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22/09/2015 | CEDH | N°001-157370

CEDH | CEDH, AFFAIRE KOUTSOLIONTOS ET PANTAZIS c. GRÈCE, 2015, 001-157370


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KOUTSOLIONTOS ET PANTAZIS c. GRÈCE

(Requêtes nos 54608/09 et 54590/09)

ARRÊT

STRASBOURG

22 septembre 2015

DÉFINITIF

22/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Koutsoliontos et Pantazis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Tra

jkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint d...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KOUTSOLIONTOS ET PANTAZIS c. GRÈCE

(Requêtes nos 54608/09 et 54590/09)

ARRÊT

STRASBOURG

22 septembre 2015

DÉFINITIF

22/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Koutsoliontos et Pantazis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 54608/09 et 54590/09) dirigées contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, MM. Vassilios Koutsoliontos et Spyridon Pantazis (« les requérants »), ont saisi la Cour le 3 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés respectivement par Mes K. Dakaletsis et D. Dimos, avocats au barreau d’Ioannina. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou et M. I. Bakopoulos, assesseurs auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Les requérants allèguent en particulier une violation de leur droit à la liberté d’expression.

4. Les 31 août 2011 et 2 décembre 2010 respectivement, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés en 1949 et 1951 respectivement et résident à Ioannina.

6. Le premier requérant est propriétaire et éditeur de « Proïnos Logos », un journal local publié dans la ville d’Ioannina. Le second est le directeur du service des monuments historiques modernes de cette ville après avoir été, par le passé, conseiller municipal et adjoint au maire de cette ville.

7. Le 21 septembre 2004, le second requérant publia dans « Proïnos Logos » un article dans lequel il s’exprimait sur certaines questions concernant la ville et critiquait l’action de F.F., maire de la ville de 1986 à 1994, conseiller municipal et chef de file d’un parti politique de 1982 à ce jour.

8. La publication de cet article se fit dans le contexte d’une querelle entre le second requérant et F.F. Cette querelle avait pour origine la proposition d’une société privée de valoriser l’exploitation de l’immeuble Oase, propriété de la ville d’Ioannina. Cette proposition avait été rejetée par le conseil municipal au motif qu’elle tendait à modifier la destination de l’immeuble. F.F. était de ceux qui s’étaient opposés au projet. Par la suite, la même société déposa une nouvelle proposition qui fut approuvée par le second requérant en sa qualité de directeur du service des monuments historiques modernes de la ville. F.F. saisit alors le ministère de la Culture d’une réclamation tendant à l’annulation de l’approbation donnée par le second requérant.

9. L’article, intitulé « Hôtel Xenia et Alzheimer » et sous-titré « Qu’ils demandent pardon et qu’ils se retirent », contenait notamment les passages suivants :

« La référence faite par F.F. à l’occasion de l’examen imminent de la question de la mise en valeur de l’hôtel Xenia d’Ioannina par le Conseil archéologique central ne peut être qualifiée que de farce de mauvais goût. Ce que F.F. a réussi à faire pendant son mandat, c’est de faire fonctionner l’hôtel comme une entreprise « collectiviste » de type brejnévien, ce qui a naturellement conduit à sa banqueroute, à l’instar d’ailleurs de toutes les entreprises municipales (...). Et cette farce n’est pas une de ses farces « infantiles » et immatures qui ont caractérisé sa trajectoire politique immorale qui, comme cela est bien connu, a freiné et même fait régresser l’évolution de la ville. Cette farce souffre d’Alzheimer, car F.F. oublie les efforts qu’il a faits pour que le bâtiment attenant à l’hôtel Xenia (l’ex-maternité, œuvre de Mineïko) ne soit pas classé monument historique à préserver (...), ce qui constitue une première internationale (...). La démence sénile qui caractérise son attitude et son comportement politique est démontrée par le fait qu’il oublie son « idée » de mettre en valeur la villa du bienfaiteur M. (monument historique à préserver) grâce à la méthode qui consiste à donner la villa en échange (antiparokhi) de la construction d’un immeuble !!! Il oublie aussi son souhait de construire une maison de retraite dans le secteur du Xenia, à la place de la « maison des aînés » (KAPI) qui a « brûlé » lors d’un incendie dont j’ignore les causes. Cette « idée » a été abandonnée à la suite de la réaction virulente de l’association culturelle. L’Alzheimer qui caractérise ses prises de position, l’empêche de se souvenir de sa position récente lors de la classification de l’Oase comme monument historique, et dont la mise en service dans quelques jours – je l’espère – lui rafraîchira la mémoire et lui rappellera ainsi les lettres diffamatoires et délatrices (roufianohafiedikes) qu’il envoyait au ministre de la Culture (...) pour « punir » le service qui se donnait à fond afin d’obtenir la restauration [de l’Oase].

(...)

En ce qui concerne la lettre récente et « bonne à recevoir des crachats » envoyée (...) au premier ministre et ministre de la Culture, K.K. (au sujet de l’Oase), j’espère qu’ils vont s’en souvenir lors de la réunion du conseil municipal ou lors de l’inauguration de l’Oase (...), compte tenu du fait que ce sont eux qui ont détruit l’Oase et qui ont lutté « bec et ongles » pour tenter d’empêcher sa restauration, fidèles en cela au dogme du « rien faire » pour que leur échec total ne soit pas révélé. (...)

Et comme la démence sénile, combinée au « rien faire », constitue un mélange dangereux de décadence et de recul, je voudrais rappeler que des cadres dirigeants de son parti ont tenu le premier rôle, par le biais d’articles de presse brûlants mais biscornus, pour empêcher la construction de l’hôtel Du Lac, qui désormais fait la fierté économique de la ville grâce à son haut niveau de prestations (...). L’Alzheimer qui se trouve à la base de ce comportement devrait – à mon avis – faire l’objet d’examens dans des centres médicaux sérieux, qui cachent plusieurs « secrets », comme le centre médical de l’armée de l’air dans lequel certains jeunes du parti communiste ont fait leur service militaire pendant la junte (...), contre des compensations et des services [eux aussi] secrets. Et si le traitement réussit, le besoin d’un grand pardon pourra alors se faire sentir. Car que peuvent-ils nous dire, ceux qui ont totalement échoué, sinon nous demander pardon ? (...) »

10. Le 18 novembre 2004, F.F. introduisit une action contre les requérants devant le tribunal de première instance d’Ioannina.

11. Par une décision du 16 décembre 2005, le tribunal jugea que l’article litigieux rédigé par le second requérant et publié par le premier, visait à diffamer et insulter F.F., à porter atteinte à son honneur, à sa réputation et de manière générale à sa personne. Selon le tribunal, l’article sortait, dans sa plus grande partie, des limites de la liberté de la presse garantie par l’article 10 de la Convention, car son rédacteur n’avait pas respecté la personne de F.F. et le devoir de vérité.

12. En outre, la décision précisait que les affirmations concernant la banqueroute de l’hôtel Xenia, pendant le mandat de F.F., étaient fausses et que l’auteur de l’article ne pouvait pas l’ignorer. En particulier, le tribunal admit que, bien que les entreprises municipales, dans leur ensemble, firent état de pertes en 1994, dernière année du mandat de F.F., l’hôtel Xenia avait, entre 1986 et 1994 affiché des pertes et des profits.

13. Par ailleurs, selon le tribunal, dans la phrase « cette farce n’est pas une de ses farces ‘infantiles’ et immatures qui ont caractérisé sa trajectoire politique immorale », l’emploi du terme « immorale » démontrait clairement une volonté d’insulte, de contestation de l’intégrité morale de F.F. et de mépris, ce terme n’étant pas nécessaire pour exprimer l’opposition éventuelle du second requérant envers l’action politique du premier. La phrase « cette farce souffre d’Alzheimer » était manifestement insultante pour F.F., car se référant à une personne approchant la soixantaine, elle pouvait de manière raisonnable donner l’impression au lecteur que F.F. souffrait réellement de cette maladie, ce qui aurait eu une influence sur son comportement. De plus, F.F. étant ophtalmologiste-chirurgien, il avait un contact constant avec des patients lui confiant leur santé ; cette phrase était alors clairement insultante et pas nécessaire pour exprimer l’opinion du second requérant à l’égard de la politique de F.F. Le tribunal de première instance considéra que le but évident était de porter atteinte à l’honneur et à la réputation de F.F., comme en témoignaient la manière et le style des informations ainsi présentées.

14. La décision indiquait, en outre, que les propos relatifs à la « démence sénile » caractérisant l’attitude politique et le comportement de F.F., combiné avec des commentaires sur l’Alzheimer, renforçaient le sentiment qu’ils visaient à insulter F.F. et qu’ils tentaient, de manière systématique, à lier son nom à une pathologie mettant en cause son fonctionnement mental, sa mémoire et sa conscience.

15. Toujours selon la décision, les termes « lettres diffamatoires et délatrices (« roufianohafiedikes ») » qui tendaient à désigner F.F. comme étant un mouchard dans sa vie politique, avaient également pour but de l’insulter. Il en était de même pour l’assertion selon laquelle F.F. avait détruit l’Oase, ce qui selon la décision était mensonger et visait à salir sa réputation.

16. Enfin, le tribunal considéra que tous les propos relatifs aux services prétendument rendus par F.F. au régime dictatorial, tendaient à offenser F.F. et à le présenter comme un collaborateur de la junte. Il ajouta que le langage employé et l’imprécision des accusations démontraient que l’auteur de l’article cherchait à diffamer F.F., et à mettre en cause sa moralité en tant qu’homme politique et sa considération au sein de la société. Par contre, le tribunal rejeta l’argument de F.F. selon lequel l’article insinuait sa participation à l’incendie qui avait détruit la « maison des aînés ».

17. De manière plus générale, le tribunal soulignait :

« L’[auteur de l’article] savait pertinemment que ce qui était mentionné dans celui-ci (...) n’était pas exact (...) ; il a malgré cela publié cet article, avec l’intention évidente de porter atteinte à l’honneur et à la réputation du plaignant. Cela découle tant de la manière et du style dans lesquels ce qui précède a été exprimé que (...) de l’allégation selon laquelle le plaignant a accompli ces actes afin d’éviter que son échec en tant que maire fût révélé. Il en ressort que [le second requérant] a tenté, en débordant le cadre d’une querelle légitime avec son rival politique, de noircir le nom de celui-ci. »

18. Le tribunal de première instance condamna in solidum les requérants à verser à F.F. la somme de 15 000 euros et leur interdit de porter atteinte à nouveau, par des publications d’un contenu similaire, à son honneur et à sa réputation (décision no 267/2005). La décision fut notifiée aux requérants le 2 février 2006 et devint définitive, les intéressés ayant laissé passer le délai d’appel de quinze jours.

19. Les 7 février et 7 mars 2006 respectivement, les requérants se pourvurent en cassation contre la décision no 267/2005, en invoquant, entre autres, une violation de l’article 10 de la Convention. Ils soulevaient plusieurs moyens de cassation qui correspondaient aux différents considérants de la décision du tribunal de première instance. Ils soutenaient que certains termes utilisés dans l’article et considérés comme insultants par le tribunal, constituaient une appréciation et une critique de nature politique, ayant comme base factuelle réelle la manière dont le maire avait exercé son pouvoir et ne se rapportaient pas à sa personne ou sa moralité. Ils reprochaient à la décision en cause d’avoir isolé ces termes de leur contexte politique et conceptuel, d’avoir altéré le sens de la critique politique afin de la « criminaliser ».

20. Le 16 février 2009, par deux arrêts longs de vingt-deux pages, la Cour de cassation rejeta les pourvois. Après avoir reproduit textuellement l’essentiel des considérants de la décision attaquée, elle conclut ainsi :

« Par conséquent, la décision attaquée n’a pas violé les dispositions des articles 14 et 25 de la Constitution, de l’article 10 de la Convention, et des articles 361, 362, 363 et 367 du code pénal. Il s’ensuit que les moyens de cassation fondés sur l’article 559 § 1 du code de procédure civile sont non fondés » (arrêts nos 345 et 346/2009).

21. Lesdits arrêts furent mis au net le 6 avril 2009 et mis aux archives le 13 mai 2009, date à partir de laquelle, selon le certificat de la Cour de cassation daté du 16 juin 2009, la délivrance d’une copie certifiée conforme était possible.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. Les articles pertinents de la Constitution disposent :

Article 14

« 1. Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées oralement, par écrit et par voie de presse, en observant les lois de l’État.

2. La presse est libre. La censure et toute autre mesure préventive sont interdites.

(...)

5. Toute personne lésée par une publication ou une émission inexacte a un droit de réponse, et le moyen d’information a quant à lui une obligation de rectification complète et immédiate. Toute personne lésée par une publication ou une émission injurieuse ou diffamatoire a également un droit de réponse, et le moyen d’information a quant à lui une obligation de publication ou de diffusion immédiate de la réponse. La loi précise les modalités d’exercice du droit de réponse et garantit la rectification complète et immédiate ou la publication et transmission de la réponse. (...) »

Article 25

« 1. Les droits de l’homme, en tant qu’individu et en tant que membre du corps social, et le principe de l’État de droit social sont placés sous la garantie de l’État, tous les organes de l’État sont tenus d’en assurer le libre et efficace exercice. Ces principes sont également valables dans les relations entre particuliers auxquelles ils sont propres. Les restrictions de tout ordre qui peuvent être imposées à ces droits selon la Constitution doivent être prévues soit directement par la Constitution soit par la loi, sans préjudice de celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité. (...) »

23. Les articles pertinents du code civil sont ainsi libellés :

Article 57

« Celui qui, d’une manière illicite, subit une atteinte dans les droits de sa personne peut exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir (...).

En outre, la prétention à des dommages et intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »

Article 59

« Dans les cas prévus par les deux articles précédents, le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de la victime et compte tenu de la nature de l’atteinte, condamner en outre la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d’une somme d’argent, dans une mesure de publicité par voie de presse et dans toute autre mesure indiquée par les circonstances. »

24. L’article 559 § 1 du code de procédure civile se lit ainsi :

« Le pourvoi en cassation est autorisé seulement si une règle de fond a été violée (...), indépendamment de la question de savoir s’il s’agit d’une loi ou d’une coutume, grecque ou étrangère, d’une disposition du droit interne ou international (...) »

25. Les articles pertinents du code pénal disposent :

Article 361
Injure

« 1. Quiconque, mis à part les cas de diffamation (articles 367 et 363), porte atteinte, par le biais de propos ou d’actes ou de toute autre manière, à l’honneur d’autrui est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende. L’amende peut être infligée conjointement avec la peine d’emprisonnement.

(...) »

Article 362
Diffamation

« Quiconque formule ou diffuse devant autrui, de quelque manière que ce soit, des allégations susceptibles de nuire à l’honneur ou à la réputation d’autrui est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou d’une amende. L’amende peut être infligée conjointement avec la peine d’emprisonnement. »

Article 367

« 1. Ne sont pas considérés comme des actes préjudiciables : a) les jugements défavorables portés sur des travaux scientifiques, artistiques ou professionnels (...) c) les actions accomplies dans l’exercice de tâches légales, dans l’exercice légal de pouvoirs, pour la sauvegarde (protection) d’un droit ou pour tout autre intérêt légitime (...) »

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

26. Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

27. Les requérants se plaignent d’avoir subi une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression en raison de leur condamnation au civil pour diffamation calomnieuse et injure. Ils allèguent une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

28. Le Gouvernement excipe l’irrecevabilité des requêtes en alléguant qu’elles sont tardives. En particulier, il affirme qu’elles ont été introduites plus de six mois après le 16 février 2009, date à laquelle la Cour de cassation rendit ses arrêts nos 345 et 346/2009.

29. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, lorsque la signification de la décision interne définitive n’est pas prévue en droit interne, comme en l’espèce, il convient de prendre en considération la date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance de son contenu (voir parmi d’autres Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999-II). Or, cette date est celle à partir de laquelle elles peuvent obtenir copie certifiée de l’arrêt de la haute juridiction concernée (Stavrinoudakis c. Grèce, no 26307/07, § 22, 29 octobre 2009, et Karpetas c. Grèce, no 6086/10, § 50, 30 octobre 2012).

30. En l’occurrence, la Cour note que selon le certificat délivré par la Cour de cassation, ses arrêts nos 345 et 346/2009 ont été archivés le 13 mai 2009, date à partir de laquelle les requérants pouvaient en obtenir copies certifiés conformes et connaître leur contenu exact. Il s’ensuit que les requêtes, introduites le 3 octobre 2009, ne sont pas tardives.

31. La Cour constate en outre que le grief tiré de l’article 10 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

32. Le Gouvernement dit que, pour se prononcer sur la proportionnalité d’une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression lors de la publication d’un article dans la presse, la Cour doit prendre en considération plusieurs facteurs. Il rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle la motivation de la personne qui procède à la divulgation d’informations est un des facteurs déterminants pour l’appréciation du point de savoir si la démarche doit ou non bénéficier d’une protection. Par exemple, un acte motivé par un grief ou une animosité personnels ou encore par la perspective d’un avantage personnel, notamment un gain pécuniaire, ne justifie pas un niveau de protection particulièrement élevé. Il importe donc d’établir si la personne concernée a, en procédant à la divulgation litigieuse, agi de bonne foi.

33. Le Gouvernement soutient, de plus, que les jugements exprimés dans l’article étaient insultants et diffamatoires, ce qu’auraient à juste titre souligné les autorités judiciaires. De l’avis du Gouvernement, ils étaient privés d’une base factuelle suffisante et trouvaient leur origine dans une querelle personnelle entre l’auteur de l’article litigieux et F.F. Ils seraient de mauvaise foi et auraient été énoncés dans un contexte de ressentiment et ne pourraient donc pas être considérés comme visant à l’information objective du public. Devant une querelle de ce type, le niveau élevé de protection de la liberté d’expression institué par l’article 10 ne se justifierait pas. Le Gouvernement ajoute qu’en raison de son contenu insultant, l’article litigieux a eu des conséquences néfastes sur la vie professionnelle, la réputation et la carrière politique de F.F. au sein de la petite société de la ville de province qu’est Ioannina. Faisant également remarquer que les requérants n’ont fait l’objet que d’une condamnation pécuniaire in solidum d’une somme raisonnable pour avoir fait un usage abusif de leur liberté d’expression, le Gouvernement conclut que, compte tenu du manque de base factuelle des jugements portés par le second requérant la marge d’appréciation des autorités devait être plus large que d’ordinaire.

34. Les requérants rétorquent notamment que les phrases litigieuses ayant fondé leur condamnation constituaient des jugements, de caractère plutôt politique, et non des faits et qu’elles avaient toutes une base factuelle. Ils soutiennent que ces jugements ne visaient pas F.F. en tant que personne privée, mais qu’ils se rapportaient à l’action de celui-ci en tant qu’homme politique et qu’ils avaient été émis par le rédacteur de l’article dans le cadre d’une querelle politique, qui autoriserait les critiques et l’emploi de termes abrupts. De plus, les jugements litigieux porteraient sur des questions pour lesquelles il y avait un intérêt de la part des deux requérants et des lecteurs du quotidien, car ils concernaient la société de la ville d’Ioannina. Pour les requérants, les tribunaux grecs ont examiné l’affaire non pas en fonction des critères énoncés à l’article 10 de la Convention, mais en fonction du « style » et du « mode d’expression » de la critique. Or le « style » et le « mode d’expression » d’une critique ne peuvent, selon les intéressés, constituer une restriction légitime de la critique politique dans une société démocratique, sinon les tribunaux se transformeraient en « censeurs » dissuadant les gens de s’exprimer librement et de formuler des critiques politiques. Enfin, les requérants reprochent aux juridictions internes d’avoir procédé à une appréciation sélective de certaines phrases qu’ils auraient isolées du corps de l’article litigieux.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

35. Il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation au civil des requérants a constitué une ingérence dans l’exercice du droit de ceux-ci à la liberté d’expression garanti par l’article 10 § 1 de la Convention.

b) Sur la justification de l’ingérence : la prévision par la loi et la poursuite d’un but légitime

36. La Cour rappelle qu’une ingérence est contraire à la Convention si elle ne respecte pas les exigences prévues au paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu de déterminer si l’ingérence en cause était « prévue par la loi », si elle visait un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et si elle était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 67, CEDH 2004-XI).

37. Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que l’ingérence était prévue par la loi. La Cour considère aussi que l’ingérence visait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui, en l’espèce de F.F. (voir, mutatis mutandis, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 42, CEDH 2003-V, et Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 38, CEDH 2002‑II). Il reste à vérifier si l’ingérence en question était « nécessaire dans une société démocratique ».

c) Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

i. Principes généraux

38. La Cour rappelle que son rôle consiste à statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » à la liberté d’expression se concilie avec l’article 10 de la Convention. Pour ce faire, elle considère l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, entre autres, Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005‑II).

39. La Cour souligne d’emblée le rôle éminent de la presse dans une société démocratique, un rôle de « chien de garde » (voir Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III). En raison de cette fonction de la presse, la liberté journalistique implique aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire de provocation (Gawęda c. Pologne, no 26229/95, § 34, CEDH 2002‑II).

40. S’agissant de la nature des propos susceptibles de porter atteinte à la réputation d’un individu, la Cour distingue traditionnellement entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Lorsqu’une déclaration s’analyse en un jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence peut être fonction de l’existence d’une base factuelle suffisante car, faute d’une telle base, un jugement de valeur peut lui aussi se révéler excessif (voir, par exemple, Morice c. France [GC], no 29369/10, § 126, 23 avril 2015).

41. De surcroît, dans le contexte d’une procédure de diffamation ou injure, la Cour doit mettre en balance un certain nombre de facteurs supplémentaires lorsqu’elle apprécie la proportionnalité de la mesure incriminée. En premier lieu, s’agissant de l’objet des propos incriminés, la Cour rappelle que les limites de la critique admissible à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, sont plus larges qu’à l’égard d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes, tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103). Ce principe ne s’applique pas uniquement dans le cas de l’homme politique mais s’étend à toute personne pouvant être qualifiée de personnage public, à savoir celle qui, par ses actes (voir, en ce sens, Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche, no 34315/96, § 37, 26 février 2002 ; News Verlags GmbH & Co.KG c. Autriche, no 31457/96, § 54, CEDH 2000‑I) ou sa position même (Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche (no 2), no 10520/02, § 36, 14 décembre 2006), entre dans la sphère de l’arène publique (voir, aussi, Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 110, CEDH 2012).

ii. Application de ces principes à la présente espèce

42. Les parties ont concentré leur argumentation sur la nécessité de l’ingérence en cause. La Cour se penchera alors sur la question de savoir si l’ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants, en prenant notamment en compte la nature des termes litigieux et le statut de l’objet de ceux-ci.

43. La Cour reconnaît d’emblée que l’article litigieux se caractérisait par un style polémique, sarcastique, incisif et provocateur (voir, mutatis mutandis, Ukrainian Media Group c. Ukraine, no 72713/01, §§ 11, 14 et 67, 29 mars 2005). Il est vrai que certaines des expressions utilisées par son rédacteur avaient un caractère personnel et pourraient, à première vue, viser à tourner en dérision la personne de F.F. Or, ce fait ne justifie pas à lui seul une restriction à la liberté d’expression. En effet, le rôle des juridictions internes dans une procédure de diffamation ne consiste pas à indiquer à l’intéressé le style à employer lorsque celui-ci exerce son droit de critique, même de manière acerbe. Les tribunaux internes sont plutôt appelés à examiner si le contexte de l’affaire, l’intérêt du public et l’intention de l’auteur des propos litigieux justifiaient l’éventuel recours à une dose de provocation ou d’exagération (voir I Avgi Publishing and Press Agency S.A. & Karis c. Grèce, no 15909/06, § 33, 5 juin 2008). En l’occurrence, lors de l’examen du contenu de l’article en cause, les juridictions internes n’ont pas suffisamment pris en compte les critères établis par la jurisprudence de la Cour sur la mise en balance de la protection de la réputation de F.F. et la liberté d’expression des requérants.

44. En particulier, les juridictions compétentes n’ont pas distingué entre « faits » et « jugements de valeur » ; elles se sont bornées à rechercher si les termes employés dans l’article en cause étaient susceptibles de porter atteinte à la personnalité et à la réputation du plaignant. De plus, pour évaluer l’intention des requérants, elles n’ont pas transposé les propos incriminés dans le contexte général de l’affaire. Il en est ainsi de la phrase « ce qui a naturellement conduit à sa banqueroute » : sortie de son contexte, elle aurait pu signifier que l’entreprise concernée avait fait faillite au cours du mandat de F.F. Toutefois, les juridictions compétentes n’ont pas suffisamment pris en compte la suite de la phrase qui se lisait « à l’instar d’ailleurs de toutes les entreprises municipales ». Constatant que le restant des entreprises municipales avaient en effet fait état de pertes lors de la dernière année du mandat de F.F. (voir paragraphe 12 ci-dessus) et que l’article en cause concernait en général la gestion par F.F. de biens appartenant à la ville d’Ioannina, la Cour est d’avis que les juridictions internes auraient dû placer la phrase litigieuse dans son contexte ; dans ce cas, celle-ci doit plutôt être comprise comme une critique politique de la gestion des affaires municipales par F.F.

45. En second lieu, les juridictions internes ont méconnu le fait que les personnes impliquées dans l’affaire agissaient dans un contexte public et que l’article incriminé contribuait à un débat d’intérêt général. En particulier, le texte litigieux trouvait son origine dans un différend opposant le second requérant et F.F. Le second requérant était le directeur du Service des monuments historiques modernes de la ville d’Ioannina. Dans le passé, il avait aussi servi comme conseiller municipal et adjoint au maire de cette ville. Quant à F.F., il était ancien maire et conseiller municipal à l’époque des faits. L’objet de l’article portait sur la manière de rentabiliser au mieux un immeuble, appartenant à la ville d’Ioannina et, en général, l’action politique de F.F. à l’occasion de travaux de restauration de certains monuments de la ville. L’article litigieux s’inscrivait donc essentiellement dans le contexte d’un débat d’intérêt public, touchant à une question d’intérêt général (voir Von Hannover (no 2), précité, § 109). De surcroît, il ne visait la personne précitée qu’exclusivement en sa qualité d’élu local. Partant, en sa qualité d’homme politique, F.F. devait s’attendre à ce que ses actes fussent soumis de la part de la presse locale à un examen scrupuleux pouvant aller jusqu’à des critiques sévères. La Cour rappelle en ce sens que l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel : ce sont là les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique (Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 34, CEDH 2000‑X). Par conséquent, en l’occurrence, les expressions utilisées par le second requérant ne sauraient être jugées comme étant des offenses gratuites, dès lors qu’elles étaient en rapport avec la situation commentée par l’intéressé.

46. Dans ces conditions, la Cour estime que, tout en contenant certes une dose de provocation, l’article incriminé, envisagé dans son contexte, ne saurait s’analyser en une attaque personnelle gratuite à l’encontre de F.F. et que les expressions utilisées présentaient un lien suffisamment étroit avec la gestion par la municipalité de certaines affaires de la ville d’Ioannina.

d) Conclusion

47. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas fourni de motifs pertinents et suffisants pour justifier la condamnation des requérants au civil à verser des dommages et intérêts à F.F. pour injure et diffamation, et que celle-ci ne répondait pas à un « besoin social impérieux ».

48. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

49. Les requérants se plaignent en outre d’une violation de leur droit à un procès équitable en raison d’une absence de motivation des arrêts nos 345 et 346/2009 de la Cour de cassation. Ils allèguent que le rejet global de tous les moyens de cassation par référence au seul nombre de ceux-ci et sans que la haute juridiction se fût prononcée sur chacun d’eux s’analyse en une omission totale d’examen des moyens en question. Ils invoquent à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Sur la recevabilité

50. Le Gouvernement considère que la décision du tribunal de première instance était pleinement motivée. Il indique que la Cour de cassation a examiné les moyens de cassation en les analysant dans le cadre de l’examen de la décision attaquée et en indiquant les passages les plus pertinents qui démontraient, selon lui, qu’il n’y avait aucune violation d’une règle de droit substantielle pouvant justifier l’application en l’espèce de l’article 559 § 1 du code de procédure civile. Le Gouvernement reconnaît qu’une motivation plus élaborée par la Cour de cassation aurait été souhaitable. En même temps, le renvoi par la haute juridiction civile aux considérants du tribunal du fond signifie plutôt une approbation des motifs du tribunal dont la justesse impliquerait le défaut de fondement des moyens de cassation.

51. Les requérants rétorquent qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour de cassation a rendu le droit d’accès à un tribunal illusoire et fictif. Ils soulignent que leurs moyens de cassation ne visaient pas l’appréciation des preuves ou l’établissement des faits, mais qu’ils contestaient la conformité des considérants de la décision attaquée avec les exigences de l’article 10.

52. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment « entendues », c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l’article 6 implique notamment, à la charge du « tribunal », l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 80, CEDH 2004-I).

53. La Cour rappelle ensuite que, si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut cependant se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288). L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. Il faut, en outre, tenir compte notamment de la diversité de moyens qu’un plaideur peut soulever en justice et des différences dans les États contractants en matière de dispositions légales, coutumes, conceptions doctrinales, présentation et rédaction des jugements et arrêts. C’est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l’article 6 de la Convention ne peut s’analyser qu’à la lumière des circonstances de l’espèce (Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, § 37, 20 mars 2009).

54. En l’occurrence, la Cour note que, après avoir repris les motifs de la décision du tribunal de première instance, la Cour de cassation l’a confirmée en considérant qu’elle n’avait pas violé les dispositions des articles 14 et 25 de la Constitution, l’article 10 de la Convention et les articles 361, 362, 363 et 367 du code pénal, et que les moyens de cassation tirés de l’article 559 § 1 du code de procédure civile étaient dénués de fondement. La Cour relève que les moyens en cassation soulevés par les requérants se rapportaient aux considérants du tribunal de première instance sur la base desquels ladite juridiction avait jugé que les propos litigieux étaient injurieux et diffamatoires à l’égard de F.F. En faisant donc référence aux dispositions matérielles applicables en l’espèce, combinées à l’article 559 § 1 du code de procédure civile, la haute juridiction civile a tacitement entériné l’interprétation desdites clauses effectuée par le tribunal de première instance. Elle a ainsi fait siennes les conclusions dudit tribunal et confirmé que la manière dont la juridiction inférieure avait tranché le litige n’avait pas contredit les articles 14 de la Constitution et 10 de la Convention (voir, en ce sens, Helle c. Finlande, 19 décembre 1997, §§ 59-60, Recueil 1997-VIII)

55. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, en concluant, après avoir reproduit les parties pertinentes du texte de la décision attaquée, que le tribunal de première instance n’avait pas violé les dispositions matérielles applicables, la Cour de cassation a suffisamment motivé le rejet du recours en cause. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

57. Le premier requérant réclame 9 069,50 euros (EUR) et le second 9 000 EUR pour préjudice matériel. Ces montants correspondent aux dommages et intérêts décidés par le tribunal de première instance, augmentés des frais de justice du plaignant en première instance. Ils demandent aussi chacun 1 200 EUR au titre des frais de justice pour la procédure devant la Cour de cassation. Quant au dommage moral, chacun des requérants sollicite 15 000 EUR.

58. Le Gouvernement est d’avis que l’éventuel constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il prétend que les requérants n’ont droit à aucune indemnité pour des préjudices matériel et moral, car ils auraient fait l’objet d’une sanction non pas pénale mais civile qui était, selon le Gouvernement, proportionnée à la nature de l’infraction pour laquelle les intéressés ont été condamnés.

59. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour considère qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée en la présente affaire et la sanction pécuniaire et les frais de justice du plaignant que les requérants ont été condamnés à payer (voir, Lionarakis c. Grèce, no 1131/05, § 59, 5 juillet 2007). En revanche, elle estime que le constat de violation de l’article 10 de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral éventuellement subi par les intéressés (Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 74, CEDH 2001‑III).

60. A la lumière de ce qui précède, la Cour octroie aux intéressés les sommes demandées, à savoir 10 269,50 EUR au premier requérant et 10 200 EUR au second requérant pour préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

61. Les requérants ne présentant pas des prétentions relatives à leurs frais et dépens, la Cour estime ne devoir accorder aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, 10 269,50 EUR (dix mille deux cent soixante-neuf euros et cinquante centimes) au premier requérant et 10 200 EUR (dix mille deux cents euros) au second requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachAndrás Sajó
Greffier adjointPrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-157370
Date de la décision : 22/09/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté d'expression)

Parties
Demandeurs : KOUTSOLIONTOS ET PANTAZIS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DAKALETSIS K. ; DIMOS D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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