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28/10/2014 | CEDH | N°001-147603

CEDH | CEDH, AFFAIRE HEBAT ASLAN ET FİRAS ASLAN c. TURQUIE, 2014, 001-147603


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HEBAT ASLAN ET FİRAS ASLAN c. TURQUIE

(Requête no 15048/09)

ARRÊT

STRASBOURG

28 octobre 2014

DÉFINITIF

28/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen

Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du cons...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HEBAT ASLAN ET FİRAS ASLAN c. TURQUIE

(Requête no 15048/09)

ARRÊT

STRASBOURG

28 octobre 2014

DÉFINITIF

28/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 octobre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15048/09) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Hebat Aslan et Firas Aslan (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 16 octobre 2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 5 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Procédure pénale et décisions relatives à la détention des requérants

4. Les requérants sont nés respectivement en 1987 et 1988 et résident à Istanbul.

5. Le 31 décembre 2008, ils furent arrêtés dans le cadre d’une enquête relative à des personnes soupçonnées d’avoir participé à des actions commises au nom de l’organisation illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).

Avant l’arrestation des requérants, le 1er mars 2008, le juge près la cour d’assises d’Istanbul (« le juge ») avait pris, sur le fondement de l’article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), la décision de limiter l’accès des suspects et de leur avocat au dossier d’enquête, et ce aux fins de ne pas compromettre le bon déroulement de l’enquête.

6. Le 2 janvier 2009, les requérants furent interrogés par la police en présence de leur avocat sur les faits qui leur étaient reprochés, notamment relativement au contenu de conversations téléphoniques qui avaient été interceptées et d’enregistrements vidéo des incidents auxquels il leur était reproché d’avoir participé.

7. Le 3 janvier 2009, ils furent entendus par le procureur de la République puis traduits devant le juge, lequel ordonna leur placement en détention provisoire compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction. Devant le procureur et le juge, les requérants furent à nouveau interrogés sur le contenu des conversations téléphoniques interceptées et les enregistrements vidéo.

8. Le 7 janvier 2009, l’avocat des requérants forma opposition contre la décision de placement en détention provisoire de ses clients.

9. Invité par la cour d’assises à donner son avis sur l’opposition, le procureur de la République proposa de la rejeter en ces termes :

« Eu égard à la nature de l’infraction reprochée aux suspects, à l’état des preuves et à la poursuite de l’enquête, il est proposé de rejeter l’opposition. »

10. Le 9 janvier 2009, la cour d’assises rejeta l’opposition au motif que la décision attaquée était conforme à la procédure et à la loi et eu égard à la nature de l’infraction reprochée, à l’état des preuves, à l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction et à la persistance des motifs de détention. Elle concluait sa décision en ces termes :

« [La cour d’assises a statué] à l’unanimité, sur dossier et dans le sens de l’avis du procureur de la République. »

11. Le 23 janvier 2009, les requérants furent inculpés pour appartenance à une organisation illégale, détérioration de biens et infraction à la loi sur les armes à feu.

12. Le procès commença devant la cour d’assises.

13. À l’issue de l’audience du 12 mars 2009, la cour d’assises ordonna le maintien en détention des requérants eu égard à l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction, à la nature de l’infraction et au fait qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du CPP.

14. Lors des dix audiences ultérieures, tenues entre le 30 juin 2009 et le 17 avril 2012, la cour d’assises ordonna le maintien en détention des intéressés en se fondant chaque fois sur les motifs suivants : l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction, la nature de l’infraction, l’état des preuves, la date de placement en détention et la persistance des conditions prévues par l’article 100 du CPP.

15. Les requérants formèrent opposition contre la décision de maintien en détention adoptée à l’issue de l’audience du 17 avril 2012.

16. Invité par la cour d’assises à donner son avis sur l’opposition, le procureur s’exprima en ces termes :

« Il est proposé de rejeter l’opposition dans la mesure où la décision [attaquée] ne révèle pas de contradiction avec la procédure et la loi ni d’erreur d’appréciation. »

17. Le 30 avril 2012, la cour d’assises rejeta l’opposition eu égard à la nature de l’infraction reprochée, à l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction et à la date de placement en détention. Elle concluait sa décision en ces termes :

« [La cour d’assises a statué] à l’unanimité, sur dossier et dans le sens de l’avis du procureur de la République. »

Cette décision fut notifiée à l’avocat des requérants le 18 mai 2012.

18. Le 18 mai 2012, la cour d’assises procéda à un examen d’office de la question de la prolongation ou non de la détention des requérants et ordonna le maintien de cette mesure.

19. Lors des audiences tenues entre le 12 juillet 2012 et le 4 octobre 2012, la cour écarta la demande d’élargissement des requérants et décida leur maintien en détention eu égard à l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction, au risque de fuite des inculpés découlant de la peine encourue et au fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue à l’article 100 § 3 du CPP. Elle considéra que, au vu des motifs de détention, une simple mesure de contrôle judiciaire était insuffisante.

20. Le 15 octobre 2012, la cour d’assises écarta l’opposition formée par les requérants contre la décision du 4 octobre 2012. À cette occasion, la cour statua sur dossier et dans le sens de l’avis du procureur. Cet avis n’avait pas été communiqué aux requérants ou à leur avocat.

21. À l’issue de l’audience du 27 novembre 2012, la cour d’assises ordonna la libération du requérant Firas Aslan eu égard à la nature de l’infraction reprochée et au laps de temps passé en détention. Quant au requérant Hebat Aslan, elle ordonna son maintien en détention pour les mêmes motifs que ceux exposés lors des deux audiences antérieures.

22. Le 19 février 2013, la cour d’assises, eu égard au laps de temps passé en détention, ordonna le placement du requérant Hebat Aslan sous contrôle judiciaire en application de l’article 109 § 3 b) du CPP et enjoignit à l’intéressé de se présenter une fois par semaine au commissariat du quartier.

23. Selon les dernières informations fournies par les parties, la procédure est toujours pendante à ce jour.

B. Recours constitutionnel

24. Le 11 décembre 2012, les requérants saisirent la Cour constitutionnelle d’un recours contre la décision rendue le 15 octobre 2012 relativement au rejet de leur opposition (paragraphe 20 ci-dessus). Ils indiquaient que la cour d’assises avait procédé à l’examen de leur opposition sur dossier et qu’elle avait pris à cette occasion l’avis du procureur de la République. Dès lors, ils précisaient que ni eux-mêmes ni leur avocat n’avaient reçu notification de cet avis et qu’ils n’avaient donc pas eu la possibilité de le commenter. Ils alléguaient que le principe du contradictoire et de l’égalité des armes avait été méconnu et ils invoquaient à cet égard l’article 19 de la Constitution et l’article 5 § 4 de la Convention. Ils se plaignaient en outre d’une insuffisance des motivations de la décision relative au rejet de leur opposition et des décisions relatives à la prolongation de leur détention, et dénonçaient le caractère « stéréotypé » de ces motivations.

25. Le 21 novembre 2013, la Cour constitutionnelle se prononça sur le recours des requérants.

26. Elle estima qu’il y avait lieu d’examiner le grief tiré de l’insuffisance des motivations sous l’angle de l’article 19 § 7 de la Constitution relatif au droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure. Elle releva que la durée de la détention provisoire du requérant Firas Aslan était supérieure à trois ans et onze mois et que la durée de celle du requérant Hebat Aslan était supérieure à quatre ans et un mois. Estimant que les motifs avancés dans les décisions relatives au maintien en détention et au rejet de l’opposition n’étaient pas suffisants et pertinents, elle conclut à la violation de l’article 19 § 7 de la Constitution à raison de la durée de la détention provisoire subie par les intéressés.

27. En outre, elle conclut à la violation de l’article 19 § 8 de la Constitution – relatif au droit d’introduire un recours devant un tribunal pour qu’il statue à bref délai sur la légalité de la détention et ordonne la libération si elle est illégale – en raison de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République aux requérants ou à leur avocat et de l’impossibilité qui leur aurait ainsi été faite de commenter cet avis.

28. Par ailleurs, elle déclara irrecevable le grief relatif à l’absence d’audience, relevant que, lors de l’adoption de la décision du 15 octobre 2012, la dernière comparution des requérants devant des juges remontait à seulement quelques jours, à savoir au 4 octobre 2012. Aussi, déclarant s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour (Altınok c. Turquie, no 31610/08, 29 novembre 2011), elle considéra que l’examen de l’opposition ne nécessitait pas la tenue d’une audience.

29. Enfin, à la lumière des particularités de l’affaire et statuant en équité, la Cour constitutionnelle alloua, au titre du préjudice moral subi en raison de la violation de l’article 19 §§ 7 et 8 de la Constitution, 4 000 livres turques (TRY) (environ 1 470 euros (EUR)) au requérant Firas Aslan et 4 200 TRY (environ 1 545 EUR) au requérant Hebat Aslan. Elle ordonna en outre le remboursement aux intéressés des frais et dépens qu’ils avaient engagés dans le cadre de la procédure devant elle.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Le texte des dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 6216 instaurant le recours individuel devant la Cour constitutionnelle figure dans la décision Hasan Uzun c. Turquie ((déc.), no 10755/13, §§ 25-27, 30 avril 2013). Les dispositions relatives au droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle sont entrées en vigueur le 23 septembre 2012.

31. L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale (CPP) prévoit la possibilité pour les personnes qui ont été jugées alors qu’elles se trouvaient en détention provisoire et qui n’ont pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander réparation du préjudice subi.

32. À l’époque des faits, l’article 141 du CPP ne prévoyait pas la possibilité de demander réparation d’un préjudice subi en raison de l’absence d’un recours effectif susceptible de permettre de contester la détention. Depuis le 11 avril 2013, il est possible de demander réparation du préjudice relatif à une impossibilité de faire usage d’un recours prévu par la loi pour contester une détention.

33. L’article 142 § 1 du CPP, relatif aux modalités de la demande d’indemnisation, dispose que :

« La demande d’indemnisation peut être faite dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé du caractère définitif de la décision ou du jugement ou, en tout état de cause, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision ou le jugement sont devenus définitifs. »

34. La Cour de cassation turque a opéré un revirement jurisprudentiel en 2012 concernant l’application de l’article 142 du CPP ; elle a admis qu’il n’était pas nécessaire d’attendre la décision interne définitive pour se prononcer sur certaines demandes d’indemnisation fondées sur l’article 141 du CPP. Cette jurisprudence n’a, à ce jour, pas encore été appliquée à une demande d’indemnisation à raison de la durée excessive d’une détention provisoire.

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A. Sur l’article 47 du règlement de la Cour

35. Le Gouvernement soutient que la Cour n’a pas été régulièrement saisie au regard de l’article 47 de son règlement et du paragraphe 11 de l’instruction pratique concernant l’introduction de l’instance, en ce que les faits et les griefs des requérants, décrits selon lui en seize pages, ne répondraient pas à la brièveté qui serait requise. Il invite dès lors la Cour à rejeter la requête.

36. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 47 de son règlement un formulaire de requête doit notamment comporter un exposé des faits et un exposé de la ou des violations alléguées de la Convention accompagné des arguments pertinents.

37. En l’espèce, la Cour note que les requérants ont, dans leur formulaire de requête, décrit explicitement les faits et indiqué clairement les violations de la Convention dont ils se plaignent. Par conséquent, elle estime qu’ils ont soulevé leurs griefs conformément à l’article 47 § 1 du règlement. Quant à la disposition de l’instruction pratique invoquée par le Gouvernement, la Cour souligne que son observation ne fait pas partie des critères de recevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention. Dès lors, le Gouvernement n’est pas fondé à demander le rejet de la présente requête au seul motif qu’il en juge la rédaction trop longue. Il convient donc de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement sur ce point (voir, dans ce sens, Yüksel c. Turquie (déc.), no 49756/09, 1er octobre 2013).

B. Sur la qualité de victime des requérants

38. Selon le Gouvernement, les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes de la violation de l’article 5 de la Convention dès lors que la Cour constitutionnelle a conclu que la durée de la détention provisoire subie par les intéressés et l’absence de communication de l’avis du procureur avaient enfreint l’article 19 de la Constitution et qu’elle a accordé aux intéressés une somme au titre du dommage moral. Se référant à l’affaire Scordino c. Italie (no 1) ([GC], no 36813/97, CEDH 2006‑V), il invite la Cour à déclarer ces griefs irrecevables pour incompatibilité ratione personae.

39. Les requérants soutiennent que les faits et griefs à l’origine de la présente requête sont différents de ceux qui ont fait l’objet du recours devant la Cour constitutionnelle. Ils indiquent que leur recours devant la Cour constitutionnelle concernait la décision du 15 octobre 2012, précisant qu’ils avaient dénoncé uniquement une violation de l’article 5 § 4 de la Convention et qu’ils ne s’étaient plaints ni de la durée de la détention ni d’une violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

40. La Cour rappelle que c’est aux autorités nationales qu’il appartient en premier lieu de redresser une violation alléguée de la Convention. Cela étant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI).

41. Il appartient donc à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (voir, notamment, Scordino (no 1), précité, § 193).

1. S’agissant du grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention

42. La Cour relève que le constat de violation par les autorités nationales ne prête pas à controverse pour ce grief. S’il est vrai que les requérants n’ont pas expressément présenté ce grief lors de leur recours devant la Cour constitutionnelle, la haute juridiction a estimé opportun d’examiner le grief tiré de l’insuffisance de motivations sous l’angle de la durée de la détention provisoire. À cette occasion, elle a pris en considération la durée totale de la détention provisoire effectuée par les intéressés et conclu que cette durée était excessive.

43. Il reste à rechercher si la décision de la Cour constitutionnelle a constitué pour les intéressés un redressement approprié et suffisant.

44. La Cour rappelle que, lorsque des autorités nationales ont octroyé à un requérant une indemnité en redressement de la violation constatée, il convient qu’elle en examine le montant. Pour ce faire, elle tiendra compte de sa propre pratique dans des affaires similaires et elle se demandera, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans une situation comparable, ce qui ne signifie pas que les deux montants doivent forcément correspondre. De plus, elle prendra en compte l’ensemble des circonstances de l’affaire, y compris le moyen de redressement choisi et la rapidité avec laquelle les autorités nationales ont procédé au redressement en question, dès lors qu’il leur appartient en premier lieu d’assurer le respect des droits et libertés garantis par la Convention. Cela dit, la somme accordée au niveau national ne doit pas être manifestement insuffisante eu égard aux circonstances de l’affaire à l’examen (voir, entre autres, Scordino (no 1), précité, §§ 178-203, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 65‑107, CEDH 2006‑V, Becová c. Slovaquie (déc.), no 23788/06, 18 septembre 2007, Horváth c. Slovaquie, no 5515/09, § 93, 27 novembre 2012, Kormoš c. Slovaquie, no 46092/06, § 73, 8 novembre 2011, et Žúbor c. Slovaquie, no 7711/06, § 63, 6 décembre 2011).

45. La Cour rappelle en outre que des formes de redressement autres que l’octroi d’une indemnisation, par exemple une réduction de peine spéciale ou une libération, peuvent être considérées comme appropriées en cas de violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Smatana c. République tchèque, no 18642/04, § 86, 27 septembre 2007, Batuzov c. Allemagne (déc.), no 17603/07, 22 mai 2012, Kustila et Oksio c. Finlande (déc.), no 10443/02, 13 janvier 2004, et Selariu c. Roumanie (déc.), no 15237/03, 27 novembre 2012).

46. En l’espèce, la Cour note que la Cour constitutionnelle a alloué pour dommage moral l’équivalent de 1 470 EUR au requérant Firas Aslan et de 1 550 EUR au requérant Hebat Aslan.

47. La Cour souligne d’abord que le recours individuel devant la Cour constitutionnelle turque est entré en vigueur le 23 septembre 2012. À cet égard, elle rappelle que, lorsque les législateurs ou les juridictions nationales ont accepté de jouer leur véritable rôle en introduisant une voie de recours interne, il est évident qu’elle doit en tirer certaines conséquences. Ainsi, lorsqu’un État a fait un pas significatif en introduisant un recours pouvant aboutir à l’octroi d’une indemnité, la Cour, sur la base du principe de subsidiarité, se doit de lui laisser une grande marge d’appréciation pour qu’il puisse organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays. Le juge national pourra notamment se référer aux montants accordés au niveau national pour d’autres types de dommages et se fonder sur son intime conviction, même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Cocchiarella, précité, § 80).

48. La Cour note ensuite que le recours individuel devant la Cour constitutionnelle est un recours de caractère général. Cette juridiction a compétence pour examiner, après épuisement des voies de recours ordinaires, des recours formés par des individus s’estimant lésés dans leurs droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et par la Convention. L’examen au fond d’un recours individuel devant cette juridiction doit permettre d’établir s’il y a eu ou non violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, dans le premier cas, d’indiquer le redressement susceptible de mettre fin à la violation. Le Parlement turc a affiché sa volonté de rendre la Cour constitutionnelle spécifiquement compétente pour établir la violation des dispositions de la Convention et de l’investir de pouvoirs appropriés au redressement des violations par l’octroi d’une indemnité et/ou par l’indication des moyens de réparation, ce qui devrait permettre à la Cour constitutionnelle, si nécessaire, d’interdire à l’autorité concernée de poursuivre la violation de ce droit et de lui ordonner de rétablir, autant que faire se peut, le statu quo ante (Hasan Uzun, précité, §§ 63‑64).

49. Enfin, la Cour relève que le recours en question offre à son auteur la perspective qu’il soit mis fin à la privation de liberté contestée (Koçintar c. Turquie (déc.), no 77429/12, 1er juillet 2014). S’il est vrai que, dans la présente affaire, les requérants ne pouvaient plus obtenir une réparation sous forme d’élargissement puisqu’ils avaient déjà été remis en liberté lorsque la Cour constitutionnelle a examiné leur recours, la Cour ne saurait ignorer le fait que ce recours pouvait en principe conduire à leur élargissement.

50. À la lumière de tous les éléments dont elle dispose, et tenant compte en particulier des caractéristiques de ce recours (Cocchiarella, précité, § 96) et de la célérité avec laquelle la Cour constitutionnelle a procédé au redressement du grief en cause (voir, en ce sens, Dubjakova c. Slovaquie (déc.), no 67299/01, 19 octobre 2004), la Cour estime que les sommes accordées aux requérants ne peuvent pas être considérées comme manifestement insuffisantes.

51. Le redressement offert en droit interne s’étant révélé suffisant et approprié, les requérants ne peuvent plus se prétendre « victimes » de la violation de l’article 5 § 3 de la Convention. La Cour accueille donc l’exception du Gouvernement sur ce point.

52. Il s’ensuit que le grief des requérants tiré de l’article 5 § 3 de la Convention est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.

2. S’agissant du grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention,

53. La Cour note que le recours formé par les requérants devant la Cour constitutionnelle et la présente requête devant elle ont pour objet des décisions différentes : le premier concerne la décision du 15 octobre 2012 alors que la seconde porte sur les décisions du 9 janvier 2009, du 30 avril 2012 et du 18 mai 2012. Ces dernières décisions n’ayant pas fait l’objet d’un examen par la Cour constitutionnelle, les requérants peuvent toujours se prétendre victimes d’une violation de l’article 5 § 4 de la Convention en rapport avec les décisions du 9 janvier 2009, du 30 avril 2012 et du 18 mai 2012.

54. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

55. Les requérants se plaignent d’une absence d’audience lors de l’examen de leur opposition, le 9 janvier 2009, et d’une absence de communication de l’avis du procureur de la République. Ils ajoutent que l’impossibilité qui leur aurait été faite d’accéder au dossier d’enquête les a empêchés de contester efficacement la décision de leur placement en détention provisoire.

Dans une lettre envoyée le 13 novembre 2012, les requérants présentent des griefs similaires – absence d’audience et de communication de l’avis du procureur – concernant la décision du 30 avril 2012 relative au rejet de l’opposition et la décision du 18 mai 2012.

Ils dénoncent à cet égard une violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

56. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir disposé d’un recours effectif qui leur aurait permis de présenter leurs griefs.

57. La Cour rappelle qu’en matière de détention, les dispositions de l’article 5 § 4 de la Convention doivent être considérées comme lex specialis par rapport à celles de l’article 13 (voir, entre autres, Kırkazak c. Turquie, no 20265/02, § 35, 12 décembre 2006). Partant, elle examinera ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 4, ainsi libellé :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

58. Le Gouvernement estime que les requérants se plaignent uniquement de la décision du 9 janvier 2009. Il ajoute que, s’ils ont informé la Cour du déroulement de la procédure interne après l’introduction de leur requête, ils n’ont pas soulevé de grief lié à l’examen des oppositions ultérieures.

59. La Cour note que la requête initialement introduite par les requérants concernait uniquement la décision du 9 janvier 2009. Par la suite, le 13 novembre 2012, les requérants lui ont adressé une lettre dans laquelle ils se plaignaient expressément de la décision du 30 avril 2012 (notifiée le 18 mai 2012) et de la décision du 18 mai 2012. Aussi, l’examen de la Cour portera-t-il sur l’ensemble de ces décisions.

60. À cet égard, pour autant que les griefs des requérants concernent la décision du 18 mai 2012, la Cour rappelle que l’article 5 § 4 ne trouve pas à s’appliquer dès l’adoption d’office d’une décision sur la prolongation de la détention mais seulement à partir de la date d’introduction d’un recours contre une telle décision (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 76, 28 octobre 2010, et Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 39, 29 novembre 2011). Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

1. Grief tiré de l’absence d’audience

61. La Cour rappelle que la première garantie procédurale découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI, et Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII). En outre, le droit d’être entendu par le juge saisi d’un tel recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl, précité, § 85).

62. Toutefois, la Cour a aussi admis que, dans un système comme celui qui a été mis en place en Turquie, l’exigence de la tenue d’une audience lors de l’examen de chaque opposition risquerait d’entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale. Tenant également compte du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment de l’exigence de célérité, elle a estimé que la tenue d’une audience ne s’imposait pas à chaque recours en opposition. Dans l’arrêt Altınok c. Turquie, elle a ainsi conclu que l’absence de comparution lors de la procédure d’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où le requérant avait comparu, quelques jours auparavant, devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention en première instance (Altınok, précité, §§ 54‑56).

63. En l’espèce, la Cour note que, le 9 janvier 2009, lorsque la cour d’assises a examiné l’opposition formée par les requérants, la dernière comparution des intéressés devant un juge remontait à seulement quelques jours, à savoir à leur audition du 3 janvier 2009. À cette occasion, les intéressés ont été entendus par le juge près la cour d’assises et, assistés par leur avocat, ils ont eu la possibilité de contester de manière appropriée les éléments de preuve ayant justifié leur placement en détention.

De même, le 30 avril 2012, lorsque la cour d’assises a examiné l’opposition formée par les requérants, la comparution de ceux-ci devant un juge remontait à l’audience du 17 avril 2012, à laquelle leur avocat était aussi présent.

Aussi, dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère-t-elle que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen des oppositions le 9 janvier 2009 et le 30 avril 2012 (voir, en ce sens, Altınok, précité, § 55, et Ceviz c. Turquie, no 8140/08, § 49, 17 juillet 2012).

64. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Grief tiré de l’impossibilité pour les requérants d’accéder au dossier d’enquête

65. La Cour relève que, le 29 septembre 2007, le juge a décidé de limiter, sur le fondement de l’article 153 du CPP, l’accès des suspects et de leur avocat au dossier d’enquête (paragraphe 5 ci-dessus).

66. Elle note que les décisions de placement en détention provisoire des requérants reposaient essentiellement sur des écoutes téléphoniques. L’accès au contenu de ces interceptions revêtait donc une importance essentielle dans la contestation de la légalité de la détention des intéressés. À cet égard, la Cour observe que, lors de leur audition par la police puis par le procureur et le juge, les requérants, assistés par leur avocat, ont été interrogés sur l’ensemble de ces éléments de preuve dont le contenu a été transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire. Il apparaît ainsi que, même s’ils n’ont pas bénéficié des conditions d’accès aux éléments de preuve qui ont été celles dont a bénéficié le procureur de la République, les requérants tout comme leur avocat ont eu une connaissance suffisante de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base au placement en détention en question et qu’ils ont eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier leur détention provisoire (voir, en ce sens, Ceviz, précité, §§ 41‑44).

67. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

3. Grief tiré de l’absence de communication de l’avis du procureur

68. Le Gouvernement soulève une exception tirée de l’absence de préjudice important, au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention. Il indique d’abord que la question de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République dans le cadre de la procédure d’opposition a été résolue en droit interne, à la suite de l’adoption de la loi no 6459 entrée en vigueur le 30 avril 2013. Il précise que, depuis cette date, l’article 270 du CPP n’impose plus à la juridiction appelée à examiner l’opposition de demander l’avis du procureur de la République et que c’est seulement lorsque pareil avis est requis que la juridiction en question est tenue de communiquer les observations du procureur de la République au détenu ou à son avocat pour réponse.

69. Le Gouvernement explique ensuite que l’avis du procureur de la République est très succinct et ne contient aucun argument substantiel relatif à l’examen de l’opposition. Il ajoute que, en l’espèce, l’avis du procureur n’a pas influencé les décisions de la cour d’assises et que les décisions contestées n’étaient pas fondées sur ces avis. D’après lui, la cour d’assises s’est bornée à mentionner que le procureur avait déposé son avis.

70. Le Gouvernement indique également que l’affaire a été dûment examinée par les tribunaux internes.

71. Aussi, déclarant se fonder sur des décisions rendues par la Cour (Holub c. République tchèque (déc.), no 24880/05, 14 décembre 2010, Matoušek c. République tchèque (déc.), no 9965/08, 29 mars 2011, Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal (déc.), no 49639/09, 3 avril 2012, et Jirsák c. République tchèque (déc.), no 8968/08, §§ 89-90, 5 avril 2012), il considère que le grief relatif à l’absence de communication de l’avis du procureur doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 § 3 b) de la Convention.

72. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement.

73. En ce qui concerne le critère de recevabilité portant sur l’absence de préjudice important, l’article 35 § 3 b) de la Convention se lit ainsi depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 2010, du Protocole no 14 à la Convention :

« 3. La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime :

(...)

b) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne. »

74. La Cour rappelle que ce nouveau critère a été conçu pour lui permettre de traiter rapidement les requêtes à caractère futile afin de se concentrer sur sa mission essentielle, qui est d’assurer au niveau européen la protection juridique des droits garantis par la Convention et ses Protocoles (Stefanescu c. Roumanie (déc.), no 11774/04, § 35, 12 avril 2011). Issue du principe de minimis non curat praetor, la nouvelle condition de recevabilité renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale (Korolev c. Russie (déc.), no 25551/05, 1er juillet 2010).

75. Afin de vérifier si la violation d’un droit atteint un tel seuil, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant. Dans l’évaluation de ces conséquences, la Cour examinera, en particulier, l’enjeu de la procédure nationale ou son issue (Liga Portuguesa de Futebol Profissional, décision précitée, et Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011).

76. En l’espèce, la Cour note que les requérants se plaignent d’une violation du principe du contradictoire et de l’égalité des armes au motif que l’avis du procureur de la République ne leur a pas été communiqué dans le cadre de la procédure d’opposition.

77. Elle rappelle que, dans les affaires citées par le Gouvernement, elle avait, sur le fondement de l’article 35 § 3 b) de la Convention, déclaré irrecevables des griefs similaires tirés de l’article 6 de la Convention au motif que les intéressés n’avaient subi aucun préjudice important. Dans ses décisions, elle s’était appuyée sur le fait que les observations non communiquées ne contenaient aucun élément nouveau ou pertinent relatif à l’examen de l’affaire et que la décision attaquée ne s’était pas basée sur les observations en question.

78. La Cour estime que la présente espèce doit être distinguée des affaires citées par le Gouvernement.

79. Elle observe que les avis qui ont été émis par le procureur de la République sont très succincts, ce que le Gouvernement a lui-même souligné. Néanmoins, il convient de relever que le procureur de la République y a demandé le maintien en détention provisoire des intéressés. S’il est vrai que les motifs avancés par la cour d’assises pour rejeter les recours en opposition ne coïncident pas exactement avec ceux avancés par le procureur de la République dans ses avis, la cour d’assises a précisé – dans les deux décisions attaquées – avoir statué dans le sens de l’avis du procureur. La Cour ne peut dès lors écarter la possibilité que l’avis du procureur ait pesé dans les décisions adoptées par la cour d’assises.

80. La Cour note ensuite que, dans la présente affaire, la nature du droit prétendument violé ainsi que l’enjeu de la procédure nationale et son issue diffèrent considérablement des affaires citées par le Gouvernement. Dans celles-ci, les requérants dénonçaient une violation du principe du contradictoire, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, dans le cadre de procédures portant sur des contestations de caractère civil (une procédure relative à l’annulation d’une disposition de loi ayant fondé l’obligation de payer imposée à la requérante dans l’affaire Liga Portuguesa de Futebol Profissional ; une procédure en recouvrement d’une dette contractuelle dans l’affaire Holub ; une action en dommages et intérêts introduite contre l’État en raison des conditions de détention dans l’affaire Jirsák) ou bien dans le cadre d’une procédure pénale sans incidence sur la liberté du requérant (procédure pénale pour tentative de fraude au terme de laquelle le requérant avait été condamné à une peine de prison avec sursis dans l’affaire Matoušek).

81. Or, en l’espèce, l’enjeu de la procédure d’opposition et son issue revêtaient une importance cruciale pour les requérants. En exerçant le recours en question, les requérants ont cherché à obtenir une décision judiciaire sur la légalité de leur détention et surtout à mettre fin à celle-ci au cas où leur privation de liberté aurait été reconnue comme étant illégale.

82. À la lumière de ce qui précède et compte tenu de l’importance du droit à la liberté dans une société démocratique (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 65, série A no 12), la Cour ne saurait conclure que les requérants n’ont pas subi un « préjudice important » dans l’exercice de leur droit de participer de manière adéquate à la procédure relative à l’examen de leur opposition. Le présent grief ne peut donc être déclaré irrecevable en vertu de l’article 35 § 3 b) de la Convention. Aussi, la Cour rejette-t-elle l’exception du Gouvernement sur ce point.

83. Constatant en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

84. La Cour rappelle qu’un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, le procureur et le détenu (Nikolova, précité, § 58). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit informée du dépôt d’observations et qu’elle jouisse d’une possibilité véritable de commenter celles-ci (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I).

85. Elle relève que, lors de l’examen des oppositions formées par les requérants le 7 janvier 2009 et le 17 avril 2012, la cour d’assises a invité le procureur de la République à présenter son avis en vertu de l’article 270 du CPP en vigueur à l’époque des faits. Le procureur a déposé devant cette juridiction ses conclusions écrites dans lesquelles il prônait le rejet de l’opposition. Ces conclusions ne leur ayant pas été communiquées, les requérants ou leur avocat n’ont donc pas eu la possibilité de répondre à l’avis du procureur. La cour d’assises a statué dans le sens de l’avis du procureur et a rejeté les oppositions en question.

86. La Cour prend note de la modification législative intervenue le 30 avril 2013. Désormais, l’article 270 du CPP n’impose plus à la juridiction appelée à examiner l’opposition de demander l’avis du procureur de la République. En revanche, lorsque la juridiction demande un tel avis, elle est tenue de communiquer les observations du procureur au détenu ou à son avocat pour réponse. Cela dit, force est de constater que cette modification législative est sans incidence sur l’examen de la cause des requérants dans la mesure où elle est intervenue postérieurement aux décisions contestées par les intéressés sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

87. Dès lors que les requérants ou leur avocat ne se sont pas vu notifier l’avis du procureur de la République et qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’y répondre, la Cour estime que l’égalité des armes entre les parties et le principe du contradictoire n’ont pas été respectés et que le recours en opposition n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

88. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 sur ce point.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

89. Les requérants se plaignent de n’avoir disposé d’aucun recours effectif qui aurait pu leur permettre d’obtenir réparation. Ils dénoncent une violation de l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :

« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

90. Le Gouvernement indique que les requérants disposaient du recours prévu par l’article 141 § 1 d) du CPP. D’après lui, ce recours était de nature à remédier au grief tiré de la durée de la détention provisoire.

91. Les requérants soutiennent que le recours préconisé par le Gouvernement n’est pas effectif.

92. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X).

Pour autant que ce grief concerne l’article 5 § 3 de la Convention, à la lumière du constat auquel la Cour est parvenu aux paragraphes 76‑77 ci‑dessus, il est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Pour autant que ce grief est invoqué en rapport avec l’article 5 § 4 de la Convention, il n’est pas manifestement mal fondé et ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité. La Cour le déclare donc recevable.

93. La Cour note que l’article 141 du CPP tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits ne prévoyait pas la possibilité de demander réparation d’un préjudice subi en raison de défaillances procédurales du recours d’opposition. À cet égard, le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité, sur le fondement de cette disposition du CPP, à un justiciable se trouvant dans une situation analogue à celle des requérants.

94. La Cour estime dès lors que la voie d’indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 5 § 5 de la Convention. Partant, elle conclut à la violation de cette disposition en l’espèce.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

95. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

96. Les requérants réclament conjointement 70 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

97. Le Gouvernement conteste les prétentions des intéressés.

98. La Cour estime que le dommage moral est suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue (voir, en ce sens, Ceviz, précité, § 64).

B. Frais et dépens

99. Les requérants demandent également 9 296 TRY pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour. À titre de justificatif, ils fournissent le barème des honoraires du conseil national des barreaux.

100. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

101. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR et l’accorde aux requérants conjointement.

C. Intérêts moratoires

102. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République lors de l’examen des oppositions formées par les requérants le 7 janvier 2009 et le 17 avril 2012 et de l’absence d’un recours effectif susceptible de leur permettre de demander réparation ;

2. Déclare, à la majorité, la requête irrecevable pour le surplus ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République lors de l’examen des oppositions formées par les requérants le 7 janvier 2009 et le 17 avril 2012 ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention à raison de l’absence d’un recours effectif susceptible de leur permettre de demander réparation ;

5. Dit, à l’unanimité, que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

6. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


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