La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2015 | CEDH | N°001-153354

CEDH | CEDH, AFFAIRE AARABI c. GRÈCE, 2015, 001-153354


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE AARABI c. GRÈCE

(Requête no 39766/09)

ARRÊT

STRASBOURG

2 avril 2015

DÉFINITIF

02/07/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Aarabi c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Elisabeth Steiner, présidente,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik

Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE AARABI c. GRÈCE

(Requête no 39766/09)

ARRÊT

STRASBOURG

2 avril 2015

DÉFINITIF

02/07/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Aarabi c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Elisabeth Steiner, présidente,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39766/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant libanais, M. Mahran Aarabi (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et N. Strachini, avocates au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3, 13 et 5 de la Convention.

4. Le 25 novembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en septembre 1991 et réside actuellement à Chania (Crète).

A. L’arrestation du requérant et la procédure d’expulsion

6. Le requérant, d’origine palestinienne, allègue qu’il a grandi au Liban où il vivait dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr El Bared, qui fut bombardé et détruit en 2007. Il affirme que pendant son enfance il subit plusieurs atteintes à ses droits, les réfugiés palestiniens n’ayant pas accès aux services d’éducation, de santé et de travail. Il était enregistré par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine du Proche-Orient (UNRWA), un programme de l’Organisation des Nations Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Le frère du requérant, A. A., se trouvait à l’époque des faits en Grèce, à savoir sur l’île de Crète, où il avait déposé une demande d’asile politique.

7. Le 11 juillet 2009, le requérant pénétra par voie de mer en territoire grec sans être muni des documents de voyage requis. En particulier, vers deux heures du matin un canot pneumatique à moteur sur lequel se trouvaient vingt-huit personnes, y compris le requérant, fut localisé au large de l’île de Chios par la garde côtière grecque. Le Gouvernement affirme qu’à l’approche de la garde côtière les personnes à bord du canot le détruisirent et se jetèrent dans la mer. Suite à l’intervention de la garde côtière, ces dernières furent recueillies et transportées sur l’île de Chios en vue de leur identification et enregistrement.

8. Les autorités policières enregistrèrent le requérant en tant que Bahram Orabi, né le 1er janvier 1982. Le requérant signa le rapport de son arrestation sur lequel l’année 1982 était mentionnée comme son année de naissance. Il ressort du même rapport d’arrestation, sur lequel apparaissaient toutes les personnes ayant été appréhendées ce jour-là par la garde côtière, que trois autres personnes avaient déclaré être des mineurs et qu’elles avaient été enregistrées en tant que telles. Leurs années de naissance respectives étaient aussi mentionnées sur le rapport précité.

9. Le même jour, le requérant fut soumis à des examens médicaux à l’hôpital « Skylitsio » sur l’île de Chios. Le 13 juillet 2009, il fut présenté devant le procureur près le tribunal correctionnel de Chios qui s’est abstenu d’engager des poursuites pénales. Le requérant fut en même temps renvoyé devant le directeur de la police de Chios pour engager la procédure d’expulsion.

10. Le 15 juillet 2009, l’organe de police compétent soumit auprès du chef de police de Chios la proposition d’expulser le requérant (document no 32/20/2680-Δ). Sa mise en détention provisoire en vue d’expulsion fut aussi ordonnée. Comme il ressort du récépissé de notification signé par le requérant et daté du 15 juillet 2009, le requérant reçut une note d’information, rédigée en grec et en arabe, relatant les droits des personnes mises sous écrou en vue d’expulsion.

11. Le 18 juillet 2009, le chef de police de Chios, faisant droit à la proposition datée du 15 juillet 2009, ordonna l’expulsion du requérant, pour entrée et séjour illégaux en territoire grec. Selon la même ordonnance, rédigée en grec et mentionnant aussi le requérant comme Bahram Orabi, sa détention était reconduite pour un délai qui ne pouvait pas excéder, en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, six mois au total (ordonnance no 32/1/1839-λβ). Il ressort du dossier qu’une avocate de la Préfecture de Chios se rendait deux fois par semaine au centre de rétention de Mersinidi où le requérant était détenu et offrait à titre gratuit des conseils juridiques aux détenus notamment sur des questions d’asile politique.

12. Le 26 juillet 2009, le requérant, en compagnie de cinquante-neuf autres détenus, fut transféré au port de Chios pour être embarqué sur le navire « Theofilos » à destination de la région d’Evros, via la ville de Thessalonique. Le requérant allègue que le même jour, une avocate, mandatée par son frère, qui se trouvait toujours en Crète, est venue d’Athènes sur l’île de Chios afin de le rencontrer et d’entreprendre en son nom les démarches nécessaires pour déposer une demande d’asile et contester la légalité de son expulsion. Les autorités auraient informé l’avocate que le requérant était en train d’être transféré vers un autre lieu de détention et que, pour cette raison, il n’était pas possible de prendre contact avec lui. Le 27 juillet 2009, après un voyage de vingt heures pendant lequel le requérant est resté, selon ses dires, dans une cabine située dans la cale du navire, il arriva à Thessalonique et fut transféré le jour même au centre de rétention de Tychero, à la frontière de la Turquie.

13. Le 28 juillet 2009, l’avocate du requérant saisit le Médiateur de la République avec notification au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dénonçant notamment le fait que malgré son âge mineur, le requérant avait été transféré non accompagné de Mersinidi vers le nord de la Grèce. Elle se plaignait aussi en son nom des conditions de détention à Tychero et de l’éventualité d’une expulsion collective vers la Turquie. Le même jour, une question à ce sujet fut aussi déposée au Parlement.

14. Par une lettre datée du 28 juillet 2009, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés informa le directeur de la police des étrangers, que les prénom et nom corrects du requérant étaient Mahran Aarabi respectivement et qu’il était né en 1991 et non pas en 1982. Le Haut-commissariat des Nations Unies releva aussi dans la même lettre que selon les allégations de l’avocate du requérant, celui-ci avait déjà oralement demandé l’asile pendant sa détention au centre de rétention de Chios, sans que les autorités prennent d’initiative à cet égard. Il était aussi indiqué que les autorités policières de Chios n’avaient pas informé les centres de rétention où le requérant serait transféré de son intention de déposer une demande d’asile.

15. Le 30 juillet 2009, la direction de la police des étrangers ordonna le transfert du requérant à Thessalonique afin que le procureur compétent prenne les mesures nécessaires pour le transfert du requérant dans un centre d’hébergement pour mineurs (décision no 6634/1-1223145/30.7.2009).

16. Le 31 juillet 2009, le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique accorda la permission à l’organisation non gouvernementale « La maison d’Arsis » d’héberger le requérant. Par sa décision no 356552/1-β/1.8.2009, le directeur de la police de Thessalonique suspendit l’exécution de l’expulsion du requérant pour une période de trois mois. Le même jour, le requérant fut transféré au centre d’hébergement de « La maison d’Arsis ».

17. Le 3 août 2009, la « Maison d’Arsis » informa la direction de la police de Thessalonique que le requérant souhaitait se rendre à l’île de Crète où résidaient ses deux frères, ayant déjà demandé l’asile. À une date non précisée, le requérant se rendit en Crète et déposa une demande d’asile.

18. Le 17 juin 2010, le requérant obtint une fiche de demandeur d’asile valable jusqu’au 17 décembre 2010. À cette date, sa validité fut prorogée et le 4 février 2011 fut fixée comme date d’entretien sur sa demande d’asile. La suite de l’affaire ne ressort pas du dossier.

B. Les conditions de détention du requérant

19. Le requérant fut détenu du 11 au 13 juillet 2009 dans les locaux de détention au sein du bâtiment de la garde côtière de Chios. Du 14 au 26 juillet 2009, il fut détenu au centre de rétention des étrangers de Mersinidi à Chios. Du 27 au 30 juillet 2009, il fut détenu au centre de rétention de Tychero ; enfin, les 30 et 31 juillet 2009, il fut détenu à la direction de la police de Thessalonique et au commissariat de police d’Aghios Athanassios à Thessalonique.

1. La version du requérant

20. Le requérant allègue que sur l’île de Chios il fut mis avec des adultes, qu’il dormait sur un matelas insalubre et qu’il ne pouvait pas se procurer de draps et de couvertures propres. Dans sa cellule, il n’y avait aucun meuble et il était contraint de manger à même le sol. De plus, il prétend que pendant toute la durée de sa détention, il ne put sortir du bâtiment et qu’il n’eut aucun contact avec le monde extérieur.

21. En ce qui concerne ses conditions de détention au centre de Tychero, le requérant affirme qu’elles étaient inacceptables. Le centre de rétention était situé près d’un fleuve, la chaleur était insupportable et les détenus subissaient constamment des attaques de moustiques. Le requérant ne pouvait pas se procurer de draps et de couvertures propres. De plus, il prétend que pendant toute la durée de sa détention, il ne put sortir du bâtiment et qu’au sein du centre de rétention il n’y avait aucun poste téléphonique.

2. La version du Gouvernement

22. En ce qui concerne les locaux au sein de la garde côtière de Chios, le Gouvernement relève qu’ils étaient destinés à des détentions de courte durée, qu’ils étaient équipés de toilettes, de lits et de draps et qu’ils étaient régulièrement aérés et suffisamment lumineux. S’agissant du centre de rétention de Mersinidi, le Gouvernement affirme que lesdits locaux correspondaient de manière satisfaisante aux conditions de sécurité et d’hygiène prescrites par les textes nationaux et internationaux. Il note que les cellules étaient suffisamment aérées et lumineuses, et qu’un nombre suffisant de lits, de toilettes, de douches et de postes de téléphone étaient à la disposition des détenus. De plus, le Gouvernement affirme que le centre de Mersinidi était équipé d’un dispensaire et qu’une ambulance était toujours disponible pour le transfert éventuel de patients à l’hôpital « Skylitsio ». Enfin, le Gouvernement note que la décision de transférer le requérant avec cinquante-neuf autres personnes du centre de Mersinidi à un autre centre de rétention au nord de la Grèce, fut prise parce que le premier avait dépassé sa capacité d’hébergement de soixante-douze personnes.

23. S’agissant du centre de rétention de Tychero et des centres de police à Thessalonique, le Gouvernement affirme tout d’abord que le requérant y a séjourné respectivement quatre et un jour. Il allègue que les conditions de détention dans les locaux précités n’étaient pas mauvaises, tout en relevant que les centres en question sont destinés à des détentions de courte durée avant le transfert des étrangers sous expulsion vers des centres équipés pour des détentions plus longues.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Les droit et pratique internes relatifs à l’expulsion administrative des étrangers

24. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

B. Les textes internationaux pertinents

1. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT)

25. Suite à sa visite en Grèce du 17 au 29 septembre 2009, le CPT relevait ce qui suit dans son rapport publié le 17 novembre 2010 (page 41) :

« 81. Dans le bâtiment de l’administration portuaire de Chios, une cellule (4.6 m²) était adéquate pour détenir des personnes pour des courtes périodes de temps, comme c’était généralement le cas. Cependant, elle n’était pas appropriée pour passer la nuit en détention (par exemple, deux personnes y étaient détenues du 20 au 23 juillet 2009) ; toute personne susceptible de passer une nuit ou plus en détention devrait être transférée au commissariat de la ville de Chios. Les migrants en situation irrégulière appréhendés par la garde côtière sont détenus dans une structure préfabriquée (40 m²) avec un toit de tuiles, composé de trois chambres communicantes, une toilette et un lavabo. L’accès à l’éclairage artificiel et la lumière naturelle est appropriée et la ventilation est suffisante. En règle générale, les migrants en situation irrégulière ne sont détenus dans cet établissement que le temps nécessaire pour le traitement de leur cas (enregistrement des données personnelles, prise des empreintes digitales, examen médical à l’hôpital), ce qui prend généralement quelques heures; par la suite, ils sont transférés au centre de rétention spécial pour les étrangers situé en dehors de la ville. (...) »

26. Suite à sa visite en Grèce du 19 au 27 janvier 2011, le CPT relevait dans son rapport publié le 10 janvier 2012 que les conditions de détention au centre de rétention de Tychero étaient mauvaises. Au temps de la visite, il y avait 139 personnes détenues et cent environ étaient « entassées » dans une chambre de 35 m2. L’annexe avec trois toilettes et une douche n’avait pas de lumière et était en état crasseux.

27. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait ce qui suit :

« Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.

(...)

Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les établissements de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

2. Le rapport d’Amnesty International

28. Un rapport publié en 2010 en anglais par Amnesty International et intitulé « Grèce : des immigrés irréguliers et des demandeurs d’asile régulièrement détenus dans des conditions déficientes », constate qu’en Grèce la détention des immigrés irréguliers est appliquée sans avoir égard à la proportionnalité de la mesure et sans être employée comme une mesure de dernier ressort. En ce qui concerne le centre de rétention de Mersinidi à Chios le rapport affirme notamment ce qui suit (page 36) :

« 5.1.1. Lors de la visite d’Amnesty International en septembre 2009, plusieurs familles avec enfants (beaucoup d’eux très jeunes), quatre mineurs non accompagnés et une femme enceinte étaient détenus dans le centre. (...) Les délégués d’Amnesty International ont constaté que trois familles avec de jeunes enfants (au total quinze personnes) dormaient dans un dortoir conçu pour huit personnes. Ils ont également vu des personnes dormir sur des matelas à même le sol. Des parents ont dit aux délégués qu’ils avaient rarement accès à du lait pour leurs enfants. Des produits d’hygiène personnelle, tels que du shampooing et des savons, n’étaient pas fournis par les autorités. Les détenus devaient passer une commande et payer pour ces produits qui étaient achetés par le personnel du centre de rétention. (...) »

3. Les textes du Rapporteur spécial des Nations unies

29. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak, a effectué une visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010. En ce qui concerne le centre de rétention de Mersinidi à Chios, il a noté dans sa déclaration datée du 20 octobre 2010 qu’en raison de la baisse récente des arrestations de migrants en situation irrégulière sur les îles grecques, les conditions de détention à Mersinidi, à part quelques défauts, pouvaient être décrites comme adéquates.

30. Dans son rapport daté du 4 mars 2011, M. Manfred Nowak, a affirmé ce qui suit sur le sujet des conditions de détention de migrants en situation irrégulière en Grèce :

« Un exemple positif est le centre de rétention de [Mersinidi] à Chios, où le directeur, employé par la préfecture, prenait de manière adéquate soin des détenus. En raison de la baisse de l’immigration par voie de la mer méditerranéenne, le centre n’était plus surpeuplé. Les détenus pouvaient accéder à l’extérieur, les cellules étaient propres et bien équipées, et leurs besoins les plus élémentaires étaient suffisamment pris en charge. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint de l’absence totale de mesures d’encadrement et d’accompagnement, adaptées à son âge mineur et au fait qu’il n’était pas accompagné lors de son incarcération et après sa remise en liberté par les autorités internes. En outre, il dénonce ses conditions de détention sur l’île de Chios et, ensuite, dans le centre de rétention Tychero dans le nord de la Grèce. Il invoque l’article 3 de la Convention, qui dispose :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

32. Le Gouvernement soutient que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes. En particulier, il souligne que le requérant a reçu une brochure traduite en arabe où étaient entre autres cités les recours qu’il pouvait exercer pendant sa détention. Or il n’a pas soumis devant le président du tribunal administratif les objections prévues par l’article 76 de la loi no 3386/2005. Il n’a non plus saisi les autorités administratives ou les juridictions internes d’un recours contre la décision de son expulsion assorti d’une demande de sursis à exécution de celle-ci. Le Gouvernement ajoute qu’à supposer même que l’avocate du requérant ait pris connaissance de la décision de son expulsion le 27 juillet 2009, date à laquelle elle a saisi le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, elle avait toujours, selon le droit interne, la possibilité de contester pour son compte la légalité de la décision ordonnant son expulsion, même sans avoir préalablement eu recours à un recours administratif préjudiciaire. En dernier lieu, le Gouvernement allègue que les arguments du requérant sur l’impossibilité matérielle d’exercer les recours pertinents pendant sa détention au centre de Mersinidi en raison du manque de contact avec le monde extérieur sont vagues et infondées.

33. En se référant à la jurisprudence antérieure de la Cour (parmi d’autres, S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011), le requérant rétorque que les recours invoqués par le Gouvernement sont théoriques et illusoires. En effet, il allègue que l’ordre juridique grec n’offre aucune voie de recours par laquelle un migrant en rétention pourrait contester les conditions de sa détention. Même si le requérant et l’ensemble des détenus, notamment au centre de rétention de Mersinidi, étaient parvenus à se plaindre de leurs conditions de détention, aucun changement ne serait intervenu : non seulement les autorités étaient conscientes de la situation qui y régnait mais celle-ci était le résultat d’une pratique administrative. Il relève aussi que sa situation personnelle devrait être prise en compte quant à la possibilité réelle d’exercer les recours invoqués par le Gouvernement, en particulier, qu’il était un mineur non accompagné et sans représentation légale pendant sa détention au centre de Mersinidi.

34. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

35. La Cour note, en premier lieu, que le 28 juillet 2009 l’avocate du requérant a saisi le Médiateur de la République et le Parlement national pour se plaindre, entre autres, de ses conditions de détention au centre de rétention de Tychero. Elle a ainsi porté à l’attention des autorités internes les conditions de détention auxquelles le requérant était soumis au moins après son transfert au nord de la Grèce. De surcroît, elle a soulevé en général la question de la compatibilité de ses conditions de détention avec le fait qu’il était en ce temps-là mineur.

36. En outre, et de manière générale, la Cour note qu’à l’époque des faits, la loi no 3386/2005 permettait aux tribunaux d’examiner la décision de détenir un migrant clandestin sur le seul fondement du risque de fuite ou de menace pour l’ordre public. Ladite loi ne donnait pas compétence aux tribunaux pour examiner les conditions de vie dans les centres de détention pour étrangers clandestins et pour ordonner la libération d’un détenu au motif de ces conditions de détention (A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 47, 22 juillet 2010 ; Ahmade c. Grèce, no 50520/09, § 85, 25 septembre 2012). Partant, un recours de la part du requérant avec ce contenu n’aurait aucune chance d’aboutir.

37. En dernier lieu, la Cour constate que le requérant expose plutôt qu’il était victime des conditions qui régnaient dans l’enceinte desdits locaux de détention et qui étaient identiques pour l’ensemble des détenus, tout en l’affectant personnellement (voir, mutatis mutandis, R.U. c. Grèce, no 2237/08, § 60, 7 juin 2011). À cet égard, la Cour relève que dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, le CPT rappelait que ses rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossaient tous un tableau sombre des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Le CPT soulignait que les assurances des autorités grecques qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police, n’étaient pas fiables et que les commissariats continuaient à abriter un nombre sans cesse plus important d’étrangers dans des conditions bien pires encore (paragraphe 27 ci-dessus). La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré en ce genre de cas que les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient à eux seuls à remédier à la situation dénoncée (voir, mutatis mutandis, Lica c. Grèce, no 74279/10, § 38, 17 juillet 2012).

38. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’ordre juridique interne n’offrait pas à l’époque au requérant un recours effectif par le biais duquel il aurait pu se plaindre de ses conditions de détention. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes quant aux conditions de détention de l’intéressé. La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève aussi qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. Il reste à examiner ci-dessous dans la partie relative au grief tiré de l’article 5 de la Convention si les recours invoqués par le Gouvernement étaient effectifs quant à la question de la légalité de la détention du requérant.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

39. En ce qui concerne l’âge du requérant, le Gouvernement admet tout d’abord qu’il avait dix-sept ans et dix mois, c’est-à-dire qu’il était mineur selon le droit grec, au temps de ses arrestation et mise en détention. Il affirme que le requérant a lui-même déclaré qu’il était majeur et qu’il était né en 1982. Il ajoute que le requérant a pris connaissance du contenu du rapport de son arrestation avec l’aide d’un traducteur qui était présent lors de l’enregistrement de ses coordonnées. De plus, le Gouvernement souligne que le requérant a signé le rapport d’arrestation, ce qui signifie qu’il n’avait aucune objection quant à la date de sa naissance comme elle apparaissait sur le document précité. Le Gouvernement relève sur ce point que le requérant n’a pas signé le récépissé de notification de la décision ordonnant son expulsion, datée du 18 juillet 2009. De son avis, la décision de ne pas signer tous les documents qui lui ont été notifiés lors de la procédure de son expulsion prouve qu’il était en pleine connaissance de leur contenu. En outre, le Gouvernement estime que la bonne foi des autorités internes ressort de leur réaction immédiate à traiter le requérant conformément aux besoins de son âge, après avoir reçu l’information y relative de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ; le procureur compétent s’est chargé de l’affaire pour ordonner, le 31 juillet 2009, son transfert à l’hébergement pour mineurs « La maison d’Arsis ».

40. En ce qui concerne les conditions de détention, le Gouvernement allègue que le requérant n’est resté respectivement que deux, quatre et un jour dans le bâtiment de la garde côtière de Chios, le centre de rétention de Tychero et les locaux de police de Thessalonique. En outre, en ce qui concerne le centre de rétention de Mersinidi, le Gouvernement se réfère notamment aux textes établis par M. Manfred Nowak, en 2010 et 2011, dont il ressort que les conditions de détention à Mersinidi étaient adéquates. Le Gouvernement ajoute aussi qu’à l’époque où le requérant était détenu à Mersinidi, les locaux étaient en bonne condition et adéquatement équipés.

41. Quant au requérant, pour dénoncer ses conditions de détention, il se fonde, entre autres, sur les rapports du CPT et du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture décrivant la situation qui régnait à l’époque de sa détention dans les centres de rétention et les commissariats de police et accueillant des étrangers en voie d’expulsion. Il allègue que ses conditions de détention lui ont fait courir un risque permanent pour son intégrité physique et qu’elles ont aggravé son état psychologique déjà affaibli. Il expose que l’effet cumulé de la détention, du fait qu’il était mineur et des conditions dégradantes combinées avec la crainte de son expulsion imminente, lui ont causé des problèmes psychologiques.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

42. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001‑III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37; Rahimi, précité, §§ 59-62 ; R.U. c. Grèce, précité, §§ 54-56 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 68-70, 13 juin 2013).

b) Appréciation du cas d’espèce

43. En l’espèce, la Cour doit tout d’abord se pencher sur la question relative à l’âge du requérant au moment de son arrestation. Elle note d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas le fait que le requérant avait dix-sept ans et dix mois, c’est-à-dire qu’il était mineur, lors de son arrestation au large de l’île de Chios. Il importe ainsi d’examiner si les autorités internes pouvaient raisonnablement être en connaissance de ce fait et agir en conséquence. La Cour constate en premier lieu que juste après son appréhension par la garde côtière, le requérant a signé le rapport de son arrestation sur lequel apparaissait son nom et sa date de naissance. Elle relève qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait subi une quelconque forme de pression pour signer le document public en cause.

44. La Cour retient aussi deux autres éléments qui appuient l’idée que les autorités compétentes n’étaient pas dépourvues de bonne foi dans le traitement de la question de l’âge du requérant en l’espèce. D’une part, sur le rapport d’arrestation précité, à part le nom et la date de naissance du requérant, apparaissaient aussi ceux de trois autres personnes ayant déclaré aux autorités qu’elles étaient mineures et ayant été enregistrées comme telles. La Cour ne voit ainsi pas pour quelle raison particulière le requérant n’aurait pas été enregistré comme mineur s’il avait lui-même déclaré ce fait aux autorités compétentes. Il convient sur ce point de rappeler qu’au temps de son arrestation le requérant avait presque dix-huit ans. Partant, du moment qu’il n’a pas lui-même soulevé son âge mineur aux autorités internes, il n’aurait pas été évident pour elles d’envisager cette possibilité à leur propre initiative. D’autre part, la Cour note que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a informé le 28 juillet 2009 les autorités internes sur l’âge réel du requérant. La direction de la police des étrangers s’est montrée diligente et le 30 juillet 2009, elle a saisi le procureur compétent afin de procéder au transfert du requérant dans un hébergement pour mineurs.

45. La Cour considère que le comportement des autorités compétentes décrit ci-dessus conforte l’idée qu’elles ont agi de bonne foi en ce sens. Par conséquent, la Cour ne saurait leur imputer le fait que le requérant n’a pas été enregistré comme mineur lors de son arrestation. Pour la même raison, la Cour examinera les griefs du requérant sur ses conditions de détention comme des griefs soulevés par une personne adulte au moment des faits, à savoir jusqu’au 30 juillet 2009, date à partir de laquelle les autorités nationales l’ont traité comme mineur.

i. Les commissariats de police

46. S’agissant des conditions de détention à la direction de la police de Thessalonique et au commissariat d’Aghios Athanassios à Thessalonique, la Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion et elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009 ; Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009 ; Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009 ; Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011 ; Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013, et De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 43, 26 juin 2014). Pour arriver à cette conclusion, la Cour s’est notamment fondée sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, précités).

47. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a été détenu dans les locaux de police en cause pour deux jours, les 30 et 31 juillet 2009, c’est-à-dire pour une durée très courte (voir paragraphe 19 ci-dessus in fine). En outre, la Cour relève que le requérant ne met pas en avant des arguments spécifiques quant à sa situation particulière aux commissariats précités pouvant amener à la conclusion que la gravité des conditions de détention portait atteinte au sens même de la dignité humaine (voir, a contrario, Rahimi, § 86, précité). Se fondant sur ces deux éléments combinés, la Cour considère que la détention du requérant dans les locaux précités ne peut être analysée en un traitement dégradant, pouvant être considéré comme contraire à l’article 3 de la Convention.

ii. Le centre de rétention de Tychero

48. La Cour estime que la même constatation vaut pour le centre de rétention de Tychero où le requérant n’a été détenu que trois jours, à savoir du 27 au 30 juillet 2009. La Cour relève la courte durée de détention du requérant combinée avec sa description des conditions de séjour au sein du centre de Tychero. Elle considère que l’absence de conclusions de la part du CPT sur ledit centre de rétention et autour de la période litigieuse ne lui permet pas de conclure que l’article 3 de la Convention a été méconnu à cet égard.

iii. Les locaux de détention sur l’île de Chios

49. S’agissant des conditions de détention sur l’île de Chios, la Cour constate que le requérant a été détenu dans un premier temps dans les locaux de la garde côtière de cette île pour être ensuite transféré au centre de rétention de Mersinidi. En ce qui concerne le premier lieu de détention, il n’y est resté que pour une période très courte, à savoir du 11 au 13 juillet 2009. Quant au centre de rétention de Mersinidi, la Cour relève tout d’abord l’absence de rapports provenant des organes nationaux ou internationaux et portant sur la période litigieuse. Il est vrai que le rapport d’Amnesty International sur le centre de Mersinidi, concernant une période postérieure à la détention du requérant, fait référence au manque de produits d’hygiène et au fait que certaines personnes dormaient sur des matelas à même le sol (voir paragraphe 28 ci-dessus). Néanmoins, ledit rapport ne fait pas état de problèmes généraux d’hygiène au sein du centre de Mersinidi qui pourraient sans aucun doute affecter la situation personnelle du requérant.

50. Quant à la question du surpeuplement évoquée par le requérant, la Cour note, tout d’abord, que le requérant y a séjourné treize jours. La Cour observe également que le Gouvernement reconnaît certes que le centre de Mersinidi avait dépassé sa capacité d’hébergement pendant la période litigieuse (voir paragraphe 22 ci-dessus). En même temps, il ne ressort pas du dossier que le requérant disposait individuellement de moins de 3 m2 d’espace individuel dans sa cellule, ce qui pourrait suffire pour conclure à une violation de l’article 3 de la Convention (voir Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 145, 10 janvier 2012). Au demeurant, la Cour estime que la décision des autorités internes de transférer, le 26 juillet 2009, un certain nombre de personnes dont le requérant, vers un centre de rétention au nord de la Grèce fait preuve de leur intention d’améliorer à bref délai les conditions matérielles de détention auxquelles le requérant était soumis. En dernier lieu, la Cour estime aussi pertinent que, suite à sa visite en Grèce en octobre 2010, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak, a qualifié les conditions de détention à Mersinidi d’adéquates.

Au vu de ce qui précède et étant donné que le requérant est considéré comme une personne adulte au moment des faits litigieux (voir paragraphe 45 ci-dessus), la Cour considère que sa détention sur l’île de Chios ne l’a pas exposé à des conditions de détention dégradantes.

c) Conclusion

51. En somme, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans les locaux des commissariats de police et des centres de rétention dans lesquels il a été détenu en vue de son expulsion.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION QUANT AUX CONDITIONS DE DÉTENTION

52. Le requérant se plaint de l’absence de recours effectif en ce qui concerne ses conditions de détention. Il invoque les articles 13 et 3 de la Convention. L’article 13 dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

53. La Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir le redressement approprié (voir Kudła, précité, § 157).

54. Eu égard à sa conclusion ci-dessus sous l’angle de l’article 3 quant aux conditions de détention du requérant, la Cour considère qu’il ne peut invoquer l’article 13, faute de « grief défendable ». Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

55. Le requérant soutient qu’il a été privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il se plaint aussi, sous l’angle de l’article 5 § 4, de l’inefficacité du contrôle de la légalité de la détention en vue de l’expulsion. L’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention dispose :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Sur la recevabilité

56. Le Gouvernement soutient notamment que le requérant n’a introduit aucun recours contre la décision d’expulsion et sa mise en détention en ce sens. Il allègue que son grief tiré de l’article 5 de la Convention devait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes comme prévu par l’article 35 § 1 de la Convention.

57. Le requérant affirme que pendant sa détention sur l’île de Chios aucun représentant légal ne lui fut désigné et qu’il n’a bénéficié d’aucune aide judiciaire. Il relève que l’avocate de la Préfecture de Chios qui se rendait deux fois par semaine au centre de rétention et offrait à titre gratuit des conseils juridiques sur des questions d’asile politique, n’agissait pas en tant qu’avocate de contentieux judiciaire. Sur ce point, le requérant note aussi, qu’en raison du grand nombre des personnes détenues, il n’a pas eu l’occasion de s’entretenir avec ladite avocate. Enfin, le requérant relève de manière générale que le 27 juillet 2009, sa représentante saisit le tribunal compétent de mesures provisoires afin d’empêcher son transfert à la région d’Evros et son refoulement vers la Turquie.

1. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1

58. La Cour note qu’il ressort du dossier que le requérant n’a exercé aucun recours contre sa mise en détention en vue de son expulsion. En particulier, il n’a pas saisi le tribunal administratif compétent des objections, en vertu de l’article 76 de la loi no 3386/2005, à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion. La Cour note d’emblée qu’en ce qui concerne ledit recours, la Cour a déjà jugé que tel qu’il était rédigé à l’époque des faits, l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (S.D. c. Grèce, précité, § 73 ; Tabesh, précité, § 62 ; R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, précité, § 73).

59. Il n’en reste pas moins que, selon la disposition précitée, l’organe judiciaire compétent pouvait examiner la décision de la détention sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public (voir paragraphe 24 ci-dessus). Par conséquent, dès sa mise en détention en vue de son expulsion, le requérant aurait pu contester la légalité de celle-ci sur la base des deux critères prévus par la loi, en invoquant l’absence de risque de fuite en cas d’élargissement et/ou le fait qu’il ne constituait pas de danger pour l’ordre public. Faute d’avoir soulevé les objections précités, le requérant n’a pas donné la possibilité à la juridiction compétente de mettre fin à sa détention même à travers les conditions limitativement énumérées, à l’époque des faits, par l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005.

60. Quant à la possibilité matérielle d’avoir accès à la justice pour exercer le recours précité, la Cour relève en premier lieu que comme il ressort du dossier, à partir du 28 juillet 2009, le requérant était formellement représenté par une avocate ; celle-ci a saisi à ce titre le Médiateur de la République et le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Elle aurait donc aussi pu contester la légalité sa détention par voie judiciaire.

61. En ce qui concerne la période antérieure et relative à la détention sur l’île de Chios, la Cour note que, comme il est aussi admis par le requérant, une avocate de la Préfecture de Chios visitait deux fois par semaine le centre de rétention de Mersinidi pour offrir aux détenus des conseils juridiques à titre gratuit sur la procédure d’asile. La Cour estime tout d’abord que le requérant aurait pu la contacter pour contester devant la justice administrative la légalité de sa détention. La Cour prend note de l’argument du requérant, à savoir que ladite avocate ne faisait pas de contentieux judiciaire. Néanmoins, cette allégation est vague et non corroborée par les pièces du dossier (voir en ce sens S.B. c. Grèce (déc.), no 73554/11, §§ 39‑40, 8 juillet 2014). En tout état de cause, même dans le cas où ladite avocate ne faisait pas de contentieux judiciaire, son incapacité à faciliter le contact de l’intéressé avec un avocat tiers qui aurait pu le représenter devant les tribunaux compétents ne ressort pas du dossier. En dernier lieu, le requérant affirme de manière générale qu’en raison du surpeuplement au centre de Mersinidi, il lui a de fait été impossible de contacter l’avocate de la Préfecture de Chios. Or, le requérant a été détenu à Mersinidi pour une période de douze jours et il aurait donc eu l’occasion de s’entretenir avec elle à plus d’une reprise.

62. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas épuisé en l’espèce les voies de recours internes et que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 34 de la Convention.

2. Sur le grief tiré de l’article 5 § 4

63. La Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement sur l’absence d’épuisement des voies de recours internes est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention. En ce qui concerne les principes généraux sur l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II ; S.D. c. Grèce, précité, § 72 ; A.A. c. Grèce, précité, § 70 ; Herman et Sherazadishvili c. Grèce, nos 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

64. La Cour se réfère à ses considérations sur l’effectivité dans le cadre de la présente affaire des objections prévues par l’article 76 de la loi no 3386/2005 (voir paragraphes 59-62 ci-dessus). Elle estime nécessaire de relever sur ce point qu’à la différence des affaires précédentes où la Cour a déjà trouvé une violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’effectivité du recours prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005, en l’occurrence le requérant n’a exercé aucun recours pour contester la légalité de sa détention (voir entre autres, S.D. c. Grèce, précité, § 18 ; Tabesh, précité, § 10 ; Herman et Sherazadishvili, précité, §§ 8, 11 et 16).

65. A l’instar de sa conclusion à l’égard de l’article 5 § 1, la Cour considère que le requérant n’a ainsi pas offert à la juridiction administrative compétente l’occasion de se prononcer sur la légalité de sa détention, en examinant la possibilité de fuir et/ou sa dangerosité pour l’ordre public. En effet, si le tribunal compétent avait conclu à l’inexistence de ces deux paramètres, elle aurait ordonné la remise en liberté du requérant et son recours aurait ainsi été efficace.

66. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LE RESTANT DES GRIEFS

67. Le requérant se plaint des déficiences dans l’examen de sa demande d’asile et du fait qu’en cas d’expulsion en Turquie il s’exposerait à des traitements inhumains. Il invoque à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention.

68. La Cour note tout d’abord que le 31 juillet 2009, le procureur compétent a accordé la permission à l’organisation non gouvernementale « La maison d’Arsis » d’héberger le requérant. Ensuite, en août 2009, le requérant s’est rendu sur l’île de Crète où il a aussi déposé une demande d’asile. Partant, en l’état actuel dossier, le risque d’expulsion vers la Turquie n’est pas établi. En tout état de cause, le risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion vers la Turquie ne ressort aucunement du dossier. Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter cette partie du grief tiré des articles 3 et 13 de la Convention comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 (conditions de détention) et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachElisabeth Steiner
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-153354
Date de la décision : 02/04/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : AARABI
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TZEFERAKOU I.-M. ; STRACHINI N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award