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02/06/2016 | CEDH | N°001-163359

CEDH | CEDH, AFFAIRE PAPAIOANNOU c. GRÈCE, 2016, 001-163359


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAPAIOANNOU c. GRÈCE

(Requête no 18880/15)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juin 2016

DÉFINITIF

02/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Papaioannou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney, >Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PAPAIOANNOU c. GRÈCE

(Requête no 18880/15)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juin 2016

DÉFINITIF

02/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Papaioannou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18880/15) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Leonidas Papaioannou (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 avril 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me G. Giannopoulos, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’Etat, et Mme A. Magrippi, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant allègue une violation de son droit d’accès à un tribunal.

4. Le 19 mai 2015, le grief concernant l’article 6 § 1 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1950 et réside à Thessalonique.

6. Le 16 octobre 2008, le requérant saisit les autorités de l’urbanisme d’une demande tendant à faire déclarer comme arbitraires, et devant par conséquent être détruites, certaines parties d’un centre commercial en construction avoisinant sa propriété. Il se plaignait, entre autres, que le plan initial de construction, prévoyant que ce centre comporterait deux étages, avait été modifié de manière irrégulière en ajoutant un niveau supplémentaire destiné à abriter au sous-sol une station d’électricité publique.

7. Les autorités d’urbanisme ayant rejeté le 12 mars 2009 la demande du requérant, celui-ci introduisit un recours en annulation contre ce rejet devant la cour d’appel administrative de Thessalonique. Il soutenait que la décision des autorités d’urbanisme était insuffisamment motivée car celles-ci n’avaient pas répondu de manière adéquate à ses allégations précises concernant les infractions au code de l’urbanisme qu’il étayait par un rapport d’expertise.

8. Par un arrêt no 1075/2012, la cour d’appel administrative débouta le requérant. Elle releva que la décision des autorités d’urbanisme était motivée de manière concise mais suffisante eu égard au contenu des allégations du requérant.

9. Le 1er octobre 2012, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’Etat. Il soutenait que l’arrêt de la cour d’appel administrative était erroné et comportait des lacunes dans ses motifs.

10. Se conformant à l’article 12 de la loi no 3900/2010 (voir « le droit interne pertinent » ci-dessous), le requérant précisait dans son pourvoi, dans une section spécifique de celui-ci, qu’il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la question sous examen. En outre, il soutenait que cet article, dans la mesure où il posait comme condition de recevabilité du pourvoi, la divergence avec la jurisprudence des juridictions suprêmes grecques et des tribunaux administratifs, méconnaissait l’article 26 de la Constitution (principe de la séparation des pouvoirs) car il élevait la jurisprudence au rang de source de droit.

11. Le 18 décembre 2014, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi (arrêt no 4588/2014) au motif que les conditions de recevabilité prévues par l’article 12 de la loi no 3900/2010 ne se trouvaient pas remplies.

12. Le Conseil d’Etat souligna que conformément à l’article 12 de la loi no 3900/2010, l’auteur du pourvoi a l’obligation procédurale, sous peine de voir son pourvoi déclaré irrecevable, de démontrer par des allégations précises et pour chaque moyen en cassation, que le Conseil d’Etat ne s’était pas déjà prononcé sur une question juridique spécifique, à savoir sur une question d’interprétation d’une disposition d’une loi déterminante pour se prononcer sur l’affaire pendante. Alternativement, il faut démontrer que les motifs de la décision attaquée étaient en contradiction avec une jurisprudence bien établie d’au moins une des trois juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’Etat, Cour des comptes), ou de la Cour suprême spéciale, ainsi qu’avec des décisions définitives des juridictions administratives. Dans ce dernier cas, ces décisions devaient être mentionnées explicitement et les questions juridiques sur lesquelles elles se prononçaient devaient être déterminantes pour la solution du litige. Compte tenu de leur contenu et de leur but, ces dispositions n’étaient pas contraires à l’article 26 de la Constitution. Le Conseil d’Etat se référa à cet égard à sa jurisprudence bien établie en citant ses arrêts nos 4439/2012, 4987/2012, 3008/2013, 4368/2013, 4474/2013, 4482/2013, 4578/2013, 1303/2014, 1372/2014, 1584/2014 et 4160/2014.

13. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière, ce dernier releva que le requérant ne précisait pas à l’égard de quelle question, notamment juridique, il y avait absence de jurisprudence.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. L’article 95 §§ 1 et 3 de la Constitution prévoit :

« 1. Relèvent de la compétence du Conseil d’État notamment :

a) L’annulation des actes exécutoires des autorités administratives, sur recours pour excès de pouvoir ou violation de la loi ;

b) La cassation sur recours des décisions des tribunaux administratifs, comme prévu par la loi ;

c) Le jugement des litiges administratifs de pleine juridiction qui lui sont soumis en vertu de la Constitution ou des lois ;

d) L’élaboration de tous les décrets de caractère réglementaire.

3. Le jugement de certaines catégories d’affaires relevant du contentieux d’annulation du Conseil d’État peut être confié par la loi à des tribunaux administratifs ordinaires, selon leur nature ou leur importance. Le Conseil d’État est compétent en dernier ressort, comme prévu par la loi. »

15. L’article 12 de la loi no 3900/2010 (relative à l’accélération de la procédure devant le Conseil d’Etat) ajouta à l’article 58 du décret no 18/1989 (portant codification des lois relatives au Conseil d’Etat), l’alinéa suivant :

« Le pourvoi est permis seulement lorsque son auteur soutient, par des allégations concrètes contenues dans le pourvoi, qu’il n’existe pas de jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière ou que l’arrêt attaqué est contraire à la jurisprudence du Conseil d’Etat ou d’une autre cour suprême ou à une décision définitive d’une juridiction administrative. »

16. L’article 12 fait partie d’un ensemble de dispositions par lesquelles la loi no3900/2010 tendait à réduire les retards dans le déroulement des procédures devant les juridictions administratives et notamment devant le Conseil d’Etat. La loi no 3900/2010 cristallise en termes législatifs les propositions faites par le Conseil d’Etat lui-même en vue de modifier la procédure devant lui afin de l’accélérer et désengorger son rôle. Plus particulièrement, en ce qui concerne l’article 12, le rapport introductif de la loi précisait qu’afin de faire face aux volumes énormes des voies de recours introduites devant les juridictions, le plus souvent par l’Etat, il a fallu adopter un critère objectif consistant en la limitation par voie législative des moyens de recevabilité des pourvois en cassation et des appels. Le but était aussi de permettre au Conseil d’Etat de juger dans de très brefs délais des affaires qui posent des problèmes d’un intérêt général et de créer ainsi rapidement une ligne jurisprudentielle que les juridictions administratives inférieures pourront utiliser dans des affaires similaires. Compte tenu du fait que la mission fondamentale du Conseil d’Etat était l’unité de la jurisprudence, les recours devaient être recevables uniquement s’il n’existait aucune jurisprudence pertinente, soit lorsqu’il y avait une contradiction entre l’arrêt attaqué et la jurisprudence du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême.

17. Le projet de loi a été critiqué par les partis de l’opposition au Parlement, par le service juridique du Parlement, ainsi que par une partie de la doctrine. Les critiques les plus virulentes soulignaient que l’article 12 transformerait la jurisprudence du Conseil d’Etat en source de droit, en introduisant l’institution de « précédent » du droit anglo-saxon, et rendrait pratiquement impossible tout revirement de jurisprudence sauf par acte législatif.

18. Commentant le projet de loi, la Commission nationale des droits de l’homme affirmait que la nouvelle disposition aurait pour effet de rendre impossible le revirement de la jurisprudence et l’évolution interprétative du droit ainsi que l’adaptation de celui-ci au droit supranational et au changement des conditions sociales. La disposition devrait aussi inclure, comme motif de recevabilité du pourvoi ou de l’appel, la contradiction de l’arrêt attaqué avec la jurisprudence d’une cour internationale ou européenne faisant naître des règles protectrices des droits de l’homme contraignantes. Il serait aussi opportun d’enlever la référence à la « décision définitive d’une juridiction administrative » et d’y inclure celle d’une jurisprudence « constante » du Conseil d’Etat et d’autres juridictions suprêmes. La Commission nationale relevait cependant que, même avec ces modifications qui étaient indispensables, le problème du « gel » de la jurisprudence n’était pas adéquatement traité.

19. Par un arrêt no 2456/2012 du 5 juillet 2012, le Conseil d’Etat se prononça sur la constitutionnalité de cette nouvelle disposition en ces termes :

« En adoptant le paragraphe 1 de l’article 12 de la loi no 3900/2012, le législateur tendait à désengorger le rôle du Conseil d’Etat d’un grand nombre de pourvois qui ne soulevaient pas des questions juridiques importantes, afin que (...) la justice dans des affaires soulevant de sérieux problèmes juridiques soit rendue de manière plus rapide et efficace. Au lieu d’exclure complètement l’examen de cassation de certaines catégories d’affaires, le législateur a opté pour la limitation, sur la base d’un critère objectif, des moyens qui pourraient être invoqués de manière recevable.

En soulageant le Conseil d’Etat de l’engorgement de son rôle, ce qui avait rendu son fonctionnement critique, et en dissuadant l’introduction de pourvois qui n’ont pas pour but la résolution de problèmes juridiques importants, la disposition litigieuse (...) donne la possibilité au Conseil d’Etat d’exercer efficacement ses compétences constitutionnelles en tant que juridiction suprême dans les cas où cela s’impose par excellence (...). Par conséquent, la disposition litigieuse n’est pas contraire aux articles

20 § 1 et 95 § 1 b) de la Constitution, ni aux articles 6 et 13 de la Convention (...). »

20. Cet arrêt a été confirmé plus récemment par plusieurs arrêts postérieurs du Conseil d’Etat, dont les arrêts nos 1547/2012, 4439/2012, 4987/2012, 3008/2013, 4368/2013, 4474/2013, 4482/2013, 4578/2013, 1303/2014, 1372/2014, 1584/2014 et 4160/2014.

21. Par un arrêt no 4328/2012, le Conseil d’Etat précisa que le terme « allégations » contenu à l’article 12 de la loi no 3900/2010 devait s’entendre comme comprenant celles qui se référaient à une question juridique déjà examinée, relevant de l’interprétation des dispositions légales appliquées par l’arrêt attaqué et non seulement de la subordination des circonstances de fait à la disposition litigieuse. L’allégation selon laquelle il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat par rapport aux mêmes circonstances de fait avait trait à la subordination des faits aux dispositions appliquées et non aux questions juridiques ayant fait l’objet de l’examen.

22. Au fil des ans, le Conseil d’Etat a développé sa jurisprudence en la matière. Ainsi, aux fins de recevabilité de la voie de recours, il exige que celui qui interjette appel ou se pourvoit en cassation précise et justifie, dans son acte introductif d’instance que, pour chacun des moyens soulevés (arrêt no 737/2015), une question juridique déterminante pour la solution du litige soit posée, et que soit la réponse donnée par la juridiction inférieure était en contradiction avec la jurisprudence constante du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême, soit il n’y avait pas de jurisprudence existante. Le demandeur doit, en outre, indiquer dans son acte introductif d’instance les arrêts pertinents (arrêts nos 2961/201 et 386/2015) et doit les produire, sauf s’il s’agit des arrêts du Conseil d’Etat ou d’une autre juridiction suprême (arrêts nos 4725/2014 et 3475/2011). La jurisprudence doit porter sur la question sous examen et non sur une question similaire ou analogue (arrêts nos 1591/2014, 4163/2012 et 2961/2010). Il suffit que la jurisprudence n’ait pas été renversée ; elle n’a pas besoin d’être constante (arrêts nos 3008/2013 et 2756/2014). La question juridique invoquée par le demandeur doit être déterminante pour trancher l’affaire sous examen et non porter sur un aspect secondaire de celle-ci (arrêts nos 3475/2011, 915/2012 et 3971/2011).

23. Dans un arrêt no 3008/2013, le Conseil d’Etat a précisé que la contrariété d’un arrêt à sa jurisprudence doit porter exclusivement sur l’interprétation d’une disposition législative ou d’une règle de droit indépendamment du fait que cette interprétation soit contenue dans la partie principale des motifs (μείζονα πρόταση) ou dans la partie secondaire (ελάσσονα πρόταση) de ceux-ci. Enfin, le Conseil d’Etat a jugé que la condition prévue par l’article 12 de la loi précitée doit être remplie pour chacun des moyens de cassation invoqués par celui qui se pourvoit devant lui (arrêt no 1519/2013).

24. Une partie de la doctrine considère que l’article 12 établirait des conditions de recevabilité extrêmement sévères pour l’introduction d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Elle ajoute que la manière dont ce dernier a appliqué cet article a rendu ces conditions plus restrictives, au point de rendre inopérante la protection judiciaire des justiciables. En ce qui concerne l’absence de jurisprudence, le Conseil d’Etat ne se contente pas de relever cette absence invoquée par la partie concernée mais qualifie cette invocation de vague, sans indiquer comment la partie concernée peut démontrer que cette condition négative se trouve remplie.

25. La même partie de la doctrine affirme que le Conseil d’Etat ne contrôle plus la subordination des faits à la règle de droit pertinente, ni la suffisance et le caractère adéquat des motifs de l’arrêt attaqué, ni la violation des règles de procédure telles l’omission du tribunal de répondre à un moyen déterminant.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

26. Le requérant allègue que le rejet de son pourvoi devant le Conseil d’Etat en application de l’article 12 de la loi no 3900/2010, tel qu’il a été appliqué dans son cas, a emporté violation de son droit d’accès à un tribunal, tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

27. Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 § 1 en l’espèce car la procédure engagée par le requérant ne portait pas sur un droit de caractère civil. Il souligne que le requérant n’avait pas un litige relevant du droit civil avec son voisin et n’avait pas introduit une action en dommages-intérêts contre l’Etat. La procédure qu’il a engagée concernait des violations alléguées de la législation d’urbanisme lors de la construction d’un immeuble appartenant à un tiers et avait pour but d’obtenir l’annulation de la décision des autorités d’urbanisme l’informant qu’elle n’avait pas constaté les violations alléguées.

28. Le requérant rétorque qu’en saisissant les juridictions administratives, il tendait à faire protéger ses droits, en relation avec ses droits de propriété, contre l’arbitraire de l’Etat.

29. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 sous son volet « civil » trouve à s’appliquer, il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » de « caractère civil » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question : un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, par exemple, les arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A no 43, § 47, Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A no 294-B, § 56, et Athanassoglou c. Suisse [GC] du 6 avril 2000, no 27644/95, ECHR 2000-IV, § 43).

30. La Cour note d’emblée que le requérant a saisi les autorités d’urbanisme d’une demande tendant à faire déclarer comme arbitraires, et devant par conséquent être détruites, certaines parties d’un centre commercial en construction avoisinant sa propriété. Il se plaignait, entre autres, que le plan initial de construction, prévoyant que le centre commercial comporterait deux étages, avait été modifié de manière irrégulière en ajoutant un niveau supplémentaire destiné à abriter au sous-sol une station d’électricité publique.

31. La procédure dont il est question en l’espèce visait à l’annulation de la décision des autorités d’urbanisme ayant rejeté la demande du requérant. Or, s’il est clair que l’action engagée par le requérant n’avait pas un objet patrimonial et ne se fondait pas sur une atteinte alléguée à des droits patrimoniaux, on ne saurait admettre qu’elle était dépourvue d’effet juridique direct sur la situation du requérant et sur sa propriété. Estimant que la construction en face de sa propriété était illégale et qu’elle compromettrait la jouissance de la sienne et en réduirait la valeur marchande, il a introduit la seule action qui aurait pu aboutir à mettre un terme à cette éventualité. Une issue favorable de la procédure aurait entrainé la démolition des parties arbitraires et évité une atteinte aux droits patrimoniaux du requérant. L’issue de la procédure était donc déterminante pour ses droits.

32. La Cour en déduit que la « contestation » dont il est question portait sur des « droits (...) de caractère civil » du requérant, de sorte que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

33. La Cour constate, par ailleurs, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le requérant

34. Le requérant critique les nouvelles dispositions de la loi dans la mesure où elles exigent des auteurs des pourvois et des appels d’indiquer la jurisprudence des juridictions suprêmes ou, notamment, l’absence de jurisprudence sur le point qu’ils soulèvent. Il fait état des difficultés dans la recherche de jurisprudence pertinente dues à l’absence d’informatisation des tribunaux d’appel et du manque de transparence qui s’ensuit.

35. Le requérant souligne aussi que les nouvelles dispositions introduisent un formalisme extrême et réduisent considérablement la possibilité de provoquer un revirement de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Il conteste le but déclaré de celles-ci qui consisterait à renforcer le rôle du Conseil d’Etat en tant qu’unificateur de la jurisprudence : un tel rôle présupposerait une jurisprudence « vivante » et non « statique ». En outre, en ce qui concerne les questions qui n’ont pas déjà fait l’objet d’un examen, le Conseil d’Etat n’aura l’opportunité de statuer qu’une seule fois sans pouvoir revenir sur sa décision car l’article 12 prévoit le rejet du recours comme irrecevable sans que le fond soit examiné.

36. Le requérant soutient également que compte tenu du fait qu’il avait clairement indiqué qu’il n’y avait pas de jurisprudence relative à son cas, que son pourvoi était fondé sur la motivation insuffisante de la cour d’appel administrative et que le moyen du pourvoi était porté à la connaissance des juges du Conseil d’Etat, son droit d’accès à un tribunal a subi une restriction qui n’était pas proportionnelle au but de protéger la sécurité juridique et la bonne administration de la justice.

b) Le Gouvernement

37. Le Gouvernement souligne que le but de la réglementation introduite par l’article 12 de la loi no 3900/2010 était de désengorger le Conseil d’Etat, d’améliorer son fonctionnement et de réduire les délais dans lesquels celui-ci rend ses arrêts, se conformant ainsi à l’arrêt-pilote de la Cour Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce (no 50973/08, 21 décembre 2010). L’article 12 dissuade les justiciables d’exercer des pourvois non méritoires contre des arrêts des cours d’appel administratives, ce qui alourdirait la charge de travail du Conseil d’Etat.

38. Cet article assure aussi, selon le Gouvernement, l’unité de jurisprudence : il serait en effet inutile et coûteux de charger le Conseil d’Etat d’examiner des questions juridiques ayant fait l’objet d’une jurisprudence bien établie. Il assied également l’autorité de cette juridiction, car la continuation de saisines massives aurait contribué à affaiblir son rôle et l’aurait rabaissé au rang d’une simple cour de deuxième instance s’occupant d’affaires répétitives.

2. Appréciation de la Cour

39. La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Son rôle à elle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles procédurales telles que celles fixant les délais à respecter pour le dépôt des documents ou l’introduction des recours (Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, § 31). La réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique. Les intéressés doivent normalement s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, §§ 33, CEDH 2000-I).

40. Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II, et Mortier c. France, no 42195/98, § 33, 31 juillet 2001). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir l’arrêt Guérin c. France du 29 juillet 1998, Recueil 1998-V, § 37).

41. La Cour relève que la loi no 3900/2010 cristallise en termes législatifs les propositions faites par le Conseil d’Etat lui-même en vue de modifier la procédure devant lui afin de l’accélérer et désengorger son rôle. Le but de cette loi est de permettre au Conseil d’Etat de juger dans de brefs délais des affaires qui posent des problèmes d’un intérêt général et de créer ainsi rapidement une ligne jurisprudentielle que les juridictions administratives inférieures pourront utiliser dans des affaires similaires. Parmi les nombreuses modifications introduites par cette loi, son article 12 a été conçu de manière à limiter l’usage inconsidéré du pourvoi qui avait encombré le rôle du Conseil d’Etat et créé des retards importants dans l’administration de la justice (paragraphe 16 ci-dessus). Il ne fait aucun doute qu’il s’agit là des buts légitimes qui visent à favoriser une bonne administration de la justice et permettre au Conseil d’Etat d’exercer efficacement ses fonctions judiciaires.

42. L’adoption de l’article 12 a suscité des critiques de la part des parties de l’opposition au Parlement, du service juridique du Parlement, de la Commission nationale des droits de l’homme et d’une partie de la doctrine (paragraphes 17-18 et 24-25 ci-dessus). Toutefois, la Cour ne peut pas prendre position sur ces critiques, dont certaines sont reprises par le requérant. La tâche de la Cour consiste à examiner les faits de la présente affaire en s’inspirant du principe de la subsidiarité et de sa jurisprudence en matière de mécanismes de filtrage, relatifs aux voies de recours devant les juridictions suprêmes.

43. La Cour rappelle à cet égard qu’il ne lui appartient pas d’apprécier l’opportunité des choix de politique jurisprudentielle opérés par les juridictions internes et que son rôle se limite à vérifier la conformité à la Convention des conséquences de ces choix. Elle rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes et que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, § 31, 19 décembre 1997, Recueil 1997‑VIII et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998‑I). En l’espèce, la Cour observe que le requérant se borne à exprimer son désaccord avec les nouvelles modalités du pourvoi devant le Conseil d’Etat et qu’il reproche à cette haute juridiction d’avoir péché par excès de formalisme.

44. Il peut ne pas être contraire à la Convention qu’une juridiction supérieure dotée de cette compétence rejette un recours en se bornant à citer les dispositions légales qui prévoient une telle procédure, si les questions soulevées par le recours ne revêtent pas une importance particulière ou si le recours ne présente pas de perspectives suffisantes de succès (voir, mutatis mutandis, les décisions suivantes, relatives à des décisions d’irrecevabilité de recours constitutionnels (Verfassungsbeschwerden) du Tribunal constitutionnel fédéral allemand : Simon c. Allemagne (déc.), no 33681/96, 6 juillet 1999, Teuschler c. Allemagne (déc.), no 47636/99, 4 octobre 2001, Greenpeace E.V. et autres c. Allemagne (déc.), no 18215/06, 12 mai 2009, et John c. Allemagne (déc.), no 15073/03, 13 février 2007 ainsi que l’arrêt Arribas Antón c. Espagne, no 16563/11, § 47, 20 janvier 2015 en ce qui concerne le Tribunal constitutionnel espagnol).

45. La Cour rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle l’article 6 n’exige pas que soit motivée en détail une décision par laquelle une juridiction de recours, se fondant sur une disposition légale spécifique, écarte un recours comme dépourvu de chance de succès (Gorou c. Grèce (no. 2) [GC], no. 12686/03, § 29, 20 mars 2009 et Wnuk c. Pologne (déc.), no 38308/05, 1er septembre 2009). D’autre part, de manière plus générale, la Cour a jugé, sous l’angle de l’article 6, que les cours suprêmes ou constitutionnelles ou autres juridictions de dernière instance ne sont pas tenues de fournir une motivation détaillée lorsqu’elles refusent de se saisir d’un recours dans le contexte d’une procédure de filtrage (voir notamment, E.M. c. Norvège (déc.), no 20087/92, 26 octobre 1995 ; Société anonyme Immeuble Groupe Kosser c. France (déc.), no 38748/97, 9 mars 1999 ; Nerva et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 42295/98, 11 juillet 2000 ; Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001‑VI ; Bufferne c. France (déc.), no 5436700, CEDH 2002‑III (extraits)) ; Burg et autres c. France (déc.), no 34763/02, CEDH 2003‑II ; Sale c. France, no 39765/04, 21 mars 2006 ; Øvlisen c. Danemark (déc.), no16469/05, 30 août 2006 et Hansen c. Norvège, no 15319/09, § 74, 2 octobre 2014.

46. La Cour note d’emblée que l’article 12 de la loi no 3900/2010 exige que pour qu’une voie de recours devant le Conseil d’Etat soit désormais recevable, le demandeur démontre, dans l’acte introductif d’instance, de manière précise et circonstanciée, que chacun des moyens du pourvoi soulève une question juridique spécifique déterminante pour la solution du litige et que l’aspect juridique de cette solution est en contradiction avec la jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat, d’une autre juridiction suprême ou avec une décision définitive des tribunaux administratifs, ou que pour la question juridique litigieuse il n’existe aucune jurisprudence. La Cour note aussi que l’article 12 de la loi précitée a fait l’objet d’une jurisprudence abondante du Conseil d’Etat qui a précisé le sens des dispositions de cet article (paragraphes 21-23 ci-dessus). Il en ressort que les formalités pour introduire un pourvoi devant le Conseil d’Etat sont claires et prévisibles et de nature à assurer le principe de sécurité juridique. À cet égard, la Cour rappelle que la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle que joue le Conseil d’Etat, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (voir, entre autres, Khalfaoui c. France, no 34791/97, § 37, CEDH 1999-IX et Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 62, 12 novembre 2002).

47. En l’espèce, en saisissant le Conseil d’Etat et afin de se conformer aux exigences de l’article 12, le requérant précisait dans son pourvoi, dans une section spécifique de celui-ci, qu’il n’y avait pas de jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la question sous examen. En outre, il soutenait que cet article, dans la mesure où il posait comme condition de recevabilité du pourvoi, la divergence avec la jurisprudence des juridictions suprêmes grecques et des tribunaux administratifs, méconnaissait l’article 26 de la Constitution car il élevait la jurisprudence au rang de source de droit. Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi (arrêt no 4588/2014) au motif que les conditions de recevabilité, prévues par l’article 12 de la loi no 3900/2010, ne se trouvaient pas remplies en l’espèce.

48. Le Conseil d’Etat a souligné que la question de la conformité des dispositions de l’article 12 avec l’article 26 de la Constitution avait déjà été résolue et faisait l’objet d’une jurisprudence abondante (paragraphes 12 et 20 ci-dessus). À cet égard, la Cour relève que le requérant a introduit son pourvoi le 1er octobre 2012, et que l’arrêt no 2456/2012 par lequel le Conseil d’Etat s’était prononcé sur la constitutionnalité de cette nouvelle disposition était rendu depuis le 5 juillet 2012 (paragraphe 19 ci-dessus). Quant au moyen relatif à l’absence de jurisprudence, il a été formulé de manière affirmative et succincte sans préciser, comme l’a souligné le Conseil d’Etat, à l’égard de quelle question notamment juridique, il y avait absence de jurisprudence.

49. Eu égard à la spécificité du rôle que joue le Conseil d’Etat en tant juridiction chargée de la cohérence de la jurisprudence, la Cour estime que l’on peut admettre que la procédure suivie devant la haute juridiction administrative soit assortie davantage de conditions de recevabilité. Par ailleurs, elle estime que le fait de subordonner la recevabilité d’un pourvoi à l’existence de circonstances objectives et à leur justification par l’auteur du pourvoi, qui sont des critères prévus par la loi et interprétés par la jurisprudence administrative n’est pas, en tant que tel, disproportionné ou bien contraire au droit d’accès au Conseil d’Etat (voir, mutatis, mutandis, Arribas Antón, précité, § 50).

50. À la lumière de qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas été privé de la substance de son droit d’accès à un tribunal. En outre, les limitations appliquées poursuivaient un but légitime. L’application des limitations en cause n’a pas porté atteinte au caractère raisonnable du rapport entre les moyens employés et le but visé. Pour ces raisons, la Cour estime que le requérant n’a pas subi d’entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

51. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-163359
Date de la décision : 02/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : PAPAIOANNOU
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GIANNOPOULOS G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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