ANCIENNE TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GOUARRÉ PATTE c. ANDORRE
(Requête no 33427/10)
ARRÊT
STRASBOURG
12 janvier 2016
DÉFINITIF
12/04/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gouarré Patte c. Andorre,
La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Luis López Guerra, président,
Josep Casadevall,
Ján Šikuta,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Branko Lubarda, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33427/10) dirigée contre la Principauté d’Andorre et dont un ressortissant de cet État, M. Gérard Gouarré Patte (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M. Bellera Gracia, avocat à Andorra La Vella. Le gouvernement andorran (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, Mme Mireia Fernández Llorens, M. Joan León Peso et Mme Carmen Perna Garcia, du cabinet juridique du Gouvernement.
3. Le 23 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
4. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 mai 2015 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MmeC. Perna garcia, agent,
MmeM. fernÁndez llorens, conseillère ;
– pour le requérant
MeM. bellera gracia, conseil.
Le requérant était également présent à l’audience.
La Cour a entendu Mme Perna Garcia, ainsi que Me Bellera Gracia, en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1948 et réside à Andorra La Vella.
6. Par un jugement du 17 décembre 1999, rendu après la tenue d’une audience publique, le Tribunal de Corts condamna le requérant à une peine de cinq ans de prison dont un an de prison ferme et le reste en liberté conditionnelle pour trois délits d’abus sexuels commis pendant l’exercice de ses fonctions de médecin. En application de l’article 37 du code pénal en vigueur à cette époque, le requérant fut également condamné à une peine accessoire d’interdiction perpétuelle d’exercer sa profession de médecin.
7. Ce jugement fut confirmé en appel par un arrêt du 19 juillet 2000 rendu par le Tribunal supérieur de justice d’Andorre.
8. Le 29 octobre 2003 le requérant bénéficia d’une mesure de grâce générale adoptée par les coprinces de la Principauté. L’article premier de la mesure de grâce prévoyait une remise de huit mois pour les peines de prison relatives aux délits ou contraventions commis avant le 19 septembre 2003. La disposition excluait expressément de cette remise toute autre peine imposée par les tribunaux pénaux andorrans.
9. La cumulation de cette mesure avec d’autres remises de peines qui lui étaient applicables permirent au requérant de ne pas purger de peine de prison. La peine accessoire, quant à elle, ne fut pas concernée par la mesure de grâce.
10. Le nouveau code pénal, adopté le 21 février 2005, modifia dans son article 38 § 2 les dispositions relatives aux peines accessoires, interdisant que leur durée dépasse celle de la peine principale.
11. Par ailleurs, la deuxième disposition transitoire de ce nouveau code pénal prévoyait, dans son premier alinéa, la possibilité d’introduire un recours en révision, dans la forme établie dans les articles 253 et suivants du code de procédure pénale, pour les personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de la liberté, dont l’exécution était en cours au moment de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
12. S’appuyant sur ces dispositions, le requérant présenta un recours de révision. Par un arrêt du 15 juillet 2009, le Tribunal supérieur de justice d’Andorre rejeta le recours. Il rappela le contenu de la deuxième disposition transitoire et nota que le texte se référait exclusivement aux peines privatives ou restrictives de liberté, ne prévoyant pas de révision pour les peines d’interdiction d’exercer une profession. Au demeurant, il rappela que ledit recours de révision n’était ouvert que pour des critères limitativement énumérés auxquels le cas d’espèce ne répondait pas.
13. Le requérant introduisit une action en nullité qui fut rejetée par une décision du 24 septembre 2009 rendue par le même tribunal. Dans leur décision, les magistrats notèrent que la disposition litigieuse, à savoir la deuxième disposition transitoire, était suffisamment précise quant à l’ouverture du recours en révision exclusivement aux personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de la liberté. Il ne leur appartenait pas d’élargir l’application de ce texte légal aux peines privatives de droits, parmi lesquelles figurait l’interdiction d’exercer une activité professionnelle.
14. Invoquant les articles 10 (droit à un procès équitable) et 29 (droit au travail) de la Constitution, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’empara. Par une décision du 1er février 2010, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant dépourvu de contenu constitutionnel. S’agissant du grief tiré du droit au travail, le Tribunal constitutionnel rappela que l’article 29 de la Constitution ne faisait pas partie des articles pouvant être invoqués dans le cadre d’un recours d’empara. Pour ce qui était des griefs tirés du droit à un procès équitable, le Tribunal constitutionnel observa premièrement que les décisions a quo étaient suffisamment motivées par des arguments cohérents. Concernant l’existence d’un éventuel droit du requérant à la révision de sa condamnation, bien que la haute juridiction notât que le rejet indu d’une telle révision était susceptible de constituer une violation de l’article 10 de la Constitution ainsi que de l’article 6 de la Convention, elle considéra que les quatre hypothèses prévues à l’article 253 du code de procédure civile avaient été dûment examinées par le Tribunal supérieur de justice dans son arrêt du 15 juillet 2009. Ses conclusions devaient être considérées comme « raisonnées et raisonnables », aucune violation de l’article 10 de la Constitution ne pouvant ainsi être décelée.
Certes, la deuxième disposition transitoire du nouveau code pénal permettait d’introduire un recours de révision aux personnes ayant été condamnées à des peines privatives de liberté en application du principe de la loi pénale plus favorable. Cependant, même si la peine d’interdiction d’exercer une profession pouvait avoir un impact négatif sur la vie de la personne condamnée, le Tribunal constitutionnel nota qu’en droit andorran elle ne faisait pas partie des peines privatives de liberté. Il en allait d’ailleurs de même en ce qui concernait le droit des États voisins. Dans ces circonstances, la haute juridiction estima que la décision du Tribunal supérieur de justice ayant rejeté le recours de révision du requérant ne pouvait pas être considérée comme étant arbitraire. Au demeurant, elle rappela qu’il ne lui appartenait pas de compléter ni d’interpréter des dispositions légales qui déterminaient, de façon claire et précise, les cas exceptionnels prévus par le législateur pour entamer la procédure en révision.
15. Le requérant interjeta un recours de súplica contre cette décision. Le Tribunal constitutionnel rejeta son recours le 15 mars 2010, rappelant que ce recours n’avait pas pour objet la révision de l’affaire et constatant qu’en l’espèce le requérant n’avait pas fourni de nouveaux éléments de fait ou de droit pouvant justifier un écartement de la décision contestée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code pénal du 11 juillet 1990, en vigueur lorsque le requérant fut condamné
16. L’article 37 du code pénal en vigueur lorsque le requérant fut condamné disposait :
« En sus de ces peines peuvent être infligées les peines accessoires suivantes :
(...)
7. L’interdiction temporaire ou définitive d’exercer les droits publics, une profession ou une charge ».
(...)
B. Loi qualifiée 9/2005, du 21 février 2005, du code pénal
17. Cette loi prévoit dans ses dispositions pertinentes :
Article 7
Application de la loi pénale dans le temps
1. La loi pénale n’a pas d’effets rétroactifs. Cependant, les lois pénales qui favorisent l’accusé ont des effets rétroactifs. En cas de doute sur quelle loi est la plus favorable, l’accusé doit être écouté.
2 Pour déterminer la loi applicable dans le temps, les infractions pénales sont considérées commises lorsque l’action ou l’omission punissable a lieu, indépendamment du moment où leur résultat ait lieu.
3. La peine ou la mesure de sécurité cesse d’être exécutée lorsque l’infraction pour laquelle elle a été imposée a cessé d’être prévue par la loi comme infraction pénale. Dans ce cas, les antécédents et toutes les conséquences pouvant en découler restent annulés d’office. Lorsqu’une loi postérieure réduit la peine ou la mesure de sécurité prévue pour une infraction, la personne condamnée en application de la loi antérieure bénéficie également de la disposition la plus favorable. Le tribunal qui a prononcé le jugement doit réviser d’office le jugement affecté par la nouvelle loi plus favorable.
4. La loi modifiant les règles de prescription est applicable rétroactivement lorsqu’elle est favorable à l’accusé.
Article 38 § 2
Peines accessoires pour les délits
« 2. Dans les cas où il y ait un rapport avec le délit commis, le tribunal peut infliger pour une durée non supérieure à celle de la plus grave des peines principales infligées dans le jugement, une ou plusieurs des peines suivantes :
a) Interdiction d’exercer des droits publics, des fonctions publiques, des droits de la famille, une profession ou une charge ».
(...)
Deuxième disposition transitoire
« Les personnes condamnées par un jugement définitif à une peine privative ou restrictive de liberté dont l’exécution ne soit pas suspendue ni accomplie dans sa totalité au moment de l’entrée en vigueur de ce code, pourront entamer une procédure de révision dans la forme établie dans les articles 253 et suivants du code de procédure pénale.
Pourront aussi entamer une procédure de révision dans le délai d’un an à partir de l’entrée en vigueur de ce code, les personnes condamnées à une peine privative ou restrictive de liberté dont l’exécution se trouve totalement ou partiellement suspendue si la fin de la suspension ne s’est pas produite à la date d’entrée en vigueur de ce code ».
C. Loi qualifiée de modification du code de procédure pénale, du 10 décembre 1998
18. L’article 253 de cette loi se lit ainsi :
« Les jugements définitifs rendus par les tribunaux peuvent faire l’objet d’un recours de révision dans les cas suivants :
1. Lorsque le jugement est fondé sur un document ou un témoignage déclarés faux ultérieurement par un jugement également définitif.
2. Lorsque le jugement est en contradiction avec un autre jugement définitif prononcé pour le même fait délictueux, dont une seule personne peut être l’auteur.
3. Lorsqu’après le prononcé du jugement un fait soit connu démontrant de manière incontestable l’innocence du condamné.
4. Lorsqu’un jugement d’un tribunal supérieur accorde une réduction de la peine ou des avantages dont le condamné ne peut pas bénéficier du fait de ne pas avoir interjeté un recours, malgré le fait de se trouver dans la même situation de fait du requérant bénéficiaire ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA NON-APPLICATION DE L’ARTICLE 7 DU NOUVEAU CODE PÉNAL
19. Le requérant se plaint de la non-application par les juridictions andorranes du principe de la rétroactivité de la loi pénale plus favorable, reconnu de manière explicite en droit interne à l’article 7 du nouveau code pénal. En application de cette disposition, les tribunaux compétents auraient dû entamer la révision d’office de sa condamnation. La disposition de la Convention invoquée est ainsi libellée :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A. Sur la recevabilité
20. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
21. Le Gouvernement confirme, sans préciser d’avantage, que le droit andorran permet aux justiciables de bénéficier rétroactivement des lois pénales plus favorables. Il considère cependant que les principes dérivés de l’arrêt Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, 17 septembre 2009) ne sont pas applicables à l’espèce, dans la mesure où cet arrêt reconnait la rétroactivité des lois pénales plus favorables pour les jugements qui ne sont pas encore devenus définitifs lors du changement législatif. Dans le cas d’espèce, la loi pénale en vigueur au moment où l’arrêt de condamnation du requérant devint définitif était la même que celle prévue au moment de la commission de l’infraction. À cet égard, le Gouvernement rappelle que l’article 88 de la Constitution andorrane empêche la modification ou annulation des jugements définitifs, sauf dans les cas prévus par la loi.
22. S’agissant de l’impossibilité pour le requérant de demander la révision de sa condamnation, le Gouvernement signale que, conformément à la deuxième disposition transitoire de la loi qualifiée 9/2005, du 21 février 2005, du code pénal, cette possibilité est réservée aux peines privatives et restrictives de la liberté, dont l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ne fait pas partie. Il rappelle en outre le caractère exceptionnel du recours en révision, ce qui empêche les juges d’étendre sa portée au-delà de ce qui est expressément prévu par la loi et signale à cet égard qu’aucun des quatre motifs de révision prévus à l’article 253 du code de procédure pénale n’englobe le cas d’espèce. De l’avis du Gouvernement, ces éléments justifieraient pourquoi les juridictions internes n’appliquèrent pas l’article 7 du nouveau code pénal dans leurs décisions. En effet, cette disposition n’introduit pas un nouveau motif de révision additionnel à ceux prévus dans le code de procédure pénale et doit toujours être interprétée à la lumière de la deuxième disposition transitoire du code pénal, qui restreint les possibilités de révision aux peines privatives de liberté dont l’exécution est toujours en cours. Le Gouvernement reproche au requérant de vouloir forcer l’interprétation de la volonté du législateur.
23. Le Gouvernement se réfère ensuite à la nature de la peine d’interdiction d’exercer la profession imposée au requérant et souligne que, dans la mesure où celui-ci a déjà terminé de purger sa peine de privation de liberté, l’interdiction est devenue la peine unique ou principale. De plus, il attire l’attention sur le fait qu’à la lumière du nouveau code pénal, les peines d’interdiction sont divisées entre accessoires (les interdictions temporaires de l’ancien code pénal) et principales (interdictions définitives de l’ancien code pénal). En tout état de cause, le Gouvernement note qu’il s’agit d’une peine avec une finalité différente de celle de la peine privative de liberté. Son objectif principal est la prévention, afin d’éviter que le requérant ne reproduise les mêmes comportements que ceux pour lesquels il a été condamné. Le Gouvernement note qu’il ne s’agit pas d’une interdiction générique d’exercer un travail, mais seulement de celui par le biais duquel le requérant a commis le délit, à savoir la profession de médecin. Dans ce sens, le Gouvernement considère que les tribunaux andorrans ont respecté la proportionnalité de la peine d’interdiction par rapport au dommage social occasionné.
b) Le requérant
24. Pour sa part, le requérant refuse de considérer sa peine d’interdiction d’exercer sa profession de médecin à vie comme peine principale et s’en tient à la qualification faite par les tribunaux nationaux.
25. En ce qui concerne l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable, le requérant estime que les dispositions du nouveau code pénal relatives à la durée maximale des peines accessoires lui sont pleinement applicables et observe que le refus du Gouvernement de lui faire bénéficier d’une loi pénale plus favorable, alors qu’un changement législatif s’est produit dans ce sens, va à l’encontre de l’article 7 de la Convention, à l’instar des arguments exposés dans l’arrêt Scoppola c. Italie susmentionné.
26. Le requérant reproche au Gouvernement de ne pas apporter de raisons juridiques ou techniques justifiant ce qui à son avis constitue un traitement discriminatoire entre les personnes condamnées à des peines privatives de liberté et celles condamnées à d’autres types de peines. Il critique dans ce sens la motivation de l’arrêt du Tribunal constitutionnel dans la mesure où elle soutient l’application de la rétroactivité pénale plus favorable seulement pour les peines privatives de liberté. À cet égard, le requérant rappelle que la Cour a déjà statué que la notion de peine est autonome et que les peines non privatives de liberté, voire des sanctions administratives ou fiscales, peuvent être également très lourdes et méritent la même protection sous l’angle de la Convention. Dans le cas d’espèce, l’interdiction à vie d’exercer son métier constitue une peine particulièrement grave. Le requérant rappelle enfin sur ce point que l’arrêt Scoppola ne fait pas de distinction entre peines privatives de liberté et peines accessoires.
27. Le requérant reproche en outre au Gouvernement de ne pas avoir répondu à la question posée par la Cour sur l’existence d’un droit pour le requérant de bénéficier des dispositions plus favorables du nouveau code pénal. Le requérant note à cet égard que l’article 7 § 3 de ce code prévoit que toute « personne condamnée » a droit à une révision d’office de sa peine, sans faire de distinction entre les peines privatives de liberté et le reste. Le Tribunal de Corts n’a pas procédé à cette révision d’office. Aux fins de pouvoir se plaindre de ce manquement, le requérant note qu’il aurait dû bénéficier de la possibilité d’introduire un recours en révision conformément à la deuxième disposition transitoire du nouveau code pénal. S’étant vu priver de cette possibilité par la décision du Tribunal supérieur de justice, il se vit dépourvu de tout moyen de voir sa peine modifiée selon le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable.
2. Appréciation de la Cour
28. La Cour rappelle que l’article 7 § 1 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au détriment de l’accusé. Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (Scoppola, précité, § 93). Conformément aux principes établis dans l’arrêt susmentionné, l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ce principe se traduit par la règle voulant que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de l’infraction et les lois pénales postérieures adoptées avant le prononcé d’un jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus favorables au prévenu (Scoppola, précité, § 109). La Cour rappelle également que, depuis la décision X c. République Fédérale d’Allemagne (no 7900/77, décision de la Commission du 6 mars 1978, Décisions et Rapports (DR) 13, pp. 70-72), un consensus s’est progressivement formé aux niveaux européen et international pour considérer que l’application de la loi pénale prévoyant une peine plus douce, même postérieure à la commission de l’infraction, est devenue un principe fondamental du droit pénal (Scoppola, précité, § 106).
29. Il s’agira donc dans le cas d’espèce de déterminer si la non-application de l’article 7 du nouveau code pénal et, par la suite, le refus des juridictions internes d’appliquer la deuxième disposition transitoire à la durée de la peine accessoire, est contraire au principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable, tel qu’il découle de l’article 7 § 1 de la Convention.
30. La Cour est d’avis que l’interdiction perpétuelle d’exercer la profession de médecin en cause dans la présente affaire peut s’analyser comme une peine au sens de l’article 7 de la Convention (voir, a contrario, Gardel c. France, no 16428/05, §§ 40 et ss. CEDH 2009). En effet, l’interdiction à vie d’exercer une profession constitue une peine tant selon l’article 37 du code pénal de 1990 que dans le nouveau code pénal de 2005, si bien ce dernier prévoit qu’elle ne peut pas dépasser vingt ans. De plus, la Cour constate que les tribunaux internes ont eux aussi considéré que l’interdiction imposée au requérant devait être analysée comme une peine. Le Gouvernement semble contester le caractère accessoire de la peine d’interdiction à vie. À cet égard, la Cour note que le code pénal de 1990 incluait cette peine entre les peines accessoires dans son article 37 et que par ailleurs, il ressort du dossier que les tribunaux internes l’ont eux-mêmes considérée comme étant accessoire à la peine principale de privation de liberté. Au demeurant, la Cour note également que, conformément au nouveau code pénal, lorsque la peine d’interdiction d’exercer une profession est considérée comme principale, celle-ci ne peut dépasser vingt ans.
31. Quant à la question de savoir si le nouveau code pénal de 2005 constitue une loi plus favorable que celle appliquée au requérant dans le cas d’espèce, la Cour rappelle que, alors que le code pénal de 1990, appliqué au requérant, imposait comme peine accessoire celle de l’interdiction à vie d’exercer sa profession, la réforme de 2005 établit, quant à elle, dans son article 38 § 2, que les peines accessoires ne peuvent avoir une durée supérieure à la peine principale la plus grave. De l’avis de la Cour, ces éléments suffisent pour considérer que la modification du code pénal intervenue en 2005 constitue une loi pénale plus favorable pour le requérant.
32. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour doit se pencher sur l’applicabilité de l’article 7 de la Convention au cas d’espèce. Elle note à cet égard que les parties sont en désaccord quant à la convenance d’appliquer à l’espèce l’arrêt Scoppola susmentionné, dans la mesure où au paragraphe 109 il n’est fait référence qu’aux jugements qui ne sont pas encore devenus définitifs lors du changement législatif. Bien qu’elle soit consciente de la portée limitée de cet arrêt, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur cette question, et ce pour les raisons mentionnées ci-dessous.
33. En effet, deux éléments caractérisent l’affaire de l’espèce et soulèvent des questions importantes : premièrement, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Scoppola précitée, la peine du requérant était déjà devenue définitive lorsque le nouveau code pénal andorran fut adopté : alors que la condamnation du requérant avait été confirmée en appel le 19 juillet 2000, le nouveau code pénal ne fut adopté que le 21 février 2005.
34. Deuxièmement, la Cour attire l’attention sur le fait que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable est expressément reconnu à l’article 7 du nouveau code pénal andorran. À cet égard, elle n’est pas convaincue par les arguments du Gouvernement sur les raisons qui justifieraient la non-application de cette disposition au cas d’espèce, ni, a fortiori, par l’absence de mention de celle-ci au cours de la procédure devant les juridictions internes. En effet, le troisième alinéa de cet article impose expressément l’obligation au tribunal ayant prononcé un jugement de condamnation de le réviser d’office lorsqu’une loi postérieure réduit la peine ou la mesure de sécurité prévue pour une infraction et ce même en cas de jugement définitif (paragraphe 17 ci-dessus). En outre, la Cour ne partage pas l’affirmation du Gouvernement selon laquelle cette disposition du code pénal doit être interprétée à la lumière de la deuxième disposition transitoire et constate que cet article ne fait pas de distinction entre les peines privatives de liberté et le reste, mais ne se réfère qu’aux personnes « condamnées ». La Cour ne voit pas de raison valable d’exclure le requérant des bénéficiaires des prévisions de cet article.
35. Cette spécificité du droit interne andorran confère un caractère particulier à la présente affaire. Aux yeux de la Cour, il est cohérent avec le principe de la prééminence du droit, dont l’article 7 constitue un élément essentiel, de s’attendre à ce que le juge du fond applique à chaque acte punissable la peine que le législateur estime proportionnée (Scoppola, précité, § 108). Lorsqu’un État prévoit expressément dans sa législation le principe de la rétroactivité de la loi plus favorable (comme c’est le cas à l’article 7 § 3 du nouveau code pénal andorran), il doit permettre à ses justiciables d’exercer ce droit selon les garanties conventionnelles. Dans le cas d’espèce, malgré la demande du requérant, les cours andorranes ont maintenu l’application de la peine la plus lourde imposée antérieurement, même si le législateur avait non seulement prévu une peine plus douce mais il en avait aussi prévu expressément l’application rétroactive. Ainsi, avec le maintien de l’application d’une peine qui excédait les prévisions de la législation pénale en vigueur, les cours andorranes, enfreignant le principe de la prééminence du droit, ont porté atteinte au droit du requérant de se voir appliquer la peine prévue par la loi.
36. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à la violation de l’article 7 de la Convention, pour autant que les tribunaux andorrans n’ont pas appliqué l’article 7 § 3 du nouveau code pénal à l’espèce.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’ABSENCE DE RECOURS EFFECTIF POUR CONTESTER LE MANQUE DE RÉVISION D’OFFICE
37. Par ailleurs, le requérant invoque l’article 13 combiné avec l’article 7 de la Convention pour se plaindre du fait que la possibilité d’introduire un recours de révision est uniquement prévue pour les peines privatives de liberté. Il estime avoir été privé ainsi d’un remède effectif pour mettre fin à l’exécution d’une peine accessoire contraire aux dispositions légales en vigueur. La disposition invoquée prévoit :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
38. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
39. Le Gouvernement note que la disposition transitoire du nouveau code pénal prévoit le recours en révision seulement en ce qui concerne les peines privatives ou restrictives de liberté, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
40. De son côté, le requérant considère que cette disposition de la Convention a été violé à double titre. D’une part, les tribunaux internes n’ont pas respecté leur obligation découlant de l’article 7 du nouveau code pénal de réviser d’office la condamnation du requérant. D’autre part, le rejet de la seule possibilité qui s’ouvrait à lui pour se plaindre de ce manquement, à savoir, l’introduction d’un recours en révision, l’a empêché de bénéficier d’un recours qui lui aurait permis d’obtenir une décision sur le fond de ses prétentions.
2. Appréciation de la Cour
41. La Cour note que le Tribunal supérieur de justice a rejeté le recours en révision du requérant sans se prononcer sur le fond de ses allégations, au motif que la deuxième disposition transitoire du nouveau code pénal se référait exclusivement aux peines privatives ou restrictives de liberté, ne prévoyant pas de révision pour les peines d’interdiction d’exercer une profession. Au demeurant, ce tribunal rappela que ledit recours de révision n’était ouvert que pour des critères limitativement énumérés auxquels le cas d’espèce ne répondait pas.
42. Par ailleurs, s’il est vrai que l’article 7 § 3 du nouveau code pénal andorran garantit la rétroactivité de la loi pénale plus douce, force est de constater également qu’il ne prévoit aucune procédure spécifique concrète pour permettre au condamné de saisir les tribunaux afin d’ouvrir un procès en révision en cas de défaillance des tribunaux compétents dans ce sens. Cet article ordonne simplement au tribunal qui a condamné de procéder d’office à une révision de la condamnation.
43. À la lumière des conclusions auxquelles la Cour est parvenue concernant l’article 7 de la Convention, et dans la mesure où le Gouvernement n’a pas apporté d’éléments qui démontreraient l’existence d’une voie de recours effective que le requérant pourrait utiliser afin de soulever la question de l’application des dispositions plus favorables du nouveau code pénal, la Cour considère qu’il y a eu une violation de l’article 13, combiné avec l’article 7 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
44. Le requérant se plaint également du fait que le manque de recours effectif pour contester l’absence de révision d’office de sa condamnation a entraîné une limitation disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, dans ses parties pertinentes, dispose :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Sur la recevabilité
45. Pour autant que par le biais de ce grief le requérant conteste le rejet de son recours de révision en tant que tel, la Cour rappelle que conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 6 ne s’applique pas aux procédures concernant une demande de réouverture d’une affaire qui se sont soldées par un rejet (Vaniane c. Russie, n 53203/99, § 56, 15 décembre 2005). Par conséquent, elle rejette ce grief comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
47. Le requérant réclame 1 050 120 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, en raison du manque à gagner du fait d’avoir été empêché de rouvrir son cabinet. Ce montant, établi par un expert-comptable, doit s’estimer à compter de 2005, date de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et où le tribunal aurait dû réviser d’office la condamnation du requérant. Subsidiairement, et à défaut de prendre cette date en ligne de comptes, le requérant propose que le préjudice soit estimé à partir de 2009, date où il a saisi le Tribunal supérieur de justice de sa demande en révision. Dans ce cas-là, le montant du dommage matériel réclamé s’élèverait à 525 060 EUR. Au titre de préjudice matériel le requérant demande également la somme de 2 896,40 EUR, montant de la facture de l’expert‑comptable.
48. Par ailleurs, sur la base des arrêts Jėčius c. Lituanie (no 34578/97, CEDH 2000‑IX), Tsirlis et Kouloumpas c. Grèce (29 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III), et Al-Jedda c. Royaume-Uni ([GC], no 27021/08, CEDH 2011), le requérant réclame la somme de 150 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
49. Le Gouvernement conteste les sommes demandées par le requérant et note que celui-ci n’aurait certainement pas eu le même volume de clientèle s’il avait exercé à nouveau sa profession en Andorre, après la répercussion médiatique de sa condamnation pour abus sexuels sur ses patientes. Quant au dommage moral, le Gouvernement rejette la demande du requérant au motif que le montant sollicité constitue un dédoublement de celui établi pour le préjudice matériel.
50. La Cour concède que la capacité du requérant à gagner sa vie en Andorre a été sévèrement atteinte du fait du maintien de l’interdiction d’exercer son métier de médecin. Cependant, elle se doit de constater, avec le Gouvernement, l’impossibilité de spéculer sur le montant du préjudice matériel effectif. En effet, la Cour n’a pas la certitude que le requérant aurait gardé la même clientèle si sa peine accessoire avait été effectivement révisée et réduite, en application de l’article 7 § 3 du nouveau code pénal. Par conséquent, elle décide de ne pas allouer de somme au requérant au titre du préjudice matériel.
51. Par ailleurs, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 000 EUR au titre du préjudice moral.
52. Finalement, la Cour note l’existence en droit interne de la Loi 16/2014 du 24 juillet qui a modifié la Loi transitoire de procédures judiciaires, du 21 décembre 1993. Dans son nouvel article 30 bis, cette loi prévoit la possibilité d’introduire un recours en révision dans un délai de trois mois à compter de la notification d’un arrêt de la Cour de Strasbourg concluant à une violation de la Convention.
B. Frais et dépens
53. Justificatifs à l’appui, le requérant demande également 2 028 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 11 683 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Par ailleurs, il demande à être remboursé des frais de déplacement à Strasbourg afin d’assister à l’audience, qui s’élèvent à 1 620 EUR.
54. Le Gouvernement rejette la demande du requérant à ce titre.
55. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour, estime raisonnable la somme de 14 250 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 7 et 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;
3. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 7 de la Convention ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, au taux applicable à la date du règlement :
i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 14 250 EUR (quatorze-mille deux-cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Silvis et Pardalos.
L.L.G.
J.S.P.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE SILVIS À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE PARDALOS
1. Je regrette de ne pouvoir souscrire au point de vue de la majorité selon lequel il y a eu en l’espèce violation par la Principauté d’Andorre de l’article 7 de la Convention. Il me semble en effet que le présent arrêt risque d’être la source de graves confusions quant aux principes de légalité et de subsidiarité. Je m’explique.
2. Le requérant, un ancien gynécologue, a été condamné en 1999 pour avoir abusé sexuellement de certaines de ses patientes à une peine de prison d’une durée limitée et à une peine accessoire consistant en l’interdiction définitive d’exercer la profession de médecin. Après la condamnation définitive du requérant, le nouveau code pénal a modifié la durée maximale d’une peine accessoire, de sorte que celle-ci ne peut plus désormais dépasser la durée de la peine principale et qu’une interdiction définitive d’exercer la médecine ne peut plus être infligée en tant que peine accessoire combinée à une peine principale d’une durée limitée. La possibilité d’une telle interdiction définitive d’exercer la médecine reste bien entendu ouverte comme mesure prise à l’issue d’une procédure disciplinaire. Cela étant, en l’espèce, j’admets que l’interdiction définitive en cause peut s’analyser comme une « peine », au sens de l’article 7 de la Convention.
3. Il est vrai que la Cour a souligné que le terme « infligé » figurant à la seconde phrase de l’article 7 § 1 de la Convention ne saurait être interprété comme excluant du champ d’application de cette disposition toutes les mesures pouvant intervenir après le prononcé de la peine. À cet égard, la Cour a rappelé qu’il était d’une importance cruciale que la Convention fût interprétée et appliquée d’une manière qui en rendît les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 175, CEDH 2012, et Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, § 104, 17 septembre 2009). Elle a aussi rappelé qu’elle n’excluait pas que des mesures prises par le législateur, des autorités administratives ou des juridictions après le prononcé d’une peine définitive ou pendant l’exécution de celle-ci pussent conduire à une redéfinition ou à une modification de la portée de la « peine » infligée par le juge qui l’a prononcée. En pareil cas, elle a estimé que les mesures en question devaient tomber sous le coup de l’interdiction de la rétroactivité des peines consacrée par l’article 7 § 1 in fine de la Convention (Del Rio Prada c. Espagne, no 42750/09, 21 octobre 2013). Mais la jurisprudence de la Cour concernant l’article 7 de la Convention est muette sur un éventuel effet rétroactif des changements législatifs favorables à des personnes en ce qui concerne l’exécution des peines auxquelles des accusés ont été définitivement condamnés. Le principe de légalité, tel qu’inscrit à l’article 7 de la Convention, n’implique aucune rétroactivité au bénéfice des condamnés à la suite d’un changement législatif postérieur à l’imposition définitive de la peine. Quand un pays (partie à la Convention) choisit d’attacher un tel effet à une loi postérieure à l’imposition d’une peine, cet effet ne peut donc, à mon sens, être interprété comme accordant une protection plus étendue au principe de légalité sans que, dans le même temps, la conception même du principe de légalité soit modifiée. C’est ici que le présent arrêt pourrait être source de confusion.
4. Le deuxième problème que je voudrais soulever concerne la subsidiarité. En l’espèce, le niveau du contrôle exercé par la Cour sur le terrain de l’article 6 de la Convention a dépassé celui qu’elle exerce habituellement et est allé bien au-delà de l’examen du caractère prétendument arbitraire ou manifestement déraisonnable des décisions judiciaires en cause (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61-62, CEDH 2015). De plus, sous l’angle de l’article 7 de la Convention, la Cour n’agit généralement pas comme une « juridiction de quatrième instance » en substituant sa propre interprétation du droit national à celle des tribunaux internes (voir Huhtamäki c. Finlande, no 54468/09, § 52, 6 mars 2012, Société Colas Est et Autres c. France, no 37971/97, § 43, CEDH 2002-III, et, mutatis mutandis, Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002). Eu égard au principe général selon lequel c’est au premier chef aux juridictions nationales elles-mêmes qu’il incombe d’interpréter la législation interne, la Cour, suivant en cela la Commission, ne met en cause l’appréciation des tribunaux nationaux que dans les cas de violation flagrante de cette législation (Coëme et autres, précité, § 98 in fine, et T.S. et F.S. c. Italie, no 13274/87, décision de la Commission du 6 septembre 1990, Décisions et rapports 66, p. 164). L’approche adoptée par la Cour consiste donc habituellement à examiner la clarté du libellé des règles nationales et celle de leur interprétation par les juridictions internes, ainsi que leur caractère prévisible pour le requérant (Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, § 63, CEDH 2015, et Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 103 et 117, CEDH 2013).
5. La conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans le présent arrêt se fonde sur une interprétation du droit national différente de celle à laquelle les juridictions andorranes ont procédé. Dans la loi qualifiée 9/2005 du 21 février 2005 relative au code pénal, l’article 7, intitulé « Application de la loi pénale dans le temps », énonce que les lois pénales favorables à l’accusé ont des effets rétroactifs. En cas de doute sur la question de savoir laquelle des lois est la plus favorable, la question ne peut être tranchée sans que l’accusé ait été entendu. De plus, lorsqu’une nouvelle loi réduit la peine ou la mesure de sécurité prévue pour une infraction, la personne condamnée en application de la loi antérieure bénéficie également de la disposition la plus favorable. Dans un tel contexte, il pourrait être important d’opérer une distinction entre les peines principales et les peines accessoires et entre les peines prévues pour une infraction et les règles plus générales gouvernant les peines. Le tribunal doit réviser d’office le jugement qu’il a prononcé si celui-ci est affecté par la nouvelle loi plus favorable. Le point de savoir si cette règle est applicable non seulement aux peines et aux mesures de sécurité, comme le dispose la loi qualifiée 9/2005, mais aussi aux peines accessoires relève, à mes yeux, du droit national. Les autorités juridiques nationales ont jugé que la règle de révision d’office du jugement n’était pas applicable lorsqu’une loi postérieure réduisait (de manière générale) le maximum des peines accessoires. En outre, les dispositions transitoires concernant la possibilité d’introduire un recours en révision, dans la forme établie par les articles 253 et suivants du code de procédure pénale, ne prévoient pas de révision pour les peines accessoires non considérées comme des peines privatives de liberté. Il n’est donc pas surprenant que la saisine par le requérant de la Cour constitutionnelle ait été vaine. Mais la majorité de notre chambre a été d’un autre avis et a donné sa propre interprétation du droit andorran.
6. Je ne dis pas que l’avis contraire de la Cour en ce qui concerne l’exécution des peines accessoires n’est pas susceptible d’avoir des effets favorables pour un condamné sous l’angle d’autres droits fondamentaux, ici par exemple sous celui de l’article 8 de la Convention. Il va sans dire que la peine d’interdiction d’exercer sa profession pouvait avoir un impact négatif sur la vie de la personne condamnée, comme la Cour constitutionnelle l’a observé à juste titre. Mais là n’était pas la question. Indépendamment de l’analyse ci-dessus, il ne me semble pas judicieux d’annuler d’office une interdiction définitive d’exercer la médecine sans prendre en compte les intérêts des patients du médecin en cause. On peut imaginer qu’aucune procédure disciplinaire n’a été engagée contre le gynécologue en question – ou contre un autre praticien dans des circonstances similaires – parce que l’interdiction définitive d’exercer la médecine qui a été prononcée enlevait toute nécessité à une telle procédure.