis que l’ingérence litigieuse est la moins intrusive, dans la mesure où le diplôme du requérant a finalement bien été reconnu par les autorités, ne laissant finalement comme seule restriction que le refus de la possibilité d’enseigner en Turquie. À ce dernier égard, le Gouvernement fait valoir que le fait que les élèves soient instruits par des enseignants ayant un niveau satisfaisant d’études relève directement de l’ordre public ainsi que du bien-être public. Dès lors, il considère que, compte tenu de l’intérêt public en jeu, l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice du droit protégé par l’article 8 de la Convention

34. La Cour rappelle avoir déjà dit que l’imposition de restrictions à l’accès à une profession pouvait porter atteinte à la « vie privée » (voir Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 47, CEDH 2004‑VIII, et Bigaeva c. Grèce, no 26713/05, § 22-25, 28 mai 2009). De même, elle a déjà jugé qu’une mesure de révocation pouvait porter atteinte au droit au respect de la vie privée (voir Özpınar c. Turquie, no 20999/04, §§ 43-48, 19 octobre 2010, Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, §§ 165-167, 9 janvier 2013, et İhsan Ay c. Turquie, no 34288/04, §§ 30-32, 21 janvier 2014).

35. En l’occurrence, la Cour note que le diplôme universitaire du requérant obtenu à l’étranger avait initialement été reconnu par le YÖK. Le requérant a, de surcroît, été autorisé à poursuivre ses études au sein d’une université turque où il a obtenu un master. Il a donc réintégré avec succès, et à un niveau supérieur d’études, une université turque. Néanmoins, quatre ans après la reconnaissance de son diplôme, alors qu’il s’était vu offrir un poste d’instituteur par le ministère de l’Éducation nationale et qu’il avait terminé avec succès la formation pédagogique organisée par ce dernier, le YÖK a décidé d’annuler l’équivalence de diplôme du requérant. Se fondant sur cette décision, le ministère a annulé la nomination du requérant en tant qu’instituteur. Bien que le YÖK ait ultérieurement modifié sa décision en rétablissant le certificat d’équivalence du requérant, cette circonstance n’a eu aucun effet sur sa révocation de son poste d’instituteur dans la mesure où le nouveau certificat d’équivalence contenait une annotation limitant sa portée, de sorte qu’il ne donnait pas accès à la profession d’enseignant. La Cour note que cette restriction est intervenue au moment où le requérant exerçait une profession correspondant à ses qualifications acquises grâce à ses efforts personnels et académiques. En ayant affecté la possibilité pour le requérant d’exercer la profession d’instituteur, la restriction litigieuse a ainsi entraîné des répercussions évidentes sur la jouissance par celui-ci du droit au respect de sa vie privée (voir, mutatis mutandis, Bigaeva, précité, §§ 24‑25, Mateescu c. Roumanie, no 1944/10, § 21, 14 janvier 2014).

36. Par ailleurs, la révocation du requérant a eu des incidences sur une grande partie de ses relations avec autrui, notamment sur ses relations de nature professionnelle dans la mesure où son niveau de qualification a été remis en cause et la carrière qu’il avait choisie a été brusquement interrompue. Sa révocation a également eu des incidences sur son « cercle intime », car la perte de son emploi a inévitablement entraîné des répercussions négatives sur son bien-être matériel et celui de sa famille (voir, Oleksandr Volkov, précité, § 166), notamment par la remise en cause implicite de son niveau de compétences et donc de son aptitude à exercer correctement sa profession.

37. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour est d’avis que l’annulation et la modification subséquente du certificat d’équivalence du requérant ainsi que la révocation qui en est résultée peuvent être considérées comme une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention.

b) Sur la justification de l’ingérence

38. Pour déterminer si l’ingérence ainsi constatée emporte violation de l’article 8, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du paragraphe 2 de cet article, autrement dit si elle était « prévue par la loi » et « nécessaire, dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou l’autre des « buts légitimes » énumérés dans ce texte.

i. Sur la base légale de l’ingérence

39. La Cour rappelle que si les mots « prévue par la loi » expriment d’abord l’exigence que la mesure contestée ait une base en droit interne, ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : il faut que celle-ci soit accessible à la personne concernée, que cette dernière puisse de surcroît en prévoir les conséquences pour elle, et qu’elle soit compatible avec la prééminence du droit (voir, entre autres, Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II). Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, § 39, 24 avril 2008). La loi doit en outre offrir une certaine garantie contre les atteintes arbitraires de la puissance publique. L’existence de garanties procédurales spécifiques est déterminante à cet égard. Les garanties requises dépendent, au moins dans une certaine mesure, de la nature et de la portée de l’ingérence en question (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 46, CEDH 2001-IX).

40. La Cour observe qu’en l’espèce, le YÖK a d’abord annulé le certificat d’équivalence du requérant en se fondant sur l’article 7, alinéa p) de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur. C’est ensuite et sur la base de cette décision du YÖK que le ministère de l’Éducation nationale a révoqué le requérant en vertu de l’article 98 b) de la loi no 647 sur les fonctionnaires de l’État. Ultérieurement, agissant en vertu de l’article 43 de la loi no 2547, le YÖK a modifié sa décision : il a rétabli le certificat d’équivalence du requérant, mais en y apposant une annotation selon laquelle celui-ci n’était « pas valable pour la nomination des instituteurs ». En raison de cette annotation, la décision de révoquer le requérant est restée valable. Ainsi, l’ingérence litigieuse a pris pour base légale les articles 7, alinéa p) et 43 de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur ainsi que l’article 98 b) de la loi no 647 sur les fonctionnaires de l’État.

41. La Cour note que selon l’article 7, alinéa p) de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur, le YÖK était chargé, entre autres, de « constater l’équivalence » des diplômes d’enseignement supérieur obtenus à l’étranger.

Le Gouvernement soutient que le YÖK, compétent pour reconnaître ces équivalences était également habilité à annuler ou modifier un certificat d’équivalence déjà accordé par lui. Or, la Cour observe que ni l’article 7, alinéa p) de la loi no 2547 ni les dispositions du règlement du 14 juillet 1996 portant application dudit article, ni du reste l’article 43 de la loi no 2547 ne mentionnaient expressément une quelconque compétence du YÖK pour annuler ou modifier un certificat d’équivalence déjà accordé (voir ci-dessus sous l’intitulé « droit et pratique internes pertinents »). À supposer qu’il faille considérer que les dispositions en question donnaient implicitement un pouvoir de cette nature au YÖK, elles ne précisaient aucunement dans quelles circonstances et selon quelle procédure le YÖK pouvait, de manière rétroactive, annuler une équivalence ou y apposer une annotation propre à en exclure l’exercice d’une profession en particulier.

42. De surcroît, la Cour relève que la question fondamentale de savoir si le YÖK avait compétence, selon les dispositions législatives en vigueur, pour adopter les actes contestés, n’a pas été tranchée par les juridictions nationales. En effet, elles ont débouté le requérant au seul motif que le certificat d’équivalence dont il disposait « ne lui permett[ait] pas d’exercer le métier d’instituteur », sans se prononcer sur la légalité de l’annulation ou de l’annotation litigieuses, alors même que cette question constituait l’objet du recours du requérant. Sur ce point, il convient de relever que la question de la légalité de la mesure a été mise en exergue dans l’opinion dissidente jointe à la décision du 3 février 1999 du Conseil d’État.

43. La Cour considère donc que de sérieux doutes peuvent surgir quant à la prévisibilité pour le requérant de l’annulation de son équivalence, puis de l’apposition d’une mention limitant considérablement la portée de celle-ci. Toutefois, eu égard à la conclusion à laquelle elle parvient quant à la nécessité de l’ingérence litigieuse (paragraphes 52-53 ci-après), la Cour juge qu’il ne s’impose pas ici de trancher cette question (voir en ce sens, Dink c. Turquie, nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09, § 116, 14 septembre 2010).

ii. Sur le but légitime de l’ingérence

44. La Cour observe que le Gouvernement justifie essentiellement l’annulation/modification du certificat d’équivalence du requérant ainsi que la révocation qui s’en est suivie par le faible niveau de l’enseignement dispensé à l’étranger. Le Gouvernement estime que si les diplômés ayant eu une formation universitaire insuffisante étaient autorisés à enseigner, les élèves se trouveraient privés de la possibilité de bénéficier d’un enseignement de qualité.

45. La Cour estime qu’en réglementant l’accès à la profession d’instituteur, l’ingérence litigieuse visait à garantir un bon niveau d’enseignement dans les écoles. Elle peut donc se rattacher au but légitime de « la défense de l’ordre » et de « la protection des droits et libertés d’autrui », à savoir ceux des élèves (voir, mutatis mutandis, İhsan Ay, précité, § 36, et Bigaeva, précité, § 31).

iii. Sur la nécessité de l’ingérence

46. Selon la jurisprudence constante de la Cour, une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. À cet égard, il faut que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, entre autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 181, CEDH 2012, et Animal Defenders International c. Royaume‑Uni [GC], no 48876/08, § 105, CEDH 2013 (extraits)).

47. En l’occurrence, la Cour note d’abord que, le requérant remplissant toutes les conditions requises à l’époque des faits, le YÖK lui a initialement accordé le certificat d’équivalence demandé sans aucune annotation propre à exclure l’exercice de la profession d’instituteur. Le requérant a pu ensuite poursuivre en Turquie des études de niveau master, qui nécessitent naturellement un diplôme de licence reconnu comme valable dans ce pays. De surcroît, il s’est vu offrir un poste d’instituteur par le ministère de l’Éducation nationale et a terminé avec succès la formation pédagogique organisée par celui-ci. Ainsi, les autorités compétentes ont non seulement reconnu l’équivalence du diplôme du requérant, mais ont aussi et surtout confirmé au vu de leurs propres critères nationaux que celui-ci possédait les qualifications nécessaires pour exercer la profession d’instituteur.

48. Cependant, quatre ans après la reconnaissance du diplôme du requérant, le YÖK a, dans un premier temps, annulé l’équivalence de son diplôme, ce qui a motivé sa révocation par le ministère de l’Éducation. Ensuite, près de dix mois plus tard, réalisant que le requérant avait obtenu en Turquie un diplôme de master au terme d’études engagées sur la base de la reconnaissance de l’équivalence de son diplôme étranger à une licence turque, le YÖK a modifié sa décision, en remplaçant l’annulation par une mention portée sur le certificat selon laquelle celui-ci n’était pas valable pour la nomination des instituteurs. Ainsi, la modification de la décision du YÖK est restée sans effet sur la révocation du requérant.

49. La Cour estime que le cœur du problème réside dans le fait que le YÖK est revenu sur sa décision initiale de reconnaître sans aucune restriction l’équivalence du diplôme du requérant pour, finalement, le priver de l’autorisation d’exercer la profession d’instituteur. À cet égard, le Gouvernement invoque le niveau potentiellement insatisfaisant de l’enseignement dispensé à l’étranger et ses répercussions éventuelles sur l’éducation des élèves.

50. La Cour note toutefois que la mesure litigieuse s’est appliquée de manière générale à tous les diplômés des universités au sein desquelles la théologie était enseignée, sans prendre en compte la situation personnelle de chacune des personnes visées. Or, il convient de rappeler qu’après l’obtention de son équivalence, le requérant avait poursuivi avec succès des études post‑licence en Turquie, et que sa formation avait été considérée comme suffisante par le ministère de l’Éducation pour le nommer à un poste d’enseignant et qu’après sa nomination, il avait accompli avec succès la formation pédagogique.

51. Surtout, la Cour relève que les autorités ont modifié le certificat d’équivalence du requérant quatre ans après sa délivrance, alors qu’il avait déjà pris effectivement ses fonctions en tant qu’instituteur stagiaire. Les autorités compétentes ont par ce biais brusquement bouleversé la situation professionnelle du requérant, alors qu’aucun manquement ne lui était reproché et que rien ne permettait de penser qu’il n’était pas au niveau de sa tâche. Elles ont ainsi engendré une insécurité juridique et une incertitude inacceptables pour le requérant, ce dernier étant fondé à croire qu’il avait le droit d’exercer la profession d’instituteur et à organiser en conséquence non seulement sa vie professionnelle, mais aussi sa vie privée. Il était légitimement en droit de se projeter avec confiance dans l’avenir en considérant comme acquise la poursuite de sa carrière d’instituteur. À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà conclu, dans une affaire précédente, à la violation de l’article 8 au motif que le comportement des autorités nationales avait manqué de cohérence et de respect pour la personne et la vie professionnelle d’une diplômée étrangère ayant été empêchée d’accéder à la profession d’avocat (Bigaeva, précité, §§ 35-36).

52. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que les mesures incriminées ne répondaient pas à un besoin social impérieux et qu’en tout état de cause elles n’étaient pas proportionnées aux buts légitimes visés. De ce fait, elles n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.

53. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

55. Le requérant réclame 144 000 livres turques (TRY) (environ 68 730 euros (EUR)) pour préjudice matériel et 150 000 TRY (environ 71 595 EUR) pour préjudice moral.

56. Le Gouvernement conteste ces montants.

57. La Cour relève que le dommage matériel allégué n’est pas étayé. Il n’y a donc pas lieu d’accorder une indemnité à ce titre.

En revanche, la Cour considère que la violation constatée a dû être source de détresse et d’angoisse pour le requérant. Statuant en équité, en vertu de l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 7 500 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

58. Le requérant demande également 13 000 TRY (environ 6 205 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

59. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande.

60. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de l’absence de documents justificatifs et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à la majorité, la requête recevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit , par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de la juge I. Karakaş.

J.L.
S.H.N.

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

J’ai voté contre la recevabilité de la requête. De mon point de vue, l’article 8 ne s’applique pas au cas d’espèce et, par conséquent, ne pouvait faire l’objet d’une violation.

Le requérant se plaint des décisions internes sans invoquer le moindre article de la Convention. Il n’a soulevé aucun grief de ce type, même en substance, lors de la procédure administrative interne. Mais, le Gouvernement ayant omis d’exciper du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour ne pouvait pas examiner cette question d’office.

Dans cette affaire, il faut éviter le faux problème de la reconnaissance-annulation-reconnaissance d’équivalence du diplôme du requérant. D’après les faits, le diplôme universitaire étranger en langue et littérature arabes a été finalement reconnu avec une annotation qui en limitait la portée, c’est‑à‑dire qui ne lui permettait pas d’accéder à la profession d’enseignant (voir la partie de l’exposé des faits concernant l’annulation et la reconnaissance de l’équivalence, aux paragraphes 7‑12). Donc, son diplôme est reconnu en droit interne mais il ne peut pas exercer la fonction d’instituteur, ce qu’a également constaté le Conseil d’État en concluant que l’objet de la requête concernant l’annulation de l’équivalence n’existait plus. La seule question à examiner reste alors celle de l’existence sur le terrain de l’article 8 d’un droit qui garantirait son accès à la fonction publique (être instituteur des écoles).

D’après la jurisprudence de la Cour, la notion de « vie privée » n’exclut pas en principe les activités de nature professionnelle ou commerciale, puisque c’est dans le domaine du travail que les gens nouent un grand nombre de relations avec le monde extérieur (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A, no 251‑B). La Cour a également jugé que le refus d’embauche dans la fonction publique ne pouvait en tant que tel constituer le fondement d’un grief tiré de la Convention (Glasenapp c. Allemagne, 28 août 1986, § 49, série A no 104, Kosiek c. Allemagne, 28 août 1986, § 35, série A no 105 et Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, §§ 43-44, série A no 323). Par ailleurs, dans laffaire Thlimmenos c. Grèce ([GC], no 34369/97, § 41, CEDH 2000‑IV), où le requérant n’avait pas pu être nommé expert-comptable en raison d’une condamnation antérieure, elle a dit que la Convention ne garantissait pas le droit de choisir une profession particulière.

Dans l’affaire Kuş, l’accès à la fonction publique se trouve au centre du problème soumis à la Cour. La majorité rappelle que l’imposition de restrictions à l’accès à une profession peut porter atteinte à la vie privée (paragraphe 33 de l’arrêt, se référant à Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 47, CEDH 2004‑VIII).

Mais l’application de l’article 8 aux activités professionnelles ou publiques n’est pas inconditionnelle. L’article 8 ne garantit pas, par exemple, le droit d’accès à la fonction publique (voir Vogt, précité, § 43, et Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 57, CEDH 2007‑II), ni le droit de choisir une profession (voir Thlimmenos, précité, § 41). Dans l’affaire Sidabras et Džiautas, (précité, §§ 46-47), la Cour a estimé que, malgré l’approche retenue par elle dans les arrêts Vogt et Thlimmenos, la portée de l’interdiction d’exercer dans le secteur privé pour les anciens agents du KGB, en cause dans cette affaire, avait un tel impact sur « la vie privée » que l’article 8 s’appliquait. La Cour a noté sur ce point que l’interdiction avait engendré pour les requérants de graves difficultés quant à leurs possibilités de gagner leur vie, avec des répercussions évidentes sur leur vie privée, et que la publicité provoquée par l’interdiction et de l’application de celle-ci à leur égard les avait mis dans l’embarras de façon constante et les avait empêchés de nouer des contacts avec le monde extérieur (§§ 48-49) (voir Misick c. Royaume‑Uni (déc.), no 10781/10, § 25, 16 octobre 2012). Le contexte de l’affaire Sidabras et Džiautas étant très particulier parce qu’il se limitait explicitement à une interdiction générale d’occuper un emploi dans le secteur privé, cette affaire n’est pas pertinente dans le cas d’espèce.

De même, dans l’arrêt Calmanovici c. Roumanie, (no 42250/02, § 137, 1er juillet 2008), faute pour le requérant d’avoir allégué que la mesure dont il se plaignait l’avait empêché de trouver un emploi dans le secteur privé, la Cour a constaté que la présente affaire se distinguait de celle où elle avait jugé que l’interdiction d’occuper un grand nombre d’emplois dans le secteur privé touchait à la « vie privée » (Sidabras et Džiautas, précité, §§ 47-48) et même de celle où elle avait admis que la suspension temporaire de la fonction d’agent de police, combinée avec le refus d’accepter la démission du requérant, avaient pu affecter sa « vie privée », sans pour autant méconnaître l’article 8 de la Convention (Karov c. Bulgarie, no 45964/98, §§ 88-89, 16 novembre 2006).

Dans le cas d’espèce, l’annotation qui empêche l’accès du requérant à la fonction publique uniquement en tant qu’instituteur ne l’empêche pas de trouver un emploi dans le secteur public ou privé. Mis à part plusieurs possibilités dans le secteur privé en tant que diplômé en langue arabe et grâce à son diplôme obtenu au lycée Imam Hatip, il peut également prétendre à être recruté en tant qu’« imam », c’est-à-dire comme fonctionnaire de l’État. Le seul fait qu’il a été aspirant instituteur, c’est-à-dire qu’il a travaillé en vertu d’un contrat d’un à deux ans sans la garantie de renouvellement, et qu’il a suivi une formation pédagogique ne lui donne pas le droit d’être nommé instituteur des écoles. On ne saurait déduire de l’article 8 un droit général à l’emploi ou au renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée (Fernández Martínez v. Spain, no 56030/07, § 109, 12 juin 2014). En d’autres termes, il n’a subi aucune restriction à l’accès à d’autres emplois publics ou privés.

Il est douteux que l’article 8 puisse s’appliquer de manière indiscriminée à tout licenciement. Il incombe dès lors au requérant d’évoquer les effets négatifs concrets d’une telle mesure sur son droit au respect de sa vie privée, tant devant les tribunaux internes que devant la Cour. Or le requérant en l’espèce n’a ni invoqué l’article 8 ni fait état d’un quelconque effet de ce genre (voir, à titre de comparaison, Özpınar c. Turquie, no 20999/04, § 47, 19 octobre 2010 : « la Cour observe que l’intéressée n’a pas été renvoyée uniquement pour des raisons professionnelles : il ressort de l’enquête disciplinaire et de la décision de révocation que ses agissements et relations non seulement dans le cadre de sa vie professionnelle mais aussi dans le cadre de sa vie privée étaient directement en jeu. Par ailleurs, compte tenu des reproches faits à la requérante au cours de l’enquête, celle‑ci peut raisonnablement penser que sa réputation était mise en cause. À cet égard, il est déjà admis dans la jurisprudence des organes de la Convention que le droit d’une personne à la protection de sa réputation est couvert par l’article 8 en tant qu’élément du droit au respect de la vie privée », et voir aussi Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 166, 9 janvier 2013, CEDH 2013 : « [l]a révocation du requérant de son poste de juge a eu des incidences sur une grande partie de ses relations avec autrui, notamment sur ses relations de nature professionnelle. Elle a eu aussi des incidences sur son « cercle intime », car la perte de son emploi a nécessairement eu des conséquences concrètes sur son bien-être matériel et celui de sa famille... »).

En effet, dans le cas d’espèce c’est la majorité qui, aux paragraphes 34 in fine et 35, présume l’existence de tels effets, sans s’appuyer sur le moindre élément qui permettrait de l’étayer. D’ailleurs cette affaire porte non pas sur un licenciement à proprement parler, mais plutôt sur un obstacle à l’accès à un poste au sein de la fonction publique. Même si la « vie privée » est une notion large qui ne se prête pas à une définition exhaustive (Sidabras et Džiautas, précité, §43) et même à supposer que l’article 8 soit applicable à tout licenciement, il n’en va pas de même de l’accès à un emploi, a fortiori dans le secteur public.

La seule impossibilité de pouvoir prétendre à un poste d’instituteur ne saurait, à elle seule, avoir sur le développement de sa personnalité ou sur sa capacité à nouer des contacts avec le monde extérieur des répercussions de nature à affecter sa vie privée dans une mesure ou à un point tel qu’un lien direct puisse être établi entre les mesures litigieuses et les droits garantis par l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Bolla et autres c. Italie, (déc.), no 44127/09, 19 mai 2015, ainsi que Briani c. Italie (déc.), no 33756/09, 9 septembre 2014, et, a contrario, Sidabras et Džiautas, précité).


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