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02/02/2016 | CEDH | N°001-160262

CEDH | CEDH, AFFAIRE DI TRIZIO c. SUISSE, 2016, 001-160262


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DI TRIZIO c. SUISSE

(Requête no 7186/09)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

04/07/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Di Trizio c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert

Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2015 et le 8 décembr...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DI TRIZIO c. SUISSE

(Requête no 7186/09)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

04/07/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Di Trizio c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2015 et le 8 décembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7186/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante italienne, Mme Vita Maria di Trizio (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me A. Mengis, avocate auprès de Procap, une association suisse de défense des personnes handicapées, à Olten (canton de Soleure).

Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l’Office fédéral de la justice.

3. La requérante se plaint essentiellement du fait que la « méthode mixte » appliquée pour le calcul de son taux d’invalidité a eu pour conséquence qu’elle s’est vu refuser une rente à cause de l’activité professionnelle qu’elle a exercé à temps partiel, et y voit une violation de l’article 8 de la Convention.

Elle dénonce également ladite méthode comme discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention, combiné respectivement avec l’article 6 et avec l’article 8 de la Convention.

Elle se plaint aussi de certains aspects de la procédure interne, dans lesquels elle voit une violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 14 octobre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement sous l’angle de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8.

Dans ses observations, la requérante a demandé la tenue d’une audience publique en vertu de l’article 59 § 3 du règlement de la Cour. La Cour ne l’estime pas nécessaire dans le cas d’espèce et rejette ladite demande.

5. Par une lettre du 22 octobre 2010, le gouvernement italien a été informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu de l’article 36 § 1 de la Convention et de l’article 44 du règlement de la Cour. Par une lettre du 18 mai 2011, le gouvernement italien a fait savoir à la Cour qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervention.

6. Le 13 mai 2014, la Cour a demandé aux parties de lui envoyer des observations complémentaires (article 54 § 2 c) du règlement de la Cour).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

8. La requérante est née en 1977 à Uznach et réside à Rapperswil-Jona, dans le canton de Saint-Gall.

9. Après avoir initialement suivi un apprentissage de coiffeuse, la requérante avait occupé un emploi à plein temps comme vendeuse. En juin 2002, elle fut obligée d’abandonner cette activité à cause de problèmes de dos.

10. Le 24 octobre 2003, à cause de douleurs lombaires et vertébrales, la requérante s’adressa à l’office de l’assurance-invalidité pour le canton de Saint‑Gall (« l’office ») en vue de l’obtention d’une rente d’invalidité.

11. Le 6 février 2004, elle donna naissance à des jumeaux. Pendant la grossesse, ses douleurs de dos s’étaient encore aggravées.

12. Le 15 mars 2005, l’office effectua au sujet de la requérante une enquête ménagère à domicile (Abklärung im Haushalt). La requérante expliqua :

– qu’elle souffrait constamment de douleurs dorsales, qui s’étendaient souvent jusqu’au pied gauche ; qu’elle avait, en particulier, des problèmes pour se tenir debout au même endroit pendant un certain temps, et ne pouvait pas rester assise plus de dix minutes ; qu’elle pouvait faire des promenades d’une demi-heure, mais pas de manière quotidienne ; et que ses douleurs s’aggravaient encore lorsqu’elle portait les enfants ;

– que, pour des raisons financières, elle devrait exercer une activité lucrative à mi-temps car son mari ne gagnait que 3 700 francs suisses (CHF) (environ 3 602 euros (EUR)) net.

L’examen permit de conclure à une réduction de 44,6 % de sa capacité à effectuer des activités ménagères.

Dans son rapport du 2 mai 2005, l’office conclut que la requérante devait être qualifiée, respectivement :

– de personne exerçant une activité rémunérée à temps plein (« Vollerwerbstätige ») jusqu’à la fin de l’année 2003 ;

– de femme au foyer (« Hausfrau ») entre janvier et mai 2004 ;

– et de personne hypothétiquement capable de travailler à 50 % (« zu 50 % hypothetisch Erwerbstätige ») à partir de juin 2004.

13. Le 16 juin 2005, le docteur Ch.A.S. informa l’office que la requérante ne pouvait travailler à plus de 50 % dans une activité adaptée et qu’une augmentation de son temps de travail semblait exclue.

14. Par une décision du 26 mai 2006, l’office considéra :

– qu’il y avait lieu d’octroyer à la requérante une rente pour la période allant du 1er juin 2003 au 31 août 2004 ;

– mais que, à compter du 1er septembre 2004, elle n’avait droit à aucune rente.

L’office parvint à ce résultat de la façon suivante.

Pour la période comprise entre le 20 juin 2002 et la fin du mois de mai 2004, il retint un taux d’invalidité de 50 %, sur la base d’un calcul de revenus.

Pour la période subséquente, il estima qu’il y avait lieu d’appliquer la méthode dite « mixte », en considérant que, dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été frappée d’invalidité, la requérante n’aurait de toute façon travaillé que de manière réduite à la suite de la naissance de ses enfants. Il se fonda notamment, à cet égard, sur les indications de la requérante selon lesquelles elle ne s’estimait capable de travailler qu’à 50 % et voulait se consacrer le reste du temps aux activités ménagères et à ses enfants. Par ailleurs, sur la base de l’enquête ménagère mentionnée ci-dessus, l’office estima la capacité de l’intéressée en matière de tâches ménagères à 56 % (soit une invalidité correspondante de 44 %). Selon la formule suivante, le taux d’invalidité obtenu à partir de ces divers éléments était seulement de 22 %, de sorte que la requérante n’atteignait pas l’invalidité minimale de 40 % à laquelle était subordonné l’octroi d’une rente :

50 % (activité rémunérée) : aucune perte0,5 x 0 % = 0 %

50 % (activités de ménage et de prise en charge des enfants) : 0,5 x 44 % = 22 %

Total[1] = 22 %

15. La requérante forma une réclamation auprès de l’office. Celle-ci fut rejetée le 14 juillet 2006 : après un nouveau calcul, l’office reconnut à la requérante un taux d’invalidité de 27 %, ce qui restait inférieur au minimum requis pour avoir droit à une rente.

Ce chiffre était obtenu par application de la méthode mixte, avec les paramètres suivants :

50 % (activité rémunérée) : 0,5 x 10 % = 5 %

50 % (activités de ménage et de prise en charge des enfants) : 0,5 x 44 % = 22 %

Total[2] = 27 %

Pour remplir ainsi la première ligne de la formule, l’office partit d’un revenu hypothétique (pour un travail à 100 %) de 48 585 CHF (environ 47 308 EUR), calculé sur la base des données statistiques relatives à la catégorie socioprofessionnelle de la requérante, qualifiée d’auxiliaire (« Hilfsarbeiterin ») ; pour un taux d’activité de 50 %, la requérante aurait donc eu un salaire de 24 293 CHF si elle avait pu continuer à travailler sans problème (Valideneinkommen). L’office estima qu’avec son handicap, le salaire que la requérante serait réellement en mesure de gagner, dans une activité adaptée, s’éleverait à 21 863 CHF (Invalideneinkommen). Il conclut ainsi à un taux d’invalidité de 10 % pour la partie « activité rémunérée ».

16. Le 14 septembre 2006, la requérante forma un recours contre cette décision.

Invoquant l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, l’intéressée exposait :

– que la méthode appliquée engendrait une discrimination par rapport aux personnes plus aisées ; qu’en effet, celles qui pouvaient se passer d’exercer une activité lucrative se voyaient appréhendées exclusivement en tant que femmes au foyer, ce qui leur permettait de se voir reconnaître un taux d’invalidité supérieur et, partant, de bénéficier plus facilement d’une rente ;

– que la manière de calculer le taux d’invalidité ne prenait pas suffisamment en compte les interactions (« Wechselwirkungen ») entre les volets « ménage » et « activité rémunérée » ;

– qu’en réalité, si elle travaillait, même seulement à mi-temps, son invalidité dans les tâches ménagères s’en trouverait augmentée bien au-delà de 44 %.

17. À l’appui de son recours, elle joignit un rapport médical du docteur Ch.A.S., en date du 28 septembre 2006, dans lequel ce dernier indiquait en substance :

– que son état de santé ne lui permettait pas d’avoir un travail rémunéré à mi-temps dans les mêmes conditions qu’une personne valide ;

– que, dans l’hypothèse où elle devrait accomplir un travail rémunéré, sa capacité à s’occuper du ménage et des enfants tomberait à 10 % environ.

18. Par un jugement du 30 novembre 2007, le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall accueillit partiellement le recours de la requérante.

S’éloignant de la jurisprudence du Tribunal fédéral (voir les arrêts cités au début du paragraphe 35 ci-dessous), il estima qu’il y avait lieu d’écarter l’application normale de la méthode mixte, en substituant à celle-ci une version « améliorée » de ladite méthode : selon lui, il convenait de partir du taux d’activité que la requérante aurait pu raisonnablement retrouver après la naissance de ses jumeaux si elle n’avait pas eu de problème de santé.

Pour le tribunal, telle qu’appliquée par le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence, la méthode mixte ne permettait pas de tenir suffisamment compte de l’invalidité dans le volet « ménage ».

Selon lui, l’office n’avait pas pris en compte le fait que la requérante ne pouvait s’occuper du ménage qu’à mi-temps, et avait indûment calculé l’incapacité de travail sur la base d’une journée de travail de 12 heures.

Le tribunal estima qu’au lieu de se fonder sur l’enquête ménagère – dont l’application se justifiait à ses yeux seulement pour les personnes se consacrant au ménage à temps plein –, l’office aurait dû se pencher concrètement sur sa capacité relative aux travaux ménagers, qui avait été établie par un médecin.

Par ailleurs, le tribunal des assurances reprocha à l’office de ne pas avoir examiné si, dans l’hypothèse d’une santé normale, la requérante aurait été en mesure d’exercer une activité rémunérée à la suite de la naissance des enfants. En particulier, il releva que le rapport établi à l’issue de l’enquête ménagère ne donnait guère d’informations sur les efforts demandés à la requérante par l’éducation des enfants (Betreuungsaufwand) ni sur l’existence ou non de possibilités de transférer une partie de cette charge éducative à des tierces personnes. Ces éléments n’ayant pas été pris en compte par l’office, le calcul du taux d’invalidité de la requérante avait, aux yeux du tribunal, été établi sur la base d’un état des faits incomplet. Le tribunal était également d’avis, eu égard au salaire modeste de son mari et compte tenu de ce qu’elle pourrait raisonnablement gagner en tant que coiffeuse ou auxiliaire, qu’il était improbable que, dans l’hypothèse d’une santé normale, la requérante n’eût travaillé qu’à 50 %. L’enquête ménagère lui paraissait donc lacunaire sur ce point également.

En conséquence, le tribunal des assurances renvoya l’affaire à l’office pour un complément d’instruction.

19. L’office déposa un recours contre le jugement du tribunal des assurances.

20. Par un arrêt du 28 juillet 2008 (9C_49/2008), le Tribunal fédéral accueillit le recours de l’office, jugeant que la requérante n’avait pas droit à une rente.

Dans ses motifs, le Tribunal fédéral rappela d’abord le cadre qui était à ses yeux celui de la matière, en énonçant :

– que l’objectif de l’assurance-invalidité était de couvrir le risque de perte, pour une raison médicale, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou d’effectuer à domicile des tâches que l’assuré pouvait réellement effectuer jusqu’à ce qu’il devienne invalide et pourrait toujours effectuer sans l’événement ayant conduit à l’invalidité ;

– qu’il ne s’agissait pas, en revanche, de compenser des activités que l’assuré n’aurait de toute façon jamais exercées, même sans invalidité ;

– que cette approche visait à éviter, par exemple, qu’une personne aisée n’ayant jamais travaillé auparavant puisse, en cas d’atteinte à la santé, se voir considérée comme invalide alors même qu’elle n’aurait très probablement jamais travaillé si elle était restée valide.

21. Partant de là, le Tribunal fédéral estima que la méthode mixte n’engendrait aucune discrimination. Il s’exprima ainsi (traduction par le Greffe) :

« 3.4 (...) Il est vrai que la méthode mixte, telle qu’elle est appliquée par le Tribunal [fédéral] dans sa jurisprudence constante, peut mener à la perte d’une rente, lorsque, avec une probabilité prépondérante, la personne assurée – en règle générale à la suite de la naissance d’un enfant – cesse d’exercer, ou d’exercer à plein temps, une activité lucrative qui était la sienne jusque-là. Toutefois, ce n’est pas l’invalidité qui cause [alors] la perte de revenu ; de nombreuses personnes en bonne santé subissent également une perte de revenu, quand elles réduisent ou abandonnent leur activité professionnelle. La critique à l’égard de la méthode mixte vise le fait que les personnes (des femmes dans la majorité des cas) subissent une perte de gains lorsqu’elles réduisent leur taux d’activité après la naissance d’enfants. Cette réalité sociologique n’est toutefois pas la conséquence de facteurs liés à la santé de la personne et n’a donc pas lieu d’être compensée par l’assurance-invalidité. Aucune discrimination ou autre violation de la Convention européenne des droits de l’homme n’en découle. »

Le Tribunal fédéral concéda, néanmoins, que les interactions entre les volets « ménage » et « activité rémunérée » n’étaient pas suffisamment prises en compte dans la méthode mixte. Concernant la requérante, cependant, il estima :

– que l’accentuation de ses problèmes de santé par l’exercice d’une activité rémunérée ne devrait pas être considérée comme diminuant sa capacité à effectuer des tâches ménagères de plus de 15 % ;

– que, partant, même en ajoutant une prise en compte de ces interactions, le taux d’invalidité n’atteignait pas le minimum de 40 % requis pour bénéficier d’une rente :

50 % (activité rémunérée) : 0,5 x 10 % = 5 %

50 % (activités de ménage) :0,5 x (44 . 15 %) = 29,5 %

Total[3] = 34,5 %

L’argument selon lequel son mari était au chômage, soulevé par la requérante pour la première fois devant le Tribunal fédéral, fut écarté au motif qu’il n’avait pas été invoqué devant l’instance inférieure et qu’il n’était pas étayé.

En revanche, le Tribunal fédéral avait, en considération de son indigence, admis la requérante au bénéfice de l’assistance judiciaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

1. Le droit constitutionnel

22. Les dispositions pertinentes de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« Cst. », RS – Recueil systématique du droit fédéral – 101) se lisent ainsi :

Article 8 : Égalité

« 1 Tous les êtres humains sont égaux devant la loi.

2 Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique.

3-4 (...).

Article 13 : Protection de la sphère privée

1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...).

2 (...). »

23. L’article 190 de la Constitution fédérale prévoit par ailleurs que « [l]e Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. »

2. Le droit de l’assurance-invalidité

24. Dans sa version applicable au moment des faits, les dispositions de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (« LPGA » ; RS 830.1) étaient libellées comme suit :

Article 8 : Invalidité

« 1 Est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée.

2 (...)

3 Les assurés majeurs qui n’exerçaient pas d’activité lucrative avant d’être atteints dans leur santé physique, mentale ou psychique et dont il ne peut être exigé qu’ils en exercent une sont réputés invalides si l’atteinte les empêche d’accomplir leurs travaux habituels. »

Article 16 : Taux d’invalidité

« Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. »

25. Dans sa version en vigueur à la même époque, la loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (« LAI » ; RS 831.20) énumérait les buts de cette assurance comme suit :

Article 1a

« Les prestations prévues par la présente loi visent à :

a. prévenir, réduire ou éliminer l’invalidité grâce à des mesures de réadaptation appropriées, simples et adéquates ;

b. compenser les effets économiques permanents de l’invalidité en couvrant les besoins vitaux dans une mesure appropriée ;

c. aider les assurés concernés à mener une vie autonome et responsable. »

26. Les modalités d’évaluation de l’invalidité étaient définies par la même loi comme suit :

Article 28 : Évaluation de l’invalidité

« (...)

L’article 16 LPGA s’applique à l’évaluation des assurés exerçant une activité lucrative. Le Conseil fédéral fixe le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité.

2bis L’invalidité des assurés qui n’exercent pas d’activité lucrative et dont on ne peut raisonnablement exiger qu’ils en entreprennent une est évaluée, en dérogation à l’article 16 LPGA, en fonction de l’incapacité d’accomplir leurs travaux habituels.

2ter Lorsque l’assuré exerce une activité lucrative à temps partiel ou travaille sans être rémunéré dans l’entreprise de son conjoint, l’invalidité pour cette activité est évaluée selon l’article 16 LPGA. S’il accomplit ses travaux habituels, l’invalidité est fixée selon l’alinéa 2bis pour cette activité-là. Dans ce cas, les parts respectives de l’activité lucrative ou du travail dans l’entreprise du conjoint et de l’accomplissement des travaux habituels sont déterminées ; le taux d’invalidité est calculé d’après le handicap dont la personne est affectée dans les deux domaines d’activité. »

27. Selon un tableau accompagnant ces dispositions, le droit à une rente était échelonné comme suit en fonction du taux d’invalidité :

Taux d’invalidité

|

Droit à la rente en fraction d’une rente entière

---|---

40 % au moins

|

un quart

50 % au moins

|

une demie

60 % au moins

|

trois quarts

70 % au moins

|

rente entière

28. Le règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (« RAI » ; RS 831.201) prévoit dans son article 27bis :

« Lorsqu’il y a lieu d’admettre pour les assurés qui exercent une activité lucrative à temps partiel ou qui travaillent dans l’entreprise de leur conjoint sans être rémunérés, que s’ils ne souffraient d’aucune atteinte à la santé, ils exerceraient, au moment de l’examen de leur droit à la rente, une activité lucrative à temps complet, l’invalidité est évaluée exclusivement selon les principes applicables aux personnes exerçant une activité lucrative. »

3. La loi sur le Tribunal fédéral

29. L’article 122 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 est libellé comme suit :

« La révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH) peut être demandée aux conditions suivantes :

a. la Cour européenne des droits de l’homme a constaté, dans un arrêt définitif, une violation de la CEDH ou de ses protocoles ;

b. une indemnité n’est pas de nature à remédier aux effets de la violation ;

c. la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. »

4. Les méthodes de calcul du taux d’invalidité en droit suisse

30. En Suisse, on peut distinguer quatre méthodes d’évaluation de l’invalidité dans le domaine des assurances :

a) La méthode générale : la comparaison des revenus

31. Cette méthode est applicable à toutes les personnes exerçant une activité lucrative ou dont on pourrait raisonnablement attendre qu’elles en exercent une. Le taux d’invalidité est déterminé par la comparaison entre le revenu antérieur et le revenu qui pourrait être tiré de l’activité lucrative raisonnablement exigible après la survenance de l’atteinte à la santé. En principe, c’est cette méthode qui est utilisée. Si une détermination selon cette méthode s’avère impossible, l’une des autres méthodes énumérées ci‑dessous sera choisie.

b) La méthode spécifique : la comparaison des champs d’activité

32. Elle s’applique aux assurés qui n’exercent pas d’activité lucrative, notamment les personnes qui s’occupent des activités ménagères du foyer. Le taux d’invalidité est déterminé par la comparaison des activités effectuées ou possibles avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

c) La méthode mixte

33. Elle s’applique aux personnes qui, parallèlement à une activité lucrative à temps partiel, exercent aussi une autre activité, non lucrative (par exemple, s’occuper du foyer). Le taux d’invalidité sera déterminé par comparaison des revenus pour la part d’activité lucrative, et par comparaison des champs d’activité pour les activités d’ordre ménager.

d) La méthode extraordinaire

34. Elle s’applique aux personnes exerçant une activité lucrative pour lesquelles la différence de niveau de revenu ne peut être établie de manière fiable, notamment en raison de la situation économique générale. Le taux d’invalidité sera déterminé en fonction des répercussions économiques de la baisse de performance de l’assuré.

5. La pratique interne pertinente relative à la méthode mixte

a) La jurisprudence du Tribunal fédéral

35. Dans un arrêt de principe du 8 juillet 2011 (ATF 137 V 334), le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence quant à la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité (qui avait été élaborée notamment dans son arrêt du 26 avril 1999, ATF 125 V 146, et dans son arrêt du 6 août 2007, ATF 133 V 504).

Dans ses motifs, il a, tout d’abord, noté que :

« 5.1 La doctrine s’est toujours montrée très critique à l’égard de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité (...). Elle estime en substance que le degré d’invalidité calculé selon la méthode mixte d’évaluation aboutit à un résultat peu satisfaisant, car souvent inférieur à celui obtenu avec l’aide d’une autre méthode. Dans la mesure où ce seraient les femmes qui en pâtiraient principalement, la méthode mixte d’évaluation serait par conséquent discriminatoire.

(...)

5.5.2 Lorsqu’une personne assurée décide de ne travailler qu’à temps partiel, elle fait un choix qui relève intrinsèquement de sa responsabilité personnelle directe ; comme pour tout choix, il lui appartient de tenir compte des conséquences positives et négatives de ce choix. Si le travail à temps partiel a pour avantage de permettre un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et l’accomplissement des travaux habituels, il présente également des inconvénients non négligeables qui se traduisent en général notamment par des conditions d’emploi précaires, une diminution de salaire, la privation de certaines prestations sociales ou la limitation des perspectives de carrière (...). »

36. Au considérant 6 du même arrêt, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le moyen relatif à la compatibilité de la méthode mixte avec les articles 8 et 14 de la Convention :

« 6. Il est reproché à la méthode mixte d’évaluation d’empêcher les femmes, principales concernées par son application, de pouvoir choisir le modèle familial qu’elles souhaiteraient, dès lors qu’elle aurait pour effet de pénaliser les personnes exerçant une activité à temps partiel en les privant de facto de l’accès aux prestations de l’assurance-invalidité. (...).

6.1

6.1.1 [Résumé sur le droit au respect de la vie privée et familiale selon l’article 8 de la Convention et l’article 13 Cst.]

6.1.2 L’ordre juridique suisse ne pose aucun obstacle à l’exercice d’une activité à temps partiel. Un tel choix d’orientation, comme tout choix de cette nature, entraîne des conséquences positives et négatives, que cela soit à un niveau personnel, matériel ou social. Les prestations fournies par le régime social d’assurance [ne sont] qu’un facteur parmi d’autres entrant en ligne de compte dans la pondération des intérêts conduisant au choix de la personne assurée. Certes, un État social moderne se doit de couvrir les risques sociaux principaux, afin de permettre aux individus de se libérer du souci permanent de leur avenir. Ce devoir n’est toutefois pas sans limites. Il n’existe pas de principe général selon lequel l’État devrait assumer la prise en charge collective de tous les malheurs pouvant survenir dans la vie d’un individu. De fait, le régime social d’assurance n’est matériellement pas à même de répondre à tous les risques et besoins sociaux. Le contenu et les conditions de l’intervention de l’État sont définis par le législateur, en fonction des objectifs de politique sociale que celui-ci s’est fixés. Le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait à cet égard fonder un droit direct à des prestations positives de l’État susceptibles notamment de favoriser l’exercice de la vie familiale (... ; voir également l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Petrovic contre Autriche du 27 mars 1998, Recueil Cour-EDH 1998-II p. 579 § 26 ss). Certes convient-il de tenir compte des droits fondamentaux et principes constitutionnels lors de l’interprétation des normes ayant pour objet de fournir une prestation dans le domaine des assurances sociales, ainsi que lors de l’exercice du pouvoir d’appréciation, dans une mesure compatible avec l’article 190 Cst. qui prévoit que les lois fédérales et le droit international s’imposent au Tribunal fédéral et aux autres autorités appliquant la loi (...). Cela étant, on ne voit pas que la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité porterait atteinte au droit de toute personne de mener la vie et de choisir le modèle familial de son choix, dès lors que cette méthode d’évaluation en particulier et le régime social de l’assurance-invalidité en général n’ont pas pour but d’intervenir dans la relation familiale en tant que telle, même s’il peut indirectement en résulter des désagréments pour la personne travaillant à temps partiel pour des raisons familiales et devenant invalide (...). La méthode mixte d’évaluation de l’invalidité ne viole par conséquent pas les articles 13 al. 1 Cst. ou 8 par. 1 CEDH.

6.2

6.2.1 Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’article 8 al. 1 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (...). Au principe d’égalité de traitement, l’article 8 al. 2 Cst. ajoute une interdiction des discriminations. Aux termes de cette disposition, nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou physique. On est en présence d’une discrimination selon l’article 8 al. 2 Cst. lorsqu’une personne est traitée différemment en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d’exclusion ou de dépréciation. Le principe de non‑discrimination n’interdit toutefois pas toute distinction basée sur l’un des critères énumérés à l’article 8 al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d’une différentiation inadmissible. Les inégalités qui résultent d’une telle distinction doivent dès lors faire l’objet d’une justification particulière (...).

6.2.2 Parmi les personnes qui exercent une activité lucrative, 58,5 % des femmes exercent une activité à temps partiel contre 13,8 % des hommes (Office fédéral de la statistique, Enquête suisse sur la population active [ESPA], Personnes actives occupées à plein temps et à temps partiel selon le sexe, la nationalité, les groupes d’âges, le type de famille, T 03.02.01.16 [2010, 4e trimestre]). Le travail à temps partiel est ainsi une caractéristique de la vie professionnelle des femmes. Cette prépondérance des femmes parmi les travailleurs à temps partiel résulte avant tout de causes sociétales liées à la transformation des comportements individuels et des structures économiques. Au cours de ces dernières décennies, le statut de la femme dans la société a considérablement évolué. Les revendications quant à la place des femmes dans le monde du travail et quant au partage des tâches au sein de la cellule familiale sont devenues toujours plus importantes et écoutées. À cet égard, le développement du travail à temps partiel reflète le souhait exprimé par celles-ci de pouvoir concilier, au mieux des intérêts de la cellule familiale, vies familiale et professionnelle. Le déséquilibre entre hommes et femmes dans la proportion de travailleurs à temps partiel a toutefois d’autres explications : les inégalités de qualifications et de salaires qui font que, dans un couple, c’est le moins bien rémunéré des deux qui travaillera à temps partiel ou encore le fait que le travail à temps partiel est particulièrement répandu dans le secteur des services, notamment de la vente, où les femmes sont, relativement, plus nombreuses que dans les autres activités (Office fédéral de la statistique, Rapport social statistique suisse 2011, p. 17 suiv. ; Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, Vers l’égalité entre femmes et hommes, Situation et évolution, 2008, p. 10 suiv. ; ...).

6.2.3 S’il est ainsi notoire que la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité s’applique majoritairement aux femmes, ce seul fait ne constitue pas encore une raison suffisante pour conclure au caractère inégal et discriminatoire de cette méthode. La méthode mixte d’évaluation de l’invalidité a pour objectif d’appréhender de manière adéquate une situation qui diffère de celles concernant les assurés exerçant une activité à plein temps ou sans activité lucrative. Elle vise un état de fait précis et se fonde sur des critères objectifs liés à la notion de risque assuré, à la base de l’assurance-invalidité. Ainsi, le choix d’appliquer cette méthode d’évaluation de l’invalidité ne se détermine aucunement d’après des critères liés spécifiquement au sexe de l’assuré ou qui seraient incompatibles avec l’interdiction constitutionnelle de la discrimination, mais d’après le statut du bénéficiaire éventuel de la rente (...). La méthode mixte d’évaluation de l’invalidité ne viole par conséquent pas l’article 8 Cst.

6.3 Pour le surplus, on relèvera qu’il n’y a pas lieu de se demander si l’application de la méthode mixte d’évaluation viole le principe de non-discrimination prévu à l’article 14 CEDH . dont les garanties n’ont d’ailleurs pas de portée indépendante par rapport à l’article 8 Cst. (...) - en lien avec une autre garantie conventionnelle. Au regard de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme considère que le droit à une prestation sociale - dans la mesure où elle est prévue par la législation applicable - est un droit patrimonial au sens de l’article 1 du Protocole no 1 CEDH du 20 mars 1952 (arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Gaygusuz contre Autriche du 16 septembre 1996, Recueil CourEDH 1996-IV p. 1129 § 41). La Suisse n’ayant pas ratifié ce protocole, l’application de l’article 14 CEDH ne peut pas entrer en ligne de compte dans le cas d’espèce. »

37. Le Tribunal fédéral a conclu :

« 7.2 Sur le vu des considérations développées ci-dessus, il n’y a pas lieu de s’écarter du jugement entrepris, dès lors qu’il applique correctement la jurisprudence susmentionnée. Ainsi qu’on l’a vu, cette solution ne satisfait pas une partie de la doctrine. Force est toutefois de constater qu’elle est la conséquence de la dualité méthodologique voulue à l’origine par le législateur. Le point de savoir si un tel choix est encore opportun à la lumière de l’évolution sociologique de la société ne peut pas être tranché par le Tribunal fédéral. Au risque peut-être de se répéter, il appartient au législateur fédéral de proposer une solution qui, à ses yeux, tiendrait mieux compte de la situation des travailleurs à temps partiel (...). »

b) Les réflexions au sein du Parlement et Gouvernement fédéraux

38. Par la voie d’un postulat (postulat Jans Beat) déposé le 28 septembre 2012, le Conseil national (parlement fédéral) a chargé le Conseil fédéral (gouvernement) :

« (...) d’établir un rapport sur les désavantages liés à l’assurance-invalidité dont sont victimes les travailleurs à temps partiel. Il y analysera la cause et l’étendue du problème, si possible en fonction des sexes. Il y proposera aussi des ébauches de solutions en indiquant leurs incidences financières. »

39. Le Conseil fédéral a répondu à ce postulat par un rapport détaillé du 1er juillet 2015, intitulé « Assurances-invalidité : évalution du taux d’invalidité des personnes travaillant à temps partiel, Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat de Jans Beat (12.3960 « Assurance‑invalidité. Les travailleurs à temps partiel sont désavantagés ») du 28 septembre 2012 »). Quant à l’application de la méthode mixte, il a confirmé que celle‑ci est appliquée dans la grande majorité aux femmes (références omises) :

« 3. Fréquence et répartition des méthodes d’évaluation

(...)

En comparaison, la méthode mixte présentait une répartition nettement plus inégale: sur un total de 16 400 rentes calculées en décembre 2013 au moyen de cette méthode, la majeure partie, soit 16 000 cas (ou 98 %), étaient des femmes, alors que le nombre d’hommes faisant l’objet d’une évaluation selon cette méthode s’élevait à 400 seulement (ou 2 %).

(...)

40. Le Conseil fédéral a également mis en exergue les critiques majeures formulées vis-à-vis de la méthode mixte :

5. Critique de la méthode mixte

5.1 Points critiqués

La méthode mixte est l’objet de trois critiques principales. Il lui est reproché :

1. de tenir compte à deux reprises du fait que l’activité est exercée à temps partiel : une fois lors de la détermination du revenu sans invalidité et une fois dans le cadre de la pondération proportionnelle des deux domaines ;

2. de ne pas tenir suffisamment compte des interactions entre les entraves à l’exercice d’une activité lucrative et celles qui affectent l’accomplissement des travaux habituels ;

3. de concerner avant tout les femmes et de constituer, de ce fait, une discrimination indirecte.

(...)

41. Quant à la question de savoir si la méthode mixte est discriminatoire, le Conseil fédéral a observé ce qui suit :

5.4 La méthode est-elle source de discrimination ?

Ce sont souvent les femmes qui réduisent leur taux d’occupation pour prendre soin des enfants et du ménage. C’est donc à elles que la méthode mixte est plus particulièrement appliquée. Or, puisque cette méthode d’évaluation de l’invalidité peut aboutir à des taux d’invalidité plus faibles, il lui est reproché de pénaliser les femmes en entravant leur accès aux prestations de l’AI. Les femmes seraient ainsi empêchées de choisir librement le modèle familial qu’elles souhaitent. La méthode mixte serait par conséquent contraire aux art. 8 (égalité) et 13, al. 1 (respect de la vie privée et familiale), de la Constitution. La CEDH contient elle aussi des dispositions qui garantissent le respect de la vie familiale (art. 8, par. 1) et interdisent toute discrimination, notamment contre les femmes (art. 14). Certaines critiques affirment que la méthode mixte violerait également ces dispositions. Dans la mesure où la méthode mixte n’est pas expressément dirigée contre les femmes, mais que son application pénalise de fait principalement des femmes, il faudrait parler de discrimination indirecte.

5.4.1 Respect de la vie privée et familiale

Le droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’art. 13, al. 1, Cst., dont la portée est comparable à celle de l’art. 8, par. 1, CEDH, garantit à l’individu un espace de liberté dans lequel il peut se développer et se réaliser, en disposant librement de sa personne et de son mode de vie.

La méthode mixte d’évaluation de l’invalidité n’empêche nullement les individus de mener leur vie comme ils l’entendent et de choisir librement leur modèle familial. L’ordre juridique suisse ne pose aucun obstacle à l’exercice d’une activité à temps partiel. Les prestations de l’AI sont définies en fonction de la situation professionnelle de chacun et il revient à l’assuré d’en tenir compte lorsqu’il décide du temps qu’il entend consacrer à l’exercice d’une activité lucrative. La méthode mixte d’évaluation de l’invalidité n’est donc pas contraire à l’art. 13, al. 1, Cst.

5.4.2 Egalité

Il y a violation du principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 8, al. 1, Cst. lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique ou lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Une égalité ou une différence de traitement doit ainsi reposer sur une cause objective.

Les manquements au principe d’égalité de traitement constituent également une violation de l’interdiction de toute discrimination lorsqu’une personne est traitée différemment en raison de son origine, de sa race, de son sexe ou de toute autre raison énumérée à l’art. 8, al. 2, Cst. et qu’elle en vient ainsi à souffrir d’exclusion ou de dépréciation. Si le principe de non-discrimination n’interdit pas toute distinction fondée sur l’une de ces raisons, il requiert néanmoins qu’un traitement moins favorable doit faire l’objet d’une justification particulière et respecter le principe de proportionnalité.

Près de 60 % des femmes qui exercent une activité lucrative le font à temps partiel, alors que cette proportion n’est que de 15 % pour les hommes. Si le travail à temps partiel est aujourd’hui une caractéristique centrale de la situation professionnelle des femmes, cette réalité s’explique par des causes sociétales et non par des raisons d’ordre juridique. Des différences de qualifications et de salaires jouent aussi un rôle dans ce déséquilibre, de même que le fait que le travail à temps partiel est particulièrement répandu dans le secteur des services, par exemple dans la vente ou les soins à la personne, où les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes.

L’invalidité doit être évaluée de la même façon pour toute personne qui exerce une activité à temps partiel, qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme. Lorsque leur situation professionnelle et leur état de santé sont identiques, un homme et une femme jouissent du même statut et leur cas doit être évalué de la même façon dans l’AI. Ils bénéficient des mêmes prestations de l’assurance s’ils remplissent de manière identique les conditions posées à l’octroi de ces prestations. Ainsi, bien que la méthode mixte soit de fait principalement appliquée à des femmes, cette différence ne constitue pas en soi une discrimination directe fondée sur le sexe.

Cependant, l’art. 8, al. 3, Cst. interdit la discrimination non seulement directe, mais aussi indirecte. Une discrimination est dite indirecte lorsqu’une réglementation, bien que neutre en tant que telle, affecte et pénalise de fait plus particulièrement un groupe de destinataires défini sur la base d’une caractéristique non autorisée, par exemple le sexe. L’absence de différenciation entre les sexes doit alors être justifiée par des raisons valables et sérieuses.

En l’occurrence, il n’est pas contesté d’une part que la méthode mixte peut conduire à des taux d’invalidité plus bas. D’autre part, il est établi que cette méthode est appliquée dans 98 % des cas à des femmes. La question d’une discrimination indirecte peut donc être posée et elle l’est de fait dans la littérature spécialisée.

Dans l’arrêt ATF 137 V 334 cité par le postulat, le Tribunal fédéral relativise la critique de la doctrine. Il confirme sa jurisprudence constante et soutient expressément que l’utilisation de la méthode mixte n’est pas contraire à l’art. 8 Cst. Le Tribunal fédéral ne se prononce pas explicitement sur l’existence d’une discrimination indirecte. Une affaire critiquant cette jurisprudence (sur la base des art. 8, 14 combiné avec 8 et 14 combiné avec 6 CEDH) est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas encore rendu son arrêt.

L’interdiction de la discrimination à l’art. 14 CEDH n’a qu’un caractère accessoire et ne peut donc être invoquée qu’en relation avec des droits et libertés garantis dans la CEDH ou dans ses protocoles additionnels. Dans les cas où la Cour a jusqu’à présent examiné le refus de prestations déterminées de l’assurance sociale à la lumière des droits garantis par la Convention, elle s’est fondée sur le 1er Protocole additionnel à la Convention, lequel n’a pas été ratifié par la Suisse.

Le gouvernement suisse, dans le cadre de ses observations adressées à la Cour européenne, a conclu en premier lieu, que les griefs de la requérante ne tombent pas dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH et que, par conséquent, l’art. 14 CEDH, en relation avec l’art. 8 CEDH, ne s’applique pas. Sur le fond, il a soutenu la position exprimée par le Tribunal fédéral et conclu que l’évaluation de l’invalidité dans le cadre de l’assurance-invalidité reflète finalement de manière générale les réalités sociales en Suisse.

La position toujours défendue par la Suisse peut être résumée ainsi : la méthode mixte vise à garantir que le taux d’invalidité d’une personne soit déterminé de la meilleure façon possible et corresponde précisément à la situation concrète. Son utilisation doit permettre d’appréhender correctement la situation propre à chaque individu. La surreprésentation des femmes lors de l’application de la méthode mixte est imputable à la persistance d’une répartition traditionnelle des rôles au sein de la famille.

En ce qui concerne le grief relatif à une violation de l’art. 14 CEDH en relation avec l’art. 6 CEDH, en matière d’administration des preuves, le Conseil fédéral a précisé qu’outre le fait qu’une telle question relève manifestement du droit interne, la procédure appliquée pour déterminer le statut de la personne assurée et l’administration des preuves pour ce faire étant la même pour les hommes et les femmes, il n’y a pas de discrimination en l’espèce.

Il reste à voir comment la Cour européenne des droits de l’homme traitera ces questions.

Dans le cas où la Cour constate une violation de l’interdiction de la discrimination, les méthodes de l’évaluation du taux d’invalidité devront être revues.

Quelle que soit l’issue de la procédure, les offices AI doivent être encore plus sensibilisés à la nécessité de déterminer avec précision de quelle façon l’assuré, avant la survenance de l’atteinte à sa santé, utilisait son temps à côté de son travail à temps partiel.

Il faudrait néanmoins examiner si le fait d’attribuer une valeur économique aux travaux ménagers permet de garantir le principe de l’égalité de traitement et la non‑discrimination. Une partie de la doctrine défend cette conception : puisque l’accomplissement des travaux habituels a lui aussi une valeur monétaire, il faudrait lui en attribuer une lors de l’évaluation de l’invalidité.

(...)

42. Enfin, le Conseil fédéral a tiré certaines conclusions par rapport à la méthode mixte :

8. Conclusions

Le rapport met en évidence certaines failles dans l’évaluation du taux d’invalidité des personnes travaillant à temps partiel. Il montre les raisons pour lesquelles l’utilisation de la méthode mixte peut conduire à des taux d’invalidité moins élevés. Ensuite, il examine différentes pistes alternatives susceptibles d’améliorer la situation.

(...)

Le Conseil fédéral attache beaucoup d’importance à une meilleure conciliation entre activité professionnelle et vie familiale, objectif qui implique que l’exercice d’une activité à temps partiel n’engendre pas de conséquences négatives pour le droit aux prestations des assurances sociales.

(...)

Compte tenu de l’importance croissante du travail à temps partiel, une possibilité d’optimisation de la méthode mixte qui ne nécessiterait pas de modification de la loi a été relevée.

Pour procéder à une évaluation correcte et sérieuse de l’incapacité de gain, le médecin doit connaître l’ensemble des activités réalisées par l’assuré. Cette optimisation peut se faire à l’échelle réglementaire : une précision peut être apportée à l’art. 27bis RAI afin que les interactions entre les travaux habituels et l’activité lucrative soient prises en compte lors de l’application de la méthode mixte. La remise d’un questionnaire uniforme aux médecins permettrait de garantir la mise en oeuvre de cette règle. Cette mesure peut fortement faciliter la mise en oeuvre de l’AI à l’avenir. »

6. Les statistiques concernant la méthode mixte présentées par les parties

43. Selon les données fournies par le Gouvernement, la méthode mixte a durant l’année 2009 été appliquée dans 4 168 cas, c’est-à-dire dans environ 7,5 % de toutes les décisions en matière d’invalidité. Sur un total de ces 4 168 cas, 4 045 (soit 97 %) concernaient des femmes et 123 (soit 3 %) concernaient des hommes.

44. De l’avis du Gouvernement, le fait que les femmes soient surreprésentées dans l’application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité est dû au fait qu’en Suisse prévaut encore une répartition traditionnelle des rôles entre époux. Dans le même sens, le Gouvernement se réfère également aux données de l’Office fédéral des statistiques selon lesquelles, en 2009, sur l’ensemble des femmes professionnellement actives, la part de celles exerçant une activité professionnelle à temps partiel (moins de 90 % d’un temps plein), était de 57,2 %, alors que la part des hommes exerçant une activité à temps partiel était de 12,9 % de l’ensemble des hommes professionnellement actifs. Il en tire la conclusion que l’évaluation de l’invalidité dans le cadre de l’assurance-invalidité ne fait que refléter de manière générale les réalités sociales en Suisse.

45. Pour la méthode d’évaluation mixte, le calcul a conduit dans environ la moitié des cas à un taux d’invalidité d’au moins 65 %. Pour les deux autres méthodes, il a débouché dans la moitié des cas sur un degré d’invalidité d’environ 80 %.

La disparité entre les méthodes s’accentue pour le degré d’invalidité de 100 % : celui-ci est obtenu dans presque 40 % des cas évalués selon la méthode de la « comparaison des revenus », tandis qu’en application de la méthode mixte un tel résultat n’est obtenu que dans 5 % des cas.

Hormis pour le degré d’invalidité de 100 %, très difficilement atteignable selon la méthode d’évaluation mixte, le Gouvernement estime au vu de ces chiffres que la répartition des degrés d’invalidité obtenue par application de l’une ou l’autre des méthodes est assez proche.

46. La requérante exprime un doute quant à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la méthode d’évaluation mixte n’aurait été appliquée que dans 7,5 % des affaires : le nombre de rentes refusées n’étant pas précisé, il est selon elle impossible de déterminer, pour chaque méthode d’évaluation de l’invalidité et pour chaque sexe, le pourcentage de décisions positives ou négatives par rapport à l’ensemble des demandes de rentes examinées.

47. Elle ajoute également que, bien que lacunaires, les statistiques fournies par le Gouvernement montrent tout de même clairement que l’application de la méthode dite « mixte » d’évaluation de l’invalidité conduit à des rentes nettement plus basses. De surcroît, explique-t-elle, comme l’application de cette méthode réduit de manière générale le degré d’invalidité – qui peut ainsi plus facilement tomber en dessous du minimum de 40 % requis –, la proportion de refus de toute rente lors de l’application de cette méthode augmente en conséquence de façon similaire.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14, COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

48. Faisant valoir que la méthode mixte de calcul du taux d’invalidité a eu pour conséquence qu’elle s’est vu refuser une rente d’invalidité à cause de l’activité professionnelle qu’elle a exercé à temps partiel, la requérante estime avoir subi un traitement discriminatoire. Selon elle, cette méthode trouve son origine dans l’idée, très traditionnelle, que seul un membre du couple – le plus souvent, l’homme – exerce une activité rémunérée, tandis que l’autre s’occupe exclusivement du ménage et des enfants (Aufgabentrennung). Quand, au contraire, un couple décide de partager les rôles (Aufgabenteilung), solution plus moderne à ses yeux, il s’expose d’après elle au risque de perdre, dans l’hypothèse d’une invalidité, le droit à une rente.

Pour ces raisons, la requérante conclut à la violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, dispositions ainsi libellées:

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

49. La requérante s’estime désavantagée, tout d’abord, par rapport aux personnes qui n’exercent aucune activité lucrative. Elle explique que, dans un cas comme le sien, une telle personne serait considérée comme invalide à 44 %, taux qui, lui, donne droit à une rente (le taux minimal donnant droit à une rente étant de 40 %).

Il y a également discrimination, à ses yeux, par rapport aux personnes n’ayant pas à s’occuper d’un foyer ou d’enfants et qui peuvent ainsi travailler à temps plein. D’après elle, dans une situation identique à la sienne, le taux d’invalidité d’une telle personne serait fixé à 55 %.

La méthode mixte étant inapplicable à ces deux catégories de personnes, explique la requérante, elles auraient alors bien droit à une rente d’invalidité.

Cette situation juridique constitue, selon elle, une double discrimination à son égard :

– d’abord, une discrimination sur la base de son handicap, la méthode mixte étant propre à décourager tout effort des personnes invalides pour s’intégrer professionnellement par une activité partielle, puisqu’une telle activité risquerait de leur faire perdre leur rente ;

– ensuite, une discrimination fondée sur le sexe, en ce que le régime juridique en vigueur affecte, dans la grande majorité des cas, des femmes après la naissance d’enfants.

50. Le Gouvernement conteste la thèse de la requérante.

A. Sur la recevabilité

51. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’applicabilité de l’article 14, combiné avec l’article 8 de la Convention

a) Sur la question de savoir si les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8

i. Thèses des parties

α) Le Gouvernement

52. Le Gouvernement estime que le droit au respect de la vie familiale ne permet pas de fonder en principe un droit direct à des prestations positives de l’![](data:image/png;base64,iVBORw0KGgoAAAANSUhEUgAAABYAAAAPCAYAAADgbT9oAAAAAXNSR0IArs4c6QAAAARnQU1BAACxjwv8YQUAAAAJcEhZcwAACxIAAAsSAdLdfvwAAAFaSURBVDhP1ZMxq4JwFMVt9VsEQlMU9QEiaG1pcW2SZj+Eg9BcRDhEWx/AHBoicDJxaWnQsSmCCpJCz3v3UpYVL170hnfg4Dl/L78Lf1HAHyiO4/ABLAgCoi) visant à permettre l’exercice de la vie familiale. Selon lui, les droits garantis dans la Convention ne comprennent pas l’obligation pour les États parties de fournir certaines prestations financières ni de garantir un certain niveau de vie.

53. Le Gouvernement soutient que, dans les cas où la Cour a été amenée à examiner le refus d’accorder au requérant telle ou telle prestation relevant des assurances sociales, elle s’est fondée sur le premier protocole additionnel à la Convention ; or, celui-ci n’a pas été ratifié par la Suisse.

Il en conclut que l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Les griefs tirés d’une violation alléguée de cette disposition lui paraissent donc devoir être rejetés pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

54. Le Gouvernement estime que la rente d’invalidité n’a pas pour but de permettre telle ou telle répartition des tâches – que ce soit avant ou après la survenance de l’invalidité – au sein de la famille de la personne invalide (comme de permettre, par exemple, au conjoint d’une personne assurée de travailler à temps partiel).

En effet, explique-t-il, dans le cadre de l’application de la méthode mixte, l’assuré doit, avant le calcul de la rente, exprimer le choix d’organisation des tâches qui serait le sien dans l’hypothèse où il serait en bonne santé. Lors de ce choix hypothétique, les aspects relevant du droit de l’assurance-invalidité, comme la méthode utilisée pour évaluer l’invalidité ou la perspective d’obtenir une rente, n’ont pas vocation à intervenir.

Pour le Gouvernement, la question de la rente d’invalidité n’exerce pas non plus d’influence sur la décision déterminant si et dans quelle mesure la personne assurée utilise, comme invalide, sa capacité résiduelle de travail dans le cadre de la répartition des tâches déterminée hypothétiquement pour le cas où elle serait en bonne santé.

Partant, il estime que la rente d’invalidité n’affecte en rien le choix de la répartition des tâches dans la famille de la personne invalide.

β) La requérante

55. La requérante est d’avis que la présente affaire entre bien dans le champ d’application de l’article 8. S’il est vrai que le droit à la rente d’invalidité existe indépendamment du fait qu’une famille au sens de l’article 8 soit ou non impliquée, comme le relève le Gouvernement, la requérante objecte toutefois que la discrimination qu’elle dénonce affecte, précisément, les assurés dont le choix de ne travailler qu’à temps partiel est motivé par leurs charges ménagères ou parentales.

Pour les autres assurés – ceux dont le renoncement à un travail à plein temps répond, par exemple, au désir de pouvoir s’adonner à un hobby –, explique-t-elle, le Tribunal fédéral applique la méthode mixte de calcul du taux d’invalidité de façon moins incisive ; ce qui signifie qu’une personne travaillant à temps partiel reçoit plus facilement une rente si elle consacre son temps libre aux loisirs plutôt qu’aux tâches ménagères. La méthode mixte incriminée pénaliserait donc exclusivement les familles. Elle ajoute que les conséquences néfastes de la méthode mixte sont d’autant plus lourdes à porter lorsque la personne invalide concernée est un parent qui éduque seul ses enfants et ne peut pas compter sur la contribution financière d’un conjoint.

56. Compte tenu de ce qui précède, la requérante estime que sont bien ici en cause les implications de la méthode choisie pour décider de l’octroi d’une rente, et ses conséquences sur la famille. Contrairement à l’avis du Gouvernement, le choix de la répartition des tâches lui paraît bien avoir une conséquence directe sur l’octroi ou le refus d’une rente en cas d’invalidité.

57. Partant, la requérante soutient que l’article 14, combiné avec l’article 8, est applicable au cas d’espèce.

ii. Appréciation de la Cour

58. En ce qui concerne la protection contre la discrimination, il convient de rappeler que l’article 14 ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent (voir, parmi beaucoup d’autres, Sahin c. Allemagne [GC], no [30943/96](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2230943/96%22%5D%7D), § 85, CEDH 2003-VIII). Son application ne présuppose pas nécessairement la violation d’un des droits substantiels garantis par la Convention. Il est nécessaire et suffisant que les faits de la cause tombent sous l’empire de l’une au moins des dispositions de la Convention ou de ses Protocoles (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 72, CEDH 2013 (extraits)).

59. La Cour rappelle également que la Convention ne crée pas, en tant que tel, de droit à une pension ou autre prestation sociale d’un montant particulier (Youri Romanov c. Russie, no 69341/01, § 45, 25 octobre 2005). Par ailleurs, la Convention ne garantit aucun droit à jouir d’un certain niveau de vie (Vassilenkov c. Ukraine, no 19872/02, § 18, 3 mai 2005).

60. En ce qui concerne l’aspect “vie familiale” de l’article 8, la Cour rappelle tout d’abord que cette notion ne comprend pas uniquement des relations de caractère social, moral ou culturel; elle englobe aussi des intérêts matériels (Merger et Cros c. France, no 68864/01, § 46, 22 décembre 2004).

61. Elle rappelle ensuite que des mesures permettant à l’un des parents de rester au foyer pour s’occuper de ses enfants sont des mesures qui favorisent la vie familiale et qui ont ainsi une incidence sur l’organisation de celle-ci ; de telles mesures entrent dans le champ d’application de l’article 8 (voir, notamment, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 27, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 130, CEDH 2012 (extraits) ; voir dans le même sens Weller c. Hongrie, no 44399/05, § 29, 31 mars 2009, et Dhahbi c. Italie, no 17120/09, § 41, 8 avril 2014).

62. La présente affaire concerne également des questions liées à l’organisation de la vie familiale, quoique d’une autre manière. En effet, il ressort des statistiques disponibles que le régime juridique en vigueur – la méthode mixte, donc – concerne dans la grande majorité des cas les femmes qui souhaitent travailler à temps partiel après la naissance d’enfants. Dans son arrêt concernant la requérante (28 juillet 2008, paragraphe 20 ci-dessus), le Tribunal fédéral a reconnu que la méthode mixte peut parfois conduire à la perte de la rente, notamment chez les femmes qui, après la naissance de leurs enfants, travaillent à temps partiel. La Cour considère que l’application de la méthode mixte à la requérante était susceptible d’influencer celle-ci et son époux dans la manière dont ils se répartissent les tâches au sein de la famille et, partant, d’avoir un impact sur l’organisation de leur vie familiale et professionnelle. Dans son arrêt de principe (paragraphe 35 ci-dessus), le Tribunal fédéral a d’ailleurs explicitement admis que la méthode mixte peut causer des désagréments pour une personne travaillant à temps partiel pour des raisons familiales, lorsqu’elle devient invalide. Ces observations suffisent à la Cour pour conclure que le présent grief relève de l’article 8 sous son volet « familial ».

63. En ce qui concerne l’aspect « vie privée » de l’article 8, la Cour a déjà eu l’occasion d’observer que cette notion est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle peut parfois englober des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I). Elle recouvre également le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (voir, par exemple, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I). Enfin, la Cour a considéré que la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III, et Haas c. Suisse, no 31322/07, § 51, CEDH 2011).

64. En l’espèce, le volet « privé » de l’article 8 est également concerné, dans la mesure où il garantit le droit au développement personnel et l’autonomie personnelle. En effet, dans la mesure où la méthode mixte défavorise les personnes souhaitant travailler à temps partiel par rapport aux personnes qui exercent une activité lucrative à plein temps et par rapport à celles qui ne travaillent pas du tout, il n’est pas à exclure que cette méthode de calcul de l’invalidité restreigne les personnes mentionnées en premier dans leur choix pour répartir leur vie privée entre le travail, les tâches ménagères et la prise en charge des enfants.

65. Compte tenu de ce qui précède, le présent grief tombe sous l’empire de l’article 8.

b) Sur la nature de la discrimination alléguée

66. Il ressort de ces observations, notamment des éléments statistiques fournis par les parties, que la méthode mixte concerne dans la majorité écrasante des cas des femmes qui souhaitent, après la naissance d’un ou plusieurs enfants, réduire le taux de leur activité lucrative. Dès lors, la Cour estime que la requérante est recevable à se prétendre victime d’une discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 14 de la Convention.

67. Ce constat dispense la Cour d’examiner la question de savoir si le refus d’une rente d’invalidité est susceptible de relever également, en l’espèce, d’une discrimination fondée sur son handicap.

c) Conclusion

68. Il s’ensuit que l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, est applicable en l’espèce.

2. Sur l’observation de l’article 14, combiné avec l’article 8 de la Convention

a. Les thèses des parties

i. La requérante

69. La requérante concède au Gouvernement qu’en théorie, la méthode mixte vaut sans distinction pour les hommes et les femmes. Ce que le Gouvernement semble en revanche ignorer, à ses yeux, est la problématique de la discrimination indirecte : la méthode mixte a, certes, les mêmes conséquences, que ce soit l’homme ou la femme qui ait une activité lucrative à temps partiel et effectue les tâches ménagères ; mais, explique la requérante, son effet se fait ressentir de manière disproportionnée du côté des femmes, étant donné que ce sont elles qui sont concernées dans la grande majorité des cas, comme le confirment les statistiques livrées par le Gouvernement.

70. La requérante estime que le Gouvernement ne répond pas à la question de l’existence d’une justification objective et raisonnable à la situation dénoncée. Il se contente, selon elle, de procéder à une présentation justificative détaillée des différentes méthodes de calcul utilisées pour chiffrer la restriction des aptitudes entraînée par l’atteinte à la santé. Or, explique-t-elle, l’objet de la requête ne porte pas sur le fait que les restrictions dues à l’atteinte à la santé soient mesurées de manière différente selon que la personne touchée exerce une activité lucrative ou des travaux ménagers, mais sur la discrimination subie, du fait du mode de calcul sur lequel se fonde la méthode mixte, par les personnes exerçant ces deux types d’activité en même temps.

71. La requérante s’efforce de montrer que l’idée de recourir à une évaluation mixte n’est pas en soi l’objet de sa critique, en soulignant qu’une telle méthode peut aussi être mise en œuvre de manière non discriminatoire. En témoignerait notamment la jurisprudence antérieure à l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 avril 1999 (ATF 125 V 146, paragraphe 35 ci-dessus) : le fait de travailler à temps partiel n’était imputé qu’une fois (à savoir, seulement lors de la pondération des activités entre la part lucrative et la part domestique) et non pas deux fois (comme c’est actuellement le cas, puisqu’on le prend déjà en compte une première fois lors de la comparaison des revenus avec et sans invalidité). Dans cette ancienne façon de procéder, chaque assuré était libre de répartir à sa guise les tâches au sein de la famille sans risquer de perdre certaines des prestations de la loi sur l’assurance-invalidité en cas d’invalidité. Le durcissement de cette jurisprudence se fait au détriment des employés à temps partiel – et donc principalement des femmes –, lorsque ceux-ci viennent à subir une atteinte à la santé sans que la législation sur l’assurance-invalidité ait changé pour autant.

72. On ne saurait, aux yeux de la requérante, tenter de justifier l’application de la méthode mixte par le Tribunal fédéral par des considérations de faisabilité, ni par d’autres considérations d’ordre économique. L’intéressée renvoie à cet égard aux observations du tribunal cantonal de Saint-Gall selon lesquelles l’introduction de la méthode mixte telle qu’elle était appliquée dans l’ancienne jurisprudence aurait entraîné un surplus de dépenses de 35 millions de francs suisses. Quand bien même l’économie d’un tel montant devrait être considérée comme un but légitime, la requérante estime que sa poursuite ne devrait en aucun cas se faire principalement au détriment des femmes.

73. La requérante expose par ailleurs que faire reposer l’annulation d’une rente sur le seul fait que la personne assurée est devenue mère d’un enfant a déjà été déclaré discriminatoire par la Cour (elle se réfère à l’arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 67, série A no 263).

ii. Le Gouvernement

74. Le Gouvernement estime que la méthode d’évaluation de l’invalidité appliquée par le Tribunal fédéral dans le cas d’espèce, basée sur un taux d’activité hypothétique, est justifiée par l’objectif de l’assurance-invalidité, qui se définit ainsi : couvrir le risque de perte, du fait de l’invalidité, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des travaux habituels que l’assuré pouvait réellement effectuer avant de devenir invalide et qu’il pourrait toujours effectuer s’il était resté valide. En revanche, explique-t-il, il ne s’agit pas de compenser des activités que l’assuré n’aurait de toute façon jamais exercées, même sans invalidité.

75. Dans son arrêt du 28 juillet 2008, le Tribunal fédéral a reconnu que la méthode mixte pouvait conduire à la perte du droit à la rente dans le cas où l’assuré, à l’époque où il était en bonne santé, avait décidé – souvent en relation avec la naissance d’un enfant – de ne plus travailler de manière lucrative à temps plein (que ce soit pour exercer une telle activité à temps partiel, ou pour cesser toute activité lucrative). Il a toutefois considéré que la perte de revenu n’était pas toujours imputable à l’invalidité, en observant que les personnes en bonne santé subissent elles aussi une perte de revenu si, à la suite de la naissance d’un enfant, elles réduisent ou abandonnent l’activité lucrative qui était la leur antérieurement.

76. Le Gouvernement note que la critique concernant la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la méthode mixte s’attache essentiellement au fait que les personnes qui diminuent leur activité lucrative à la suite de la naissance d’un enfant subissent une perte de revenu, et que ces personnes sont le plus souvent des femmes.

Toutefois, objecte-t-il, ce phénomène de société n’est pas le résultat de facteurs liés à la santé. Par conséquent, il n’a, à ses yeux, pas vocation à être compensé par l’assurance-invalidité.

77. Le Tribunal fédéral a également retenu dans sa jurisprudence que la méthode d’évaluation choisie ne trouve pas son fondement dans le sexe de la personne assurée ou dans l’une quelconque des autres caractéristiques énumérées par l’article 14 de la Convention, mais dans la perte, du fait de l’invalidité, de la capacité d’accomplir des travaux professionnels et/ou habituels.

78. Le Gouvernement soutient également qu’une éventuelle modification de la méthode d’évaluation de l’invalidité pour les assurés qui exercent une activité lucrative à temps partiel a été régulièrement discutée sur le plan politique. Ces initiatives auraient toutefois été abandonnées. Cela montrerait bien que, en dépit des divers efforts politiques déployés, aucune alternative soutenable n’a été trouvée à la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité.

79. Le Gouvernement est ainsi d’avis qu’aucun manquement à l’article 14 ne peut être reproché à la Suisse.

b. L’appréciation de la Cour

i. Rappel des principes pertinents

α) La discrimination indirecte

80. Selon la jurisprudence établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Willis c. Royaume-Uni, no [36042/97](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2236042/97%22%5D%7D), § 48, CEDH 2002‑IV ; Okpisz c. Allemagne, no [59140/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2259140/00%22%5D%7D), § 33, 25 octobre 2005). Toutefois, l’article 14 n’interdit pas à un État membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux ; dans certaines circonstances, c’est même l’absence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, p. 34, § 10, série A no 6 ; Thlimmenos c. Grèce [GC], no [34369/97](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2234369/97%22%5D%7D), § 44, CEDH 2000-IV ; Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no [65731/01](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2265731/01%22%5D%7D), § 51, CEDH 2006‑VI). La Cour a également admis que pouvait être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui a des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe (Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 154, 4 mai 2001) et qu’une discrimination potentiellement contraire à la Convention pouvait résulter d’une situation de fait (Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 76, CEDH 2006‑VIII).

81. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 42, Recueil 1996‑IV). L’étendue de la marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 40, série A no 87, et Inze c. Autriche, 28 octobre 1987, § 41, série A no 126), mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention. Celle-ci étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (Weller, précité, § 28, Stec et autres, précité, §§ 63-64, Ünal Tekeli c. Turquie, no 29865/96, § 54, CEDH 2004‑X (extraits) et, mutatis mutandis, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no [46295/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2246295/99%22%5D%7D), § 68, CEDH 2002‑IV).

82. La Cour rappelle en outre que la progression vers l’égalité des sexes est un but important des États membres du Conseil de l’Europe et que seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement à cet égard (Konstantin Markin, précité, § 127, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 27, série A no 280‑B, et Schuler-Zgraggen, précité). En particulier, des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe. Par exemple, les États ne peuvent imposer des traditions qui trouvent leur origine dans l’idée que l’homme joue un rôle primordial et la femme un rôle secondaire dans la famille (Ünal Tekeli, précité, § 63).

83. D’autre part, une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État lorsqu’il s’agit, par exemple, de prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale (Stec et autres, précité, § 52, et Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 109, CEDH 2014).

β) La preuve en matière de discrimination

84. En ce qui concerne la charge de la preuve en la matière, la Cour a déjà énoncé que, quand un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (voir, par exemple, Chassagnou et autres c. France [GC], no [25088/94](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2225088/94%22%5D%7D), [28331/95](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2228331/95%22%5D%7D) et [28443/95](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2228443/95%22%5D%7D), §§ 91-92, CEDH 1999‑III ; Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 57, CEDH 2005‑XII). Quant à l’allégation d’une discrimination indirecte, le requérant doit donc apporter la preuve d’effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe déterminé, faisant ainsi naître une présomption de discrimination indirecte ; il incombe ensuite à l’État défendeur de réfuter cette présomption en démontrant que la différence de traitement est le résultat de facteurs objectifs qui ne sont pas liés au facteur indiqué par le requérant (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 188, 189 et 195, CEDH 2007‑IV; voir également Oršuš et autres c. Croatie [GC], no 15766/03, § 152, CEDH 2010).

85. Quant à la question de savoir si des données statistiques peuvent être considérées comme un moyen de preuve, la Cour a déclaré par le passé que les statistiques n’étaient pas en elles-mêmes suffisantes pour révéler une pratique pouvant être qualifiée de discriminatoire (Hugh Jordan, précité, § 154). Néanmoins, dans certaines affaires de discrimination plus récentes, où les intéressés alléguaient que la discrimination litigieuse résultait d’une différence dans l’effet d’une mesure générale ou d’une situation de fait (Hoogendijk c. Pays-Bas (déc.), no [58641/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2258641/00%22%5D%7D), 6 janvier 2005 ; Zarb Adami, précité, §§ 77-78), la Cour s’est largement appuyée sur les statistiques produites par les parties pour établir l’existence d’une différence de traitement entre deux groupes qui se trouvaient dans une situation similaire (D.H. et autres, précité, § 180, et Oršuš et autres précité, § 152).

86. Ainsi, la Cour a affirmé dans la décision Hoogendijk précitée que :

« là où le requérant peut établir, sur la base des statistiques officielles qui ne prêtent pas à controverse, l’existence d’un commencement de preuve indiquant qu’une mesure – bien que formulée de manière neutre – touche en fait un pourcentage nettement plus élevé des femmes que des hommes, il incombe au gouvernement défendeur de démontrer que ceci est le résultat des facteurs objectifs qui ne sont pas liés à une discrimination fondée sur le sexe. Si la charge de prouver qu’une différence dans l’effet d’une mesure sur les femmes et les hommes n’est pas discriminatoire n’est pas transférée au gouvernement défendeur, il sera en pratique extrêmement difficile pour les requérants de prouver la discrimination indirecte ».

ii. Application des principes précités au cas d’espèce

87. La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner si l’on se trouve, en l’espèce, en présence d’une discrimination « indirecte ».

α) Sur l’existence en l’espèce d’une présomption de discrimination indirecte

88. La requérante dénonce comme discriminatoire l’application de la méthode mixte de calcul de l’invalidité. Selon les chiffres fournis par le Gouvernement (paragraphe 43 ci-dessus), la méthode mixte a été appliquée dans 4 168 cas en 2009, c’est-à-dire dans environ 7,5 % de toutes les décisions en matière d’invalidité. Sur le total de ces 4 168 cas, 4 045 (soit 97 %) concernaient des femmes et 123 (soit 3 %) des hommes.

89. Dans ses arrêts du 28 juillet 2008 (paragraphe 20 ci-dessus) et du 8 juillet 2011 (paragraphes 35 et suivants ci-dessus), le Tribunal fédéral a admis lui-même que la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité s’applique majoritairement aux femmes ayant réduit leur taux d’activité après la naissance d’un enfant. Le Gouvernement ne conteste pas, dans ses observations devant la Cour, que la méthode mixte affecte avant tout les femmes. Par ailleurs, dans son rapport du 1er juillet 2015 (paragraphes 38 et suivants ci-dessus), le Conseil fédéral a noté que la méthode mixte était appliquée dans 98 % des cas aux femmes (selon les rentes calculées en décembre 2013).

90. Compte tenu de ces données, la Cour estime que les éléments soumis peuvent être considérés comme suffisamment fiables et révélateurs pour faire naître une présomption de discrimination indirecte.

β) Sur la question de savoir si la différence de traitement en cause était objectivement et raisonnablement justifiée

91. La Cour rappelle qu’une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (paragraphe 80 ci-dessus).

– But légitime

92. Dans le cas d’espèce, le Gouvernement s’efforce d’expliquer la différence de traitement subi par les personnes concernées par la règle litigieuse, majoritairement des femmes après la naissance d’enfants, par l’objectif de l’assurance-invalidité, qui est de couvrir le risque de perte, du fait de l’invalidité, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des travaux habituels que l’assuré pouvait réellement effectuer auparavant et qu’il pourrait toujours effectuer s’il n’était pas devenu invalide.

93. La Cour estime que l’objectif poursuivi par la loi sur l’assurance‑invalidité, invoqué par le Gouvernement, est un but légitime pour justifier les différences observées. La Cour doit alors examiner si le traitement subi par la requérante était raisonnable et proportionné.

– Proportionnalité

94. La Cour note que la requérante travaillait initialement à plein temps, en tant que vendeuse, mais avait dû abandonner cette activité à cause de problèmes de dos en 2002. Elle s’était vu octroyer une rente d’invalidité de 50 % pour la période entre le 20 juin 2002 et fin mai 2004. Cette rente a été annulée à la suite de la naissance de ses jumeaux, par application de la méthode mixte à partir de la présupposition que – selon ses propres déclarations à l’office – dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été frappée d’invalidité, la requérante n’aurait travaillé que de manière réduite après la naissance de ses enfants.

95. Le Gouvernement objecte que la méthode mixte ne s’attache pas au sexe de la personne assurée : il explique que celle-ci prend seulement en considération la perte par l’assuré de sa capacité professionnelle, ou de sa capacité relative aux travaux habituels, ou de ces deux capacités en même temps, du fait de l’invalidité.

La perte de revenu d’une personne qui, à la suite de la naissance d’un enfant, réduit ou abandonne une activité lucrative qu’elle avait jusqu’alors représente à ses yeux un cas tout à fait indépendant du précédent. En effet, explique-t-il, les raisons familiales de ce genre peuvent, elles, concerner indifféremment les personnes invalides ou les personnes en bonne santé.

96. La Cour estime, comme elle l’a indiqué plus haut, que l’objectif mis en avant par le Gouvernement comme étant celui de l’assurance-invalidité – à savoir, couvrir le risque de perte, du fait de l’invalidité, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des travaux habituels que l’assuré pourrait réellement effectuer s’il était resté en bonne santé – est en soi un but cohérent avec l’essence et les contraintes d’un tel système d’assurance, qui repose sur des ressources limitées et doit en conséquence avoir parmi ses principes directeurs celui de la maîtrise des dépenses.

Elle estime néanmoins que cet objectif doit être apprécié à la lumière de l’égalité des sexes, puisque l’affaire concerne une allégation de discrimination au détriment des femmes. Or, ainsi qu’il a été relevé plus haut, seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement sous cet angle (paragraphe 82 ci-dessus). La Cour en conclut que la marge d’appréciation des autorités était fortement réduite en l’espèce.

97. La Cour ne méconnaît pas que c’est au premier chef aux autorités nationales, et tout particulièrement aux instances juridictionnelles, qu’il revient d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 46, série A no 33). Elle note toutefois, se fondant sur les éléments du droit et de la pratique internes pertinents énoncés plus haut, qu’il est vraisemblable que la requérante, si elle avait travaillé à 100 % ou si elle s’était consacrée entièrement aux tâches ménagères, aurait obtenu une rente d’invalidité partielle. Par ailleurs, ayant autrefois travaillé à plein temps, elle s’était initialement vu octroyer une telle rente, dont elle a bénéficié jusqu’à la naissance de ses enfants. Il en découle clairement que le refus de lui reconnaître le droit à une rente a pour fondement l’indication par la requérante de sa volonté de réduire son activité rémunérée pour s’occuper de son ménage et de ses enfants. De fait, pour la grande majorité des femmes souhaitant travailler à temps partiel à la suite de la naissance des enfants, la méthode mixte s’avère discriminatoire.

98. La Cour observe ensuite que l’application de la méthode mixte au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral est depuis un certain temps sujette à la critique, de la part de certains tribunaux comme d’une partie de la doctrine. Ainsi, dans son arrêt concernant la requérante (paragraphe 20 ci‑dessus), le Tribunal fédéral a explicitement concédé que les interactions entre les volets « ménage » et « activité rémunérée » ne sont pas suffisamment prises en compte dans la méthode mixte et que celle-ci peut mener à la perte de toute rente lorsque la personne assurée cesse ou réduit, souvent après la naissance d’un enfant, une activité lucrative exercée auparavant. Ce constat a par ailleurs été confirmé par le Conseil fédéral, dans son rapport du 1er juillet 2015 (paragraphe 38 et suivants ci-dessus). Celui-ci a ajouté qu’on reproche également à la méthode mixte de tenir compte deux fois du fait que l’activité est exercée à temps partiel : dans la détermination du revenu sans invalidité, d’une part, et dans le cadre de la pondération proportionnelle des deux domaines, d’autre part.

99. Dans son arrêt de principe sur le sujet, le Tribunal fédéral a admis que la méthode mixte s’applique majoritairement aux femmes et qu’elle est sujette à caution, mais il a estimé que c’est au législateur, plutôt qu’aux tribunaux, qu’il appartient de proposer une solution qui tiendrait mieux compte de l’évolution sociologique de la société et de la situation des travailleurs à mi-temps, lesquels sont pour la plupart des femmes (paragraphe 35 et suivants ci-dessus, considérant 7.2).

100. La Cour constate par ailleurs que le Conseil fédéral, dans son rapport du 1er juillet 2015, a résumé et analysé de manière détaillée les critiques formulées vis-à-vis de la méthode mixte. Il a admis que la méthode mixte peut conduire à des taux d’invalidité plus bas et que l’on peut se poser la question de savoir si cette méthode n’établit pas une discrimination, pour le moins indirecte.

Aux yeux de la Cour, il s’agit là d’indications claires d’une prise de conscience du fait que la méthode mixte ne s’accorde plus avec la poursuite de l’égalité des sexes dans la société contemporaine, où les femmes ont de plus en plus le souhait légitime de pouvoir concilier vie familiale et intérêts professionnels.

101. La Cour note aussi que certains tribunaux spécialisés eux-mêmes, dont l’instance cantonale en l’espèce (paragraphe 18 ci-dessus), plaident pour l’application d’une méthode plus favorable pour les assurés travaillant à temps partiel, qui tienne suffisamment compte de leur handicap aussi bien dans le volet « activité rémunérée » que dans le volet « activité ménagère ». Elle observe, du reste, que plusieurs méthodes de calcul du taux d’invalidité existent en droit suisse (paragraphes 30-34 ci-dessus). Dès lors, la Cour note aussi que d’autres méthodes de calcul respectant mieux le choix des femmes de travailler à temps partiel à la suite de la naissance d’un enfant sont concevables, et qu’il serait ainsi possible de poursuivre le but du rapprochement entre les sexes sans pour autant mettre en danger l’objectif de l’assurance-invalidité.

102. Par-delà ces considérations générales par rapport à la méthode mixte, la Cour estime que le refus d’octroi de toute rente, même partielle, entraîne pour la requérante des conséquences concrètes importantes, même à supposer qu’elle puisse travailler à temps partiel. Son revenu fictif, calculé sur la base d’un travail à mi-temps, a été estimé par l’office à seulement 24 293 CHF (environ 23 654 EUR) au moment du calcul du taux d’invalidité (paragraphe 15 ci-dessus).

Conclusion

103. Compte tenu de ce qui précède, la Cour n’est pas convaincue que la différence de traitement subie par la requérante – qui s’est vu refuser une rente d’invalidité en application de la méthode mixte de calcul du taux d’invalidité, utilisée pour les personnes exerçant une activité rémunérée à temps partiel – repose sur une justification raisonnable.

104. Il s’ensuit qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

A. Sur la violation alléguée de l’article 8, pris isolément

105. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la requérante fait valoir que la méthode mixte de calcul du taux d’invalidité a eu pour conséquence qu’elle s’est vu refuser une rente à cause de l’activité professionnelle qu’elle a exercé à temps partiel.

106. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de le déclarer recevable.

107. En revanche, considérant que ce grief est essentiellement le même que celui examiné ci-dessus sous l’angle de l’article 14, combiné avec l’article 8, la Cour n’estime pas nécessaire de l’examiner séparément sous l’angle de l’article 8 pris isolément.

B. Sur la violation alléguée de l’article 14, combiné avec l’article 6

108. La requérante allègue sur ce terrain avoir été victime, de la part des organes internes, d’une discrimination fondée sur le sexe quant à l’administration des preuves, dans la mesure où elle a dû démontrer devant ceux-ci la proportion dans laquelle, abstraction faite de son invalidité, elle aurait travaillé après la naissance de ses enfants.

109. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de le déclarer recevable.

110. Par contre, au regard du constat de violation de l’article 14 auquel elle est parvenue par rapport à l’article 8, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les aspects relevant d’une combinaison avec l’article 6.

C. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1

111. La requérante allègue que le Tribunal fédéral, dans son examen des interactions entre les volets « ménage » et « activité rémunérée », n’ait pas mentionné le rapport médical du docteur Ch.A.S. du 28 septembre 2006 ni apprécié ce dernier en tant que moyen de preuve. Elle y voit une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

112. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention en appel ou en cassation dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit ; il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel ou de cassation (voir, par exemple, Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 41, CEDH 2002-VII, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 60, CEDH 2006-XII). Quant à l’obligation de motiver des jugements, si les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent (voir Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, § 33, série A no 252), elles ne sont pas tenues d’apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288). Il doit ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 91, CEDH 2010). Quant à l’appréciation des preuves, il appartient en règle générale aux juridictions nationales d’apprécier les preuves dont elles disposent. Conformément à la Convention, la Cour a pour tâche de juger du caractère équitable de la procédure dans son ensemble (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 66, CEDH 2000-VIII).

113. En l’espèce, il résulte des motifs de l’arrêt du Tribunal fédéral que cette juridiction a pris en compte les interactions entre les volets « ménage » et « activité rémunérée », et en a tiré des conclusions relatives à la situation particulière de la requérante (voir paragraphes 20 et 21 ci-dessus). En particulier, après avoir rappelé qu’un pourcentage maximal de 15 % pouvait être ajouté à la réduction de la possibilité d’exercer des tâches à domicile, le Tribunal fédéral a estimé que, même en prenant en compte ce pourcentage maximal, le taux d’invalidité n’atteindrait toujours pas le minimum requis. Il s’ensuit que, dans ce raisonnement, les données contenues dans le rapport médical du docteur Ch.A.S. (paragraphe 17 ci-dessus) ne présentaient pas d’intérêt. La Cour ne voit pas comment le fait que le Tribunal fédéral n’a pas expressément tiré cette dernière conclusion porte atteinte à l’équité du procès.

114. Partant, la Cour estime que le présent grief ne révèle aucune apparence de violation du droit à un procès équitable et doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

115. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

116. La requérante réclame en premier lieu 88 135 francs suisses (CHF) (soit environ 85 818 euros (EUR)) pour préjudice matériel.

Ce préjudice consisterait dans la perte de la rente d’invalidité dont elle aurait dû à ses yeux pouvoir bénéficier, et des intérêts moratoires y afférents, dont le taux est de 5 % en Suisse – le montant cumulé d’une rente rétroactive pour la période allant du 1er septembre 2004 au 31 mars 2011 étant évalué par la requérante à 76 907 CHF, et les intérêts moratoires correspondants à 11 228 CHF.

L’intéressée précise que ce préjudice pourrait aussi être réparé par une éventuelle révision de l’arrêt du Tribunal fédéral du 28 juillet 2008.

117. La requérante demande par ailleurs 35 000 CHF (soit environ 33 790 EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi du fait du refus des autorités de lui accorder une rente pendant plusieurs années.

118. Le Gouvernement prend acte des prétentions de la requérante concernant le dommage matériel, mais il constate que celle-ci a précisé que ce préjudice serait réparé dans le cas d’une révision de l’arrêt du 28 juillet 2008. Par conséquent, le Gouvernement estime que la requérante ne fait pas valoir une véritable prétention devant la Cour.

119. S’agissant du tort moral allégué, le Gouvernement estime que le constat éventuel d’une violation de la Convention constituerait en soi une satisfaction équitable. Par conséquent, il invite la Cour à rejeter la prétention formulée par la requérante à ce titre.

120. La Cour voit un lien de causalité direct entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, à savoir la non-attribution de la rente d’invalidité réclamée à partir de septembre 2004. Toutefois, elle estime que les instances internes sont mieux placées pour évaluer avec précision le dommage – compte tenu, entre autres, du fait que le montant des rentes d’invalidité varie d’une année sur l’autre. En outre, il convient d’avoir égard au caractère subsidiaire du mécanisme de l’article 41, aux termes duquel il appartient à la Cour d’accorder à la partie lésée une satisfaction équitable si le droit interne de l’État défendeur ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences d’une violation de la Convention. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’État défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter (Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 406, CEDH 2012 (extraits)).

Par ailleurs, si l’État défendeur reste de façon générale libre de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 88, CEDH 2009), la Cour a néanmoins indiqué à de nombreuses occasions qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no [53431/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2253431/99%22%5D%7D), § 27, 23 octobre 2003, et Claes et autres c. Belgique, nos [46825/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2246825/99%22%5D%7D), [47132/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2247132/99%22%5D%7D), [47502/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2247502/99%22%5D%7D), [49010/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2249010/99%22%5D%7D), [49104/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2249104/99%22%5D%7D), [49195/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2249195/99%22%5D%7D) et [49716/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2249716/99%22%5D%7D), § 53, 2 juin 2005).

En l’espèce, la Cour note que la requérante, dûment représentée par un avocat devant la Cour, a elle-même indiqué qu’elle formulerait une demande de réparation dans le cadre d’une requête en révision de l’arrêt du Tribunal fédéral du 28 juillet 2008. Une telle possibilité étant explicitement prévue à l’article 122 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (paragraphe 29 ci-dessus), et rien ne suggérant que cette voie soit illusoire ‑ ce que la requérante ne prétend d’ailleurs pas –, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer un montant quelconque au titre du préjudice matériel.

121. Quant au préjudice moral, la Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel le constat de violation de l’article 14, combiné avec l’article 8, auquel elle est parvenue dans le présent arrêt, constitue en lui-même une satisfaction équitable. Elle estime que la requérante a subi un tort moral du fait du refus des autorités de lui accorder une rente pendant plusieurs années. Statuant en équité comme le veut l’article 41, la Cour considère qu’il soit opportun de lui octroyer la somme de 5 000 EUR à ce titre.

122. La Cour estime utile de rappeler par ailleurs qu’il ne lui appartient pas d’annuler ou d’abroger elle-même les dispositions litigieuses du droit interne à la suite d’un constat de violation de la Convention. Les arrêts de la Cour ayant un caractère pour l’essentiel déclaratoire, la Suisse peut librement choisir les moyens de s’acquitter de son devoir juridique au regard de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions du présent arrêt, comme indiqué ci‑dessus (paragraphe 120 ci-dessus).

Eu égard à l’ensemble des circonstances et au principe de la sécurité juridique, inhérent à la Convention, la Cour estime que le constat de violation opéré dans le cas d’espèce n’exige pas de remettre en cause les actes ou situations juridiques semblables antérieurs au prononcé du présent arrêt (Marckx, précité, § 58).

B. Frais et dépens

123. La requérante demande 32 617,70 CHF (environ 31 490 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, prétention qu’elle détaille comme suit :

– 13 133 CHF d’honoraires pour la procédure au niveau cantonal ;

– 17 779 CHF d’honoraires, 1 688,90 CHF de frais, et 2 516,80 CHF de TVA pour la procédure devant la Cour.

De ce montant, la requérante déduit la somme de 2 500 CHF qui lui a été accordée au titre de l’assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral (selon l’arrêt du 28 juillet 2008).

124. Le Gouvernement considère comme adéquat, dans les circonstances de l’espèce, un montant de 5 000 CHF (environ 4 827 EUR) pour la procédure devant la Cour.

125. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 24 000 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante, augmentée de tout montant pouvant être dû par l’intéressée à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

126. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable quant au grief tiré du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention ;

2. Déclare, à la majorité, la requête recevable pour le surplus ;

3. Dit, par 4 voix contre 3, qu’il y a eu violation de l’article 14, combiné avec l’article 8 de la Convention ;

4. Dit, par 4 voix contre 3, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief relatif à l’article 14 en combinaison avec l’article 6 de la Convention ;

5. Dit, par 4 voix contre 3, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8 pris isolément ;

6. Dit, par 4 voix contre 3 ;

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;

ii. 24 000 EUR (vingt-quatre mille euros), à convertir en francs suisses au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithAndrás Sajó
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Keller, Spano et Kjølbro.

A.S.
S.H.N.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX
JUGES KELLER, SPANO et KJØLBRO

I. Introduction

1. À notre regret, nous ne pouvons nous accorder avec la majorité sur la recevabilité du grief de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. Le grief présentement formulé étant avant tout d’ordre pécuniaire, nous sommes d’avis qu’il n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention.

2. La présente affaire concerne le refus de l’assurance-invalidité suisse de maintenir à la requérante, après la naissance de ses jumeaux, la demi-rente d’invalidité à laquelle elle avait été reconnue fondée à prétendre pour la période antérieure. Au terme d’un nouveau calcul, en application de la « méthode mixte », les autorités compétentes sont parvenues à un taux d’invalidité (27 %) ne lui donnant plus droit à l’allocation d’une rente. Devant la Cour, la requérante allègue, entre autres, une violation de l’article 14, combiné avec l’article 8 de la Convention. Elle s’estime victime d’une double discrimination dans la jouissance de son droit à la vie privée et familiale.

II. L’inapplicabilité de l’article 8

3. Nous avons plusieurs réserves quant à l’analyse de la majorité sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention dans la présente affaire.

4. D’abord, le point de départ de ladite analyse nous semble erroné. La Cour se place d’emblée sur le terrain de l’article 8 de la Convention, sans considération de la dimension purement pécuniaire du grief de la requérante. Sans doute existe-t-il des cas où l’octroi, le versement ou le refus d’une prestation sociale comme celle du cas d’espèce peuvent revêtir de l’importance au regard de la Convention. Cependant, la majorité omet de mentionner que dans la très grande majorité des affaires dans lesquels elle s’est exprimée sur une discrimination alléguée en matière d’allocation de prestations de sécurité sociale, la Cour s’est fondée non pas sur l’article 8 de la Convention, mais sur le Protocole additionnel no 1 (comme, par exemple, dans les arrêts Moskal c. Pologne, no 10373/05, §§ 93 et suiv., 15 septembre 2009 ; Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 53, CEDH 2006‑VI ; Koua Poirrez c. France, no 40892/98, §§ 43 et suiv., CEDH 2003‑X ; Kjartan Ásmundsson c. Islande, no 60669/00, §§ 39 et suiv., CEDH 2004‑IX ; ou encore Wieczorek c. Pologne, no 18176/05, §§ 56 et suiv., 8 décembre 2009). Or, il convient de rappeler que, n’ayant pas ratifié le Protocole no 1, la Suisse n’est pas liée par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 1 de cet instrument.

5. Dans le cadre de l’examen de la recevabilité sur le terrain de l’article 8, la majorité opère ensuite une distinction entre le « volet familial » d’une part et le « volet privé » d’autre part. Pour l’un comme l’autre de ces deux volets, la Cour parvient à la même conclusion ‑ avec laquelle nous sommes en désaccord –, à savoir que l’article 8 trouve à s’appliquer.

6. S’agissant du « volet familial », il est vrai que dans certaines affaires particulières, la Cour a examiné une prestation sociale sous l’angle de l’article 8 de la Convention ; ainsi, notamment, pour une allocation de congé parental (Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 27, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II ; Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 130, CEDH 2012 (extraits)) ou pour une allocation en faveur des familles nombreuses (Dhahbi c. Italie, no 17120/09, § 41, 8 avril 2014). La majorité cite cette jurisprudence (paragraphes 61 et suiv.), mais, à notre avis, elle reste en carence de dégager les principes pertinents pour la détermination du champ d’application de l’article 8.

7. Au paragraphe 62 de l’arrêt, la Cour énonce que :

« (...) l’application de la méthode mixte à la requérante était susceptible d’influencer celle-ci et son époux dans la manière dont ils se répartissent les tâches au sein de la famille et, partant, d’avoir un impact sur l’organisation de leur vie familiale et professionnelle. »

Ce raisonnement repose ainsi sur un critère d’applicabilité très souple, laissant entendre que, pour que l’article 8 soit applicable, il suffit que la rente en question ait un impact quelconque sur la sphère familiale (ou privée) de l’intéressé. Nous craignons que cela revienne à dire que tout octroi ou refus d’une rente entre automatiquement dans le champ de l’article 8, étant donné qu’une prestation sociale est toujours susceptible d’avoir un certain impact sur la jouissance ou l’organisation de la vie familiale d’une personne. En conséquence, toute mesure en droit du travail, par exemple, tomberait sous l’empire de l’article 8 de la Convention.

8. Un tel résultat ne serait, cependant, guère compatible avec notre jurisprudence constante selon laquelle il faut interpréter les dispositions de la Convention en prenant en considération l’ensemble du système conventionnel, y compris les dispositions des protocoles additionnels (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 36, CEDH 2000-X). En ce qui concerne l’article 2 du Protocole no 4, par exemple, la Grande Chambre a souligné dans l’affaire Austin et autres c. Royaume-Uni que « l’article 5 de la Convention ne saurait s’interpréter de manière à intégrer les exigences de cette disposition et à les rendre ainsi applicables aux États qui, comme le Royaume-Uni, n’ont pas ratifié ce Protocole » (Austin et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 55, CEDH 2012). Auparavant, la Cour avait déjà appliqué le même raisonnement vis-à-vis du Protocole no 12, ou pour rappeler que l’article 14 ne pose pas de manière indépendante une interdiction générale de toute discrimination (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003‑VIII), ou encore vis-à-vis des garanties de l’article 1 du Protocole no 7, pour conclure à l’inapplicabilité de l’article 6 aux procédures d’expulsion (Maaouia c. France, précité, § 36).

9. Les pertes pécuniaires en matière d’allocations sociales relèvent en règle générale du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 (voir ci-dessus, paragraphe 4). Il s’ensuit, à l’aune de la jurisprudence citée au paragraphe précédent, qu’on ne saurait envisager de contourner la non‑ratification du Protocole no 1 en traitant ce genre d’affaires sous l’angle d’une combinaison de l’article 14 avec, à la place, l’article 8 de la Convention. En d’autres termes, il faut avoir pleinement égard au fait que la Suisse n’a pas ratifié le Protocole no 1.

10. La majorité méconnaît, à notre avis, le fait que les affaires citées plus haut (paragraphe 6) étaient, en effet, caractérisées par un lien beaucoup plus étroit entre l’octroi de l’allocation, de la rente ou de la pension, d’une part, et la jouissance de la vie familiale, d’autre part. Ce lien étroit résultait notamment du but de l’allocation en question, dans la mesure où celle-ci visait dans ces affaires à faciliter la vie familiale, ou à y contribuer. En appliquant ce critère plus strict dans le cas d’espèce, nous parvenons à la conclusion que le grief de la requérante n’entre pas dans le « volet familial » de l’article 8. Ainsi qu’il ressort des observations du Gouvernement (paragraphe 54 de l’arrêt) et de la jurisprudence du Tribunal fédéral (paragraphe 31 de l’arrêt ; ATF 137 V 334, cons. 6.1.2), l’assurance‑invalidité litigieuse n’a pas pour objet l’organisation de la vie familiale. Son but est plutôt de compenser les effets économiques permanents de l’invalidité. Nous ne sommes donc pas convaincus par le raisonnement de la Cour au paragraphe 62.

11. S’agissant du « volet privé » de l’article 8, l’argumentation de la majorité ne nous convainc pas non plus. Bien qu’elle fasse référence à la jurisprudence pertinente (paragraphe 63), la majorité n’explique pas en quoi la méthode mixte affecterait le développement personnel ou l’autonomie personnelle de la requérante. En effet, le Gouvernement relève à juste titre que la méthode de calcul de la rente ne devrait pas jouer de rôle lors du choix hypothétique du taux de travail. En l’espèce, rien n’empêchait la requérante d’indiquer qu’elle aurait souhaité travailler à 100 %, 80 % ou même 0 % après la naissance de ces deux filles. Dans tous ces cas, la requérante aurait reçu une rente d’invalidité selon la méthode mixte. C’est là, aussi, la différence entre la présente affaire et l’affaire Schuler-Zgraggen.

III. Conclusion

12. À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que la Cour a admis trop facilement l’applicabilité de l’article 8 dans la présente affaire. L’approche suivie par la majorité étend le champ d’application l’article 8 d’une manière considérable, qui rend en quelque sorte l’article 1 du Protocole no 1 superflu.

13. Selon notre interprétation de la jurisprudence pertinente, la requérante n’a pas suffisamment montré – ni devant les instances internes ni devant la Cour – dans quelle mesure l’application de la méthode mixte affecte à proprement parler l’organisation de sa vie familiale ou privée, au sens de l’article 8 de la Convention. Pour ces raisons, nous pensons que la Cour aurait dû, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention, rejeter ce grief pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

* * *

[1] Nota : le chiffre correspond à l’addition du résultat des deux lignes.

[2] Idem.

[3] Idem.


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