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06/10/2015 | CEDH | N°001-157514

CEDH | CEDH, AFFAIRE BORIS IVANOV c. RUSSIE, 2015, 001-157514


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BORIS IVANOV c. RUSSIE

(Requête no 12311/06)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2015

DÉFINITIF

06/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Boris Ivanov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-

Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BORIS IVANOV c. RUSSIE

(Requête no 12311/06)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2015

DÉFINITIF

06/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Boris Ivanov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12311/06) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Boris Nikolayevich Ivanov (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 février 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V.I. Zuyev, avocat à Samara. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il a été victime de mauvais traitements lors de sa détention et qu’aucune enquête effective n’a eu lieu à cet égard.

4. Le 25 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1965 et réside à Tolyatti.

6. Le 31 juillet 2003, le requérant fut arrêté sur suspicion de fraude et placé en détention provisoire. À une date non spécifiée, il fut transféré à la maison d’arrêt no IZ-47/1 de la ville de Saint-Pétersbourg.

A. Les mauvais traitements allégués par le requérant et l’enquête menée à cet égard

1. La version du requérant

7. Le 29 août 2003, le requérant fut placé dans une cellule où se trouvaient déjà trois autres détenus.

8. Peu après le placement du requérant, un gardien aurait amené un autre détenu dans la cellule. Les quatre codétenus du requérant se mirent alors à le battre. Un des assaillants utilisa un bâton pour le frapper. Ils tentèrent d’extorquer au requérant une somme d’argent que ses proches devaient transmettre à des personnes se trouvant en liberté. Ultérieurement, le gardien apporta de l’alcool aux assaillants, qui continuèrent à battre le requérant en présence du gardien. Le passage à tabac aurait duré plusieurs heures, jusqu’à ce que le requérant finisse par céder : il donna alors son accord pour contacter ses proches afin qu’ils payassent la somme. Le lendemain matin, quand un nouveau gardien ouvrit la porte de la cellule, le requérant réussit à courir dans le couloir et fut ensuite placé dans une autre cellule.

9. Le 31 août 2003, il fut examiné par le médecin de service, qui constata plusieurs lésions sur son corps et sa tête (paragraphe 16 ci‑dessous).

10. Le requérant affirme qu’il adressa plusieurs plaintes au sujet des mauvais traitements au parquet, mais que l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/1 ne les aurait pas transmises au destinataire. Il a soumis à la Cour une copie d’une plainte qui contient une description détaillée des circonstances dans lesquelles il aurait été maltraité.

2. La version du Gouvernement

11. Le Gouvernement affirme que les lésions du requérant trouvent leur origine dans une séance d’exercice en plein air, le 29 août 2003, où le requérant s’entraînait avec un autre détenu à la boxe : par maladresse de l’un ou de l’autre, le requérait aurait reçu un coup au visage, qui lui aurait fait perdre l’équilibre et l’aurait fait tomber par terre.

12. Le requérant n’aurait pas demandé à voir un médecin tout de suite. Ce n’est que le 31 août 2003, après son transfert dans une autre cellule, qu’il se plaignit de maux de tête.

13. Après un examen médical qui eut lieu le 31 août 2003, il fut transféré à la clinique de la maison d’arrêt no IZ-47/1, où il séjourna du 31 août au 9 septembre 2003.

14. Toujours selon le Gouvernement, le 7 décembre 2004 le parquet aurait ouvert une enquête sur les allégations de mauvais traitements du requérant. Cette enquête aurait été suspendue en 2008.

15. Le Gouvernement affirme que, le 11 février 2011, l’enquête a été rouverte et qu’elle reste pendante devant les autorités nationales.

B. Les certificats médicaux

16. Le 31 août 2003, après examen du requérant, le médecin de service de la maison d’arrêt no IZ-47/1 demanda son transfert à la clinique. Les parties pertinentes de la fiche médicale qu’il établit se lisaient comme suit :

« [Le requérant a] une enflure dans la région sincipitale et dans la région de la mâchoire inférieure à gauche. Des hématomes aux épaules, aux fesses, au thorax du côté droit, à la hanche droite. Une éraflure à l’avant-bras gauche [...]

Diagnostic : contusions de la tête, du tronc et des membres. »

17. Le 1er septembre 2003, le requérant subit un examen médical à la clinique de la maison d’arrêt no IZ-47/1. Outre les traumatismes déjà décrits par le médecin de service, on releva des éraflures dans la région lombaire. Le diagnostic précédemment établi fut confirmé.

18. Toujours à l’hôpital, le requérant fut examiné par un neurologue, qui constata :

« [Le requérant] est inhibé, [il] répond aux questions à contrecœur, [il] s’embrouille. »

19. Le 2 septembre 2003, le psychiatre de l’hôpital examina le requérant, qui se plaignit toujours de maux de tête et d’une dégradation de la mémoire. Le médecin constata une amnésie rétrograde partielle.

20. Dans le cadre de la procédure pénale à l’encontre du requérant, le requérant fut soumis à une expertise psychiatrique pénale. Dans leur rapport du 12 mai 2005, les experts conclurent :

« (...) depuis août ou septembre 2003 environ, [le requérant] a développé un dysfonctionnement mental temporaire sous forme de trouble délirant organique (d’allure schizophrénique) dû à des maladies mixtes. »

21. À la suite de ce rapport, le tribunal saisi de la poursuite pénale contre le requérant ordonna son internement dans un établissement psychiatrique pour traitement obligatoire.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. Le droit interne pertinent concernant l’interdiction des mauvais traitements et la procédure d’examen des plaintes au pénal en la matière est résumé dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, §§ 96-102, 24 juillet 2014).

III. Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture

23. Les rapports pertinents du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), dans leurs parties concernant l’obligation de prévention des violences entre détenus, sont résumés dans l’arrêt Premininy c. Russie (no 44973/04, § 54, 10 février 2011).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue qu’il a été soumis à des traitements inhumains et dégradants de la part de ses codétenus et que ses doléances à cet égard n’ont pas fait l’objet d’une enquête effective, en méconnaissance de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

25. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, en faisant référence à l’arrêt Kniazev c. Russie (no 25948/05, § 85, 8 novembre 2007). Il se réfère de surcroît à l’article 254 du code de procédure civile de la Fédération de Russie, qui permet de contester un acte ou une omission d’une autorité publique.

26. Le requérant n’a pas présenté d’observations.

27. La Cour note que la question de l’épuisement des voies de recours internes est étroitement liée à celle de l’effectivité de l’enquête menée sur les allégations de mauvais traitements du requérant. Partant, il y a lieu de la joindre à l’examen au fond du grief tiré du volet procédural de l’article 3 (Naboyshchikov c. Russie, no 21240/05, § 50, 27 octobre 2011).

28. Constatant que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare donc recevable, sans préjudice de sa décision sur l’exception préliminaire du Gouvernement, sur laquelle elle se prononcera ci-dessous.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

29. Le requérant allègue que, le 29 août 2003, il a été battu par ses codétenus de la maison d’arrêt no IZ-47/1 avec l’accord tacite d’un gardien. Il se plaint que les autorités n’ont pas mené une enquête effective sur les circonstances des mauvais traitements allégués.

30. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas été maltraité (voir la version des faits du Gouvernement ci-dessus, paragraphe 11). Il affirme que l’enquête répondait aux exigences d’effectivité de l’article 3 de la Convention. Il se réfère à une vérification menée auprès des codétenus du requérant, au cours de laquelle ceux-ci auraient déclaré ne pas l’avoir battu.

31. Le Gouvernement indique que les registres de la correspondance des détenus de la maison d’arrêt no IZ-47/1 couvrant la période du 5 janvier au 29 décembre 2004 ont été détruits en 2008. Il produit, à l’appui, copie d’un acte de l’administration de cet établissement en date du 12 décembre 2008.

32. Le Gouvernement n’a transmis aucun document relatif à l’enquête menée par les autorités nationales, ni aucune copie des décisions du parquet auxquelles il a fait référence dans ses observations.

2. Appréciation de la Cour

33. À la lumière de ses conclusions au paragraphe 27 ci-dessus, la Cour examinera le grief du requérant d’abord sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention et ensuite dans son volet matériel.

a) Sur le caractère effectif de l’enquête menée

34. La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle requise par l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

35. La Cour note à titre liminaire que les allégations du requérant quant aux mauvais traitements subis à la maison d’arrêt no IZ-47/1 étaient pour le moins défendables. Elles étaient suffisamment détaillées et étayées par les conclusions des médecins, qui avaient constaté plusieurs lésions chez le requérant peu après les mauvais traitements allégués.

36. Le requérant affirme qu’il avait rédigé plusieurs plaintes destinées au parquet, mais que l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/1 ne les a jamais transmises. Le Gouvernement indique qu’il lui est impossible de fournir les registres de correspondance, du fait de leur destruction (paragraphe 31 ci-dessus). En tout état de cause, les autorités nationales ont eu connaissance de la plainte du requérant, ce qui n’est pas contesté par le Gouvernement.

37. La Cour estime opportun de revenir à l’exception préliminaire du Gouvernement, selon laquelle le requérant n’a pas porté ses doléances à l’attention des tribunaux nationaux et n’aurait, par conséquent, pas épuisé les voies de recours internes. Elle note que le Gouvernement n’a pas démontré comment un tel recours aurait pu remédier à la situation du requérant, c’est-à-dire, mener à une enquête prompte et effective sur les allégations de mauvais traitements formulées (Khatsiyeva et autres c. Russie, no 5108/02, § 150, 17 janvier 2008). En conséquence, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

38. Vu que le Gouvernement n’a pas soumis de documents relatifs à l’enquête sur les allégations de mauvais traitements du requérant, la Cour ne peut examiner si celle-ci était effective qu’en se basant sur les éléments en sa possession (Esmukhambetov et autres, no 23445/03, § 120, 29 mars 2011).

À ce sujet, il apparaît que, le 7 décembre 2004, une enquête ait été ouverte, mais qu’elle ait ensuite été suspendue en 2008, avant d’être rouverte en 2011. La Cour observe que l’enquête n’aurait ainsi été ouverte qu’environ une année et trois mois après les faits allégués. Un tel délai ne peut, aux yeux de la Cour, être considéré comme compatible avec les exigences d’effectivité de l’enquête (Menecheva c. Russie, no 59261/00, § 67, CEDH 2006‑III). Il en est de même quant au déroulement de l’enquête, qui aurait duré quatre ans avant d’être suspendue en 2008. Rien ne démontre non plus que les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires afin d’établir les circonstances matérielles et l’origine des blessures du requérant. Plus particulièrement, il ne ressort pas des éléments en la possession de la Cour qu’il y ait eu une expertise médicolégale en vue d’établir si les lésions constatées pouvaient être apparues dans les circonstances décrites par le requérant ni, le cas échéant, une confrontation du requérant avec les codétenus prétendument impliqués dans le passage à tabac ou avec le gardien qui y aurait assisté.

39. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’a pas eu d’enquête effective au sujet des allégations de mauvais traitements formulées par le requérant. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural.

b) Sur les allégations de mauvais traitements

40. La Cour rappelle que « lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’État de fournir une explication plausible pour l’origine des blessures, à défaut de quoi l’article 3 de la Convention trouve manifestement à s’appliquer » (Tomasi c. France, 27 août 1992, §§ 108-111, série A no 241-A, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V).

41. Pour apprécier les preuves, la Cour a généralement adopté jusqu’ici le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161, série A no 25). Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 34, série A no 336, et Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII).

42. Dans le cas d’espèce, le Gouvernement admet que le requérant a eu des lésions alors qu’il était en détention provisoire, mais il conteste leur origine. Il avance sa version des faits et se réfère à une vérification et à une enquête qui auraient eu lieu à cet égard (paragraphe 30 ci-dessus).

La Cour rappelle qu’il incombe au gouvernement défendeur de produire des preuves établissant des faits qui fassent peser un doute sur le récit de la victime (Mimtaş c. Turquie, no 23698/07, § 55, 19 mars 2013). Or, elle constate que la version du Gouvernement n’est étayée par aucun élément : il n’a soumis copie ni des résultats de la vérification ou de l’enquête qui auraient eu lieu, ni des déclarations des codétenus du requérant dans lesquelles ceux-ci auraient nié leur implication, ni d’aucun autre document de nature à jeter un doute sur la version du requérant. Au vu du nombre et de la gravité des lésions, la Cour trouve difficilement concevable que celles‑ci aient pu résulter d’une chute lors d’un entraînement sportif du requérant avec un codétenu. Par conséquent, la Cour estime que la version des faits avancée par le Gouvernement n’est guère plausible. Eu égard aux principes énumérés ci-dessus, elle estime que le Gouvernement ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait en termes d’administration de la preuve (paragraphe 40 ci-dessus), faute d’explication satisfaisante et convaincante quant à l’origine des lésions du requérant.

43. La Cour note ensuite que ces lésions ont dû causer au requérant de vives souffrances physiques et morales. Elle ne perd pas de vue à cet égard que le requérant a développé un dysfonctionnement mental temporaire sous forme de trouble délirant organique, et qu’il a été interné dans un établissement psychiatrique (paragraphe 20 ci-dessus). Ainsi, la Cour considère que le traitement infligé a atteint le seuil de gravité requis pour constituer un traitement inhumain sous l’article 3 de la Convention.

44. Reste à déterminer si les autorités nationales peuvent être tenues pour responsables du traitement en question. La Cour a déjà eu l’occasion d’énoncer que, pour que la responsabilité de l’État sur le terrain de l’article 3 de la Convention soit engagée, il suffit au requérant de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour son intégrité physique, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance (Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 190, CEDH 2003‑VI (extraits) ; Premininy précité, § 84).

45. La Cour note que le Gouvernement a manqué à réfuter la version des faits du requérant, selon laquelle les mauvais traitements litigieux lui furent infligés pendant plusieurs heures et même en présence d’un gardien. Elle rappelle à cet égard que, dans le contexte des violences carcérales, le personnel pénitentiaire a l’obligation de réagir rapidement, afin de protéger la victime et de lui assurer les soins médicaux et psychologiques nécessaires (Premininy, précité, § 87). Elle est d’avis que, vu la durée des mauvais traitements en cause et compte tenu de l’obligation de réagir rapidement face à la violence entre détenus, le gardien présent sur les lieux aurait dû réagir pour mettre fin aux mauvais traitements subis par le requérant. En l’absence de toute réaction des autorités internes, la Cour conclut qu’elles ont failli à leur obligation de protéger l’intégrité physique du requérant.

46. Partant, il y a eu violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

47. Le requérant a enfin soulevé d’autres griefs tirés de différents articles de la Convention.

48. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

51. Le Gouvernement considère cette somme excessive et invite la Cour à rejeter la demande.

52. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 19 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à verser sur le compte bancaire du requérant, au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

53. Le requérant n’a formulé aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur ce point.

C. Intérêts moratoires

54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non‑épuisement des voies de recours internes, et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 19 500 EUR (dix-neuf mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à verser sur le compte bancaire du requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenAndrás Sajó
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-157514
Date de la décision : 06/10/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête efficace) (Volet procédural);Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement inhumain;Obligations positives) (Volet matériel)

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZUYEV V.I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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