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02/02/2016 | CEDH | N°001-160310

CEDH | CEDH, AFFAIRE VAN ZANDBERGEN c. BELGIQUE, 2016, 001-160310


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE VAN ZANDBERGEN c. BELGIQUE

(Requête no 4258/11)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Van Zandbergen c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,

Paul Lemmens,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus

Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE VAN ZANDBERGEN c. BELGIQUE

(Requête no 4258/11)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Van Zandbergen c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,

Paul Lemmens,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4258/11) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Maurice Van Zandbergen (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me E. Van Der Vloet, avocat à Hoogstraten. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant se plaint de la prolongation de son internement malgré l’absence d’une expertise psychiatrique circonstanciée depuis plus de dix ans. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention.

4. Le 10 février 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952. Il est détenu dans l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout.

6. En février 1990, le requérant fut arrêté et placé en détention préventive pour des faits qualifiés de meurtre.

7. Le 13 mars 1992, considérant qu’il ne pouvait pas être tenu pénalement responsable de ses actes, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Malines décida l’internement du requérant sur la base d’un rapport d’expertise psychiatrique établi le 20 septembre 1991 par un collège de trois psychiatres.

8. La commission de défense sociale (« CDS ») d’Anvers ordonna dans un premier temps le placement du requérant dans la section de défense sociale de la prison de Merksplas. Le 20 juillet 1993, le requérant fut transféré vers l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout.

9. Entre 1993 et 1999, la CDS confirma à intervalles réguliers le maintien du requérant à Turnhout. Le Dr K., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit des avis succincts lors de chaque demande de permission de sortie du requérant. Ces avis écrits de quelques lignes furent établis en moyenne une à deux fois par an. À partir de 1994, le Dr K. constata que le requérant ne posait pas de problèmes disciplinaires, qu’il n’avait pas de problèmes d’humeurs ni de symptômes psychotiques malgré la persistance d’une personnalité narcissique et il donna à chaque fois un avis positif sur les demandes de permission de sortie du requérant.

10. Le 8 novembre 1999, A.W., un psychologue clinique, établit un rapport détaillé de seize pages sur l’état de santé mentale du requérant à la demande de la CDS. Le rapport conclut que le risque de récidive n’était pas élevé et proposa le reclassement du requérant dans un établissement ouvert, assorti d’un traitement et d’un suivi psychologique en vue d’une libération conditionnelle ultérieure.

11. Entre 1999 et 2009, la CDS ordonna régulièrement le maintien du requérant à Turnhout. Le Dr E.V., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit des avis succincts lors de chaque demande de permission de sortie ou de mise en liberté du requérant. Le Dr E.V. relevait que le requérant ne posait pas de problème, qu’il n’avait pas de problème d’humeur ni de symptômes psychotiques mais qu’il avait toujours des traits narcissiques. Il se prononça à chaque fois en faveur du maintien à Turnhout, considérant que le reclassement devait se faire étape par étape.

12. Le 23 septembre 2009, à l’audience devant la CDS statuant sur la demande de mise en liberté du requérant, l’avocat du requérant demanda à la CDS d’ordonner de manière urgente un nouveau rapport circonstancié (omstandig deskundig verslag) de l’état de santé mentale du requérant. Le même jour, la CDS décida une nouvelle fois le maintien du requérant à la prison de Turnhout et ordonna de procéder à une évaluation des risques (risicotaxatie) afin de déterminer le danger que représentait le requérant.

13. Le 11 février 2010, le Dr J.D.L., psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout, rendit un avis d’une page en faveur du maintien du requérant à Turnhout. Il revint sur le parcours du requérant depuis son internement. S’agissant des résultats de l’évaluation récente des risques, effectuée sur décision de la CDS, le psychiatre conclut que le requérant présentait un risque élevé de récidive sur le test HCR-20 (Historical, Clinical, Risk Management) et que son score se trouvait à la limite de la psychopathie sur le test PCL-R (Psychopathy Check List - Revised). Au niveau clinique, il ne pouvait pas décrire un trouble psychiatrique chez le requérant. Toutefois, il observait qu’il s’agissait d’un homme très intelligent qui essayait de manipuler les gens.

14. Le 8 mars 2010, H.W., psychologue du service psychosocial de la prison de Turnhout, établit un rapport de quatre pages. Elle y revint sur le parcours du requérant, sur le déroulement de sa détention ainsi que sur ses perspectives de reclassement. Elle constata que le requérant ne faisait pas de lui-même appel au service psychosocial de la prison, mais que dans le cadre de l’évaluation des risques, il avait été convoqué à cinq reprises et qu’il avait à chaque fois bien coopéré en répondant à toutes les questions posées. Au vu des résultats des tests HCR-20 et PCL-R auxquels elle avait procédé, il fallait conclure que le risque de récidive était très élevé. Aussi, un traitement n’était pas vraiment possible et le plan de reclassement du requérant présentait peu de chances de succès. H.W. était dès lors d’avis que le requérant devait rester à Turnhout.

La procédure de mise en liberté litigieuse

15. Le 18 mars 2010, la CDS rejeta la demande de mise en liberté du requérant au motif que son état de santé mentale ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’aucune possibilité de réadaptation ne présentait de garanties suffisantes pour la société contre le danger qu’il représentait.

16. Le requérant fit appel de cette décision au motif que la CDS n’avait pas répondu à sa demande d’obtenir une expertise psychiatrique circonstanciée et que ceci aurait violé son droit à un procès équitable.

17. Le 22 avril 2010, la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») considéra qu’il ressortait du dossier et des débats que l’état de santé mentale du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et que les conditions de son reclassement n’étaient pas remplies. La décision attaquée ne violait pas, selon la CSDS, les droits de la défense. En outre, elle déclara irrecevable le recours du requérant en ce qu’il demandait de procéder à une expertise psychiatrique circonstanciée. Elle constata, surabondamment, que le Dr J.D.L. avait établi un rapport d’expertise le 11 février 2010.

18. Le requérant se pourvut en cassation. Il allégua qu’il n’était pas possible pour la CDS et la CSDS de se prononcer sur l’amélioration de l’état de santé mentale du requérant sans qu’il y ait un rapport d’expertise récent et détaillé de son état de santé mentale. L’absence d’un tel rapport aurait violé son droit à un procès équitable.

19. Le 15 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Dans la mesure où le pourvoi contestait la décision de la CSDS de ne pas procéder à une expertise psychiatrique circonstanciée, il était irrecevable étant donné qu’un pourvoi n’était possible que contre la décision rejetant une demande de mise en liberté. Aussi, l’article 6 de la Convention n’était pas applicable à la procédure relative à une demande de mise en liberté. Enfin, la Cour de cassation considéra que :

[traduction]

« La [CSDS] apprécie souverainement, en fait, si l’état de santé mentale de l’interné s’est suffisamment amélioré et si les conditions d’un reclassement sont remplies. Cette appréciation n’exige pas nécessairement une expertise circonstanciée.

Dans cette mesure, le moyen qui est déduit d’une autre prémisse juridique, manque en droit. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

20. Le droit et la pratique internes en matière d’internement sont décrits de manière détaillée dans l’arrêt Van Meroye c. Belgique (no 330/09,
§§ 36-60, 9 janvier 2014). Les extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs à la situation en Belgique en matière d’internement figurent dans l’arrêt L.B. c. Belgique (no 22831/08, §§ 72-74, 2 octobre 2012).

21. En l’espèce, les dispositions particulièrement pertinentes de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale ») sont les suivantes :

Article 16

« La commission [de défense sociale] peut, avant de statuer par application des articles 14 et 15, prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration.

L’interné peut aussi se faire examiner par un médecin de son choix, et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin peut prendre connaissance du dossier de l’interné.

(...) »

Article 18

« La commission [de défense sociale] se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif.

(...) »

22. Une nouvelle loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2016. Cette loi prévoit, en son article 66, que la libération définitive peut être octroyée à la personne internée à l’expiration du délai d’épreuve suivant la libération à l’essai. Selon l’article 48 § 1er 4o de cette loi, le dossier sur la base duquel la chambre de protection sociale (actuellement dénommée la commission de défense sociale) se prononce sur une demande de libération à l’essai contient, entre autres, un rapport multidisciplinaire psychosocial et psychiatrique récent. Selon l’article 51 § 2, la chambre de protection sociale peut aussi ordonner, par ordonnance motivée, un examen psychiatrique médicolégal complémentaire.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

23. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint que sa demande de mise en liberté fut rejetée par la CDS alors qu’il n’avait pas fait l’objet d’une expertise psychiatrique circonstanciée depuis plus de dix ans et que, par conséquent, la persistance de ses troubles psychiatriques n’était pas établie de manière suffisante. Eu égard au grief tel que formulé par le requérant, la Cour, étant maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi d’autres, Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 55, CEDH 2014 (extraits)), estime qu’il convient d’examiner la requête sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; (...) »

24. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Les exceptions soulevées par le Gouvernement

25. Le Gouvernement fait valoir que la requête a été introduite sous l’angle de l’article 6 alors qu’elle concerne l’application de l’article 5 de la Convention. La requête ne serait donc recevable que dans la mesure où elle se fonde sur des arguments soulevés en substance devant les juridictions nationales.

26. Deuxièmement, le Gouvernement est d’avis que la requête devrait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes. En effet, l’article 16 de la loi de défense sociale prévoit que l’interné a la possibilité de se faire examiner par un médecin de son choix et de produire l’avis de celui-ci devant la CDS (paragraphe 21, ci-dessus). Aussi, si le requérant avait des doutes par rapport aux rapports existants, il aurait pu et dû produire lui-même une contre-expertise, ce qu’il n’a pas fait. Le requérant n’a pas non plus produit de preuve de l’absence de moyens financiers pour faire effectuer cette contre-expertise. Il ressort de son dossier qu’il a travaillé en prison et qu’il a gagné entre 160 et 300 euros (EUR) par mois en moyenne ; il aurait donc pu payer une contre-expertise dont le coût peut être estimé à 1 000 EUR.

27. Le requérant explique qu’il n’a pas les moyens financiers pour se faire examiner par un médecin spécialisé, les frais d’expertise étant trop élevés. Il bénéficie d’ailleurs de l’aide juridictionnelle pour se faire représenter devant les instances de défense sociale. Ainsi, même si en théorie la possibilité de commander une contre-expertise existe, celle-ci ne serait pas possible en pratique.

2. Appréciation de la Cour

28. Dans la mesure où le Gouvernement rappelle que le requérant avait initialement – tant devant les juridictions internes que devant la
Cour – développé son grief sous l’angle de l’article 6 de la Convention au lieu de l’article 5, la Cour relève que le Gouvernement n’explique pas quelle conséquence il entend en tirer pour la recevabilité de la requête. Ceci étant dit, la Cour rappelle qu’il faut et il suffit que le requérant ait soulevé son grief en substance devant les juridictions internes avant de saisir la Cour (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004‑III). En l’espèce, la Cour constate que, bien que le requérant invoquait formellement l’article 6 plutôt que l’article 5 de la Convention, il a soulevé son grief en substance à tous les niveaux des juridictions nationales et a présenté le même grief dans sa requête devant la Cour (voir paragraphes 12, 16, et 18, ci-dessus). En outre, la Cour rappelle qu’elle est en tout cas maîtresse de la qualification juridique des faits (voir paragraphe 23, ci-dessus). Il y a donc lieu de rejeter la première exception soulevée par le Gouvernement.

29. S’agissant, ensuite, de la possibilité qu’avait le requérant de présenter lui-même une contre-expertise, la Cour rappelle qu’il revient aux autorités nationales compétentes d’établir que l’aliénation d’une personne internée perdure, et non pas à la personne internée de prouver qu’elle est apte à être mise en liberté en apportant une contre-expertise de son état de santé mentale (mutatis mutandis, Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008). La Cour constate qu’en l’espèce le requérant a demandé, à plusieurs reprises et à tous les niveaux de juridiction, qu’une nouvelle expertise psychiatrique externe de son état de santé mentale soit effectuée (paragraphes 12, 16 et 18, ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant a fait tout ce qui pouvait être attendu de lui et qu’on ne saurait considérer qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes (voir, dans le même sens, Nakach c. Pays-Bas (déc.), no 5379/02, 6 janvier 2005). Il convient dès lors de rejeter la seconde exception du Gouvernement.

30. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

31. Le requérant se plaint que la prolongation de son internement fut ordonnée par la CDS alors que son état de santé mentale n’avait pas fait l’objet d’une expertise psychiatrique circonstanciée depuis plus de dix ans. Seuls de brefs avis furent rendus lors de ses demandes de mise en liberté par le psychiatre du service psychosocial de la prison de Turnhout qui motiverait toujours de la même manière ses rapports. Ces avis seraient établis après une « conversation » de 5 à 10 minutes entre l’expert et le requérant, et il serait même arrivé qu’un avis soit présenté à l’audience de la CDS sans que le requérant ait rencontré le médecin. Les rapports du Dr J.D.L. concluent d’ailleurs à chaque fois qu’au niveau clinique il est impossible de décrire l’état psychiatrique du requérant.

Dans ces conditions, le requérant estime que la CDS et la CSDS ne pouvaient pas régulièrement et légitimement évaluer son état de santé mentale, considérer qu’il ne s’était pas suffisamment amélioré et décider de la nécessité de son maintien en détention. Ces instances ne disposaient pas d’éléments actuels, circonstanciés et objectifs de l’état de santé mentale du requérant. Aussi, le requérant allègue que les rapports d’expertise datant des 11 février et 8 mars 2010 étaient superficiels et ne permettaient pas d’établir que l’aliénation du requérant perdurait. En outre, selon le requérant, le rapport psychiatrique avait été effectué avant le rapport psychologique, attestant de la négligence avec laquelle les expertises furent effectuées. Enfin, le rapport psychologique explique qu’il n’existe pas de traitement pour le requérant alors qu’un psychologue ne serait pas habilité à poser un diagnostic ou à proposer un traitement.

b) Le Gouvernement

32. Le Gouvernement fait valoir que la seule question en l’espèce est celle de savoir si la prolongation de l’internement a été décidée selon les impératifs de l’article 5 de la Convention. Le Gouvernement rappelle en effet que la requête ne porte ni sur le lieu de l’internement, ni sur les conditions dans lesquelles il a lieu, ni même sur la légalité de celui-ci. Le Gouvernement estime qu’il y a un lien causal entre la décision initiale d’interner le requérant et la décision litigieuse de maintenir l’internement. Ce lien causal est le même que celui-ci présent dans l’affaire Radu c. Allemagne (no 20084/07, §§ 99-108, 16 mai 2013) dans laquelle la Cour a conclu à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention, considérant que les motifs de refus de libération se situaient dans la continuité de la décision initiale prononçant l’internement.

33. En l’espèce, le Gouvernement est d’avis que les décisions de la CDS et de la CSDS ne furent pas prises de manière arbitraire, mais qu’elles furent prises après un débat contradictoire, en ayant entendu entre autres le requérant et son avocat, et sur la base d’un rapport du Dr J.D.L. Les conditions de l’article 5 auraient donc entièrement été respectées. Selon le Gouvernement, il n’est pas requis que les rapports soient extrêmement détaillés. En l’espèce, des avis psychologiques avaient régulièrement été rédigés, notamment avant chaque audience de la CDS et l’état mental du requérant était suivi de près. Il appartenait à la CDS et la CSDS d’apprécier souverainement l’état de santé mentale du requérant et de décider si les conditions pour sa mise en liberté étaient réunies en l’espèce. Celles-ci avaient suffisamment d’éléments pour décider la prolongation de l’internement. Enfin, le Gouvernement fait valoir que le requérant se limite à critiquer la valeur scientifique des rapports établis par les experts. Or la Cour ne serait pas le lieu où des discussions de nature médicale devraient avoir lieu (parmi d’autres, Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 49, 26 mai 2011).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

34. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X, Chtoukatourov, précité, § 114, Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 59, 18 février 2014, et C.W. c. Suisse, no 67725/10, § 37, 23 septembre 2014). À ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé l’avis d’un médecin expert. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006, et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour les apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010, Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010, et Biziuk v. Poland (no2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012), mais elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75, C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010, et Ťupa, precite, § 47).

35. Par ailleurs, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la demande de libération est prise en considération. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, § 49, CEDH 2002‑I, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

36. Enfin, le fait qu’une décision prolongeant l’internement d’une personne repose sur l’avis de psychiatres de l’établissement au sein duquel l’intéressé suit sa thérapie ne pose pas, en soi, un problème sous l’angle de l’article 5 de la Convention (C.W. c. Suisse, précité, § 48). En effet, le fait que les psychiatres rendant un avis sur l’état mental du requérant travaillent dans l’établissement dans lequel celui‑ci est interné ne saurait, en soi, jeter un doute sur leur indépendance et leur objectivité (Nakach c. Pays-Bas (déc.), no 5379/02, 6 janvier 2005). Ce n’est qu’en cas de rupture du lien de confiance entre l’interné et l’équipe soignante de l’établissement qui l’accueille, ou de contestation caractérisée quant à la validité scientifique et déontologique des rapports établis par ladite équipe soignante, que les autorités nationales compétentes doivent tenter d’obtenir un avis médical tiers afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état mental du requérant au moment de sa demande de libération à l’essai (Ruiz Rivera, précité, § 64, et, a contrario, C.W., précité, §§ 48-49).

b) Application au cas d’espèce

37. La Cour observe que l’internement du requérant est fondé sur une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Malines du 13 mars 1992 qui a appliqué la loi de défense sociale au motif que le requérant ne pouvait pas être tenu pénalement responsable des actes criminels qu’il avait commis (voir paragraphe 7, ci‑dessus). En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés (Claes c. Belgique, no 43418/09, § 110, 10 janvier 2013).

38. La Cour relève ensuite qu’il n’est pas contesté par le requérant que la décision initiale d’interner le requérant était conforme à l’article 5 § 1 de la Convention.

39. En revanche, est en cause la décision de la CDS du 18 mars 2010 qui ordonna le maintien du requérant à la prison de Turnhout et donc, de facto, la prolongation de l’internement. Cette décision fut confirmée le 22 avril 2010 par la CSDS et devint définitive lors du rejet, par la Cour de cassation, du pourvoi introduit par le requérant.

40. À cet égard, la Cour constate que la loi de défense sociale en vigueur au moment des faits n’exigeait pas l’obtention d’une expertise psychiatrique récente et circonstanciée afin que la CDS se prononce sur la demande de mise en liberté du requérant (paragraphe 21, ci-dessus). Aussi, la Cour observe qu’il n’est pas non plus contesté par le requérant que la décision de la CDS du 18 mars 2010 ordonnant le maintien du requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout a été prise « selon les voies légales ».

41. Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 72, CEDH 2000‑III, et L.B. c. Belgique, précité, § 91). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa, précité, § 78, et Cristian Teodorescu, précité, § 59).

42. La question cruciale en l’espèce est celle de savoir si les juridictions nationales disposaient de suffisamment d’éléments de nature à établir que les troubles psychiatriques du requérant perduraient lorsqu’elles refusèrent sa mise en liberté (mutatis mutandis, Herz, précité, § 51).

43. À cet égard, la Cour relève que, tel que le requérant l’allègue, les avis rendus par le psychiatre de la prison lors de chacune des demandes de permission ou de mise en liberté du requérant entre 1993 et 2009, c’est-à-dire environ deux fois par an, étaient très succincts, tenant souvent en un seul paragraphe (paragraphes 9 et 11, ci-dessus). Les décisions de la CDS pendant cette période étaient, elles aussi, très brèves et standardisées. La Cour estime toutefois que cela n’est pas déterminant en l’espèce.

44. En effet, la Cour constate que, le 23 septembre 2009, la CDS fit droit à la demande du requérant d’obtenir un nouveau rapport de son état de santé mentale en ordonnant qu’il soit procédé à une évaluation des risques. Ainsi, quelques semaines avant la décision litigieuse du 18 mars 2010, un psychiatre et un psychologue de la prison de Turnhout rendirent des rapports sur l’état de la santé mentale du requérant. Ces rapports dataient respectivement du 11 février 2010 et du 8 mars 2010. Ils s’appuyaient largement sur l’évaluation des risques effectuée à la demande du requérant. Cette évaluation des risques fut effectuée à une date non précisée, mais en tout cas entre le 23 septembre 2009 et le 11 février 2010. Même si ces rapports ne sont pas explicitement mentionnés dans la décision de la CDS du 18 mars 2010, le requérant n’a pas contesté l’allégation du Gouvernement selon laquelle la décision de la CDS litigieuse était fondée notamment sur ces deux rapports. Par ailleurs, en appel, la CSDS a explicitement constaté que le Dr J.D.L. avait rédigé un rapport d’expertise. La Cour estime donc que la décision litigieuse, confirmée en appel, était basée sur une expertise suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique du requérant (voir, dans le même sens, pour des rapports d’expertise datant de respectivement trois, six et vingt mois avant les décisions nationales prolongeant l’internement des requérants, Vogt c. Suisse, (déc.), no 45553/06, § 41, 3 juin 2014, Bäcker c. Allemagne, (déc.), no 44183/12, § 31, 21 octobre 2014, et Aurnhammer c. Allemagne, (déc.), no 36356/10, § 43, 21 octobre 2014).

45. Ensuite, la Cour observe qu’à aucun moment de la procédure nationale ni même devant la Cour, le requérant n’a fait part d’une rupture du lien de confiance avec l’équipe psychosociale de l’établissement dans lequel il est interné (dans le même sens, C.W., précité, § 48, et, a contrario, Ruiz Rivera, précité, § 50). Au cours de la procédure devant les instances nationales, il n’a pas non plus demandé à être examiné par un expert psychiatre neutre, indépendant de l’établissement dans lequel il est interné (a contrario, Ruiz Rivera, précité, §§ 20-21).

46. En revanche, le requérant a, à chaque fois, demandé à ce que soit effectué un nouvel examen circonstancié de son état de santé mentale. En ce sens, il conteste la validité scientifique des rapports datant des 11 février et 8 mars 2010 en faisant valoir que ceux-ci étaient superficiels et ne permettaient pas d’établir que l’aliénation du requérant perdurait. En particulier, il se plaint de la négligence avec laquelle les expertises auraient été effectuées, illustrée notamment par le fait que le rapport psychiatrique fut rédigé avant le rapport psychologique.

47. Tel que le Gouvernement le rappelle, il ne revient pas à la Cour d’évaluer elle-même la qualité scientifique des avis médicaux rendus puisque cela relève en premier lieu de la compétence du juge national (Herz, précité, § 51, et Ťupa, précité, § 49) qui bénéficie pour cela d’une certaine marge d’appréciation (Graz c. Allemagne (déc.), no 53783/09, 18 octobre 2011, et Ruiz Rivera, précité, § 62). La Cour constate qu’il ressort de l’évaluation des risques qui est à la base des rapports des 11 février et 8 mars 2010 que le requérant présentait un risque élevé de récidive et qu’il se trouvait à la limite de la psychopathie. La Cour n’a pas de raison de penser que l’évaluation des risques ou les rapports des 11 février et 8 mars 2010 fussent entachés d’arbitraire ou de manque de rigueur scientifique. La Cour ne voit pas non plus en quoi le fait que le rapport psychiatrique ait été finalisé avant celui du psychologue serait une indication de négligence de la part du psychiatre.

48. Ainsi, compte tenu des éléments auxquels elle peut avoir égard, la Cour estime qu’il n’y a pas d’indication que les autorités compétentes n’avaient pas à leur disposition des éléments suffisants pour décider du prolongement de la détention du requérant.

49. Dans ces circonstances, la Cour conclut, eu égard au grief tel qu’il a été présenté devant la Cour, qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Karakaş, à laquelle se rallient les juges Vučinić et Kūris.

A.I.K.
S.H.N.

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ
À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES VUČINIĆ
ET KŪRIS

1. Je ne peux pas souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle il n’y a pas eu de violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

2. La Cour a déjà examiné dans plusieurs affaires la question de la nécessité de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique indépendante. La jurisprudence qui se dégage de ces affaires peut se résumer comme suit. Dans une affaire où la dernière expertise indépendante datait d’environ neuf ans, la Cour a estimé que le fait que la décision prolongeant l’internement reposait sur l’avis récent de psychiatres de l’établissement au sein duquel l’intéressé suivait sa thérapie ne posait pas en soi de problème au regard de l’article 5 de la Convention (C.W. c. Suisse, no 67725/10, § 48, 23 septembre 2014). En effet, le fait que les psychiatres rendant un avis sur l’état de santé mentale du requérant travaillent dans l’établissement où celui‑ci est interné ne saurait, en soi, jeter un doute sur leur indépendance et leur objectivité (Nakach c. Pays-Bas, no 5379/02, 30 juin 2005).

De la même manière, la Cour a accepté une décision de maintenir une personne en rétention de sûreté alors que la dernière expertise médicale sur laquelle se fondait cette décision datait de six ans, dans la mesure où les troubles relevés dans cette expertise avaient été confirmés par le psychologue de l’établissement au sein duquel la personne était internée, où le requérant refusait de suivre les thérapies qui lui étaient proposées et où il n’avait pas démontré qu’il y eût des changements significatifs dans sa personnalité ou dans son attitude par rapport aux infractions qu’il avait commises (Dörr c. Allemagne (déc.), no 2894/08, 22 janvier 2013).

3. Toutefois, en cas de rupture du lien de confiance entre l’interné et l’équipe soignante de l’établissement qui l’accueille, ou de contestation caractérisée quant à la validité scientifique et déontologique des rapports établis par ladite équipe soignante, les autorités nationales compétentes doivent tenter d’obtenir un avis médical tiers afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état mental du requérant au moment de sa demande de libération à l’essai (Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 64, 18 février 2014, et, a contrario, C.W. c. Suisse, précité, §§ 48-49). Dans de telles circonstances, la Cour a estimé qu’un avis médical tiers datant d’environ trois ans n’était pas suffisamment récent, même si les conclusions de ce rapport avaient été confirmées par les deux psychologues de l’établissement où était interné le requérant (Ruiz Rivera, précité, § 63). Elle a également conclu à la violation de l’article 5 § 1 dans une affaire où le requérant n’avait plus fait l’objet d’une expertise médicale tierce depuis plus de douze ans (H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 109, 19 septembre 2013). En revanche, elle a estimé que des rapports d’expertise médicale indépendante datant de trois, six et vingt mois avant les décisions nationales prolongeant l’internement des requérants étaient suffisamment récents (voir, respectivement, Vogt c. Suisse, (déc.), no 45553/06, § 41, 3 juin 2014, Bäcker c. Allemagne, (déc.), no 44183/12, § 31, 21 octobre 2014, et Aurnhammer c. Allemagne, (déc.), no 36356/10, § 43, 21 octobre 2014).

4. Je voudrais aussi rappeler, en ce qui concerne les textes internationaux pertinents, que le principe 17 des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale (A/RES/46/119) adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1991 prévoit ceci :

« 1. L’organe de révision [de la légalité de l’internement] prend ses décisions avec le concours d’un ou plusieurs praticiens de santé mentale qualifiés et indépendants et tient compte de leur avis. [...] »

5. Dans le cas d’espèce, le requérant, déclaré pénalement irresponsable de ses actes, est détenu dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire depuis près de vingt‑trois ans. Or, comme la Cour et d’autres acteurs internationaux l’ont déjà constaté à de nombreuses reprises, il est notoire en Belgique que les internés détenus dans des ailes psychiatriques de prisons ordinaires se trouvent privés des soins thérapeutiques pouvant contribuer à leur réintégration fructueuse dans la vie sociale (voir, parmi beaucoup d’autres, L.B. c. Belgique, no 22831/08, §§ 72-74 et 96, 2 octobre 2012). Je pense que tel est également le cas du requérant. Il faut aussi souligner qu’une personne détenue se trouve entièrement sous la responsabilité de l’État et qu’elle a besoin d’une protection accrue en raison de la situation de vulnérabilité dans laquelle elle se trouve (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 65, 8 janvier 2013).

6. Il ne faut pas perdre de vue que, le requérant étant détenu depuis près de vingt-trois ans dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire, les garanties contre l’arbitraire dont il doit bénéficier devraient être d’autant plus importantes.

7. Or, en l’espèce, lorsque la CDS a pris la décision litigieuse le 18 mars 2010, l’état de santé mentale du requérant n’avait pas été examiné par une personne extérieure à la prison depuis le rapport psychologique établi plus de 10 ans plus tôt, le 8 novembre 1999. La dernière expertise psychiatrique indépendante, c’est‑à‑dire indépendante de l’expertise se trouvant à la base de la décision initiale d’interner le requérant, avait quant à elle été réalisée le 20 septembre 1991, soit près de vingt ans avant la décision de la CDS. Je pense que dans les circonstances de l’espèce, un tel laps de temps pose un sérieux problème au regard de l’article 5 § 1 de la Convention.

8. En effet, les avis rendus par le psychiatre de la prison lors de chacune des demandes de permission ou de mise en liberté formées par le requérant entre 1993 et 2009 (à un rythme de deux fois par an environ) étaient très succincts – ils ne comportaient souvent qu’un seul paragraphe – et stéréotypés. Les décisions rendues par la CDS pendant cette période étaient, elles aussi, très brèves et standardisées. Notamment, elles ne comprenaient pas d’analyse approfondie de l’évolution de l’état de santé mentale du requérant (voir paragraphes 9 et 11 de l’arrêt). La réalisation d’une évaluation des risques par l’équipe psychosociale de la prison de Turnhout quelques mois avant la décision litigieuse n’est pas en elle-même suffisante pour combler ces lacunes.

9. Le requérant a en effet allégué que les résultats de ces tests n’étaient pas connus par la CDS lorsqu’elle a pris sa décision le 18 mars 2010. Cette affirmation n’a pas été contestée par le Gouvernement ; et dans sa décision, qui est relativement brève, la CDS ne mentionne pas les éléments et les rapports sur lesquels elle s’est appuyée pour conclure que l’état de santé mentale du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré (paragraphe 15 de l’arrêt). La CSDS, statuant en appel, s’appuie quant à elle pour rejeter la demande de nouvelle expertise psychiatrique formée par le requérant sur le rapport du Dr J.D.L. en date du 11 février 2010 (rapport dans lequel le requérant est qualifié d’homme très intelligent capable de manipuler les gens !), sans préciser les motifs qui l’ont amenée à conclure que l’état de santé mentale de l’intéressé ne s’était pas suffisamment amélioré.

10. Je ne partage pas l’avis de la majorité quant à l’absence de rupture du lien de confiance entre le requérant et l’équipe psychosociale de la prison : le requérant a demandé à chaque fois un nouvel examen approfondi de son état de santé mentale et il a contesté la validité scientifique des rapports des 11 février et 8 mars 2010 en les qualifiant de superficiels. N’est-ce pas une contestation caractérisée de la validité scientifique et déontologique des rapports établis par ladite équipe soignante ? (comparer avec Ruiz Rivera, précité, § 21). Que peut-on attendre de plus d’une personne qui est internée dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire et qui se trouve ainsi dans une situation particulièrement vulnérable ? Le requérant a tout simplement demandé que soit établie une autre expertise objective et circonstanciée, vingt ans après la première !

11. À cet égard, il faut également mentionner la nouvelle loi belge qui entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2016. Cette loi prévoit que le dossier sur la base duquel la chambre de protection sociale (actuellement dénommée commission de défense sociale) se prononce sur une demande de mise en liberté contient, entre autres, un rapport multidisciplinaire psychosocial et psychiatrique récent. En outre, l’article 51 § 2 de cette même loi prévoit que la chambre de protection sociale peut ordonner, par une ordonnance motivée, un examen psychiatrique médicolégal complémentaire. On constate donc que le législateur belge a modifié la loi du 9 avril 1930 pour développer les garanties en matière d’internement et de protection des personnes atteintes de maladie mentale face aux carences de son article 16, appliqué dans le cas d’espèce.

12. À la lumière de ces éléments, j’estime que les autorités nationales ne disposaient pas de suffisamment d’éléments récents et objectifs permettant d’établir que les troubles psychiatriques du requérant perduraient. Elles devaient obtenir un avis médical tiers afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état de santé mentale du requérant au moment de sa demande de libération.

13. Par conséquent, je pense qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-160310
Date de la décision : 02/02/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière)

Parties
Demandeurs : VAN ZANDBERGEN
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VAN DER VLOET E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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