DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BAMOUHAMMAD c. BELGIQUE
(Requête no 47687/13)
Cette version a été rectifiée le 26 janvier 2016
conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.
ARRÊT
STRASBOURG
17 novembre 2015
DÉFINITIF
17/02/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bamouhammad c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Işıl Karakaş, présidente,
Paul Lemmens,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Ksenija Turković,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47687/13) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant français, M. Farid Bamouhammad (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Mes M. Nève et E. Berthe, avocats à Liège, Me C. Moreau, avocate à Bruxelles, et Me T. Moreau, avocat à Nivelles.[1] Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue avoir été soumis en prison à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention dont il a résulté une détérioration de son état de santé mentale. Il se plaint également de ne pas avoir bénéficié de recours effectif conforme à l’article 13 de la Convention pour faire valoir ce grief.
4. Le 6 janvier 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 1er octobre 2014, la présidente de la section à laquelle l’affaire fut attribuée a décidé de traiter l’affaire par priorité. Le 28 novembre 2014, elle a en outre décidé d’appliquer l’article 39 du Règlement de la Cour.
5. Par une lettre du 10 janvier 2014, le gouvernement français fut informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du Règlement de la Cour. Par une lettre du 3 février 2014, le gouvernement français informa la Cour qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervention.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1967 et réside à Wanfercée-Baulet.
7. Entre 1984 et 1997, le requérant fut condamné en Belgique à plusieurs reprises à des peines d’emprisonnement de longue durée pour assassinat et tentatives d’assassinat, vol, vol avec violence, prise d’otage, destructions d’édifices publics, port illégal d’armes, etc.
8. Le 5 janvier 2000, alors qu’il bénéficiait d’une suspension de peine en vue de son éloignement du territoire, le requérant fut arrêté pour des faits de prise d’otages, enlèvement de mineure – sa fille de moins de 16 ans –, et port illégal d’arme. Il fut ensuite condamné pour ces faits, le 11 janvier 2002, à cinq années de prison par le tribunal correctionnel de Bruxelles.
9. Cette condamnation entraîna la révocation de la suspension de peine et l’obligation pour le requérant de purger le reliquat des peines précédentes.
10. Au cours d’une permission de sortie en 2005, le requérant commit une nouvelle prise d’otages sur sa fille, sa belle-mère et sa belle-sœur et blessa gravement un policier. Il fut condamné à neuf ans de prison par la cour d’appel de Liège le 4 avril 2008.
11. Il existe un titre de détention à l’égard du requérant jusqu’en 2026.
12. Un rapport approfondi du service psychosocial de la prison de Jamioulx établi le 4 décembre 2012 résumait le parcours institutionnel du requérant comme suit :
« [Le requérant] a eu un parcours atypique marqué par une institutionnalisation massive depuis son plus jeune âge : depuis janvier 1983 (depuis l’âge de ses 16 ans), à savoir depuis presque 30 ans à ce jour, l’intéressé a connu moins de trois ans de liberté. Les quatre libérations obtenues (...) se sont soldées par des réincarcérations (...). Antérieurement à ces détentions, l’intéressé avait été placé en institution dès l’âge de 7 ans puis en institutions publiques de protection de la jeunesse dès ses 14 ans. »
A. Événements liés à la détention du requérant entre janvier 2006 et novembre 2014
1. Transfèrements et régimes de détention
a) Période allant de janvier 2006 à décembre 2007
13. Le requérant fit l’objet à partir de janvier 2006 de
dix-sept transfèrements successifs d’une prison à l’autre. Les transferts étaient espacés de trois semaines à deux mois.
14. À plusieurs reprises, le requérant se vit imposer, en raison d’incidents disciplinaires liés à son comportement violent, des séjours dans un cachot ou dans le bloc sécurité de la prison. Ainsi, transféré le 6 décembre 2007 à la prison d’Ittre, le requérant adopta une attitude violente face au refus opposé par les agents pénitentiaires de lui fournir du tabac avant son entrée en cellule. Se sentant menacé physiquement, le personnel pénitentiaire fit tomber le requérant pour le maîtriser au sol et ordonna qu’il soit entravé aux poignets et chevilles. Le requérant fut ensuite placé au cachot jusqu’à son transfert le 16 décembre 2007, toujours entravé en raison de son refus de les ôter.
15. Dans un rapport relatif aux conditions de détention du requérant, la commission de surveillance de cette prison fit état des éléments suivants :
« - que deux membres de la Commission de surveillance ont rencontré ce détenu le 7 décembre 2007 et ont constaté́ qu’il était en cellule nue et entravé (pieds et mains menottés) et que la cellule n’était pas chauffée,
. que lorsqu’ils l’ont à nouveau rencontré le 13 décembre 2007, les mêmes membres, qui lors de leur visite précédente avaient interpellé les services pénitentiaires pour que la cellule soit chauffée, ont constaté que cette cellule était à présent chauffée, que [le requérant] était toujours en cellule nue et toujours entravé de la même manière, qu’il n’avait pas pu prendre de douche, ni changer de vêtements depuis son arrivée, qu’il avait la possibilité de se laver à l’évier mais très difficilement vu les entraves,
. que la Commission s’interroge sur la légitimité et l’opportunité d’imposer une mesure aussi contraignante et humiliante que le placement de menottes aux pieds et aux mains, alors que le détenu est placé en cellule nue et que les contacts avec les surveillants peuvent avoir lieu à travers les grilles de la seconde porte. »
b) Détention à Lantin du 16 décembre 2007 au 5 juin 2008
16. Le 16 décembre 2007, le requérant fut à nouveau transféré vers la prison de Lantin qui a une capacité totale d’accueil de 750 détenus et accueille en pratique souvent plus de 900 détenus. Dès son arrivée, il fut placé au quartier d’isolement de haute sécurité (« bloc U »).
17. À la suite de sanctions disciplinaires infligées pour divers incidents (bris de mobilier, menaces, agressivité, etc.), un « régime cellulaire strict » (« RCS ») fut imposé au requérant. Ce régime prévoyait une mise à l’isolement cellulaire ainsi que le port systématique de menottes, poignets dans le dos, à chaque sortie de cellule, y compris pour les visites en parloir ordinaire avec ses proches, les conversations téléphoniques et la douche qui avait lieu deux fois par semaine. Il prévoyait également que la grille dite « à l’américaine » de la cellule du requérant devait être fermée en permanence. La distribution des repas, de l’eau et du matériel ainsi que les visites des intervenants (représentants des cultes, services sociaux ou de soutien) se faisaient donc à travers la grille.
18. Avant toute ouverture de la cellule, le requérant devait remettre ses couverts en plastique, son stylo et sa brosse à dent au personnel, se déshabiller entièrement, se mettre dos à la grille afin qu’un agent puisse lui passer les menottes. Une fois la grille ouverte, le requérant faisait l’objet d’une fouille au corps face au mur, jambes écartées et menottes dans le dos. Ses vêtements étaient fouillés également. Il réintégrait sa cellule, menotté, plaçait ses mains pour que ses menottes soient enlevées et qu’il puisse se rhabiller. Une fois rhabillé, l’agent lui remettait les menottes et la grille s’ouvrait. Une fouille complète de la cellule était en outre effectuée chaque fois que le requérant était absent de sa cellule.
19. En raison des travaux effectués dans le bloc U où il était seul, le requérant fut transféré, à sa demande, à l’aile S de la prison à la cellule 7112. Pour tenir compte de la présence d’autres détenus, le RCS fut adapté.
20. Ce régime, tel que consigné dans une décision du directeur de la prison du 30 avril 2008 intitulée « régime de Bamouhammad occupant la 7112 », prévoyait que le requérant avait accès au téléphone à horaire fixe de 10h10 à 10h30 et entre 19h45 et 20h. Le requérant avait l’interdiction de tout contact avec les autres détenus et de toute activité communautaire de travail ou de formation collective et individuelle. Les activités qui lui étaient accordées étaient l’accès à un préau individuel une heure par jour au bloc U et l’accès à des cours par correspondance, à la bibliothèque et aux cultes individuels. La décision prévoyait également que le requérant avait droit à un crayon ainsi qu’à une radio cassette ou CD.
21. Le RCS perdura tout au long de l’incarcération du requérant à Lantin par la suite de sanctions disciplinaires imposées en raisons d’une succession d’altercations entre le requérant et le personnel de l’établissement.
c) Période allant du 5 juin 2008 au 30 novembre 2014
22. Le 5 juin 2008, le requérant fut transféré à la prison de Louvain central où il fut soumis à un régime de « sécurité » qui ne comportait pas le menottage systématique.
23. Le 26 août 2008, il fut transféré à la prison de Bruges. Son régime « sécurité » fit l’objet d’élargissement de ses activités sportives et de l’octroi de visites. À partir du 9 octobre 2008, le port de menottes ne lui fut plus imposé lors des déplacements dans la section.
24. Début mars 2009, faisant suite à une demande formulée par le requérant et relayée par l’ordonnance de référé du 8 juillet 2008 de la présidente du tribunal de première instance de Liège (voir ci-dessous), l’administration pénitentiaire le transféra à la prison de Namur.
25. Suite à un incident verbal et aux pressions exercées par les syndicats des agents pénitentiaires refusant la présence du requérant au sein de cet établissement, le requérant fut transféré le 23 juin 2009 vers la prison de Lantin.
26. De juin 2009 à janvier 2011, le requérant fit l’objet de plus d’une dizaine de transfèrements supplémentaires. À deux occasions en juin 2010, le transfert se fit à la demande du requérant au motif qu’il ne s’adaptait pas dans l’établissement. Dans les autres circonstances, les transferts furent décidés à la suite de tensions avec le personnel pénitentiaire et de pressions exercées par celui-ci sur la direction.
27. Le 21 janvier 2011, un programme de gestion de détention fut décidé par l’administration pénitentiaire, auquel les conseils du requérant marquèrent leur opposition. L’un des objectifs poursuivis était celui d’une programmation claire des transfèrements et « l’organisation d’une tournante entre quelques prisons selon le principe suivant : séjour de minimum trois mois, avec possibilité de prolongation de séjour si le comportement de l’intéressé se stabilise ». Parmi les autres modalités figuraient la désignation d’un service psychosocial pour suivre le requérant dans les différentes prisons, l’élaboration d’un programme d’occupation et la réalisation d’un bilan neurologique par le docteur D. qui devenait son médecin de référence.
28. Suite à l’adoption de ce système de rotation et jusqu’à sa suspension ordonnée le 6 septembre 2012 (voir paragraphe 50 ci-dessous), le requérant fit l’objet de neuf transfèrements. Certains transferts eurent lieu avant l’échéance du délai de trois mois à la suite de mouvements de grève du personnel généré par le comportement du requérant.
29. Après son départ de la prison de Lantin en juin 2008, le requérant fut placé, sur décisions successives des directeurs d’établissements pénitentiaires, prolongées de deux mois en deux mois, sous un « régime de sécurité particulier individuel » prévoyant une mise à l’isolement des autres détenus, tout en conservant le droit de participer aux activités de culte, de formation, de loisirs et de travail proposées par la prison dans la mesure compatible avec la sécurité. Plusieurs décisions mentionnèrent le souhait du requérant d’être seul dans une cellule. Pour le reste, les mesures coercitives évoluèrent avec le temps et selon l’établissement. À quelques exceptions en 2011 et 2012, le régime comprenait systématiquement des mesures de fouille des vêtements à chaque sortie ou après chaque visite, l’interdiction d’accès aux lieux communs, notamment le préau, et de prendre part aux activités communautaires, des restrictions d’accès au téléphone ainsi que le confinement des visites à un local pourvu d’une paroi transparente entre le requérant et le visiteur. Occasionnellement, une restriction fut imposée quant à l’usage de la douche et la surveillance spéciale du requérant comportant observation jour et nuit fut organisée.
30. La motivation de chaque décision se réfère au comportement généralement violent du requérant et aux tensions avec les tiers résultant le plus souvent de menaces verbales, à l’égard du personnel et des autres détenus, en particulier lors de l’arrivée dans un nouvel établissement et donc à la nécessité de préserver la sécurité et l’ordre. Plusieurs décisions soulignent que les tensions avec le personnel résultaient du fait que le requérant était un prisonnier plus exigeant que les autres. Sont systématiquement mentionnés, dans les mêmes termes, le souci d’éviter que le requérant soit mis en possession d’objets dangereux ou qu’il entre en conflit avec des tiers, ou encore la nécessité d’assurer l’intervention rapide des membres du personnel en cas de problème. À partir de 2011, les décisions se réfèrent aux rapports établis par le psychiatre référent, désigné en 2011, le docteur D. (voir ci-dessus, paragraphe 28), de l’avis duquel le maintien d’un régime particulier ne « sembl[ait] pas poser de problème » au requérant.
31. Du 6 avril au 22 novembre 2013, à la prison de Nivelles, le requérant fut détenu dans un cachot de 2 mètres sur 3 en isolement total. Une des décisions du directeur d’établissement de Nivelles fit état de ce que le requérant avait été confronté à des insultes, des menaces et des provocations de la part de détenus et de membres du personnel. Le docteur D., psychiatre référent, fit part dans un rapport établi le 22 août 2013 de sa préoccupation face au maintien du requérant dans un cachot aux conditions sanitaires médiocres, notamment en raison du manque d’aération. En décembre 2013, le requérant, toujours sous régime de sécurité particulier individuel, réintégra les quartiers ordinaires de la prison.
2. Procédures menées par le requérant
a) Procédures relatives aux sanctions disciplinaires
32. Saisi d’une demande de suspension d’une décision disciplinaire du 16 décembre 2007 imposant au requérant, pour la tenue d’une audience disciplinaire et l’entretien préalable avec son conseil, qu’il reste dans sa cellule derrière la porte grillagée, le Conseil d’État ordonna la suspension de ladite décision par un arrêt du 29 décembre 2007 au motif qu’elle portait atteinte aux droits fondamentaux du requérant et causait un préjudice grave difficilement réparable.
33. Par un arrêt du 22 février 2008, le Conseil d’État rejeta la demande de suspension d’une autre décision du 7 février 2008 imposant au requérant, pour la tenue d’une audience disciplinaire, une « fouille au corps » avant d’être menotté pour être conduit au parloir. La juridiction estima que le requérant, ayant refusé la fouille, était à l’origine de la situation.
b) Procédures relatives aux transfèrements et au régime de détention
i. Procédure pénale et demande en référé concernant la détention à la prison d’Ittre en 2007
34. Le 10 décembre 2007, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction du tribunal de première instance de Nivelles en raison des conditions de détention subies à la prison d’Ittre (voir paragraphe 14, ci-dessus). Il se plaignait d’avoir été mis au cachot et d’avoir été entravé par des menottes aux poignets et aux chevilles, de jour comme de nuit, ayant entraîné des blessures et l’impossibilité d’assurer sa toilette.
35. Par un jugement du 13 janvier 2014, le tribunal de première instance de Nivelles condamna le directeur de la prison d’Ittre et les agents pénitentiaires mis en cause pour avoir infligé des traitements dégradants au requérant. Il jugea également établies les préventions retenues à charge du requérant du chef d’avoir menacé de mort lesdits agents pénitentiaires et prononça une simple déclaration de culpabilité eu égard à la durée excessive de la procédure menée à son endroit.
36. Le 23 juin 2015, la cour d’appel de Bruxelles rendit un arrêt par lequel elle réforma le jugement entrepris et acquitta les agents pénitentiaires. Elle considéra que le requérant avait été à la base du traitement qui lui avait été infligé et qu’il s’était opposé, lui-même, à l’enlèvement des entraves. À l’égard du requérant, la cour d’appel confirma les préventions retenues à l’encontre du requérant ainsi que la simple déclaration de culpabilité prononcée en première instance.
ii. Demande en référé relative aux transferts et au régime de détention à la prison de Lantin
37. Le 22 mai 2008, alors qu’il était détenu à la prison de Lantin, le requérant cita l’État belge en référé devant la présidente du tribunal de première instance de Liège. Il demandait qu’il soit fait défense à l’État de lui imposer le menottage systématique, d’organiser les visites des intervenants à travers la grille, de prévoir des horaires d’accès au téléphone le privant de facto de toute communication avec ses conseils et de tolérer des faits de harcèlement à son égard. Il demandait qu’il soit fait injonction à l’État de lui accorder la visite d’un psychothérapeute, de lui accorder des soins médicaux, de lui permettre d’avoir des contacts avec les autres détenus à raison d’au moins une heure par jour et de lui permettre de disposer de matériel pour écrire.
38. Par une ordonnance du 8 juillet 2008, il fut fait interdiction de transférer le requérant à la prison de Lantin pendant un an. L’ordonnance obligeait l’État de maintenir le requérant, dans toute la mesure du possible, à la prison de Louvain central et de n’envisager son transfert qu’à la faveur d’un établissement de taille adaptée, comme la prison de Namur. Elle fit également droit aux prétentions du requérant quant à la visite d’un psychothérapeute et à la mise à disposition de matériel d’écriture.
39. L’État fit appel de cette ordonnance et le requérant forma appel incident. Dans ses conclusions additionnelles, le requérant fit valoir qu’il avait entretemps été transféré à la prison de Bruges où il était soumis à un régime cellulaire strict assorti de mesures d’ordre.
40. Par un arrêt du 2 mars 2009, la cour d’appel de Liège réforma l’ordonnance entreprise. La cour d’appel considéra que les mesures incriminées, que ce soit à la prison de Lantin ou à celle de Bruges, ne s’apparentaient pas à des traitements inhumains et dégradants mettant en cause les droits fondamentaux du requérant, mais tendaient simplement à mettre en œuvre des mesures de sécurité justifiées par son propre comportement. Au surplus, la cour d’appel releva qu’eu égard aux transferts du requérant dans d’autres prisons que celles de Lantin, les mesures urgentes et provisoires qu’il avait sollicitées étaient devenues sans objet, en sorte que la condition d’urgence justifiant la compétence du juge des référés n’existait plus.
iii. Action en responsabilité du fait des transferts et de la détention à la prison de Lantin
41. Entre-temps, le 26 janvier 2009, le requérant avait cité l’État devant le tribunal de première instance de Liège. La citation tendait à obtenir la condamnation pour faute de l’État du fait de sa détention à la prison de Lantin du 16 décembre 2007 au 5 juin 2008 dans des conditions s’apparentant à des traitements dégradants, à interdire les transferts incessants, à n’envisager son transfert qu’à la faveur d’un établissement de taille adaptée et à ordonner la visite d’un psychothérapeute tous les quinze jours ou selon ses besoins. Le requérant se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un soutien psychologique malgré ses demandes répétées et soutenait, rapports médicaux à l’appui (voir ci-dessous), qu’il en avait résulté une dégradation de son état de santé mentale.
42. Par un jugement du 22 mars 2010, le tribunal de première instance de Liège considéra que l’État avait commis une faute en violant l’interdiction de traitements inhumains et dégradants garantie par l’article 3 de la Convention. Le tribunal considéra que cette violation était constituée par le cumul des transferts en 2006 et 2007 ayant contribué à installer le syndrome de Ganser chez le requérant, du régime de détention à Lantin de décembre 2007 à juin 2008 et du placement pendant un an en régime de sécurité particulier individuel. Le tribunal condamna l’État à verser au requérant 5 000 euros au titre de dommage moral et à accorder, à sa charge, la visite d’un psychothérapeute. L’État interjeta appel le 30 mai 2010.
43. Par un arrêt du 24 novembre 2011, la cour d’appel de Liège réforma l’ordonnance entreprise et considéra que l’État n’avait pas commis de faute dans l’exercice de son pouvoir d’exécution des peines prononcées à l’égard du requérant.
44. Après avoir constaté que jusqu’à la mise en place du système de rotation de sécurité, il n’était pas « exagéré de dire que le [requérant] a été ballotté de prison en prison », la cour d’appel jugea que l’État avait dûment démontré que la cause principale des transferts, de leur nombre élevé et du système de rotation de sécurité résidait principalement dans le comportement violent et instable du requérant et qu’ils s’étaient avérés nécessaires pour des raisons de sécurité au regard des infractions commises et des incidents disciplinaires. La juridiction considéra que le lien causal entre les perturbations psychiques et physiques avérées du requérant et les transferts n’était pas suffisamment démontré, celles-ci résultant tout autant de la longueur de la détention, du contexte familial et de l’inadaptation sociale et psychologique du requérant au milieu carcéral.
45. S’agissant de la privation de contacts et d’activités, la cour d’appel constata que le requérant avait continué de bénéficier, malgré les transferts, des visites de sa famille, de ses conseils et de services sociaux ainsi que de contacts médicaux divers. Elle releva que le ministère de la Justice avait confié à un psychiatre le soin d’évaluer tous les deux mois la poursuite du régime d’isolement, que le requérant avait été suivi par les services psycho-sociaux de plusieurs prisons et qu’il était suivi depuis janvier 2011 par une équipe de référence dans les différents lieux de détention. Enfin, la juridiction constata que le régime s’était assoupli à partir du 30 avril 2008 et que le requérant avait disposé d’un stylo ou crayon, d’accès à des cours par correspondance et à la bibliothèque, de la possibilité d’écouter de la musique et de l’accès au préau individuel.
46. Étaient également justifiées dans l’intérêt du maintien de l’ordre et de la sécurité à la prison de Lantin le menottage systématique, la grille américaine ainsi que les fouilles à corps et la fouille systématique de la cellule. En ce qui concerne les faits de harcèlement à Lantin, la juridiction constata que s’il était acquis que le personnel avait eu à un moment donné un comportement inadapté, en tapant sur la porte de la cellule du requérant, il y avait été mis fin par le directeur. La cour d’appel conclut que, durant la détention à Lantin, l’administration avait respecté le juste équilibre entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au requérant des conditions humaines de détention.
47. Elle examina ensuite le maintien du régime de sécurité particulier individuel depuis le transfert à la prison de Louvain en juin 2008. Elle jugea que son adéquation à la personnalité du requérant était démontrée à suffisance et que si la prolongation de ce régime durant trois ans pouvait a priori poser problème au regard de la loi, l’évaluation qui en était faite n’avait pas permis un retour à une détention normale « nonobstant les améliorations tangibles observées chez [le requérant] dont l’agressivité semble avoir évolué sur le mode verbal plutôt que physique ». En conclusion, la cour d’appel ne relevait pas de traitement humiliant ou dégradant atteignant le minimum de gravité de nature à inspirer des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, à avilir et à briser la résistance physique ou morale de l’intimé qui ne présente pas à ce jour de maladie mentale.
48. Par un arrêt du 4 février 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant contre cet arrêt au motif que les moyens invoqués l’obligeaient à procéder à des vérifications ou à une appréciation de fait pour lesquelles elle était sans pouvoir.
iv. Procédures relatives au système de rotation
49. Le requérant introduisit le 1er août 2012, une nouvelle procédure en référé devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles. Il demandait que soit fait défense à l’État de poursuivre des transferts systématiques de trois mois en trois mois, voire de mois en mois, et d’ordonner son retour à la prison de Louvain ou son maintien dans sa prison d’attache, Jamioulx.
50. Par une ordonnance du 6 septembre 2012, le président ordonna à l’État, sous peine d’astreinte, de suspendre la politique de transfèrements du requérant et de « choisir une prison où il pourra bénéficier de l’encadrement existant propice à sa stabilisation ». Il motiva sa décision en ces termes :
« Dans la logique de l’engagement que l’administration pénitentiaire a souscrit le 21 janvier 2011, il lui appartenait de favoriser la stabilisation du demandeur. (...)
Or, plutôt que de poursuivre l’objectif fixé, [l’État] a maintenu et accentué la politique de transferts successifs sous la pression syndicale des agents pénitentiaires. (...)
Cette politique a eu des effets très néfastes sur l’état psychique du [requérant] (...) de nature à entraver sa réinsertion sociale en l’empêchant d’établir un plan de libération conditionnelle efficace et en conservant l’image d’un détenu ingérable, désespéré et donc dangereux et à perturber son suivi psychologique et ses relations familiales et amicales.
[Cette politique] constitue un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, en ce qu’elle a pour effet de nuire à la santé mentale du [requérant] et en ce qu’elle obéit à des pressions externes fondées sur des motifs certes légitimes mais étrangers à la situation du demandeur qui n’est que l’illustration ultime de la situation carcérale en Belgique. »
51. À la suite de l’appel formé par l’État contre l’ordonnance du 6 septembre 2012, la cour d’appel de Bruxelles considéra, dans un arrêt interlocutoire du 25 avril 2013, que les transferts trimestriels risquaient de porter atteinte au bien-être du requérant sans améliorer la qualité de ses relations avec les agents pénitentiaires, paraissaient « vides de sens » et pouvaient constituer un traitement inhumain et dégradant. Toutefois, ne s’estimant pas suffisamment informée, la cour d’appel chargea le docteur B. de donner un avis sur l’impact qu’avaient eu et que pourraient avoir sur la santé mentale du requérant les transfèrements successifs.
52. Par un arrêt du 6 décembre 2013, la cour d’appel de Bruxelles confirma l’ordonnance rendue en 2012 en référé et enjoignit l’État, à titre provisoire et sous peine d’astreinte, d’une part, de suspendre la politique de transfèrement et de choisir une prison dans laquelle le requérant pourrait bénéficier d’un encadrement propice à sa stabilisation, et, d’autre part, de détenir le requérant ailleurs que dans un cachot sauf mesure disciplinaire ou demande du requérant tout en prenant les dispositions nécessaires pour assurer sa sécurité en cas de risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique ou morale du requérant de la part des autres détenus ou des membres du personnel. La cour d’appel ordonna également la prise en charge du coût de l’intervention du docteur D.R. afin que le requérant puisse entamer une psychothérapie.
53. Aucune information ne fut versée au dossier sur les suites éventuelles de cette procédure.[2]
v. Demandes de congés pénitentiaires, de permissions de sortie et de libération
54. Le requérant est admissible aux permissions de sortie depuis le 6 juillet 2007 et aux congés pénitentiaires depuis le 5 juillet 2008. Il est admissible aux mesures de libération conditionnelle et de libération provisoire en vue de l’éloignement du territoire depuis le 13 octobre 2009 et la surveillance électronique depuis le 16 avril 2009.
55. Les rapports établis par les équipes psychosociales des services pénitentiaires entre 2011 et 2014 recommandèrent l’octroi de permissions de sortie et/ou de congés pénitentiaires afin de progresser vers la concrétisation du plan de reclassement proposé par le requérant. Toutes les demandes introduites par le requérant à cette fin furent toutefois refusées tantôt par le ministre de la Justice tantôt par le tribunal de l’application des peines.
56. Le 17 janvier 2011, le directeur de la prison de Jamioulx rendit un avis positif en vue du placement du requérant sous surveillance électronique. Il constatait que l’enfermement carcéral avait été un échec total et que compte tenu du plan de reclassement qui lui avait été présenté, cette mesure était le seul moyen pratique d’envisager l’avenir du requérant.
57. À plusieurs reprises, les 12 décembre 2011, 30 avril 2012 et 18 mars 2013, examinant la possibilité d’une libération conditionnelle et de surveillance électronique, le tribunal de l’application des peines du tribunal de première instance de Bruxelles rejeta la surveillance électronique, les congés pénitentiaires et les permissions de sortie au motif que les conditions de l’article 59 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine n’étaient pas remplies. Dans son jugement du 18 mars 2013, le tribunal s’exprima en ces termes :
« [Le requérant] se dit d’ailleurs conscient qu’au regard de sa situation particulière et de la longueur de la détention déjà subie, sa libération se fera par étapes et il sollicite uniquement l’octroi d’un certain nombre de permissions de sortie ou de congés pénitentiaires préalablement à l’octroi éventuel d’une libération conditionnelle ou d’une surveillance électronique et ce, en application de l’article 59 de la loi du 17 mai 2006.
(...)
Comme déjà relevé dans le jugement du 30 avril 2012, le tribunal se rallie entièrement aux avis du service psychosocial de la prison de Jamioulx et à celui du docteur D. lesquels considère entre autres que :
(...)
. La prison n’a plus aucun sens ni aucun impact sur cet homme à tout le moins si la détention se poursuit sans l’ouverture possible que permettent les permissions de sortie et les congés pénitentiaires.
Il relève cependant pour une énième fois que le suivi psychologique extérieur devra nécessairement avoir lieu sur une longue période avant de pouvoir porter ses fruits (...).
Il résulte de ce qui précède [avis du directeur de prison et rapport du service psychosocial de la prison] que le travail restant à accomplir par rapport aux fragilités persistantes relevées ci-dessus nécessite encore un laps de temps indéterminé mais en tout cas peu compatible avec le court délai prévu par l’article 59 de la loi [deux à quatre mois] et justifie qu’il soit recouru, encore à ce stade, à la procédure ordinaire prévu pour l’octroi de permissions de sortie ou de congés pénitentiaires.
(...) »
58. Le 28 mai 2014, le ministre de la Justice rejeta une demande de congés pénitentiaires en vue d’entreprendre une thérapie au motif que la période de « normalisation » du régime de détention depuis l’arrivée du requérant à la prison d’Andenne n’avait pas été assez longue pour permettre un recul suffisant. Par ordonnance du 7 juillet 2014, le président du tribunal de première instance de Bruxelles, qui avait été saisi par le requérant en référé le 3 juin 2014, rejeta sa demande à bénéficier de congés au motif que la décision de refus opposée par le ministre n’était ni illégale ni entachée d’erreur manifeste d’appréciation ni dépourvue de motivation.
59. Malgré un avis positif du directeur de la prison où se trouvait le requérant, le 20 août et le 20 novembre 2014, le ministre de la Justice rejeta une nouvelle fois des demandes de permission de sortie et de congés pénitentiaires en raison du risque de soustraction à l’exécution de la peine déduit du risque de tension accrue que pouvait provoquer chez le requérant une sortie limitée dans le temps et de « l’énorme difficulté pour l’intéressé de supporter la vie en prison ».
60. Le 3 novembre 2014, alors qu’il avait entamé une grève de la faim le 6 octobre 2014 (voir ci-dessous, paragraphe 71), le requérant saisit le ministre de la Justice d’une demande de libération provisoire pour raisons de santé.
61. Le 27 novembre 2014, le ministre rejeta la demande de libération.
3. État de santé et suivi du requérant
62. Dans un rapport du 31 janvier 2007, le docteur D.R., psychiatre attaché au ministère de la Justice, signala qu’à son arrivée à la prison d’Andenne en novembre 2006, le requérant présentait une association de symptômes correspondant au syndrome de Ganser (appelé aussi « psychose de prison ») et résultant de déprivations sensorielles : sub-confusion, onirisme à thème de persécution, sous-tendu par des hallucinations ou illusions auditives, des troubles de la pensée, des troubles mnésiques et un certain degré de dysarthrie et de dysphasie. Dans un courrier du 29 juin 2007, ce même psychiatre constatait que l’état psychiatrique du requérant avait continué à se détériorer après les derniers transfèrements et résumait la situation en ces termes :
« [au syndrome de Ganser] s’ajoute une thymie franchement dépressive dont les aspects d’irascibilité/agressivité/tendances persécutives sont à l’avant-plan. (...) C’est peu dire s’il m’inquiète. Le désir de mort est bien présent sans que le patient, pour des raisons tant philosophiques que le refus de lâcher prise, ne puisse se résoudre à le mettre en acte... A ce stade, je continue de penser que l’état [du requérant] nécessite que celui-ci puisse se poser un temps suffisant pour rassembler ses idées, reprendre distance, critiquer ses tendances paranoïdes et stabiliser son humeur. »
63. Le syndrome de Ganser fut confirmé par la suite.
64. Un rapport du service psychosocial de la prison où séjournait le requérant en mars 2010 constatait que l’état psychique du requérant s’était aggravé depuis 2005 compte tenu de l’isolement relationnel et des frustrations qu’il avait subis en raison de son régime carcéral particulier et de ses incessants transferts qui l’avaient empêché de bénéficier d’un suivi psychologique régulier. Il confirmait la nécessité de mettre en place une psychothérapie régulière et suivie et recommandait l’accueil du requérant dans une prison de taille adaptée où il pourrait se sentir accepté et où son régime pénitentiaire pourrait être normalisé.
65. Dans son avis positif du 17 janvier 2011 en vue du placement du requérant sous surveillance électronique, le directeur de la prison de Jamioulx fit la synthèse de la situation pénitentiaire du requérant en ces termes :
« Une évidence, aux yeux de tous les interlocuteurs : la prison n’a plus aucun sens, ni aucun impact sur cet homme. (...) Le fil rouge de son discours - et de ses actes - est que la prison lui est insupportable et constitue un milieu dans lequel plus jamais nulle part il ne pourra vivre « normalement », ni s’adapter. Et objectivement, c’est bien cela qu’il nous faut constater et admettre, pour nous qui avions observé le séjour de l’intéressé à Jamioulx entre juillet 2003 et décembre 2004. (...) Il est profondément marqué par les mauvais traitements, voire les tortures, subis dans certains établissements pénitentiaires (...). Une des phrases centrales de son discours est « Vous êtes allés trop loin, trop, trop, trop, trop, beaucoup trop loin avec moi ». La question d’un syndrome d’un stress post-traumatique a été soulevée. La question d’un trouble attentionnel sévère se pose. La question de la nécessité de soins via une psychothérapie, consentie, qu’il s’appropriera et dans un cadre purement thérapeutique (c’est-à-dire détaché de la prison pour en éliminer, autant que faire se peut, tous les parasites paranoïdes) paraît centrale. »
66. À partir de janvier 2011, des intervenants psychosociaux de référence furent désignés dans un premier temps à des fins d’évaluation de la situation et, dans un deuxième temps, à partir de décembre 2011, dans un but d’accompagnement.
67. Un suivi psychothérapeutique fut instauré début 2012 et poursuivi avec le docteur D. qui était devenu le psychiatre de référence du requérant. Celui-ci constatait, dans une nouvelle note psychiatrique du 6 juillet 2012, que les agents pénitentiaires de la prison de Louvain, qui s’étaient d’abord mis en grève en raison des difficultés à gérer le requérant, avaient fini par s’adapter aux particularités du demandeur lesquelles trouvaient leur source dans un « trouble du spectre de l’autisme, autisme de haut niveau dans son cas de type Asperger ». Il décrivait le requérant comme un homme sincère dont le problème majeur résidait dans ses comportements agressifs et impulsifs face à l’humiliation. Il constatait l’attitude de plus en plus dépressive du requérant face à l’absence de perspectives malgré les efforts qu’il avait consentis.
68. Un rapport psychosocial approfondi dressé le 4 décembre 2012 retraça en détail l’histoire carcérale du requérant. Il soulignait que la période antérieure à 2004 avait été marquée par le fait qu’avec les années, le requérant, bien que fragile psychologiquement, avait su faire preuve d’une plus grande capacité d’adaptation, de critique de soi et d’une meilleure connaissance de ses limites. Examinant la période 2005-2010, le rapport observait que le transfert du requérant d’une prison à l’autre résultait de ses difficultés d’adaptation à la vie carcérale et de son comportement qui avaient abouti à le rendre indésirable par de nombreux agents pénitentiaires et directeurs de prison. Il constatait également que l’état psychique du requérant s’était détérioré mais qu’il avait réussi à contenir ses débordements impulsifs pendant plusieurs mois.
69. Désigné en qualité d’expert par la cour d’appel de Bruxelles (voir
ci-dessus, paragraphe 51), le psychiatre B. rendit un rapport le 23 septembre 2013 dans lequel il précisa ce qui suit :
« La première constatation de nos examens est donc que les conditions d’incarcération sont indignes. Il n’est pas nécessaire d’être psychiatre pour constater cela. (...)
Mais la question qui nous est posée est celle de l’effet du transfèrement régulier d’une prison à l’autre sur son état de santé mentale.
Du point de vue de la santé mentale de l’intéressé et de son bien-être, il nous paraît clair que la permanence des relations qu’il peut nouer (de façon apaisée certes) est indispensable à une bonne évolution.
Il nous semble aller de soi que cette permanence des relations demande une certaine permanence de lieu. (...)
Si l’on tient compte des facteurs pathogènes habituels des troubles de la personnalité que présente l’intéressé, la rupture de liens sociaux et celle de l’environnement matériel dans lequel il vit ne peut, dans leur répétition, qu’entretenir et aggraver les troubles constatés. On ne peut donc que caractériser de négatif, l’impact qu’a sur l’intéressé la politique de transfèrement systématique. S’il existe des raisons à cette politique, elles ne doivent rien au souci de l’état de santé de l’intéressé. »
70. Le requérant affirme avoir fait une demande d’euthanasie début octobre 2014. Aucune information ne fut versée au dossier sur les suites réservées à cette demande.
71. Le 6 octobre 2014, le requérant entama une grève de la faim tout en continuant à s’hydrater. Selon une attestation médicale relative à l’état du requérant en date du 26 novembre 2014, le requérant avait perdu 35 % de son poids. Il avait également signé un document par lequel il demandait de ne pratiquer aucune réanimation en cas d’arrêt cardio-respiratoire ou d’accident vasculaire cérébral.
72. Dans deux rapports à l’administration pénitentiaire, en date des 19 et 29 novembre 2014, la psychiatre D.R. soulignait ce qui suit :
« La déprivation de l’amour maternel s’est trouvée inlassablement répétée tant à travers les amours malheureuses qu’à travers la déprivation en contacts humains et perceptions sensorielles porteuses de sens (isolement de très, très longue durée) aboutissant in fine au syndrome de Ganser (...) dont il garde des séquelles. (...)
Il semble évident qu’un travail sur le traumatisme cristallisé autours de ses vécus en [établissement pénitentiaire] ne peut s’effectuer dans la perspective d’un retour en [établissement pénitentiaire]. (...)
La longueur et les conditions exceptionnelles de l’incarcération ont provoqué chez [le requérant] un syndrome de Ganser, dont on voit réapparaître les symptômes dès qu’il est confronté à trop d’émotions, que celles-ci soient positives ou négatives. (...)
Toute la clinique du traumatisme insiste sur le point qu’il est impossible de les traiter dans l’espace où le patient les a subi. (...) »
B. Intervention de la Cour en novembre 2014 et événements postérieurs
73. Le 26 novembre 2014, alors qu’il entamait sa septième semaine de grève de la faim, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour en vue d’indiquer au Gouvernement de le transférer dans un hôpital civil pour y bénéficier des soins nécessités par son état de santé.
74. Le 28 novembre 2014, le président de la section à laquelle l’affaire était attribuée décida d’indiquer au Gouvernement, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de « prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer au requérant un traitement conforme à la Convention y compris, s’il y avait lieu et dans la mesure du possible, son transfert dans un hôpital civil où il pourrait bénéficier des soins nécessités par son état de santé psychique et physique pour la durée de la procédure devant la Cour ». Le président de la section invita en outre le requérant à mettre un terme à sa grève de la faim.
75. Suite à l’indication de la mesure provisoire, le 29 novembre 2014, les autorités belges transférèrent le requérant dans une chambre sécurisée de l’hôpital de la Citadelle à Liège, établissement relevant de l’administration pénitentiaire.
76. Le 30 novembre 2014, saisi par requête unilatérale du requérant, le président du tribunal de première instance de Liège ordonna, sous astreinte, la libération provisoire du requérant et s’exprima en ces termes :
« [Les] documents [décision du directeur de la prison d’Andenne du 21 octobre 2014, rapports médicaux du 19 novembre 2014 et décision de la Cour du 28 novembre 2014] démontrent que a) la grève de la faim menée par le requérant n’est pas un chantage mais la conséquence du traumatisme résultant d’un emprisonnement très long dans des conditions qui ont déjà été considérées contraires à l’article 3 de la [Convention], b) une libération est possible. Le juge de l’application des peines a été créé par la loi mais n’existe pas encore concrètement à ce jour. En l’absence de ce juge, le juge des référés peut, dans l’urgence et au provisoire, connaître la mesure demandée. Celle-ci est justifiée par l’état de santé du requérant, incompatible avec une incarcération sous quelle forme que ce soit.
(...)
Ordonnons [de] libérer provisoirement [le requérant] pour raison de santé pour lui permettre de bénéficier d’un traitement adéquat et d’ainsi être traité en conformité avec les droits garantis par la [Convention] et de lui permettre de se rendre dans un hôpital civil de son choix et, ensuite, dans toute structure de soins qui lui serait indiquée par les médecins. »
77. L’ordonnance étant exécutoire, le requérant fut immédiatement libéré et transféré dans une chambre ordinaire de l’hôpital de la Citadelle puis, par ses propres moyens, à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles.
78. Le 1er décembre 2014, l’État belge forma tierce opposition contre cette ordonnance soutenant que le juge des référés était incompétent pour connaître de l’affaire.
79. Le 9 décembre 2014, le requérant sortit de l’hôpital et fut hébergé dans un foyer d’accueil.
80. La tierce opposition de l’État belge formée contre l’ordonnance du 30 novembre 2014 fut déclarée non fondée par ordonnance du président du tribunal de première instance de Liège du 16 janvier 2015. Le tribunal dit également pour droit que le ministre de la Justice devait faire désigner un assistant de justice pour assurer le suivi de la libération du requérant. L’État fit appel de cette ordonnance.
81. Le 30 mars 2015, la cour d’appel de Liège reçut l’appel, le déclara fondé et réforma l’ordonnance du 16 janvier 2015 en ce qu’elle avait confirmé l’ordonnance sur requête unilatérale du 30 novembre 2014. La cour d’appel considéra que le requérant ne remplissait pas les conditions pour recourir à la procédure en référé par requête unilatérale à défaut d’urgence ou d’absolue nécessité rendant impossible le recours à la procédure contradictoire. La cour retint que si l’état de santé du requérant s’était dégradé c’était en raison de son propre fait (grève de la faim). Elle note également que la veille de l’ordonnance, le requérant était hospitalisé et sous la surveillance des médecins, écartant tout risque de décès à brève échéance.
82. Le jour même, le requérant saisit la Cour d’une deuxième demande de mesures provisoires. Il demandait à nouveau l’intervention de la Cour au motif que l’État belge pouvait, à tout moment, en exécution de l’arrêt de la cour d’appel, ordonner sa réincarcération. Il fournit à l’appui de sa requête les rapports de suivi médical et psychiatrique établis depuis sa libération, qui concordaient tous pour certifier qu’il était « récupérable » sur le plan psychique et relationnel à condition qu’un dispositif complet social, psychologique et psychiatrique soit mis en place et poursuivi avec rigueur.
83. La demande fut rejetée le 30 mars 2015 en ces termes :
« La mesure provisoire, indiquée le 28 novembre 2014, est appliquée pour la durée de la procédure devant la Cour. Même si sa formulation était liée aux circonstances de l’époque, le contenu de la mesure – assurer un traitement conforme à la Convention et prodiguer des soins adaptés à l’état de santé physique et psychique du requérant – demeure d’actualité. »
Le Gouvernement en fut informé.
84. Le parquet général de Bruxelles, chargé d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel, indiqua qu’il avait pris acte du refus de la Cour d’intervenir pour empêcher la réincarcération du requérant et qu’il considérait que cette réincarcération était conforme à la mesure provisoire indiquée le 28 novembre 2014. À la demande du parquet général, le requérant réintégra la prison de St Gilles (Bruxelles) le 1er avril 2015 où il fut réincarcéré au centre médico-chirurgical.
85. Le 10 avril 2015, le juge de l’application des peines de Bruxelles ordonna la libération provisoire du requérant pour raisons médicales. Le requérant quitta la prison le jour même.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Règles relatives au statut juridique interne des détenus
86. La loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, dite « loi Dupont », fut promulguée le 12 janvier 2005.
87. Le titre II prévoit une série de principes fondamentaux généraux applicables au statut juridique interne des détenus. Les dispositions concernées sont en vigueur depuis le 15 janvier 2007. Elles prévoient notamment que l’exécution des peines et mesures privatives de liberté s’effectue dans des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine, permettent de préserver ou d’accroître chez le détenu le respect de soi et sollicitent son sens des responsabilités personnelles et sociales (article 5 § 1). L’exécution de la peine privative de liberté est axée sur la réparation du tort causé aux victimes par l’infraction, sur la réhabilitation du condamné et sur la préparation, de manière personnalisée, de sa réinsertion dans la société libre (article 9 § 2).
88. Au moment des faits, l’article 108 de la loi, relatif aux fouilles, se lisait comme suit :
« § 1er. Lorsque cela est nécessaire dans l’intérêt du maintien de l’ordre ou de la sécurité, le détenu peut subir une fouille de ses vêtements par les membres du personnel de surveillance mandatés à cet effet par le directeur, conformément aux directives données par celui-ci.
Cette fouille a pour objectif de vérifier si le détenu est en possession de substances ou d’objets interdits ou dangereux.
§ 2. Si des indices individuels laissent supposer que la fouille des vêtements du détenu ne suffit pas à atteindre l’objectif décrit au § 1er, alinéa 2, le directeur peut, par une décision particulière, ordonner une fouille à corps, si nécessaire avec déshabillage et inspection externe des orifices et cavités du corps.
La fouille à corps ne peut avoir lieu que dans un espace fermé, en l’absence d’autres détenus, et doit être effectuée par au moins deux membres du personnel du même sexe que le détenu, mandatés à cet effet par le directeur.
§ 3. La fouille des vêtements et la fouille à corps ne peuvent avoir un caractère vexatoire et doivent se dérouler dans le respect de la dignité du détenu. (...) »
89. Le § 2, alinéa 1er, de l’article 108, qui avait été introduit par une loi du 1er juillet 2013, a été suspendu par la Cour constitutionnelle par un arrêt no 143/2013 du 30 octobre 2013, puis annulé par la Cour constitutionnelle par un arrêt no 20/2014 du 29 janvier 2014.
90. L’article 112 de la loi concerne les mesures de sécurité particulières pouvant être imposées aux détenus. Il prévoit ce qui suit :
« § 1er. Sont autorisées comme mesures de sécurité particulières prises séparément ou cumulées, pour autant qu’elles soient appliquées exclusivement à cette fin et pour la durée strictement nécessaire :
1o le retrait ou la privation d’objets;
2o l’exclusion de certaines activités communes ou individuelles;
3o l’observation durant la journée et la nuit, tout en respectant au maximum le repos nocturne;
4o le séjour obligatoire dans l’espace de séjour attribué au détenu;
5o le placement en cellule sécurisée, sans objets dont l’utilisation peut être dangereuse.
§ 2. Ces mesures de sécurité particulières ne peuvent être maintenues plus de sept jours. Elles ne peuvent être prolongées sans décision motivée du directeur, après avoir entendu le détenu. Les mesures peuvent être prolongées au maximum trois fois.
§ 3. En cas de transfèrement vers une autre prison, le directeur de celle-ci détermine si le maintien de ces mesures se justifie encore. »
91. Les articles 116 à 118 de la loi, également entrés en vigueur le 15 janvier 2007, définissent le contenu du régime de sécurité particulier individuel. Il est notamment prévu ce qui suit :
Article 116
« §1er. S’il ressort de circonstances concrètes ou des attitudes d’un détenu que celui-ci représente une menace constante pour la sécurité, et s’il est apparu que tant les mesures de contrôle prévues à la section Ire que les mesures de sécurité particulières prévues à la section II sont insuffisantes, le détenu peut être placé sous régime de sécurité particulier individuel.
§ 2. Le placement sous régime particulier individuel peut uniquement être décidé lorsque la sécurité ne peut être préservée d’aucune autre manière et pour la durée strictement nécessaire à cet effet. »
Article 117
« Le placement sous régime de sécurité particulier individuel consiste à prendre l’une des mesures mentionnées ci-après ou une combinaison de plusieurs de ces mesures :
1o l’interdiction de prendre part à des activités communes;
2o le contrôle systématique de la correspondance entrante et sortante, conformément aux modalités prévues aux articles 55 et 56;
3o le confinement des visites à un local pourvu d’une paroi de séparation transparente entre les visiteurs et le détenu, comme prévu à l’article 60, § 3;
4o la privation partielle de l’usage du téléphone, comme prévue à l’article 64, § 3;
5o l’application systématique de la mesure de contrôle prévue à l’article 108, § 1er;
6o l’application d’une ou de plusieurs mesures de sécurité particulières prévues à l’article 112, § 1er.
Les principes fondamentaux mentionnés au titre II s’appliquent sans restriction au régime de sécurité particulier individuel. »
Article 118
« § 1er. La décision de placement sous régime de sécurité particulier individuel est prise par le directeur général de l’administration pénitentiaire ou par son délégué, sur proposition du directeur.
§ 2. La proposition indique les circonstances ou attitudes concrètes du détenu dont il ressort qu’il représente une menace permanente pour la sécurité.
La proposition précise les modalités concrètes du placement sous régime de sécurité particulier individuel, chacune des mesures proposées étant motivée de manière circonstanciée.
La proposition est accompagnée d’un avis médical quant à la compatibilité des modalités du régime proposé avec l’état de santé du détenu.
(...)
§ 5. Le détenu faisant l’objet d’un placement sous un régime de sécurité particulier individuel qui a pour conséquence qu’il est isolé de la communauté reçoit au moins une fois par semaine la visite du directeur et d’un médecin-conseil, lesquels s’assurent de l’état du détenu et vérifient si celui-ci n’a pas de plaintes ou d’observations à formuler.
(...)
§ 7. La décision de placement sous régime de sécurité particulier individuel est prise pour un délai, éventuellement renouvelable, de maximum deux mois, fixé par le directeur général.
Une fois par mois, le directeur fait un rapport circonstancié au directeur général concernant le déroulement du placement sous régime de sécurité particulier individuel. Sur la base de ce rapport, le directeur général peut décider de mettre un terme au placement ou d’adoucir les mesures de placement.
La décision peut seulement être renouvelée sur requête préalable du directeur, accompagnée d’un rapport psycho-médical, et dans le respect des dispositions des §§ 1er à 4.
§ 8. En cas de transfèrement dans une autre prison, le directeur de celle-ci décide, après avoir entendu le détenu, si le maintien de la mesure se justifie encore et adresse un avis à ce sujet au directeur général. La décision du directeur général mentionne les motifs individuels qui nécessitent éventuellement la poursuite du placement.
(...) »
92. En ce qui concerne les mesures de coercition directes exercées à l’égard des détenus en vue du maintien de la sécurité, l’article 119 de la loi prévoit ce qui suit :
« § 1er. En vue du maintien de l’ordre ou de la sécurité, une coercition directe peut seulement être exercée à l’égard des détenus lorsque ces objectifs ne peuvent être atteints d’une autre manière et pour la durée strictement nécessaire à cet effet.
(...)
§ 3. Par recours à la coercition directe au sens du § 1er, on entend l’usage de la contrainte physique sur des personnes avec ou sans utilisation d’accessoires matériels ou mécaniques, d’instruments de contrainte limitant la liberté de mouvement ou d’armes qui, aux termes de la loi sur les armes, font partie de l’équipement réglementaire. »
B. Règles relatives au statut juridique externe des détenus
93. La loi de principes de 2005 relative au statut juridique interne des détenus a été complétée par la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine.
94. En vertu de cette loi, les tribunaux de l’application des peines sont compétents notamment pour l’octroi de la surveillance électronique, de la libération conditionnelle et de la libération provisoire en vue de l’éloignement du territoire, ou pour raison médicale. Le tribunal rend son jugement au terme d’une procédure contradictoire et le jugement est motivé et rendu en audience publique.
95. Précédemment, soit jusqu’au 19 mars 2013, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 mars 2013 modifiant la loi du 17 mai 2006, il n’appartenait pas au condamné de demander sa libération conditionnelle. La direction de l’établissement pénitentiaire initiait automatiquement la procédure lorsque celui-ci entrait dans les conditions de temps requises. Depuis la modification de la loi sur ce point, la procédure est initiée sur la demande écrite du condamné. Avant, comme après la modification de la loi, le directeur d’établissement pénitentiaire émet un avis motivé sur la libération conditionnelle (article 50).[3] Ce dernier se fonde, notamment, sur un rapport établi par l’équipe psychosociale de la prison et contient une analyse détaillée de chacune des contre-indications prévues par la loi. Outre son avis, le directeur transmet au tribunal de l’application des peines un dossier contenant les décisions judiciaires ayant mené à l’incarcération du condamné, un rapport psychosocial, une enquête sociale effectuée au sein du milieu d’accueil proposé, ainsi que les éventuelles fiches victimes. Dans le mois de cette transmission, le ministère public émet également un avis motivé.
96. L’octroi de congés pénitentiaires ou de permissions de sortie est de la compétence du ministre de la Justice. Les décisions sont prises à l’issue d’une procédure non contradictoire, et sans entendre le condamné et son conseil (articles 10 et 11). Toutefois à titre exceptionnel et provisoire, ces mesures peuvent être accordées par le tribunal de l’application des peines si la demande apparaît comme une condition indispensable à l’octroi à court terme (deux mois, renouvelable une fois) de la modalité d’exécution de la peine demandée (article 59).
C. Recours
1. Procédures devant les juridictions judiciaires
97. Toute personne qui s’estime lésée dans ses droits peut, sur la base de l’article 584 du code judiciaire, saisir d’une action en référé le président du tribunal de première instance compétent. Celui-ci statue au provisoire en vue de prévenir ou de faire cesser une atteinte à un droit subjectif estimée irrégulière lorsqu’il reconnaît l’urgence de la situation (voir, pour plus de détails, Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, §§ 71-74, 25 novembre 2014).
98. Toute personne peut également introduire devant le juge judiciaire une procédure contre l’État sur le fondement de l’article 1382 du code civil aux fins de le voir jugé responsable d’une faute et condamné à une réparation du dommage (idem, § 75).
2. Procédures devant le Conseil d’État
99. Conformément à l’article 14 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, le Conseil d’État est compétent pour annuler tout acte administratif pour violation des formes soit substantielles soit prescrites à peine de nullité ou pour excès ou détournement de pouvoir. Aux termes de l’article 17 de ces lois, le Conseil d’État peut également ordonner la suspension de l’exécution d’un acte susceptible d’être annulé, si des moyens sérieux sont invoqués et que l’exécution immédiate de l’acte attaqué risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.
3. Procédure interne au système pénitentiaire
100. Dans son rapport au gouvernement à la suite de sa première visite en Belgique en 1993, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») rappela que des procédures de plainte et d’inspection efficaces constituaient une garantie fondamentale contre un mauvais traitement en prison. Après avoir constaté qu’une procédure de plainte officielle et indépendante au sein du système pénitentiaire était inexistante en Belgique pour permettre aux détenus de se plaindre des conditions de vie « intra-muros », le CPT recommanda aux autorités belges de prévoir immédiatement une procédure efficace de plainte pour les détenus. Cette recommandation fut rappelée au cours des visites ultérieures.
101. Le titre VIII de la loi de principes de 2005 (articles 147 à 166) vise à donner suite à cette recommandation. Il prévoit l’instauration d’un droit spécifique de plainte des détenus auprès d’une commission des plaintes instituée auprès des commissions de surveillance instituées dans chaque prison (voir, pour plus de détails, Vasilescu, précité, §§ 40-41). Le titre VIII n’est toutefois pas encore entré en vigueur en l’absence d’un arrêté royal d’exécution à cet effet.
102. Faute d’un recours administratif interne, les seuls recours ouverts sont donc les recours juridictionnels devant les juridictions judiciaires et le Conseil d’État.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
103. Le requérant allègue que le régime de détention et les mesures de sécurité d’exception qui lui ont été appliqués combinés aux transfèrements successifs ont constitué, eu égard notamment à leur impact sur sa santé mentale, un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
104. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Thèse du requérant
105. Le requérant fait valoir que les transfèrements répétitifs et systématiques ont eu un impact aussi grave qu’inutile sur sa santé mentale comme en attestent en particulier les rapports psychiatriques dressés par le psychiatre de référence, le docteur D.R., et par l’expert psychiatre désigné par la cour d’appel de Bruxelles en 2013. Ils ont créé, sur un terrain psychologique déjà fragilisé par son histoire de vie, de forts sentiments d’angoisse et de détresse quant à son adaptation dans les différents lieux de détention qui ont largement excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Ils ont été un frein important à la mise en place d’un suivi médical, ont eu des conséquences désastreuses sur le plan familial et l’ont empêché d’avancer dans la mise en place d’un plan de reclassement valable. Le requérant concède que son comportement et son souhait d’intégrer des établissements à taille humaine aient pu justifier certains transferts. Toutefois, selon lui, la grande majorité des transfèrements ne reposait sur aucune justification liée à son comportement et à la sécurité de l’établissement.
106. Le requérant se plaint du régime d’isolement et des mesures de coercition qui lui ont été imposées jusqu’en décembre 2013 et en particulier des mesures prises lors de son séjour à la prison de Lantin du 16 décembre 2007 au 5 juin 2008. Ces dernières ont été prises, dans des conditions particulièrement humiliantes, en dehors des prescriptions légales de la loi du 12 janvier 2005 (voir ci-dessus, paragraphes 86-92) qui n’autorise le placement sous régime particulier individuel qu’en dernier ressort et pour la durée strictement nécessaire à cet effet, exige que le régime d’isolement soit sous contrôle médical de la capacité du détenu à le supporter, interdit le menottage systématique, et limite les mesures de sécurité à une durée déterminée. En outre, il y a fait l’objet de mauvais traitements et de harcèlement de la part du personnel pénitentiaire. Le requérant se plaint en particulier du recours à des fouilles à corps systématiques, de la pratique du menottage ainsi que de l’isolement social généré par la grille américaine et la privation de tout contact avec les autres détenus.
107. Le requérant fait valoir que les arguments de sécurité et d’ordre que le Gouvernement invoque pour justifier le transfert et le régime d’isolement ne figurent sur aucun document écrit circonstancié officiel et semblent avoir été invoqués a posteriori devant les juridictions internes et devant la Cour. Le requérant reproche aux autorités de ne pas avoir pris en compte les répercussions des transferts et des mesures d’exception sur son état psychique; au contraire, alors même que le diagnostic du syndrome de Ganser avait été posé et confirmé et que plusieurs rapports psychiatriques auraient dû les alerter, les autorités ont décidé de mettre en place un système de rotation tous les trois mois.
b) Thèse du Gouvernement
108. Le Gouvernement appuie son argumentaire sur les mêmes éléments que ceux qui ont mené la cour d’appel de Liège dans son arrêt du 24 novembre 2011 à écarter l’existence d’une faute et d’une quelconque responsabilité dans le chef de l’État du fait des transferts et du séjour à la prison de Lantin (voir ci-dessus, paragraphes 43-47).
109. Ce qui a prévalu en l’espèce a constamment été la recherche d’un juste équilibre entre impératifs de sécurité et respect de conditions de détention humaines. En particulier à partir de 2008, toutes les mesures de placement en régime de sécurité individuel ont été dûment motivées et prises après avis préalable du directeur de la prison, après audition du requérant, et après avoir recueilli l’avis d’un médecin psychiatre. L’isolement dont se plaint le requérant n’a à aucun moment été un isolement social total ou un isolement sensoriel complet. Outre qu’un certain isolement a été souhaité par le requérant, il a toujours continué à recevoir la visite de sa famille, y compris des visites dans l’intimité de sa compagne, ces dernières visites au moins deux fois par mois. Il a également pu rencontrer ses avocats. Enfin, il a reçu de nombreuses visites de professionnels de l’édition, dans le cadre de l’écriture de son livre.
110. Le Gouvernement conteste l’analyse faite par le requérant quant à l’impact sur son état de santé. Outre l’absence de lien causal entre celui-ci et les mesures dénoncées, soulignée par la cour d’appel de Liège, il souligne que le syndrome de Ganser n’a jamais été mesuré scientifiquement. Quant au rapport du docteur B. (voir ci-dessus, paragraphe 69), de l’avis du Gouvernement, il n’est ni suffisant ni convaincant car il est général et ne repose pas sur une connaissance suffisante de toute l’histoire, personnelle et carcérale, du requérant. Selon le Gouvernement, le rapport de référence est le rapport psychosocial approfondi du 4 décembre 2012 (voir ci-dessus, paragraphe 68), dont il ressort que le problème du requérant ne réside pas tant dans les transferts et les conditions de son incarcération que dans sa personnalité impulsive et incapable de se plier aux règles et dans la durée de la détention. C’est précisément pour répondre à cette personnalité que l’administration a pris, à partir de 2012, des mesures visant à encadrer le suivi psychologique du requérant, mesures qui ont abouti à stabiliser son comportement ainsi que le releva le rapport approfondi précité. Cela étant, il n’a jamais été question, ni de la part des autorités pénitentiaires ni de la part du requérant même, de considérer que son état de santé mentale nécessitait un suivi spécialisé dans une structure de soins adaptée du type de celle visé par la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels, dans la mesure où cette loi vise les condamnés en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale.
2. Appréciation de la Cour
111. La Cour note qu’il n’est pas contesté devant elle que, durant sa détention, le requérant souffrait d’une santé mentale particulièrement fragile qui nécessitait un suivi psychologique, voire psychiatrique, régulier et que la durée de sa détention a aggravé la situation. En revanche, les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le requérant souffrait d’une véritable pathologie mentale et si ses troubles devaient être attribués à la détention elle-même ou à des facteurs liés à son histoire personnelle et donc antérieurs à celle-ci.
112. La Cour note que le requérant fut diagnostiqué en 2007 par un psychiatre attaché au ministère de la Justice comme présentant une association de symptômes correspondant au syndrome de Ganser et dérivant de déprivations sensorielles. Si, comme le fait valoir le Gouvernement, cette pathologie ne fut jamais « mesurée » scientifiquement, ce diagnostic fut ensuite confirmé et ne fut jamais remis en question par les différents psychiatres et intervenants qui ont examiné le requérant. De plus, en 2012, le psychiatre de référence du requérant constata que les troubles dont il souffrait pouvaient également trouver leur source dans un « trouble du spectre de l’autisme de type Asperger » (voir ci-dessus, paragraphe 67).
113. Par ailleurs, il ressort des différents rapports médicaux versés au dossier (voir ci-dessus, paragraphes 62-72) que les raisons qui expliquent les troubles mentaux du requérant sont multifactorielles et résultent tout à la fois de son histoire personnelle et de la durée et du contexte de sa détention.
114. La Cour estime que ces éléments sont suffisants pour considérer que l’état de santé mentale du requérant devait, au minimum, être pris en considération par les autorités dans le cadre de leurs décisions touchant à son régime pénitentiaire et à son maintien en détention. Elle commencera donc par rappeler les principes généraux de sa jurisprudence relatifs à la détention des personnes souffrant de troubles mentaux au regard de l’article 3 de la Convention pour ensuite examiner, dans ce contexte, les mesures particulières dénoncées par le requérant et leur interaction avec son état de santé mentale au regard de cette disposition.
a) Rappel des principes généraux
115. La Cour l’a dit à maintes reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (voir, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, §§ 113-114, CEDH 2014 (extraits) et références citées). Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 220, CEDH 2011, et El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 202, CEDH 2012).
116. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation.
117. La Cour considère que l’exclusion d’un détenu de la collectivité carcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux États parties à la Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l’égard des détenus dangereux. Destinés à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou de perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles (voir, notamment, Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 138, CEDH 2006‑IX, et Piechowicz c. Pologne, no 20071/07, § 161, 17 avril 2012).
118. Cela étant, l’article 3 impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI). La Cour a souligné que les personnes privées de liberté étaient dans une position vulnérable et que les autorités avaient le devoir de les protéger (Enache c. Roumanie, no 10662/06, § 49, 1er avril 2014).
119. La Cour a jugé que la souffrance due à une maladie qui survient naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (voir, notamment, Hüseyin Yıldırım c. Turquie, no 2778/02, § 73, 3 mai 2007, et Gülay Çetin c. Turquie, no 44084/10, § 101, 5 mars 2013). Ainsi, la détention d’une personne malade dans des conditions matérielles et médicales inappropriées peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (Kudła, précité, § 94, Rivière c. France, no 33834/03, § 74, 11 juillet 2006, et Claes c. Belgique, no 43418/09, §§ 94‑97, 10 janvier 2013).
120. Pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération plusieurs éléments.
121. Un premier élément est l’état de santé de l’intéressé et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution (voir, parmi d’autres, Matencio c. France, no 58749/00, §§ 76-77, 15 janvier 2004, et Gülay Çetin, précité, §§ 102 et 105). La Cour a jugé que les conditions de détention ne pouvaient en aucun cas soumettre une personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement la résistance physique et morale du requérant (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 99, CEDH 1999‑V). Elle a reconnu, à ce sujet, que les détenus atteints de troubles mentaux étaient plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposaient davantage à un danger pour leur santé, renforçaient le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et étaient forcément source de stress et d’angoisse. Une telle situation entraîne selon la Cour la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (Sławomir Musiał c. Pologne, no 28300/06, § 96, 20 janvier 2009; voir également Claes, précité, § 101).
122. Un deuxième élément est le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention (Rivière, précité, § 63, et Sławomir Musiał, précité, §§ 85-88). Il n’est pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi, encore faut-il qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi soit mise en œuvre (Claes, précité, §§ 94‑97). De même, l’obligation d’assurer des soins médicaux appropriés ne se limite pas à la prescription d’un traitement adéquat, il faut aussi que les autorités pénitentiaires surveillent que celui-ci soit correctement administré et suivi (Renolde c. France, no 5608/05, §§ 100-104, CEDH 2008 (extraits), et Jasińska c. Pologne, no 28326/05, § 78, 1er juin 2010) et qu’il le soit par un personnel qualifié (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 115-116, CEDH 2001‑III, et Gülay Çetin, précité, § 112). Dans l’hypothèse où la prise en charge n’est pas possible sur le lieu de détention, le détenu doit pouvoir se faire hospitaliser ou être transféré dans un service spécialisé (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, §§ 58-59, 21 décembre 2010; voir également, a contrario, Kudła, précité, §§ 82-100, et Cocaign c. France, no 32010/07, 3 novembre 2011).
123. Troisièmement, se pose la question du maintien en détention compte tenu de l’état de santé de l’intéressé. Certes, la Convention n’impose aucune « obligation générale » de libérer un détenu pour raisons de santé, même s’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner. Il n’en demeure pas moins qu’à cet égard, la Cour a reconnu la possibilité que, dans des conditions d’une particulière gravité, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale commande que soient prises des mesures de nature humanitaire (Gülay Çetin, précité, § 102 ; voir également Raffray Taddei, précité, § 59, et G. c. France, no 27244/09, §§ 77-82, 23 février 2012).
b) Application de ces principes à la présente affaire
i. Les modalités d’exécution de la détention du requérant
124. Le requérant ne se plaint pas des conditions matérielles de sa détention mais soutient que l’ensemble des mesures de sécurité dont il a fait l’objet pendant sa détention et leur effet combiné ont constitué des traitements inhumains et dégradants dont il a résulté une détérioration de son état de santé mentale: transferts incessants d’une prison à l’autre, mesures de coercition extrême (menottage systématique, grille américaine, fouille, privation de contacts, y compris avec un psychologue, et d’activités), mesures d’isolement et de harcèlements à la prison de Lantin du 16 décembre 2007 au 5 juin 2008 et maintien entre juin 2008 et décembre 2013 d’un régime de sécurité particulier individuel impliquant notamment mise à l’isolement, menottage et fouilles systématiques.
α) Les transfèrements
125. Le Gouvernement fait valoir les différences avec l’affaire Khider c. France (no 39364/05, 9 juillet 2009) : alors que les transferts du requérant dans cette dernière affaire s’inscrivaient dans le cadre d’un régime de rotation de sécurité anticipé à son égard, en l’espèce, les transfèrements ont chaque fois été jugés nécessaires par l’administration pénitentiaire pour réagir face au comportement violent ou agressif. À l’instar de l’affaire Payet c. France (no 19606/08, 20 janvier 2011), il faut accorder un poids important à la dangerosité du requérant. Selon le Gouvernement, les transfèrements ont toujours été justifiés par des impératifs de sécurité et l’administration pénitentiaire a constamment recherché à maintenir un juste équilibre entre ces impératifs et la dignité du requérant.
126. La Cour rappelle qu’elle a admis que le transfert d’un détenu vers un autre établissement pouvait s’avérer nécessaire pour assurer la sécurité dans une prison et empêcher tout risque d’évasion (Khider, précité, § 110). Ainsi, dans l’affaire Payet citée par le Gouvernement, elle a considéré, eu égard au risque réel d’évasion du requérant, que le transfèrement régulier de celui-ci était justifié et que, compte tenu de son profil, de sa dangerosité et de son passé, les autorités pénitentiaires avaient ménagé un juste équilibre entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au requérant des conditions humaines de détention (§§ 57-64). La Cour est parvenue à une conclusion similaire sur la base des mêmes motifs à propos des systèmes de rotation dans les affaires Alboreo c. France (no 51019/08, §§ 121-130, 20 octobre 2011) et Khider c. France ((déc.), no 56054/12, § 37, 1er octobre 2013).
127. En l’espèce, à la différence de ces affaires, les motifs avancés par le Gouvernement pour justifier les transferts réguliers du requérant ne sont pas liés à un quelconque risque d’évasion de ce dernier.
128. La Cour note qu’entre 2006 et la date de l’introduction de la requête devant la Cour en septembre 2013, le requérant avait fait l’objet de quarante-trois transferts d’un établissement pénitentiaire à l’autre. Elle relève que si certains de ces transferts étaient justifiés par le comportement indiscipliné et violent du requérant envers le personnel pénitentiaire, en particulier dans les premières années de son incarcération, et la crainte de le voir passer à l’acte, ou ont été effectués à sa demande en vue d’intégrer une prison de plus petite taille, un grand nombre d’entre eux semblent s’inscrire dans le cadre d’une politique poursuivie par l’administration pénitentiaire d’éviter d’imposer au personnel pénitentiaire et aux différents directeurs de prison un détenu plus difficile à gérer et qui s’était rendu indésirable auprès des établissements pénitentiaires qu’il avait fréquentés. Il ne ressort pas du dossier que la grande majorité des transferts aient été la conséquence de comportements dangereux formellement identifiés par les autorités mais plutôt, et contrairement à ce que soutient le Gouvernement, d’un a priori négatif et anticipé au sein des établissements pénitentiaires à l’égard du requérant.
129. Il en est de même du système de rotation tous les trois mois qui, sans se référer à des comportements répréhensibles précis de la part du requérant, fut instauré en janvier 2011 dans le but d’améliorer la planification des transferts et de l’inciter à stabiliser son comportement. Il convient d’ailleurs d’observer que ce système a été suspendu par la cour d’appel de Bruxelles en décembre 2013 au motif qu’il était « vide de sens » et portait atteinte au bien-être du requérant sans améliorer les relations avec les agents pénitentiaires.
130. La Cour en déduit que si, vu les lourds antécédents judiciaires et disciplinaires du requérant, des motifs de sécurité ont effectivement pu motiver certains transferts, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, les quarante-trois transferts du requérant sur une période de six ans n’apparaissent pas au fil du temps justifiés par de tels impératifs.
131. La Cour observe en outre que la majorité des rapports psycho-sociaux et médicaux versés au dossier concordent pour dire que les changements répétés d’établissement imposés au requérant ont eu des conséquences très néfastes sur son bien-être psychique et étaient de nature à créer et à exacerber chez lui des sentiments d’angoisse aigus quant à son adaptation dans les différents lieux de détention et ont rendu pendant longtemps quasi impossible la mise en place d’un suivi médical cohérent sur le plan psychologique (voir, mutatis mutandis, Khider, précité, §§ 109 et 111).
132. Vu ce qui précède, la Cour n’est pas convaincue qu’un juste équilibre ait été ménagé par les autorités pénitentiaires entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au requérant des conditions humaines de détention.
β) Le placement sous régime de sécurité particulier et les mesures coercitives
133. La Cour rappelle que lorsqu’elle évalue les conditions de détention, elle prend en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001‑II, et Piechowicz, précité, § 163).
134. En l’espèce, les griefs du requérant portent sur les prolongations répétées de son maintien à l’isolement et sur les mesures coercitives de sécurité qui lui furent imposées tout au long de sa détention. Il se plaint en particulier des conditions particulièrement humiliantes subies à la prison de Lantin sans qu’aucun rapport d’un médecin ne soit venu attester de sa capacité à supporter le régime de sécurité prescrit, en particulier sa mise à l’isolement, la pratique du menottage et les fouilles à corps systématiques.
135. Dans ce contexte, la Cour a précédemment jugé que l’interdiction de contacts avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline et de protection ne constituait pas en elle-même une forme de peine ou de traitement inhumain (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 191, CEDH 2005‑IV). Pour apprécier si pareille mesure peut tomber sous le coup de l’article 3 dans une affaire donnée, il y a lieu d’avoir égard aux conditions de l’espèce, à la sévérité de la mesure, à sa durée, à l’objectif qu’elle poursuit et à ses effets sur la personne concernée (Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 51, CEDH 2003‑II, et Piechowicz, précité, § 163).
136. La Cour note que les mesures d’isolement cellulaire ont débuté à la prison d’Ittre en décembre 2007 où le requérant resta une dizaine de jours dans un cachot pieds et mains menottés. Elles se sont prolongées à la prison de Lantin, dès son arrivée et pendant toute la durée de sa détention dans cet établissement du 16 décembre 2007 au 5 juin 2008, dans le cadre d’un « régime cellulaire strict » dans un bloc séparé de la prison. Après son départ de Lantin, la mise à l’isolement fut maintenue, dans le cadre d’un « régime de sécurité particulier individuel » renouvelé tous les deux mois par les directeurs des différents établissements fréquentés jusqu’en avril 2013. Enfin, à la prison de Nivelles d’avril à décembre 2013, le requérant fut à nouveau détenu dans un cachot. Le requérant, toujours soumis au même régime, intégra les quartiers ordinaires de la prison de Nivelles en décembre 2013. Le régime de sécurité fut maintenu jusqu’à sa libération en novembre 2014.
137. En dehors des passages au cachot où l’isolement était total, l’isolement imposé au requérant dans le cadre du « régime cellulaire strict » à Lantin ou du « régime de sécurité particulier individuel » dans les autres établissements était relatif, impliquant l’absence de contact avec les autres détenus et l’interdiction de participer aux activités communes mais ne privant pas le requérant de l’accès au préau individuel ni de la participation à titre individuel aux activités de culte, de loisirs ou de formation dans la mesure compatible avec la sécurité. Il a également pu continuer à recevoir des visites de sa famille et de ses avocats. Il semble aussi qu’à plusieurs occasions la mise à l’isolement ait été souhaitée par le requérant.
138. Outre l’isolement, le régime de sécurité imposé au requérant comportait tout un arsenal de mesures coercitives qui évolua avec le temps et le lieu de détention. À la prison de Lantin, le « régime cellulaire strict » prévoyait le port systématique de menottes, poignets dans le dos, à chaque sortie de cellule, y compris pour les visites en parloir, les conversations téléphoniques et les douches. À chaque sortie de cellule, le requérant faisait systématiquement l’objet d’une fouille au corps face au mur, jambes écartées et menottes dans le dos. Le régime prévoyait enfin des restrictions des visites et de l’usage du téléphone ainsi que la distribution des repas ainsi que les visites des intervenants au sein de la prison à travers une grille « américaine ». Après son départ de Lantin, en juin 2008, le régime de sécurité fut assoupli. Les fouilles au corps, le port systématique de menottes et la grille américaine furent supprimés mais, sauf dans quelques établissements, les mesures suivantes furent maintenues jusqu’à la libération du requérant: fouille systématique des vêtements à chaque sortie et entrée de cellule ou après les visites de parloir, interdiction de prendre part aux activités communes, en particulier le préau collectif, privation partielle d’usage du téléphone, confinement des visites à un local pourvu d’une paroi de séparation entre les visiteurs et le détenu.
139. La Cour rappelle avoir jugé que les décisions de prolongation d’un isolement devaient être motivées de manière substantielle afin d’éviter tout risque d’arbitraire. Les décisions doivent ainsi permettre d’établir que les autorités ont procédé à un examen évolutif des circonstances, de la situation et de la conduite du détenu. Cette motivation doit être, au fil du temps, de plus en plus approfondie et convaincante. Cela étant, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, un maintien à l’isolement, même relatif, ne saurait être imposé à un détenu indéfiniment (Ramirez Sanchez, précité, §§ 139 et 145‑146, et Piechowicz, précité, § 163).
140. À ce sujet, la Cour observe qu’en l’espèce, toutes les décisions de l’administration pénitentiaire se référaient à des degrés divers à la nécessité d’assurer, par les mesures prises, l’ordre et la sécurité au sein des différents établissements. Alors qu’à la prison de Lantin, le « régime cellulaire strict » se référait à des incidents disciplinaires précis, les prolongations, à partir de juin 2008, du régime de sécurité particulier individuel étaient rédigées dans des termes plus vagues et souvent stéréotypés, se référant au comportement violent du requérant et notamment à des tensions, sous la forme le plus souvent d’altercations verbales, avec le personnel pénitentiaire en particulier lors de l’arrivée du requérant dans un nouvel établissement, au souci d’éviter qu’il soit en possession d’objets dangereux et d’écarter les risques de conflits avec les tiers, ou encore à la nécessité d’assurer l’intervention rapide des membres du personnel en cas de problème.
141. La Cour constate qu’un rapport établi par le service psychosocial de l’établissement pénitentiaire où se trouvait le requérant en mars 2010 (voir paragraphe 64, ci-dessus) fit état de la détérioration de l’état de santé psychique du requérant à partir de 2005 et l’attribuait en partie à l’isolement relationnel et aux frustrations qu’il avait subis en raison de son régime carcéral particulier. D’autres rapports firent apparaître l’impact particulièrement fort sur le requérant des mesures coercitives qui lui furent imposées à la prison de Lantin (voir paragraphe 65, ci-dessus). Cela étant, la Cour constate également qu’à partir de 2011, les décisions successives des directeurs de prison se référaient à l’avis préalable du psychiatre référent du requérant selon lequel le maintien des mesures de sécurité ne posait pas de problème.
142. La Cour n’est certes pas en mesure de procéder elle-même et a posteriori à une évaluation du lien causal entre les modalités d’exécution de la détention du requérant et la dégradation de son état de santé mentale. De même, elle ne saurait remettre en cause l’analyse de la cour d’appel de Liège dans son arrêt du 24 novembre 2011 selon laquelle les conditions de détention étaient en adéquation avec la personnalité du requérant, les mesures de sécurité étaient inscrites dans le cadre légal et aucune faute ne pouvait être reprochée à l’État belge dans l’exercice de son pouvoir d’exécution des peines à la prison de Lantin (voir paragraphe 43, ci-dessus).
143. Il n’en demeure pas moins que la Cour est frappée par la durée particulièrement longue – sept ans, de 2007 à 2014 – du maintien du requérant à l’isolement et de l’application des autres mesures de sécurité d’exception. Elle n’est par ailleurs pas convaincue par la formulation souvent stéréotypée et répétitive des décisions de prolongation du « régime particulier de sécurité individuel » qui, au total, fournissent fort peu d’éléments sur les circonstances ou attitudes concrètes du requérant montrant qu’il continuait de représenter une menace permanente pour la sécurité des différents établissements fréquentés. Partant, la Cour a des doutes quant à la nécessité des mesures prises dans le cadre de la détention, sur une période aussi longue et sur une base systématique, pour parvenir au but de sécurité invoqué par l’administration pénitentiaire (voir, mutatis mutandis, Frérot c. France, no 70204/01, § 38, 12 juin 2007, Khider, précité, §§ 102-105, et Kashavelov c. Bulgarie, no 891/05, §§ 39-40, 20 janvier 2011).
144. À la lumière de ces considérations, la Cour estime qu’alors que le requérant faisait déjà l’objet de mesures de transferts répétés, sa mise à l’isolement et la prolongation des mesures de sécurité d’exception pour une période si longue combinée avec la dégradation de son état de santé mentale, entrent en ligne de compte pour apprécier si le seuil de gravité requis par l’article 3 est atteint.
ii. La qualité du suivi et des soins fournis au requérant
145. Le requérant ne formule pas de grief précis sur l’adéquation des soins dont il a bénéficié au cours de sa détention. Il reproche toutefois aux autorités belges d’avoir retardé, en raison de leur politique de transferts, la mise en place d’un suivi psychologique régulier et cohérent.
146. La Cour a déjà constaté que le requérant avait été diagnostiqué en 2007 par un psychiatre attaché au ministère de la Justice comme présentant une association de symptômes correspondant au syndrome de Ganser, diagnostic qui ne fut ensuite plus remis en question (voir paragraphes 62-63, ci-dessus). Elle relève, par ailleurs, que la nécessité d’un suivi psychologique du requérant est soulignée par toutes les expertises médicales versées au dossier depuis 2007 et n’a pas été contestée par le Gouvernement. Toutefois, il apparaît que les transferts incessants du requérant ont empêché un tel suivi et qu’il a fallu attendre 2011 pour qu’un médecin psychiatre référent soit désigné et 2012 pour que soit mis en place un système assurant la continuité du suivi médical d’un établissement à l’autre.
147. La Cour observe en outre que les expertises montrent que, dans l’ensemble, l’état de santé psychique déjà fragile du requérant n’a pas cessé de se dégrader au fur et à mesure que sa détention se poursuivait. Cette évolution n’est d’ailleurs pas en tant que telle contestée par le Gouvernement. La circonstance mentionnée par celui-ci qu’une stabilisation ait été constatée dans le rapport approfondi psychosocial du 4 décembre 2012 ne saurait être prise en compte de façon déterminante sachant que ce même rapport limite cette stabilisation à quelques mois et fait par ailleurs le constat d’une détérioration générale de son état psychique.
148. Il est évident que le requérant n’a pas été traité comme un détenu ordinaire. Néanmoins, la Cour déduit du retard mis à lui fournir des soins appropriés que les autorités pénitentiaires n’ont pas suffisamment pris la mesure de sa vulnérabilité ni envisagé sa situation dans une perspective humanitaire. C’est précisément ce point que la Cour doit examiner à présent en tant que troisième élément d’appréciation : le maintien du requérant en détention.
iii. Le maintien du requérant en détention
149. La Cour note que plusieurs dispositifs existent en droit belge en vue d’octroyer aux détenus des permissions de sortie et des congés pénitentiaires et de les aider à préparer leur réinsertion dans la société. Le requérant, qui était admissible à ces dispositifs et fit plusieurs demandes à partir de 2008, vit toutefois ses demandes systématiquement rejetées alors que plusieurs rapports établis par les équipes psychosociales des services pénitentiaires et les avis de plusieurs directeurs de prison y étaient favorables.
150. La Cour relève en particulier l’avis positif rendu le 17 janvier 2011 par le directeur de la prison de Jamioulx en vue du placement du requérant sous surveillance électronique (voir paragraphe 65, ci-dessous). Selon cet avis, l’enfermement carcéral du requérant avait été un échec total et mettait en cause l’aptitude du requérant à la détention. Toujours selon ce rapport, l’octroi des mesures précitées était la seule possibilité pour le requérant d’envisager l’avenir et de progresser dans la concrétisation de son plan de reclassement.
151. Le psychiatre de référence du requérant constatait, quant à lui, dans une note du 6 juillet 2012 l’attitude de plus en plus dépressive du requérant face à l’absence de perspectives de permissions de sortie ou de congés pénitentiaires malgré les efforts consentis.
152. L’aptitude du requérant à être incarcéré fut également questionnée par le tribunal de l’application des peines de Bruxelles dans son jugement du 18 mars 2013 (voir paragraphe 57, ci-dessus) dans lequel il reconnut expressément que la prison n’avait plus aucun sens ni aucun impact sur le requérant à tout le moins sans l’ouverture possible que permettaient les sorties et les congés. Toutefois, le tribunal rejeta, ainsi qu’il l’avait fait plusieurs fois déjà, la surveillance électronique, les congés et les permissions au motif que la condition posée par la loi que ces mesures puissent être accordées à court terme n’était pas remplie vu l’importance du travail qui devait encore être accompli pour améliorer l’état psychique du requérant. De même, le 28 mai 2014, le ministre de la Justice refusa de réserver une suite positive à une demande de congés pénitentiaires en vue de suivre une psychothérapie en dehors de la prison au motif que son séjour à la prison où il avait été transféré n’avait pas été assez long pour avoir le recul suffisant.
153. La Cour observe le contraste entre, d’une part, les constats des professionnels qui, au contact direct avec la réalité de la détention du requérant, considéraient de manière récurrente depuis 2011 que l’incarcération du requérant, quasiment ininterrompue depuis 1984, ne remplissait plus ses objectifs légitimes et qui étaient favorables à la mise en place d’alternatives et, d’autre part, la réponse des autorités pénitentiaires, qui ont persisté dans leur refus de faire évoluer la situation du requérant malgré la dégradation de son état de santé. La Cour estime que ces décisions sont, en tous cas, illustratives de l’impasse dans laquelle se trouvait le requérant, impasse qui, selon ses affirmations, l’a finalement poussé à entamer une grève de la faim en octobre 2014.
154. De l’avis de la Cour, ces éléments montrent qu’en l’espèce les dispositifs qui auraient pu permettre au requérant de poursuivre sa détention dans des conditions dignes ont été appliqués en privilégiant plutôt les exigences formelles que les considérations liées aux conditions particulières dans lesquelles était détenu le requérant ou la compatibilité de la détention avec son état de santé.
iv. Conclusion
155. À la lumière de ce qui précède, les modalités d’exécution de la détention du requérant, soumis à des transferts répétés d’établissements pénitentiaires et à des mesures d’exception répétitives, combinées avec le retard mis par l’administration pénitentiaire à mettre en place une thérapie, et le refus des autorités à envisager le moindre aménagement de la peine malgré l’évolution négative de l’état de santé du requérant, ont pu provoquer chez lui une détresse qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Dans ces conditions, la Cour ne saurait considérer que les autorités belges ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles vu les exigences de l’article 3 de la Convention. Le seuil de gravité pour qu’un traitement soit considéré, au sens de cet article, comme dégradant, a ainsi été dépassé. Il y a donc eu violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
156. Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif devant les instances nationales pour faire valoir la violation de son droit à ne pas être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il invoque l’article 13 de la Convention qui est ainsi formulé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
157. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
158. Le requérant fait valoir que les trois recours qu’il avait à sa disposition n’étaient ni effectifs ni adaptés pour se plaindre des transferts et des modalités d’exécution de sa détention.
159. Le recours devant le président du tribunal de première instance statuant en référé ne présente pas les garanties d’effectivité car le président met souvent plusieurs semaines pour prendre une décision ; de plus il ne se déplace pas sur les lieux de détention pour constater les conditions de détention. À cela s’ajoute dans le cas du requérant le fait que les autorités pénitentiaires l’ont systématiquement transféré lorsqu’il introduisait une demande pour ensuite pouvoir plaider que la situation critiquée devant le tribunal avait pris fin et était sans objet. Quant à la procédure en appel, il s’écoule souvent des mois avant que les parties n’obtiennent une décision. Enfin, quand bien même le requérant a finalement obtenu gain de cause dans la procédure qui a mené à l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 6 décembre 2013 enjoignant à l’État notamment de suspendre la politique de transfèrement, l’État ne s’est jamais exécuté volontairement.
160. Selon le requérant, l’action en responsabilité fondée sur l’article 1382 du code civil présente les mêmes inconvénients que la procédure en référé si ce n’est que la procédure au fond est encore plus longue.
161. Le troisième recours est la plainte pénale avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction du chef de traitements inhumains ou dégradants. Toutefois, alors qu’il a porté plainte en 2007 contre des surveillants et le directeur de la prison d’Ittre, ce n’est que le 16 janvier 2014 que la décision du tribunal de première instance est intervenue et le 23 juin 2015 que la cour d’appel se prononça.
162. Enfin, le requérant explique qu’il n’y a aucun recours contre les décisions de placement sous régime particulier de sécurité individuel. Un recours contre l’administration pénitentiaire devant le Conseil d’État est voué à l’échec. Selon une jurisprudence constante, le Conseil d’État considère qu’il s’agit d’une mesure d’ordre et s’estime donc incompétent. Si un recours devant le président du tribunal de première instance statuant en référé peut théoriquement se concevoir, les délais de procédure sont trop longs et bien souvent la décision intervient après que la mesure ait pris fin rendant le recours sans objet. Par ailleurs, même si l’ordonnance intervient avant la fin de la mesure, une grande partie de celle-ci a déjà été exécutée et les effets d’une éventuelle décision positive sont donc très limités.
163. Cet état de choses est dû à l’absence en droit belge, malgré les recommandations du CPT, d’une procédure de plainte officielle et indépendante au sein du système pénitentiaire permettant aux détenus de se plaindre des conditions de vie au sein de la prison. La loi de principes de 2005 (voir paragraphe 101, ci-dessus) a certes pallié à cette lacune mais les dispositions instituant un droit de plainte en matière de transfert, de régime d’exception, mais aussi par rapport à toute décision prise par le directeur ou au nom de celui-ci ne sont pas encore en vigueur.
164. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a pu, de façon effective, introduire des recours judiciaires ou des recours devant le Conseil d’État chaque fois qu’il estimait que ses droits n’étaient pas respectés. Il estime que le dispositif belge en matière de recours doit être examiné à la lumière de la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 de la Convention même si aucun d’entre eux n’y répond en entier à lui seul.
2. Appréciation de la Cour
165. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne offrant la possibilité d’obtenir l’examen du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi du redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour l’appréciation de l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła précité, § 157, et Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 131, CEDH 2014).
166. La Cour rappelle également que dans l’appréciation de l’effectivité des recours concernant des allégations de mauvaises conditions de détention, la question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié, et pas simplement une protection indirecte de ses droits garantis par l’article 3 de la Convention. Ainsi, un recours exclusivement en réparation ne saurait être considéré comme suffisant s’agissant des allégations de conditions d’internement ou de détention prétendument contraires à l’article 3, dans la mesure où il n’a pas un effet « préventif » en ce sens qu’il n’est pas à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention. Le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 50, 8 janvier 2013). La seule perspective d’une indemnisation future reviendrait à légitimer des souffrances particulièrement graves en violation de l’article 3 de la Convention et affaiblirait de manière inacceptable l’obligation juridique de l’État de mettre les conditions de détention en conformité avec les exigences de la Convention (Varga et autres c. Hongrie, nos 14097/12, 45135/12, 73712/12, 34001/13, 44055/13, et 64586/13, § 49, 10 mars 2015). En d’autres termes, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire (Torreggiani et autres, précité, § 96).
167. La Cour estime que cette jurisprudence, énoncée dans le cadre de conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention, vaut également pour les conditions de détention au sens des modalités d’exécution de la détention faisant l’objet de la présente affaire.
168. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu que l’effet combiné des modalités d’exécution de la détention du requérant, du retard mis par l’administration pénitentiaire à mettre en place une thérapie et du refus des autorités à envisager le moindre aménagement de la peine a entraîné la violation de l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 155, ci-dessus). Les griefs de celui-ci constituent donc des « griefs défendables » au sens de l’article 13.
169. La Cour observe qu’en plus du recours indemnitaire en responsabilité pour faute de l’État et de l’action pénale mise en mouvement par le requérant, celui-ci a exercé à deux reprises, en 2008 et en 2012, un recours « préventif » consistant à saisir, sur pied de l’article 584 du code judiciaire, le juge civil d’une action en référé en vue de faire cesser la politique de transfèrement et à mettre un terme aux mesures d’exception notamment à la prison de Lantin (voir paragraphes 37-40 et 49-53, ci-dessus).
170. La Cour rappelle qu’en obiter dictum, dans l’affaire Vasilescu (précité, § 71) qui concernait la surpopulation carcérale en prison, elle a considéré que ce recours semblait, en théorie, adéquat pour remédier de façon immédiate à une situation contraire aux droits subjectifs d’une personne détenue. En effet, il ressort des exemples de jurisprudence fournis par le Gouvernement dans le cadre de cette affaire que le juge saisi en référé peut ordonner que soit prise une mesure individuelle afin de mettre un terme à une situation contraire aux droits subjectifs de la personne détenue par exemple en ce qu’elle a trait aux relations avec d’autres détenus ou à des mesures de sécurité (§§ 33-37).
171. Cela étant dit, la Cour souligne qu’en l’espèce, les griefs du requérant ne concernaient pas des mesures isolées de détention mais avaient trait à la politique continue de transferts et au régime appliqué dans une prison déterminée ainsi qu’aux effets de ces mesures sur la santé du requérant. Or, la Cour remarque qu’en raison des transfèrements répétés du requérant, la protection offerte par le juge en référé ne s’est pas avérée efficace. Ainsi, au cours de la première de ces procédures, le requérant continua à faire l’objet de transferts d’une prison à l’autre rendant sans objet la demande de mettre fin aux mesures appliquées à la prison de Lantin et inexistante l’urgence justifiant la compétence du juge des référés. À cela s’ajoute que la procédure au fond relative à la politique de transfèrement n’a finalement pas prospéré (voir paragraphe 53, ci-dessus).
172. De l’avis de la Cour, il y a lieu de considérer qu’en l’espèce, les circonstances volontairement créées par les autorités n’ont pas permis au requérant d’avoir une possibilité réaliste d’utiliser le recours en référé (voir, mutatis mutandis, sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention, Trifković c. Croatie, no 36653/09, § 139, 6 novembre 2012, et références citées).
173. La Cour en déduit que le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec cette disposition.
III. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
A. Sur l’application de l’article 46 de la Convention
174. L’article 46 de la Convention, en son passage pertinent en l’espèce, se lit ainsi :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. (...). »
1. Principes applicables
175. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention. Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (Affaire centre de ressources juridiques
au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, 17 juillet 2014, et références citées).
2. Application au cas d’espèce
176. En l’espèce, la Cour a conclu à une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention en raison de l’absence d’un recours ouvert aux détenus aux fins d’empêcher rapidement la continuation de transferts et de mesures d’exception prétendument contraires à l’article 3 (voir paragraphes 163-164, ci-dessus).
177. La Cour note l’instauration en droit belge par la loi de principes de 2005 d’un droit spécifique de plainte des détenus auprès d’une commission des plaintes instituée auprès des commissions de surveillance instituées dans chaque prison. Les dispositions pertinentes ne sont toutefois pas encore entrées en vigueur en l’absence d’un arrêté royal d’exécution à cet effet.
178. Dans ce contexte, et ainsi qu’elle l’a déjà fait dans l’arrêt Vasilescu précité (§ 128), la Cour recommande à l’État défendeur l’adoption de mesures générales : la mise en place d’un recours adapté à la situation des détenus qui se trouvent confrontés à des transferts et à des mesures d’exception du type de celles qui furent imposées au requérant.
B. Sur l’application de l’article 41 de la Convention
179. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
180. Le requérant fait valoir qu’il aurait pu, s’il n’avait pas fait l’objet de transferts répétés et de mesures d’exception, accéder à une libération conditionnelle, entamer sa réinsertion professionnelle et bénéficier de rentrées professionnelles. Il estime toutefois que son dommage matériel est impossible à déterminer de manière exacte. Il y a lieu, selon lui, de tenir compte de ce qui précède pour statuer sur le dommage total, matériel et moral, et il réclame la somme de 25 000 euros (EUR) à ce titre. En ce qui concerne le dommage moral, le requérant souligne les conséquences gravissimes de la politique de transfèrement, le caractère humiliant, dégradant et vexatoire des mesures et les autres conséquences désastreuses du régime de détention sur son intégrité.
181. Compte tenu de l’historique de l’intéressé et de sa personnalité, le Gouvernement estime ne pas être redevable d’un quelconque dommage qui résulterait des conditions de détention du requérant ou de la dégradation de son état de santé.
182. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour estime qu’il n’y a pas de relation de cause à effet suffisante entre les allégations du requérant et la violation constatée. Partant, elle rejette ces prétentions.
183. En revanche, elle considère que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de ses conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention et qu’il a droit à une indemnité. Compte tenu de la durée de la détention litigieuse et statuant en équité, la Cour lui alloue la somme réclamée, soit un montant de 12 000 EUR au titre du préjudice moral.
2. Frais et dépens
184. Le requérant demande, justificatifs à l’appui, un montant de 52 018 EUR pour les frais et dépens engagés dans les différentes procédures menées devant les juridictions internes, déduction faite des sommes déjà perçues au titre de l’assistance juridique.
185. Le Gouvernement est d’avis que la demande du requérant doit être rejetée au motif que ses avocats devaient savoir, en acceptant de le défendre, que la rémunération de leurs prestations dans le cadre de ce dossier serait moins importante que celles qu’ils auraient pu réclamer à un client « privé ». Ils savaient que le requérant serait dépendant de l’aide juridique gratuite, ce qui fut effectivement le cas, y compris pour sa défense devant la Cour.
186. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour estime que les montants réclamés au titre des frais et dépens engagés dans les procédures nationales sont excessifs et estime raisonnable d’allouer au requérant la somme de 30 000 EUR à ce titre.
3. Intérêts moratoires
187. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente
* * *
[1] Rectifié le 26 janvier 2016 : le texte était le suivant : « Le requérant a été représenté par Mes T. Moreau, avocat à Bruxelles, et M. Nève, avocat à Liège. »
[2] Rectifié le 26 janvier 2016 : « La procédure au fond fut poursuivie et fixée pour plaidoiries le 18 février 2015 » a été supprimé.
[3] Rectifié le 26 janvier 2016 : le texte était le suivant : « Il n’appartient pas au condamné de demander sa libération conditionnelle. La direction de l’établissement pénitentiaire initie automatiquement la procédure lorsque celui-ci entre dans les conditions de temps requises. Une fois la procédure introduite, la direction dispose d’un délai de deux mois pour émettre un avis motivé (article 50). »