La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/01/2016 | CEDH | N°001-159761

CEDH | CEDH, AFFAIRE CĂTĂLIN EUGEN MICU c. ROUMANIE, 2016, 001-159761


QUATRIEME SECTION

AFFAIRE CATALIN EUGEN MICU c. ROUMANIE

(Requête no 55104/13)

ARRÊT

STRASBOURG

5 janvier 2016

DÉFINITIF

05/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cătălin Eugen Micu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,
Nona Tsot

soria,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibé...

QUATRIEME SECTION

AFFAIRE CATALIN EUGEN MICU c. ROUMANIE

(Requête no 55104/13)

ARRÊT

STRASBOURG

5 janvier 2016

DÉFINITIF

05/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cătălin Eugen Micu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,
Nona Tsotsoria,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55104/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Cătălin Eugen Micu (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 février 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me H.A. Paidiu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant dénonce en particulier une violation de l’article 3 de la Convention en raison, plus particulièrement, de la surpopulation carcérale subie pendant sa détention à la prison de Bucarest-Jilava, de sa contamination par l’hépatite C qui serait survenue dans cet établissement et d’une absence de traitement médical en détention pour cette maladie.

4. Le 13 juin 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1973 et est détenu à la prison de Drobeta Turnu Severin.

6. Le 28 octobre 2009, le requérant fut placé en détention à la suite de sa condamnation pénale à une peine d’emprisonnement de dix ans pour viol. Depuis cette date, il a purgé sa peine dans plusieurs prisons de Roumanie.

A. Les conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava

7. Le requérant a été détenu à la prison de Bucarest-Jilava du 14 septembre 2012 au 6 juin 2014, à l’exception des périodes pendant lesquelles il a été admis à l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava (paragraphes 16, 20 et 26 ci-dessous). Il a été par la suite transféré à la prison de Drobeta Turnu Severin. Le 28 août 2014, le requérant a été réincarcéré à la prison de Bucarest-Jilava. Le 20 août 2015, le requérant fut transféré à nouveau à la prison de Drobeta Turnu Severin.

1. Les conditions matérielles de détention telles que décrites par le requérant

8. Le requérant indique que, à la prison de Bucarest-Jilava, il a été détenu dans une cellule de 33,96 m² occupée par vingt-sept détenus. La cellule aurait été pourvue de quatre tables et six chaises. Les repas auraient été servis dans la cellule et les deux plats les composant auraient été présentés simultanément aux détenus. Le nombre de tables et de chaises aurait été insuffisant et l’espace aurait été très réduit, de sorte que le requérant aurait été obligé de prendre ses repas dans des conditions pénibles.

9. Le requérant indique que la cellule disposait d’une salle de bains dotée de deux toilettes, de deux lavabos et de deux douches.

2. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

10. Le Gouvernement indique que, pendant sa détention à la prison de Bucarest-Jilava jusqu’au 6 juin 2014, le requérant a été détenu successivement dans dix‑huit cellules d’une superficie comprise entre 34,78 m² et 72,85 m², qu’il a dû partager avec un nombre variable de détenus allant de quatorze à quarante‑cinq. Ainsi, par exemple, le requérant aurait partagé pendant sept jours une cellule de 72,85 m² accueillant entre quatorze et quarante-cinq détenus. De même, pendant neuf mois, le requérant aurait été détenu dans une cellule de 43,43 m² en même temps que vingt-trois à vingt-sept détenus. Le Gouvernement précise que le requérant a été détenu sous le régime dit « semi-ouvert ».

11. Le Gouvernement fournit les dimensions des fenêtres de chaque cellule. Il indique que les cellules étaient dotées de lits en métal disposant de matelas, de tables, de chaises et d’étagères. Il indique aussi que, à partir de l’année 2011, plusieurs travaux de modernisation ont été entrepris dans la prison, comme par exemple, la rénovation des installations électriques, de la tuyauterie, des cadres des portes et des fenêtres. De même, dans le cadre de ces travaux, les espaces sanitaires auraient été séparés des espaces de vie des cellules et les installations sanitaires auraient été remplacées.

12. Le Gouvernement expose que les cellules bénéficiaient de lumière naturelle et artificielle et que des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées régulièrement. D’après le Gouvernement, l’eau froide était disponible en continu et les détenus pouvaient bénéficier de l’eau chaude dans les espaces communs auxquels ils auraient eu accès deux fois par semaine.

13. Le Gouvernement indique que, le 19 mars 2015, l’administration de la prison a proposé au requérant de le transférer dans une autre cellule et que, par une note signée par lui, l’intéressé a répondu qu’il souhaitait rester dans la cellule E4.32, où il se trouvait, et conserver le lit qui lui avait été attribué.

B. Le suivi de l’état de santé du requérant

14. Il ressort de la fiche médicale établie lors du placement en détention du requérant, le 28 octobre 2009, que ce dernier était « cliniquement sain » (clinic aparent sănătos).

15. Du 26 mai au 9 juin 2011, le requérant fut hospitalisé à l’hôpital‑prison de Bucarest-Rahova où il subit, le 3 juin 2011, une intervention chirurgicale pour une hernie inguinale droite.

16. Du 2 au 8 octobre 2012, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava pour des troubles digestifs. Il fut intégré dans un programme de dépistage des affections digestives et hépatiques. À la suite d’un contrôle médical réalisé pour évaluer les marqueurs viraux des hépatites, il fut établi que le requérant souffrait de l’hépatite virale C (purtator VHC). Une analyse biochimique du sang fut réalisée ; ses résultats relevèrent que les valeurs des enzymes ALAT, ASAT et GGT et de la bilirubine totale étaient normales.

17. Dans une note résumant les examens médicaux réalisés pendant l’hospitalisation du requérant (scrisoare medicală), le médecin qui avait suivi l’intéressé indiqua que celui-ci présentait une bonne évolution de ses affections et qu’aucun examen supplémentaire n’était nécessaire à ce stade‑là. Il recommanda au requérant de suivre une diète alimentaire et d’éviter de fumer. Il lui prescrivit un traitement médical symptomatique, des hépatoprotecteurs et une vitaminothérapie, avec la mention que ceux-ci devaient être administrés « en cas de besoin » (la nevoie). Une réévaluation de l’état de santé du requérant fut prévue dans les six mois.

18. Le requérant bénéficia d’un régime alimentaire spécifique pour les personnes malades (norma 18). Pendant les mois de janvier, de février et de mars 2013, il reçut un traitement avec des hépatoprotecteurs.

19. Le 21 février 2013, le requérant refusa d’être hospitalisé pour la réévaluation de son état de santé. Il ne ressort pas de sa fiche médicale quelles étaient les raisons invoquées par lui pour justifier son refus. Il en ressort en revanche que son état de santé devait être réévalué dans les six mois.

20. Du 5 au 8 août 2013, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava pour un réexamen de ses fonctions hépatiques. Les analyses de sang réalisées relevèrent que les valeurs des enzymes ALAT et ASAT étaient légèrement supérieures à la normale. Lors de la sortie de l’hôpital, il fut recommandé au requérant de suivre un traitement avec des hépatoprotecteurs, une vitaminothérapie et un traitement symptomatique, à administrer en cas de besoin. Il lui fut également conseillé une réévaluation de son état de santé dans les six mois.

21. Le requérant continua à bénéficier du régime alimentaire spécifique pour les personnes malades. Pendant les mois d’août, d’octobre et de décembre 2013, il bénéficia d’un traitement avec des hépatoprotecteurs. Il ressort de la liste des consultations médicales du requérant que, à la suite d’un examen médical du 9 décembre 2013 à la prison de Bucarest-Jilava, il avait été recommandé à l’intéressé une consultation médicale pour l’hépatite C à l’hôpital public Ion Cantacusino.

22. À la fin du mois de décembre 2013 et en janvier 2014, le requérant reçut un traitement avec un hépatoprotecteur et des vitamines.

23. Le 14 janvier 2014, le requérant refusa d’être hospitalisé pour la réévaluation de son état concernant l’hépatite C. Le 19 janvier 2014, le requérant fut examiné par un médecin spécialisé en maladies internes qui nota qu’il présentait un bon état général.

24. Le 28 janvier 2014, le requérant fut examiné par le médecin de la prison. Celui-ci nota le diagnostic de « hépatopathie en observation » et indiqua que le requérant affirmait avoir eu des vomissements. Un traitement avec un antispasmodique fut prescrit et administré au requérant.

25. Le 13 février 2014, le requérant se plaignit de palpitations. Il fut examiné par le médecin de la prison qui lui recommanda un examen cardiologique.

26. Du 18 au 21 février 2014, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne et de cardiologie de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava au motif qu’il nécessitait une surveillance médicale pour des douleurs rétrosternales et qu’il était un patient présentant un facteur de risque étant donné qu’il était fumeur. Un électrocardiogramme et une prise de sang furent réalisés. L’analyse biochimique du sang révéla que l’enzyme ALAT atteignait une fois et demie la limite supérieure de la normale, que l’enzyme ASAT était légèrement supérieure à la normale et que la valeur de l’enzyme GGT était normale.

27. Une attestation médicale établie à la fin de l’hospitalisation indiqua que le requérant présentait un angor intriqué (angor intricat de novo) et une hépatopathie probablement toxique (hepatopatie posibil toxică). Le requérant se vit prescrire un traitement pour son affection cardiaque, ainsi qu’un traitement avec un hépatoprotecteur pendant un mois.

28. En mars 2014, la prison fit les démarches nécessaires pour l’achat de l’hépatoprotecteur qui fut effectivement administré au requérant au début et à la fin du mois de mai 2014. Il ressort du dossier médical du requérant que celui-ci avait reçu un traitement médical à base d’hépatoprotecteurs en juin et juillet 2014.

C. La plainte du requérant auprès du juge délégué de la prison de Bucarest-Jilava

29. Entre-temps, le 2 août 2013, le requérant avait saisi le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava d’une plainte pour dénoncer les conditions matérielles de sa détention et une absence de traitement médical pour l’hépatite C.

30. Par une décision du 19 août 2013, le juge délégué rejeta sa plainte. Il confirma les allégations du requérant selon lesquelles l’intéressé était détenu dans une cellule de 33,96 m² occupée par vingt-sept détenus et dotée de quatre tables et six chaises. Il estima ensuite que l’administration de la prison avait fait des efforts pour aménager la cellule, relevant que celle-ci avait été rénovée récemment. Il indiqua que le groupe sanitaire était séparé de la cellule et que cette dernière bénéficiait de lumière naturelle et artificielle. Il releva que l’existence des lits superposés à trois niveaux dans la cellule était due à une cause objective, à savoir à l’augmentation du nombre des personnes détenues et non pas à la mauvaise volonté de l’administration de la prison.

31. Pour ce qui était du traitement médical accordé au requérant, le juge nota que l’intéressé bénéficiait du régime alimentaire spécifique accordé aux personnes malades et qu’un traitement et une vitaminothérapie allaient lui être administrés.

32. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 4 décembre 2013, le tribunal de première instance de Bucarest confirma la décision susmentionnée du juge délégué en date du 19 août 2013.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

33. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

34. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisa :

« § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.

En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »

35. Dans son rapport, publié le 24 novembre 2011 à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le CPT a conclu que le taux de surpopulation des établissements pénitentiaires restait un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les quarante-deux établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 et le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements.

36. Dans son dernier rapport publié le 24 septembre 2015 à la suite de sa visite du 5 au 17 juin 2014 dans trois prisons de Roumanie, le CPT a relevé que le surpeuplement demeurait un problème important dans les établissements pénitentiaires du pays. Il nota qu’au moment de la visite, la population carcérale s’élevait à 32 428 détenus pour 19 427 places et fit appel aux autorités roumaines afin de prendre les mesures qui s’imposaient en vue de respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu en cellules collectives dans deux des trois prisons visitées.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

37. Le requérant dénonce la surpopulation carcérale subie pendant sa détention à la prison de Bucarest-Jilava. Il se plaint en outre d’avoir contracté l’hépatite C en prison et de ne pas avoir reçu de traitement médical adéquat pour cette maladie. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

38. Se référant à la déclaration du requérant par laquelle celui-ci indiquait vouloir rester dans la cellule E4.32 (paragraphe 13 ci-dessus), le Gouvernement estime que l’intéressé a perdu le droit de se plaindre devant la Cour des conditions de détention régnant dans cette cellule, ainsi que la qualité de victime d’une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention à raison de la surpopulation carcérale et des conditions d’hygiène.

39. Le requérant réplique qu’il n’a jamais indiqué dans sa déclaration du 19 mars 2015 que la cellule E4.32, qu’il ne voulait pas quitter, respectait les conditions requises par l’article 3 de la Convention. Il ajoute que, lorsqu’il a été placé dans cette cellule, celle-ci était très sale et pleine de moisissures et qu’à présent elle est beaucoup plus propre, même si d’après lui elle reste surpeuplée en raison du nombre élevé de lits s’y trouvant.

40. La Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance des griefs du requérant et décide de la joindre au fond. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Sur les conditions matérielles de détention

a) Les arguments des parties

41. Le requérant dénonce les mauvaises conditions de détention qu’il aurait subies à la prison de Bucarest-Jilava. Il indique qu’aucune mesure n’a été prise par les autorités pour améliorer ses conditions de détention.

42. Le Gouvernement renvoie à sa description des conditions matérielles de détention (paragraphes 10 à 12 ci-dessus). Il ajoute que l’intéressé exécute sa peine sous le régime dit « semi-ouvert » et qu’il pourrait bénéficier d’une remise en liberté conditionnelle en septembre 2015.

43. Par une lettre du 18 septembre 2015, le requérant a informé la Cour que sa demande de remise en liberté conditionnelle avait été ajournée pour le 15 mars 2016.

b) L’appréciation de la Cour

44. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).

S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Bahnă c. Roumanie, no 75985/12, § 44, 13 novembre 2014 et Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001–II). Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).

45. Faisant application des principes susmentionnés à la présente affaire, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel dont le requérant disposait à la prison de Bucarest-Jilava pendant la période allant du 14 septembre 2012 au 6 juin 2014. Il est vrai que le requérant a été réincarcéré dans la même prison du 28 août 2014 au 20 août 2015. Cela étant, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur cette dernière période étant donné que les parties ne lui ont fourni aucune description des conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava concernant la période susmentionnée. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle est consciente des difficultés objectives qu’un détenu rencontre pour rassembler des preuves pour étayer son grief concernant les conditions de détention. Compte tenu des restrictions imposées par le régime carcéral, on ne peut pas s’attendre à ce que les détenus fournissent des photos de leurs cellules ou préciser les mensures exactes de celles-ci, ni la température ou leur luminosité. Cependant, l’intéressé doit présenter une description détaillée des conditions de détention, en indiquant des éléments spécifiques, comme par exemple les dates de ses transferts entre les différentes structures, ce qui permettrait à la Cour de déterminer si le grief n’est pas manifestement mal fondé ou irrecevable pour une toute autre raison. Seule une description crédible et raisonnablement détaillée des conditions de détention alléguées comme étant dégradantes constitue prima facie un cas de mauvais traitement et sert de base pour communiquer le grief au Gouvernement défendeur (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 122, 10 janvier 2012).

46. La Cour observe que, selon les données communiquées par le Gouvernement, le requérant disposait la plupart du temps d’un espace personnel inférieur à 2 m². Cet espace était, en réalité, encore plus réduit du fait de la présence du mobilier (voir, mutatis mutandis, Iamandi c. Roumanie, no 25867/03, §§ 59 et 60, 1er juin 2010). La Cour conclut que le requérant a vécu pendant plus d’un an et neuf mois dans un espace personnel très réduit au sein de la prison précitée.

47. La Cour note en outre que, en mars 2015, les autorités ont proposé au requérant de le transférer dans une autre cellule et que l’intéressé a décliné cette offre (paragraphe 13 ci-dessus). Elle rappelle toutefois qu’elle n’examinera pas les conditions correspondant à la détention du requérant après le 28 août 2014 (paragraphe 45 ci-dessus). Par ailleurs, elle relève que le Gouvernement n’a pas fourni des détails sur les conditions matérielles de détention qui existaient dans la cellule proposée au requérant. Dès lors, elle ne peut pas spéculer sur l’impact que le transfert proposé aurait pu avoir sur la situation personnelle du requérant et, partant, sur la qualité de victime de celui-ci devant elle.

48. Pour la Cour, eu égard à l’état de surpopulation carcérale et à la durée de la privation de liberté du requérant, les conditions de détention subies par ce dernier à la prison de Bucarest-Jilava ont dépassé par conséquent le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant dans la prison de Bucarest-Jilava (Banu c. Roumanie, no 60732/09, §§ 36‑37, 11 décembre 2012, Iacov Stanciu, précité, Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, 12 avril 2011, et Scarlat c. Roumanie, nos 68492/10 et 68786/11, § 23 juillet 2013).

49. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement et estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison de la surpopulation carcérale.

2. Sur la contamination par l’hépatite C et le défaut de traitement médical allégués

a) Les arguments des parties

50. Le requérant se plaint d’avoir contracté le virus de l’hépatite C en prison et de ne pas avoir bénéficié d’un traitement médical adéquat pour cette maladie, sans toutefois présenter des commentaires sur le traitement médical fourni.

51. Le Gouvernement indique qu’il n’existe aucune preuve que le requérant ait contracté le virus de l’hépatite C en prison. Il admet qu’aucune mention de cette maladie n’a été faite dans la fiche médicale établie lors du placement en détention de l’intéressé. Il explique toutefois que cette fiche a été dressée sur la base des informations fournies par le requérant et d’un examen clinique général.

52. Le Gouvernement indique ensuite que, après l’établissement du diagnostic d’hépatite C, le requérant a été régulièrement suivi par un médecin spécialiste et qu’il s’est vu prescrire un traitement médical par ce dernier. Il précise que les recommandations des médecins consistaient en un traitement à administrer « en cas de besoin » et non pas de manière permanente. Il indique qu’en l’espèce le requérant a bénéficié du traitement prescrit et du régime alimentaire préconisé et qu’il a refusé à plusieurs reprises d’être hospitalisé.

53. Le Gouvernement expose enfin que le requérant n’a soumis devant la Cour aucun document susceptible de prouver une dégradation de son état général de santé liée au défaut de traitement médical allégué. Il argue que les éventuelles défaillances des autorités dans l’administration du traitement médical n’auraient concerné que des périodes très courtes.

b) L’appréciation de la Cour

54. S’agissant des personnes privées de liberté, la Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État l’obligation d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Soukhovoy c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, § 68, 27 novembre 2014). Cette obligation positive requiert que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier soient assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX).

55. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII et Helhal c. France, no 10401/12, § 48, 19 février 2015). La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à la situation particulière de celui‑ci (Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité du traitement avec les exigences de l’article 3 de la Convention. Ces deux facteurs ne sont pas évalués par la Cour en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu. En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas, en soi, un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examinera à chaque fois si la détérioration de l’état de santé de l’intéressé était imputable à des lacunes dans les soins médicaux dispensés (Cirillo c. Italie, no 36276/10, § 37, 29 janvier 2013).

i. Quant à la contamination alléguée par le virus de l’hépatite C en prison

56. Se tournant vers la présente affaire, la Cour note qu’en octobre 2012 les médecins ont dépisté l’hépatite C chez le requérant et que celui-ci allègue avoir contracté cette maladie en prison. La Cour considère d’abord que les exigences qui pèsent sur l’État concernant l’état de santé d’un détenu peuvent être différentes s’il s’agit d’une contamination avec une maladie transmissible (voir, par exemple, Fűlöp c. Roumanie, no 18999/04, § 34, 24 juillet 2012 et Ghavtadze c. Géorgie, no 23204/07, § 86, 3 mars 2009 dans lesquelles les requérants alléguaient avoir contracté la tuberculose en prison) ou d’une maladie non‑transmissible (voir, l’affaire Iamandi c. Roumanie, no 25867/03, § 65, 1er juin 2010 dans laquelle le requérant souffrait de diabète). La Cour estime que la propagation des maladies transmissibles et, notamment, de la tuberculose, de l’hépatite et du VIH/SIDA, devrait constituer une préoccupation de santé publique majeure, surtout dans le milieu carcéral. À ce sujet, la Cour estime qu’il serait souhaitable que, avec leur consentement, les détenus puissent bénéficier dans un délai raisonnable après leur admission en prison de tests gratuits de dépistage concernant les hépatites et le VIH/SIDA (voir, en ce sens, Jeladze c. Géorgie, no 1871/08, § 44, 18 décembre 2012 où la Cour avait estimé que le retard de trois ans avant de soumettre le requérant à un dépistage de l’hépatite C constituait une négligence de l’État quant à ses obligations générales de prendre les mesures effectives afin de prévenir la transmission de l’hépatite C ou d’autres maladies transmissibles en prison). Une telle possibilité aurait pu avoir des conséquences sur la charge de la preuve en la matière. Faute d’une telle possibilité ouverte au requérant, la Cour doit examiner les allégations selon lesquelles l’intéressé a contracté l’hépatite C en prison à la lumière des preuves fournies au dossier par l’intéressé.

À cet égard, la Cour note que, lors du placement en détention du requérant en octobre 2009, la fiche médicale établie ne mentionnait pas que l’intéressé souffrait de cette maladie (paragraphe 14 ci-dessus). Selon les documents fournis au dossier de l’affaire devant la Cour, aucun examen par prise de sang n’a été réalisé lors de l’incarcération de l’intéressé pour vérifier si celui-ci était porteur du virus de l’hépatite C. De plus, selon les affirmations du Gouvernement non infirmées par le requérant, la fiche médicale précitée a été complétée en prenant en compte les déclarations de ce dernier. Par conséquent, la Cour estime que les allégations du requérant selon lesquelles il a contracté l’hépatite C en prison ne sont pas étayées par des preuves suffisantes (Vartic c. Roumanie (no 2), no 14150/08, §§ 61 et 62, 17 décembre 2013). Qui plus est, il n’y a pas d’éléments dans le dossier qui pourraient permettre d’indiquer à quel moment et de quelle manière le requérant a contracté l’hépatite C (Ghavtadze, précité, § 79). Dès lors, bien que la maladie en question ait été dépistée alors que le requérant était sous la responsabilité de l’État, la Cour ne peut pas en déduire que cette pathologie a résulté d’un manquement de l’État à ses obligations positives.

ii. Quant au suivi médical et au traitement dispensé en prison pour l’hépatite C

57. La Cour doit examiner à présent si l’État défendeur a satisfait à son obligation positive de fournir au requérant un traitement approprié pour la maladie dont il souffrait.

58. À ce sujet, elle rappelle avoir déjà jugé que, lorsqu’une personne détenue se voit établir un diagnostic d’hépatite C, les autorités doivent prendre le soin d’apprécier la nécessité de réaliser d’autres analyses appropriées qui, elles, permettront d’arrêter le traitement thérapeutique à suivre et d’apprécier les chances de guérison (Poghossian c. Géorgie, no 9870/07, § 57, 24 février 2009 ; concernant les symptômes de l’hépatite virale C, voir Testa c. Croatie, no 20877/04, § 10, 12 juillet 2007).

59. La Cour note en l’espèce que, une fois le diagnostic d’hépatite C établi, le requérant a été suivi par un médecin qualifié. Elle remarque qu’après avoir évalué son état de santé, le médecin a décidé, sur la base des examens médicaux réalisés, qu’il n’était pas nécessaire de procéder à des examens supplémentaires et a prescrit au requérant un traitement médical à administrer en cas de besoin (paragraphe 17 ci-dessus).

60. Pour ce qui est notamment du suivi médical du requérant, la Cour observe qu’il devait consister principalement en des examens périodiques, à la suite desquels les médecins pouvaient analyser les données recueillies et adapter le cas échéant le traitement à administrer par les médecins des établissements pénitentiaires. Il ressort en effet du dossier médical que le requérant a été hospitalisé à quatre reprises à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest-Jilava pour une réévaluation de son état de santé (paragraphes 20, 21, 24 et 26 ci-dessus). La Cour relève toutefois que le requérant n’a pas toujours collaboré avec les autorités pour la mise en œuvre du suivi médical nécessaire (voir, a contrario, Cirillo, précité, § 47). Cette absence de collaboration est prouvée en l’espèce par le dossier médical du requérant dans lequel figurent les refus de ce dernier de se soumettre à des examens médicaux recommandés par les médecins (paragraphes 19 et 23 ci‑dessus).

61. Concernant le traitement médical administré, la Cour observe que, lors des examens d’octobre 2012 et d’août 2013, le médecin avait prescrit au requérant une thérapie à administrer « en cas de besoin » et que des hépatoprotecteurs avait été fournis à l’intéressé (paragraphes 18, 21 et 22 ci‑dessus). La Cour note également que, lors de son hospitalisation en février 2014, le requérant s’était vu prescrire un traitement avec un hépatoprotecteur pendant un mois (paragraphe 27 ci-dessus), mais que le médicament en question lui avait été fourni avec un certain retard (paragraphe 28 ci-dessus). Néanmoins, la Cour relève que l’intéressé n’a pas été privé de médicaments pendant une longue période et qu’il n’a pas soutenu devant elle que son état de santé s’était dégradé pendant cette période en raison de l’absence de ce traitement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour estime qu’en l’espèce, les autorités ont satisfait à leur obligation d’assurer au requérant le traitement médical adapté à sa pathologie.

62. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention, à l’égard du requérant, en raison d’une contamination par l’hépatite C ou d’une défaillance dans le suivi médical en prison.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

64. Le requérant réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

65. Le Gouvernement considère que la somme sollicitée est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

66. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 4 350 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

67. Le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement quant à l’absence de qualité de victime et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est de la contamination par l’hépatite C et l’absence alléguée de suivi et traitement médicaux ;

5. Dit :

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 4 350 EUR (quatre mille trois cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıAndrás Sajó
Greffière adjointe Président


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award