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29/10/2015 | CEDH | N°001-158147

CEDH | CEDH, AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL, 2015, 001-158147


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL

(Requête no 73798/13)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2015

DÉFINITIF

29/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Valada Matos das Neves c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Juli

a Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL

(Requête no 73798/13)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2015

DÉFINITIF

29/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Valada Matos das Neves c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73798/13) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Rui Pedro Valada Matos das Neves (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me R. Matias, avocate à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3. Le 17 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1963 et réside à Queluz.

5. Le 10 décembre 1990, alors qu’il était en dernière année d’architecture paysagiste à l’université, le requérant fut engagé par la mairie de Lisbonne, pour une période d’un an, comme stagiaire au sein du département d’hygiène urbaine et des résidus solides de la direction municipale des infrastructures et de l’assainissement.

6. Au terme de son stage, le 10 décembre 1991, la mairie de Lisbonne conclut avec lui un contrat visant la prestation de services d’architecte au sein du département où il avait effectué son stage, pour une période d’un an.

7. Le contrat fut reconduit annuellement.

8. À partir de l’année 1998, il fut demandé au requérant de coordonner un projet de développement urbain à Lisbonne au sein d’un cabinet d’appui au maire de Lisbonne.

9. Le 30 juillet 2002, la mairie de Lisbonne mit un terme aux activités dudit cabinet, se dispensant ainsi des services du requérant.

10. Le 9 juin 2003, le requérant assigna la mairie de Lisbonne, le maire et la municipalité de Lisbonne devant le tribunal administratif de Lisbonne (Tribunal Administrativo de Círculo de Lisboa) demandant la reconnaissance du contrat de travail qui le liait avec la mairie de Lisbonne. Il réclama le droit à la catégorie professionnelle de conseiller en architecture paysagiste, demandant que lui soient versés les salaires, les indemnités et des dommages et intérêts fondés sur l’existence d’un tel contrat de travail.

11. Le 29 octobre 2003, les défendeurs présentèrent leurs conclusions en réponse, soulevant deux exceptions, l’une tirée de l’absence de qualité (ilegitimidade passiva) de la mairie et de la municipalité de Lisbonne et, l’autre, tirée de la prescription.

12. Le 17 novembre 2003, le requérant présenta son mémoire en réplique.

13. En avril 2004, en vertu de la réforme du code de procédure des tribunaux administratifs, l’affaire fut transférée au tribunal administratif et fiscal de Lisbonne.

14. Le 3 janvier 2006, le requérant demanda au tribunal des informations sur le progrès de la procédure.

15. Le 6 janvier 2006, le tribunal répondit que la procédure était en cours et qu’il devait attendre.

16. Entre 2007 et 2008, le requérant se renseigna à plusieurs reprises sur l’avancement de la procédure auprès du greffe du tribunal.

17. Par une ordonnance du 6 novembre 2009, le tribunal fit partiellement droit aux exceptions qui avaient été soulevées par les défendeurs, considérant que seul le maire de Lisbonne avait qualité pour ester en justice. Il estima en outre qu’il n’était pas nécessaire d’entendre des témoins, les documents joints au dossier permettant d’établir suffisamment les faits.

18. Le 25 novembre 2009, le tribunal invita les parties à présenter des mémoires complémentaires (alegações complementares).

19. Le 17 juin 2011, le tribunal invita à nouveau les parties à présenter leurs mémoires complémentaires, ce que le requérant fit le 11 juillet 2011 et les défendeurs, le 20 septembre 2011.

20. Dans un avis juridique présenté au tribunal le 7 février 2012, le ministère public reconnut l’existence d’un contrat de travail, depuis le 27 novembre 1991, entre la mairie de Lisbonne et le requérant. Il estimait ainsi que ce dernier devait être admis à la catégorie professionnelle d’architecte paysagiste.

21. Le 11 juillet 2012, le requérant adressa une lettre au tribunal dans laquelle il se plaignait du retard pris pour examiner sa cause.

22. Le tribunal administratif de Lisbonne prononça son jugement le 5 mars 2013. Faisant partiellement droit au requérant, le tribunal considéra qu’il existait un contrat de travail entre ce dernier et la mairie de Lisbonne depuis le 10 décembre 1990. Il estima en outre que devaient lui être reconnus les catégories et carrières professionnelles conformément aux différentes fonctions qu’il avait exercées.

23. Le 18 mars 2013, le maire de Lisbonne forma un appel contre le jugement. Le tribunal admit le recours avec effet suspensif et renvoya l’affaire devant le tribunal central administratif du Sud.

24. Le 17 mai 2013, le requérant demanda au tribunal central administratif du Sud de déclarer l’extinction de l’instance d’appel au motif que le maire défendeur n’avait pas présenté son mémoire en appel (alegações de recurso) dans le délai qui lui était imparti.

25. Par une ordonnance du 27 mai 2013, le tribunal central administratif prononça l’extinction de l’instance.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution

26. L’article 20 § 4 de la Constitution de 1976 consacre le droit à une « décision judiciaire dans un délai raisonnable ». L’article 22 définit par ailleurs la responsabilité civile de l’État et de ses organes et agents dans les termes suivants :

« L’État et les autres entités publiques sont civilement responsables, conjointement avec les membres de leurs organes et leurs fonctionnaires ou agents, de toutes les actions ou omissions commises par ceux-ci dans l’exercice ou à cause de l’exercice de leurs fonctions et dont il résulte des violations des droits, libertés et garanties ou un préjudice pour autrui. »

B. La loi no 67/2007 du 31 décembre 2007

27. La loi no 67/2007 du 31 décembre 2007, dans sa rédaction issue de la loi nº 31/2008 du 17 juillet 2008, dans ses parties pertinentes se lit ainsi :

Article 7
Responsabilité exclusive de l’État et des autres personnes morales de droit public

« 1. L’État et les personnes morales de droit public sont exclusivement responsables pour les dommages qui résultent d’actions ou omissions illicites, commises par faute légère, par les titulaires de ses organes, fonctionnaires ou agents, dans l’exercice de la fonction administrative et en raison de celui-ci.

(...)

3. L’État et les autres personnes morales de droit public sont aussi responsables lorsque les dommages n’ont pas été causés par un comportement concret du titulaire de l’organe, d’un fonctionnaire ou d’un agent déterminé, ou dont la responsabilité pour l’acte ou pour l’omission ne peut être établie, mais doivent être attribués au fonctionnement anormal du service.

4. Il existe fonctionnement anormal de service lorsque, en tenant compte des circonstances et des standards moyens de résultat, si une manière d’agir capable d’éviter les dommages produits pouvait être raisonnablement exigée du service. »

Article 8
Responsabilité solidaire en cas de dol ou faute grave

« 1. Les titulaires d’organes, fonctionnaires et agents sont responsables des dommages qui résultent d’actions ou d’omissions illicites pratiquées avec dol ou avec une démarche ou un zèle manifestement inférieurs à ce qui étaient attendus d’eux eu égard au poste occupé.

2. L’État et les personnes morales de droit public sont responsables de façon solidaire avec les titulaires respectifs des organes, fonctionnaires et agents, s’ils ont pratiqué les actions et omissions indiquées au numéro précédent dans l’exercice de leurs fonctions et en raison de celui-ci.

(...) »

Article 9
Illégalité (illicitude)

« 1. Sont considérées comme illégales les actions et omissions des titulaires d’organes, fonctionnaires et agents qui violent les dispositions ou principes constitutionnels légaux ou réglementaires ou enfreignent les règles d’ordre technique ou les devoirs objectifs de vigilance, engendrant une atteinte aux droits et intérêts légalement protégés.

2. Il existe également illégalité lorsque l’atteinte aux droits et intérêts légalement protégés résulte du fonctionnement anormal du service comme le dispose l’article 7 § 3. »

Article 10
Faute

« 1. La faute des titulaires d’organes, fonctionnaires et agents doit être appréciée en tenant compte de la démarche et de la capacité pouvant être raisonnablement exigées, en fonction des circonstances de chaque cas, d’un titulaire d’organe, fonctionnaire ou agent zélé et investi.

2. Sans préjudice de la démonstration de l’existence d’un dol ou d’une faute grave, l’existence d’une faute grave légère se présume dans la pratique de tout acte juridique illicite.

3. (...), l’existence d’une faute légère est également présumée (...) si les devoirs de vigilance n’ont pas été respectés.

(...) »

Article 12
Régime général

« À l’exception de ce qui prévu dans les articles qui suivent, le régime de la responsabilité pour des faits illicites commis dans l’exercice de la fonction administrative s’applique aux dommages causés de façon illicite par l’administration de la justice, notamment pour la violation du droit à une décision judiciaire dans un délai raisonnable. »

C. La jurisprudence des juridictions administratives en matière de délai raisonnable

1. La jurisprudence de la Cour suprême administrative sur les principes gouvernant l’examen des actions en responsabilité civile extracontractuelle

28. Dans un arrêt du 28 novembre 2007 (procédure interne no 308/2007), la Cour suprême administrative souligna qu’il fallait interpréter la législation interne applicable en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne et que le préjudice moral découlant d’un constat de violation de l’article 6 de la Convention en raison de la durée excessive d’une procédure devait être dédommagé.

29. Dans un arrêt du 9 octobre 2008 (procédure interne no 0319/08), la Cour suprême administrative considéra que le dommage moral causé par une atteinte au droit à un procès dans un délai raisonnable mérite réparation même s’il n’a pas été prouvé que la victime a souffert une grande souffrance ou un changement sensible de vie ou de comportement.

30. Dans un arrêt du 1er mars 2011 (procédure interne no 0336/10), la Cour suprême administrative estima que si le délai raisonnable a été dépassé dans le cadre d’une procédure, c’est à l’État que revient la charge de la preuve concernant toute cause justifiant l’excès vérifié. La Cour suprême confirma ainsi un arrêt du tribunal administratif et fiscal de Porto qui avait octroyé la somme de 10 000 EUR aux parties d’une procédure qui durait depuis vingt-six ans, sur deux niveaux de juridictions.

31. Dans un arrêt du 6 novembre 2012 (procédure interne no 0976/11), la Cour suprême administrative estima que vingt-cinq ans de procédure constituait un dysfonctionnement de la justice, violant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 20 § 4 de la Constitution et que les parties ne pouvaient être tenues pour responsable de son allongement pour avoir utilisé les voies de recours que leur ouvrait le droit interne.

32. Dans un arrêt du 27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13), la Cour suprême administrative exposa :

. si les parties utilisent les moyens de procédure que la loi interne leur ouvre pour défendre leurs intérêts, ceci ne peut être retenu pour exclure la responsabilité de l’État en raison de la durée d’une procédure au-delà du délai raisonnable, à moins qu’elles en aient fait une utilisation abusive ou visant à retarder la procédure ;

. il appartient à l’État d’organiser son système judiciaire de façon à éviter que les procédures ne s’éternisent dans les tribunaux, à travers des incidents et recours successifs permis par la loi interne ;

. dans la recherche des causes du retard d’une procédure, il faudra tenir compte de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et celui des autorités compétentes et de l’importance du litige pour l’intéressé.

. la durée globale d’une procédure de plus de huit ans traduit un fonctionnement anormal de la justice, violant à elle seule l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 20 § 4 de la Constitution.

L’affaire fut alors renvoyée en première instance en vue de la révision des faits.

33. Par un arrêt du 3 avril 2014 (procédure interne no 0337/14), la Cour suprême administrative déclara irrecevable le recours qui avait interjeté par l’État contre un arrêt du tribunal central administratif du Sud (arrêt du 21 novembre 2013 - procédure interne no 09424/12- voir ci-après) qui avait attribué 15 000 euros (EUR) pour le préjudice moral subi en raison de la durée de plus de seize ans d’une procédure civile sur un niveau de juridiction au motif qu’était uniquement contesté le montant qui avait été octroyé.

Introduite le 27 janvier 2010, cette procédure en responsabilité civile extracontractuelle aura duré 4 années, 2 mois et 6 jours sur trois niveaux de juridictions.

34. Dans un arrêt du 10 septembre 2014 (procédure interne no 090/12), la Cour suprême administrative considéra :

. lorsqu’il viole le droit à une décision dans un délai raisonnable, le retard pris pour décider une affaire est un acte illicite engageant la responsabilité civile de l’État ;

. si en considérant la procédure dans sa globalité, il est manifeste que sa durée a dépassé le délai raisonnable, il n’est pas nécessaire d’apprécier si les délais concernant chaque acte de procédure ont été respectés car, dans tous les cas, l’État a l’obligation de créer d’autres ou différents moyens, mécanismes, délais et une organisation pour atteindre l’objectif d’administrer la justice dans un délai raisonnable ;

. étant donné qu’il s’agit d’une procédure simplifiée dans laquelle la cause ne présentait pas de complexité ou de difficulté particulières, on peut conclure que le délai raisonnable a été dépassé si pour la modification de l’exercice des responsabilités parentales, il a fallu attendre sept ans jusqu’à une décision définitive.

Au vu de ces considérations, la Cour suprême renvoya l’affaire au tribunal central administratif du Nord pour la fixation du montant de la réparation.

35. Dans un arrêt du 21 mai 2015 (procédure interne no 072/14), la Cour suprême administrative estima ce qui suit :

. l’appréciation du caractère raisonnable de la durée d’une procédure devra être faite en suivant une analyse de chaque cas concret, ayant comme point de départ la date d’introduction de l’action devant le tribunal compétent et, comme point final, la date à laquelle est prise la décision définitive, les instances de recours devant être prises en compte (y compris le Tribunal constitutionnel) ainsi que la procédure d’exécution ;

. à cette fin, il est utile de faire appel aux critères fixés dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir, la complexité de l’affaire, le comportement des parties, la manière d’agir des autorités et l’enjeu du litige.

2. La jurisprudence des tribunaux centraux administratifs sur les principes gouvernant l’examen des actions en responsabilité civile extracontractuelle (arrêts définitifs)

36. Par un arrêt du 21 février 2013 (procédure interne no 01945/05), le tribunal central administratif du Nord octroya une indemnisation de 15 000 EUR pour compenser le préjudice moral subi par le demandeur en raison de la durée de plus de sept ans, sur un niveau de juridiction, d’une procédure portant sur les responsabilités parentales.

Introduite le 20 septembre 2005, la procédure de responsabilité civile extracontractuelle aura duré 7 années, 5 mois et 4 jours pour deux instances, le tribunal central administratif ayant été saisi sur appel du ministère public.

37. Par un arrêt du 21 novembre 2013 (procédure interne no 09424/12), le tribunal central administratif du Sud exposa :

. le respect du délai raisonnable doit être associé à l’efficacité et à la crédibilité de la justice ;

. le caractère raisonnable d’un délai doit être mesuré en tenant compte, entre autres, de critères comme la complexité de l’affaire, le comportement des parties et des autorités et les conséquences du retard pour les parties.

En l’occurrence, le tribunal central administratif du Sud estima que dix-sept ans de procédure (administrative) pour un niveau de juridiction dépassaient le délai raisonnable, octroyant la somme de 15 000 EUR pour réparer le dommage moral subi.

38. Par un arrêt du 31 janvier 2014 (procédure interne no 0369/07), le tribunal central administratif du Nord considéra que l’existence d’un jugement de la Cour européenne ayant attribué un dédommagement pour durée excessive d’une procédure n’empêche pas les tribunaux portugais d’octroyer une indemnisation supplémentaire au demandeur pour la même procédure.

Introduite le 9 février 2007, la procédure de responsabilité civile extracontractuelle aura duré 6 années, 11 mois et 23 jours pour deux instances, le tribunal central administratif ayant été saisi sur appel du ministère public, agissant en représentation de l’État.

39. Dans un arrêt du 20 mars 2014 (procédure interne no 09034/12), le tribunal central administratif du Sud exposa :

. le caractère raisonnable du délai devra être mesuré selon des critères comme la complexité de l’affaire, le comportement de la partie demanderesse et des autorités et les conséquences du retard pour les parties ;

. la violation du droit à une décision dans un délai raisonnable engage la responsabilité civile de l’État, conformément à l’article 22 de la Constitution et le régime de la responsabilité civile extracontractuelle de l’État ;

. considérant que le demandeur était responsable de plusieurs retards, le tribunal lui attribua une indemnisation de 3 250 euros pour le dommage moral subi en raison des retards survenus dans le cadre d’une procédure en faillite qui avait durée dix-sept ans sur trois niveaux de juridiction.

Introduite le 6 janvier 2011, la procédure de responsabilité civile extracontractuelle aura duré 3 années, 2 mois et 13 jours pour deux instances saisies.

40. Par un arrêt du 22 mai 2014 (procédure interne no 07822/11), le tribunal central administratif du Sud estima :

. la durée globale d’une procédure administrative de plus de vingt et un ans sur trois niveaux de juridictions traduit, de façon manifeste, un fonctionnement anormal de la justice, c’est-à-dire qu’elle dépasse de façon évidente le concept de décision dans un délai raisonnable ; l’État viole ainsi l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 20 § 4 de la Constitution ;

. conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, une société commerciale peut se voir octroyer une indemnisation pour le dommage moral subi ce qui peut inclure la réputation, l’incertitude quant à la prévision du jugement, la rupture dans la gestion de l’entreprise, et l’inquiétude et les inconvénients causés aux membres de l’équipe de gestion. Celui-ci devra être estimé à 1 000 EUR par année de retard injustifiée.

Le tribunal condamna ainsi l’État à payer 16 000 EUR à chacun des demandeurs pour le dommage moral subi en raison du retard de la procédure. Il renvoya ensuite l’affaire en première instance en vue de la détermination du montant réclamé pour le dommage matériel subi.

41. Par un arrêt du 12 février 2015 (procédure interne no 09309/12), le tribunal central administratif du Sud considéra que plus de douze années de procédure, sur trois niveaux de juridictions, pour une action en responsabilité civile introduite suite à un accident de la circulation avait dépassé le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 20 § 4 de la Constitution, confirmant l’attribution de la somme de 5 000 EUR qui avait été fixée par le tribunal administratif de Lisbonne au titre du dommage moral.

3. La jurisprudence des tribunaux de première instance

42. Le Gouvernement a fourni trois exemples de procédures en responsabilité civile ayant été conclues au niveau de la première instance administrative : jugement du 5 février 2015 du tribunal administratif et fiscal de Sintra (procédure interne no 1166/11.OBESNT), jugement du 28 novembre 2014 du tribunal administratif et fiscal de Leiria (procédure interne no 992/11.4BELRA) et jugement du 17 février 2014 du tribunal administratif et fiscal de Funchal (procédure interne no 13/12.2BEFUN), condamnant l’État à verser diverses sommes à différents plaignants au motif que les procédures dans lesquelles ils étaient intervenus comme parties avaient méconnu le délai raisonnable. Aucun recours n’ayant été exercé, ces arrêts devinrent définitifs.

D. Le code de procédure des tribunaux administratifs

43. L’article 150 § 1 du code de procédure des tribunaux administratifs dispose :

« Les décisions rendues en deuxième instance par un tribunal central administratif peuvent être attaquées, à titre exceptionnel, devant la Cour suprême administrative lorsque sont en cause des questions qui revêtent, de par leur intérêt juridique et social, une importance fondamentale ou lorsque l’examen du recours est clairement nécessaire à une meilleure application du droit. »

44. Au terme de l’article 152 :

« 1. Les parties et le ministère public peuvent adresser à la Cour suprême administrative, dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle la décision attaquée passe en force de chose jugée, une demande d’admission d’un recours en harmonisation de jurisprudence lorsque, s’agissant de la même question fondamentale de droit, il y a une contradiction :

a) entre un arrêt d’un tribunal central administratif et un autre arrêt de ce même tribunal ou de la Cour suprême administrative ;

(...)

4. Le recours est examiné par l’assemblée plénière de la section [du contentieux administratif], l’arrêt étant publié au Journal officiel.

(...) »

E. Sur le délai de prescription de l’action en responsabilité civile extracontractuelle

45. Applicable en vertu de l’article 5 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007, l’article 498 du code civil dispose que le droit à réparation prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à partir de laquelle la victime prend ou aurait dû prendre connaissance de la possibilité d’exercer ce droit.

46. Par un arrêt du 4 décembre 2012 (procédure interne no 1203/02), la Cour suprême administrative considéra :

« (...) en règle générale, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où l’intéressé a pris connaissance d’un acte ou d’une omission ayant occasionné des dommages.

(...) »

47. Dans un arrêt du 23 octobre 2014 (procédure interne no 08088/11), le tribunal central administratif du Sud estima que le délai de prescription d’une action en responsabilité civile fondée sur la durée excessive d’une procédure court à partir du moment où l’intéressé prend conscience du retard de la procédure et des préjudices causés par celui-ci. Pour ce qui est de la charge de la preuve, le tribunal considéra que c’est celui qui soulève l’exception tirée du non-respect du délai de trois ans qui doit prouver à quel moment la prise de conscience du retard a eu lieu.

F. Sur les frais de justice et l’aide judiciaire

1. Les frais de justice

48. Conformément à l’article 189 du code de procédure des tribunaux administratifs, l’État et les entités publiques sont soumis au paiement des frais de justice.

49. La règle générale en matière de frais de justice est établie à l’article 527 du code de procédure civile, approuvé par la loi no 41/2013 du 26 juin 2013, libellé ainsi :

« 1. La décision qui juge une action (...) ou des recours condamne au paiement des frais de justice (custas) la partie qui en a été à l’origine ou, s’il n’y a pas eu perte de l’action, qui en a tiré un avantage.

2. On estime qu’est à l’origine des frais de justice de la procédure, la partie perdante, proportionnellement à la perte.

(...) »

50. Dans le cadre de la procédure interne no 01945/05, dans son arrêt du 21 février 2013, eu égard au rejet du recours qui avait été introduit par le ministère public (voir ci-dessus paragraphe 36) contre le jugement d’un tribunal administratif, le tribunal central administratif du Nord condamna l’État au paiement des frais de justice du recours.

51. Ayant fait partiellement droit au recours du ministère public (voir ci-dessus paragraphe 38), dans son arrêt du 31 janvier 2014 (procédure interne no 0369/07), le tribunal central administratif du Nord condamna les parties au paiement des frais de justice répartis en fonction du résultat de l’arrêt par rapport à leurs prétentions.

2. L’aide judiciaire

52. Au moment des faits, l’aide judiciaire (apoio judiciário) était régie par la loi no 30-E/2000 du 20 décembre 2000 (dans sa rédaction issue du décret-loi no 38/2003 du 8 mars 2003). Elle est régie depuis le 1er septembre 2004 par la loi no 34/2004 du 29 juillet 2004 (dans sa rédaction issue de la loi no 47/2007 du 28 août 2007), laquelle a transposé dans l’ordre juridique portugais la Directive no 2003/8/CE du Conseil de l’Union européenne.

53. La compétence pour accorder l’aide judiciaire appartient aux services de la sécurité sociale (serviços da segurança social). Permettant aux personnes dont les ressources sont insuffisantes de faire valoir leurs droits en justice, l’assistance judiciaire au Portugal comprend notamment l’exemption du paiement des frais judiciaires, la désignation d’un avocat d’office et le paiement de ses honoraires (article 16 de la loi no 34/2004 du 29 juillet 2004). Dans l’hypothèse où l’assistance judiciaire est accordée dans cette dernière modalité, il appartient à l’ordre des avocats de désigner un avocat (article 30 de la loi no 34/2004). Celui-ci dispose ensuite d’un délai de trente jours pour introduire l’action, le cas échéant (article 33 de la loi no 34/2004).

III. Les textes du Conseil de l’Europe

54. Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH (2010) 34 relative aux arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant le groupe Oliveira Modesto et 24 autres affaires contre le Portugal relatives à la durée excessive des procédures judiciaires, adoptée le 4 mars 2010, le Comité des Ministres a indiqué ce qui suit :

« Le Comité des Ministres (...)

Vu le nombre d’arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour ») constatant de la part du Portugal une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, en raison de durées excessives des procédures judiciaires (...) ;

Réitérant que des durées excessives dans l’administration de la justice constituent un grave danger pour le respect de l’État de droit ;

Rappelant que dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH (2007) 108, le Comité des Ministres s’était félicité des nombreuses réformes adoptées par les autorités portugaises en vue de résoudre ce problème structurel ; qu’il avait encouragé les autorités à poursuivre leurs efforts dans ce domaine, les invitant à lui fournir des informations complémentaires sur l’impact en pratique de ces réformes ;

Rappelant que dans sa résolution intérimaire précitée, le Comité avait également relevé la Recommandation Rec (2004) 6 du Comité des Ministres aux États membres concernant la nécessité d’améliorer l’efficacité des recours internes et soulignant l’importance de cette question lorsque les arrêts révèlent des problèmes structurels susceptibles de donner lieu à un nombre important de nouvelles violations similaires de la Convention ;

Ayant examiné les informations transmises par les autorités portugaises sur les mesures additionnelles prises ou envisagées depuis la résolution intérimaire précitée (...) ;

II. Mesures de caractère général

1) Procédures civiles

Notant que, si les statistiques montrent une réduction de la durée moyenne et de l’arriéré devant les juridictions civiles « supérieures », la situation reste préoccupante devant les juridictions de première instance ;

Notant également que la réforme introduite par le décret-loi no 303/2007 n’a pas encore produit les effets souhaités sur la durée des procédures, dans la mesure où elle ne s’applique qu’aux procédures introduites depuis son entrée en vigueur (à savoir le 1/01/2008) ;

DEMANDE INSTAMMENT aux autorités d’envisager l’adoption de mesures ad hoc pour réduire l’arriéré des procédures civiles, par exemple en donnant la priorité aux affaires les plus anciennes et aux affaires sur lesquelles il convient de statuer rapidement ;

LES ENCOURAGE à poursuivre activement leurs efforts en vue de réduire la durée des procédures civiles, particulièrement devant les juridictions de première instance et d’assurer un suivi approprié à la réforme de 2007 afin de pouvoir en évaluer les effets ;

(...)

6) Mesures concernant les recours effectifs

Notant avec intérêt l’adoption de la loi no 67/2007 du 31/12/2007 qui prévoit l’application de la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas de violation du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable (article 12) ;

Relevant cependant qu’il existe à l’heure actuelle des divergences jurisprudentielles dans l’application de cette loi en ce qui concerne l’indemnisation du préjudice moral et que dans son arrêt du 10/06/2008 dans l’affaire Martins Castro et Alves Correia de Castro, la Cour européenne a estimé que l’action en responsabilité civile extracontractuelle de l’État n’offrira pas de recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, tant que la jurisprudence de la Cour suprême administrative et en particulier sa décision du 28/11/2007 – qui va dans le même sens que la jurisprudence de la Cour européenne – n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais ;

Notant que l’arrêt précité de la Cour européenne relève que l’article 152 du code de procédure des tribunaux administratifs offre au ministère public la possibilité de saisir la Cour suprême en vue d’une harmonisation de la jurisprudence et préconise l’utilisation de cette voie pour mettre un terme à cette incertitude jurisprudentielle ;

Notant également la publication et la vaste diffusion dont a fait l’objet l’arrêt de la Cour dans l’affaire Martins Castro et Alves Correia de Castro et considérant que ces mesures sont également appropriées, car elles sont aussi de nature à contribuer à une harmonisation de la jurisprudence interne, en favorisant la prise en compte des constats de la Cour par les juridictions concernées ;

ENCOURAGE les autorités à poursuivre les efforts qu’elles ont entrepris pour parvenir à l’harmonisation de la jurisprudence des juridictions internes dès que possible ;

LES INVITE à fournir des informations sur la pratique actuelle des tribunaux et son évolution depuis l’arrêt de la Cour dans l’affaire Martins Castro et Alves Correia de Castro ;

(...) »

55. Le Comité des Ministres a adopté, lors de sa 1164e réunion
(5-7 mars 2013), une décision dans le cadre de l’examen de l’exécution du groupe d’arrêts Oliveira Modesto. La partie pertinente de cette décision se lit comme suit :

« Les délégués

(...)

2. notent les mesures législatives et les autres mesures récemment adoptées ou en cours d’adoption, présentées dans le plan d’action du 10 janvier 2013 ; insistent, dans ce contexte, sur leur demande, adressée aux autorités dans les deux résolutions intérimaires adoptées dans ce groupe d’affaires (CM/ResDH(2007)108 et CM/ResDH(2010)34), de fournir au Comité une évaluation de l’impact en pratique des mesures adoptées avant 2010 et invitent les autorités à soumettre également une évaluation des mesures plus récentes, dès que possible ;

3. invitent également les autorités à présenter au Comité une analyse des données statistiques contenues dans le plan d’action et, le cas échéant, de la nécessité d’adopter des mesures complémentaires visant l’accélération des procédures judiciaires, accompagnée d’un calendrier indicatif pour leur adoption ;

4. décident de reprendre l’examen de ce groupe d’affaires lors de l’une de leurs prochaines réunions DH, à la lumière d’informations complémentaires à fournir par les autorités sur les points ci-dessus, ainsi que sur les mesures envisagées par les autorités dans leur plan d’action pour réduire la durée des procédures d’exécution et sur les mesures individuelles. »

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

56. Le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours au niveau interne quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, le requérant aurait dû saisir les juridictions administratives d’une action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 pour demander une réparation en raison de la durée excessive de la procédure civile.

57. Le requérant conteste l’exception soulevée par le Gouvernement au motif qu’il n’existe pas, au niveau interne, de recours efficace pour obtenir un redressement en raison de la durée excessive d’une procédure.

58. La Cour estime que la question de savoir si le requérant était obligé d’introduire une action en responsabilité civile extracontractuelle au titre de l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 avant de saisir la Cour est étroitement liée à celle de l’existence d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention (voir Sürmeli c. Allemagne (déc.), no 75529/01, 29 avril 2004, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 75, 10 septembre 2010, Vlad et autres c. Roumanie, nos 40756/06, 41508/07 et 50806/07, § 103, 26 novembre 2013 et Panju c. Belgique, no 18393/09, § 47, 28 octobre 2014). Partant, la Cour joint l’exception soulevée par le Gouvernement à l’examen du bien-fondé du grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention, elle reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond de cette partie de la requête.

59. La Cour constate en outre que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

60. Le requérant dénonce l’absence au niveau interne d’un recours qui lui aurait permis d’obtenir un redressement en raison de la durée excessive de la procédure qu’il avait engagée devant le tribunal administratif de Lisbonne. Il y voit une violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Thèse des parties

1. Le requérant

61. Le requérant affirme qu’il ne disposait pas de recours au niveau interne pour se plaindre de la durée de la procédure civile qui s’était déroulée devant le tribunal administratif de Lisbonne.

62. En ce qui concerne l’effectivité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’État pour méconnaissance du délai raisonnable, il admet que la procédure respecte les principes de l’indépendance du tribunal et du contradictoire. Il soutient néanmoins que celle-ci est complexe et lente vu la nécessité de prouver les préjudices subis et étant donné que le ministère public, agissant en représentation de l’État, interjette systématiquement appel des décisions prononcées par les tribunaux en faveur des demandeurs, contestant, soit la méconnaissance du délai raisonnable, soit les indemnisations octroyées. Pour le requérant, ceci prouve que l’État essaie toujours d’échapper au paiement des indemnisations pour durée excessive d’une procédure.

63. Le requérant affirme ensuite que les montants octroyés par les juridictions internes pour le préjudice moral subi en raison de la durée excessive d’une procédure sont dérisoires et dénonce la non-attribution d’une réparation pour le dommage matériel. En outre, il observe que le propre retard de la procédure administrative n’est pas pris en compte dans les indemnisations attribuées. Par ailleurs, les restrictions à l’obtention du bénéfice de l’aide judiciaire mettent en cause l’accès à un tribunal.

64. Au demeurant, il fait valoir qu’il n’existe pas une jurisprudence constante concernant les questions relatives à la responsabilité de l’État en raison de la méconnaissance du délai raisonnable, relevant notamment des contradictions dans les arrêts des tribunaux centraux administratifs. Or, le ministère public n’a jamais saisi la Cour suprême d’un arrêt en harmonisation de jurisprudence, préférant opter pour un recours en cassation, le cas échéant, notamment dans le but de retarder davantage les condamnations de l’État.

65. Le requérant conclut que l’action administrative en responsabilité civile extracontractuelle pour retard d’une procédure judiciaire ne peut être considérée comme un recours effectif, elle ne devait donc pas être épuisée en l’espèce pour se conformer à l’article 35 § 1 de la Convention.

2. Le Gouvernement

66. Le Gouvernement récuse les arguments du requérant. Il affirme que la pratique des tribunaux administratifs internes a beaucoup évolué depuis l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal (no 33729/06, 10 juin 2008). Notant les exigences posées par les arrêts de la Cour Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI) et Scordino c. Italie (no 1) ([GC], no 36813/97, §§ 193-207, CEDH 2006‑V), il estime que cette action constitue aujourd’hui un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, pour obtenir un redressement en raison de la violation du droit à une décision dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, notamment dans les cas où le retard est la conséquence d’un dysfonctionnement du système judiciaire et non de la faute d’un de ses agents. A l’appui de son argumentation, il expose ce qui suit :

a) L’action en responsabilité civile extracontractuelle permet d’obtenir un constat de violation du droit à une décision dans un délai raisonnable et l’attribution d’une indemnisation pour le préjudice subi. À titre d’exemple, il cite plusieurs arrêts, dont :

. l’arrêt de la Cour suprême administrative du Sud du 3 avril 2014 (procédure interne no 0337/14) ;

. les arrêts du tribunal central administratif du Sud du 22 mai 2014 (procédure interne no 07822/11), du 20 mars 2014 (procédure interne no 09034/12) et du 21 novembre 2013 (procédure interne no 09424/12) ; et

. l’arrêt du tribunal central administratif du Nord du 31 janvier 2014 (procédure interne no 0369/07).

b) Pour apprécier la durée d’une procédure, les juridictions administratives suivent les principes fixés dans la jurisprudence de la Cour comme le démontrent, par exemple, l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13) et l’arrêt du tribunal central administratif du Sud du 21 novembre 2013 (procédure interne no 09424/12) ;

c) L’action respecte les garanties du procès équitable, notamment un tribunal impartial et le principe du contradictoire ;

d) La procédure est simple, elle bénéficie en outre, depuis le 1er septembre 2013, des mesures de simplification procédurales mises en place par la réforme de la procédure civile ce qui a permis d’accélérer les procédures ;

e) Les juridictions administratives reconnaissent de manière générale que le retard d’une procédure provoque un préjudice moral. En outre, elles octroient une indemnisation pour réparer ce dommage sans que le requérant n’ait besoin de prouver le préjudice concrètement subi, respectant ainsi l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 (auquel faisait référence l’arrêt de la Cour Martins Castro et Alves Correia de Castro, précité, § 56) qui a été confirmé par l’arrêt de la Cour suprême administrative du 9 octobre 2008 (procédure interne no 319/08) ;

f) Les indemnisations octroyées correspondent à celles attribuées par la Cour ;

g) Le paiement des indemnisations est fait dès que les décisions deviennent définitives ;

h) Les demandeurs peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle afin d’être représentés par un avocat d’office et dispensés du paiement des frais judiciaires afférents à la procédure.

67. Le Gouvernement affirme que la Cour suprême administrative a reconnu l’« intérêt juridique ou social substantiel » de la question du délai raisonnable d’une procédure en déclarant recevables les recours introduits à ce sujet en application de l’article 150 du code de procédure des tribunaux administratifs. Elle a ainsi eu l’occasion de prononcer de nombreux arrêts confirmant la jurisprudence de la Cour et mettant un terme aux divergences jurisprudentielles. En outre, les juridictions administratives inférieures suivent cette jurisprudence comme en témoignent les jugements du 5 février 2015 du tribunal administratif et fiscal de Sintra (procédure interne no 1166/11.OBESNT), du 28 novembre 2014 du tribunal administratif et fiscal de Leiria (procédure interne no 992/11.4BELRA) et du 17 février 2014 du tribunal administratif et fiscal de Funchal (procédure interne no 13/12.2BEFUN). Par conséquent, l’adoption d’un arrêt d’harmonisation suggérée par la Cour dans l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro (voir les paragraphes 56 et 66) afin de consolider la jurisprudence inscrite dans l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 de cette juridiction, n’est plus justifiée. À titre subsidiaire, le Gouvernement observe qu’en l’absence d’une divergence de jurisprudence sur la question, les conditions de recevabilité d’un recours en harmonisation indiquées à l’article 150 du code de procédure des tribunaux administratifs ne sont d’ailleurs pas remplies.

3. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

i. Sur l’épuisement des voies de recours internes

68. En vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention revient au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 49, 18 juin 2013).

La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 70, CEDH 2010).

En même temps, le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne, sous peine de vider les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention de toute substance. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 45, CEDH 2001-VIII). La remarque vaut en particulier pour les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, vu la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société démocratique (ibidem).

69. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes, énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 de la Convention (avec lequel elle présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif, en pratique comme en droit, quant à la violation alléguée (Kudła, précité, § 152 et Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98, CEDH 2000‑XI). La Cour note que, en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, le requérant doit, avant de saisir la Cour, avoir donné à l’État responsable, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, la faculté de remédier par des moyens internes aux violations alléguées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).

70. Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII, et Slaviček c. Croatie (déc.), no 20862/02, CEDH 2002-VIII). De même, ces dispositions doivent s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes s’offrant à lui. Par ailleurs, la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV).

71. Lorsqu’un Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement approprié de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV).

ii. Sur l’effectivité des recours en matière de durée excessive d’une procédure

72. Lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause, un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010). Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, § 158, Mifsud, précité, § 17, Scordino (no 1), précité, § 187, et McFarlane, précité, § 108).

73. La Cour a fixé certains critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité des recours indemnitaires en matière de durée excessive de procédures judiciaires (voir Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009). Ces critères sont les suivants :

a) l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable ;

b) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire ;

c) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;

d) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;

e) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires.

b) Analyse de l’action en responsabilité civile extracontractuelle

74. Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief du requérant concernant la durée de la procédure civile devant le tribunal administratif de Lisbonne constitue prima facie un grief « défendable », celle-ci ayant duré plus de neuf ans. Il avait donc droit à un recours effectif à cet égard (Panju c. Belgique, précité, § 52).

i. Sur la compatibilité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle avec les principes généraux

75. La Cour note que l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007, dans sa rédaction issue de la loi nº 31/2008 du 17 juillet 2008, prévoit un recours en vue d’obtenir un redressement lorsque le droit à une décision judiciaire dans un délai raisonnable a été méconnu.

76. Faisant l’analyse de ce recours, dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, précité, la Cour avait notamment relevé ce qui suit :

« (...)

53. S’agissant d’abord de la durée de la procédure, la Cour note avec préoccupation que le temps mis par les juridictions administratives à examiner les actions en responsabilité extracontractuelle semble très souvent se prolonger sur des périodes significatives. À cet égard, la Cour rappelle que d’autres États ont fait des choix différents en prévoyant par exemple, en ce domaine, des délais plus courts : c’est le cas de l’Italie, où la cour d’appel dispose de quatre mois pour rendre sa décision (Scordino c. Italie (no 1) [GC], précité, §§ 62 et 208).

La Cour est cependant prête à admettre qu’un tel élément, à lui seul, ne rend pas le recours ineffectif, surtout si la juridiction compétente dispose de la possibilité de faire état de son propre retard et d’accorder à l’intéressé une réparation supplémentaire à ce titre (Scordino c. Italie (no 1) [GC], précité, § 207).

54. Pour ce qui est ensuite du niveau de l’indemnisation, la Cour ne saurait accepter la position (...) selon laquelle les préjudices causés par la durée excessive d’une procédure judiciaire ne mériteraient pas, en eux-mêmes, un dédommagement. Elle rappelle à cet égard que le point de départ du raisonnement des juridictions nationales en la matière doit être la présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral. Bien sûr, dans certains cas, la durée de la procédure n’entraîne qu’un dommage moral minime, voire pas de dommage moral du tout. (...)

55. La Cour note avec satisfaction que la Cour suprême administrative, dans son arrêt du 28 novembre 2007, accepte cette interprétation et respecte entièrement les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour (...). Reste que cette jurisprudence ne semble pas encore suffisamment consolidée dans l’ordre juridique portugais.

(...) »

Eu égard à ces observations, la Cour conclut que ce recours ne pouvait pas être considéré comme « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, ajoutant :

« 56. (...) une telle action ne pourra passer pour un recours « effectif » tant que la jurisprudence qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers une harmonisation des divergences jurisprudentielles qui se vérifient à l’heure actuelle. »

S’agissant de l’article 46 de la Convention, la Cour invita l’État défendeur et tous ses organes, y compris les agents du ministère public, dont le rôle est extrêmement important en la matière, à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que les décisions nationales soient conformes à la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 66 de l’arrêt).

77. À ce jour, la Cour a confirmé les constats qu’elle avait faits dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro dans 48 affaires (pour la dernière, voir Moreno Diaz Peña et autres c. Portugal, no 44262/10, § 64, 4 juin 2015), rejetant les arguments du Gouvernement quant à l’effectivité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle en matière de durée excessive d’une procédure.

78. Elle relève qu’environ 180 affaires contre le Portugal concernant des durées de procédure sont actuellement pendantes devant elle, certaines d’entre elles soulevant également un grief tiré de l’ineffectivité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle dans la matière. Certaines ont déjà été communiquées au gouvernement portugais mais la plupart n’ont pas encore fait l’objet d’un premier examen par la Cour.

79. La Cour observe que dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2010) 34, relative aux arrêts relatifs à la durée excessive des procédures judiciaires au Portugal, adoptée le 4 mars 2010, le Comité des Ministres a encouragé les autorités portugaises à poursuivre les efforts entrepris pour parvenir à l’harmonisation de la jurisprudence des juridictions internes. En outre, à ce jour, le Comité des Ministres n’a pas encore terminé la surveillance de l’exécution de l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro qui lui incombe en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention (voir ci-dessus paragraphes 54 et 55).

80. Le Gouvernement plaide en l’espèce l’effectivité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 12 de la loi n 67/2007 du 31 décembre 2007, en tenant compte de l’évolution de la pratique des tribunaux administratifs, considérant que les conditions fixées dans la jurisprudence de la Cour en la matière sont aujourd’hui remplies et qu’il n’existe plus de différences jurisprudentielles au niveau interne.

81. Alors que l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro a été rendu le 10 juin 2008, soit il y a plus de sept ans, la Cour estime que le moment est venu d’effectuer un nouvel examen de la pratique actuelle des tribunaux administratifs internes en tenant compte des critères qui se dégagent de sa jurisprudence.

α) Les critères relatifs aux garanties procédurales

. Frais de justice

82. Le requérant allègue qu’il existe des restrictions à l’aide judiciaire ce qui limite l’accès des justiciables à l’action en responsabilité civile extracontractuelle.

83. Le Gouvernement conteste cet argument. Il estime que l’action en responsabilité civile extracontractuelle est un recours accessible à toute personne souhaitant obtenir une réparation en raison de la violation de son droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, notamment au moyen, le cas échéant, de l’aide judiciaire.

84. En ce qui concerne les frais et les dépens, la Cour rappelle qu’elle n’a jamais exclu que les intérêts d’une bonne administration de la justice puissent justifier d’imposer une restriction financière à l’accès d’une personne à un tribunal (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 59, CEDH 2001‑VI). Il n’en reste pas moins qu’une limitation de l’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 36, CEDH 2006‑VII (extraits)).

85. La Cour note qu’aucune exemption de frais de justice n’est prévue pour l’action fondée sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007, les personnes souhaitant engager une action contre l’État pour obtenir réparation en raison de la durée excessive d’une procédure doivent donc s’acquitter des frais judiciaires à cette fin. Cela étant, la Cour note que c’est la partie qui perd l’action ou le recours qui doit, en principe, s’acquitter les frais de justice y afférant, comme le prescrit l’article 527 du code de procédure civile. Ainsi, à titre d’exemple, elle relève que l’État a été condamné au paiement des frais de justice dans le cadre de la procédure no 01945/05, suite au rejet du recours qu’il avait introduit contre le jugement d’un tribunal administratif (voir ci-dessus paragraphe 50). En revanche, il n’a été condamné qu’au paiement partiel des frais de justice de recours dans le cadre de la procédure no 0369/07 compte tenu qu’il avait obtenu partiellement gain de cause (voir ci-dessus paragraphe 51).

86. Par ailleurs, la Cour relève que l’aide judiciaire est ouverte à toute personne dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir ses droits en justice, notamment dans le cadre de procédures comme en l’espèce. Elle note également que l’aide judiciaire peut comprendre l’exemption du paiement des frais judiciaires, la désignation d’un avocat d’office et le paiement de ses honoraires (voir ci-dessus paragraphe 53).

87. Eu égard aux constatations qui précèdent, la Cour estime que les règles prévues par le droit interne en matière de frais de justice n’apparaissent pas comme dissuasives pour les justiciables souhaitant poursuivre l’État en responsabilité civile pour dépassement du délai raisonnable dans le cadre d’une procédure.

. Équité de la procédure

88. Les parties s’accordent pour considérer que la procédure respecte les principes de l’équité.

89. La Cour constate aussi que l’analyse de la jurisprudence interne ne révèle aucune apparence d’atteinte à l’équité dans le déroulement de ce type de procédure.

. Célérité de la procédure

90. Les parties divergent en ce qui concerne la célérité des procédures de responsabilité civile extracontractuelle au niveau national. Le requérant dénonce leur longueur, accusant le ministère public de les retarder en raison de recours systématiques introduits au nom de l’État contre des décisions favorables aux demandeurs. Pour sa part, le Gouvernement estime que les recours introduits au cours des procédures peuvent effectivement prolonger leur durée. Néanmoins, les juridictions administratives ont la possibilité de prendre en considération leur propre retard au moment de la détermination des indemnisations à octroyer aux demandeurs.

91. Avant tout, la Cour note qu’il n’apparaît pas que l’État attaque systématiquement des jugements favorables aux intéressés, comme l’allègue le requérant. En effet, à titre d’exemple, la Cour observe qu’aucun recours n’a été exercé contre des jugements faisant droit aux intéressés dans le cadre des trois affaires internes indiquées par le Gouvernement et citées ci-dessus au paragraphe 42.

92. Par ailleurs, de l’aperçu jurisprudentiel figurant aux paragraphes 28 à 41, la Cour relève que la durée des procédures en responsabilité civile extracontractuelles mentionnées ont été les suivantes :

. 7 années, 5 mois et 4 jours sur deux instances saisies pour la procédure interne no 01945/05 (voir ci-dessus paragraphe 36) ;

. 4 années, 2 mois et 6 jours pour trois niveaux de juridictions pour la procédure interne nos 0337/14 et 09424/12 (voir ci-dessus paragraphes 33 et 37) ;

. 3 années, 2 mois et 13 jours pour deux niveaux de juridictions pour la procédure interne no 09034/12 (voir ci-dessus paragraphe 39) ;

. 6 années, 11 mois et 23 jours pour deux instances saisies pour la procédure no 0369/07 (voir ci-dessus paragraphe 38).

93. La Cour constate qu’en l’absence de délais spécifiques pour traiter ce type d’affaires, leur durée peut se prolonger pendant quelques années notamment si des recours sont exercés par les parties. Il est vrai que, par sa nature, un recours indemnitaire exige une décision rapide (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 89 et 97, CEDH 2006‑V; Sartory c. France, no 40589/07, §§ 24 et 26, 24 septembre 2009). Toutefois, comme elle l’avait déjà indiqué dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro (voir le paragraphe 53), le fait que les juridictions internes ont manqué de célérité pour statuer sur le recours indemnitaire ne rend pas ce recours ineffectif, surtout si la juridiction compétente dispose de la possibilité de faire état de son propre retard et d’accorder à l’intéressé une réparation supplémentaire à ce titre pour ne pas le pénaliser une seconde fois (voir mutatis mutandis, dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 6, Sartory, précité, § 26). La Cour relève que cette possibilité est ouverte aux juridictions nationales statuant sur ce type d’affaires comme l’expose le Gouvernement.

β) Les critères relatifs à l’appréciation du délai raisonnable et au calcul et paiement de l’indemnité

. Sur l’appréciation du délai raisonnable par les juridictions internes

94. Le Gouvernement soutient que les tribunaux appliquent les critères fixés dans la jurisprudence de la Cour en matière de durée d’une procédure. Le requérant ne se prononce pas à ce sujet.

95. De l’aperçu de la jurisprudence pertinente figurant des paragraphes 31 à 37, la Cour relève que la Cour suprême administrative a considéré que :

. le dommage moral causé par une atteinte au droit à un procès dans un délai raisonnable mérite réparation même s’il n’a pas été prouvé que la victime a souffert une grande souffrance ou un changement sensible de vie ou de comportement (arrêt du 9 octobre 2008 [procédure interne no 0319/08]).

. si le délai raisonnable a été dépassé dans le cadre d’une procédure, c’est l’État qui devait le garantir qui doit prouver toute cause justifiant l’excès vérifié (arrêt du 1er mars 2011 [procédure interne no 0336/10]) ;

. si les parties utilisent les moyens de procédure que la loi interne leur ouvre pour défendre leurs intérêts, ceci ne peut être retenu pour exclure la responsabilité de l’État en raison de la durée d’une procédure au-delà du raisonnable, à moins qu’elles en fassent une utilisation abusive ou déterminée à retarder la procédure. En effet, il appartient à l’État d’organiser son système judiciaire de façon à éviter que les procédures s’éternisent dans les tribunaux, à travers des incidents et recours successifs permis par la loi interne. La durée globale d’une procédure de plus de huit ans traduit à elle seule un dysfonctionnement de la justice, violant l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 20 § 4 de la Constitution (arrêt du 27 novembre 2013 [procédure interne no 0144/13]) ;

. pour déterminer le caractère raisonnable de la durée d’une procédure, il faut tenir compte de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et des autorités et de l’enjeu du litige (arrêt du 21 mai 2015 [procédure interne no 072/14 et arrêt du 27 novembre 2013 [procédure interne no 0144/13]) ;

. l’État a l’obligation de créer des moyens, mécanismes, délais et organisation pour atteindre l’objectif d’administrer la justice dans un délai raisonnable (arrêt du 10 septembre 2014 [procédure interne no 090/12]) ;

96. Eu égard aux observations qui précèdent, la Cour constate que la jurisprudence de la Cour suprême administrative a beaucoup évolué au cours des dernières années et, en particulier, depuis l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro. Il apparaît qu’elle s’est véritablement consolidée à partir de l’arrêt du 27 novembre 2013 qui énumère les principes clés à appliquer dans ce type d’affaires. Ceux-ci ont ensuite été repris dans des arrêts postérieurs de la Cour suprême et des tribunaux centraux administratifs (voir ci-dessus paragraphe 28 à 41).

97. Les principes qui se dégagent aujourd’hui de la jurisprudence interne correspondent exactement à ceux fixés par la Cour dans les affaires concernant le respect du « délai raisonnable » stipulé à l’article 6 § 1 de la Convention. Il apparaît donc que la condition qui était faite au titre de l’article 46 de la Convention dans le cadre de l’arrêt Martins Castro et Alves Correia en raison du constat qui figurait au paragraphe 55 est remplie à la date actuelle, un arrêt d’harmonisation n’étant plus justifié comme le considère le Gouvernement.

. Sur la détermination et le paiement de l’indemnité

98. En ce qui concerne les montants octroyés, la Cour constate de l’aperçu jurisprudentiel figurant aux paragraphes 39 à 45 que les montants suivants ont été octroyés au titre du dommage moral :

. 5 000 EUR pour une procédure civile d’une durée de plus de douze ans pour trois instances (arrêt du tribunal central administratif du Sud du 12 février 2015 dans le cadre de la procédure interne no 09309/12 - voir ci-dessus paragraphe 41) ;

. 16 000 EUR pour une procédure administrative qui avait duré plus de vingt et un ans sur trois niveaux de juridictions (arrêt définitif du 22 mai 2014 dans le cadre de la procédure interne no 07822/11- voir ci-dessus paragraphe 40).

. 15 000 EUR pour une procédure administrative qui avait duré dix-sept années sur un niveau de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du Sud du 21 novembre 2013 dans le cadre de la procédure interne no 09424/12- voir ci-dessus paragraphe 37) ;

. 15 000 EUR pour une procédure civile qui avait duré environ sept années sur un niveau de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du Nord du 21 février 2013 dans le cadre de procédure interne no 01945/05 - voir ci-dessus paragraphe 36) ;

. 3 250 EUR pour une procédure civile qui avait duré dix-sept années sur trois niveaux de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du Sud du 20 mars 2014 dans le cadre procédure interne no 09034/12 - voir ci-dessus paragraphe 39).

99. La Cour note que, à l’exception de la dernière affaire où des retards ont été imputés au demandeur, ces montants représentent approximativement de 65 % à 100 % de ce que la Cour octroie normalement dans ce type d’affaires (Cocchiarella, précité, § 146). La réparation attribuée au niveau interne s’aligne donc plus ou moins sur la pratique de la Cour. Elle apparaît donc adéquate.

100. Le Gouvernement affirme que les sommes attribuées à l’issue des procédures devant les tribunaux administratives sont payées aussitôt que les jugements deviennent définitifs. Le requérant ne s’est pas prononcé à ce sujet. Pour sa part, la Cour estime qu’il n’y a pas de raisons de douter de la diligence des autorités portugaises dans le paiement des indemnités.

γ) Conclusion

101. Compte tenu de ce qui précède et au vu des considérations qui étaient faites dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro, la Cour considère que la pratique des tribunaux internes a beaucoup évolué ces dernières années en ce qui concerne l’appréciation des actions en responsabilité civile extracontractuelle fondées sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. Elle observe que c’est en particulier à partir de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13) que ce changement s’est consolidé au niveau de la jurisprudence interne au point de donner un degré de certitude juridique au recours pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. La Cour en conclut qu’à partir du 27 novembre 2013, l’action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 constitue un recours effectif pour remédier à une violation alléguée du droit de voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Cela étant, à titre subsidiaire, afin que la longueur des actions en responsabilité extracontractuelle ne compromette les avancements vérifiés et l’effectivité du recours constatée en l’espèce, la Cour recommande à l’État défendeur de rester attentif et, le cas échéant, de ne pas contester en appel des jugements constatant le dépassement du délai raisonnable et octroyant une indemnisation aux demandeurs.

ii. Sur la nécessité d’épuiser ce recours dans la présente espèce

102. Il reste à déterminer si le requérant aurait dû épuiser cette voie de recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. La Cour rappelle à cet égard que c’est en principe à la date d’introduction de la requête que s’apprécie l’effectivité d’un recours donné. Cela étant, la Cour a approuvé un certain nombre d’exceptions à cette règle, justifiées par les circonstances particulières des affaires concernées, notamment suite à l’adoption d’une nouvelle législation pour remédier au problème systémique de la longueur des procédures judiciaires (Brusco c. Italie, (dec.) no 69789/01, CEDH 2001‑IX ; Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, CEDH 2002‑VIII, Marien c. Belgique (déc.), no 46046/99, 24 juin 2004, Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 110, 3 mai 2007 ; Techniki Olympiaki A.E. c. Grèce (déc.), no 40547/10, 1er octobre 2013, § 58 ; Xynos c. Grèce, no 30226/09, § 54, 9 octobre 2014).

103. En l’espèce, il ne s’agit toutefois pas d’un nouveau recours au niveau interne mais de l’évolution de la pratique des tribunaux nationaux dans l’appréciation des actions en responsabilité civile fondées sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. Comme elle l’a relevé ci-dessus au paragraphe 101, cette jurisprudence s’est véritablement consolidée à partir de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13). La question qui se pose est donc celle de savoir à quelle date cet arrêt a acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001, Mifsud, précité).

104. Comme la Cour l’a considéré dans plusieurs affaires (voir, Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, § 20, 21 octobre 2003 ; Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004 ; Depauw c. Belgique (déc.), no 2115/04, CEDH 2007‑V (extraits)), il ne serait pas équitable d’opposer une voie de recours nouvellement intégrée dans le système juridique d’un État contractant aux individus qui se portent requérants devant la Cour, avant que les justiciables concernés n’en aient eu connaissance de manière effective.

105. Dans les cas où, comme en l’espèce, le recours interne est le fruit d’une évolution jurisprudentielle, l’équité commande de prendre en compte un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité dont ladite décision a fait l’objet (Depauw, précitée ; Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, § 49, 11 février 2010).

106. Dans la présente espèce, la Cour estime qu’il est raisonnable de penser que l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013 a acquis une publicité au niveau interne, notamment dans le milieu juridique, six mois après son prononcé, soit à partir du 27 mai 2014, celui-ci ayant pu effectivement être consulté sur la base de donnée de la jurisprudence de la Cour suprême administrative disponible sur son site internet ([http://www.dgsi.pt/jsta.nsf?OpenDatabase](http://www.dgsi.pt/jsta.nsf?OpenDatabase)). Il est donc raisonnable de considérer que l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013 ne pouvait ainsi être ignoré du public à partir du 27 mai 2014. La Cour en conclut que c’est à partir de cette date qu’il doit être exigé des requérants qu’ils usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette conclusion vaut pour les procédures terminées comme pour celles qui sont toujours pendantes au niveau national, la jurisprudence interne ne distinguant pas les procédures pendantes de celles qui sont achevées.

107. La présente requête a été introduite le 25 novembre 2013, soit bien avant le 27 mai 2014. À cette date, le recours n’avait pas encore le degré de certitude exigé par la Cour pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup d’autres, Debbasch c. France (déc.), no 49392/99, 18 septembre 2001 ; Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002). En outre, il apparaît que le requérant ne serait actuellement plus en mesure d’engager une telle action étant donné que le délai de prescription de cette action est de trois ans - conformément à l’article 498 du code civil, applicable en vertu de l’article 5 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 -, un délai comptant à partir du moment où l’intéressé a pris conscience du retard de la procédure selon la jurisprudence interne (voir arrêt de la Cour suprême administrative du 4 décembre 2012 et arrêt du tribunal administratif central du Sud du 23 octobre 2014, ci-dessus paragraphe 47).

108. Dès lors, il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir fait usage de l’action en responsabilité civile extracontractuelle au titre de l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. La Cour rejette ainsi l’exception préliminaire du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes (paragraphe 50 ci-dessus) et estime, en conséquence, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

109. Le requérant se plaint également que la procédure civile devant le tribunal administratif de Lisbonne n’ait pas été décidée dans un délai raisonnable, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

110. Le Gouvernement reconnaît que la durée de la procédure a été excessive.

111. La Cour note que la période à prendre en considération débute le 9 juin 2003 avec l’introduction de l’action civile devant le tribunal administratif de Lisbonne et s’achève le 27 mai 2013 avec l’extinction de l’instance prononcée par le tribunal central administratif du Sud, faute pour le défendeur d’avoir présenté son mémoire en appel. La procédure a donc duré 9 années, 11 mois et 20 jours pour un niveau de juridiction, le tribunal central administratif n’ayant au final pas été appelé à se prononcer sur le recours formé par le défendeur.

112. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour rappelle aussi qu’une diligence particulière s’impose pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, 27 février 1992, § 17, série A no 230‑D).

113. À la lumière de ces principes et, compte tenu qu’en l’espèce, les parties s’accordent en outre pour considérer qu’il y a eu dépassement du délai raisonnable stipulé à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour conclut qu’il y a eu violation de cette disposition.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

114. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

115. Le requérant réclame 179 330, 22 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi, ce montant correspondant à la somme des salaires qu’il n’a pas perçus en raison du retard pris par le tribunal administratif de Lisbonne pour décider sa cause, retard qu’il estime être de sept ans et
dix-sept jours de retard. Il demande aussi 15 000 EUR pour le préjudice moral subi en raison de la méconnaissance du délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

116. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il estime qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le montant réclamé au titre du dommage matériel et la violation alléguée. Quant au dommage moral, il juge le montant réclamé surévalué.

117. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 11 830 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

118. Le requérant demande également, sans la chiffrer, une somme pour les frais et dépens devant les juridictions internes et la Cour.

119. Le Gouvernement conteste cette prétention au motif qu’elle n’est pas quantifiée et étayée.

120. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, parmi beaucoup d’autres, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI). En l’espèce, étant donné que les frais réclamés au titre de la procédure devant les juridictions internes n’ont pas été engagés pour prévenir ou faire corriger les violations constatées, la Cour rejette la prétention du requérant s’agissant du remboursement des frais et dépens relatifs à cette procédure.

121. Quant aux frais et dépens devant elle, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour rappelle aussi qu’aux termes de l’article 60 § 2 de son règlement, les requérants doivent chiffrer leurs prétentions au titre de l’article 41 et y joindre les justificatifs nécessaires ; à défaut, la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie. En l’espèce, le requérant ne chiffre pas sa demande et ne produit aucun justificatif pertinent. Partant, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme au titre des frais et dépens pour la procédure engagée devant elle.

C. Intérêts moratoires

122. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du non‑épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 11 830 EUR (onze mille huit cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenAndrás Sajó
GreffierPrésident


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