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27/11/2014 | CEDH | N°001-148230

CEDH | CEDH, AFFAIRE A.E. c. GRÈCE, 2014, 001-148230


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE A.E. c. GRÈCE

(Requête no 46673/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2014

DÉFINITIF

27/02/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire A.E. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pin

to de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE A.E. c. GRÈCE

(Requête no 46673/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2014

DÉFINITIF

27/02/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.E. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46673/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant turc, A.E. (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes E. Spathana et P. Masouridou, avocates au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur au Conseil juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement turc n’a pas répondu.

3. Le requérant allègue en particulier des violations des articles 3 et 5 de la Convention relatives à sa détention à la police des frontières de Thermi et à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique.

4. Le 6 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

5. Le requérant est né en 1958 et, lors de l’introduction de la requête, il résidait à Lavrio Attikis. Le 10 septembre 2009, le requérant, d’origine kurde alévie, entra en Grèce depuis la Turquie. Il affirme que des poursuites pénales étaient pendantes contre lui en raison de son activité politique dissidente en Turquie et qu’il possédait de ce fait des faux documents de voyage sur lesquels il apparaissait au nom de A.C. Le même jour le requérant fut appréhendé par les autorités de police du poste frontière de Thermi (Thessalonique).

6. Le 10 septembre 2009, il fut renvoyé devant le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique, qui n’exerça pas de poursuites pénales afin de le renvoyer vers son pays d’origine. Le même jour, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna la mise en détention provisoire du requérant pour une période maximale de trois jours, jusqu’à la reddition de la décision de son expulsion (décision no 357435/2a).

7. Le 11 septembre 2009, le requérant fut interrogé par la police sur les raisons pour lesquelles il avait décidé d’entrer sur le territoire grec et sur les conditions sous lesquelles il y était parvenu. Le requérant allègue que pendant son interrogatoire une dame faisait office de traductrice, sans pour autant maîtriser le turc, ce qui aurait compliqué la communication avec les autorités. Il affirme aussi qu’il demanda l’asile politique mais que sa demande ne fut pas enregistrée par les autorités. Le requérant relève aussi que suite à son arrestation, il ne reçut aucune brochure informative sur ses droits et les recours possibles ni d’information sur les recours possibles pour contester la décision sur son expulsion.

8. Par une décision du 13 septembre 2009, le directeur de police de Thessalonique ordonna l’expulsion du requérant, au nom de A.C., et son maintien en détention pour une période de six mois ou douze mois dans le cas où il refuserait de collaborer avec les autorités ou si l’établissement des documents de voyage par son pays d’origine traînait en longueur (décision no 357435/2-γ). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures. Elle réitérait qu’il risquait de fuir et ainsi compromettre l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Enfin, la décision no 357435/2-γ prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours dans un délai de cinq jours.

9. Le 14 septembre 2009, le requérant fut transféré à la police des étrangers de Thessalonique où il déposa oralement, par le biais de son avocate et sous le nom de A.C., une demande d’asile.

10. Le 18 septembre 2009, il déposa, en vertu de l’article 77 de la loi no 3386/2005, un recours contre la décision d’expulsion. Le requérant affirmait qu’il était entré sur le territoire grec parce que sa vie était en danger en Turquie. Il relevait aussi que son nom réel était A.E. mais qu’à son arrestation il avait déclaré le faux nom d’A.C. au lieu de son nom réel, A.E., par crainte de son sort s’il était expulsé en Turquie où il faisait l’objet de poursuites en raison de son activité politique. Il affirmait aussi qu’il avait déjà introduit une demande d’asile politique. Le 21 septembre 2009, ledit recours fut rejeté par la décision no 357435/2-ζ/21.9.2009 du directeur de la police des étrangers de Thessalonique.

11. Le 8 octobre 2009, le requérant, sous le nom de « A.C. ou A.E. », saisit le tribunal administratif d’objections, en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, contre son maintien en détention. Il se référa notamment à sa qualité de demandeur d’asile, fait qui aurait dû entraîner son élargissement. Le requérant invoquait aussi qu’en raison de son activité politique en Turquie son expulsion vers ce pays l’exposerait au risque de subir des tortures et/ou un traitement dégradant.

12. Le même jour les objections furent rejetées par le président du tribunal administratif. En particulier, il fut considéré que les conditions d’entrée du requérant sur le territoire grec ne permettaient pas de considérer qu’en cas d’élargissement il collaborerait avec les autorités en vue de la réalisation de son expulsion. Il fut aussi admis que sa mise en détention était légale et que sa demande d’asile serait examinée selon une procédure accélérée.

13. Le 19 janvier 2010, le requérant fut auditionné par le Comité administratif des réfugiés en vue de l’examen, en premier et dernier degré, de sa demande d’asile. Il soumit auprès du Comité des documents dont résulteraient son état de santé fragile, son activité politique dissidente en Turquie et le risque encouru en cas d’expulsion vers ce pays.

14. Le 4 février 2010, le directeur de la police des étrangers de Thessalonique, après avoir pris en compte l’avis daté du 19 janvier 2010 du Comité précité, considéra que le requérant ne remplissait pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié. La demande d’asile du requérant fut rejetée. En outre, après avoir pris en considération des risques encourus en cas de retour en Turquie, le directeur de la police des étrangers l’admit, en vertu de l’article 18 du décret présidentiel no 96/2008, au bénéfice de la protection internationale subsidiaire, vu son activité politique dissidente en Turquie, et lui accorda une carte de séjour temporaire. Le même jour le requérant fut remis en liberté.

B. Les conditions de détention dans les locaux de Thermi et à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique

1. La version du requérant

15. Le requérant fut détenu du 10 au 14 septembre 2009 dans les locaux de la police des frontières de Thermi. Du 14 septembre 2009 au 4 février 2010, il fut détenu à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il allègue que les conditions de détention dans ces endroits étaient déplorables et rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend qu’à Thermi, sa cellule ne disposait ni de toilettes ni d’eau potable et qu’il n’y avait pas de lumière naturelle. Il affirme que les autorités lui ont confisqué ses médicaments lors de sa mise en détention, malgré le fait qu’il souffrait d’insuffisance cardiaque et qu’en 2008 il avait subi un pontage aorto-coronarien. Le requérant allègue qu’en général son état de santé fragile n’a pas dûment été pris en compte par les autorités pendant sa détention.

16. En ce qui concerne les cellules de la police des étrangers de Thessalonique, le requérant allègue qu’elles étaient surpeuplées. Pendant la période de sa détention, il y avait vingt personnes qui occupaient sa cellule. L’éclairage, tant naturel qu’artificiel, était insuffisant. Les cellules n’avaient pas de lits. Il n’y avait aucune possibilité de se livrer à une activité physique à l’extérieur, ni de bénéficier d’une activité récréative à l’intérieur. Il recevait la somme de 5,80 euros par jour pour sa nourriture, ce qui était insuffisant pour se procurer trois repas. Enfin, il allègue que, malgré son état de santé, il partageait sa cellule avec des fumeurs et des toxicomanes, ce qui ne pouvait que l’affecter de manière négative.

2. La version du Gouvernement

17. D’après le Gouvernement, les locaux de la police des frontières de Thermi ont été construits en 2008 et ils sont d’une superficie de 40 mètres carrés. À l’époque où le requérant y fut détenu, il partageait sa cellule avec six autres personnes. Le Gouvernement relève que lesdits locaux correspondent de manière satisfaisante aux conditions de sécurité et d’hygiène prescrites par les textes nationaux et internationaux. Il note que les cellules sont suffisamment aérées et lumineuses, et qu’un nombre suffisant de lits, de toilettes, de douches et un poste de téléphone sont à la disposition des détenus. De plus, le Gouvernement affirme que le 11 septembre 2009, le requérant fut transféré à l’hôpital « Georgios Papanikolaou » où il fut constaté que dans le passé il avait subi une opération de pontage coronarien. Néanmoins, il ne fut pas considéré qu’il souffrait d’un problème cardiaque aigu. Pour cette raison, des médicaments lui ont été administrés avant son retour au centre de détention.

18. Par ailleurs, en ce qui concerne les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, le Gouvernement argue que ceux-ci comprennent dix cellules, chacune d’une superficie de 59 m2 environ, d’une capacité totale de quatre-vingt-dix détenus. Chaque cellule dispose de deux toilettes et de douches offrant de l’eau chaude, auxquels les détenus pouvaient avoir accès pendant toute la journée. Les locaux étaient régulièrement aérés et restaient suffisamment lumineux. L’alimentation des détenus était de bonne qualité et ceux-ci avaient le droit de recevoir des visites trois fois par semaine.

II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE INTERNATIONALE PERTINENTS

A. Le droit national

19. La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 55-66 de l’arrêt Ahmade c. Grèce (no 50520/09, 25 septembre 2012).

20. En outre, les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, disposaient :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...). L’étranger détenu peut (...) former des objections devant le président (...) du tribunal administratif à l’encontre de la décision ordonnant la détention (...)

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il est fixé à celui-ci un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

Article 78

« Si l’expulsion immédiate de l’étranger n’est pas possible pour des motifs de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une autre décision, il impose à l’étranger des mesures restrictives. »

21. L’article 55 de la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, a amendé l’article 76 de la loi no 3386/2005. Cette disposition se lit désormais ainsi :

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

(...)

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré, en raison des circonstances, comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, lorsqu’il fait obstacle à ou empêche la préparation de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsque la décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais elle ne peut en aucun cas dépasser six mois. Dans le cas où l’expulsion est repoussée parce que l’intéressé refuse de coopérer ou que les documents nécessaires à l’exécution de la mesure, devant être établis dans le pays d’origine ou le pays de transit, n’ont pas été réceptionnés, la détention peut être prolongée pour une durée maximum de douze mois (...) »

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours (...)

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être annulée à la requête des parties, si leur demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

22. En outre, à l’époque des faits, était applicable l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008, ayant incorporé dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/EC du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales au sujet des procédures suivant lesquelles les États membres accordent et retirent le statut de réfugié). Ledit article prévoyait :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande à bénéficier du statut de réfugié ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui a déposé une demande d’asile alors qu’elle est détenue et à l’encontre de laquelle une procédure d’expulsion est pendante restera en détention et sa demande sera examinée en priorité absolue. Elle ne peut pas être expulsée tant que la procédure administrative d’asile n’est pas achevée.

(...)

3. Les demandeurs d’asile détenus (...) ont le droit de former un recours et de formuler des objections en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005. »

23. L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 (statut du réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides), entré en vigueur le 22 novembre 2010, a remplacé l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008. Cette nouvelle disposition stipule :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui, lors de sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention de demandeurs dans un espace approprié est permise de manière exceptionnelle et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance, et ce notamment dans le cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins ;

b) le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour les motifs qui sont spécifiquement détaillés dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

3. La décision ordonnant la détention des demandeurs de protection internationale est prise par le directeur de la police compétent et, s’agissant des directions générales de la police d’Attique et de Thessalonique, par le directeur de la police compétent pour les étrangers. La décision doit comporter une motivation complète et détaillée.

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue de son expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus conformément aux paragraphes précédents ont le droit (...) de formuler des objections prévues au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 modifiée.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

a) veiller à ce que les femmes soient détenues dans un espace séparé de celui des hommes ;

b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour la période nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ;

c) éviter la détention de femmes enceintes dont la grossesse est à un stade avancé et de femmes qui viennent d’accoucher ;

d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;

e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;

g) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

B. Les textes provenant des instances internationales

1. En ce qui concerne la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique

a) Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) suite à sa visite du 23 au 29 septembre 2008 aux postes de police et centres de détention pour étrangers

24. Le CPT visita, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Dans son rapport du 30 juin 2009, il nota l’absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas mis par terre. De plus, le rapport releva l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique et souligna que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur. Sur ce point, le CPT fit état des griefs provenant des personnes détenues alléguant qu’avec cette somme elles ne pouvaient pas acheter plus que deux sandwichs par jour. Le CPT recommanda aux autorités nationales de faire en sorte que toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion soient servies d’un plat cuisiné (de préférence chaud), au moins une fois par jour.

b) Les constats du CPT suite à sa suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers

25. Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.

c) Le rapport d’Amnesty International de 2010

26. Dans son rapport publié en juillet 2010 et intitulé « Des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile systématiquement détenus dans des conditions inadéquates », l’Amnesty International faisait état du surpeuplement, du manque de lits et de l’impossibilité de faire de l’exercice physique à la direction de la police des étrangers à Thessalonique. Le rapport comprend aussi des entretiens avec des étrangers détenus à Thessalonique en 2009 et au début de 2010. Selon leurs dires, il y aurait entre vingt-cinq et trente personnes par cellule, sans possibilité d’activités récréatives et avec une qualité insuffisante de repas (page 37 du rapport).

d) La déclaration publique du CPT

27. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :

« (...)

3. Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.

(...)

6. Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

7. Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

2. En ce qui concerne la police des frontières de Thermi

28. Dans son rapport publié le 30 juin 2009, suite à sa visite en Grèce en septembre 2008, le CPT constatait que les locaux de la police des frontières de Thermi offraient des bonnes conditions de détention, mis à part l’absence d’une cour extérieure permettant l’exercice physique (paragraphe 28 du rapport).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION QUANT AUX CONDITIONS DE DÉTENTION

29. Le requérant se plaint des conditions de sa détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi et ceux de la sous-direction des étrangers de Thessalonique. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

30. Le Gouvernement excipe tout d’abord l’irrecevabilité de ce grief faute pour le requérant d’avoir saisi les autorités nationales d’un recours visant ses conditions de détention.

31. Le requérant souligne que l’ordre juridique grec ne prévoit aucun recours pour se plaindre des conditions de détention.

32. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

33. En l’occurrence, la Cour note en premier lieu que le requérant a saisi le 8 octobre 2009, le tribunal administratif d’objections contre son maintien en détention. À travers ce recours, il souhaitait mettre fin à sa détention en vue de son expulsion, ce qui a fortiori aurait comme conséquence de ne plus subir des conditions de détention prétendument dégradantes.

34. En outre, la Cour estime que, à la différence d’affaires précédentes où elle a déjà conclu à l’irrecevabilité des requêtes faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours que leur offrait le droit interne (voir Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007, et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007), dans la présente affaire le requérant ne se plaint pas uniquement de sa situation personnelle mais il allègue être personnellement affecté par les conditions prévalant dans l’enceinte des locaux de détention en cause (voir, mutatis mutandis, Lica c. Grèce, no 74279/10, 17 juillet 2012). La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré en ce genre de cas que les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient pas à eux seuls à remédier à la situation dénoncée (Lica, précité, § 38). Ce constat s’applique mutatis mutandis dans la présente affaire, concernant, elle, les conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi et la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique.

35. Enfin, la Cour constate que le grief tiré de l’article 3 quant aux conditions de détention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

36. Le Gouvernement renvoie à sa version des conditions de détention régnant à la police des frontières de Thermi et dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique. Il ajoute que les conditions de détention du requérant étaient acceptables et que son suivi médical adéquat. De surcroît, le Gouvernement estime que les allégations du requérant sont vagues et qu’il ne se réfère pas à sa situation personnelle à Thermi et à Thessalonique. De l’avis du Gouvernement, les allégations du requérant ne suffisent pas pour fonder une violation de l’article 3 de la Convention. En général, le Gouvernement estime qu’en l’occurrence les autorités compétentes ont fait de leur mieux afin que le requérant soit détenu dans des conditions qui ne porteraient pas atteinte à son intégrité physique et morale.

37. En se référant à sa version des faits, le requérant affirme d’abord, de manière générale, qu’il existe en Grèce une pratique constante et persistante de détention des migrants clandestins pour des périodes prolongées dans des locaux inappropriés, y compris ceux de Thermi et de Thessalonique. Il souligne que cette pratique a déjà fait l’objet de rapports d’organisations internationales, nationales, gouvernementales et non gouvernementales. En particulier, il relève qu’à la sous-direction de la police de Thessalonique où il est resté la plupart du temps de sa détention, vingt personnes séjournaient dans un espace qui n’excédait pas les cinquante mètres carrés. Les matelas étaient sales, le suivi médical inadéquat, la nourriture insuffisante et les toxicomanes étaient détenus avec les autres. Il n’y avait aucune possibilité d’exercice.

2. Appréciation de la Cour

38. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI, Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67‑68, CEDH 2001‑III, Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, §§ 34-37, 26 novembre 2009; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011, R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011, A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 68-70, 13 juin 2013, et De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 43, 26 juin 2014).

39. En l’espèce, la Cour relève qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du caractère inadéquat des conditions de détention prévalant aux centres de rétention faisant l’objet de la présente requête. S’agissant des locaux de la police des frontières de Thermi, elle a déjà jugé dans l’affaire Efremidze c. Grèce (no 33225/08, arrêt du 21 juin 2011) que les conditions de détention de la requérante, qui y a été détenue pour une période de trois mois, n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention. La Cour a notamment retenu que les locaux de police, comme ceux de Thermi, « de par leur nature même (...) [étaient] destinés à accueillir des personnes pour de très courtes durées » (Efremidze, précité, §§ 41-42).

40. La Cour note qu’à la différence de l’affaire Efremidze, en l’occurrence le requérant a été détenu dans les locaux de la police de Thermi pour une période très courte, à savoir pour quatre jours, avant d’être transféré à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. La Cour relève aussi que, selon le rapport du CPT, publié le 30 juin 2009, les locaux de la police des frontières de Thermi offraient, en général, des bonnes conditions de détention (voir paragraphe 28 ci-dessus). Partant, au vu de la détention de durée très courte du requérant à Thermi combinée avec les conditions générales de détention, comme elles ont été constatées par CPT en 2009, la Cour conclut que la détention du requérant dans les locaux précités ne s’est pas analysée en un traitement dégradant, pouvant être considéré comme contraire à l’article 3 de la Convention.

41. Quant à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, la Cour relève que dans l’affaire Tabesh (arrêt précité), elle a déjà considéré que le fait d’y maintenir l’intéressé pour une période de trois mois, au début de 2007, s’analysait en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Mis à part les problèmes de promiscuité et d’hygiène, la Cour a notamment relevé des insuffisances quant aux activités récréatives et à la restauration appropriée de l’intéressé. Elle a ajouté que les locaux en cause n’étaient pas des lieux appropriés pour la détention que le requérant, mis en détention en vue de son expulsion administrative, avait dû subir (Tabesh, précité, §§ 41 et 43). La Cour note que ses considérations dans l’arrêt Tabesh sont corroborées, en ce qui concerne la période postérieure à cet arrêt, par le rapport d’Amnesty International de 2010 qui fait état au début de cette année du problème de surpeuplement, de l’impossibilité d’activités récréatives et de l’insuffisance des repas offerts (voir paragraphe 26 ci-dessus). En outre, la Cour constate que dans sa déclaration publique de janvier 2011 concernant la Grèce, le CPT a relevé que, malgré les affirmations des autorités grecques qu’elles allaient mettre fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet, les établissements de la police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore (voir paragraphe 27 ci-dessus).

42. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le fait de maintenir le requérant en détention prolongée dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique lui a causé une souffrance considérable et s’analyse en un traitement dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention (voir, Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 50, 27 juillet 2006, Shchebet c. Russie, no 16074/07, § 91, 12 juin 2008, et Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, § 33, 4 juin 2009).

43. En somme, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 §§ 1 ET 4 AINSI QUE 13 DE LA CONVENTION

44. Le requérant se plaint de l’irrégularité de sa mise en détention aux fins d’expulsion ainsi que de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention. Il invoque les articles 5 §§ 1 et 4 ainsi que 13 de la Convention, dispositions dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention relatif à la régularité de la mise en détention

1. Sur la recevabilité

45. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

46. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était prévue par la loi, à savoir l’article 76 de la loi no 3386/2005. De plus, la légalité de la détention a été examinée par un tribunal. Le Gouvernement affirme que, lorsque le requérant a déposé sa demande d’asile, il se trouvait déjà en détention, ce qui n’était pas interdit selon la disposition interne pertinente, à savoir l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008, ayant été remplacé le 22 novembre 2010 par l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010. Le Gouvernement ajoute qu’à son arrestation le requérant avait déclaré de faux éléments d’identité et partant sa détention était nécessaire afin de vérifier sa véritable identité et sa provenance. Enfin, le Gouvernement argue qu’il ne s’est jamais plaint auprès des autorités nationales d’une quelconque omission d’enregistrer sa demande d’asile. Il estime donc que son grief à cet égard est non seulement manifestement mal fondé mais aussi abusif.

47. Le requérant soutient que sa détention était arbitraire notamment en raison de sa durée combinée avec les conditions de celle-ci, de son état de santé et du fait que depuis le 14 septembre 2009 il avait déposé une demande d’asile.

b) Appréciation de la Cour

48. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Barjamaj c. Grèce, no 36657/11, §§ 36-38, 2 mai 2013, et Khuroshvili c. Grèce, no 58165/10, §§ 107-108, 12 décembre 2013).

49. En l’occurrence, la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Partant, la Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que, en ce qui concerne l’article 5 § 1 f), tant qu’un individu est détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion, rien n’exige des motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention pour, par exemple, empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant servait le but de l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et de garantir la possibilité de procéder à son expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.

50. En second lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II). En l’espèce, la Cour note que l’expulsion du requérant n’était pas possible dans l’immédiat en raison des démarches administratives y afférentes. Partant, la Cour aura égard à la spécificité de son cas pour conclure si la durée de la détention a excédé le délai raisonnable nécessaire pour matérialiser son expulsion.

51. La Cour relève tout d’abord que le requérant a été détenu pour une période de cinq mois environ, à savoir du 10 septembre 2009 au 4 février 2010, date à laquelle il a été remis en liberté après s’être vu accorder par l’organe administratif compétent le statut du bénéficiaire de la protection internationale subsidiaire. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas être considéré en principe comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion. En particulier, la Cour prend en ce sens en compte qu’à son arrestation le requérant possédait des faux documents et pour cette raison les autorités nationales l’ont initialement enregistré sous un faux nom. Il était ainsi raisonnable que les autorités mettent un certain temps pour la vérification de son identité véritable.

52. Il n’en reste pas moins que le 18 septembre 2009, à savoir huit jours après son arrestation, le requérant a introduit son recours contre la décision d’expulsion sous son vrai nom. Il indiquait aussi qu’il avait initialement déclaré aux autorités un faux nom par crainte de son sort s’il était expulsé en Turquie en raison de son activité politique dissidente. Il ne devrait donc pas lui être reproché d’avoir entravé la procédure de vérification de son identité par les autorités et, a fortiori, son expulsion. En outre, la Cour constate que plus de quatre mois se sont écoulés avant que l’administration rejette la demande d’asile du requérant, tout en lui accordant en même temps la protection internationale subsidiaire. La Cour relève que, selon la législation applicable à l’époque des faits, à savoir l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008, la demande d’asile d’une personne déjà détenue devait être examinée « en priorité absolue » (voir paragraphe 22 ci-dessus). Étant donné que le requérant n’avait pas entravé son expulsion et que le Gouvernement n’avance pas des raisons particulières qui auraient pu justifier ledit retard dans le traitement de sa demande d’asile, la Cour estime que le laps de temps de plus de quatre mois mis pour l’examen de celle-ci était excessif. Cela est d’autant plus vrai que, selon la législation pertinente, pendant ce temps l’expulsion du requérant ne pouvait pas avoir lieu et les autorités internes ne pouvaient pas procéder aux démarches nécessaires en vue de celle-ci. Partant, vu les circonstances de l’espèce, le prolongement de sa détention pour une telle période n’était pas justifié.

53. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les autorités internes n’ont pas agi avec la diligence requise afin d’atteindre le but poursuivi de l’expulsion du requérant. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

B. Sur les griefs tirés des articles 5 § 4 et 13 de la Convention relatifs à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention

1. Sur la recevabilité

54. La Cour constate que les présents griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

55. Le Gouvernement allègue qu’en vertu de la loi no 3900/2010, l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et le juge administratif a dorénavant expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. En ce sens, le Gouvernement soumet à la Cour des décisions adoptées par des présidents des tribunaux administratifs en 2011 et 2012 dans lesquelles l’état de la santé des intéressés ou le fait qu’ils étaient des mineurs a été pris en compte afin de conclure si leur détention devait être poursuivie. Le Gouvernement affirme que le moyen de droit prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005 est effectif au sens de l’article 5 § 4 et que des griefs tirés des conditions de détention pouvaient être soulevés au travers de ce recours.

56. Le requérant rétorque qu’à l’époque des faits la législation interne ne lui permettait pas de contester la légalité de sa détention.

b) Appréciation de la Cour

57. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009, A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 70, 22 juillet 2010, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

58. En l’espèce, la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait à l’époque des faits que ledit organe judiciaire pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, précité, § 73 ; Tabesh, précité, § 62 ; S.D. c. Grèce, précité, § 73).

59. Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010 le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation ». Il ressort de cette nouvelle formulation que le juge compétent peut dorénavant examiner la légalité du renvoi ainsi que les questions afférentes aux conditions matérielles de la détention de la personne en voie d’expulsion, dans la mesure où la loi pertinente prévoit maintenant explicitement l’examen de la légalité de la détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence les faits litigieux, quant au grief tiré de l’article 5 § 4, ont eu lieu fin 2009 et durant le début de l’année 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire (voir Herman et Serazadishvili, précité, § 72).

60. La Cour considère que ces insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion n’ont pas permis au requérant de contester la légalité de son renvoi. Partant, elles ne peuvent pas se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle conclut donc qu’il y a eu violation dans le cas du requérant de cette disposition.

61. Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

62. Invoquant l’article 2 de la Convention, le requérant se plaint que ses conditions de détention ont mis en danger son pronostic de vie. En outre, il se plaint d’une violation des articles 3 et 5 § 2 combinés avec l’article 13 de la Convention, en raison des déficiences dans l’examen de sa demande d’asile et du fait qu’en cas d’expulsion en Turquie il s’exposerait sans aucun doute à des traitements inhumains. Il dénonce aussi des défaillances du service de traduction et du fait que la brochure informative fournie par les autorités ne relatait pas de manière adéquate dans sa langue les motifs de la mise en détention et les recours disponibles.

63. S’agissant du grief tiré de l’article 2 de la Convention, la Cour note qu’il ne ressort aucunement du dossier que le pronostic de vie du requérant a été engagé pendant sa détention. Tout au contraire, au début de sa détention, le requérant a été transféré à un hôpital, où il a été certifié qu’il ne souffrait pas de problèmes cardiaques aigus et un traitement médical lui a été administré. Partant, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

64. Quant aux autres griefs, la Cour note tout d’abord que le 4 février 2010, l’organe administratif compétent a accordé au requérant le bénéfice de la protection internationale subsidiaire. Sur fondement de cette décision, le requérant a aussi été remis en liberté. Partant, la Cour ne décèle pas de risque présent d’expulsion du requérant en Turquie. En tout état de cause, le risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion vers la Turquie ne ressort pas du dossier. Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter cette partie du grief tiré des articles 3 et 13 de la Convention comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

65. Enfin, s’agissant du grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, la Cour considère que le principal grief présenté sous l’angle de l’article 5 § 2 concerne non pas l’incompréhension par le requérant des raisons de son arrestation ou de sa détention, mais son incapacité à comprendre le contenu de la brochure concernant ses droits. Au vu de sa conclusion au titre de l’article 5 § 4 de la Convention, elle estime que ce grief doit être déclaré recevable mais qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sous l’angle de l’article 5 § 2 (Rahimi, précité, § 121).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

66. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

67. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

68. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et affirme que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. En tout état de cause, il estime que la somme à allouer en tant que satisfaction équitable ne saurait dépasser 1 000 EUR.

69. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de ses droits garantis par les articles 3, 5 §§ 1 et 4 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 8 000 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

70. Sans préciser de montant, le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour.

71. Le Gouvernement observe que les prétentions du requérant sont vagues.

72. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence, et en l’absence de prétentions spécifiques au titre des frais et dépens ainsi que de notes d’honoraires versées au dossier, la Cour décide de ne pas allouer de somme à ce titre au requérant.

C. Intérêts moratoires

73. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3, en ce qui concerne les conditions de détention du requérant, de l’article 5 §§ 1, 2 et 4 ainsi que de l’article 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 5 § 2 et 13 de la Convention ;

6. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


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