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25/06/2015 | CEDH | N°001-155378

CEDH | CEDH, AFFAIRE LUTANYUK c. GRÈCE, 2015, 001-155378


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LUTANYUK c. GRÈCE

(Requête no 60362/13)

ARRÊT

STRASBOURG

25 juin 2015

DÉFINITIF

25/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lutanyuk c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composé de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de

Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LUTANYUK c. GRÈCE

(Requête no 60362/13)

ARRÊT

STRASBOURG

25 juin 2015

DÉFINITIF

25/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lutanyuk c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composé de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juin 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60362/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant ukrainien, M. Ivan Mikhaylovich Lutanyuk (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme V. Stroumpouli, auditrice au Conseil juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement ukrainien n’a pas répondu.

3. Le 1er avril 2014, le grief concernant l’article 3 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1970 et réside actuellement en Ukraine.

A. L’arrestation et la détention du requérant et sa version concernant les conditions de sa détention

5. Le requérant était chauffeur dans une entreprise polonaise effectuant des transports internationaux.

6. Le 10 mai 2011, il fut arrêté par la police des frontières dans le port d’Igoumenitsa – alors qu’il était en train d’embarquer avec son camion sur un bateau – car il transportait 46 ressortissants afghans, pakistanais, iraniens et irakiens, qui avaient pénétré de manière irrégulière sur le territoire grec.

7. Le 13 mai 2011, le requérant, accusé de transport illégal de migrants irréguliers, fut placé en détention provisoire dans le commissariat d’Igoumenitsa. Il y fut détenu jusqu’au 27 mai 2011 dans une cellule de 9 m² avec sept autres personnes qui étaient tous fumeurs. Le requérant prétend qu’ayant des problèmes de bronches, il toussait constamment et s’évanouit plusieurs fois.

8. Le 26 mai 2011, il fut transféré à la prison d’Ioannina, dans une chambrée de 35 m² qui accueillait trente-quatre personnes.

9. Le 18 mai 2011, il demanda sa mise en liberté, mais le 9 novembre 2011, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thesprotie rejeta la demande.

10. Le 8 septembre 2011, le requérant fut transporté à la prison de Korydallos et placé dans une cellule de 8 m² avec trois autres détenus. Le requérant soutient que la cellule était sale et que toutes ses demandes pour se faire examiner par un médecin furent rejetées. Il y fut détenu jusqu’au 29 février 2012, puis du 4 avril au 26 juin 2012. Entre le 1er mars et le 2 avril 2012, il fut détenu à la prison de Corfou.

11. Par un arrêt du 5 mars 2012, la cour d’appel de Corfou, siégeant en formation de trois juges, déclara le requérant coupable de transport de migrants irréguliers, le condamna à une peine de cent quarante-sept mois de réclusion, peine qu’elle convertit en une sanction pécuniaire de 5 EUR par jour de détention.

12. Statuant sur appel du requérant le 8 octobre 2013, la cour d’appel de Corfou, siégeant en formation de cinq juges, confirma la peine prononcée en première instance, fixa la peine à purger à dix ans de réclusion qu’elle convertit en une sanction pécuniaire de 5 EUR par jour de détention.

13. Le 28 juin 2012, le requérant fut transféré à la prison de Corfou. Dans sa requête, il expliquait qu’il avait été placé dans une cellule de 6,5 m² qui accueillait trois voire parfois quatre détenus et dans laquelle il n’y avait que deux lits. Les détenus devaient acheter avec leurs propres deniers l’eau potable et les produits d’hygiène personnelle. Le requérant prétend qu’il dut attendre deux mois pour se faire examiner par un médecin et quatre mois pour recevoir les médicaments prescrits.

14. Le requérant fut libéré à une date non précisée en septembre 2014.

B. Informations fournies par le Gouvernement sur les conditions de détention du requérant

15. Le Gouvernement fournit à la Cour des documents établis par les directeurs des prisons eux-mêmes, qui décrivent de manière générale les conditions de détention en leur sein et contiennent aussi des informations spécifiques relatives au requérant.

1. Dans la prison d’Ioannina

16. Le requérant fut détenu dans la chambrée no 4, d’une superficie de 50 m² avec environ 30 autres détenus. La lumière naturelle et l’aération dans la chambrée sont assurées par quatre grandes fenêtres. Les détenus avaient la possibilité de rester en dehors de la chambrée, soit dans la cour, soit dans la salle de gymnastique, soit dans la bibliothèque, de 7 h 30 à 12 h et de 15 h jusqu’au coucher du soleil.

17. Le jour de son arrivée à la prison et le lendemain, le requérant, qui était déjà sous traitement médical, fut examiné par un médecin qui lui prescrit des médicaments pour asthme allergique, infection respiratoire et douleurs psychosomatiques. Le 29 juin 2011, il fut transféré à l’hôpital d’Ioannina où il subit un examen cardiologique, un examen biologique et où on lui prescrivit un test d’effort. Le 28 juillet 2011, il subit un examen pneumologique et d’autres examens et on lui prescrivit une prise d’antibiotiques.

2. Dans la prison de Korydallos

18. Le requérant fut détenu dans l’aile A de la prison, dans les cellules A72, A47 et A 89. Les changements de cellule étaient dus à des problèmes de cohabitation. Toutes les cellules de l’aile A ont une superficie de 9,5 m², y compris l’espace des toilettes et du lavabo, et accueillent, en raison de la surpopulation, trois à quatre détenus. Les cellules sont chauffées par un système de chauffage central, une heure et demie au moins le matin et une heure et demie au moins le soir. Les cellules ne disposent pas d’eau chaude et celles de l’aile A, où fut détenu le requérant, ne disposent pas de douches. Les détenus utilisent douze douches communes qui se trouvent au sous-sol de l’aile et qui procurent 2 000 litres d’eau chaude par jour.

19. Chaque aile dispose d’une grande cour à laquelle les détenus peuvent accéder de 8 h à 12 h et de 15 h à une demi-heure avant le coucher du soleil.

20. Pendant la durée de sa détention, le requérant ne travailla pas dans la prison et ne participa à aucun programme éducatif.

21. Le document établi par la prison reconnaît le problème chronique de surpopulation auquel elle est confrontée et précise que pendant la période où le requérant s’y trouvait le nombre des détenus oscillait de 2 095 à 2 343 personnes pour une capacité de 1 300 environ.

3. Dans la prison de Corfou

22. La capacité officielle maximale de la prison est de 250 personnes alors que, pendant la période où le requérant y séjournait, elle accueillait 300 détenus. Le requérant fut placé dans l’aile H, dans une cellule de 5,5 m². La cellule contenait une table, deux chaises et un téléviseur. Il y avait aussi une toilette, une douche et un lavabo dans un espace supplémentaire de 2,5 m². Le requérant partageait la cellule avec un ou deux autres détenus, affirmation non contestée par le requérant. Les détenus pouvaient, de 8 h à 12 h, se promener ou faire du sport dans la cour de la prison (de 400 m²) et de 15 h à 20 h rester dans le vestibule de leur aile.

23. Le requérant fut transféré à deux reprises à l’hôpital de Corfou pour des problèmes de vue et des problèmes de douleurs lombaires. Il travailla aussi au sein de la prison pour une période de 136 jours.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24. Pour le droit et la pratique internes pertinents voir l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, §§ 62-67, 12 décembre 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

25. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans le commissariat de police d’Igoumenitsa et dans les prisons d’Ioannina, de Korydallos et de Corfou. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

26. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête comme irrecevable car le requérant ne s’est pas conformé à l’article 36 §§ 1, 2 et 4 du Règlement, qui prescrit qu’à compter de la communication de sa requête, un requérant doit être représenté par un avocat ou demander et obtenir une autorisation spéciale du président pour assurer lui-même sa défense.

27. En deuxième lieu, le Gouvernement allègue que la requête doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois : la période entre le 13 mai 2011 et le 26 juin 2012 pendant laquelle le requérant a été détenu dans le commissariat d’Igoumenitsa, dans les prisons d’Ioannina et Korydallos, mais aussi dans la prison de Corfou entre le 1er mars et le 2 avril 2012, se trouve en dehors du délai de six mois, le requérant ayant saisi la Cour le 4 septembre 2013. Le Gouvernement souligne, en outre, que cette période ne pourrait pas être considérée comme une situation continue, car les conditions de détention changent d’une prison à l’autre et aussi lorsqu’un détenu est transféré d’un commissariat de police à une prison.

28. En troisième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes : d’une part, le requérant n’a pas introduit une demande en dommages-intérêts, fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles 2 § 1 et 7 § 2 de la Constitution, 3 de la Convention et les articles pertinents du code pénitentiaire ; d’autre part, il ne s’est pas plaint auprès du conseil de la prison de Corfou, conformément à l’article 6 § 2 du code pénitentiaire, ni auprès du procureur superviseur de cette prison.

29. Le requérant ne présente pas d’observations sur ces exceptions du Gouvernement.

30. En ce qui concerne la première exception, la Cour relève d’abord que l’article 36 du Règlement ne prévoit pas comme sanction l’irrecevabilité de la requête en cas de négligence de la part du requérant de nommer un avocat ou d’obtenir l’autorisation du président prévue au paragraphe 2 de l’article 36. Elle note, de surcroît, que suite à la communication de la requête, une tentative de règlement amiable de l’affaire a eu lieu entre les parties que le requérant a finalement refusé et que les observations de ce dernier en réponse à celles du Gouvernement consistaient en la production de quelques photos de la prison de Corfou où celui-ci avait été détenu. Compte tenu de la nature de l’affaire, de la jurisprudence bien établie de la Cour en la matière et des informations fournies par le requérant dans sa requête, la Cour estime que le fait qu’il n’est pas représenté par un avocat ne saurait l’empêcher d’examiner la présente requête. Partant, la Cour rejette l’exception dont il s’agit.

31. Quant à la deuxième exception, la Cour note que la détention du requérant dans la prison de Korydallos a pris fin le 26 juin 2012 alors que la requête a été introduite devant elle le 4 septembre 2013, soit en dehors du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Aucune circonstance particulière ne lui permet de considérer que la détention du requérant dans le commissariat d’Igoumenitsa (dans lequel il n’est resté d’ailleurs que treize jours) et dans les prisons d’Ioannina et de Korydallos et sa détention ultérieure dans la prison de Corfou constituent une « situation continue » justifiant un examen de la totalité de la période de détention dont se plaint le requérant. À supposer même que les conditions de détention du requérant dans les prisons d’Ioannina et de Korydallos puissent être considérées comme sensiblement similaires à celles prévalant à Corfou, la détention dans cette prison marque une interruption claire par rapport à la situation carcérale du requérant, rien que par le fait que le requérant y a travaillé pendant 136 jours (voir, mutatis mutandis, Kanakis c. Grèce (no 2), précité, §§ 91-92, 12 décembre 2013.

32. Il s’ensuit que la requête, pour autant qu’elle concerne les conditions de détention antérieures à son transfert à Corfou, doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

33. Au sujet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle qu’elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur la saisine des juridictions administratives d’une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et renvoie à sa jurisprudence en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Kanakis c. Grèce (no 2), précité, §§ 87-88, et Nikolaos Athanasiou et autres, no 36546/10, §§ 64-71, 23 octobre 2014). La Cour souligne à nouveau que l’obligation d’épuisement s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V).

34. En l’espèce, la Cour relève qu’à la date de sa saisine, le requérant était détenu à la prison de Corfou. Partant, l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne peut à son égard être considérée comme effective aux fins de l’épuisement des voies de recours car il manque à cette action le caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour. En outre, la saisine du conseil de la prison prévue à l’article 6 § 2 du code pénitentiaire ne suffit pas aux yeux de la Cour à remédier à la situation dénoncée, notamment lorsque le requérant ne se plaint pas uniquement de sa situation personnelle, mais allègue être personnellement affecté par les conditions prévalant dans l’enceinte de la prison (Nisiotis c. Grèce, no 34704/08, § 29, 10 février 2011 ; Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, § 48, 28 février 2012 ; Lica c. Grèce, no 74279/10, § 38, 17 juillet 2012).

35. Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes visant les conditions de détention du requérant à la prison de Corfou. Elle constate, en outre, que la requête n’est à cet égard pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

36. Le Gouvernement se réfère aux informations qu’il a fournies sur les conditions de détention du requérant. Il soutient que celles-ci, même si elles n’étaient pas totalement satisfaisantes, en raison notamment de la surpopulation et de l’espace personnel dont il disposait, ne dépassent pas le seuil de gravité requis pour être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant.

37. Le requérant soutient qu’il devait acheter lui-même des produits d’hygiène corporelle et que toutes les cellules dans lesquelles il a été détenu accueillaient quatre détenus au lieu de deux. De même, il fournit des photos des cellules, sans toutefois préciser dans quelle prison elles ont été prises.

38. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a récemment rappelés dans ses arrêts Ananyev et autres (précité, §§ 139 à 159) et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, §§ 38-40, 4 décembre 2012). Elle rappelle aussi que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

39. S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006 et, a contrario, Muršić c. Croatie, no 7334/13, 12 mars 2015). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001‑III).

40. La Cour note que selon les informations fournies par le Gouvernement, le requérant fut détenu dans la prison de Corfou du 28 juin 2012 jusqu’en septembre 2014, soit pendant deux ans et deux mois environ. Selon le document établi par le directeur de la prison, le requérant a séjourné dans une cellule de 5,5 m² qu’il partageait avec un ou deux autres détenus, affirmation non contestée par le requérant (paragraphe 22 ci-dessus). Ni le Gouvernement, ni le directeur de la prison ne précisent les périodes pendant lesquelles la cellule accueillait en tout deux ou trois détenus. Cependant, selon les dires mêmes du Gouvernement, la prison accueillait 300 détenus pour une capacité maximale de 250. Il est donc probable que la plus grande partie du temps, le requérant était détenu avec deux autres personnes et ne disposait alors que d’un espace personnel de 1,8 m². Qui plus est, même lorsque l’occupation s’élevait à deux personnes, l’espace personnel de chacun ne pouvait pas dépasser 2,75 m². À cela s’ajoute le fait que la cellule contenait une table, deux chaises et un téléviseur et que les conditions de l’hébergement était insatisfaisantes sous certains autres aspects (paragraphe 13 ci-dessus) selon les affirmations du requérant, non contestées par le Gouvernement.

41. La Cour note que le Gouvernement invoque que les détenus pouvaient, de 8 h à 12h, se promener ou faire de l’exercice dans la cour de la prison et que, de 15 h à 20 h, ils pouvaient rester dans le vestibule de leur aile. Toutefois, le Gouvernement ne précise pas quelle était la superficie de ce vestibule, ni s’il offrait suffisamment d’espace pour accueillir l’ensemble des détenus de cette aile dans des conditions telles qu’ils pouvaient y rester pendant l’après-midi sans être obligés de rentrer dans leur cellule.

42. Enfin, la période de 136 jours pendant laquelle le requérant a travaillé au sein de la prison est courte par rapport à l’intégralité de sa période de détention pour qu’elle ait pu atténuer de manière décisive l’inconfort provoqué par le manque d’espace individuel suffisant.

43. Eu égard à l’état de surpopulation carcérale générale dans la prison de Corfou, où le requérant a séjourné plus des deux ans, les conditions de détention subies par ce dernier ont dépassé, de l’avis de la Cour, le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3.

44. Il y a donc eu violation de cette disposition.

45. Cette conclusion dispense la Cour d’examiner en détail les autres aspects des conditions de détention mis en cause par le requérant.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

47. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et ayant trait aux conditions de détention dans la prison de Corfou et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenIsabelle Berro
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-155378
Date de la décision : 25/06/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : LUTANYUK
Défendeurs : GRÈCE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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