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18/11/2014 | CEDH | N°001-148092

CEDH | CEDH, AFFAIRE YIMAM c. BELGIQUE, 2014, 001-148092


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YIMAM c. BELGIQUE

(Requête no 39781/09)

ARRÊT

STRASBOURG

18 novembre 2014

DÉFINITIF

18/02/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Yimam c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidiju

s Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,

Rend l’arrêt q...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YIMAM c. BELGIQUE

(Requête no 39781/09)

ARRÊT

STRASBOURG

18 novembre 2014

DÉFINITIF

18/02/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Yimam c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39781/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Tesfaye Yimam (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté devant la Cour par Me M. Decat, avocate à Overijse, et Me G. Massaer, avocat à Louvain. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue que son droit à un procès équitable a été violé du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans.

4. Le 10 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970. Il est détenu à la prison de Louvain.

6. Soupçonné d’avoir tenté de donner la mort à son ex-compagne K.T.B., le requérant fit l’objet d’une procédure pénale. L’acte d’accusation du 19 août 2008 fit état des éléments suivants : alors que K.T.B. rentrait chez elle après être allée au supermarché, le requérant l’attendait dans la rue devant son immeuble. Une dispute éclata entre eux et, après des coups et des insultes réciproques, le requérant aurait sorti un couteau avec lequel il poignarda K.T.B. à plusieurs reprises. L’acte d’accusation faisait notamment valoir qu’il ressortait de l’enquête policière et judiciaire, en particulier des témoignages des proches et de la victime, que le requérant poursuivait et observait K.T.B. presque systématiquement et qu’il l’aurait déjà menacée de mort par le passé.

7. Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles du 7 février 2008, il fut mis en accusation d’avoir, à Louvain, le 3 juillet 2006 :

[traduction]

« volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, tenté de donner la mort à [K.T.B.], alors que la résolution de commettre le crime a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur. »

8. Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Brabant flamand du 20 au 24 octobre 2008.

9. Le jury fut appelé à répondre à six questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :

[traduction]

« Première question (question principale – à répondre dans tous les cas) :

Tesfaye YIMAM, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir :

à Louvain, le 3 juillet 2006, volontairement, avec intention de donner la mort, tenté de donner la mort à [K.T.B.], alors que la résolution de commettre le crime a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.

Réponse : OUI

Deuxième question (question accessoire à la première – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la première question) :

L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il commis la tentative d’homicide, telle que décrite à la première question, avec préméditation ?

Réponse : OUI

Troisième question (question principale subsidiaire – ne répondre que s’il a été répondu NON à la première question) :

Tesfaye YIMAM, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir :

à Louvain, le 3 juillet 2006, volontairement infligé des coups ou des blessures à [K.T.B.] ?

Quatrième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :

L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il infligé les coups ou blessures, tels que décrits à la troisième question, avec préméditation ?

Cinquième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :

Le fait, tel que décrit à la troisième question, a-t-il été commis avec la circonstance que les coups ou blessures ont entraîné une incapacité de travail personnel ?

Sixième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :

L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il commis les faits, tels que décrits à la troisième question, sur une personne avec qui il a vécu et a entretenu une relation affective et sexuelle durable ? »

10. Par un arrêt du 24 octobre 2008, la cour d’assises condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de vingt ans.

11. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt et invoqua, en particulier, une violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que tant l’arrêt de condamnation de la cour d’assises que le verdict de culpabilité n’étaient pas motivés.

12. Par un arrêt du 27 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que le juge motive régulièrement sa décision dès lors qu’il juge que les faits tels que décrits par la loi sont établis. Aussi, elle considéra que le seul fait que les jurés répondent par un simple « oui » ou « non » aux questions qui leur sont posées sans autre motivation n’entraîne pas en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après la Cour de cassation, la procédure devant la cour d’assises ainsi que la composition du jury formeraient des garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure d’assises permettrait à l’accusé de disposer d’une décision motivée sur la légalité et la régularité des preuves, et lui permettrait de comprendre de manière suffisante quels preuves ou moyens de défense le jury avait retenu pour former son verdict. En l’espèce, la Cour de cassation constata que l’acte d’accusation, qui avait été signifié au requérant avant le début du procès, décrivait les faits reprochés au requérant de manière très concrète ; que l’acte de défense avait été lu pendant l’audience et avait été distribué aux jurés ; que le simple fait que l’arrêt ne mentionnait pas l’acte de défense n’indiquait en rien que la cour d’assises n’y avait pas eu égard ; que le requérant n’avait pas contesté qu’il avait donné des coups de couteau à la victime mais il demandait à la cour d’assises de requalifier les faits comme coups et blessures ; que le requérant n’avait à aucun moment déposé des conclusions soulevant un problème de droit ou une contestation de fait ; et que le requérant n’avait pas demandé à ce qu’une question subsidiaire soit posée concernant une cause d’excuse. L’arrêt de la cour d’assises était donc régulièrement motivé dès lors qu’il reprenait le verdict du jury qui avait répondu affirmativement aux questions qui lui étaient posées.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. Le requérant allègue que du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises, son procès n’a pas été équitable et a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

15. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

16. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

17. Le requérant fait valoir que l’absence de motivation du verdict du jury ainsi que de l’arrêt de la cour d’assises empêche tout contrôle de la légalité de la décision du jury et de l’arrêt. De la sorte, le requérant n’était pas en mesure de déterminer s’il avait été déclaré coupable de manière arbitraire et si les règles procédurales en matière de preuves et de charge de la preuve avaient été respectées. Ainsi, le requérant ne sait pas quels sont les faits considérés comme avérés par le jury, pourquoi le jury considère ces faits comme avérés et enfin comment ces faits sont, ensemble, constitutifs des infractions qui lui étaient reprochées. De plus, contrairement à l’acte d’accusation, l’acte de défense présenté par le requérant n’est pas remis aux jurés lorsque ceux-ci se retirent pour délibérer. Le requérant ne pouvait donc pas savoir si l’acte de défense avait bien été pris en compte par le jury ou non, et ce alors que le requérant avait, dans son acte de défense, fait valoir que certains éléments constitutifs des chefs d’accusation n’étaient pas présents en l’espèce. L’arrêt de la cour d’assises ne mentionnait d’ailleurs pas que la cour d’assises avait eu égard à l’acte de défense. En particulier, le requérant avait fait valoir qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer son ex-compagne et, a fortiori, qu’il n’avait pas prémédité son geste. Pour le requérant, en l’absence de motivation du verdict du jury, la cour d’assises devait à tout le moins expliquer pour quelles raisons elle ne se distanciait pas du verdict du jury comme le lui permettait l’article 352 du code d’instruction criminelle tel qu’en vigueur au moment des faits.

18. Le Gouvernement rappelle que, devant la cour d’assises, les pièces du dossier ont été déposées, que l’acte d’accusation a été lu et les nombreux témoins interrogés et que le requérant a été entendu sur ses remarques à propos des témoignages. Six questions ont été posées au jury pour chaque fait et concernant les circonstances aggravantes. Le Gouvernement rappelle également que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant au motif que les coups de couteau n’étaient pas contestés par le requérant et que l’acte d’accusation décrivait les faits de manière très précise. Le requérant pouvait donc comprendre les raisons pour lesquelles il a été condamné pour tentative d’assassinat.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

19. La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. En particulier, dans l’arrêt Agnelet c. France (no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ce qui suit :

«56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).

57. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b) Application au cas d’espèce

20. Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans pour tentative d’assassinat. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours contesté avoir eu l’intention de tuer et, a fortiori, d’avoir prémédité son acte. Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

21. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont le requérant était accusé et exposait de manière détaillée le déroulé des faits qui pouvait être reconstitué par les témoignages de la victime, des témoins oculaires et des proches de la victime ainsi que les dépositions du requérant. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

22. Quant aux six questions soumises au jury, la Cour relève qu’elles avaient trait aux deux qualifications distinctes débattues au cours du procès – celle d’homicide (question no 1) et celle de coups et blessures volontaires (question no 3) – ainsi qu’à chacune des circonstances aggravantes (questions no 2, 4, 5 et 6). Toutefois, la Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant du chef de tentative d’assassinat (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons la qualification de tentative d’assassinat avait été retenue à son encontre plutôt que celle de coups et blessures volontaires alors que le requérant contestait fermement tant sa volonté de tuer que le fait d’avoir prémédité son acte. Le requérant ne pouvait pas non plus appréhender pourquoi la circonstance aggravante de préméditation avait été retenue à son encontre.

23. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99).

24. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

25. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

27. Le requérant réclame 178 850 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi, soit 70 EUR pour chaque jour de détention.

28. Le Gouvernement considère que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, une somme moindre doit être allouée au requérant. Il s’en remet pour cela à la sagesse de la Cour.

29. La Cour estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt (paragraphe 25 ci-dessus) ne suffit pas à remédier. La Cour rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009 et références citées). À cet égard, la Cour relève que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (Taxquet, précité, §§ 38-42). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée (Taxquet, précité, § 107). Eu égard à cette possibilité et statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant un montant de 2 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, dans le même sens, Fraumens c. France, no 30010/10, § 56, 10 janvier 2013; Castellino, précité, § 52).

B. Frais et dépens

30. Le requérant n’a présenté aucune demande pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

31. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

32. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-148092
Date de la décision : 18/11/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : YIMAM
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DECAT M. ; MASSAER G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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