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12/11/2015 | CEDH | N°001-158485

CEDH | CEDH, AFFAIRE RUSTAM KHODZHAYEV c. RUSSIE, 2015, 001-158485


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE RUSTAM KHODZHAYEV c. RUSSIE

(Requête no 21049/06)

ARRÊT

STRASBOURG

12 novembre 2015

DÉFINITIF

12/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Rustam Khodzhayev c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de A

lbuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en c...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE RUSTAM KHODZHAYEV c. RUSSIE

(Requête no 21049/06)

ARRÊT

STRASBOURG

12 novembre 2015

DÉFINITIF

12/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rustam Khodzhayev c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21049/06) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant tadjik, M. Rustam Makhsumovich Khodzhayev (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 avril 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me O.O. Mikhaylova, avocate à Moscou. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant allègue en particulier avoir subi des mauvais traitements lors de son interpellation par la police. Il se plaint également de l’absence d’un défenseur en appel.

4. Le 5 juillet 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1963 et purge actuellement une peine d’emprisonnement à Vezhayka, région de Komi.

A. Arrestation du requérant

6. Une connaissance du requérant, Mme M., interrogée par la police au sujet de la provenance de stupéfiants saisis sur elle le 6 avril 2005, affirma que le requérant en vendait. En conséquence, une opération policière visant le requérant, consistant en la « livraison contrôlée » de stupéfiants, fut menée le 7 avril 2005 sous le contrôle de l’enquêteur S. Suivant les instructions de l’enquêteur, Mme M. téléphona au requérant pour convenir d’un rendez-vous et lui acheter de la drogue qu’elle devait payer avec de l’argent marqué. La transaction eut lieu sous la surveillance de S. et des policiers et, une fois l’échange effectué, deux policiers, O. et Ku., procédèrent à l’arrestation du requérant.

7. Les circonstances de l’arrestation prêtent à controverse entre les parties.

8. Le requérant décrit le déroulement de son arrestation comme suit.

Le requérant rencontra Mme M. pour discuter du paiement d’une dette par cette dernière. Après avoir reçu une somme d’argent de la part de Mme M., il aperçut un homme en civil courir vers lui. Croyant être poursuivi par des « bandits », le requérant jeta l’argent remis par Mme M. et tenta d’échapper à ses poursuivants. Comprenant après un coup de feu d’avertissement qu’il s’agissait de policiers, il s’arrêta. Il suivit les ordres d’un des policiers et s’allongea sur le sol, les mains derrière le dos. En dépit de son comportement passif, les policiers le menottèrent et lui portèrent des coups de pied à la tête et à l’aine. Les policiers proférèrent également des injures xénophobes à son encontre. Ces brutalités durèrent de dix à vingt-cinq minutes. Lors de son arrestation, un des policiers glissa dans sa poche une liasse de billets de banque marqués. Le requérant vit une voiture s’arrêter près de lui, dans laquelle se trouvait l’enquêteur S. D’autres policiers le frappèrent pendant que l’enquêteur S. restait dans le véhicule et observait la scène. Ensuite S. descendit de la voiture et fit signe aux agents d’arrêter. En se relevant, le requérant vit que la scène était observée par des employés d’une station de gaz située en face. À son arrivée au bureau de police, le requérant reçut deux coups de poing à l’abdomen. L’agent O. le contraignit à se mettre à genoux dans un bureau et lui écrasa les jambes à plusieurs reprises en marchant dessus.

9. Le Gouvernement expose sa version des faits de la manière suivante : après avoir aperçu la police, le requérant prit la fuite et tenta de résister à l’interpellation ; pour contrer son action, les policiers l’immobilisèrent au sol en utilisant une technique de combat et le menottèrent ; lors de la fouille au corps, faite en présence de deux témoins instrumentaires, MM. Go. et Kur., les policiers saisirent les billets de banque que la police avait fournis à Mme M.

10. Le 7 avril 2005, après 19 heures, le requérant fut examiné par des médecins urgentistes dans les locaux du bureau de police. Les médecins constatèrent la présence d’éraflures sur son visage et l’existence d’un syndrome neurasthénique. Selon le certificat signé au moment de l’intervention par Mme G., médecin urgentiste, et par l’enquêteur S., cet examen révélait la présence d’éraflures sur les tempes, le front et le nez, ainsi que l’absence d’éraflures sur le corps du requérant.

11. Le soir même, le requérant fut transféré au centre de détention où il fut examiné par un médecin. Il présentait une contusion pariétale gauche et des éraflures sur le front et le cou.

12. Toujours le 7 avril 2005, vers 21 heures, le requérant se plaignit de douleurs alors qu’il se trouvait au centre de détention. Des médecins urgentistes appelés sur place l’examinèrent et constatèrent une contusion du thorax et une fracture fermée d’une côte. À la demande des médecins urgentistes, le requérant fut transporté à l’hôpital civil. Il y fut examiné par un chirurgien et un neurochirurgien et fut soumis à une radiographie du thorax et une échographie abdominale qui se révélèrent normales. Selon le requérant, les forces de l’ordre ont discuté longuement avec les médecins de l’hôpital civil.

13. À l’exception de l’attestation médicale signée par le médecin urgentiste Mme G., aucun certificat ne fut remis au requérant ce jour-là.

Le requérant a soumis à la Cour les copies des certificats délivrés par le chef du centre de détention et par le chef du département de santé publique de la ville de Tyumen, établis respectivement le 13 décembre 2005 et le 17 mars 2006, qui confirmaient l’historique des interventions médicales du 7 avril 2005.

B. Enquête concernant les allégations de mauvais traitements

14. Le 8 avril 2005, le requérant déposa une plainte auprès du procureur du district Léninski de la ville de Tumen.

15. Le 11 avril 2005, un médecin légiste fut désigné pour effectuer un examen médical du requérant. L’expert ne releva aucun dommage corporel. Le rapport établi par lui indiquait que le requérant n’avait soulevé aucun grief particulier.

16. L’enquêteur chargé d’examiner la plainte interrogea les policiers impliqués. L’agent Ku. indiqua qu’il avait surveillé la transaction entre le requérant et Mme M. et qu’après l’échange il avait transmis le signalement du requérant à son collègue O. L’agent O. déclara qu’il était en train de procéder à l’arrestation du requérant lorsque celui-ci s’était mis à courir, puis s’était arrêté et avait essayé de le frapper et que, pour contrer son action, l’agent Ku. l’avait fait tomber à terre et lui avait passé les menottes. L’enquêteur S. exposa qu’en arrivant sur les lieux il avait vu le requérant au sol et menotté ; il précisa que les policiers lui avaient expliqué que le requérant avait tenté de prendre la fuite et avait été immobilisé. Enfin, les deux témoins instrumentaires, MM. Kur. et Go. indiquèrent avoir vu le requérant au sol et menotté.

17. Le 21 avril 2005, l’enquêteur rendit une ordonnance de non-lieu, en se fondant sur les dépositions recueillies ainsi que sur le rapport d’expertise médicolégale du 11 avril 2005.

18. Entre avril et août 2005, le requérant envoya plusieurs lettres au procureur du district Léninski et au procureur de la région de Tumen dans lesquelles il disait n’avoir reçu aucune réponse à sa plainte.

Le 18 août 2005, le requérant reçut une copie de l’ordonnance de non‑lieu.

19. Dans l’intervalle, en mai 2005, le requérant avait déposé une nouvelle plainte devant le procureur du district Léninski. Dans cette plainte, il affirmait que des employés d’une station de gaz située en face du lieu de l’interpellation avaient été témoins de la scène. Il mettait également en doute l’indépendance du médecin légiste qui l’avait examiné le 11 avril 2005 et dénonçait des incohérences entre le rapport de celui-ci et les observations faites par les médecins urgentistes.

20. Le 6 juin 2005, une nouvelle ordonnance de non-lieu fut rendue en réponse à cette plainte. Il était relevé dans cette décision que, au cours de l’enquête, les policiers avaient indiqué que le requérant s’était opposé à son arrestation et que l’agent O. avait utilisé une technique de combat pour l’immobiliser et lui avait passé les menottes. De même, il était mentionné que l’enquêteur S. avait déclaré avoir vu une éraflure sur le visage du requérant après son arrestation et avait réfuté la thèse des mauvais traitements et usage excessif de la force allégués. Enfin, il était précisé que le médecin légiste avait confirmé n’avoir vu aucune lésion sur le visage ou le corps du requérant, conformément à ce qui était indiqué dans son rapport du 11 avril 2005.

21. Le requérant reçut la copie de cette décision le 18 août 2005, en même temps que la copie de la première décision de non-lieu.

22. Pour des raisons non spécifiées, les autorités nationales rendirent une autre ordonnance de non-lieu le 2 septembre 2005. Il était indiqué dans cette décision que, lors du complément d’enquête, l’enquêteur avait interrogé Mme G, un des médecins urgentistes qui avait examiné le requérant au bureau de police en présence de deux agents le 7 avril 2005, et que, à cette occasion, celle-ci avait déclaré que le requérant avait simulé la douleur et qu’il n’avait pas de lésions corporelles.

C. Recours judiciaire contre les ordonnances de non-lieu

23. Le 1er septembre 2005, le tribunal du district Léninski de la ville de Tumen rejeta un recours déposé par le requérant, représenté par Me Tch., contre l’ordonnance de non-lieu du 21 avril 2005. Le tribunal constata que l’enquête était complète et satisfaisante et refusa de se pencher sur les dépositions des témoins au motif qu’elles avaient déjà été examinées par la juridiction de jugement dans la procédure engagée contre le requérant pour trafic de stupéfiants.

24. Par une décision du 11 octobre 2005, la cour régionale de Tumen rejeta l’appel interjeté par le requérant. Selon les éléments du dossier, ni le requérant ni son avocat n’ont été avisés de la date de l’audience. Le requérant fut informé de cette décision le 29 octobre 2005.

25. Le 15 février 2006, le tribunal du district Léninski de Tumen confirma l’ordonnance de non-lieu du 2 septembre 2005. Le requérant ne fit pas appel, considérant que cette voie de recours n’offrait aucune chance de succès.

D. Procédure pénale menée à l’encontre du requérant

26. Au cours du procès pénal dirigé contre lui, le requérant plaida son innocence. Il affirma que l’argent saisi sur lui le 7 avril 2005 provenait du remboursement partiel par Mme M. d’une dette et n’était en rien une somme donnée en échange de stupéfiants. Il réitéra ses allégations de mauvais traitements subis lors de l’arrestation.

27. Le tribunal entendit les agents Ku. et O. en leurs dépositions.

28. Dans sa déposition, l’agent Ku. indiqua que, après la transaction, le requérant avait tenté de quitter les lieux en courant et que lui‑même avait alors transmis son signalement et sa direction à son collègue O. et avait couru vers le fugitif. Il ajouta que O. avait également couru vers le requérant, mais que celui-ci avait tenté de s’opposer à son arrestation et de frapper son collègue. Il déclara aussi que son collègue et lui-même avaient utilisé une technique de combat en projetant le requérant au sol et qu’ils lui avaient passé les menottes. Ku. indiqua également avoir vu une éraflure sur le front du requérant.

29. O. déclara au tribunal que, après avoir reçu le signalement du requérant, il s’était mis à courir vers celui-ci. Il indiqua que le requérant avait tenté de le frapper et que, pour contrer son action, il l’avait projeté au sol par la hanche. Il ajouta qu’à ce moment-là Ku. était arrivé et qu’ils avaient tous les deux passé les menottes au requérant. O. précisa qu’il avait vu une éraflure sur le visage du requérant. Il indiqua également que celui-ci simulait la douleur et que ni les médecins urgentistes ni les médecins de l’hôpital civil n’avaient constaté de lésions corporelles.

30. Le tribunal entendit l’enquêteur S. Celui-ci déclara qu’il avait vu le requérant au sol en arrivant sur les lieux et que les policiers lui avaient expliqué que l’intéressé avait été immobilisé après une tentative de fuite.

31. Le témoin instrumentaire Go., interrogé devant le tribunal, indiqua qu’il avait vu le requérant au sol et menotté. Il ajouta que le requérant avait une éraflure sur le front qui saignait. L’autre témoin instrumentaire ne fut pas interrogé.

32. Se référant à ces dépositions et aux ordonnances de non-lieu, ainsi qu’au certificat daté du 7 avril 2005 et signé par le médecin urgentiste Mme G, le tribunal décida d’écarter les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant.

33. Le 14 septembre 2005, le tribunal du district Léninski de Tumen condamna le requérant à neuf ans d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants pour les faits du 7 avril 2005. Il rendit un non-lieu pour les faits concernant la saisie de stupéfiants sur Mme M. le 6 avril 2005.

34. Le requérant interjeta appel. Il demanda à plusieurs reprises à être assisté par Me Tch., avocate commise d’office en première instance, lors de l’audience d’appel. Il réitéra son grief relatif aux mauvais traitements.

35. Le 1er décembre 2005, la cour régionale de Tumen maintint le jugement en appel. Me Tch. étant absente pour des raisons non spécifiées, l’audience se tint en la seule présence du requérant et du procureur.

36. Le 20 avril 2007, le présidium de la cour régionale de Tumen considéra que, puisque les stupéfiants avaient été saisis durant l’opération policière, les faits incriminés ne constituaient qu’une tentative de vente de stupéfiants. En conséquence, il requalifia les charges et réduisit la peine d’emprisonnement infligée au requérant à huit ans et neuf mois.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Usage de la force par les agents de police

37. L’article 13 de la loi fédérale no 1026-I du 18 avril 1991, en vigueur au moment des faits, autorisait les agents de police à utiliser la force physique, y compris les techniques de combat, afin de mettre fin à des actes criminels, d’interpeller les personnes ayant commis de tels actes et de contrer l’opposition à des ordres légitimes, si les méthodes non violentes ne permettaient pas aux agents de remplir leurs fonctions.

38. L’article 23 de la même loi disposait que toute personne devait exécuter un ordre légitime donné par un agent de police. Le manquement ou l’obstruction à l’exécution d’un tel ordre entraînaient la responsabilité légale de la personne concernée. Les agents de police ne pouvaient être tenus responsables pour le préjudice moral, matériel ou physique causé par l’usage de la force dans les conditions prévues par la loi, si le préjudice était proportionné à la force qui leur était opposée.

B. Assistance gratuite d’un avocat

1. Le code de procédure pénale de la Fédération de Russie

39. En application de l’article 50 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie du 18 décembre 2001, en vigueur au moment des faits, l’enquêteur ou le tribunal devaient fournir à tout suspect et tout accusé qui le demandaient l’assistance d’un défenseur.

40. L’article 51 du même code disposait que, dans la procédure pénale, tout suspect ou tout accusé qui n’avait pas renoncé à son droit à l’assistance d’un défenseur devait obligatoirement pouvoir bénéficier d’une telle assistance. Il énonçait que l’enquêteur, le procureur ou le tribunal étaient chargés de désigner d’office un défenseur à tout accusé qui n’avait pas fait appel à un défenseur de son choix.

41. L’article 52 du code de procédure pénale précisait que l’accusé pouvait renoncer à son droit à l’assistance d’un défenseur à n’importe quel stade de la procédure pénale, mais qu’il devait le faire par écrit. Une telle renonciation était admise uniquement si elle était faite à l’initiative de l’accusé, lequel pouvait également à tout moment revenir sur sa renonciation.

42. D’après l’article 373 du code de procédure pénale, la juridiction de recours saisie en appel d’un jugement vérifiait la légalité, la validité et l’équité de celui-ci. L’article 377 du même code permettait à cette juridiction d’apprécier elle-même les moyens de preuve, y compris les éléments nouveaux présentés par les parties.

43. L’article 376 § 4 du code de procédure pénale disposait enfin que l’examen de l’affaire en appel pouvait se dérouler en l’absence des personnes dûment informées de la date et du lieu de l’audience.

2. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie

44. Dans sa décision no 497-O du 18 décembre 2003, par laquelle elle a statué sur la constitutionnalité de l’article 51 du code de procédure pénale, la Cour constitutionnelle s’est exprimée comme suit :

« Il ne ressort nullement de l’article 51 § 1 du code de procédure pénale, qui énonce les cas dans lesquels le ministère d’un défenseur est obligatoire, que ses dispositions ne sont pas applicables en appel ni qu’il est possible de restreindre le droit du condamné à l’assistance du défenseur dans une telle procédure. »

45. Dans sept arrêts rendus par elle le 8 février 2007, la Cour constitutionnelle a confirmé et étoffé cette jurisprudence. Elle a jugé que l’assistance d’un défenseur aux fins d’une procédure d’appel devait être fournie gratuitement dans les mêmes conditions qu’aux stades antérieurs de la procédure et qu’elle était obligatoire dans les cas prévus par l’article 51 précité. Elle a souligné par ailleurs l’obligation incombant au juge d’assurer la participation de l’avocat de la défense aux instances d’appel.

3. La jurisprudence de la Cour suprême de la Fédération de Russie

46. Dans un certain nombre d’affaires (décisions du 13 octobre 2004, des 26 janvier, 9 février, 6 avril, 15 juin et 21 décembre 2005, des 24 mai et 18 octobre 2006, du 17 janvier 2007 et des 3 septembre et 15 octobre 2008), le présidium de la Cour suprême a cassé des arrêts de juridictions d’appel et renvoyé les affaires y afférentes pour un nouvel examen, au motif que lesdites juridictions n’avaient pas assuré la présence à l’audience de l’avocat de la défense, en dépit de l’obligation qui leur était faite en ce sens.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

47. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements lors de son interpellation par la police. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, il se plaint également de carences de l’enquête concernant ses allégations de mauvais traitements.

La Cour estime que l’ensemble des griefs soulevés par le requérant doit être examiné sous l’angle du seul article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Thèses des parties

1. Le requérant

48. Le requérant soutient que les agents de police l’ont agressé lors de son arrestation, et ce, à ses dires, même après qu’il eut été au sol et menotté, alors qu’il n’aurait pas opposé la moindre résistance. Il se plaint aussi d’avoir été frappé dans les locaux du bureau de police. À l’appui de ses allégations, le requérant se réfère aux résultats des examens effectués par les médecins urgentistes, le médecin du centre de détention et les médecins de l’hôpital civil le jour de son arrestation.

49. Le requérant soutient également que l’enquête menée à la suite de ses allégations de mauvais traitements n’était pas complète. Il précise que, malgré sa demande, les témoins oculaires n’ont pas été entendus et que les autorités chargées de l’enquête n’ont pas comparé les différents rapports médicaux, contradictoires selon lui, et n’ont pas pris en compte les preuves médicales existantes. Il se plaint enfin de ne pas avoir été informé à temps des résultats de l’enquête.

2. Le Gouvernement

50. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. Il précise que les agents de police ont légitimement utilisé la force physique à l’encontre du requérant afin de contrer la résistance opposée par celui-ci. Se référant au rapport d’expertise médicolégale (paragraphe 15 ci-dessus), le Gouvernement soutient qu’aucune preuve de mauvais traitements n’a été relevée. Il estime que l’enquête sur les allégations du requérant a été complète et que toutes les personnes concernées ont été entendues. Enfin, le Gouvernement considère que les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant constituaient en fait une stratégie pour permettre à celui-ci d’échapper à la responsabilité pénale pour ces actes.

B. Analyse de la Cour

1. Sur la recevabilité

51. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Principes généraux

i. Interdiction de mauvais traitements et usage de la force

52. La Cour a déclaré à maintes reprises que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Cet article ne prévoit pas d’exceptions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention, et d’après l’article 15 § 2 de la Convention il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999‑V, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

53. Lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention (voir, notamment, Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 38, série A no 336 ; Mete et autres c. Turquie, no 294/08, § 106, 4 octobre 2011 ; et El Masri c. « l’ex‑République yougoslave de Macédoine » [GC], no 39630/09, § 207, CEDH 2012).

54. La Cour rappelle que les allégations de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (voir, notamment, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161 in fine, série A no 25, Labita, précité, § 121, et Matko c. Slovénie, no 43393/98, §§ 98-99, 2 novembre 2006).

55. La Cour rappelle en outre sa jurisprudence constante selon laquelle, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, lorsque les événements en cause sont connus exclusivement des autorités, la survenue de toute blessure ou décès pendant la période où l’individu se trouvait entre les mains des agents de l’État donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse dans ce cas sur les autorités qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 89, 23 février 2012, et les références qui y sont citées).

56. S’agissant en particulier de l’usage de la force au cours d’une arrestation, la Cour doit rechercher si la force utilisée était strictement nécessaire et proportionnée et si l’État doit être tenu pour responsable des blessures infligées. Pour répondre à cette question, elle doit prendre en compte les blessures occasionnées et les circonstances dans lesquelles elles l’ont été. À partir du moment où l’allégation de mauvais traitements a été suffisamment étayée, il incombe normalement au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes démontrant que le recours à la force était à la fois proportionné et nécessaire (voir, notamment, Petyo Popov c. Bulgarie, no 75022/01, § 54, 22 janvier 2009, et les références qui y sont citées).

57. À cela il faut ajouter que, si la Cour est consciente du caractère subsidiaire de son rôle et doit se montrer prudente avant d’assumer celui de tribunal de première instance appelé à connaître des faits, elle n’est pas liée par les constatations factuelles des tribunaux nationaux et peut s’en écarter lorsque les circonstances d’une affaire particulière rendent cela inévitable (voir, par exemple, Maslova et Nalbandov c. Russie, no 839/02, § 100, 24 janvier 2008, et Buntov c. Russie, no 27026/10, § 118, 5 juin 2012). La Cour se doit de faire preuve d’une vigilance particulière en cas d’allégations de violation de l’article 3 de la Convention (Ribitsch, précité, § 32, et El‑Masri, précité, § 155; voir aussi, notamment, Georgiy Bykov c. Russie, no24271/03, § 51, 14 octobre 2010).

ii. Obligation de mener une enquête effective

58. La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective.

59. L’obligation de mener une enquête effective est une obligation de moyens : toute enquête ne doit pas nécessairement aboutir à la conclusion qui correspond à la version des faits du plaignant. Toutefois, elle doit en principe pouvoir mener à l’établissement des faits et, si les allégations s’avèrent confirmées, à l’identification et à la punition des responsables (voir, entre autres, Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, § 124, CEDH 2000‑III, et Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 71, CEDH 2002‑II; voir aussi Georgiy Bykov, précité, § 60).

60. L’enquête doit également être prompte. La Cour va ainsi notamment examiner si les autorités ont réagi rapidement aux allégations de mauvais traitements (Labita, précité, §§ 133 et suiv.) et prendre en compte la durée de l’enquête initiale (Indelicato c. Italie, no 31143/96, § 37, 18 octobre 2001). La Cour rappelle également que l’enquête rendue nécessaire par des allégations de mauvais traitements doit être à la fois rapide et approfondie, ce qui signifie que les autorités doivent toujours s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore l’enquête ou fonder leurs décisions (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 103, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, et Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV). Les autorités doivent prendre toutes les mesures raisonnables à leur disposition pour obtenir les preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires et les expertises criminalistiques (Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 104, CEDH 1999‑IV, et Gül c. Turquie, no 22676/93, § 89, 14 décembre 2000). Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les causes des préjudices subis ou l’identité des responsables risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’effectivité requise (voir, par exemple, Mikheïev c. Russie, no 77617/01, § 108, 26 janvier 2006).

61. De plus, la victime doit être en mesure de participer effectivement, d’une manière ou d’une autre, à l’enquête (El‑Masri, précité, § 185).

62. Enfin, l’enquête doit être indépendante. En particulier, elle ne peut l’être si elle est menée par des agents du même département que ceux impliqués dans les mauvais traitements allégués (Buntov, précité, § 124).

b) Application des principes à la présente espèce

63. La Cour estime nécessaire d’examiner les griefs soulevés d’abord sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention puis sous celui du volet matériel de cette disposition.

i. Sur les carences alléguées de l’enquête

64. La Cour estime avant tout que, pris ensemble, les certificats médicaux soumis par le requérant, ainsi que le témoignage de ce dernier, constituent des motifs raisonnables de penser que les blessures de l’intéressé ont pu être causées par la police. Elle va donc rechercher si les autorités nationales ont mené une enquête prompte et approfondie sur les allégations de mauvais traitements.

65. À cet égard, la Cour constate tout d’abord que des blessures ont été constatées sur le visage et le corps du requérant peu après son arrestation. Elle note aussi que, dès le lendemain de son arrestation, le requérant a déposé une plainte auprès du procureur du district Léninski de Tumen – autorité compétente et suffisamment indépendante pour enquêter sur les mauvais traitements prétendument commis par des agents de police (paragraphe 14 ci-dessus). Ainsi, la Cour estime que le requérant a agi avec la diligence nécessaire et que les autorités chargées de l’enquête ont pris connaissance de la situation suffisamment tôt au regard de la nécessité de procéder à l’établissement des faits.

66. La Cour relève que les autorités chargées de l’enquête ne semblent pas avoir pris toutes les mesures nécessaires afin de confirmer ou de réfuter les allégations de mauvais traitements et d’établir l’origine des lésions corporelles. Les enquêteurs se sont bornés à interroger les policiers impliqués, ainsi que les témoins arrivés sur les lieux alors que le requérant était déjà au sol et menotté. Malgré la demande du requérant tendant à l’interrogation des témoins oculaires présents au moment même de l’arrestation, les enquêteurs ne semblent avoir pris aucune mesure visant à la vérification de l’existence desdits témoins et, le cas échéant, à l’identification et l’interrogatoire de ceux-ci. Enfin, aucune mesure n’a été prise aux fins de confrontation des dépositions des policiers à celle du requérant, notamment au moyen d’une reconstitution des faits. La Cour observe par ailleurs que les agents de police O. et Ku. ont donné des dépositions contradictoires quant au déroulement de l’interpellation (paragraphes 16, 20, 28 et 29 ci-dessus), ce qui n’a jamais fait l’objet d’une analyse de la part des enquêteurs.

67. La Cour note aussi que les enquêteurs chargés d’examiner la plainte ont manifestement omis de communiquer sans délai au requérant les résultats de l’enquête (paragraphes 18 et 21 ci-dessus), rendant ainsi illusoire le contrôle effectif des résultats de l’enquête par le public et plus particulièrement par l’intéressé.

68. La Cour souligne avoir jugé que le refus des autorités internes d’ouvrir une instruction pénale au sujet d’un grief défendable de mauvais traitements subis entre les mains de la police est révélateur d’un manquement de l’État à son obligation de conduire une enquête effective prévue par l’article 3 de la Convention (Lyapin c. Russie, no 46956/09, §§ 128-140, 24 juillet 2014). En l’occurrence, la Cour ne voit aucune raison d’aboutir à un constat différent : en l’espèce, les autorités se sont en effet limitées à une brève enquête préliminaire qui s’est soldée par un refus d’ouvrir une véritable instruction pénale.

69. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’enquête sur les allégations de mauvais traitements n’était pas conforme aux exigences de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural. Il y a donc eu, en l’espèce, violation de cette disposition sous cet aspect.

ii. Sur l’usage de la force contre le requérant et les allégations de mauvais traitements

70. La Cour note que les certificats médicaux soumis par le requérant, non contestés par le Gouvernement (paragraphes 11 à 13 ci-dessus), font état d’une contusion pariétale, d’une contusion du thorax et de plusieurs éraflures sur le visage et le cou. Elle estime que les blessures constatées atteignent le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Elle va donc examiner si, eu égard aux éléments dont elle dispose, l’État peut être tenu pour responsable de ces blessures.

71. La Cour prend note de la version des faits présentée par le requérant, lequel soutient avoir été immobilisé au sol et menotté, puis avoir reçu plusieurs coups à la tête et au corps lors de son arrestation et enfin avoir été frappé à l’abdomen dans le bureau de police (paragraphe 8 ci‑dessus).

72. De même, la Cour prend note de la version des faits retenue par les autorités nationales, selon laquelle le requérant tentait de s’échapper et de s’opposer à son arrestation, à la suite de quoi des agents l’ont projeté au sol et menotté (paragraphe 9 ci-dessus).

73. La Cour note que toutes les circonstances de l’arrestation font l’objet d’une controverse entre les parties. Elle observe toutefois que les blessures constatées ne correspondent qu’en partie aux mauvais traitements dénoncés par le requérant et qu’elles pourraient avoir été causées par une chute au sol, telle que décrite par les autorités nationales. De même, si l’un des certificats soumis par le requérant fait état de la fracture d’une côte, la Cour note que ce diagnostic n’a pas été confirmé ultérieurement. La thèse du requérant concernant les coups de poing à l’abdomen reçus au bureau de police (paragraphe 8 ci-dessus) n’a jamais été confirmée par les certificats médicaux, aucune blessure au niveau d’abdomen n’étant constatée (paragraphes 10 à 13 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour n’est pas en mesure de constater que le requérant a subi des mauvais traitements physiques après son arrestation.

74. Ainsi, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisamment probants pour conclure « au-delà de tout doute raisonnable » que le requérant a été soumis à des traitements inhumains et dégradants lors de son arrestation ou dans le bureau de police.

75. La Cour souligne, néanmoins, que son incapacité de parvenir à un constat de l’existence d’un traitement prohibé par l’article 3 de la Convention dérive, largement, du défaut des autorités nationales de conduire une enquête effective à l’époque des faits (Igbal Hasanov c. Azerbaïdjan, no 46505/08, § 49, 15 janvier 2015, et Uzeyir Jafarov c. Azerbaïdjan, no 54204/08, § 61, 29 janvier 2015).

76. Compte tenu des considérations développées ci-dessus, la Cour ne peut donc relever aucune infraction à l’article 3 de la Convention sous son volet matériel.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 C) DE LA CONVENTION CONCERNANT L’ABSENCE D’UN DÉFENSEUR À L’AUDIENCE D’APPEL

77. Le requérant allègue que l’absence d’un défenseur à l’audience d’appel a emporté violation de ses droits à un procès équitable et à une assistance par un défenseur prévus par l’article 6 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

78. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient que le requérant avait une avocate commise d’office, que celle-ci a été dûment informée de l’audience d’appel et qu’elle ne s’y est pas présentée. Selon le Gouvernement, la législation en vigueur permettait d’examiner l’affaire en présence du requérant et en l’absence de son défenseur si celui-ci avait été dûment informé de l’audience.

A. Sur la recevabilité

79. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

80. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention devant être considérées comme des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 du même article, la Cour étudiera les griefs du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Vacher c. France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil 1996‑VI).

81. La Cour rappelle qu’en appel et en cassation les modalités d’application des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 de la Convention dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit et qu’il convient de prendre en compte l’ensemble des instances suivies dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction supérieure en cause (Twalib c. Grèce, 9 juin 1998, § 46, Recueil 1998‑IV).

82. À cet égard, la Cour a déjà constaté qu’en Russie la compétence de la juridiction d’appel s’étendait à la fois aux questions de fait et de droit. La juridiction d’appel pouvait ainsi réexaminer entièrement l’affaire et se pencher sur des arguments nouveaux qui n’avaient pas fait l’objet d’un examen par le tribunal de première instance (Choulepov c. Russie, no 15435/03, § 34, 26 juin 2008, et Shugayev c. Russie, no 11020/03, § 53, 14 janvier 2010).

83. La Cour rappelle enfin avoir déjà conclu qu’un cas comme celui de l’espèce, où, alors qu’il a été condamné à une peine sévère, un appelant se trouve réduit à présenter lui-même sa défense devant la plus haute juridiction d’appel, n’obéit pas aux impératifs de l’article 6 de la Convention (Maxwell c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 40, série A no 300‑C, et Choulepov, précité, §§ 34-39).

84. La Cour précise par ailleurs que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite et que pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 90, 2 novembre 2010).

85. Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour note que le requérant a demandé à plusieurs reprises à être représenté en appel par l’avocate commise d’office qui l’avait déjà représenté en première instance. Cela n’est pas contesté par les parties. En outre, aucun élément du dossier ne permet de constater que le requérant a expressément renoncé à l’assistance d’un défenseur en appel.

86. La Cour prend note l’argument avancé par le Gouvernement selon lequel la législation en vigueur au moment des faits permettait d’examiner l’affaire en l’absence du défenseur si celui-ci avait été dûment informé de l’audience. En tout état de cause, la décision de la cour régionale ne contenait aucune donnée sur la convocation de l’avocate du requérant et les raisons de son absence, ni aucune mention sur la possibilité de commettre un autre avocat, d’ajourner l’audience ou de poursuivre l’examen en l’absence d’un avocat.

87. La Cour observe qu’en application des dispositions du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits, telles qu’interprétées par la Cour constitutionnelle et la Cour suprême (paragraphes 44 à 46 ci‑dessus), il incombait aux autorités compétentes de s’assurer que le requérant bénéficie d’une assistance juridique à chaque étape de la procédure.

88. La Cour note enfin que le requérant a assisté à l’audience litigieuse, mais qu’il y était confronté au procureur, également présent, qui a fait des observations orales. Compte tenu de la gravité des charges pesant contre le requérant et la sévérité de la peine encourue, la Cour considère que le manque de représentation juridique qualifiée a placé l’intéressé dans une situation désavantageuse vis-à-vis de l’accusation (Shugayev, précité, § 59).

89. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention à raison de l’absence de représentation juridique du requérant à l’audience d’appel.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

90. Le requérant dénonce enfin une violation de l’article 6 de la Convention, plaidant son innocence et se plaignant de divers défauts d’équité de la procédure pénale engagée à son encontre. Il dénonce notamment une falsification de certaines preuves à charge, une absence de notification de ses droits, un rejet de sa demande de confrontation avec un témoin à charge et une partialité de l’enquêteur. Il se plaint également d’une non-comparution de certains témoins à décharge, de carences dans la représentation assurée par des avocats commis d’office en première instance et d’inexactitudes dans les procès-verbaux des audiences.

91. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

92. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

93. Le requérant réclame 300 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

94. Le Gouvernement estime que cette somme est excessive.

95. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 13 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

96. Le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour.

97. Le Gouvernement indique que la somme n’est pas spécifiée par le requérant et que la demande n’est pas étayée.

98. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, le requérant n’a pas précisé le montant des frais et dépens engagés et n’a soumis aucun document à l’appui de sa demande. La Cour rejette donc la demande relative aux frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

99. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention ainsi qu’à celui tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention et relatif l’absence de représentation juridique en appel, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention quant à l’absence d’enquête effective sur les allégations de mauvais traitements ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention quant aux mauvais traitements allégués ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention quant à l’absence de représentation juridique en appel ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenAndrás Sajó
GreffierPrésident


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