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23/02/2016 | CEDH | N°001-161050

CEDH | CEDH, AFFAIRE ÇAM c. TURQUIE, 2016, 001-161050


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÇAM c. TURQUIE

(Requête no 51500/08)

ARRÊT

STRASBOURG

23 février 2016

DÉFINITIF

23/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Çam c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fr

idrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2016,

Rend...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÇAM c. TURQUIE

(Requête no 51500/08)

ARRÊT

STRASBOURG

23 février 2016

DÉFINITIF

23/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Çam c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51500/08) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Ceyda Evrim Çam (« la requérante »), a saisi la Cour le 22 octobre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me M. Boduroğlu, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. La requérante allègue une atteinte à son droit à l’instruction (article 2 du Protocole no 1 à la Convention) et avoir été victime d’un traitement discriminatoire en raison de sa cécité (article 14 de la Convention).

4. Le 11 juin 2014, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante, non-voyante, est née en 1989 et réside à Istanbul.

6. Le 15 juin 2004, elle postula au concours d’entrée au conservatoire national de musique turque rattaché à l’université technique d’Istanbul (« le conservatoire ») pour l’année scolaire 2004-2005.

7. Le 21 et le 31 août 2004, elle passa les épreuves de sélection en jouant du bağlama[1].

8. Le 7 septembre 2004, le département de musique de la direction du conservatoire rendit public la liste des personnes reçues au concours d’entrée au conservatoire, liste sur laquelle figurait le nom de la requérante.

9. Sur ce, la requérante saisit une commission médicale de l’hôpital public de Büyükçekmece pour l’obtention d’un rapport médical établissant qu’elle était apte à être élève au conservatoire.

10. Le 9 septembre 2004, cette commission médicale établit un rapport aux termes duquel la requérante fut diagnostiquée comme présentant une hypermétropie avec nystagmus et amblyopie sévère bilatérale. La commission conclut qu’il convenait que la requérante soit déférée devant une instance médicale supérieure.

11. Le 16 septembre 2004, une commission médicale de l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy (« l’hôpital de Bakɪrköy ») rédigea un rapport médical concluant que la requérante pouvait recevoir une éducation et une instruction dans les sections du conservatoire où la vue n’était pas requise.

12. Le même jour, le directeur du conservatoire écrivit une lettre à la requérante :

« Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises à votre mère, votre père et vous-même, n’ayant pas fourni un rapport d’un hôpital public entièrement équipé (tam teşekküllü devlet hastanesi[2]) confirmant que vous pouvez être élève au conservatoire (...), votre inscription n’a pu être faite. (...) Votre rapport d’un hôpital public portant la mention d’acceptation en tant qu’élève au conservatoire est attendu d’urgence. (...) »

13. Le 20 septembre 2004, le père de la requérante écrivit à la direction du conservatoire pour l’informer que le jour même, le rapport médical demandé avait été transmis au conservatoire.

14. Ce jour, la direction du conservatoire écrivit au médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy. Se référant au rapport émis par la commission médicale de cet hôpital le 16 septembre 2004, elle informa le médecin chef que parmi les sept sections du conservatoire, aucune ne pouvait être considérée comme ne requérant pas la vue. Cette lettre indiquait que pour être à même de recevoir une instruction dans l’une quelconque des sections du conservatoire, un élève devait soumettre un rapport médical mentionnant qu’il était apte pour ce faire. La direction du conservatoire demanda au médecin chef d’établir un nouveau rapport médical tenant compte de la circonstance qu’aucune des sections du conservatoire ne pouvait être considérée comme ne requérant pas la vue et de préciser en conséquence si l’intéressée était ou non apte à recevoir une éducation au sein du conservatoire.

15. À une date non mentionnée, le conservatoire refusa la demande d’inscription de la requérante.

16. Le 24 septembre 2004, les parents de la requérante agissant en son nom et pour son compte, saisirent le tribunal administratif d’Istanbul (« le tribunal administratif ») d’une action contre le rectorat de l’université technique d’Istanbul afin d’obtenir l’annulation de la décision du conservatoire portant refus d’inscription de leur fille. Ce recours fut assorti d’une demande de sursis à exécution de la décision attaquée. Dans sa requête, l’avocat de la requérante argua que sa cliente avait, le 21 août 2004, réussi le concours d’admissibilité au conservatoire en passant devant une commission composée de huit enseignants et que le 31 août 2004, elle avait réussi le concours d’admission définitive, avec les félicitations du jury, en passant devant une commission composée de vingt enseignants. Citant les conditions d’admission au conservatoire, à savoir : ne pas avoir 15 ans révolus, être diplômé de l’enseignement élémentaire, disposer des spécificités physiques requises pour jouer de l’instrument choisi et pour lequel l’inscription est demandée, ne pas avoir de handicap dans sa constitution physique empêchant l’enseignement dans la section choisie, réussir au concours de talent et de niveau, l’avocat de la requérante argua que celle-ci satisfaisait à l’ensemble de ces conditions. Il soutint que son inscription au conservatoire avait été refusée au seul motif qu’elle était non-voyante, ce qui était contraire au droit et au principe d’égalité. À l’appui de sa requête, l’avocat de la requérante invoqua l’article 42 de la Constitution, les articles 4, 7, 8 et 27 de la loi fondamentale no 1739 sur l’éducation nationale (« loi no 1739 ») et l’article 9 du décret-loi no 573 sur l’enseignement spécialisé. Il cita en outre le nom d’anciens élèves non-voyants, diplômés de ce même conservatoire.

17. Dans un mémoire en défense du 12 octobre 2004, le rectorat de l’université technique d’Istanbul argua que le père de la requérante n’avait soumis, lors de sa demande d’inscription, aucun document faisant référence à la cécité de sa fille. Il lui reprocha d’avoir dissimulé celle-ci, d’avoir agi comme le parent d’un enfant ne présentant pas de handicap et ainsi, d’avoir cherché à tromper le bureau des inscriptions. Il indiqua que l’article 4 des principes régissant l’admission et l’inscription au conservatoire posait la condition de « l’absence de handicap ». Il soutint en outre que la requérante n’avait pas soumis un rapport médical attestant qu’elle pouvait être élève au conservatoire, exigence imposée à tous les autres candidats. Ainsi, il affirma que le refus d’inscription de la requérante n’était pas dû à sa cécité mais tenait au fait qu’elle n’avait pas soumis l’ensemble des documents nécessaires à son inscription, dans les délais pour ce faire. Il précisa que si le rapport médical soumis par la requérante stipulait qu’elle pouvait étudier dans les sections du conservatoire ne requérant pas la vue, il n’existait pas de sections de ce type. Enfin, il fit valoir que, faute d’équipements adaptés et de personnel enseignant ayant l’expertise nécessaire, le conservatoire n’était pas en mesure d’offrir une éducation aux élèves non-voyants ni d’ailleurs à toute autre personne présentant un handicap, quel que soit la nature de celui-ci. À cet égard, il précisa qu’en 1976, au début de ses activités, le conservatoire avait souhaité faire des tentatives en matière d’éducation aux élèves non-voyants mais, en l’absence d’enseignants connaissant l’alphabet braille, il fut renoncé à ces tentatives.

18. Le 14 octobre 2004, le tribunal administratif rejeta la demande de sursis à exécution estimant que les conditions énumérées à l’article 27 § 2 de la loi sur la procédure administrative no 2577 (« loi no 2577 ») tel que modifié par la loi no 4001, n’étaient pas réunies.

19. Le 26 octobre 2004, agissant en son nom et pour son compte, les parents de la requérante formèrent un recours contre cette décision devant le tribunal administratif régional d’Istanbul. Ils arguèrent qu’en vertu de l’article 27 § 2 de la loi no 2577, deux conditions étaient requises pour obtenir un sursis à l’exécution : l’existence d’un dommage difficilement réparable ou irréparable et la contrariété apparente à la loi de l’acte administratif en cause. Selon eux, dans les circonstances présentes, il était évident que le refus d’inscription de leur fille au conservatoire ferait naître pour celle-ci un dommage difficilement réparable. Ils soutinrent également que ce refus était contraire à la loi. Dans leur mémoire, ils précisèrent que la requérante était diplômée de l’école élémentaire et, hormis sa cécité, disposait de toutes les spécificités physiques requises pour jouer du bağlama. En outre, elle avait réussi le concours d’entrée au conservatoire et il avait été établi par un rapport médical qu’elle n’avait aucun handicap pouvant l’empêcher de suivre un enseignement dans le département de musique. Ils soutinrent que le bien-fondé de ce rapport médical ne pouvait être contesté, que d’autres élèves avaient remis des rapports médicaux provenant d’établissements semblables à celui ayant établi le rapport de la requérante et que le conservatoire les avait acceptés. Selon eux, la circonstance que le rapport ne mentionnait pas spécifiquement que la requérante puisse être une élève de conservatoire, ne saurait invalider ce rapport. Ils affirmèrent en outre que l’argument de l’administration intimée selon lequel le rapport médical n’avait pas été remis dans les délais était fallacieux et soutinrent que ce rapport avait été remis au conservatoire le lundi 20 septembre 2004, soit le premier jour ouvrable suivant la réception de la lettre du conservatoire en faisant la demande. Les parents affirmèrent par ailleurs que la requérante remplissait toutes les conditions requises pour obtenir son inscription et avait remis les documents qui lui avaient été demandés dans les délais pour ce faire. Ils arguèrent que la seule raison pour laquelle son inscription avait été refusée tenait en sa cécité. En réponse à l’administration intimée qui se défendait en affirmant qu’il n’y avait pas de sections du conservatoire où la vue n’était pas requise, les parents de la requérante indiquèrent le nom de quatre anciens élèves diplômés du conservatoire et non-voyants. Ils soutinrent que le fait d’être non-voyant n’était pas un obstacle pour jouer un instrument de musique, qu’il existait de nombreux musiciens non-voyants et que l’argument avancé par le conservatoire selon lequel aucun enseignant ne connaissait le braille n’était pas valable au regard de l’avancée des technologies et des systèmes informatiques en matière de conversion du braille. Enfin, les parents de la requérante firent valoir que la mesure contestée était contraire au principe d’égalité constitutionnel et aux textes internationaux.

20. Le 28 octobre 2004, le tribunal administratif régional d’Istanbul rejeta ce recours estimant que les conditions pour un sursis à l’exécution énoncées à l’article 27 § 2 de la loi no 2577 n’étaient pas réunies dès lors que l’exécution de la décision litigieuse n’était pas de nature à causer un dommage irréparable ou difficilement réparable et que cette décision n’était pas contraire à la loi.

21. Le 29 novembre 2004, le médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy écrivit à la direction du conservatoire pour l’informer de la révision du rapport médical du 16 septembre 2004. La mention initiale, « peut recevoir une éducation et une instruction dans les sections du conservatoire où la vue n’est pas requise », fut remplacée par la mention : « ne peut recevoir une éducation et une instruction ».

22. Le 11 mars 2005, agissant en son nom et pour son compte, les parents de la requérante saisirent le procureur de la République de Bakɪrköy d’une plainte contre l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy, son médecin chef et les autres médecins ayant modifié le rapport médical du 16 septembre 2004, pour abus de fonction. Ils firent valoir que les médecins avaient de manière arbitraire, sans ausculter leur fille, modifié ce rapport médical. Ils affirmèrent que le but de cette modification était que la procédure intentée contre le rectorat de l’université d’Istanbul se conclût en faveur de celui-ci.

23. Le même jour, ils saisirent l’ordre des médecins d’Istanbul d’une demande tendant à l’ouverture d’une enquête de ce fait.

24. Le 23 mai 2005, la direction départementale de la santé rattachée à la préfecture d’Istanbul adopta une décision portant refus d’autorisation des poursuites contre le médecin chef mis en cause. Dans sa décision, elle mentionna que les conclusions du rapport avaient été modifiées à la demande de la direction du conservatoire et qu’il n’y avait en l’occurrence aucune faute ni abus de fonctions.

25. Le 4 juillet 2005, les parents de la requérante agissant en son nom et pour son compte, saisirent le tribunal administratif régional d’Istanbul d’un recours aux fins d’annulation de cette décision et obtention d’une autorisation de poursuites contre le médecin chef mis en cause. Selon leurs dires, ils n’obtinrent pas gain de cause au terme de ce recours.

26. Le 18 juillet 2005, ils déposèrent un mémoire devant le tribunal administratif d’Istanbul tendant à l’annulation de la décision portant refus d’inscription de la requérante. Ils y invoquèrent l’article 15 de la loi no 5378 du 1er juillet 2005 sur les personnes handicapées (« loi no 5378 ») mettant selon eux un terme à toutes les formes de discrimination en matière d’éducation.

27. Le 14 octobre 2005, le tribunal administratif rejeta le recours de la requérante. La motivation du tribunal peut se lire comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

« (...)

Les principes régissant les concours d’admission et les inscriptions au conservatoire national de musique turque de l’université d’Istanbul ont été acceptés par le sénat de l’université (...) sur demande de l’assemblée de section, après avoir été débattus à l’assemblée du conservatoire et jugés conformes par la commission d’enseignement de l’université. (...) Parmi ces principes figure la condition que les candidats ayant réussi aux concours pour l’inscription au conservatoire n’aient pas d’infirmité physique empêchant un enseignement dans la section [dans laquelle ils ont été admis]. En outre, cette condition est énoncée dans le formulaire remis aux candidats et listant les documents requis pour l’inscription définitive. La soumission d’un rapport établi par un hôpital entièrement équipé et mentionnant « peut être élève au conservatoire », est stipulée être obligatoire.

Au terme de l’examen du dossier, il ressort que [l’intéressée] a réussi le concours d’entrée et obtenu le droit de s’inscrire. Toutefois, alors que le rapport de l’hôpital public de Büyükçekmece avait conclu qu’un rapport d’une commission médicale supérieure devait être obtenu, elle a saisi une commission médicale équivalente pour obtenir un rapport, à savoir l’hôpital d’enseignement et de recherches de Bakɪrköy. Il ressort de la défense de l’administration intimée que dans les années 1970, lors de sa création, l’école avait, aux fins de tests, inscrit quelques élèves non-voyants mais, faute de personnel enseignant connaissant l’alphabet braille et eu égard aux diverses difficultés rencontrées, il fut mis un terme à cet essai. Les élèves non-voyants ne furent plus acceptés. Il est établi que l’administration avait écrit au médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy pour obtenir des informations quant au sens à donner au rapport médical y délivré et que, par la suite, les conclusions de ce rapport avaient été modifiées. Il n’y avait pas de contrariété au droit dans la décision de l’administration intimée de refuser l’inscription de la requérante dès lors qu’elle n’avait pas été en mesure de soumettre un rapport d’un hôpital public entièrement équipé comportant la mention qu’elle pouvait être élève au conservatoire. Les allégations en sens contraire de la requérante sont dénuées de fondement. (...) »

28. Le tribunal administratif prit cette décision à la majorité, contre l’avis du président du tribunal qui adopta une opinion contraire aux termes de laquelle, se référant à l’article 42 de la Constitution et à la loi no 1739, il indiquait que nul ne pouvait être privé de son droit à l’éducation et à l’instruction. Selon lui, il ne faisait aucun doute qu’il relevait de la responsabilité des administrations de veiller à préparer un cadre propice à l’éducation et à l’instruction qui serait conforme aux besoins des personnes non-voyantes. Faisant référence aux arguments en défense de l’administration intimée qui avait fait une tentative d’intégration d’élèves non-voyants en 1976, il releva qu’il était possible d’offrir un enseignement musical aux personnes non-voyantes. Il souligna à cet égard qu’il existait de nombreux musiciens célèbres non-voyants. Selon lui, priver les personnes de leur droit à l’éducation et à l’instruction n’était pas conciliable avec un état de droit social. Il estima en conséquence que la mesure administrative en cause n’était pas conforme au droit.

29. Le 9 novembre 2005, le conseil d’administration de l’ordre des médecins d’Istanbul écrivit au père de la requérante en réponse à sa saisine datée du 11 mars 2005 (paragraphe 23 ci-dessus). Ce courrier peut se lire comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

« 1. Les deux rapports objets de l’enquête ont un contenu similaire.

2. Toutefois, le fait pour l’administration de l’hôpital de n’avoir pas assumé le premier rapport et de procéder à la modification demandée, sur indication contraignante de l’administration du conservatoire (...), ne peut être considéré comme une attitude correcte.

3. Il ressort de la lettre du 22.10.2004, no 5821, adressée par la direction du conservatoire (...) au médecin chef de l’hôpital (...) que, « dans la mesure où, dans ces sections, l’enseignement est destiné aux élèves voyants, nous ne disposons en outre d’aucun cadre pour les élèves non-voyants (moyen, matériel, structure technique, cadre enseignants). C’est pourquoi il n’est pas question que les élèves voyants et les élèves non-voyants suivent des cours communs ».

(...) Lorsque sont prises en compte les conventions internationales et les dispositions législatives, le comportement escompté de l’administration n’est pas de forcer au changement d’un rapport établi par un hôpital et par ce biais d’entraver le droit à l’éducation et à l’instruction d’un citoyen non-voyant. (...) En conclusion, le médecin chef a modifié la forme du rapport, [mais] son contenu est le même, de sorte qu’aucune faute ne peut être imputée au médecin chef de l’hôpital. Il convient de saisir les voies de recours administrative et judiciaire pour obtenir le droit réclamé (...). »

30. Le 18 avril 2006, les parents de la requérante, agissant en son nom et pour son compte, saisirent le Conseil d’État d’un recours en cassation contre la décision du tribunal administratif du 14 octobre 2005 (paragraphe 27 ci‑dessus). Dans leur requête, ils soutinrent que cette décision était contraire à la Constitution, à la loi no 1739, à la loi no 5378 et à plusieurs textes et déclarations internationaux. Ils arguèrent du caractère fallacieux de l’argument en défense de l’administration intimée selon lequel le conservatoire ne possédait pas de section ne requérant pas la vue et citèrent les noms d’anciens élèves musiciens, non-voyants, diplômés du conservatoire. Ils demandèrent à ce que la décision de première instance soit infirmée suivant les arguments développés dans l’opinion du président du tribunal administratif.

31. Le 4 janvier 2007, le rectorat de l’université technique d’Istanbul soumit son mémoire en défense. Il soutint que le rapport médical de la requérante mentionnait qu’elle pouvait suivre un enseignement dans les sections du conservatoire ne requérant pas la vue mais qu’il n’existait pas de telles sections au sein du conservatoire. Enfin, il affirma que la requérante n’avait pas satisfait à l’ensemble des conditions requises pour obtenir son inscription.

32. Par un arrêt du 19 février 2008, notifié à l’avocat de la requérante le 28 avril 2008, le Conseil d’État rejeta le pourvoi en cassation et confirma la décision attaquée après avoir relevé que celle-ci ne sortait pas de la compétence du tribunal administratif, n’était pas contraire à la loi et ne méconnaissait pas les règles de procédure. Il ressort en outre de l’arrêt du Conseil d’État que le juge rapporteur se prononça en faveur de l’acceptation du pourvoi en cassation. Dans son avis sur le pourvoi, le procureur général près le Conseil d’État, se référant à l’article 42 de la Constitution et aux articles 4, 7 et 8 de la loi no 1739, énonça également que les établissements responsables de l’éducation et de l’enseignement avaient l’obligation de tenir compte des personnes ayant besoin d’un enseignement spécialisé et de prendre les mesures nécessaires à leur éducation. Dans les circonstances de l’espèce, il estima que le refus d’inscription de la requérante – qui avait passé avec succès le concours d’entrée au conservatoire et remplissait les conditions prévues par la loi –, était contraire aux dispositions constitutionnelles et législatives et devait donc être annulé.

33. Selon les informations transmises à la Cour par la requérante, après le rejet de sa demande d’inscription au conservatoire, elle a poursuivi sa scolarité dans une école ordinaire avant d’intégrer le département de musique de la faculté des beaux-arts de l’université de Marmara.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

34. L’article 42 de la Constitution turque dispose que nul ne peut être privé de son droit à l’éducation et à l’instruction.

35. La loi fondamentale no 1739 du 24 juin 1973 sur l’éducation nationale, publiée au journal officiel le 26 juin 1973, dispose notamment :

« Deuxième section

Principes fondamentaux de l’éducation nationale turque

I. Généralité et égalité

(...)

Article 4. Les établissements d’enseignement sont ouverts à tous sans discrimination fondée sur la langue, la race, le sexe, le handicap[3] ou la religion.

(...)

II. Droit à l’éducation

(...)

Article 7. Chaque citoyen turc a le droit à l’éducation primaire.

Les citoyens bénéficient des établissements d’enseignement supérieurs aux établissements d’enseignement primaire dans la mesure de leur intérêt, de leur capacité et de leur aptitude.

(...)

V. Égalité des chances et des moyens

Article 8. En matière d’éducation (...) tout le monde bénéficie de l’égalité des chances et des moyens.

(...)

Des mesures spéciales sont prises pour élever les enfants ayant besoin d’un enseignement spécialisé et de protection. »

36. Le 1er juillet 2005, fut adoptée la loi no 5378 relative à la modification de la loi sur les personnes handicapées, certaines autres lois et certains décrets-lois. L’article 15 de cette loi, dans sa rédaction en vigueur à l’époque de son adoption, disposait notamment :

« L’accès à l’éducation des [personnes] handicapées ne peut être entravé sous aucun prétexte. Les enfants, les jeunes et les adultes handicapés se voient offrir, en prenant en compte leur situation particulière et leurs différences, une possibilité égale d’éducation dans des environnements communs avec ceux qui ne sont pas handicapés.

Un centre d’information et de coordination des [personnes] handicapées est créé aux fins de traiter de sujets tels que la mise à disposition, dans l’enceinte de l’établissement d’enseignement supérieur, des moyens et du matériel [destinés à] faciliter la vie éducative des étudiants d’université handicapés, la préparation de matériel d’enseignement spécifique, [la préparation] de cadres d’éducation, de recherches et d’accueil adaptés aux [personnes] handicapées.

(...)

Les démarches nécessaires pour la fabrication de livres en braille, de [livres] audio, de [livres] électroniques, de films sous-titrés et du matériel similaire, destinés à répondre aux (...) besoins éducatifs et culturels des [personnes] handicapées, sont menées conjointement par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture et du tourisme. »

Le 6 février 2014 fut adoptée la loi no 6518. L’article 73 de cette loi modifia l’article 15 de la loi no 5378 comme suit, en ses passages pertinents en l’espèce :

« L’accès à l’éducation des [personnes] handicapées ne peut être entravé sous aucun prétexte. Les enfants, les jeunes et les adultes handicapés se voient offrir, sans discrimination, en prenant en compte leur situation particulière et leurs différences, une possibilité d’éducation, leur vie durant, dans des environnements communs, fondée sur [le principe d’] égalité.

Des planifications (...) sont faites dans le système éducatif général permettant aux [personnes] handicapées de recevoir une éducation à tous les niveaux.

Les mesures nécessaires sont prises pour intégrer les [personnes] handicapées qui, pour différentes raisons ont commencé tardivement les programmes d’éducation (...).

Des centres d’information et de coordination sont créés pour traiter de sujets tels que la mise à disposition dans l’enceinte des établissements d’enseignement supérieur, des moyens et du matériel (...) de cours adaptés aux [personnes] handicapées, des cadres d’éducation, de recherches et d’accueil adaptés ainsi que la résolution des problèmes qu’ils rencontrent durant leur scolarité [ce], aux fins d’assurer une participation effective des étudiants d’université qui sont handicapés (...).

(...)

Les démarches nécessaires pour la fabrication de livres en braille, de [livres] audio, de [livres] électroniques, de films sous-titrés, traduits en langue des signes (...) et du matériel similaire, destinés à répondre aux (...) besoins éducatifs, sociaux et culturels des [personnes] handicapées, sont menées conjointement par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture et du tourisme. »

B. Textes européens et internationaux pertinents

1. La Charte sociale européenne

37. La Charte sociale européenne, dans sa version révisée du 3 mai 1996, ratifiée par la Turquie le 27 juin 2007, dispose notamment :

« Article 15.

En vue de garantir aux personnes handicapées, quel que soit leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté, les Parties s’engagent notamment :

1. à prendre les mesures nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions spécialisées publiques ou privées ;

(...) »

Le rapport explicatif de la Charte sociale européenne (révisée) dispose, en ses passages pertinents en l’espèce :

« Article 15 – Droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté

(...)

64. Selon cette disposition, les Parties doivent avoir pour but de développer une politique cohérente pour les personnes handicapées. Cette disposition repose sur une approche moderne, approche qui correspond à celle de la Recommandation no R (92) 6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, de la façon d’assurer la protection des personnes handicapées, par exemple en prévoyant que l’orientation, l’éducation et la formation professionnelles soient organisées chaque fois que possible dans le cadre de plans généraux plutôt que par des institutions spécialisées. L’article ne prévoit pas seulement la possibilité pour les Parties d’adopter des mesures positives en faveur des handicapés, mais dans une large mesure les oblige à le faire.

(...). »

2. La Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées

38. La Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006 dispose notamment, en ses passages pertinents en l’espèce :

« (...)

Article 2

Définitions

Aux fins de la présente Convention :

(...)

On entend par « discrimination fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ;

On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportée, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ;

(...)

Article 24

Éducation

1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation qui visent :

a) le plein épanouissement du potentiel humain et du sentiment de dignité et d’estime de soi, ainsi que le renforcement du respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la diversité humaine ;

b) l’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;

c) la participation effective des personnes handicapées à une société libre.

2. Aux fins de l’exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que :

a) les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire ;

b) les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire ;

c) il soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun ;

d) les personnes handicapées bénéficient, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement nécessaire pour faciliter leur éducation effective ;

e) des mesures d’accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation, conformément à l’objectif de pleine intégration.

3. Les États Parties donnent aux personnes handicapées la possibilité d’acquérir les compétences pratiques et sociales nécessaires de façon à faciliter leur pleine et égale participation au système d’enseignement et à la vie de la communauté. À cette fin, les États Parties prennent des mesures appropriées, notamment :

a) facilitent l’apprentissage du braille, de l’écriture adaptée et des modes, moyens et formes de communication améliorée et alternative, le développement des capacités d’orientation et de la mobilité, ainsi que le soutien par les pairs et le mentorat ;

b) facilitent l’apprentissage de la langue des signes et la promotion de l’identité linguistique des personnes sourdes ;

c) veillent à ce que les personnes aveugles, sourdes ou sourdes et aveugles - en particulier les enfants - reçoivent un enseignement dispensé dans la langue et par le biais des modes et moyens de communication qui conviennent le mieux à chacun, et ce, dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la sociabilisation.

4. Afin de faciliter l’exercice de ce droit, les États Parties prennent des mesures appropriées pour employer des enseignants, y compris des enseignants handicapés, qui ont une qualification en langue des signes ou en braille et pour former les cadres et personnels éducatifs à tous les niveaux. Cette formation comprend la sensibilisation aux handicaps et l’utilisation des modes, moyens et formes de communication améliorée et alternative et des techniques et matériels pédagogiques adaptés aux personnes handicapées.

5. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent avoir accès, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres, à l’enseignement tertiaire général, à la formation professionnelle, à l’enseignement pour adultes et à la formation continue. À cette fin, ils veillent à ce que des aménagements raisonnables soient apportés en faveur des personnes handicapées.

(...) »

Cette Convention a été signée le 30 mars 2007 et ratifiée par la Turquie le 28 septembre 2009.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1

39. La requérante allègue une atteinte à son droit à l’instruction. À cet égard, elle conteste le fait qu’il faille être voyant pour pouvoir s’inscrire au conservatoire et estime qu’une telle exigence est contraire au droit à l’instruction. Elle argue en outre que l’État n’a pas rempli son obligation positive d’offrir aux personnes présentant un handicap les mêmes chances que tout un chacun. Elle invoque l’article 2 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

40. La requérante allègue en outre avoir été victime d’un traitement discriminatoire en raison de sa cécité, contraire à l’article 14 de la Convention, aux termes duquel :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

41. Le Gouvernement réfute ces allégations.

A. Sur l’applicabilité de l’article 2 du Protocole no 1

42. En l’espèce, le Gouvernement expose que l’école à laquelle la requérante souhaitait s’inscrire, doté d’un statut d’institution d’éducation supérieure rattaché au conservatoire, dispense quatre années d’enseignement supérieur. Il précise en outre que dans cette école des cours tels que les mathématiques, la physique, l’histoire ainsi que des cours optionnels sont dispensés de sorte qu’il admet que l’article 2 du Protocole no 1 peut s’appliquer à la présente affaire.

43. La Cour ne voit aucune raison de s’éloigner de ce constat. En effet, si l’article 2 du Protocole no 1 ne peut s’interpréter en ce sens qu’il obligerait les États contractants à créer ou subventionner des établissements d’enseignements particuliers, un État qui a créé de tels établissements a l’obligation d’offrir un accès effectif à ces établissements. En d’autres termes, l’accès à des institutions d’enseignement existant à un moment donné fait partie intégrante du droit consacré par la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1 (Catan et autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 137, CEDH 2012 (extraits), avec les références jurisprudentielles qui y sont citées). Cette disposition vaut en outre pour les niveaux primaire, secondaire et supérieur de l’enseignement (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, §§ 134-136, CEDH 2005‑XI). La circonstance que l’école en cause assure, à titre principal, un enseignement relevant du domaine artistique n’est pas susceptible de soustraire l’examen des conditions dans lesquelles il est possible d’y accéder du champ d’application l’article 2 du Protocole no 1. En conséquence, le grief de la requérante relève bien de cette disposition.

B. Sur la recevabilité

44. La Cour constate que les griefs de la requérante ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

C. Sur le fond

1. Arguments des parties

a. Arguments de la requérante

45. La requérante soutient qu’en refusant son inscription au conservatoire uniquement parce qu’elle est non-voyante, l’administration l’a traitée de manière injuste et discriminatoire. Selon elle, les affirmations du Gouvernement selon lesquelles il n’y aurait pas eu d’infrastructures adaptées en 2004-2005 pour dispenser un enseignement aux personnes non-voyantes et que son inscription aurait été finalisée si elle avait fourni tous les documents demandés (paragraphes 48-51 ci-après) sont contradictoires.

46. La requérante affirme en outre avoir fourni tous les documents requis dans les délais. Le rapport médical remis au conservatoire stipulait qu’elle pouvait recevoir une éducation dans les sections du conservatoire qui ne requéraient pas la vue. Selon elle, d’autres étudiants ont été inscrits alors même que leur rapport médical stipulait seulement « peut aller à l’école », « peut s’inscrire à l’université » ou « peut être élève de conservatoire », de sorte que le rejet de son inscription n’était fondé sur aucune bonne raison mais seulement sur le fait qu’elle est non-voyante, ce qui prouverait la discrimination.

47. Elle affirme que l’essence de son droit à l’éducation a été méconnue par le Gouvernement. Elle soutient en outre, au regard de l’essai mené par le conservatoire pour offrir un enseignement aux personnes non-voyantes, qu’en ne créant pas des opportunités d’éducation au profit des personnes non-voyantes de 1976 à 2004, le Gouvernement a échoué à fournir des chances égales à tous les membres de la société et a manqué à ses obligations positives à cet égard.

b. Arguments du Gouvernement

48. Après avoir cité la jurisprudence de la Cour (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, §§ 3-5, série A no 6, Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, 38, série A no 18, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, §§ 21 et 52, série A no 23, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, 25 février 1982, § 41, série A no 48, Yanaşɪk c. Turquie, no 14524/89, décision de la Commission du 6 janvier 1993, Décisions et rapports (DR) 74, p. 14, Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 25 mars 1993, § 27, série A no 247‑C, Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, série A no 294‑B et, mutatis mutandis, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 36, CEDH 2002‑II), le Gouvernement expose que la réglementation relative aux critères d’admission et d’inscription à l’examen d’entrée pour le département de musique instrumentale exigeait de disposer « des spécificités physiques requises pour jouer l’instrument choisi et pour lequel l’inscription est demandée » et « de ne pas avoir de handicap dans sa constitution physique empêchant l’enseignement dans la section [choisie] ». Se fondant sur ces dispositions, l’administration de l’école aurait demandé un rapport médical à la requérante pour procéder à son inscription. Celle-ci n’aurait toutefois pas soumis de rapport stipulant qu’elle était « qualifiée pour être une élève du conservatoire ».

49. Selon le Gouvernement, la réglementation en cause était légitime et prévisible, l’école dont il est question admettant des élèves ayant un don et les personnes ayant certains talents. De plus, ces critères seraient publics et annoncés. La réglementation ne contiendrait par ailleurs pas explicitement de dispositions excluant les personnes non-voyantes de sorte qu’elle ne constituerait pas une discrimination manifeste contre ces personnes.

50. Le Gouvernement considère que le rejet par l’administration de l’école du rapport soumis par la requérante établissant qu’elle était en mesure de suivre un enseignement dans une section ne requérant pas la vue doit être apprécié de manière à rechercher si, et dans quelle mesure, cela heurte l’essence du droit de la requérante à l’éducation et réduit son effectivité.

51. Le Gouvernement argue en outre qu’en 2004, il n’y avait pas d’infrastructures (moyens, équipements et personnel enseignant) pour les étudiants handicapés dans l’école et celle-ci n’avait pas de réglementation relative à cette situation. Quant à l’allégation selon laquelle la requérante aurait été soumise à un traitement discriminatoire, le Gouvernement expose que la discrimination consiste à traiter différemment, sans justification objective et raisonnable, des personnes se trouvant dans des situations analogues. Il énonce en outre qu’il ne peut y avoir de justification objective et raisonnable en l’absence de but légitime ou lorsqu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 42, CEDH 2009, et Ali c. Royaume-Uni, no 40385/06, § 53, 11 janvier 2011). Il cite également la jurisprudence de la Cour quant à la marge d’appréciation dont bénéficient les États (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 82, CEDH 2009). Enfin, il conclut être bien informé de la jurisprudence de la Cour relative aux griefs de la requérante et respecter la décision à intervenir de celle-ci.

2. Appréciation de la Cour

a. Principes généraux

52. En ce qui concerne le droit à l’instruction, la Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion de souligner que dans une société démocratique, ce droit est indispensable à la réalisation des droits de l’homme et occupe une place fondamentale (Velyo Velev c. Bulgarie, no 16032/07, § 33, CEDH 2014 (extraits)). À cet égard, tout en réitérant que l’enseignement est l’un des plus importants services publics dans un État moderne, la Cour reconnaît qu’il s’agit d’un « service complexe » à organiser et onéreux à gérer tandis que les ressources que les autorités peuvent y consacrer sont nécessairement limitées. Il est vrai également que lorsqu’il décide de la manière de réglementer l’accès à l’instruction, l’État doit ménager un équilibre entre, d’une part, les besoins éducatifs des personnes relevant de sa juridiction et, d’autre part, sa capacité limitée à y répondre. Cependant, la Cour ne peut faire abstraction du fait que, à la différence de certaines autres prestations assurées par les services publics, l’instruction est un droit directement protégé par la Convention (ibidem).

53. La Cour réitère que dans l’interprétation et l’application de l’article 2 du Protocole no 1, il faut tenir compte de toute règle et de tout principe de droit international applicables aux relations entre les parties contractantes, et la Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante (voir Catan et autres, précité, § 136). Les dispositions relatives au droit à l’éducation énoncées dans les instruments tels que la Charte sociale européenne ou la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées sont donc à prendre en considération. Enfin, la Cour souligne que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à interpréter et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (ibidem).

54. En ce qui concerne l’interdiction de la discrimination, la Cour rappelle que la discrimination consiste à traiter de manière différente sans justification objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables et qu’un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et raisonnable » lorsqu’il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu’il n’existe pas « un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Sejdić et Finci, précité, § 42). Toutefois, l’article 14 de la Convention n’interdit pas à un État membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c’est l’absence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause (entre autres, D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007‑IV). Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013 (extraits)).

b. Application de ces principes au cas d’espèce

55. La Cour estime que le traitement éventuellement discriminatoire de la requérante se trouve au cœur de son grief. Dès lors, elle considère qu’il y a lieu d’examiner l’affaire d’abord sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 (pour une approche similaire, Oršuš et autres c. Croatie [GC], no 15766/03, §§ 143-145, CEDH 2010). À cet égard, elle rappelle avoir déjà affirmé que le champ d’application de l’article 14 de la Convention englobe l’interdiction de la distinction fondée sur le handicap (Glor c. Suisse, no 13444/04, § 80, CEDH 2009).

56. En l’espèce, la requérante soutient que le rejet de sa demande d’inscription au conservatoire de musique était discriminatoire, car fondé sur sa cécité. À cet égard, la Cour observe que diverses dispositions législatives en vigueur au moment des faits consacraient le droit à l’éducation des enfants en situation de handicap, sans discrimination (voir droit interne pertinent, paragraphes 35-36 ci-dessus).

57. Cela étant, la Cour relève également que parmi les différentes conditions présidant à l’inscription au conservatoire figurait celle de fournir un certificat médical d’aptitude physique à suivre un enseignement au sein de cet établissement. Dès lors, la source de l’exclusion de la requérante de l’accès à l’éducation au sein du conservatoire ne résidait pas dans la loi mais dans le règlement de l’école. À cet égard, la Cour constate en outre, à la lecture des arguments en défense présentés par le rectorat de l’université technique d’Istanbul devant les instances nationales (paragraphe 17 ci‑dessus), que le conservatoire n’était pas en mesure d’accueillir les personnes présentant un handicap, quelle que fût la nature de celui-ci.

58. En l’espèce, il convient donc de vérifier si l’État ayant décidé d’offrir un enseignement musical spécialisé, l’accès à celui-ci pouvait être refusé à un groupe de personnes en particulier car la discrimination englobe les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification objective et raisonnable, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Glor, précité, § 73).

59. Certes, comme le soutient le Gouvernement (paragraphe 49 ci‑dessus), la réglementation régissant l’inscription au conservatoire ne contient pas de dispositions excluant les personnes non-voyantes. Il est également vrai que tous les candidats à l’inscription au conservatoire sont dans l’obligation de fournir un certificat médical attestant de leur aptitude physique. Pour autant, la Cour ne saurait ignorer les effets d’une telle exigence sur les personnes, comme la requérante, qui présentent un handicap physique, compte tenu en particulier de l’interprétation faite de cette exigence par l’établissement scolaire mis en cause.

60. En effet, la Cour observe que la requérante a bien remis à l’administration scolaire un rapport médical d’aptitude physique, lequel contenait toutefois une réserve, tenant compte de sa cécité (paragraphe 11 ci-dessus). Or, le conservatoire a refusé d’admettre celui-ci, allant jusqu’à exiger sa modification par le médecin qui l’avait établi (paragraphes 14 et 29 ci-dessus). Dès lors, même si le conservatoire a cherché à justifier le refus d’inscription de la requérante par le non-accomplissement des formalités administratives nécessaires à cet égard, notamment par l’absence d’un rapport médical qui aurait été établi par un hôpital entièrement équipé, la Cour estime, au vu de tout ce qui précède et de la lettre adressée par la direction de l’administration du conservatoire au médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy (paragraphe 29 ci-dessus), qu’il ne fait aucun doute que la cécité de la requérante a constitué le seul motif de ce refus.

61. Au demeurant, constatant la facilité avec laquelle le conservatoire a pu obtenir la révision du rapport médical initialement établi par le médecin chef de l’hôpital de Bakɪrköy (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour estime qu’en tout état de cause, la requérante n’aurait pas été en mesure de satisfaire l’exigence d’aptitude physique, la définition de celle-ci apparaissant laissée à la discrétion du conservatoire. À cet égard, la Cour se réfère également aux critiques formulées sur ce point par le conseil d’administration de l’ordre des médecins d’Istanbul (paragraphe 29 ci-dessus).

62. La Cour observe que le Gouvernement justifie les règles d’inscription au conservatoire tout d’abord par la circonstance que cet établissement serait destiné à accueillir uniquement les élèves dotés de certains talents (paragraphe 49 ci-dessus). Or, si la Cour estime que les autorités internes disposent indéniablement d’une marge d’appréciation pour définir les qualités requises des candidats au conservatoire, cet argument ne saurait prévaloir dans les circonstances de la présente affaire. En effet, si la vocation du conservatoire est de délivrer un enseignement aux étudiants présentant certains dons, la requérante ayant réussi au concours d’admission préalable à toute demande d’inscription (paragraphes 16 et 32 ci-dessus), elle a démontré qu’elle disposait de toutes les qualités requises à cet égard.

63. Le Gouvernement argue ensuite qu’à l’époque des faits, le conservatoire n’avait pas d’infrastructures adaptées pour accueillir des élèves en situation de handicap.

64. À cet égard, la Cour réitère que la Convention vise à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 88, CEDH 2013 et, Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 82, 20 octobre 2015 ; voir également paragraphe 54 ci-dessus). Dans le contexte de la présente affaire, la Cour rappelle également qu’elle doit tenir compte de l’évolution du droit international et européen et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour à ces niveaux quant aux normes à atteindre (voir, mutatis mutandis, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 126, CEDH 2012 (extraits), et Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 56, CEDH 2013 (extraits)). Elle note en ce sens l’importance des principes fondamentaux d’universalité et de non-discrimination dans l’exercice du droit à l’instruction, lesquels ont été consacrés à maintes reprises dans des textes internationaux (voir droit international pertinent, paragraphes 37-38 ci-dessus, et Catan et autres, précité, §§ 77-81). Elle souligne en outre qu’aux termes de ces instruments internationaux, l’éducation inclusive a été reconnue comme le moyen le plus approprié pour garantir ces principes fondamentaux.

65. À cet égard, la Cour considère que l’article 14 de la Convention doit être lu à la lumière des exigences de ces textes au regard des aménagements raisonnables – entendus comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportée, en fonction des besoins dans une situation donnée » – que les personnes en situation de handicap sont en droit d’attendre, aux fins de se voir assurer « la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales » (article 2 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, paragraphe 38 ci-dessus). De tels aménagements raisonnables permettent de corriger des inégalités factuelles qui, ne pouvant être justifiées, constituent une discrimination (voir paragraphe 54, ci-dessus).

66. La Cour n’ignore pas que chaque enfant a des besoins pédagogiques qui lui sont propres et qu’il en va ainsi particulièrement des enfants en situation de handicap. Dans le domaine de l’éducation, elle reconnaît que les aménagements raisonnables peuvent prendre différentes formes, aussi bien matériels qu’immatériels, pédagogiques ou organisationnels, que ce soit en termes d’accessibilité architecturale aux établissements scolaires, de formation des enseignants, d’adaptation des programmes ou d’équipements adéquats. Cela étant, la Cour souligne qu’il ne lui appartient aucunement de définir les moyens à mettre en œuvre pour répondre aux besoins éducatifs des enfants en situation de handicap. En effet, les autorités nationales, grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la situation et les besoins locaux à cet égard.

67. Pour la Cour, il importe cependant que les États soient particulièrement attentifs à leurs choix dans ce domaine compte tenu de l’impact de ces derniers sur les enfants en situation de handicap, dont la particulière vulnérabilité ne peut être ignorée. Elle considère en conséquence que la discrimination fondée sur le handicap englobe également le refus d’aménagements raisonnables.

68. Or, en l’espèce, au vu des pièces du dossier, la Cour observe que les instances nationales compétentes ne cherchèrent aucunement à identifier les besoins de la requérante ni ne précisèrent dans quelle mesure sa cécité pouvait constituer un obstacle à son accès à une éducation musicale. Elles ne cherchèrent pas non plus à envisager des aménagements pour pourvoir aux besoins pédagogiques spécifiques que la cécité de la requérante pouvait requérir (comparer McIntyre c. Royaume-Uni, no 29046/95, décision de la Commission du 21 octobre 1998, non publiée). La Cour ne peut que constater que depuis 1976, le conservatoire n’a fait aucune tentative pour adapter son enseignement afin que celui-ci puisse également être accessible aux enfants non-voyants.

69. Au vu de tout ce qui précède, la Cour observe que le refus d’inscription de la requérante au conservatoire reposait sur la seule circonstance qu’elle était non-voyante et que les instances nationales n’avaient, à aucun moment, envisagé l’éventualité que des aménagements raisonnables eussent peut-être pu permettre sa scolarisation au sein de cet établissement. Dès lors, la Cour estime que la requérante s’est vu dénier, sans justification objective et raisonnable, la possibilité de suivre une éducation au sein du conservatoire de musique, à cause de son seul handicap visuel. Elle conclut en conséquence à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole no 1.

70. Eu égard à cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1 (pour une approche similaire, voir Oršuš et autres, précité, § 186).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

71. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

72. La requérante réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi, correspondant selon elle aux frais qu’elle a engagés pour suivre un enseignement musical privé et aux quatre années perdues selon elle, avant de pouvoir exercer sa profession de musicienne. Elle réclame également 100 000 EUR au titre du dommage moral qu’elle aurait subi.

73. Le Gouvernement soutient qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué.

74. La Cour considère que si un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué peut s’avérer établi, en l’espèce, ce dommage ne se trouve néanmoins pas étayé. Il convient dès lors de rejeter la demande de la requérante à ce titre. En revanche, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

75. La requérante demande 508,90 livres turques (TRY)[4] pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 7 000 TRY[5] pour ceux engagés devant la Cour. Elle soumet à titre de justificatifs une convention d’honoraires d’avocat pour la procédure devant la Cour portant sur une somme de 5 000 TRY[6], des factures d’acquittement de ces honoraires et des factures postales. La requérante demande également 6 830 EUR pour les honoraires d’avocat devant la Cour et les frais associés à l’introduction de la requête. Elle soumet, à titre de justificatif, un décompte de frais d’après lequel 6 750 EUR correspondent au coût horaire du travail effectué par son avocat pour la préparation du dossier, 55 EUR correspondent à des frais postaux et 25 EUR à des frais de photocopies et de déplacement pour obtenir copie du dossier devant les instances nationales.

76. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions soulignant qu’elles ne reflètent pas la réalité au regard de procédures similaires et qu’elles ne sont pas suffisamment étayées.

77. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

78. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole no 1;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le fond du grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i) 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposJulia Laffranque
Greffier adjointPrésidente

* * *

[1]. Luth turc de la famille des saz, un peu plus petit que ce dernier.

[2]. Désigne un centre hospitalier public permettant d’accéder à l’ensemble des spécialités médicales et doté du personnel et des équipements nécessaires à une prise en charge complète.

[3]. La mention « handicap » a été insérée dans l’article 4 de la loi n° 1739 par la loi n° 6518 du 6 février 2004 portant modification de certaines lois et certains décrets-lois.

[4]4. Environ 180 EUR.

[5]5. Environ 2 473 EUR.

[6]6. Environ 2 550 EUR.


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