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17/02/2015 | CEDH | N°001-152535

CEDH | CEDH, AFFAIRE KURT c. BELGIQUE, 2015, 001-152535


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KURT c. BELGIQUE

(Requête no 17663/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 février 2015

DÉFINITIF

17/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kurt c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Sp

ano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend l’arrêt q...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KURT c. BELGIQUE

(Requête no 17663/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 février 2015

DÉFINITIF

17/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kurt c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17663/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Cevher Kurt (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me R. D’Amico, avocat à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que son droit à un procès équitable a été violé du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement de trente ans.

4. Le 2 avril 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1961. Il est actuellement détenu à la prison de Lantin.

6. Il fit l’objet de poursuites pénales, soupçonné d’avoir tué S.R.G.

7. Au cours de l’instruction, le requérant expose qu’il demanda à trois reprises à être assisté d’un traducteur juré en kurmandji (langue kurde), sa langue maternelle. Au lieu de cela, il bénéficia de l’assistance d’A.A., un traducteur juré en langue turque que le requérant disait ne pas maîtriser suffisamment. De ce fait, il refusa de signer les procès-verbaux des interrogatoires au motif qu’ils n’étaient pas conformes aux propos qu’il avait voulu tenir. Ces procès-verbaux contenaient notamment des aveux, rétractés par la suite.

8. Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège du 19 mai 2008, le requérant fut mis en accusation d’avoir :

« À Liège, le 17 décembre 2006,

A.1. volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [S.R.G.];

B.2. en contravention aux articles 3 § 1-17o, 8, 23 et 26 de la loi du 8 juin 2006 sur les armes, fabriqué, réparé, exposé en vente, vendu, cédé, transporté, tenu en dépôt, détenu ou été porteur d’objets ou de substances qui ne sont pas conçus comme arme, mais dont il apparaît clairement, étant donné les circonstances concrètes, que celui qui les détient, les porte ou les transporte entend manifestement les utiliser aux fins de menacer ou de blesser physiquement des personnes, en l’espèce un marteau. »

9. L’acte d’accusation du 26 février 2009 fit état des éléments suivants : S.R.G., serveuse dans une taverne, fut retrouvée morte dans son lieu de travail. D’après certains témoins indirects, le requérant était le dernier client de la taverne le soir de l’homicide. Dans un premier temps, le requérant nia toute implication dans les faits. Par la suite, des traces ADN appartenant à la victime furent retrouvées dans la voiture du requérant, et des traces ADN appartenant au requérant furent retrouvées sous les ongles de la victime ainsi que dans la pièce où elle fut découverte. Après avoir été confronté avec ces éléments, le requérant aurait fait des aveux mais il se rétracta immédiatement après, faisant valoir que les enquêteurs l’avaient empoisonné lors de l’audition.

10. Le requérant sollicita la possibilité de faire entendre A.A. au cours du procès étant donné qu’il estimait que les procès-verbaux établis avec le concours de celui-ci n’étaient pas conformes à ses propos. Il fut fait droit à cette demande et A.A. fut cité en qualité de témoin.

11. Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province de Liège du 2 au 7 mai 2009.

12. A.A. ne comparut pas à l’audience en raison d’un déplacement à l’étranger. De ce fait, le 4 mai 2009, le requérant demanda que les procès-verbaux litigieux soient écartés des débats.

13. Par un arrêt sur incident du 5 mai 2009, la cour d’assises, composée des trois magistrats professionnels, rejeta sa demande. Elle considéra que l’affirmation selon laquelle le requérant n’était pas en mesure de s’exprimer en turc n’était étayée par aucun élément du dossier et n’était pas compatible avec les affirmations de traducteur A.A. De plus, au cours de la session d’assises, le requérant était assisté d’un traducteur juré distinct qu’il avait accepté et par l’intermédiaire duquel il pouvait apporter toute nuance et précision à ses déclarations antérieures. Ses droits de la défense n’étaient donc pas violés.

14. À l’issue de la session d’assises, le jury fut appelé à répondre à deux questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :

« Question no 1 – Fait principal :

Cevher KURT, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir à Liège, le 17 décembre 2006, volontairement et avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [S.R.G.] ?

Réponse : OUI

Question no 2 – Fait principal

Cevher KURT, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir à Liège, le 17 décembre 2006, été porteur d’un objet, non conçu comme arme, mais dont il apparaît clairement, au vu des circonstances concrètes, qu’il entend l’utiliser aux fins de menacer ou de blesser physiquement des personnes, en l’espèce un marteau ?

Réponse : OUI. »

15. Par un arrêt du 7 mai 2009, la cour d’assises, composée des trois magistrats professionnels et du jury, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de trente ans. Pour la détermination de la peine, elle prit en compte l’extrême violence des faits, la personnalité dangereuse du requérant, l’absence de regrets et la gratuité du mobile à la base du geste meurtrier.

16. Le requérant se pourvut en cassation contre les arrêts des 5 et 7 mai 2009. Il invoqua une violation de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention en raison de l’absence de motivation de la décision de la cour d’assises quant au verdict de culpabilité du jury ainsi que de l’impossibilité d’interroger le traducteur juré cité comme témoin.

17. Le 16 septembre 2009, l’avocat général à la Cour de cassation déposa des conclusions écrites dans lesquelles il préconisait que la Cour de cassation casse avec renvoi l’arrêt de condamnation de la cour d’assises du 7 mai 2009. Il considéra que :

« La seule affirmation que le demandeur est coupable de meurtre ne lui permet pas de comprendre les raisons concrètes par lesquelles les jurés sont arrivés à cette conclusion et, notamment, dans quelle mesure ils se sont fondés sur les seules preuves matérielles ou testimoniales ou également sur la base des aveux rétractés et contestés en raison de la mauvaise qualité prêtée à leur traduction. »

18. Par un arrêt du 23 septembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. En tant que le pourvoi était dirigé contre l’arrêt de la cour d’assises du 5 mai 2009, la Cour de cassation releva, s’agissant du grief tiré de l’article 6 § 3 d) de la Convention :

« Le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins n’oblige pas le juge du fond à écarter une audition réalisée avec le concours d’un interprète, du seul fait que celui-ci ne comparaît pas à l’audience pour être confronté avec l’accusé qui critique sa prestation. »

En tant que le pourvoi était dirigé contre l’arrêt de la cour d’assises du 7 mai 2009, la Cour de cassation considéra que cet arrêt avait dûment motivé la peine et qu’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne pouvait être déduite de la circonstance que le requérant avait été laissé dans l’ignorance des principales raisons pour lesquelles il fut trouvé coupable. La Cour de cassation poursuivit :

« La violation invoquée n’est associée par le demandeur qu’à la présence, dans le dossier, d’auditions traduites dont il critique la fiabilité et dont il a sollicité l’écartement par une requête jugée sans fondement.

Se bornant à réitérer une contestation que l’arrêt sur incident a écartée par une motivation vainement déférée à la Cour [de cassation], le moyen est, à cet égard, irrecevable. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION (ABSENCE DE MOTIVATION)

20. Le requérant allègue que du fait de l’absence de motivation du verdict du jury sur la culpabilité, son procès n’a pas été équitable et a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

22. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé

1. Thèses des parties

23. Le requérant fait valoir que le verdict du jury ne contient aucune motivation ni aucune explication sur les raisons pour lesquelles il a été considéré coupable des faits qui lui étaient reprochés, alors qu’il a toujours plaidé non-coupable. En outre, le requérant rappelle que la législation nationale a évolué depuis l’arrêt Taxquet (précité) et qu’un arrêt tel que celui prononcé par la cour d’assises dans l’affaire du requérant serait sans aucun doute cassé par la Cour de cassation si celle-ci devait se prononcer à l’heure actuelle.

24. Le Gouvernement estime que l’acte d’accusation du 26 février 2009 contient une chronologie détaillée des investigations policières et judiciaires ainsi que des nombreuses déclarations précises des témoins. Il désigne le crime dont le requérant est accusé et démontre quels sont les éléments à charge qui, pour l’accusation, peuvent être retenus contre lui. Il s’agit en l’espèce principalement de preuves scientifiques et de témoignages. Selon le Gouvernement, les faits imputés au requérant le sont sur base de preuves fiables et de témoignages précis et concordants. Ainsi, combinées avec l’acte d’accusation, les deux questions posées au jury en l’espèce permettraient au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait avaient conduit les jurés à répondre par l’affirmative. Le requérant était dès lors en mesure de comprendre le verdict qui fut rendu et les raisons de sa condamnation. En outre, la procédure suivie revêtait suffisamment de garanties contre l’arbitraire.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

25. La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France (no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).

57. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b) Application au cas d’espèce

26. Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de trente ans du chef de meurtre et de port d’un objet utilisé comme une arme. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours plaidé non-coupable. Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

27. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont le requérant était accusé et exposait de manière détaillée les témoignages recueillis, ainsi que les résultats des expertises menées. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

28. Quant aux deux questions soumises au jury, la Cour relève qu’elles avaient trait aux deux faits principaux reprochés au requérant, l’homicide volontaire (question no 1) et le port d’un objet utilisé comme arme (question no 2). La Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant du chef de meurtre (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons la qualification de meurtre avait été retenue à son encontre alors qu’il avait plaidé non-coupable tout au long de la procédure. En outre, le requérant ne pouvait pas non plus déterminer dans quelle mesure les jurés s’étaient fondés sur les seules preuves matérielles et testimoniales ou également sur la base de ses aveux rétractés et contestés en raison de la mauvaise qualité prêtée à leur traduction. À l’égard de ces aveux, le requérant ne pouvait pas non plus déterminer les raisons pour lesquelles le jury aurait résolu la contradiction existant en ses déclarations initiales, faites avec le concours d’A.A., et ses déclarations au cours du procès, faites avec le concours d’un autre interprète, en faveur des premières déclarations.

29. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

30. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

31. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION (INTERROGATION D’UN TÉMOIN)

32. Le requérant se plaint de n’avoir pu interroger ou faire interroger le traducteur juré A.A. cité comme témoin alors même que la cour d’assises refusa d’écarter des débats les procès-verbaux établis avec le concours d’A.A. et contestés par le requérant. Il allègue la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. L’article 6 § 3 d) est libellé comme suit :

« 3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »

33. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

34. La Cour note que ce grief est étroitement lié aux faits qui l’ont amenée à conclure à une violation de l’article 6 § 1. En effet, comme elle vient de considérer (paragraphe 28, ci-dessus), en l’absence de motivation du verdict, il s’avère impossible de savoir si la condamnation du requérant s’est fondée ou non sur les procès-verbaux établis par le traducteur juré A.A. cité comme témoin (Taxquet, précité, §§ 101-102). Dans ces conditions, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

36. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

37. Toutefois, la Cour rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009, et références citées). À cet égard, la Cour relève que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (Taxquet, précité, §§ 38-42). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée (Taxquet, précité, § 107).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-152535
Date de la décision : 17/02/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : KURT
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : D'AMICO R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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