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09/04/2015 | CEDH | N°001-153478

CEDH | CEDH, AFFAIRE VAMVAKAS c. GRÈCE (N° 2), 2015, 001-153478


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VAMVAKAS c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 2870/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 avril 2015

DÉFINITIF

14/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Vamvakas c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Elisabeth Steiner, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque, r>Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibé...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE VAMVAKAS c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 2870/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 avril 2015

DÉFINITIF

14/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Vamvakas c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Elisabeth Steiner, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mars 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2870/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Alexandros Vamvakas (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 décembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me G. Katrouggalos, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure au Conseil juridique de l’État, et Mme M. Skorila, auditrice au Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant dénonce en particulier une violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention.

4. Le 6 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1953.

6. Par un jugement du 16 janvier 2006, la cour d’appel criminelle d’Athènes, composée de trois juges et statuant en tant que juridiction de premier degré, condamna le requérant pour fraude et faux au préjudice d’une banque à une peine d’emprisonnement de huit ans. L’intéressé, qui était alors détenu à la prison de Korydallos, comparut en personne, assisté d’un avocat de son choix, Me N.G.

7. Lors de l’audience du 11 février 2009 devant la cour d’appel criminelle, composée de cinq juges, le requérant, qui avait entre-temps été transféré à la prison de Grevena, comparut en personne, assisté de deux avocats de son choix, Mes N.T. et E.P. L’audience fut interrompue pour continuer le lendemain. Le 12 mai 2009, les débats furent à nouveau interrompus à cause d’une grève des avocats et reportés au 20 mai 2009. Avant la fin de l’audience du 12 mai 2009, la cour informa le requérant qu’il ne recevrait pas de nouvelle citation à comparaître pour l’audience du 20 mai 2009.

8. Avant l’audience du 20 mai 2009, le requérant informa par écrit la cour qu’il ne serait pas présent, mais qu’il serait représenté par ses avocats. Toutefois, aucun des deux avocats que le requérant avait désignés le 11 février 2009 ne se présenta à l’audience en question. La cour considéra alors que, à l’audience du 12 février 2009, le requérant avait exprimé sa volonté de voir son appel jugé ; elle désigna d’office Me G.M. comme avocat du requérant et reporta l’audience au 27 mai 2009 afin de permettre à ce dernier de prendre connaissance du dossier. À l’audience, Me G.M. soutint devant la cour que les infractions reprochées au requérant étaient de nature délictuelle et non criminelle, allégation qui était aussi soulevée mais rejetée en première instance. Il invita aussi la cour à reconnaître au requérant des circonstances atténuantes.

9. Le 27 mai 2009, la cour d’appel criminelle réduisit la peine du requérant à sept ans d’emprisonnement pour les mêmes faits. Elle rejeta les allégations concernant la nature délictuelle des infractions et considéra qu’elles devaient être qualifiées des crimes car les conditions de la loi no 1608/1950 « relative à l’augmentation des peines frappant ceux qui détournent des fonds publics » se trouvaient réunies. Elle reconnut cependant l’existence de circonstances atténuantes.

10. Le 1er juin 2009, le requérant se pourvut en cassation, se plaignant d’une application erronée de la législation pertinente, notamment de la loi no 1608/50. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour de cassation, il prétendait que les infractions qui lui étaient reprochées étaient de nature non pas criminelle mais délictuelle et étaient frappées par la prescription à la date à laquelle il avait été jugé. Il invoquait aussi une violation des articles 6 et 7 de la Convention. Le requérant avait rédigé lui-même le pourvoi (mais manifestement avec l’assistance d’un avocat) qu’il introduisait devant la Cour de cassation par l’intermédiaire des autorités de la prison de Grevena. Le 5 novembre 2009, le requérant reçut à la prison de Grevena une citation à comparaître à l’audience du 5 février 2010 devant la Cour de cassation.

11. Le 30 décembre 2009, le requérant demanda au président de la Cour de cassation de lui désigner d’office un avocat pour le représenter devant elle.

12. Le 2 janvier 2010, le président de la Cour de cassation, constatant l’indigence du requérant, désigna Me F.K. pour le représenter à l’audience du 5 février 2010 ou à toute autre audience concernant son affaire.

13. Par un arrêt du 25 février 2010 (mis au net le 29 mars 2010 et certifié conforme le 28 avril 2010, date à partir de laquelle il était possible de se procurer une copie de l’arrêt), la Cour de cassation rejeta le pourvoi comme non maintenu, au motif que le requérant, qui avait, selon elle, été cité à comparaître à l’audience selon les formes et dans les délais requis, n’avait pas comparu.

14. Le requérant soutient qu’il avait contacté Me F.K., après sa désignation, depuis la prison, et que ce dernier l’avait assuré qu’il se rendrait à l’audience, mais que ni avant ni après l’audience il ne l’avait informé des raisons de son absence. Toujours selon le requérant, ce n’est qu’ultérieurement, lors d’un entretien téléphonique (sans précision sur la date, les modalités et les raisons de cet entretien), que l’avocat lui aurait dit qu’il avait téléphoné au greffe de la Cour de cassation pour demander l’ajournement de l’audience.

15. À la page 4 de sa requête à la Cour, le requérant indiquait qu’il avait pris connaissance de l’arrêt de la Cour de cassation le 18 octobre 2010, comme cela était mentionné de manière claire à la fin de la page 3 de l’arrêt.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. L’article 514 du code de procédure pénale dispose :

Audience. Non-comparution de celui qui se pourvoit

« Si le demandeur en cassation ne comparaît pas, son pourvoi est rejeté et il peut être condamné à une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à cent euros. Il n’existe pas de voie de recours contre la décision de rejet de la Cour de cassation. Il n’est pas permis non plus de se pourvoir une deuxième fois. (...) »

17. Selon la pratique judiciaire grecque, il existe deux manières de présenter de manière recevable une demande visant à l’ajournement d’une audience devant les tribunaux.

18. Lorsqu’un avocat ne peut être présent à l’audience, il peut demander l’ajournement de celle-ci par l’intermédiaire d’un « messager » (άγγελος), à savoir un tiers, normalement un de ses collaborateurs, qui doit se présenter en son nom à l’audience pour en demander l’ajournement (arrêts 842/2008, 919/2008, 945/2008 et 2543/2008, 1394/2009, 272/2010 et 1644/2010, 592/2011 de la chambre criminelle de la Cour de cassation).

19. Le client de l’avocat peut lui aussi demander l’ajournement de l’audience pour cause d’empêchement de son avocat par le biais d’un messager (un tiers) ou par écrit (lettre, télégramme, télécopie, etc.). Dans un de ses arrêts (no 649/2009), la Cour de cassation a examiné la demande d’ajournement soumise par écrit par le demandeur en cassation, qui était détenu dans une prison, et envoyée par télécopie au greffe de la Cour de cassation. Le jour même de l’audience, la greffière a remis au président de la chambre qui dirigeait les débats la télécopie du demandeur. La demande en question a été examinée, mais elle a été rejetée au motif qu’il n’y avait pas de motif légitime d’ajournement.

20. En outre, en droit grec, les parties n’ont la possibilité de prendre réellement connaissance du contenu d’un jugement ou d’un arrêt qu’à partir de la date à laquelle elles peuvent en obtenir copie certifiée. La mise au net et la certification conforme du jugement ou de l’arrêt est indispensable afin d’entreprendre les démarches éventuellement nécessaires en vue de leur exécution.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 c) DE LA CONVENTION

21. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’une assistance juridique effective dans le cadre de son pourvoi en cassation, car l’avocat qui avait été désigné d’office par la Cour de cassation ne se serait pas présenté à l’audience, ce qui aurait eu pour conséquence le rejet de son pourvoi. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

22. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-respect du délai de six mois. Il indique que le requérant ne précise pas dans sa requête à quelle date il a été informé que son avocat ne l’avait pas représenté devant la Cour de cassation et qu’il se contente de se référer au cachet figurant en bas de la page 3 de l’arrêt. Le Gouvernement précise que, par ailleurs, le requérant n’a jamais demandé au greffe de la Cour de cassation des informations concernant l’audience, alors que devant les juridictions du fond il serait activement intervenu dans la procédure. Selon le Gouvernement, à supposer même que le requérant n’ait pas eu de contact avec son avocat juste après l’audience du 5 février 2010, il n’est pas plausible qu’il ne se soit pas interrogé avant le 18 octobre 2010 sur l’issue de la procédure et qu’il n’ait pas, à cette fin, soit pris contact avec son avocat ou avec le greffe de la Cour de cassation, soit avec le directeur de la prison.

23. Le Gouvernement souligne que le requérant n’explique nullement pourquoi il n’a rien fait pour s’informer sur l’issue de la procédure devant la Cour de cassation à un stade antérieur à la date du 18 octobre 2010. Cela d’autant plus que le requérant suivait son affaire activement, dès le début de la procédure, en rédigeant lui-même certains documents et en s’adressant lui-même aux autorités judiciaires ou aux autorités de la prison. À supposer même que le requérant n’ait eu aucun contact avec son avocat postérieurement à l’audience, ou n’ait pas pu en avoir, on ne saurait admettre qu’il n’ait pas tenté de se renseigner, avant le 18 octobre 2010, voire le jour même de l’audience, sur la tenue de l’audience auprès du greffe de la Cour de cassation.

24. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il lui reproche ainsi de ne pas avoir demandé que des poursuites disciplinaires ou pénales soient engagées contre l’avocat et de ne pas avoir introduit une action en dommages-intérêts sur le fondement d’une demande de prise en partie.

25. Le requérant soutient qu’il a saisi la Cour dès qu’il a eu connaissance de l’arrêt de la Cour de cassation, personne, à ses dires, ne l’ayant informé de la date à laquelle l’arrêt avait été rendu. Il allègue en outre que les actions civiles ou pénales qu’il pourrait, selon le Gouvernement, introduire contre l’avocat commis d’office ne lui permettraient pas d’obtenir la réouverture de la procédure devant cette juridiction.

26. S’agissant de l’exception relative au non-respect du délai de six mois, la Cour rappelle que la période de six mois commence à courir à la date à laquelle le requérant et/ou son représentant a eu une connaissance suffisante de la décision interne définitive (Koç et Tosun c. Turquie (déc.) no 23852/04, 13 novembre 2008 et parmi plusieurs arrêts concernant en particulier la Grèce, Stavrinoudakis c. Grèce, no 26307/07, § 22, 29 octobre 2009 et Koukouris c. Grèce, no 24089/08, § 13, 16 septembre 2010). Toutefois, si le requérant allègue seulement dans ses observations qu’il a pris connaissance de l’arrêt à une certaine date, sans pouvoir étayer cette allégation, le dies a quo court à compter de la date à laquelle l’arrêt a été rendu (Çelik c. Turquie (déc.), no 52991/99, CEDH 2004-X; Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999-II).

27. La Cour note qu’en l’espèce, la Cour de cassation a rendu son arrêt le 25 février 2010 et que cet arrêt a été certifié conforme le 28 avril 2010, date à partir de laquelle il était possible d’en obtenir copie, et ce n’est qu’à ce moment que le requérant aurait pu en avoir une connaissance suffisante. Or, ce dernier a introduit sa requête devant la Cour le 20 décembre 2010, en y mentionnant qu’il n’a pris connaissance de l’arrêt de la Cour de cassation que le 18 octobre 2010, date du cachet figurant sur la page 3 de l’arrêt.

28. La Cour note que le Gouvernement reproche au requérant un manque de diligence, soutenant notamment à cet égard qu’il n’a pas pris contact à temps avec son avocat ou avec le greffe de la Cour de cassation et qu’il ne s’est pas informé de l’issue de la procédure, de sorte que le délai de six mois aurait été dépassé. Toutefois, la Cour ne peut pas souscrire au raisonnement du Gouvernement. En effet, elle relève que le requérant était à l’époque détenu à la prison de Grevena, qu’il dit avoir reçu l’assurance de son avocat commis d’office qu’il le représenterait à l’audience et qu’il ne s’est pas vu signifier ou notifier l’arrêt de la Cour de cassation.

29. Elle note également que le Gouvernement, n’explique pas par quel moyen et à quelle date ce dernier aurait reçu copie de l’arrêt de la Cour de cassation. En revanche, le requérant se prévaut de la date du cachet (18 octobre 2010) figurant sur la copie de l’arrêt que lui a délivrée le greffe de la Cour de cassation. Dans ces circonstances, la Cour estime que l’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir dépassé le délai de six mois requis.

30. Quant à l’exception relative au non-épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle que les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent que l’épuisement des voies de recours à la fois relatives aux violations incriminées, normalement disponibles et suffisantes pour permettre au requérant d’obtenir réparation des violations qu’il allègue (Risker c. France (déc.), no 66999/01, 24 mai 2005, et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 108, 22 octobre 2009). Or, ni les poursuites pénales et disciplinaires ni l’action en dommages-intérêts n’étaient de nature à remédier au fait que le pourvoi du requérant n’a pas été examiné. La décision de la Cour de cassation déclarant le pourvoi irrecevable est définitive et il n’est pas possible d’y revenir quelles que soient les motifs et les circonstances de la non-comparution de l’avocat.

31. La Cour rejette donc les exceptions préliminaires du Gouvernement. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

B. Sur le fond

32. Le Gouvernement soutient que le droit d’accès du requérant à un tribunal a été respecté à tous les stades de la procédure, y compris devant la Cour de cassation. Il indique que, même si le requérant n’a pas été représenté devant cette dernière juridiction, il s’est vu offrir la possibilité de se pourvoir seul en cassation et de se voir désigner un avocat d’office sans aucun obstacle. Il ajoute que la Cour de cassation n’avait aucune raison de douter que l’avocat commis d’office remplît les devoirs que la loi lui aurait imposés.

33. Le Gouvernement précise ensuite que, ni avant ni pendant l’audience devant la Cour de cassation, le requérant n’a réclamé l’ajournement de l’audience ou le remplacement de l’avocat commis d’office et qu’il n’a pas non plus informé les autorités judiciaires d’un refus éventuel de cet avocat d’assumer sa mission. Renvoyant à l’article 47 du code des avocats, il indique que, si F.K. ne souhaitait pas assurer la défense du requérant, il aurait dû déposer une déclaration de renonciation au greffe de la Cour de cassation, et qu’il ne l’aurait pas fait. Partant, le Gouvernement considère que la Cour de cassation a, à juste titre, appliqué l’article 514 du code de procédure pénale et rejeté le pourvoi. Il précise encore que, en l’absence de tout indice susceptible de laisser penser qu’un problème existait quant à la défense du requérant, l’autorité judiciaire n’avait aucune raison ni aucune légitimité pour intervenir spontanément dans la relation du requérant avec son avocat.

34. Le requérant allègue qu’il ne pouvait pas prévoir une négligence aussi grossière à ses yeux de la part d’un avocat commis d’office. Il ajoute que lui-même était incarcéré et soumis à la pression du délai de dix jours qui lui aurait été imparti pour se pourvoir en cassation. Il estime que la Cour de cassation aurait dû ajourner l’audience, car, selon lui, elle savait qu’il souhaitait poursuivre la procédure, et que, voyant que le défenseur en question ne pouvait pas s’acquitter de ses obligations, elle aurait dû remplacer l’avocat. Il ajoute qu’on ne peut lui reprocher aucune erreur ni aucun manque de diligence et que le Gouvernement n’émet à cet égard que des allégations imprécises.

35. La Cour rappelle d’abord que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I). Il convient donc d’examiner les griefs du requérant sous l’angle du paragraphe 3 c) combiné avec les principes inhérents au paragraphe 1.

36. La Cour rappelle ensuite les principes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière d’assistance judiciaire. Elle a ainsi déclaré à maintes reprises que la Convention avait pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, et que la nomination d’un conseil n’assurait pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il pouvait procurer à l’accusé. On ne saurait pour autant imputer à un État la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office (Andreyev c. Estonie, no 48132/07, § 71, 22 novembre 2011). Il découle de l’indépendance du barreau par rapport à l’État que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Daud c. Portugal, 21 avril 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-II).

37. La Cour rappelle en outre qu’il est des circonstances où l’État doit agir et ne pas demeurer passif, lorsque des problèmes relatifs à la représentation en justice sont portés à l’attention des autorités compétentes. Si celles-ci sont informées de tels problèmes, elles ont l’obligation soit de remplacer l’avocat défaillant soit de l’obliger à accomplir sa mission. Adopter l’interprétation restrictive avancée par le Gouvernement conduirait à des résultats déraisonnables incompatibles avec le libellé de l’alinéa c) et l’assistance judiciaire gratuite risquerait de se révéler un vain mot (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37 ; Kemal Kahraman et Ali Kahraman c. Turquie, no 42104/02, § 35, 26 avril 2007, et Iglin c. Ukraine, no 39908/05, § 67, 12 janvier 2012). En fonction des circonstances de la cause, les autorités compétentes devront ou non prendre des mesures (Daud, précité, §§ 40-42) et, s’agissant de la procédure dans son ensemble, la défense pourra ou non être considérée comme « concrète et effective », caractères requis par l’article 6 § 3 c) (Rutkowski c. Pologne (déc.), no 45995/99, CEDH 2000-XI, Staroszczyk c. Pologne, no 59519/00, §§ 121-122, 22 mars 2007, Siałkowska c. Pologne, no 8932/05, §§ 99-100, 22 mars 2007, et Ebanks c. Royaume-Uni, no 36822/06, § 73, 26 janvier 2010).

38. La Cour note d’emblée que les thèses des parties diffèrent quant aux circonstances de l’espèce et aux raisons de la non-comparution de Me F.K. à l’audience du 5 février 2010. Elle observe qu’elle ne trouve dans le dossier aucun élément susceptible de lui permettre de privilégier la thèse de l’une ou de l’autre partie. Le seul élément qui lui paraît crucial en l’espèce est le fait que la Cour de cassation avait désigné un avocat d’office pour représenter l’intéressé devant elle.

39. La Cour souligne qu’un avocat, et d’autant plus un avocat commis d’office, n’est pas dispensé de toute diligence lorsqu’il décide de se désister dans une affaire ou lorsqu’il est empêché de se présenter à une audience. Dans pareils cas, il doit en aviser l’autorité qui l’a désigné et accomplir tous les actes urgents afin de préserver les droits et les intérêts de son client.

40. Or, en l’espèce, l’avocat du requérant nommé le 2 janvier 2010 pour l’audience du 5 février 2010, ne semble à aucun moment avoir justifié d’une impossibilité à assurer sa mission. À en croire l’intéressé, Me F.K. l’aurait assuré peu avant l’audience qu’il y serait présent. En outre, il ne ressort pas du dossier que Me F.K., comme il l’a prétendu auprès du requérant après l’audience, a pris contact avec le greffe de la Cour de cassation pour demander l’ajournement de celle-ci. Comme le Gouvernement l’explique dans ses observations, il existe deux voies pour présenter de manière recevable une demande visant à l’ajournement d’une audience devant un tribunal sans que la comparution de l’avocat lui-même ou de son client soit nécessaire : soit un avocat, normalement un collaborateur de celui qui se trouve empêché, se présente devant le tribunal le jour de l’audience et demande l’ajournement ; soit, avant l’audience, le client envoie au greffe une demande écrite dans ce sens, laquelle est remise au président du tribunal le jour de l’audience (paragraphes 16-18 ci-dessus). Ainsi, à supposer même que Me F.K ait téléphoné au greffe dans le but de déclarer un empêchement, sa demande ne pouvait pas être prise en compte, car il ne l’avait pas présentée dans les formes requises. De son côté, le greffe aurait sûrement appelé son attention sur le fait que l’appel téléphonique n’était pas une voie régulière selon le droit interne.

41. Dans la mesure où il était impossible selon le droit interne de revenir sur la décision d’irrecevabilité du pourvoi, il appartenait à la Cour de cassation de s’interroger sur les motifs de la non-comparution de l’avocat du requérant, qui était commis d’office, et de s’assurer que les intérêts du requérant avaient été sauvegardés.

42. L’absence inexpliquée de Me F.K. à l’audience tenue un mois et trois jours après la désignation de celui-ci, sans qu’aucune demande d’ajournement ne soit déposée ou même si une telle demande a été déposée irrégulièrement comme l’affirme le requérant constitue, aux yeux de la Cour, une situation de « carence manifeste » appelant des mesures positives de la part des autorités compétentes. La Cour de cassation aurait ainsi dû ajourner les débats afin de tirer au clair la situation plutôt que de rejeter le pourvoi comme non maintenu.

43. Quelles que soient les circonstances – absence de tout contact ou demande irrégulière – elles imposaient à la juridiction compétente l’obligation positive d’assurer le respect concret et effectif des droits de la défense du requérant. Cela n’ayant pas été le cas, la Cour ne peut que constater un manquement aux exigences des paragraphes 1 et 3 c) combinés de l’article 6 de la Convention. Partant, il y a eu violation de ces dispositions.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

44. Le requérant se plaint aussi d’une violation des articles 5 et 7 de la Convention.

45. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par ces articles. Elle conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

47. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Précisant qu’il est toujours incarcéré et qu’il souffre de graves problèmes de santé que sa détention n’aurait fait qu’aggraver, il allègue que le fait que la Cour de cassation n’a pas statué sur la qualification des infractions qui lui étaient reprochées l’a privé d’une chance d’être remis en liberté plus tôt.

48. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive et que le constat éventuel d’une violation constituerait une satisfaction suffisante. Il indique que le requérant ne démontre pas quelle aurait été la durée de la peine qu’il aurait encore eu à purger si l’issue de la procédure devant la Cour de cassation lui avait été favorable. En outre, selon le Gouvernement, l’intéressé ne démontre pas non plus que son état de santé ne se serait pas aggravé si l’issue de la procédure lui avait été favorable.

49. La Cour estime que l’absence d’une assistance juridique adéquate lors d’une phase essentielle de la procédure a causé au requérant un préjudice moral appelant réparation. Elle lui alloue à ce titre 2 000 EUR.

B. Frais et dépens

50. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement de frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachElisabeth Steiner
Greffier adjointPrésidente


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